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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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3- Le tiers espace comme double absence :

« Nous sommes les habitants d'un lieu comme, à part ou moins égale, d'une mémoire. Un lieu n'est que de mémoire, en fait. »

Mohammed Dib1

« Comme Socrate selon Platon, l'immigré est atopos, sans lieu, déplacé, inclassable. Rapprochement qui n'est pas là seulement pour ennoblir, par la vertu de la référence. Ni citoyen, ni étranger, ni vraiment du côté du Même, ni totalement du côté de l'Autre, il se situe en ce lieu " bâtard " dont parle aussi Platon, la frontière de l'être et du non-être social (...) Doublement absent, au lieu d'origine et au lieu d'arrivée.2». Effectivement, cette situation embarrassante est lourdement vécue par tous les immigrés qui se sentent déchirés entre deux cultures les disputant sans cesse. Ainsi, ces êtres tiraillés entre «Père» et «Mère» se retrouvent souvent avec des repères culturels embrouillés. Cette atmosphère d'hybridation est bien ressentie dans Kiffe kiffe demain qui met en scène une adolescente dont les limites entre les deux cultures sont floues. Afin d'examiner ce phénomène observons les passages suivants :

Doria imagine comment serait sa fête de mariage : «Y aurait des fleurs et des bougies blanches. Mon témoin, ce serait Hamoudi, et les demoiselles d'honneur, les trois petites soeurs ivoiriennes qui jouent à la corde à sauter en bas de l'immeuble. Le problème, c'est que celui qui doit me conduire à l'autel, c'est censé être mon connard de paternel. » (p.42)

Cette image de la cérémonie du mariage semble être présentée dans un cadre
d'église. Cela se confirme avec l'évocation du mot « autel » : « table où le prêtre
célèbre la messe, dans le choeur et les chapelles d'une église »
, donc la narratrice

1 Dib, Mohammed, Tlemcen ou les lieux de l'écriture, Paris, Editions Revue noire, 1994, p.83.

2 BOURDIEU, Pierre, préface à La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré de Abdelmalek SAYAD, Liber, Seuil, 1999, préface en ligne : http://www.abdelmaleksayad.org/dossierHommages/BourdieuxSeuil.html

songe à un mariage chrétien. Pourtant Doria a bien précisé sa confession religieuse depuis le début du roman :

« Le Ramadan a commencé (...) j'ai dû signer à Maman un papier de la cantine précisant pourquoi je ne mangeais pas ce trimestre » (p.13)

Dans l'exemple ci-dessus, en précisant qu'elle jeûne, la narratrice confirme être une musulmane pratiquante. La question qui interpelle alors le lecteur comment une jeune fille musulmane songerait-elle à un mariage à l'église où sont célébrées les fêtes de mariage chrétiennes? Est-elle consciente de cette correspondance ? De quelle culture pouvons-nous alors parler ?

Adolescente née en France, la narratrice s'est retrouvée depuis l'enfance confrontée à deux cultures : celle du foyer prônant une éducation islamique et celle du pays d'accueil plutôt chrétienne ou laïque. S'imprégnant de l'une et de l'autre, il arrive que le beur confonde les deux univers de référence. En effet, les représentations faites par la narratrice sur un évènement important comme le mariage, semblent être enracinées dans la culture d'accueil. Chose naturelle car vivre en France, pays peuplé par les églises et regarder la chaine publique française ne fait qu'accentuer la référence à cet univers quotidien.

Akli Tadjer témoigne à ce sujet, lors d'un entretien, de cette situation oximorique vis-à-vis de l'univers référentiel religieux :

« Une mosquée, moi je ne visualisais pas ce que c'était. Une église, je voyais bien ce que cela voulait dire. Des choses qui ne passent pas dans les journaux, c'est abstrait. Même le message, il n'est pas dans l'environnement, il ne s'inscrit pas. C'est dur de tourner vers la Mecque quand tu es dans le métro. Mes parents ne pouvaient pas expliquer les versets du Coran. 1» (26 avril 1988)

La transmission de valeurs religieuses s'avère ainsi une tâche délicate dans un
milieu d'immigration où deux cultures de confessions rivales se côtoient.
L'éducation islamique tient alors en grande partie à l'image que donnent les parents

1 Akli Tadjer cité par Anne V. Cirella-Urrutia, « Images d'altérité dans les oeuvres autobiographiques "Les A.N.I du 'Tassili'" de Akli Tadjer et "Temps maure" de Mohammed Kenzi », art. cité en ligne : http://motspluriels.arts.uwa.edu.au/MP2303acu.html

de cette religion. A ce sujet la narratrice nous montre que son père n'est pas un modèle idéal pour une telle tâche :

« Je suis allé m 'assoir à côté d'un vieil africain qui tenait un chapelet de bois dans sa main. Il faisait tourner les boules lentement entre ses doigts. Ça m'a rappelé mon père dans ses rares moments de piété, même s'il n'avait rien d'un bon musulman. On va pas prier après avoir descendu un pack de 1664. 9a ne sert à rien. » (p.162)

Omar, le protagoniste de Les A.N.I. du "Tassili" manifeste également son trouble lorsqu' un vieil homme l'invite à la prière :

« Tu viens à la prière, mon fils? » Insiste-t-il. C'est certainement la question la plus embarrassante qu'on m'ait jamais posée. Si je lui dis que mon savoir théologique se limite à « Allah ou Akbar » et « Inch Allah », je vais passer pour le dernier des connards. Si je lui réponds que ça ne m'intéresse pas, je vais passer pour le fils du diable en personne, et qui peut deviner la suite...1 » (p. 63)

A l'opposé d'Omar, Doria semble ne pas se rendre compte de ce virement vers la culture occidentale car la religion est considérée comme référent culturel, et donc comme partie prenante de l'identité des sujets. Adoptant ainsi des traits de la culture du pays d'accueil, nous pouvons dire que la narratrice est en train de vivre une acculturation, phénomène défini comme : «Processus par lequel un groupe humain assimile tout ou partie des valeurs d'un autre groupe humain2 ».

L'héroïne de Kiffe kiffe demain assimile ainsi partiellement des valeurs de la culture occidentale, elle est considérée dans ce cas, en se référant à la terminologie de Grosjean3, comme un sujet biculturel. Selon Grosjean, à la différence d'un bilingue pouvant distinguer partiellement mais volontairement entre deux langues (cas de diglossie par exemple), le biculturel se trouve dans l'incapacité de séparer ses deux cultures : « certains traits viennent de l'une ou de l'autre culture et se

1 Tadjer, Akli, Les A.N.I. du "Tassili", Paris, Seuil, 1984, p.63.

2 Petit Robert, 1996

3 Grosjean, F, Le bilinguisme et le biculturalisme : Essai de définition, Tranel, 1993, p. 19.

combinent, tandis que d'autres sont nettement une synthèse des deux (...) certains aspects resteront sous forme de synthèse, et ne pourront plus être réductibles à l'une ou l'autre des cultures de référence1».

Nous pouvons ainsi comprendre l'attitude de Doria qui tout en étant musulmane pratiquante (trait de la culture maternelle), songe à un mariage chrétien à l'église (trait de la culture du pays d'accueil : la culture française). Cette culture hybride semble renvoyer le bilingue biculturel dans un « tiers espace », un espace qui ne trouve droit de cité que dans l'imaginaire subjectif de ces jeunes beurs réclamant fièrement et parfois douloureusement leur double appartenance.

Donc, le social influe à un point considérable sur l'imaginaire de la personne. L'identité serait alors le produit de l'interaction entre le Soi et le social. Dans le domaine de la psychologie sociale2, les théoriciens du rôle (Goffman3, Mead4) soutiennent justement ce rapport étroit entre la société et l'individu et emploient le concept de Soi comme « une structure cognitive qui naît de l'interaction de l'organisme humain et de son environnement social.5»

Notons, toutefois, que « C'est sous la forme de l 'autrui généralisé que le processus social influence le comportement des individus concernés (...) Car, c'est sous cette forme que le processus social ou la communauté pénètre en tant que facteur déterminant dans la mentalité de l'individu6». L 'autrui généralisé désigne à la fois les membres de la communauté sociolinguistique à laquelle appartient l'individu ou un groupe de personnes qui ne partagent pas la même référence culturelle mais

1 VAILLANCOURT, Josette, « Le nouveau bilinguisme : analyse d'un entretien », art. en ligne : http://www.cavi.univ-paris3.fr/Ilpga/ed/dr/drdm/nouveau_bilinguisme.html

2 L'encyclopédie Wikipédia définit la psychologie sociale comme : « une branche de la psychologie qui s'intéresse à l'influence des processus cognitifs et sociaux sur les relations entre les individus (relations interpersonnelles) et ainsi que les fondements de ces relations. Elle étudie tant les interactions des individus en groupe et société que les comportements des groupes et sociétés eux-mêmes. », lien : http://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_sociale

3 Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Collection Le Sens Commun, Éditions de Minuit, Paris, 1959.

4 MEAD, G.-H, L'esprit, le soi, la société, Paris : PUF, 1963.

5 « Évolution de l'intérêt pour Soi », extrait d'ouvrage en ligne : http://www.pug.fr/extrait_ouvrage/Esoi.pdf

6 MEAD, G.-H, op. cit., p. 155.

constituent tout de même une communauté géographique. Etant en interaction continuelle avec son milieu social, l'individu est assurément un produit social. Lévi- Strauss confirme ainsi que l'homme ne peut vivre seul : « l'exclusive fatalité ou encore l'unique tare qui puisse affliger un groupe humain et l'empêcher de réaliser pleinement sa nature ; c'est d'être seul »

Vu l'importance du cadre social, Guène ancre davantage son roman dans l'environnement socioculturel en braquant la lumière sur la souffrance des immigrés musulmans face aux autorités françaises qui ne tolèrent pas la différence. Yasmina, la mère de la protagoniste, retrouve justement du mal à être arabo-musulmane et à travailler dans un espace ne prenant pas en considération la spécificité de sa culture : « Parfois quand elle rentre tard le soir, elle pleure. Elle dit que c'est la fatigue. Pendant le ramadan, elle lutte encore plus parce qu'à l'heure de la coupure, vers 17h30, elle est encore au travail. Alors pour manger, elle est obligée de cacher des dattes dans sa blouse. Elle a carrément cousu une poche intérieure histoire que ça fasse plus discret parce que si son patron la voyait, elle se ferait engueuler. » (p.14)

Les immigrés musulmans luttent, ainsi, quotidiennement pour le droit d'être différents, d'avoir une culture autre que celle du pouvoir dominant.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote