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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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Chapitre III : Univers culturel universel

Une culture télévisuelle :

La banlieue est un lieu défavorisé car à l'origine ces zones périphériques aux lisières de la capitale étaient conçues juste pour le logement des ouvriers. Donc, ces jeunes résidant une banlieue privée automatiquement d'espaces pour le développement culturel, se retournent vers la télévision qui devient pour la plupart d'eux l'unique moyen de culture. Faiza Guène, jeune auteure habitant également une banlieue, n'en a pas fait l'exception car la référence aux programmes télévisés est très frappante dans son Kiffe kiffe demain. En effet, l'espace télévisuel domine tout le roman : plus d'une vingtaine d'émissions télévisées, de noms d'acteurs, de

1 L'encyclopédie Wikipédia propose la définition suivante : « Le multiculturalisme est un terme sujet à diverses interprétations. Il peut simplement désigner la coexistence de facto de différentes cultures (ethniques, religieuses etc..) au sein d'un même ensemble (pays, par exemple). », lien : http://fr.wikipedia.org/wiki/Multiculturalisme

2 Laboratoire : Langues, littératures, Civilisation et Histoire en Afrique, Dialogue des cultures et / ou culture du dialogue, Colloque international, Université d'Oran, Les 12 et 13 novembre 2007, résumé en ligne : http://www.univ-oran.dz/cultureetdialogue.doc

présentateurs de la télévision, y sont cités. Nous examinerons comment cet espace culturel agirait sur l'imaginaire et la vision du monde de la narratrice.

Nous avons remarqué que chaque évènement dans la vie de Doria est vu à travers ses connaissances antérieures acquises par le biais de la télévision. Au long du roman la protagoniste n'a pas pu s'empêcher de faire incessamment ces correspondances. Ainsi, les rêves, les valeurs et les jugements de Doria ne trouvent leur concrétisation qu'à travers les programmes télévisés :

L'homme idéal : « je me voyais plutôt avec MacGyver. Un type qui peut te déboucher les chiottes avec une canette de Coca, réparer la télé avec un stylo Bic et te faire un brushing rien qu'avec son souffle. Un vrai couteau suisse humain. » (p.41).

MacGyver personnage d'une série télévisée incarne ainsi l'image de l'homme idéal pour Doria : un personnage hors commun qui réalise des exploits extraordinaires voire impossibles, une pure figure qui ne trouve place que sur l'écran de la télévision. Le monde télévisuel a ainsi influencé les représentations de la narratrice au point de les idéaliser. Nous reconnaissons à l'évocation d'un tel exemple l'imagination fertile d'une adolescente envoûtée dans les rêves :

« Moi je préfère les héros, comme dans les films, ceux qui font rêver les filles...Al Pachino, je suis sûre que personne pouvait lui tirer son goûter. Direct il sort le semi-automatique, il t'explose le pouce, tu peux plus le sucer le soir avant de t'endormir. Terminé. » (p.47).

Dans un milieu dur comme celui de la banlieue les rêves deviennent les seules bouffées d'oxygène qui nourrissent l'espoir. De tels exemples traversent tout le roman offrant ainsi au lecteur des moments de joie partagés avec une narratrice transparente. La lecture de textes littéraires apparait donc comme « un des lieux de l'imaginaire où se dessine dans une sorte de miroir universel le jeu d'ombre et de lumière de nos angoisses, de nos rêves et de nos fantasmes1 ». Vincent Jouve à montré justement dans ce sens que : « L'emprise fantasmatique [...] tient essentiellement à la réactivation par le récit des fantasmes originaires au

1 LANGLADE, Gérard, « La lecture littéraire : savoirs, réflexion et sentiments », art. en ligne : http://www.discip.ac-caen.fr/la.reussite.en.seconde/IMG/pdf/actfran_langlade.pdf

fondement de l'identité du sujet. Rares sont les récits où les "scénarios" imaginaires de l'enfance ne sont pas, plus ou moins clairement, rejoués par les personnages. Le lecteur ne peut manquer de les reconnaître, voire de se reconnaître à travers eux.1»

La justice : « Moi, j'y connais pas grand-chose à la justice, les seules références que j'ai dans ce domaine, c'est les épisodes de Perry Mason, le grand avocat. Je me rappelle même qu'il y avait un juge qui s'endormait pendant les procès et les gens l'appelaient quand même « Votre Honneur » » (p.86)

Cet exemple nous permet de constater que la télévision ne représente pas seulement un monde féérique pour la narratrice mais également un univers de référence de prédilection. Des valeurs humaines comme la justice ne prennent sens qu'à travers les émissions télévisées qui en parlent. C'est donc par rapport à l'image que reflète la télévision de ces valeurs que Doria construit ses représentations. Notons, cependant, le rôle potentiellement néfaste de ce média car justement la télévision est une voie privilégiée pour la transmission de divers stéréotypes. Donc, « L'image télévisuelle est "une caisse de résonance" du discours social intériorisé, un observatoire socioculturel de nos modes de pensées collectifs, une machine à stéréotypes. 2»

Effectivement, dans l'exemple précédent nous reconnaissons facilement le stéréotype du juge irresponsable et désintéressé. Ce genre de stéréotypes véhiculés par le biais de la télévision influe rapidement sur les téléspectateurs et agit sur leur réaction. Ainsi, «Les médias représentent le pouvoir le plus puissant, le plus insidieux et le moins contrôlable exercé sur les enfants et adolescents « normaux ». Leur influence est subtile, cumulative, et prolongé e.3»

Le divorce : « Dans Zone interdite, Bernard de La villardière parlait du problème du
divorce. Il expliquait comment ça augmentait à fond. La seule raison que je vois à

1 Jouve, Vincent, La poétique du roman, SEDES, Paris, 1997, pp. 95-96.

2 Joly, M, L'image et son interprétation. Paris : Nathan - VUEF, 2002.

3 « Impact des médias », art. en ligne :

http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/chap07.pdf

ce phénomène, c'est Les Feux de l'amour. Dans le feuilleton ils se sont tous mariés entre eux au moins une fois, si ce n'est deux. » (p.42)

Nous décelons dans cet exemple une certaine maturité de la narratrice car à la différence des adolescents de son âge, Doria n'axe pas son intérêt que sur les émissions de distraction mais regarde également d'autres traitant des sujets importants dans la vie comme le divorce. Autre phénomène qui pourrait surprendre le lecteur c'est que la narratrice en apprenant de nouvelles informations par le biais de la télévision : « le divorce (...) augmentait à fond », n'a pas cherché à se représenter cette information dans le monde réel (vécu ou entourage) mais au contraire elle ne s'est pas arrachée au monde télévisuel et s'est référé au feuilleton « Les feux de l'amour ». Cela nous donne l'impression que Doria confond les deux mondes : télévision et réalité. Ainsi, ses programmes télévisés deviennent des évènements vécus, un monde plus réel que le réel.

Même quand Doria met les pieds sur terre, la télévision intervient pour diriger ses pas : En parlant de « Tante Zohra » qui cherche une meilleure façon d'annoncer la nouvelle de l'arrestation de Youssef à son mari, Doria propose : « Pour les mauvaises nouvelles, il faut s'inspirer de la télé. Du courage et du tact de Gaby Dans Sunset Beach quand elle annonce à son con de mari qu'elle l'a trompé avec son propre frère. En plus, il était prêtre le frère » (p.95)

Dans cet exemple la narratrice sépare ses deux mondes et réalise que la télévision est un parfait moyen d'inspiration. Donc, les programmes télévisés donnent des idées ingénieuses à Doria qui les investit pour s'en sortir de situations difficiles. La télévision devient ainsi pour la protagoniste de Kiffe kiffe demain un guide pratique pour la réussite de la vie.

La référence à la télévision se présente également quand la narratrice s'apprête à décrire le caractère d'un personnage : « Le seul qui ne fait pas grève, C'est M. Lefèvre, celui qui parle comme Pierre Bellemare, le présentateur de téléachat à l'ancienne » (p. 65)

A propos de l'assistant social : «il ressemble à Laurent Cabrol, celui qui présentait « La nuit des héros » sur TFI le vendredi soir » (p.18)

Ces correspondances épargnent à la narratrice de faire toute une description car le rapprochement avec un modèle médiatisé assure sa reconstruction par un grand pourcentage de lecteurs. Donc, se référer à des images inspirées par la télévision permet à la narratrice d'économiser du temps et confère à la description plus de vivacité car l'écrit dans ce cas renvoie le lecteur à une image visualisée. La télévision est ainsi un univers primordial dans la vie de la narratrice qui finit par s'en rendre compte : «s'ils nous coupent la télé comme ils nous ont coupé le téléphone, c'est chaud. J'ai que ça (...) l'église, les dessins des vitraux, c'était la Bible du pauvre, pour les gens qui savaient pas lire. Pour moi la télé aujourd'hui, c'est le coran du pauvre. » (p.155).

Faiza Guène explique pourquoi la référence au monde télévisuel est si importante pour sa narratrice : « La télévision est très importante dans son cas, elle n'a pas un accès à la culture. Sa seule référence est la télévision. Toute sa vie est calquée par rapport à ces émissions, ces séries télévisuelles. Elle a une vie un peu dure, mais elle s'imagine dans les feux de l'amour, elle s'invente un peu une autre vie.1 ».

Des exemples de référence au monde de la télévision abondent dans Kiffe kiffe demain l'ancrant ainsi dans un décor original s'ouvrant sur l'universalité. Se référant à une telle culture universelle, les jeunes de la banlieue ont pu dépasser une culture de l'enfermement (culture du ghetto) pour s'ouvrir sur une « culture populaire, de base, pas spécialement jeune, pas spécialement de cité, une culture d'aujourd'hui2». Ainsi, « texte de plaisir(...) celui qui vient avec la culture, ne rompt pas avec elle3 ».

1 Faiza Guène lors de sa rencontre avec les élèves de Montreuil, lire son intervention en ligne : http://www.mini-sites.hachette-livre.fr/hcom/faiza_guene/site/montreuil.html

2 Paroles de la bibliothécaire, rencontre de Faiza Guène avec les élèves de Montreuil, paroles recueillies en ligne : http://www.mini-sites.hachette-livre.fr/hcom/faiza_guene/site/montreuil.html

3 Barthes, Roland, Le plaisir du texte, Éditions du Seuil, Paris, 1973, p.25

Kiffe kiffe demain représente ainsi un foyer à ciel ouvert d'une littérature moderne contemporaine qui affiche sa volonté à répondre au besoin de l'homme actuel.

A travers l'analyse de l'espace interculturel dans Kiffe kiffe demain, nous constatons que Guène prouve encore que son aventure romanesque est ancrée au coeur de l'autofiction. En effet, l'autofiction représente ici un lieu d'action qui permet à Faiza Guène de reconstruire des représentations de sa culture, tout en abordant des problématiques sociales de son pays d'accueil. Ce processus engage un travail intérieur sur sa propre conception de la culture (la sienne et celle de l'Autre) et une reconnaissance des représentations culturelles qui habitent son identité. Son roman devient donc une toile somptueusement représentative de la réalité socioculturelle d'une nouvelle génération d'immigrés en France.

En effet, Faiza Guène, jeune beurette, met en scène, dans son premier roman, un espace où se côtoient et/ou s'affrontent plusieurs cultures. Cet espace multiculturel décrit par la narratrice est le même espace où l'écrivaine a grandi : l'espace complexe de la banlieue française. Guène s'est ainsi inspirée de son propre univers culturel pour donner un décor spécifique à son roman. Douvrovsky insiste justement sur le fait que l'autofiction ait pour matière brute le réel, l'univers culturel n'est-il pas une composante essentielle du réel ? En effet, la réalité ne peut être appréhendée en dehors de son rapport avec la culture vue ou vécue. Ayant pour ambition de cerner cette réalité socioculturelle, l'oeuvre de Guène trace un portrait fragmenté de l'identité culturelle d'une communauté immigrée.

De plus, c'est avec une langue simple et spontanée que Guène retrace le processus d'identification et de construction et reconstruction des représentations culturelles. Les mots donc n'agissent pas seulement comme des outils narratifs mais se doublent d'une réalité pluriculturelle.

L'autofiction est donc un espace d'inspiration réelle, à la quête minutieuse d'une illusion du réel même au coeur d'une fiction. A travers Kiffe kiffe demain, Guène donne la possibilité d'explorer le concept d'autofiction sous ses différentes conceptions.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon