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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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Deuxième partie :

L'écriture autofictionnelle

Chapitre I : L'autofiction : l'ambiguïté d'un concept.

"Un roman est moins l'écriture d'une aventure que l'aventure d'une écriture1" Ricardou

Le terme autofiction est employé pour la première fois par le romancier et critique français Serge Doubrovsky pour ainsi qualifier son roman Fils, publié en 1977. Le recours à ce néologisme était pour Doubrovsky une réaction aux analyses effectuées par Philippe Lejeune. En effet, dans son ouvrage théorique Le pacte autobiographique, Lejeune a tenté de dresser une classification des « écrits de soi » en se reposant sur deux critères : l'identification du nom de l'auteur et celui du personnage ainsi que le pacte établi (romanesque ou autobiographique). Il a tout résumé dans un tableau et en est sorti avec deux cases vides. Dans les « deux cases aveugles », Lejeune considère « exclues par définition la coexistence de l'identité du nom et du pacte romanesque et celle de la différence du nom et du pacte autobiographique2 ». Doubrovsky étant alors, en pleine rédaction de son roman décide de défier Lejeune et de remplir l'une de ces cases où l'identité du nom coïncide avec un pacte romanesque. Doubrovsky l'avoue justement dans une lettre à Lejeune :

« J'ai voulu très profondément remplir cette case que votre analyse laissait vide, et c'est un véritable désir qui a soudain lié votre texte critique et ce que j'étais en train d'écrire3. »

Effectivement, Fils est un roman autodiégitique dont le personnage principal porte le nom de Serge Doubrovsky (pacte autobiographique) tandis que l'indication générique mentionnée dans la première de couverture est bel et bien « roman »

1 Ricardou, J., Problèmes du Nouveau Roman, essais, Seuil, collection "Tel Quel", Paris 1967, p.111.

2 Lejeune, Philippe, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, p.28.

3 Lettre du 17 octobre 1977 cité par P. Lejeune in Moi aussi, Paris, Seuil, 1986, p.63.

(pacte romanesque). Doubrovsky introduit ainsi la notion d'autofiction dans le champ littéraire et la définit ainsi :

« Fiction, d'événements et de faits strictement réels. Si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure d'un langage en liberté.1 »

L'autofiction entreprend donc de marier deux pactes contradictoires : un pacte autobiographique (où l'auteur se déclare explicitement narrateur et personnage et s'engage ainsi à dire la vérité) et un pacte romanesque (dès que le livre est sous-titré roman, il exclut tout rapport avec la réalité et place la diegèse au coeur de la fiction.). Le pacte autofictionnel associe ainsi deux éléments considérés autrefois incompatibles donnant naissance à un « pacte oxymorique 2» bien représenté par l'expression de Sartre : " c'est ça que j'aurais voulu écrire : une fiction qui n'en soit pas une.3 "

L'autofiction comme évènements réels enveloppés dans une étoffe de fiction nous renvoie à la conception du roman autobiographique qui s'élabore également sur la base d'interaction entre réel et fiction. Qu'est ce qui sépare alors autofiction du roman autobiographique ? Gasparini dans Est-il je ? montre que la différence n'est que nuance. Dans le roman autobiographique l'auteur dont le nom est différent de celui du personnage narrateur, fait appel aux événements réels (vécus) pour construire sa fiction, tandis que dans l'autofiction l'auteur se met explicitement en scène et se crée un nouveau destin qui dévie d'un moment à un autre sur son vécu, et parfois les limites entre réel et fiction se retrouvent embrouillées. Doubrovsky explique ainsi son projet : « L 'autofiction c'est la fiction que j'ai décidé, en tant qu'écrivain de me donner à moi-même et par moi-même, en y incorporant au sens

1 Doubrovsky, Serge, Fils, Paris, Galilée, 1977, quatrième de couverture.

2 Jaccomard, Hélène, Lecteur et lecture dans l'autobiographie française contemporaine : Violette Leduc, Françoise d 'Eaubonne, Serge Doubrovsky, Marguerite Yourcenar, Genève, Droz, 1993, cité in Wikipédia, L'encyclopédie libre en ligne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Autofiction

3 Sartre, Jean-Paul, Situations X, Paris, Gallimard, p. 145.

plein du terme, l'expérience du vécu, non seulement de la thématique, mais dans la production du texte.1»

Cependant, cette notion reste ambigüe dans le champ littéraire engendrant maintes contradictions. En effet, chacun donne une orientation personnelle à ce concept qui ne cesse de fasciner écrivains, critiques et étudiants. Genette se basant sur le « protocole nominal2» distingue deux genres d'autofictions : d'une part « les vraies autofictions dont le contenu narratif est, si je puis dire, authentiquement fictionnel 3», d'autre part, il nomme « fausses autofictions » toutes les oeuvres qui « ne sont fictions que pour la douane : autrement dit, autobiographies honteuses ». Genette trouve absurde le pacte énoncé par les fausses autofictions et pour ainsi les qualifier il parle « d'entreprise boiteuse4 ».

Quant à Colonna, il propose une définition qui s'écarte énormément de celle de Doubrovsky :

« La fictionnalisation de soi consiste à s'inventer des aventures que l'on attribuera, à donner son nom d'écrivain à un personnage introduit dans des situations imaginaires. En outre, pour que cette fictionnalisation soit totale, il faut que l'écrivain ne donne pas à cette invention une valeur figurale ou métaphorique, qu'il n'encourage pas une lecture référentielle qui déchiffrerait dans le texte des confidences indirectes5»

Donc, pour Colonna l'autofiction s'appuie sur la triade (auteur = narrateur = personnage) tout en ancrant l'histoire dans un univers purement fictif et qui ne fait même pas allusion au réel. Il distingue, par ailleurs, quatre autofictions: l'autofiction fantastique ( l'écrivain est au centre du texte comme dans une

1 Doubrovsky, Serge, « autobiographie/vérité/psychanalyse », dans Autobiographiques : de Corneille à Sartre, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 1988, p.70, cité par Gasparini, P., Est-il je? , Paris, Seuil, 2004, p.23.

2 Colonna, V., L 'Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, thèse inédite, dirigée par Gérard Genette, EHESS, 1989, p. 46.

3 Genette, Gérard, Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991, p. 87.

4 Ibid.

5 Colonna, V., L 'Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, op. cit, p.3.

autobiographie (c'est le héros) mais il transfigure son existence et son identité, dans une histoire irréelle, indifférente à la vraisemblance1), l 'autofiction spéculaire : (l'auteur ne se trouve plus forcément au centre du livre, il n'occupe qu'un petit rôle, une silhouette à la Hitchcock traversant ses films2), l 'autofiction intrusive où « l'avatar de l'écrivain est un récitant, un raconteur ou un commentateur 3» et l'autofiction biographique ( L'auteur est le pivot de son livre, il raconte sa vie mais il la fictionnalise en la simplifiant, en la magnifiant ou, s'il est maso, en en rajoutant dans le sordide et l'autoflagellation4). Notons que ce dernier type de l'autofiction, proposé par Colonna, l'autofiction biographique, est l'acception la plus en vogue de nos jours.

Lejeune ne tarde pas également à donner son opinion au sujet de l'autofiction, cas dont il ignorait l'existence quelques années au préalable :

« Pour que le lecteur envisage une narration apparemment autobiographique comme une fiction, comme une autofiction, il faut qu'il perçoive l'histoire comme impossible ou incompatible avec une information qu'il possède déjà5».

Cette conception de Lejeune rejoint l 'autofiction fantastique de Colonna ou encore celle de Laurent Jenny « l'autofiction référentielle » :

« L 'autofiction serait un récit d'apparence autobiographique mais où le pacte autobiographique (qui rappelons-le affirme l'identité de la triade auteur-narrateurpersonnage) est faussé par des inexactitudes référentielles.6 »

Selon Jenny la fictionnalisation peut porter sur plusieurs éléments donnant ainsi plusieurs autofictions : la fictionnalisation de l'histoire du personnage narrateur, la

1 Colonna, V., L 'Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, op. cit, p.75.

2 Colonna cité par : Corinne Durand Degranges, L 'autofiction, synthèse en ligne : http://www.weblettres.net/spip/article.php3?id_article=736

3 Ibid., p.135.

4 Colonna cité par : Corinne Durand Degranges, L 'autofiction, synthèse en ligne : http://www.weblettres.net/spip/article.php3?id_article=736

5 P. Lejeune, Moi aussi, Parsi, Seuil, 1986, p.65.

6Jenny, L., L 'autofiction, cours en ligne :

http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/autofiction/afintegr.html#afsommar

fictionnalisation de l'identité du narrateur et la fictionnalisation de l'identité du personnage.

Le côté référentiel de l'autofiction semble avoir pour souci le maintien de vraisemblance, c'est dans ce sens que Marie Darrieussecq définit clairement l'autofiction : « Récit à la première personne se donnant pour fictif mais où l'auteur apparaît homodiégétiquement sous son nom propre et où la vraisemblance est un enjeu maintenu par de multiples «effets de vie».1»

Lecarme2, quant à lui, distingue deux usages de la notion : l'autofiction au sens strict du terme (les faits sur lesquels porte le récit sont réels, mais la technique narrative et le récit s'inspirent de la fiction) et l'autofiction au sens élargi, un mélange de souvenirs et d'imaginaire3.

Vu cette multitude de tentatives de définitions, Mounir Laouyen4 pense que tant que l'autofiction n'a pas eu une délimitation bien définie dans le champ littéraire elle ne peut être considérée comme un genre à part entière, il propose ainsi de la ranger dans ce qu'il appelle « la catégorie textuelle ».

Quant à Céline Maglica, elle soulève un point très intéressant : « L 'autofiction n'est pas une fictionnalisation de soi : se fictionnaliser, c'est partir de soi pour créer une existence autre, c'est transposer son être dans le champ des possibles qui pourraient / auraient pu avoir lieu dans la réalité. L 'autofiction, c'est transposer sa vie dans le champ de l'impossible, celui de l'écriture, un lieu qui n'aura jamais lieu... C'est, en quelque sorte, l'énonciation elle seule qui est fiction dans le livre.5»

Maglica attire, donc, l'attention sur l'importance de ne pas confondre les deux
expressions « fictionnalisation de soi » et « autofiction » qui sont, selon elle, deux

1 Darrieussecq, Marie, « L 'autofiction, un genre pas sérieux », Poétique n° 107, p.369-370

2 Lecarme, Jacques, "L 'autofiction : un mauvais genre ? ", in Autofictions & Cie. Colloque de Nanterre, 1992,dir. Serge Doubrovsky, Jacques Lecarme et Philippe Lejeune, RITM, n°6

3 http://fr.wikipedia.org/wiki/Autofiction

4Laouyen, M., L 'autofiction une réception problématique, en ligne :

http://www.fabula.org/forum/colloque99/PDF/Laouyen.pdf

5 Céline Maglica, « Essai sur l 'autofiction », art. en ligne : http://www.uhb.fr/alc/cellam/soidisant/0 1 Question/Analyse2/MAGLICA.html

conceptions totalement différentes. Elle souligne également un autre point assez important : l'autofiction n'est conçue que dans le champ de l'écriture avec « un langage en liberté ». Or, cette conception de l'autofiction définie par rapports à des effets de langage ne diffère en rien de l'idée initiale de Doubrovsky. En effet, après avoir fait le tour de plusieurs analystes et critiques, l'autofiction semble être mal comprise, à ce sujet Doubrovsky affirme que « dans ses ouvrages tout a été vécu, la matière est le réel, seulement le réel (rien n'est inventé) ; c'est l'écriture qui transforme cette matière brute ; l 'autofiction est donc d'abord un exercice de style, une mise en forme expérimentale du réel par le langage (voir certaines dispositions typographiques originales dans ses ouvrages, etc)1».

Donc, seul le langage est capable de créer un univers de fiction et donner vie aux événements réels qui sont la matière première de cette belle mystérieuse autofiction. Cependant, presque toutes les conceptions proposées à la suite de Doubrovsky ne tenaient pas compte de cet aspect stylistique de l'autofiction.

Dans les deux cas de l'autofiction référentielle ou stylistique, l'autobiographie se retrouve remise en cause. D'une part, sa prétention autobiographique à dire la vérité n'est plus crédible car depuis les travaux de Freud en psychanalyse, il est devenu inconcevable de pouvoir cerner une réalité : dire la réalité ne serait alors qu'une intention. C'est justement dans ce sens que Maurois déclare en 1928 : « Il semble que l'autobiographie, au lieu d'ouvrir le chemin de la connaissance de soi, engage son auteur dans le sens d'une infidélité à soi-même impossible à éviter2 »

D'une autre part, on aurait reproché à l'autobiographie son style littéraire recherché dans le sens où « la belle forme du style sanctifierait le récit de vie exemplaire en le faisant passer sur le plan de l'art. 3». Doubrovsky insiste justement sur ce point : « Autobiographie ? Non, c'est un privilège réservé aux importants de

1 Doubrovsky, cité par Corinne Durand Degranges, L 'autofiction, op.cit.

2 Maurois, André, Aspects de la biographie, Paris, Au sans pareil, 1928. Citation rapportée par Grassi, Marie-Claire, " Rousseau, Amiel et la connaissance de soi ", in Autobiographie et fiction romanesque, Actes du Colloque international de Nice, 11-13 janvier 1996, p. 229, cité par « L 'autofiction : Une réception problématique », art. en ligne : http://www.fabula.org/forum/colloque99/208.php#FM31

3 Jenny, Laurent, L 'autofiction, lien : http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/autofiction/afintegr.html#afsommar

ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style. Fiction, d'événements et de faits strictement réels ; si l'on veut autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman traditionnel ou nouveau.1».

L'autofiction doubrovskyenne ou stylistique (Laurent Jenny), lâche ainsi la bride du langage et se donne aux sensations déchainées d'un inconscient spontané, seule l'écriture rendrait ainsi compte d'une réalité foisonnante de détails subtils. Ainsi, à la différence de l'autobiographie mise au crible de la conscience, l'autofiction serait « l'autobiographie de l'inconscient2». L'écriture autofictionnelle est donc d'une inspiration psychanalytique, c'est une écriture associative, écriture de cure, une écriture de confession et de confidence où se donne à nue une profondeur d'un Moi en émoi. C'est ainsi qu'écrire une autofiction ne nécessite pas d'avoir une vie exceptionnelle ou un style littéraire admirable. Mais, il suffit juste de savoir s'abandonner entièrement à l'ivresse de l'écriture sans même chercher à se relire ainsi qu'à la manière des surréalistes, écrire le moment présent, retracer ses souvenirs, peindre ses fantasmes en soumettant le tout à la logique du désordre de la mémoire.

Toutefois, par son souci de simplicité et de spontanéité accrue ainsi que son ouverture à un large public, l'autofiction se retrouve souvent qualifiée de genre bas « presque infra-littéraire, à la portée de tous les inconscients et de toutes les incompétences stylistiques3 ». L'absence de soin d'écriture et la valorisation d'un langage débridé ont poussé certains à la qualifier encore de « genre pas sérieux 4». Mais, nous nous demandons si cette manière qui permet d'exprimer un Moi fuyant n'aurait pas sa propre logique, ses propres intentions et stratégies ? Ne répondrait- elle pas à un besoin du nouveau millénaire ?

1 Doubrovsky, Serge, Fils, Paris, Galilée, 1977, prière d'insérer.

2 Jenny, Laurent, L 'autofiction, op.cit.

3 Ibid.

4 Darrieussecq, Marie, « L 'autofiction, un genre pas sérieux », Poétique n°107, 1996

Notons que ce rappel théorique était nécessaire dans la mesure où il nous a aidée à orienter notre choix parmi un foisonnement de définitions de l'autofiction.

Nous avons opté à aborder l'autofiction sous un aspect qui lui est plus attribué depuis son apparition : l'aspect stylistique. En effet, les approches contemporaines ne cessent d'évoquer l'autofiction non pas dans la conception de son inventeur Serge Doubrovsky mais plutôt sous les autres conceptions complètement différentes qui ont été proposées à la suite de Doubrovsky.

C'est cet aspect scriptural de l'autofiction qui nous intéresse dans l'approche de l'écriture de Guène.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway