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Les réfugiés politiques et les demandeurs d'asile à Dijon

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par Nassiri ATTAR, Thomas ROBERT et Rémi SANTIARD
Faculté de Médecine, université de Bourgogne - D.U Action Humanitaire 2008
  

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ATTAR Nassiri ROBERT Thomas SANTIARD Rémi

DIPLÔME UNIVERSITAIRE

D'ACTION HUMANITAIRE

Directeurs du diplôme universitaire: les professeurs Bernard Blettery et

Patrick Hilon

Directeur de mémoire : Jacques Revon

Mémoire de fin d'année 2007-2008

Les réfugiés politiques et les demandeurs d'asile à Dijon,
Aide humanitaire ?

REMERCIEMENTS

Cette étude n'aurait pu voir le jour sans les demandeurs d'asile en premier lieu qui nous ont ouvert leurs portes malgré la difficulté qu'ils peuvent avoir à parler. Nous remercions donc Venantia, Cyprien, François et Martin du Centre d'Aide des Demandeurs d'Asile « Les Verriers » à Dijon et Hélène, Omar, Dico du Foyer Centre de Protection et d'Hébergement de la Croix-Rouge Française de Quetigny.

Nos salutations vont enfin aux Assistants Sociaux et autres collaborateurs des différents organismes auxquels nous avons rendu visite et qui par leur travail quotidien permettent que les demandeurs d'asile soient pris en charge.

Introduction générale

«Je vous demande de multiplier nos relations humaines afin de nous mieux connaître, pour nous aider de façon satisfaisante. Sinon, ce que vous ferez pour nous, sans nous, sera comme un vêtement que vous n'aurez pas confectionné sur mesure pour nous. Le résultat sera que vous aurez perdu l'étoffe, sans que nous nous soyons habillés.»

Amadou Hampâté Bâ, conteur et écrivain malien (1900-199 1)

« Nous commençons seulement à apprendre comment faire en sorte que les migrations facilitent plus systématiquement le développement. Chacun d'entre nous a entre les mains l'un des éléments de l'énigme que posent les migrations mais aucun d'entre nous ne dispose de tous les éléments. Il est donc temps de reconstituer tous les éléments de l'énigme ».

C'est ainsi que commence le rapport de l'Organisation des Nations Unies intitulé :Mondialisation et interdépendance, migrations internationales et développement, sur les migrations internationales et leurs conséquences sur les pays d'origine et de destination. L'ambition de cette étude n'est pourtant pas d'expliquer en quoi l'immigration est une énigme ni même d'en rassembler les éléments, chose qui dépasse le cadre de ce mémoire. Nous avons commencé par observer le phénomène migratoire, la manière selon laquelle il peut se former et cela au travers de témoignages de vie bien précis que l'on a pu découvrir dans la ville provinciale de Dijon. La situation des demandeurs d'asile et des réfugiés politiques, qui forment un des flux migratoires modernes, nous a paru digne d'intérêt pour des raisons culturelles, juridiques et sociales. Nous entendrons dans cette étude que le « réfugié politique » est selon les mots de la Convention de Genève : « une personne persécutée dans son pays d'origine pour ses opinions et son combat pour la liberté ».

« Immigration ».Le terme même porte aux plus irrationnelles compréhensions: il s'entend en comparaison des vols ornithologiques et introduit une notion de répétitif, de cyclique. Or les motivations poussant au déplacement massif, périphrase qui serait davantage appropriée, sont tout sauf prévisibles et tiennent pour une part majoritaire de phénomènes culturels et non éthologiques. Au XXème siècle ce terme est contaminé par une série d'autres concepts ressortant de l'Histoire moderne, celle de la Shoah d'abord où « immigration » gravite autour du concept de « déportation », la Décolonisation d'autre part où elle perpétue le « fardeau de l'homme blanc », ponctue les remords des Etats européens colons, perpétue le fantôme d'un dialogue jamais commencé entre les peuples.

Mais toujours sur le Globe, et davantage dans des pays anciens comme en Europe, l'immigration remet en cause, au sein des représentations collectives, la Nation. Si le métissage introduit une variable vitale pour l' « identité nationale » à l'échelle d'un pays, l'immigration semble pour beaucoup une atteinte insidieuse aux fondements de la civilisation. Dès lors sur le plan individuel comme social les deux concepts sont étroitement mêlés et cette collusion nuit à tout relativisme historique et géopolitique, qui pourtant expliquerait seul ce phénomène à sa juste mesure. C'est l'esclavage et plus tard la Colonisation qui viendra ajouter au sens premier du mot une polysémie économique et politique.

Ce rapide brossage des variantes du mot « immigration » a pour unique but de montrer au lecteur que ce terme est sans nul doute, parmi ceux des langues modernes, l'un des plus chargés culturellement, des plus imprécis qui soit, des plus contrôlés aussi; il est le coeur d'enjeux interpersonnels et le foyer de ressentiments et d'affects multiples touchant à l'intégrité, l'altérité et l'identité. Ce constat expliquera, on le verra, certains mécanismes d'interprétation des discours des personnes immigrantes que nous ne manquerons pas de relever aussi. Décrypter les représentations d'étrangers venus sur le sol français pour des raisons diverses mais motivées serait une entreprise biaisée et partiale si parallèlement nous n'examinions pas notre propre vision du monde et ce phénomène qu'est le choc avec l'Etranger en particulier.

N'ayant quasiment aucune expérience de terrain en matière d'action humanitaire, nous avons perçu à travers cette problématique et plus globalement au travers du sort de ces migrants en provenance des Pays en Voie de Développement, de pays déchirés par la guerre et la pauvreté, un enjeu humanitaire. Car l'humanitaire ne commence pas que sur le sol africain, bangladais ou haïtien. Toute aide portée vers l'Autre est à dimension humanitaire et en cela la mission protectrice des Droits de l'Homme qui est l'apanage français depuis ses débuts se devait d'être évaluée.

Pourtant notre étude ne cherche pas tant à juger qu'à comprendre d'une part la situation quotidienne des demandeurs d'asile, d'autre part à cerner les causes de leurs départs, ainsi qu'à montrer enfin comment le peuple français et ses institutions répondent à cet appel humanitaire. On cherche ici à dévoiler les représentations culturelles qui sous-tendent la politique française vis-à- vis du phénomène migratoire lorsqu'il émane de pays défavorisés.

Nos documents de travail sont les témoignages entendus et bruts des concernés, c'est-à-dire des demandeurs d'asile eux-mêmes, auxquels nous avons fait face avec nos compétences respectives, notre sensibilité et nos a priori culturels.

Quelles sont les conditions de vie et d'épanouissement des demandeurs d'asile aujourd'hui en France ? En quoi l'humanitaire ne peut faire abstraction aujourd'hui de la question de l'immigration ?

Notre démarche est simple : c'est comprendre, par l'écoute directe et authentique auprès des personnes concernées, les motivations, le sort et l'identité des demandeurs d'asile sur le territoire français.

Cette étude suivra trois mouvements : une première partie analysera les causes subjectives et individuelles poussant à la demande d'asile (partie I). Un second temps nous permettra d'apprécier le statut juridique et vécu du demandeur d'asile (partie II). Enfin, nous nous interrogerons sur le nouveau rapport à l'identité personnelle que fait naître l'obtention du statut de réfugié politique (partie III).

SOMMAIRE

Protocole de l'étude

Biographies des demandeurs d'asile interrogés

PREMIERE PARTIE :

La fuite imprévue hors du pays d'origine

1) Immigration ou fuite ?

2) Le traumatisme originel du réfugié politique et du demandeur d'asile

SECONDE PARTIE :

La demande d'asile, une situation provisoire mais délicate

1) La prise en charge du migrant par les instances juridiques et institutionnelles

2) L'attente difficile dans les CADA : la vie des demandeurs d'asile soumise au jugement de la Justice

TROISIEME PARTIE :

L'octroi du statut de réfugié et ses conséquences

1) Exister ou la condition du réfugié

2) Devenir ou la naturalisation : la solution ? CONCLUSION

BIBILOGRAPHIE

ANNEXES

· Contrat d'Aide à l'Insertion

· Liste des acteurs locaux

· Exemple d'une insertion réussie d'un demandeur d'asile des années 70

· Guide de la demande d'asile en Côte d'or

Protocole de l'étude réalisée :

Principe de l'étude

L'étude réalisée de novembre 2007 à février 2008 a consisté en 7 entretiens semi structurés avec des demandeurs d'asile, réfugiés politiques et naturalisés.

Les personnes entendues étaient volontaires et au préalable sensibilisées à l'entretien par les Assistants Sociaux locaux. Cette démarche a été nécessaire afin de mettre en confiance les demandeurs d'asile sur d'éventuelles peurs qu'ils avaient à l'encontre de ce genre d'étude.

Les entretiens ont été réalisés uniquement au sein du foyer CADA situé dans les locaux de l'ADOMA « Les Verriers » à Dijon et le CPH de la Croix Rouge Française à Quétigny.

L'étude a pour but de recueillir et d'analyser le discours et les représentations d'un groupe de volontaires résidants au sein d'un foyer de réfugiés. Plus précisément, elle porte sur la manière dont ces personnes perçoivent l'aide sociale et humanitaire, dans leurs pays d'origine (avant leurs venues donc) et surtout sur le territoire français métropolitain.

Hypothèses:

L'étude prend comme hypothèse théorique que les réfugiés d'un pays donné établissent leur trajectoire vers un autre pays selon une stratégie tenant compte de circonstances imprévues mais aussi d'à priori culturels, et de représentations personnelles. Cette stratégie dans tous les cas va être confrontée à la réalité, tant juridique que politique.

Elle part enfin du postulat que l'aide faite aux réfugiés politiques entrant sur le territoire est de nature humanitaire. Le lien avec l'enseignement du Diplôme Universitaire en Action Humanitaire est fondé pour nous ; l'action humanitaire n'étant pas qu'une caractéristique des Pays en Voie de Développement mais elle se porte aussi sur les territoires d'où ces initiatives émanent.

Problématique:

Quelles sont les conditions de vie et d'épanouissement des demandeurs d'asile aujourd'hui en France ? En quoi l'humanitaire ne peut faire abstraction aujourd'hui de la question de l'immigration ?

Sujets:

Nous avons essayé de mener les entretiens sur un groupe qui soit le plus hétérogène possible tant en terme de provenance, d'origine, de niveaux culturels, d'âge, que de sexe afin d'avoir une vue qui soit la plus large possible de la situation des demandeurs d'asile et de ce fait, pouvoir plus aisément faire un lien entre les représentations individuelles des divers témoins et la réalité. Les biographies suivantes exposeront les rapides parcours de chacun des demandeurs d'asile.

Méthode:

Concernant les entretiens :

Nous avons retenu deux phases:

* réalisation d'un questionnaire (cf. annexe 1) en accompagnant la personne afin qu'elle réponde en toute conscience aux questions. Le questionnaire est en réalité plus un « prétexte » pour rassurer la personne entendue et pour organiser notre travail qu'un réel document d'étude. Celui- ci ne s'attache qu'aux informations civiles et à quelques précisions quant au parcours individuel.

* un ou plusieurs entretiens semi structurés (il n'y a pas de temps de parole répartis) et libres afin de cerner en détail l'itinéraire de chacun des réfugiés, leurs vécus, leurs pensées et comportements. Celui-ci se décompose lui-même en deux phases : le demandeur d'asile évoque librement son parcours de manière narrative puis nous lui posons des questions afin d'éclairer certains passages.

L'Assistante Sociale du CPH de la Croix Rouge a été présente à nos côtés pour 3 entretiens (Hélène, Dico et Omar) pour des raisons de traduction et de confiance.

Concernant l'étude et la rédaction :

Se fondant sur le parcours et les affinités de chacun, nous avons réparti les domaines d'étude en 3 pôles :

- Thomas ROBERT s'est enfin fondé sur les conditions motivant à l'exil, aux raisons qui ont amené ces demandeurs d'asile à quitter leurs pays pour la France ou l'Europe et aux contenus psychologiques qui sous-tendent ces choix (partie I)

- Nassiri ATTAR (en Master 2 « Protection des Droits Fondamentaux) » s'est lui orienté vers le statut juridique et institutionnel des demandeurs d'asile, une fois en France donc, et à leur prise en charge par les différents services publiques ou associatifs (partie II)

- Rémi SANTIARD s'est occupé de la situation des personnes ayant le statut de réfugiés politiques ou naturalisés. Sa problématique a touché à des questions d'identité et de représentations sociales (partie III)

Biographies des demandeurs d'asile interrogés

Cyprien

Entretien du 26 décembre 2007

Rwandais. Homme mûr, ingénieur industriel de formation, qui a étudié en Belgique.

Il revient au Rwanda en plein génocide (1994) ne sachant pas ce qu'il se passait alors. Il est obligé de vivre un temps (3 mois) dans le stade de la capitale. Pour sortir du stade on l'oblige à « prendre parti » entre la cause hutu ou la cause tutsi. Il choisit « les vaincus », les hutus donc, qui fuient le pays. Il traverse le centre du pays, rejoint la zone occupée par les français de l'opération Turquoise. Puis il sort du Rwanda, rejoint la République Démocratique du Congo qui accueille alors un flux massif de réfugiés, dont parmi eux des militaires. Le désordre qui y règne l'amène à continuer jusqu'à Kigoma. Il Rejoint là des réfugiés rwandais. A la frontière il devait présenter ses passeports il souligne le fait qu'il est déjà « un clandestin » puisqu'il se fait arrêter par la police locale assez souvent. Conscient de devoir éviter les camps,il se dirige donc vers le Mozambique,toujours dans une phase instable. Arrive au Nord du Mozambique (Pemba) il recherche une antenne du Haut Commissariat aux Réfugiés. Mais le HCR ne se trouve que tout au Sud, a près de 3000km de la capitale. La police le dirige à l'Ouest vers une ONG (à Nampula) appelée HCR mais en fait chargé du rapatriement des ressortissants mozambicains. A ce moment il fait partie d'un groupe de quelques rwandais. Là il commence à faire la quête pour survivre. Des missionnaires les conduisent à la capitale. Sa motivation est de chercher « un lieu paisible ».

A la capitale le HCR est peu disponible en attendant il vit dans le poste de police. Là ils sont libres d'entrer et de sortir afin de se présenter régulièrement au HCR qui les reconduit à chaque fois (2 semaines en tout).Le HCR ne regarde pas particulièrement leur cas ou leur demande. Le HCR les achemine finalement au camp de Masaca, utilisé par l'ONU pour le transfert des mozambicains (camp de transit) ; là il y a beaucoup de nationalités différentes. Il y monte un dossier sur ses origines et sa situation. Il devient résident du Mozambique puis fait son projet professionnel, obligé de passer par une formation afin de pouvoir quitter le camp. Il est embauché dans une usine mozambicaine puis passe son permis (1996). Dès lors le Mozambique accueille beaucoup de rwandais.

Le Rwanda demande alors officiellement au Mozambique le rapatriement de ses ressortissants. Celui-ci, en réponse à cette demande, exige en vain des garanties de sécurité suffisantes pour les Rwandais qu'on lui demande de rapatrier vers leur pays. Dès lors le Rwanda tente de semer une certaine insécurité au sein de la communauté rwandaise sur le territoire mozambicain et cela afin de déstabiliser celle-ci. Cyprien échappe de peu à trois tentatives de meurtre sur sa personne (2005) et se résigne alors à fuir à nouveau. Le HCR ne pouvant le faire sortir du pays, il se procure un faux passeport du HCR (titre de voyage) pour les réfugiés. Il Prend l'avion pour la France et une fois arrivé sur le territoire, se dirige au poste de police. Il prend contact avec France Terre d'Asile qui lui parle du 115.Il vit un temps à l'hôtel puis on lui conseille d'aller au CADA de Dijon (octobre 2006).L'OFPRA refuse son cas, faute de preuves tangibles (il n'a pas de documents attestant sa bonne foi).Il travaille en tant que bénévole au Resto du Coeur et aux Paralysés de France afin de s'occuper.

Venantia

Entretien du 15 novembre 2007

Congolaise (RDC), la quarantaine, Venantia possède une licence de psychologie et de sciences de l'éducation obtenue en Belgique, après avoir enseignée dans son pays. De retour en République Démocratique du Congo elle souhaite réaliser une étude sociologique portant sur les raisons de la motivation des professeurs en dépit de la corruption et des contraintes économiques qui pèsent sur

cette profession (soldes non payées, faible pouvoir d'achat).Parallèlement elle a à coeur de contribuer à « relever » et moderniser les écoles du pays après des années de guerres. Elle prend la direction d'une école primaire et mène son étude au moyen d'un questionnaire qui très vite est perçu comme subversif aux yeux des pouvoirs locaux. Elle décide alors de continuer son enquête au travers d'entretiens informels. Accusée de rébellion, elle est arrêtée (2005) et subit des violences puis est transférée à Uvira, dans une prison pour dissidents politiques où elle est régulièrement interrogée sur son étude. Là, elle est tenue recluse 2 mois durant, comme « oubliée », seule et se voit pousser à la tentative de suicide. Tombée malade de la malaria elle est transférée dans un autre camp où un médecin local de la Croix Rouge Internationale la prend en charge. Celui-ci, courageusement, lui permet de s'évader et l'aide même à rejoindre un couvent de soeurs congolaises. Celles-ci l'expatrient vers la France et lui donnent comme consigne de contacter une ancienne exilée comme elle, sur Dijon. Arrivée en France en décembre 2005 elle éprouve de grandes difficultés à s'adapter aux conditions locales mais parvient à rejoindre Dijon où elle finit par rencontrer cette personne. Elle se fait héberger par un résident africain puis commence son dossier de demandeur d'asile avec l'aide du SCODA. Elle alterne ensuite logement de fortune au foyer Sadi Carnot de Dijon (au total elle y reste 51 jours) où les conditions d'hébergement sont déplorables et survit dans les rues. Atteinte d'hypercholestérolémie elle est prise en charge par le PASS des Urgences et voit un psychologue (pour sa dépression).Elle parvient à obtenir une place au CADA « Les Verriers » (février 2005) où elle demeure encore aujourd'hui. Elle continue son étude sur la motivation des professeurs en France et garde de fréquents contacts avec sa famille et d'autres enseignants congolais, et envoie même une partie de son salaire (son état de santé lui a permis de travailler malgré son statut de demandeur d'asile) pour financer la construction d'une école primaire en RDC. Militante politique elle reste engagée auprès de la DRAFA (Association "Développement de réseaux associatifs entre la France et l'Afrique") et a pu bénéficier d'une formation pour être aide soignante auprès des personnes âgées.

Hélène

Entretien du 11 janvier 2008

Géorgienne d'origine allemande par son père, et russe par sa mère. Elle parle russe, allemand et géorgien. Elle vit dans son pays natal, la Géorgie, ou elle obtient son bac et fait ses études à la faculté. Elle travaille ensuite 32 ans en tant que professeur avant d'arriver en France. Sa condition est délicate car ses origines russes et allemandes en Géorgie, la font passer pour étrangère. En effet, la répression russe dans les régions caucasiennes, engendre un sentiment de haine vis-à-vis de ces derniers. Cette répression fait suite au démembrement des pays satellites et à la tentative russe de les récupérer par tous les moyens possibles. Hélène prend donc un visa pour la France, de façon tout à fait officiel. C'est à l'âge de 60 ans qu'elle arrive en France. D'origine allemande, elle voulait obtenir son statut de réfugiée en Allemagne, mais comme son visa est français elle ne le pouvait pas (agrément Dublin).

En France, elle vit pendant 2 mois dans un foyer type Sadi Carnot. Puis à Colmar, elle fait sa demande d'asile, et obtient par la Croix Rouge, un studio. Ensuite, elle passe 3 mois dans un autre foyer, avant que son dossier ne soit transféré à Dijon, au CADA. Elle loge pendant 2 ans au CADA, avant d'obtenir son statut de réfugiée. Aussi le CPH lui permet alors d'avoir un F3 à Quetigny depuis 5 ans. Elle garde beaucoup de contact avec les membres de la Croix Rouge. Elle n'est pas trop isolée, prend quelques cours de français mais a un peu de mal à progresser. Elle garde contact et réseau via un jardin loué à Quetigny, elle y plante des fruits et des légumes. Elle a un regard moins craintif sur la police française en comparaison à celle de son pays d'origine. Son regard sur la société française reste dans son ensemble positif. Son fils, qui a suivi le même parcours qu'elle, a finit ses études ; passant des stages dans la sécurité, il y travaille 2 ans, puis devient français. Il s'est marié, exerce le métier de chasseur alpin à Bourg St Moritz. Hélène aurait voulu que son mari soit venu vivre avec elle en France mais celui-ci ne peut pas envisager un tel cas de figure. Elle continue néanmoins de garder bien entendu le contact avec lui. Notre

interlocutrice se rend compte que la relation entre la Russie et la Géorgie s'avère toujours difficile. Elle attend toujours sa nationalité et a certaines difficultés à se projeter dans l'avenir.

Dico

Entretien du 16 janvier 2008

Arménien. Il est né en 1977, va à l'école jusqu'en 1992, puis se trouve obligé de fuir lorsque la guerre civile éclate. Il fuit alors en Russie avec sa famille. Là-bas, son père loue une maison et vit de la vente au marché de produits alimentaires. Tout les 6 mois, ils doivent se rendre à la « préfecture » pour obtenir une autorisation de séjour (papier uniquement pour les adultes) à Krasnodar. En 1999, la préfecture ne donne plus d'autorisation de séjour. La répression russe est très forte. Suite à la guerre en Tchétchénie, il y règne une haine des caucasiens. Dico, grâce à l'aide financière de son père, parvient à quitter le pays. Il utilise pour cela un passeur, qu'il paie 10000 $. Dico et sa famille arrivent de ce fait directement à Dijon, en 2002, et selon les recommandations mêmes du passeur, vont directement à la préfecture. Après la demande d'asile, ils passent 4 mois à l'hôtel, aidé par le SCODA puis logent au CADA de Châtillon. Son statut obtenu en 2003, il demande un logement à Dijon, trouve du travail dans le bâtiment, puis dans une célèbre pâtisserie locale depuis 3 ans. En tant que détenteur de la carte de résident, il est entré dans le droit commun. Il peut donc obtenir un emploi comme un français ou un européen. Il obtient même un CDI. Pour trouver un emploi, il a persévéré. Il se confie à nous : « pas le choix... sans travail... qu'est-ce qu'on va faire ... c'est le plus dur sans travail... le matin tu te lèves tu sais pas pourquoi qu'est-ce que tu vas faire... 1 jour, 2 jours, 2 semaines, 1 mois c'est dur.. ». Le reste de sa famille est toujours en Russie. Son père est mort, il reste sa mère et son frère, ainsi que la mère de sa femme. Il s'intègre assez facilement en France, parle très bien le français grâce aux relations qu'il entretient dans le travail et la télévision. La France n'est pas son choix. Il est français depuis 2005, il est l'un des premiers Arméniens arrivés au CPH de Dijon. Il est un exemple à suivre pour les autres Arméniens. Le jeune homme s'intéresse beaucoup à la politique en France, en Russie et même en Arménie. Il aimerait faire venir sa famille. Lors de la mort de son père, il s'est senti coupable d'avoir laissé sa famille là-bas. Il se sent aujourd'hui à la fois Arménien, Russe et Français.

Omar

Entretien du 21 janvier 2008

Soudanais. Il a fait son service militaire, et a passé son bac. Refusant de s'engager dans la guerre lancée par le SPLA (groupe paramilitaire) dans le sud du Soudan, il fuit le pays,. En 1994, il se réfugie au Darfour, région calme à l'époque. Puis, sans savoir véritablement ou il va, il prend la direction de la Libye par camion (voyage de 15 jours). A Tripoli, il travaille dans la soudure à l'arc, sans papiers. Les forces de l'ordre ne font pas de contrôles, ce qui l'arrange. Il milite alors pour le SPLA, distribue des tractes contre le gouvernement islamiste de Khartoum. En 2000, ce même gouvernement conclut avec la Libye des accords pour qu'elle extrade ses réfugiés. Pendant 2 ans, il se trouve dans l'obligation de se cacher tout en continuant à travailler. En 2002, le SPLA devient le SPLAM. Un ami, lui conseille alors de partir pour éviter d'être tué. En octobre 2002, il passe par la Tunisie, y reste 15 jours dans l'attente d'un bateau. Il réussi à trouver un passeur qui accepte de lui faire une réduction de tarifs s'il lui trouve d'autres clandestins dans le même cas que lui. Il y parvient et paye alors 800 $ au passeur au lieu de 2000$. La barque dans laquelle il se trouve embarqué fait 7 mètres de long, pour une centaine de personnes. Le voyage dure 7 jours. Il arrive à Marseille, prend le train pour Paris, sous le conseil d'amis réfugiés. A la capitale, il demande l'asile, puis dort 5 jours dehors avec des Soudanais qui ont fait le voyage avec lui. On lui conseille d'aller à Angers car un logement est dur à trouver à Paris. Le Soudanais change donc de

ville et lorsqu'il arrive à Angers, il s'aperçoit qu'aucun logement n'est encore libre pour lui et il se résigne donc à dormir dans un squat plein d'amiante ou règne un froid hivernal. Il y demeure 3 mois et décide alors d'aller à Semur-en-Auxois dans un foyer d'espace d'accueil ADOMA. Il y reste de 2003 à 2004 et passe son entretien à l'OFPRA en novembre 2003. Omar aurait voulu aller en Angleterre. Il parle la langue et a entendu parler de Sangatte. Il ne connaît pas le fonctionnement du système, contrairement à ceux qui sont suivi au CADA ou au CPH, par des travailleurs sociaux. Son dossier a été accepté directement par l'OFPRA, où l'un des agents lui parlait en Arabe. Obtient sa carte de résident. Il arrive au CPH de Dijon, pour trouver un logement. Il trouve une formation de soudure grâce à l'ANPE et à l'association CESAM. Puis il travaille dans le BTP de 2005 à 2007. Il est resté 5 mois au CPH, puis à ADOMA (rue de Langres), ainsi que dans le quartier des Grésilles. Il obtient un F2 en 2007, se marie en Egypte avec une Soudanaise. La nationalité française lui est attribué en 2005 (il a du passé un test linguistique et une double interview, pour la naturalisation).

François

Entretien du 20 décembre 2007

Burundais. Homme de 47 ans. Il est en France depuis 2006 et exerçait auparavant dans son pays la profession de professeur d'anglais. En 1993, Le 21 Octobre 1993, des militaires de l'armée exécutent le président hutu Melchior Ndadaye et six de ses ministres. Le pays connaît alors de grandes tensions. L'armée investit ainsi les lieux et de nombreux hutu se trouvent obligés de fuir le pays. Dans un tel climat de guerre civile, François ne peut plus vivre de l'enseignement. La situation se calme progressivement mais lentement. Ayant suivi dans le passé une formation du programme des nations unies pour le développement (PNUD) relative à la gestion et l'administration des associations à but non lucratifs, il choisit alors d'investir ses compétences dans une association de protection des droits de l'enfant qui aide les orphelins. Ce qui fait la particularité de François, c'est qu'il est à la fois hutu (par son père) et tutsi (car telle était l'origine de sa mère). Par conséquent, il se trouve tiraillé entre les deux communautés, vit alors dans un village de tutsi mais travaille chez les hutu. En 2005, un mouvement, le CNDD-FDD dirigé par Pierre Nkurunziza s'impose comme l'un des principaux mouvements politiques en obtenant la majorité absolue aux élections communales. Un autre mouvement, le PALIPEHUTU-FNL entretient des relations difficiles avec le CNDD-FDD. Durant la même année, François, se trouve en Chine, pays dans lequel son association lui avait confié la mission de chercher des couveuses pour des poulaillers. Durant son absence, le PALIPEHUTU-FNL qui estime qu'il empêche les jeunes d'intégrer la rébellion, saisit l'occasion pour tuer sa femme et lui donner en cela une leçon pour qu'il cesse ses activités gênantes au sein de son association. Dés son retour au Burundi, à l'aéroport même, François est mis au courant de la tragédie, ce qui l'oblige à se cacher pour ne pas être à son tour tué. Un heureux hasard a fait qu'avant de partir en Chine, François avait demandé un visa pour participer à un forum de l'OCDE qui se tenait en 2006. C'est alors qu'il se cache que le consul le contacte de ce fait pour lui annoncer qu'il est autorisé à avoir un visa et à venir en Europe assister au forum en question. Cet appel imprévu lui redonne l'espoir de s'en sortir et lui paraît être un miracle. Il saisit alors l'occasion pour se rendre à Paris en avion. Au lieu de participer à l'ensemble des discussions du forum, il va à Stockholm où il pense trouver un meilleur accueil mais doit vite être rapatrié en France à cause du règlement Dublin 2. De retour sur Paris, il survit grâce à de nombreux organismes tels que les Restos du Coeur, le 115 qui lui permet de trouver où dormir lorsqu'il ne peut pas être accueilli dans un hôtel. Après avoir fait sa demande auprès de l'OFPRA, il est transféré à Dijon dans un CADA ou il attend la réponse du CRR pour savoir s'il peut bénéficier du statut de réfugié.

Martin

Entretien du 03 novembre 2007

Congolais qui a été embrigadé de force dans l'armée du général Mobutu pour le servir. Mais en mai 1997, le général Mobutu se voit obligé de fuir le Zaïre et Laurent Kabila prend alors la tête de la République démocratique du Congo. Celui-ci n'hésite alors pas à exercer une sévère répression sur tous les anciens militaires de Mobutu. En 1998, pour trouver un peu de sécurité, Martin doit quitter le Congo et se réfugie en Angola, pays dans lequel il s'installe 7 ans et exerce la profession de frigoriste. En 2005, il entend une nouvelle selon laquelle les armées de Mobutu peuvent revenir travailler au Congo. Dans ce but, il retourne dans le camp militaire de Kokolo à Kinshasa, capitale de la république démocratique du Congo. Il se retrouve alors avec d'anciens militaires de Mobutu. Mais ils se rendent alors vite compte de la tromperie et du piège dans lequel ils sont tombés. Il se trouve emmené de force dans d'autres camps ou il subit de nombreux traitements inhumains, endure coups, blessures, décharges électriques dans ses parties intimes. Nombreux de ses camarades n'y survivent pas, décimés notamment par la faim. Dans le camp N'Dolo, il n'a ainsi d'autres solutions pour ne pas mourir de faim que de se nourrir des cafards qui pullulent dans sa cellule. Un jour, un homme lui vient en aide, lui propose de lui fournir même les papiers adéquats pour qu'il puisse prendre l'avion et partir à Paris, en échange bien évidemment d'une somme d'argent. Martin utilise alors tous les contacts qu'il peut avoir pour envoyer un signe de vie à sa mère qui le croit mort, ainsi qu'à sa soeur qui vit au Canada pour les supplier de lui venir en aide et de lui procurer l'argent nécessaire afin qu'il puisse sauver sa vie. C'est ainsi qu'il parvient avec beaucoup de mal à l'aéroport de Roissy. La France n'a jamais été une destination rêvée pour lui mais personne ne lui a proposé d'autres alternatives. Il va voir la SCODA à Paris et y reste 6 mois avant d'être orienté dans un CADA à Dijon. Au moment où il nous raconte son histoire, il nous avoue que sa mère a été arrêtée au Congo suite à son départ car les autorités se sont rendues compte qu'elle l'avait aidé à s'échapper! En ce qui le concerne, ses enfants et sa concubine, restés bien sûr au pays lui manquent d'autant plus.

PREMIERE PARTIE

La fuite imprévue hors du pays d'origine

- « Moi je voulais qu'on me condamne, que quelqu'un me dise: « Tu as mal fait ». - « Vous condamner pourquoi? »

- « De ce qui m'a décidé de venir en France »

Entretien avec Venantia

Comment comprendre les motivations profondes qui poussent le ressortissant d'un pays à «(im) migrer » vers un autre pays? Certes la situation politique ou économique ,qui forment les deux principaux facteurs d'instabilité et la cause de toute immigration, est une source d'explication .Mais tout immigration ne saurait se comprendre sans une tentative de décrypter les représentations parfois communes,souvent individuelles, toujours culturelles des personnes en migration.

1) Immigration ou fuite?

L'enjeu de cette première partie est de comprendre ce qui motive une personne possédant une nationalité,une culture propre,une identité précise en somme, à quitter ce même pays pour rejoindre un autre jugé plus habitable. Le problème de l'immigration personnelle (nous ne nous appuyons que sur des cas uniques et personnels) doit se résoudre au moyen d'une méthodologie définie: nous en examinerons tout d'abord les différentes causes factuelles, puis mettrons en lumière les stratégies mises en oeuvre pour y répondre et qui consomment véritablement l'acte d'immigrer. Nous rappelons que cette étude n'a pas une volonté scientifique de décrypter les représentations des personnes interrogées mais à en comprendre les cas dans leurs individualités, leurs vécus et à montrer que ces dernières sont liées à nos propres représentations.

a) Deux causes de motivation à l'immigration:

« J'ai jamais rêvé de venir en France » explique Venantia dès le début de l'entretien, c'est dire que les causes de départ sont rarement dépendantes exclusivement de la personne et de son écologie personnelle. Les facteurs motivants sont bien plutôt extérieurs à la personnalité. Ils sont très souvent confus pour le réfugié comme le montre les premières minutes de chaque entretien. On

voit les demandeurs d'asile chercher leurs mots, hésiter, parfois même nous concéder la parole et nous demander de questionner afin de les aider à formuler.

Venantia nous donne les clés de ce qui est l'interprétation la plus souhaitable possible : elle insiste sur le fait, dès le début de l'entretien,de relativiser notre étude auprès d'autres résidents du CADA venant d'autres situations économiques ou politiques afin de rendre consciente cette confusion de facteurs. On rejoint sur ce point une des principales critiques du système d'accueil et d'instruction judiciaire français représenté par l'OFPRA: la classification des cas personnels en grandes masses non représentatives sans compréhension préalable des vécus individuels, parfois jusqu'à la dichotomie simplificatrice (réfugié économique ou réfugié politique; clandestin ou apatride) qui participe de la mécanisation bureaucratique.

« Je commence exactement par quoi? » demande Venantia. Bien entendu on remarque très vite que cette tentative, sous contrainte en quelque sorte (celle de notre présence), de reconstituer les causes de départ dépend très fortement à la fois du traumatisme vécu, et du niveau intellectuel et mental du demandeur d'asile. Nous remarquons que dans le cas des personnes interrogées ayant eu un niveau d'étude certain ce discours est reconstitué de manière livresque quasiment: on assiste à une narration qui n'exige pas beaucoup d'échos ou de relance de notre part. Cyprien (ingénieur de formation) notamment délivre son histoire en insistant notablement sur les circonstances temporelles et géographiques (dates, précision des lieux et importance de faire imager les détails).Il nous dessine rapidement une carte qui est comme le support de son discours. Nous n'intervenons que pour en préciser les dimensions culturelles qui ne peuvent qu'échapper à un occidental (accent, expressions afro-francophones, termes dialectaux, dénomination toponymique...).On remarque également que très souvent ceux-ci (en tous cas pour les demandeurs d'asile francophones ou maîtrisant bien la langue française) explicitent leurs discours avant même qu'on leur demande de le préciser, de la même manière que s'ils prévoyaient notre incompréhension. Volonté illocutoire ou empathie aucun indice ne nous permet de mesurer ce point.

Les premiers instants de cette narration démontrent, en négatif, l'ampleur du traumatisme vécu: le cas de Martin notamment est représentatif d'une confusion mentale certaine. Celui-ci pourtant volontaire enthousiaste pour un entretien (notre premier entretien qui plus est) s'inquiète d'être reconnu, rattrapé par ceux qui le recherchent (il se dit inscrit sur une « liste ») et on sent véritablement sa peur. Après cela il commence son discours sans ancrage spatio-temporel nous permettant de le comprendre dans les meilleures conditions et nous introduit directement dans les

faits de l'armée de Mobutu au sein de laquelle il était soldat recruté de force. Il choisit de commencer par ce qui l'a traumatisé et cette prise de position linguistique témoigne de sa représentation personnelle: pour lui sa vie commence dès cette époque. Pour comparaison, Cyprien ou Venantia, François aussi, tous font débuter leurs prises de parole par leurs cursus scolaires ou universitaires. Il est vrai qu'aucun ne remonte à l'enfance; ils ne semblent pas éprouver le besoin de renseigner sur leurs états civils. L'hypothèse la plus probable est que, loin d'avoir oublié leurs origines (tous gardent un lien profond avec le pays et la culture) les demandeurs d'asile entendus réalisent un choix rationnel qui leur permet de faire débuter leur vie de réfugié politique au moment du traumatisme.

Si, la plupart du temps la confusion quant aux motifs de départ ne permet pas aux réfugiés de formuler précisément la cause de leur choix, leurs discours nous permet d'en reconstituer les contours. Nous pouvons dès lors les répartir en deux groupes:

- les atteintes à la sécurité personnelle : le réfugié ne se sent plus en sécurité, alimentaire ou corporelle comme c'est le cas, par exemple de Martin, menacé de mort au Congo Kinshasa. Nous n'avons entendus, il est important de le noter, aucune personne dont la cause de fuite ressortait d'une pénurie alimentaire.

- Les atteintes au rôle social du réfugié. C'est le cas de François qui était professeur d'anglais et militant dans une association pour les droits des enfants burundais. Dès lors qu'il a été exclu par les autorités pour collusion avec les forces rebelles et que son engagement citoyen ne fût plus reconnu par la population (il a été victime de diffamation), sa stratégie personnelle fut tournée vers la fuite.

Ces deux causes principales d'immigration hors du pays d'origine sont toujours présentes et s'alimentent l'une l'autre, à des degrés variables. Venantia perdit son intégrité sociale avant de se sentir corporellement menacée: alors qu'elle enquêtait sur la motivation des professeurs congolais sous-payés à continuer leur enseignement pour réaliser son mémoire universitaire, elle se heurta à toutes les incompréhensions et graduellement fut dépossédée en quelque sorte de son rôle social. Ce n'est qu'ensuite qu'elle subit les menaces et exactions du gouvernement congolais. Si, sans nul doute c'est toujours la dégradation de l'intégrité physique et l'insécurité corporelle qui motivent la fuite, la perte du rôle social en est toujours concomitante. Il semble que les deux sources de traumatisme se conjuguent dans la représentation personnelle. Il est à noter pour finir sur ce point que les demandeurs d'asile entendus n'évoquent que pudiquement ces menaces corporelles et ce sentiment d'insécurité, voire jamais. Par contre la souffrance née de leur rejet social est toujours

mise en avant parfois en métaphore de la peur pour soi-même. L'indésirabilité sociale forme une cause d'immigration, au moins aussi importante que l'insécurité politique.

b) stratégie individuelle ou collective?

La réponse aux atteintes vues précédemment pourra suivre diverses voies que la personne menacée prendra sur la base d'un choix rationnel (entendons par là: pour assurer au mieux sa propre protection tant physique que mentale). Tous les réfugiés évoquent ces stratégies comme des choix personnels, intérieurs à la personne a contrario des causes d'insécurité. Dans la majorité des cas on constate que la narration de ces stratégies forment le coeur des récits et que le narrateur oppose ce discours au contexte qui renseigne sur les causes factuelles d'immigration (situation de guerre dans le cas de François, de Cyprien et d'Omar par exemple).

Il est important de noter, que contre toutes attentes et toutes représentations, jamais le migrant, sur son territoire, dès la survenance des problèmes à son encontre, ne s'imagine comme solution l'immigration en Europe. Etre réfugié politique est un concept n'existant que dans les derniers moments de la stratégie personnelle, c'est-à-dire quasiment sur le territoire français ou européen. Le migrant cherche toujours au départ à améliorer sa liberté et sa capacité individuelles (sa « capabilité » au sens d'Amartya Sen), à essayer toutes les voies de recours dans son pays. Venantia notamment cherche à rejoindre le pays voisin de la République Démocratique du Congo dans le but au départ d'être protégée et cachée au sein d'un couvent de religieuses. François lui continue à se battre sur le terrain militant, donne des conférences mais tout en fuyant les coercitions (rebelles et gouvernementales), parcourt le Burundi pour se cacher. On constate que la migration est culturellement ancrée en Afrique (la plupart des demandeurs d'asile proviennent de ce continent) et représente une stratégie partagée par les ressortissants de plusieurs pays instables pour échapper rationnellement aux persécutions. Le cas de Cyprien en est un exemple frappant: parti du Rwanda alors en proie au génocide de 1994, il « prend le parti » des Hutus et doit fuir le pays pour le Congo Kinshasa. Poussé par des flux migratoires entre ces deux pays il aboutit en Tanzanie puis finalement après un parcours qui lui a fait traversé quasiment la moitié de l'Afrique subsaharienne, au Mozambique où il réside un temps. La migration interne (nationale) et continentale (entre plusieurs pays) est la stratégie préférentielle dans nombre de cas. Celle-ci perdure tant qu'une opportunité de quitter le continent ne se présente pas, qu'elle soit volontaire ou non. Notons tout de suite que les témoignages de filières d'évasion sont rares (hormis Omar le soudanais ou Dico) et ne représentent pas une stratégie personnelle car dans les deux cas les réfugiés se laissent véhiculer sans connaître la destination, sans même savoir avoir

affaire à un passeur (c'est le père de Dico alors âgé de 23 ans qui s'est entendu avec les passeurs russes et tout cela lui semblait légal).

Par ailleurs rarement les ONG ne sont prises en compte dans les stratégies individuelles de fuite. Cyprien notamment dit qu'on ne « cherche les organisations humanitaires que lorsqu'on est dans une situation particulière » faisant référence par là à la maladie ou à la sous-alimentation, au SIDA encore. Déjà peu visibles sur le terrain, hormis la Croix Rouge Internationale, les ONG africaines ne sont en rien des points d'appui d'immigration ou des quelconques auxiliaires pour les personnes en état de fuite politique. Lors des entretiens notre volonté de comprendre l'implication des ONG, compte tenu de notre représentation, s'est heurtée au doute des demandeurs d'asile qui ne réalisaient pas notre demande. C'est dire que pour ceux-ci les organisations humanitaires ont une dimension avant tout locale. Si Cyprien s'est maintes fois présenté à l'antenne mozambicaine du HCR c'est avant tout pour bénéficier d'un laissez-passer territorial et d'une assurance de se voir plus rapidement offerte la nationalité. Il le dit plusieurs fois: il aspirait à « un lieu paisible » mais jamais l'Europe n'avait figuré dans ses plans.

Parfois les personnes sont également dans une impossibilité de former une stratégie à cause du fait de l'emprisonnement surtout. Venantia et Martin partagent cette situation. Tenus dans des prisons congolaises ils doivent leur fuite à une opportunité et à une chance. Venantia notamment, tombée malade et transférée dans un camp de la CRI pour un examen médical doit son salut à l'aide d'un médecin congolais sur place qui l'a fait évader vers un couvent de religieuses. Martin lui a l'occasion de fuir par avion grâce à un ami travaillant à l'aéroport. Dès lors qu'ils parviennent à se soustraire à la coercition gouvernementale et à la menace de tortures ou de sévices, les migrants envisagent l'Europe comme un destination non plus virtuelle mais bien réelle. C'est au final quand le pays d'origine sape toute foi du migrant dans sa possibilité de maintenir un état de paix et de reconnaissance sociale que celui-ci décide de le fuir et dès lors la France et l'Europe apparaissent dans leurs champs de représentations. Ils véhiculent des images de liberté et de reconnaissance humaine et sociale, avant même des images de prospérité et de statut socioprofessionnel. L'une des causes psychologiques, et sans doute la plus significative, d'immigration vers la France et l'Europe est la représentation de celle-ci comme espace de liberté. Une fois sur le territoire européen la représentation ne peut que se confronter à la réalité et décompenser, ce qui montre bien la densité de la charge affective qu'avait placé le migrant dans cette représentation. Venantia le répète souvent et parle d' « hypocrisie des Droits de l'Homme »

Enfin il est important de noter que, semble-t-il, toute stratégie de fuite est rationnellement orientée vers l'apaisement des tensions d'insécurité et il s'agit là d'une stratégie collective. Deux faits corroborent cette hypothèse.

Comme l'exprime Cyprien lors de son périple à travers l'Afrique du Rwanda jusqu'au Mozambique on a tendance à rechercher le soutien de la police locale .Il explique très bien comment systématiquement lui et les personnes avec qui il formait ce petit cortège de migrants se présentaient aux postes de police des différents pays traversés afin d'être placés sous garde à vue pour clandestinité et absence de papiers, et bénéficier ainsi d'une protection relative. Le recours par défaut à la police, souvent perçue comme pacifique tout du moins dans les pays relativement calmes, est une stratégie collective qui a pour objectif d'apaiser le sentiment d'insécurité et améliorer celui de désirabilité sociale. En effet, et comme nous le renseigne Cyprien les policiers cumulent les rôles sociaux informels: celui de traducteurs (ils parlent toujours un peu au moins l'anglais, le français ou un dialecte africain continental comme le Souahéli) et de guides (ils connaissent les camps humanitaires, les régions sûres).Mais surtout ils représentent une assurance de protection certes temporaire mais sûre.

A une échelle davantage continentale, la fuite vers les camps de réfugiés constitue une stratégie collective pour plusieurs raisons: rejoindre la communauté nationale (l'épisode rwandais est révélateur sur ce point), assurer sa subsistance immédiate et sa santé, s'implanter définitivement mais aussi et surtout constituer son dossier administratif, pris en charge par les ONG et le HCR, présents systématiquement dans ces camps. Cyprien a été admis comme citoyen du Mozambique après un temps passé dans le camp de Masaca mis en place par l'ONU pour le transfert des mozambicains expatriés (camp de transit). Très vite ce camp a accueilli nombre de nationalités en perdition. Cyprien s'y rend car il s'agit d'un point de passage quasi obligatoire pour pouvoir constituer son dossier de réfugié politique, élaborer son projet professionnel et de réinsertion. Une fois dans le camp le réfugié ne peut le quitter sans avoir rempli ces conditions. Les demandeurs d'asile entendus comme Cyprien et Martin comme ceux dont les témoignages ressortent de la littérature ayant vécu dans ces camps expliquent tous le mécanisme pernicieux de cette organisation qui d'une part aspire littéralement les migrants, les parquent pour ne pas leur permettre d'être ensuite libres de leurs mouvements. Face au phénomène gigantesque de la formation de camps en Afrique il est certain que la rétention organisée par les ONG et le HCR compte tenu d'objectifs administratifs participe de la détérioration des migrants et de la congestion desdits camps.

Si les causes de fuite hors du pays d'origine sont liées à la non reconnaissance sociale et à l'insécurité corporelle, les stratégies mises en place, à des degrés de choix rationnels divers, aboutissent au final à une migration sur le territoire européen et français en particulier où ils sont pris en charge par les structures spécialisées: CADA et CPH entre autres. Ils deviennent alors des éléments préoccupants pour les Etats signataires de la Convention de Dublin et de l'Espace Schengen et endossent bien trop souvent une image péjorative et suspicieuse.

Dans la confusion faite avec les immigrés économiques ou clandestins, les services français reproduisent les catégorisations et discriminations populaires en continuant par exemple à ne pas prendre en compte que 1 exilé sur 4 est de niveau «cadre supérieur» selon l'INSEE1 (cas de Venantia, de François, de Cyprien, et d' Hélène) et comme nous le verrons par la suite de l'étude. Le non-respect de cet aspect de la personnalité souvent contribue à leur souffrance sur le sol français, en plus de l'oisiveté qu'on leur impose (voir à ce sujet la partie II). C'est aussi méconnaître la psychologie la plus élémentaire, car comme nous allons le voir toute immigration rationnellement élaborée témoigne d'un traumatisme.

2) le traumatisme originel du réfugié politique et du demandeur d'asile

Le traumatisme, au sens psychologique du terme désigne selon Crocq par 4 critères: - brutalité de l'événement

- rencontre avec la mort

- culpabilité

- répétition

Si un entretien semi structuré comme ceux que nous avons réalisés ne permet pas scientifiquement et dans le strict respect de la déontologie psychologique de diagnostiquer les états de troubles personnels des réfugiés politiques entendus, il nous est néanmoins permis, au travers de leurs discours et de leurs subjectivités, d'y repérer les éléments, symbolisés ou non, d'événements traumatiques. Ceux-ci créent une souffrance qui doit interpeller tout Etat à vocation humanitaire. Nous regrouperons pour l'étude ces 4 critères symptomatiques en deux mouvements: l'événement dans sa dimension psychique et ses suites au sein de la personnalité.

1 Enquêtes annuelles de recensement 2004 et 2005 Près de 5 millions d'immigrés à la mi-2004 Catherine Borrel, cellule Statistiques et études sur l'immigration, Insee

a) l'événement déclenchant

Si jamais il n'est pris en compte par les services publiques spécialisés à tous les niveaux de la prise en charge du demandeur d'asile, l'événement traumatisant déclencheur préexiste à toute décision de fuite ou d'exil. La singularité individuelle fera toute la différence quant au vécu de celui-ci, quant à sa mémorisation et à son aménagement psychique (c'est le concept de « résilience » que nous n'examinerons pas ici). Rappelons qu'il est nécessaire de distinguer l'événement en lui-même, dans sa réalité, du ressenti de cet événement chez la personne.

Tous les demandeurs d'asile entendus, du moins ceux qui ont voulu l'exprimer, évoquent un événement traumatique. Pour Venantia il s'agissait de l'emprisonnement à Uvira, en RDC pendant 2 mois et de l'obligation de livrer aux tortionnaires ses collaborateurs alors qu'elle faisait une étude socioéducative, « coupée de tout contact » et période pendant laquelle ses « jours étaient comptés ». Cet isolement l'a conduit à faire des tentatives de suicide, révélatrices d'un trauma. Pour Cyprien qui revenait tout juste de Belgique où il effectuait une formation,c'est avant tout la psychose de ses compatriotes rwandais lors de l'éclatement du génocide des Hutus qui l'a marqué, même s'il reste très pudique là-dessus: « C'est affreux; faut que je me sauve » nous confie-t-il. Mais comme on l'a vu ce fait n'a fait que motiver sa fuite hors du pays mais en restant en Afrique. Ce n'est qu'au Mozambique qu'il subit trois agressions «vraiment fortes» contre lui (en 2005) l'une sur la route (tentative d'encastrage), une seconde dans la rue (bastonnade) et une troisième tentative: d'assassinat cette fois avec un repérage peu de temps avant. Sa façon de raconter l'événement montre qu'il mobilise toute sa mémoire et comme il l'exprime: «tes yeux sont ouverts à 360 degrés on enregistre même tout ce qui n'est pas nécessaire» dans ce genre de situation. Il se dit : «il faut prendre des mesures, comment je dois sortir du Mozambique».Enfin pour François du Burundi c'est l'assassinat de sa femme alors qu'il était en Chine parti négocier l'achat de couveuses pour un programme d'élevage avicole.

Sans confronter forcément à la mort, l'événement traumatisant peut avoir une origine raciste. Cette cause d'exil revient souvent dans le discours des réfugiés politiques en provenance des pays de l'Est et de l'ex-Russie. Dico a vécu toute son enfance en Russie (il a quitté l'Arménie en 1992) où la guerre de Tchétchénie a poussé au paroxysme et à la plus grande violence le racisme nationaliste russe. Hélène également a subi ce racisme en Géorgie cette fois où elle est considérée comme « noire de peau » en raison de ses origines arméniennes. Un tel rejet

ségrégationniste a les mêmes effets qu'une vision de mort: il aboutit à une intériorisation de l'événement d'ostracisme, à un sentiment d'insécurité alarmant.

Il faut noter que beaucoup de réfugiés politiques refusent d'évoquer ces événements traumatiques auprès de l'OFPRA pour de multiples raisons, individuelles (pudeur pour les femmes, peur d'être jugé pour un mauvais agissement) et culturelles aussi (raconter cet événement serait apprécié par la Cour comme sur jouée et témoignerait d'un mensonge, chose que la communauté d'immigrants a appris à gérer comme le montre l'étude canadienne : Le mythe du réfugié menteur : un mensonge indispensable ? De Cécile Rousseau et Patricia Foxen)

b) les suites de l'événement:

L'intériorisation d'un traumatisme aboutit toujours à sa reviviscence sous forme d'une rumination mentale. Nombre de demandeurs d'asile une fois en France sont la proie de graves troubles psychiques, même si très peu d'études évoquent la question. Martin nous avoue ne penser qu'à cela, d'autant plus que sa mère a été incarcérée pour l'avoir aidé à quitter la RDC.

La volonté de témoigner auprès de nous démontre par elle-même ce besoin d'abréaction et de justification traumatique, d'autant plus qu'aucune structure spécifique (hors les initiatives individuelles des Assistants Sociaux des différents organismes ou associations dijonnais qu'il faut saluer) ne prend en charge spécifiquement les demandeurs d'asile sur le plan psychologique. Il est même jusqu'aux psychiatres locaux qui refusent leur prise en charge ponctuelle pour le motif de la barrière de la langue (qui ne concerne qu' 1/4 des cas), obstacle à la cure selon eux alors que dans d'autres régions comme la Franche-Comté ils participent au dispositif.

Il est regrettable de noter que les services de prise en charge français n'ont pas les moyens de repérer et d'évaluer les éléments traumatiques chez les demandeurs d'asile car ceux-ci pourraient se porter au bénéfice du dossier du primo-arrivant, en devenir même un critère capital et autoriser une sélection davantage «humanitaire».On doit sur ce point constater le manque de volonté politique tant française qu'européenne (cet aspect de «demandeur d'asile en souffrance psychique» est d'ailleurs davantage reconnu au Canada par exemple mais aussi en Suède, pays pourtant membre de l'Union Européenne, notamment en autorisant le travail salarié, et que nous confirme François qui y a séjourné un temps).

La culpabilité est le symptôme révélateur du syndrome post-traumatique.

Dans les récits des demandeurs d'asile cette dimension culpabilisante se retrouve au travers de
nombreuses séquences explicatives permettant à la personne de préciser son rôle au moment de

son histoire. Ce fait, déjà noté par M.Pollack dans L'Expérience concentrationnaire :essai sur le maintien de l'identité sociale est la caractéristique même du «survivant» à un événement traumatique. La problématique de la culpabilité n'a de sens que dans une dynamique de groupe: le demandeur d'asile souffre dans sa relation avec sa famille quand il a encore des contacts avec elle, ou dans sa communauté immigrée en France.

Ce sentiment ressort directement du récit autobiographique que celui-ci présente aux autres et que sa vie d'immigré oblige à soutenir par la force du témoignage, administratif (devant l'OFPRA ou les Assistants Sociaux divers qu'il est amené à rencontrer) et privé (dans le cercle familial ou du foyer dans lequel il est logé).C'est en somme comme si pour les autres demandeurs ou parents en asile le primo-arrivant est déclaré menteur dès lors qu'il ne confesse pas tout son vécu. Très souvent, et c'est psychologique, le demandeur refuse de narrer son expérience d'exil pour des raisons d'ordre privé, de décence (cas du viol par exemple) ou tout simplement de souffrance et de deuil. Apparaît alors dans son discours un «blanc biographique» (l'expression est d'une Assistante Sociale entendue) et que la littérature du récit personnel (Philippe Lejeune notamment) mais aussi la psychologie transculturelle note comme un signe de trauma1.Le demandeur se retrouve pris entre une impossibilité de se découvrir totalement et des accusations ou méfiances de la part des autres hébergés. Les parents réceptionnent encore plus mal ces ellipses et de là s'expliquent les difficultés d'intégration au sein des communautés immigrées et la récurrence de «mythes personnels», rumeurs ou diffamations. C'est le cas de Martin qui, ancien soldat de Mobutu, ne peut s'épancher auprès des autres demandeurs d'asile et dit même avoir peur des autres africains et ne jamais se mêler à cette communauté.

Le traumatisme on le voit ne fait pas qu'envahir la personnalité dans les premiers temps de l'exil mais pourchasse, par des effets culturels le demandeur jusque dans le pays d'asile .Le récit devient comme un miroir déformant et culpabilisant pour le migrant, phénomène encore accentué par la concurrence tacite mais bien réelle pour les statuts de réfugié politique délivrés par l'OFPRA ou la CRR. C'est le cas également d'Hélène pour qui la difficulté de l'exil se conjugue à la souffrance d'avoir laissé en Géorgie le souvenir de sa fille décédée.

Il semble, pour conclure sur ce point, que la structure familiale prévient considérablement
l'apparition de ce genre de phénomène et de biais: le cas de Dico est tout à fait exemplaire de ce
constat. Arrivé en France avec sa famille (qu'il peut davantage agrandir en retrouvant, avec l'aide

1 Voir à ce sujet: Les enfants de l'exil. Etude auprès des familles en demande d'asile dans les centres d'accueil. Sous les directions du Pr Marie Rose Moro et de Jacques Barou (Octobre 2003) Préface de Boris Cyrulnik.

des avis de recherche organisés par la Croix Rouge International, ses parents en Russie) celui-ci a pourtant obtenu rapidement ses statuts et sa nationalité française même, sans souffrir pour autant du mécanisme du «blanc biographique».Le contraste de comportement par rapport aux autres réfugiés politiques célibataires, toujours en attente de traitement, est saisissant.

Enfin la réitération de l'événement dévoile un vécu traumatique.

Concernant la subjectivité ressortant du récit fait par le demandeur d'asile, le retour de ce vécu traumatique se matérialise par des insistances narratives, souvent corrélées à des insistances démontrant de la culpabilité. Venantia par exemple nous redit maintes fois le sentiment de se retrouver dans une «prison» ,alors réfugiée à Dijon: le fait de rencontrer un psychologue en tête-à- tête, d'être obligée de dormir dans un foyer d'urgence et compare la procédure administrative auprès de la Préfecture puis de l'OFPRA de «torture psychologique mise en place».Elle parle plusieurs fois, et avec passion ,de sa volonté d'écrire un jour un ouvrage sur son calvaire puis sa fuite hors de la RDC et sur son parcours au CADA, qu'elle juge «vraiment positif (...) sur le plan intérieur». Martin lui choisit presque automatiquement de commencer son récit par la situation militaire en RDC sous Mobutu, l'enrôlement de force, les déplacements forcés, les prisons pour ceux accusés d'intelligence avec l'ennemi. Il s'arrête d'ailleurs souvent pour chercher ses mots voire semble hypnotisé par une scène qu'il ne décrit jamais; Martin suit toujours en effet un mode linéaire et «commentatif» (par opposition à «descriptif» où les détails existent).L'interlocuteur peut avoir ce sentiment d'assister à une récitation, or s'il s'agit d'une redite elle est sur le plan psychique et non moral: la scène est comme figée dans la représentation du demandeur d'asile; elle obnubile sa pensée en somme.

On le pressent déjà: la réitération du contenu traumatique utilise principalement le plan de l'implicite et de l'image pour se communiquer. Jamais le langage et la réflexion ne peuvent y amener une distance critique qui serait d'ailleurs le signe d'un dépassement du trauma.

La métaphorisation est ici éclairante pour comprendre le mécanisme global qui sous-tend le rapport du traumatisé avec son récit. La «métaphore du chat en cage» qu'utilise Cyprien pour exprimer sa fuite peut se percevoir comme une tentative de mettre en forme, symbolique et non verbale, un sentiment obsédant (et répétitif).Pour exprimer son comportement après un moment passé en prison au Rwanda lors des débuts du génocide de 1994 Cyprien nous demande d'imaginer «un petit chat qu'on met dans une cage et on essaie de frapper des coups sur la cage (...) si vous ouvrez la cage ,il va sortir mais ne reviendra jamais .Il a toujours dans sa tête celui qui a frappé sur la cage».Il nous confie utiliser systématiquement cette analogie pour expliquer aux gens son geste et son point de vue. Paul Ricoeur, qui a d'ailleurs travaillé sur le problème de

l'Identité voit dans la métaphore davantage qu'une figure de style: un acte de communication véritable permettant de mettre à distance le contenu traumatique gênant tout en en conservant la charge émotionnelle (in La Métaphore Vive)

Il resterait à mentionner plus profondément l'expérience de la torture ou du sévice et sa transposition dans le récit du demandeur d'asile. Nous avons fait le choix de ne pas nous en occuper, même si plusieurs des demandeurs et réfugiés entendus dans le cadre de cette étude ont évoqué certaines scènes s'en rapprochant ou disent même avoir subi des actes de torture. Nous renvoyons pour cela le lecteur vers des ouvrages spécialisés tels : Vinãr, M (1989). Exil et torture ou le rapport d'Amnesty International. (1974): Rapport sur la torture et qui concluent par ailleurs sur quatre faits importants pour notre propre étude:

1) les survivants de la torture sont encore moins capables de contrôler leurs pensées intrusives que les victimes d'autres traumatismes d'intensité comparable (étude psychologique de :Turner, S., & GorstUnsworth, C. (1990). Psychological sequelae of torture: A descriptive model. British Journal of Psychiatry)

2) «Réactions dépressives. Les victimes de la torture ont souvent de gros problèmes pour reprendre une vie normale. Ils doivent surmonter, outre des séquelles physiques pouvant être très handicapantes, la perte de ce qui constituait leur vie avant les événements, souvent l'exil est nécessaire. La torture n'est pas seulement un événement de vie important mais elle est également la cause de beaucoup d'autres, rarement enchanteurs. Une réaction dépressive au sens large est donc très souvent observée chez les torturés, et dans une plus large mesure, chez les réfugiés» (opcit ,cité dans: Nature de la torture Une Perspective psychologique et légale de Cyril Rebetez et Philippe Robert,Université de Genève)

3) «Symptômes somatiques. Des effets au niveau organique sont souvent détectés, ceux-ci découlent la plupart du temps des mauvais traitements en eux-mêmes. Les séquelles physiques peuvent alors revêtir une multitude de significations aux yeux de la victime, augmentant parfois son état de dépression.» (opcit)

4) « le dilemme existentiel» .Le simple fait d'avoir survécu à la terrible pression du tortionnaire peut engendrer de la culpabilité, les survivants se souviennent également de tout ce qu'ils ont dû accomplir pour conserver la vie. Le dilemme existentiel reflète la nécessité pour le torturé de réconcilier son « nouveau moi » avec la nouvelle réalité du monde extérieur, d'y trouver une signification.» (opcit)

Pour conclure sur l'identification du traumatisme au sein du récit fait par le réfugié sur son exil hors de son pays d'origine, il faut mentionner les graves dégâts de l'oisiveté imposée par les services français et par la loi concernant les droits des demandeurs d'asile, compte tenu de leur interdiction de travailler. Tous les demandeurs ou réfugiés politiques, récents naturalisés même, insistent sur l'importance du travail et de l'occupation tant mentale que physique qu'il permet, en plus d'une plus complète autonomie sur le plan des moyens et des finances. Cette disposition juridique, comme nous le verrons en seconde partie de cette étude, ne repose sur rien d'économiquement valable, d'autant plus que des exceptions sont possibles, exceptions par ailleurs qui permettent, comme c'est le cas de Venantia, de travailler à condition d'avoir un certificat médical précisant une pathologie (le cas échéant la dépression et l'asthme), ce qui est le plus invraisemblable des paradoxes pour un pays à vocation humanitaire et sociale.

Cette première partie avait pour objectif de démontrer, au moyen des quelques témoignages recueillis de novembre 2007 à janvier 2008 auprès des demandeurs d'asile du CADA « Les Verriers » de Dijon et des statutaires du CPH de la Croix Rouge Française de Quetigny, la complexité des représentations culturelles et individuelles attachées au phénomène de l'immigration. Nous n'avons pas voulu pénétrer trop théoriquement dans le concept ainsi que dans celui de traumatisme motivant l'exil. L'immigration, on l'a vu répond moins d'une fuite que d'une indésirabilité sociale ressentie par les migrants, sans doute profondément liée à une incapacité de ces pays qui se vident de leurs élites et de leurs forces vives à assurer les conditions de l'Etat de Droit. Elle est aussi le signe d'un mal-être individuel qu'il est impérieux de savoir évaluer et écouter, sans quoi la France, et l'Union Européenne, se fermeraient au principe humanitaire. Prendre en charge les personnes immigrantes, demandeurs d'asile, apatrides, clandestins et immigrés économiques relèvent de la pratique humanitaire par le fait même qu'elle requiert, cette prise en charge, une ouverture sur la souffrance de l'autre et non pas une mécanisation administrative, certes neutre mais indifférente.

Trois pistes peuvent être proposées pour apporter davantage de l' «art humanitaire» au sein des services en charge de l'immigration:

- Diagnostiquer plus spécifiquement les réfugiés politiques à la source, in situ du pays d'origine. Les ONG peuvent jouer sur ce point un rôle crucial. Trop souvent les demandeurs d'asile deviennent des immigrés indifférenciés par les Etats car aucune structure sur place n'a pu les gérer et les orienter .Il s'agit moins de contrôler l'immigration depuis sa source que de permettre une meilleure intégration des demandeurs dans les pays d'asile.

- Le traumatisme, après avoir été spécifiquement détecté et évalué devrait être un argument facilitateur du dossier auprès de l'OFPRA, or à ce jour aucun professionnel de santé ou de psychopathologie n'officie à cet organisme. Sans proposer de se fermer à la nature politique du réfugié, la considération à apporter au traumatisé est un devoir social, et politique majeur pour une société démocratique.

- Comprendre que le processus de l'immigration ne jette pas que sur les côtes de l'Europe des clandestins incultes mais surtout des cadres et des intellectuels (et il s'agit de notre première représentation culturelle qui a déchu grâce à ces entretiens) et que leur interdire et de s'exprimer et de travailler c'est refuser toute possibilité d'aider l'Afrique par contre coup.

SECONDE PARTIE

La demande d'asile, une situation provisoire mais

délicate

Ces dernières années, on assiste en France à une baisse des demandes d'asile. Ainsi, en 2004, le nombre baisse de 3,2 pour cent. Cela s'explique par plusieurs facteurs, notamment par la politique européenne de fermeture des frontières qui fait que les demandeurs d'asile ont de plus en plus de difficultés à atteindre le territoire français. Pour pouvoir venir en France, les demandeurs d'asile sont souvent obligés par conséquent de faire appel à des passeurs et à des filières d'immigration sans scrupule, parfois au péril de leur vie.

1) La prise en charge du migrant par les instances juridiques et institutionnelles:

La France, terre des droits de l'homme, reste dans l'imaginaire des demandeurs d'asile qui parviennent sur le territoire français, un véritable « pays de cocagne ». Les témoignages recueillis font ressortir que les réfugiés perdent vite leurs illusions et se trouvent rapidement rattrapés par l'amère réalité. Le parcours des demandeurs d'asile arrivant sur le territoire français demeure complexe et parsemé d'épreuves, avant d'atterrir pour les plus favorisés d'entre eux dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile.

Les statistiques de l'OFPRA montrent que seul 15 pour cent des demandeurs sont entrés en France munis d'un visa. Au terme de l'article 31-1 de la convention de Genève, les demandeurs d'asile sont dispensés de l'obligation de documents de voyage et ne peuvent être pénalement responsables d'une entrée ou d'un séjour irrégulier sur le territoire du pays d'accueil. Les demandeurs d'asile africains avec lesquels nous nous sommes entretenus sont dans l'ensemble presque tous arrivés dans un premier temps à Paris.

C'est ainsi que le 20 décembre 2005 Venantia parvient avec la mystérieuse inconnue qui l'a accompagnée à l'aéroport de Roissy. Là, abandonnée par la femme, elle se retrouve démunie, sans repère, comme tous les demandeurs d'asile qui pénètrent sur le territoire. Par un heureux hasard, elle repère au sein de l'aéroport des prêtres africains et va leur parler, leur expliquer sa situation, comptant sur leur aide. Ces derniers, l'emmènent alors généreusement dans leur habitation, lui

procurent vêtements chauds et médicaments et tentent en vain de joindre Marcelline. La femme dort ainsi chez ces nouveaux hôtes la nuit du 20 décembre puis prend le train le lendemain en direction de Dijon ou elle compte bien retrouver la Rwandaise, Marcelline.

De même, Cyprien, muni donc d'un faux passeport arrive en 2006 à l'aéroport de Roissy, endroit qu'il quitte aussitôt de peur qu'on se rende compte de qui il est et qu'on le remette de force dans un avion pour le renvoyer au Mozambique. Dans les rues de la capitale, il se décide finalement à s'adresser à des policiers qu'il aperçoit. Il entreprend cette démarche avec la peur au ventre qu'on le mette en prison, risque qu'il prend car l'idée d'errer indéfiniment dans la ville sans savoir où aller et cela dans un état d'insécurité réel lui est insupportable. Ces derniers, à son étonnement, se contentent de lui donner l'adresse de l'association « France Terre d'Asile ». C'est ainsi que commence sa prise en charge. Il est logé dans un premier temps en appelant le 115 puis « France Terre d'Asile » parvient à le faire dormir dans un hôtel. Un mois plus tard, il est transféré au CADA à Dijon car il n'y a plus de place à Paris.

Mais tous les demandeurs d'asile arrivant sur Dijon ne sont pas aussi chanceux que Cyprien et bien peu sont aussitôt logés au CADA dès leur arrivée sur Dijon: Omar le soudanais se trouve notamment dans l'obligation de loger dans un squat de la ville d'Angers durant trois mois avec des SDF et quatre autres Soudanais qui sont dans la même situation que lui. Durant trois mois, il endure, nous raconte-t-il les insultes de la part de nombreux passants qui le jugent rapidement et avec mépris mais réussit à survivre néanmoins grâce au SAMU social de la ville d'Angers qui vient la nuit lui apporter de quoi boire et manger. Le cas d'Omar est exceptionnel car il fait partie de la grande minorité qui obtient une réponse favorable de l'OFPRA et obtient aussitôt le statut de réfugié qui lui permet de venir s'installer à Dijon.

Aussi, madame Venantia, arrivée à Dijon, déçue de ne pas avoir trouvé Marcelline à l'adresse qu'on lui avait indiquée (à la résidence ADOMA Samuel Beckett) se trouve dans l'obligation de dormir dans les escaliers froids de la résidence. L'un des résidents, la voyant affalée sur les marches, prend pitié d'elle et finit par l'héberger exceptionnellement pour une nuit. Le lendemain, elle se résigne à entreprendre les démarches nécessaires afin d'obtenir le statut de réfugié. Tout demandeur d'asile dijonnais doit en effet se rendre dès son arrivée dans un premier temps à la préfecture. La Congolaise reconnaît que l'accueil qui lui est réservé dans cet établissement est honorable et respectueux. La préfecture l'invite à se rendre au SCODA (service de contacts et d'orientation pour demandeurs d'asile), ce qu'elle fait aussitôt. Le SCODA est un organisme ouvert depuis Août 2001. La « coordination réfugiés de Cote d'or » (qui regroupe tous les représentants du CADA, d' ADOMA, du secours catholique, de la CIMADE, de l'ANAEM) en

avait en toute logique assez de voir des demandeurs d'asile arriver et ne pas savoir où aller, totalement perdus. Ainsi, le SCODA reçoit ces visiteurs, s'occupe des démarches administratives liées à leur état civil, peut héberger les familles durant une nuit s'il y a des chambres libres dans le centre d'accueil et d'orientation unique Bianquis. Le SCODA est sous la tutelle de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales qui donne les autorisations de prendre une famille en charge, en fonction du nombre de places donc disponibles. Le SCODA est en lien permanent avec un service d'interprétariat à Paris pour comprendre les visiteurs, quel que soit leur lieu d'origine, ainsi qu'avec la CSF (aide à domiciliation postale, permettant aux demandeurs d'asile de pouvoir recevoir du courrier à une adresse bien précise) qui s'occupe du dossier OFPRA. En effet, pour enregistrer sa demande par la préfecture, le demandeur doit fournir une adresse où il lui est possible de faire parvenir en effet toute correspondance et cela pendant toute la durée de validité de l'APS. La première difficulté pour le demandeur réside donc souvent dans la recherche d'un lieu d'hébergement ou au moins d'une adresse postale, condition impérative pour la délivrance de l'APS. Arrivée au SCODA, la Congolaise y rencontre l'assistante sociale qui lui demande de repasser l'après midi. En attendant le rendez-vous fixé, seul chance de salut, elle doit errer dehors, lutter contre le froid hivernal et ne trouve d'autre solution pour trouver un peu de chaleur que de monter dans les bus de la ville et de s'asseoir sur un siège, sans but précis ni itinéraire en vue particulier. Au SCODA, on l'oriente vers le PASS ainsi que vers le centre Sadi Carnot, où lui est offerte la possibilité de dormir trois jours d'affilée. L'hébergement dans ce centre reste assez glauque: elle se retrouve avec des inconnus très différents les uns des autres et pas très causant dans une chambre pleine de fumée: « on fume de tout dans ce lieu! », nous confie t'elle. Elle reconnaît toutefois avoir bien dormi. Le lendemain, elle retourne à la SCODA. Là, elle rencontre quelques femmes en pleurs qui sont dans le même cas qu'elle. L'assistante sociale lui annonce qu'elle doit choisir un autre département dans lequel elle voudrait aller car il n'y aurait justement pas de logement à Dijon où elle pourrait dormir en attendant la réponse de l'OFPRA. Depuis la loi du 10 Décembre 2003 qui a instauré un « guichet unique » d'enregistrement et d'examen de la demande, tous les demandeurs d'asile peuvent être logés en CADA. L'admission en CADA est néanmoins soumise à certaines conditions précisées dans une note de la DPM de Février 2005: sont exclus du dispositif national d'accueil les demandeurs d'asile non détenteurs d'un document provisoire de séjour, c'est à dire tous ceux placés en procédure prioritaire, relevant des dispositions du règlement Dublin 2. Compte tenu de l'inadéquation entre la demande d'hébergement et la capacité d'accueil des CADA, les éléments retenus pour l'admission des résidents sont généralement d'ordre social, la priorité revenant aux primo-arrivants en fonction de l'urgence sociale, aux familles, aux enfants, aux jeunes majeurs isolés, aux personnes ayant des problèmes de santé et aux femmes seules.

Pourtant, aucune chambre n'est sur le moment libre pour la Congolaise. Déçu, elle estime que c'est à la préfecture de l'orienter vers une autre ville si nécessaire et pas à elle de faire un choix hasardeux, sachant qu'elle connaît peu la France. Elle plaint les autres femmes prés d'elle qui sont sommées de partir également pour un autre lieu inconnu et qui contrairement à elle, ne parlent en plus même pas français! Refusant de faire un choix, Venantia se résoud donc à rester sur Dijon dans l'espoir qu'un logement finisse par se libérer. Après le SCODA, elle est amenée logiquement à aller voir le PASS car elle connaît quelques problèmes de santé. En attendant de bénéficier de la protection sociale attribué aux demandeurs d'asile dans le cadre de la CMU, les demandeurs d'asile ont la possibilité de se rendre dans les hôpitaux ou il existe ainsi des permanences de santé aux soins de santé (PASS), conformément à l'article L.771-7-1 du code de la santé publique. La circulaire du 17 décembre 1998 précise que « les établissements publics de santé » mettent en place les permanences d'accès aux soins de santé, adaptées aux personnes en situation de précarité, visant à faciliter leur accès au système de santé et à les accompagner dans les démarches indispensables à la reconnaissance de leurs droits. A Dijon, les demandeurs d'asile y sont naturellement pris en charge par une équipe de médecins, un assistant social. Des médicaments leur sont délivrés gratuitement. Les médecins, la, lui font gratuitement un bilan médical: ils lui annoncent qu'elle a un taux de cholestérol supérieur à la moyenne et qu'elle fait dans un même temps une crise d'hypertension. Elle passera en fin de compte malgré cela 51 jours de plus à errer sans but dans la ville et à se débrouiller du mieux qu'elle le peut pour survivre. Sans l'hébergement qui lui était offert à Sadi Carnot, elle aurait succombé, tiraillée par le froid et la misère. Le centre en question non seulement leur offre un endroit ou dormir mais leur procure aussi assez de nourriture pour affronter la longue journée qui les attend. Néanmoins, il ne leur est parfois permis de dormir que trois jours d'affilée dans le centre, et parfois, lorsqu'on estime qu'il ne fait pas très froid, les éducateurs ont pour instruction de refuser de les loger une quatrième nuit. Elle voit là un système de torture psychologique ayant pour visée de tester leur résistance et de les obliger à choisir une autre ville d'accueil. La demandeuse d'asile n'en veut pour autant pas aux éducateurs du centre qu'elle estime beaucoup et qui ne font que se conformer aux ordres qu'ils reçoivent. Cette situation lui pèse. Elle avoue s'être arrêtée à certains moments devant les rails des chemins de fer et avoir hésité à se jeter sous l'un des nombreux trains qui défilaient devant ses yeux. Une seule chose l'en dissuadait: le souvenir de sa famille. Heureusement, la femme se lie assez rapidement d'amitié avec trois autres femmes, demandeuses d'asile également et qui l'accompagnent dans son errance. Ce groupe, soudé auquel elle adhère et qui se constitue naturellement lui apporte un peu de force et de réconfort. Lorsque le foyer Sadi Carnot refuse de les héberger pour une nuit, les quatre femmes se rendent alors à la gare où souvent, on les expulse. Elles appellent alors le 115 qui les dépanne pour une nuit. Cette situation dure jusqu'à

l'inoubliable nuit ou absolument personne n'a accepté de leur venir en aide: le foyer Sadi Carnot qui ne peut accueillir que 35 personnes et qui surtout n'avait pas déclenché de plan hivernal a refusé de les héberger et les personnes qu'elles avaient appelées en composant le numéro 115 ont affirmé être dans l'incapacité de les aider! Selon elle, la police n'a également rien voulu faire pour les secourir. Pour se réchauffer, les quatre femmes se réfugient dans une cabine téléphonique mais cela ne suffit pas. La souffrance atteignant un seuil de plus en plus élevé, madame Venantia finit par téléphoner à une femme très croyante qu'elle avait quelques jours auparavant croisé dans l'église de Fontaine d'Ouche et avec qui elle avait sympathisé. Dernier recours possible, la religieuse accepte bien heureusement par téléphone de les loger chez elle le temps d'une nuit. Le lendemain, malgré cette aide inopportune, deux des trois amies de la Congolaise se retrouvent aux urgences, l'une pour gènes respiratoires manifestes et l'autre en raison de difficultés apparentes à marcher normalement. À bout de nerfs, Venantia va au SCODA et leur demande avec hargne ce qu'elle doit faire pour ne plus jamais revivre une telle situation et menace d'informer toute la ville de la manière dont ils sont traités. Dans les jours qui ont suivi, une place s'est libérée en CADA et elle trouve alors un foyer où vivre et dormir dans la dignité. Ce ne fut pas le cas de ses trois compagnes qui continuèrent par la suite, après leur sortie de l'hôpital d'errer ainsi durant quatre mois dans Dijon!

À Dijon, une fois par mois, une commission de concertation mensuelle a lieu au PASS: une personne travaillant à la DDASS préside cette commission. Tous les grands acteurs interférant dans l'accueil des demandeurs d'asile y sont présents (SCODA, CADA, CPH, ANAEM). Lors de cette réunion, le CADA informe ses collaborateurs du nombre de places disponibles en son sein. En fonction de ces renseignements, le SCODA propose des personnes aptes à y résider et lorsque le nombre de places s'épuise, il réoriente les demandeurs d'asile vers d'autres départements, comme il a voulu le faire avec Venantia. La circulaire du 19 décembre 2003 instaure une organisation territoriale des places en CADA en fonction de divers paramètres, la pression locale et la demande d'hébergement en font partie. Elle légitime la pratique des quottas régionaux faisant l'objet d'une révision annuelle: chaque établissement doit accueillir un nombre minimum de demandeurs d'asile provenant d'autres régions. Ainsi, 25 pour cent des résidants dans les CADA de Côte d'or doivent impérativement provenir d'autres départements. Pour déterminer le nombre de places laissées à la disposition de la région Bourgogne, le recensement et l'instruction des demandes d'hébergement ainsi que la mise en oeuvre des commissions locales d'admission sont gérées par la DASS. La capacité de régulation du dispositif à l'échelon national est cependant maintenue par la commission nationale d'admission dont le secrétariat est assuré par l'ANAEM.

Rappelons que jusqu'au 31 décembre 2003, c'était l'association France Terre d'Asile qui avait la charge du dispositif national d'accueil, entièrement financé par l'Etat au travers de la direction des populations et des migrations et des diverses directions départementales des affaires sanitaires et sociales. Actuellement, c'est donc l'ANAEM créée par la loi de programmation pour la cohésion sociale (loi du 18 janvier 2005) qui gère donc ce dispositif. Cet établissement public administratif de l'Etat, opérationnel en Avril 2005 a pour objectif donc de gérer l'accueil des étrangers titulaires d'un titre les autorisant à séjourner durablement en France.

Lorsqu'il a pénétré sur le territoire français et quelles que soient les modalités d'entrée, l'étranger qui souhaite déposer une demande d'asile en premier lieu doit se rendre donc comme on a pu le constater à la préfecture de son lieu de domiciliation ou du moins de vie afin d'y faire une demande d'admission au séjour au titre de l'asile. Cela est primordial car si le demandeur d'asile n'est pas passé par la préfecture avant de saisir l'OFPRA, il risque tout simplement d'être sanctionné par l'irrecevabilité de sa demande. C'est pourquoi la préfecture a pour habitude de remettre au demandeur une autorisation provisoire de séjour d'une validité d'un mois, portant la mention « en vue des démarches auprès de l'OFPRA », accompagnée d'un formulaire de demande d'asile à déposer à l'OFPRA dans un délai justement de 21 jours suivant son obtention. Sur présentation de la lettre d'enregistrement de sa demande établie par l'OFPRA, le demandeur se voit donc attribué un récépissé manifestant le dépôt d'une demande d'asile d'une validité de trois mois renouvelables jusqu'à l'issue de la procédure, qui est loin d'être de courte durée. La loi du 10 décembre 2003 instituant un « guichet unique », toute demande de protection fait l'objet d'un examen, uniquement par l'OFPRA et la CRR. Cela est censé simplifier la procédure et réduire les délais. La loi supprime aussi l'asile territorial qui avait été introduit par la loi du 11 Mai 1998 pour accorder la « protection subsidiaire » aux personnes dont la vie ou la liberté est menacée dans le pays d'origine. Pourtant, les demandeurs d'asile sont de plus en plus confrontés à des obstacles difficilement surmontables avant de parvenir à déposer leur demande d'asile: le raccourcissement du délai de dépôt d'un mois donc à 21 jours, la nécessité d'attester d'une domiciliation, l'exigence de complétude du dossier ainsi que l'utilisation écrite du français dans les premières démarches administratives ne sont pas là pour faciliter l'entrée et l'adaptation des demandeurs d'asile fraîchement arrivés sur le territoire français. A Dijon, hormis le SCODA, il y a « SOS Refoulement » qui est un collectif d'association qui aide à la constitution éventuelle du dossier OFPRA des demandeurs d'asile qui en font la demande. Le Secours Catholique est également prêt au quotidien à les aider dans leurs démarches administratives.

Le décret du 14 Août 2004 oblige en théorie la préfecture à remettre à l'intéressé l'APS et le
formulaire OFPRA dans un délai maximum de quinze jours. Le décret du 23 Août 2005 impose

aussi au préfet de délivrer le récépissé dans un délai de trois jours suivant l'expiration de l'APS. Malheureusement, en dépit de cela, les pratiques préfectorales restent très variables quant au respect de ces délais, constat qui a conduit le Ministère de l'Intérieur à un rappel à l'ordre aux préfets. Dans son rapport du 6 Avril 2006, le sénat note cependant que le délai de 15 jours est respecté par 85 pour cent des préfectures, qui reçoivent 95 pour cent des demandeurs d'asile. Force nous est de constater que parmi les témoignages que nous avons recueillis, aucun ne porte à cet égard de jugement négatif sur les délais de réponse de la Préfecture de Dijon.

De même, les demandeurs d'asile que nous avons interrogés sont dans l'ensemble très satisfaits de l'accueil qui leur a été réservé au PASS, établissement au sein duquel les médecins et l'assistant social demeurent à l'écoute de leurs problèmes physiques et sont ouverts au dialogue. Les médecins que nous avons rencontré au PASS nous ont fait part de leur inquiétude quant à l'évolution de l'encadrement de la santé physique des demandeurs d'asile en France: avant la mise en place du CESEDA, en 2005, les demandeurs d'asile avaient le droit à la couverture maladie universelle dès la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour par la préfecture alors qu'aujourd'hui, est imposé un délai de trois mois pour pouvoir en bénéficier! Bien évidemment, le nombre de leurs patients se voit donc accru. 1793 patients ont été enregistrés au PASS pour l'année 2005, nombre qui est susceptible de croître d'année en année.

Cette situation s'avère d'autant plus intrigante que l'article 741 du CESEDA prévoit quatre cas dans lesquels la préfecture dijonnaise peut refuser la délivrance de l'APS au demandeur d'asile:

1) lorsque l'examen de sa demande relève de la compétence d'un autre Etat en application du règlement dit Dublin 2 du 18 février 2003.

2) le demandeur a la nationalité d'un pays pour lequel sont mises en oeuvre les clauses de cessation de la convention de Genève ou d'un pays considéré comme « pays d'origine sûr », notion introduite par la loi du 10 novembre 2003.

3) la présence en France de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité de l'Etat.

4) la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile: celle ci ne serait présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée.

Il paraît aussi évident que le refus de délivrer une autorisation de séjour empêche un immigré d'avoir accès à l'allocation d'insertion et à un hébergement en CADA.

Le fameux « règlement Dublin 2 », adopté par les États membres de l'UE le 18 février 2003 est entré en vigueur le 17 Mars 2003 et s'applique à toute demande introduite depuis le 1er septembre 2003: il apporte quelques précisions et modifications à la convention de Dublin signée le 15 Juin 1990 et entrée en vigueur le 1er Septembre 1997. Cette convention de Dublin met en place le principe de la responsabilité d'un État de l'UE dans le traitement d'une demande d'asile et du transfert éventuel de l'intéressé vers le pays ainsi désigné. Ainsi, le demandeur d'asile qui arrive sur le territoire européen se trouve dans l'obligation de faire sa demande auprès du premier État de la communauté sur lequel il a mis les pieds. La convention de Dublin était insatisfaisante à bien des égards: l'absence de délais précis pour sa mise en oeuvre laissait pendant des mois des demandeurs d'asile en situation de grande précarité. Des membres d'une même famille voyaient leur demande examinée dans des pays différents et pouvaient ainsi être séparés pendant des années. La détermination de l'état responsable était extrêmement difficile à établir en l'absence de preuves formelles du passage ou du séjour des étrangers dans cet État. Le règlement Dublin 2 tente laborieusement de combler les lacunes de ce premier dispositif. Quoi qu'il en soit, les deux textes alourdissent considérablement les procédures de traitement de la situation des demandeurs d'asile et font douter dans la pratique de leur pertinence. Il apparaît en effet évident que les chances d'obtenir l'asile selon l'Etat sur lequel on met les pieds ne sont pas les mêmes, ce qui va à l'encontre de l'idée d'un traitement équitable des différents demandeurs d'asile. Les États européens ont en effet une grille de lecture différente de la définition du réfugié, ainsi qu'une analyse variable de la situation prévalant dans les pays ou régions d'origine des demandeurs.

La procédure d'admission sur le territoire au titre de l'asile relève du ministère de l'intérieur, seul compétent à décider des entrées et du séjour des étrangers en France. Toutefois, l'examen des demandes d'asile se fait par l'OFPRA, placé sous la tutelle du Ministère des Affaires Etrangères: le législateur a prévu ainsi son intervention à titre consultatif. Des agents de l'OFPRA procèdent donc à l'audition des demandeurs d'asile afin d'apprécier le caractère manifestement infondé de leurs demandes. L'avis rendu par l'OFPRA, bien que ne s'imposant pas au ministère des affaires intérieures, est cependant suivi dans la quasi-totalité des cas.

L'OFPRA est un établissement public doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière et administrative. L'entretien est dirigé par l'officier de protection en charge de l'instruction du dossier, éventuellement en présence d'un interprète assermenté si le demandeur n'est pas francophone et que l'officier de protection ne parle pas la langue du demandeur.

Dans le cadre des dispositifs d'hébergement d'urgence, on peut dénombrer ceux du secteur privé hôtelier mis en place par les services déconcentrés de l'Etat. À la base temporaire, cette solution, acceptée depuis des années malgré son coût, généralement pour l'hébergement des familles qui ne peuvent pas être laissées à la rue, devient souvent durable, du moins à Paris pendant toute la procédure d'examen de la demande d'asile, voire au-delà. À Dijon, hormis les CADA, aucun organisme ou établissement n'héberge sur le long terme et de manière continue les demandeurs d'asile dont la situation est préoccupante...

2) L'attente difficile dans les CADA : la vie des demandeurs d'asile soumise au jugement de la justice

Les missions des CADA évoluent dans le temps. La circulaire de décembre 1991 dont ils sont issus affirme qu'ils ont pour rôle d'assurer « l'hébergement avec un accompagnement social allégé » des demandeurs d'asile durant toute la durée de la procédure d'examen de leur demande, recours éventuellement compris.

Conformément à la circulaire du 19 Mars 2000, ni l'Etat ni les collectivités territoriales ne peuvent financer de formation linguistique pour les demandeurs d'asile, qu'ils soient pris en charge en CADA ou hébergés en situation individuelle. Le système d'initiation à la langue Française que les CADA peuvent être amenés à proposer n'est pas nécessairement une formation de qualité mais juste une « animation fondée sur le volontariat du centre aussi bien que des personnes hébergées ». Cela est dommage car l'apprentissage de la langue française faciliterait l'autonomie des personnes, leur compréhension des démarches administratives. La France devrait s'inspirer davantage des projets « Euraccueil » et « Faar », mis en place dans les pays d'accueil en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie et plus récemment en Hongrie.

Dans les CADA, l'attente de la sentence de l'OFPRA ou de la CRR est difficile voire insoutenable. Le jugement qu'émet l'OFPRA est bien sur subjectif et ne tient que très peu compte des traumatismes des individus. Chaque fois que nous avons demandé aux demandeurs d'asile ce qu'ils comptaient faire si la CRR leur répondait par la négative, un silence gênant s'installait. Hélène (géorgienne) vit très mal la réponse négative que l'OFPRA lui donne. Elle sent d'un seul coup ses libertés se réduire, s'amenuiser et elle a l'impression d'être dans une « prison de verre ». Le personnel de l'OFPRA n'était selon elle pas très à l'écoute de ses allégations et doute de l'honnêteté de ses propos, ce qui la blesse. Du coup, devant la CRR, elle engage une avocate chargée de la représenter sachant qu'elle parle à ce moment là encore peu français.

La situation psychologique des demandeurs d'asile en CADA est alarmante: dans son rapport de 2004 sur la santé des demandeurs d'asile en CADA, l'Office des Migrations Internationales note que « la santé mentale et psychique des personnes hébergées est purement et simplement catastrophique ». Cela résulterait de la conjonction justement de deux phénomènes: d'un coté, la « décompensation psychique de la mise en sécurité » et d'un autre coté, « la défaillance presque complète des structures de soins psychiques ». En 2005, l'ANAEM fait le même constat. Durant la même année, selon les statistiques fournies par les associations européennes, au moins 20% des réfugiés et demandeurs d'asile sont gravement traumatisés et cela, notamment du fait de la guerre, de la violence ou de persécutions subies. Cela nous a été confirmé par Martin qui avoue avoir non seulement du mal à s'endormir mais aussi avoir peur de trouver le sommeil car dès qu'il ferme les yeux, des images cauchemardesques relatives aux batailles dans lesquelles il fut impliqué au sein de l'armée de Kabila ou aux tortures qu'il a subies par la suite remontent à la surface de son esprit et viennent le hanter. La directive « Accueil » du 27 Janvier 2007 qui couvre en théorie les besoins spécifiques des victimes de violence ou de torture, incite fortement les États de la Communauté à assurer les traitements nécessaires pour leur venir en aide. De même, l'article 14 de la Convention des Nations Unies contre la torture impose que tout État garantisse dans son système juridique à la victime d'actes de torture les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète. En France, les demandeurs d'asiles victimes de sévices et qui nécessitent des soins spécifiques sont le plus souvent pris en charge par des associations spécialisées et subventionnées par l'état: c'est notamment le cas du COMEDE (association médicale généraliste). A Dijon, malgré tout, la prise en charge des demandeurs d'asile traumatisés reste problématique et déficiente. Les psychiatres dijonnais refusent d'un commun accord d'accueillir les demandeurs d'asile qui ne parleraient pas français et encore moins d'avoir à recourir à un interprète : le fait selon eux de ne pas pouvoir communiquer directement avec le patient est un obstacle à l'efficacité de la consultation, ce qui est clairement discutable!

Heureusement, durant la période d'attente au CADA, les migrants peuvent bénéficier de la CMU, ce qui leur garantit au moins l'accès aux soins médicaux. Les demandeurs d'asile hébergés en CADA se voient aussi allouer une allocation appelée « allocation sociale globale » destinée à couvrir l'ensemble de leurs dépenses individuelles. Le montant de l'allocation varie en fonction de la nature de la restauration (individuelle, mixte ou collective, lorsque le CADA ne prend en charge qu'un repas par jour). Le droit provisoire au séjour ne donne pas le droit au travail mais ouvre en fin de compte les droits à un certain nombre de prestations sociales toutes justes aptes à perpétrer une situation de grande précarité, surtout en ce qui concerne les familles.

En CADA, les demandeurs d'asile doivent attendre le jugement de l'OFPRA ou de la CRR qui statue sur leur cas en dernier ressort. Il est rare que la réponse de l'OFPRA soit positive. L'attente s'avère difficile et de la réponse du CRR, dépend toute la vie des résidents en CADA. La CRR est devenue aujourd'hui la première juridiction de France en nombre d'affaires jugées mais elle demeure cependant mal connue du public et souvent confondue avec d'autres juridictions. La CRR est précisons-le entièrement dépendante de l'OFPRA et cela tant au niveau statutaire que sur le plan administratif et financier. Cette dépendance budgétaire pose des problèmes réels très pratiques qui peuvent non seulement ralentir ses activités mais surtout sa liberté d'action dans de nombreux domaines. Cette situation est clairement contraire au principe de l'indépendance de la juridiction administrative vis à vis de l'administration et pourrait sans aucun doute conduire à la condamnation de la France par les juridictions européennes. La CRR se trouve directement liée au Ministère des Affaires Etrangères, ce qui juridiquement n'est pas satisfaisant non plus.

Devant la CRR, les requérants entrés régulièrement sur le territoire français peuvent se faire assister d'un avocat. La directive du premier Décembre 2005 fait en sorte que tous les requérants, qu'ils soient ou non entrés régulièrement sur le territoire, puissent bénéficier d'une assistance judiciaire gratuite. La France est le seul État en Europe qui a demandé à ce que la transposition en droit interne ne se fasse pas dans de brefs délais et qu'elle puisse même se faire dans un délai pouvant aller jusqu'au 1er décembre 2008! Cela fut accepté.

Devant l'OFPRA et la CRR, le demandeur d'asile a la charge de la preuve de ce qu'il avance. Mais cette exigence n'est que relative et le CRR lui-même a bien conscience du fait qu'un demandeur d'asile peut difficilement « prouver » tous les éléments de son cas et que si c'était là une condition absolue, la plupart des réfugiés ne seraient pas reconnus comme tels. Le demandeur d'asile doit donc en théorie profiter du bénéfice du doute. La Convention de Genève n'exige donc aucune « preuve » de la crainte des persécutions invoquées. Il s'agit en réalité pour les officiers de protection de l'OFPRA et les juges de la CRR, de se forger une intime conviction concernant la crédibilité des récits des requérants, notamment par le biais d'informations censées être fiables venant de la part de leurs correspondants se trouvant dans le pays d'origine du demandeur.

Ces dernières années, de nombreux textes récemment adoptés et qui méritent d'être cités dans le cadre de cette étude ont une influence certaine sur la situation des demandeurs d'asile en France et donc à Dijon: la loi su 10 décembre 2003, entrée en vigueur le 14 Janvier 2004 a entraîné en France une réforme du droit d'asile qui a modifié profondément les modalités d'accès au séjour et à la demande d'asile. Son mérite est d'avoir fixé pour la première fois des délais d'instruction en procédure prioritaire, auxquelles l'OFPRA ne peut déroger (pour celles rentrant dans le cadre de la

convention Dublin ou pour les demandes de réexamen). Les étrangers dont la demande d'asile n'étaient pas traités en procédure normale étaient en effet en augmentation très forte (plus de 30% en plus rien que pour l'année 2005).

Aussi, le CESEDA qui entre en vigueur le premier Mars 2005 bouleverse clairement les habitudes acquises et la manière dont sont encadrés les demandeurs d'asile. L'Etat prend de plus en plus conscience de la nécessité de traiter spécifiquement le problème de l'immigration.

Enfin, la loi du 10 décembre 2003 introduit la notion « d'asile interne » qui permet de refuser d'attribuer le statut de réfugié à toute personne qui pourrait être jugée apte à trouver refuge dans une partie de son propre pays. Une liste de « pays d'origine sûrs » est ainsi établie et cela comporte en effet de graves risques de dérives qui d'ailleurs n'ont pas manqué d'être condamnés en France par le conseil constitutionnel et par la jurisprudence de la CRR. Dans ses conclusions du 3 Avril 2006, le comité des Nations Unies contre la torture affirme ses préoccupations devant ces dispositions qui ne garantissent en rien une protection absolue contre le risque de renvoi d'une personne vers un État ou elle risque d'être soumise à la torture. Il est donc fondamental que les notions « d'asile interne » et de « pays d'origine sûr » ne soient envisagées que dans les conditions strictement délimitées par la jurisprudence qui demande que l'intéressé puisse en toute sûreté accéder à une partie délimitée de son pays d'origine, s'y établir mais aussi mener une vie normale, y compris sur le plan socio-économique. Selon la Coordination française pour le droit d'asile, l'établissement de la liste des pays d'origine surs semble avoir été guidé par des préoccupations de gestion des flux migratoires plutôt que par une analyse objective de la situation des droits humains de ces pays! Cela reste d'autant plus déroutant que le continent européen est celui qui accueille le nombre de réfugiés le plus faible (moins de trente pour cent du chiffre mondial) tandis que l'Afrique et l'Asie supportent paradoxalement la charge la plus lourde de l'accueil.

L'inflation législative que l'on vient d'évoquer brièvement et la complexité du système renforcent globalement la difficulté d'accès aux droits et les risques d'arbitraire et d'insécurité juridique. Cette « inflation législative » en un laps de temps assez réduit peut bien évidemment dérouter et amener à douter du bien fondé et de la pertinence de toutes ces réformes. Cela est souligné par le conseil d'Etat lui-même dans son rapport public de 2006.

Outre les critères d'éligibilité au statut de réfugié, la convention de Genève prévoit également des dispositions spécifiques dites « clauses d'exclusion », reprises par le CESEDA et qui excluent du bénéfice de la convention de Genève les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser :

1. qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil.

2. Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité

3. qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des nations unies.

Ces critères ont été appliqués ces dernières années aux responsables d'atrocités commises en république démocratique du Congo (Brazzaville), au Rwanda. Martin s'est ainsi vu demander par l'OFPRA s'il avait déjà tué ou torturé quelqu'un dans son pays, question qui peut faire sourire étant donné qu'il a été contraint de servir militairement durant une longue période un dictateur sans scrupule et loin d'être pacifiste. Pour qu'un demandeur d'asile fasse les frais de la « clause d'exclusion », une étude doit néanmoins être menée rigoureusement en fonction de divers critères fixés par le jurisprudence communautaire et par la CRR: degrés d'engagement, gravité des faits, proportionnalité des moyens employés, existence d'autres modes d'actions, cibles des violences et exactions (combattants, populations civiles), effets de contraintes, actions de désolidarisation vis à vis des auteurs ou donneurs d'ordre de ces actions violentes notamment. Il s'agit bien sur d'évaluer la responsabilité individuelle des actes commis par la personne demandant l'asile.

L'autorisation de travailler a été supprimé par la circulaire du 26 Septembre 1991 dans le but clairement affiché de réduire le flux de demandes d'asile et de décourager les migrants économiques de venir en masse sur le territoire. Encore une fois, l'amalgame qui est fait entre demandeurs d'asile et migrants économiques est regretté par quasiment tous les acteurs que nous avons interrogés et qui sont arrivés sur le territoire français, non pour vivre mieux mais pour survivre! François notamment, qui fut très actif dans son pays d'origine vit très mal le fait de ne pas pouvoir avoir un travail, espace fondamental de socialisation et de construction de l'individu, selon lui. Il tente de suivre une formation au centre de commerce et d'industrie de Dijon mais au bout de trois semaines, on se rend dompte de sa situation et on le renvoie. Dans un état de rage, il écrit au préfet pour lui exprimer son insatisfaction, lettre à laquelle le fonctionnaire d'Etat répondra en lui disant qu'il est en droit de solliciter une autorisation de travail étant donné que l'OFPRA a déjà statué sur son cas et qu'il attend le jugement de la CRR. Malgré cela, la direction du travail refuse toujours de lui accorder une autorisation de travail, notamment en invoquant le motif qu'il n'a pas de titre de séjour permanent. Le directeur du CADA a essayé de l'aider et a renvoyé une lettre par la suite à la direction départementale du travail dans le but de les convaincre mais en vain! François, est en effet en droit de se demander pourquoi on lui oppose un tel refus et reste perplexe. Voici l'explication qui nous fut donnée par la direction départementale du travail lorsque nous sommes allés sur les lieux: les textes juridiques encadrant le droit du

demandeur d'asile à travailler nous sont présentés: l'article R 742-3 du CESEDA reconnaît en effet leur droit à avoir une autorisation de travail une fois qu'ils ont obtenu une réponse de l'OFPRA, même si celle-ci est négative. Néanmoins, cette autorisation éventuelle est soumise à des conditions assez restrictives et difficiles à satisfaire: La direction départementale, avant d'autoriser le demandeur d'asile à travailler doit s'assurer que le niveau de rémunération qui lui est offert par l'employeur n'est pas trop bas et donc qu'il n'est pas exploité. Le demandeur d'asile peut travailler à condition par exemple qu'il ne postule pas pour un emploi déjà sollicité par des personnes, notamment européennes ou dont le statut est encadré par le droit commun. Pour réduire les chances d'embauche du demandeur d'asile, l'Etat oblige tout employeur qui le recruterait à payer des redevances faramineuses: ainsi, s'il recrute un demandeur d'asile pour une durée de douze mois ou par le biais d'un CDI, l'employeur doit systématiquement payer une redevance de 893 euros (pour un salaire inférieur à 1525 euros) ou de 1612 euros (pour un salaire supérieur à 1525 euros).

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater que durant l'année 2007 à Dijon, aucune autorisation de travailler ne fut octroyée par la Direction Départementale du Travail aux nombreux demandeurs d'asile arrivant à Dijon! Cette empêchement de travailler n'améliore en rien l'état psychologique des demandeurs d'asile: monsieur François, admet que sans la lecture qui est pour lui un moyen d'évasion, il ne supporterait pas une telle situation d'incertitude qui s'éternise et qui l'oblige à rester dans une chambre d'une taille plus que modeste (entre 9 et 12 mètres carré). Sur le mur de sa chambre, face à son bureau, inscriptions religieuses et maximes pleines d'espoir recouvrent des feuilles qu'il a lui-même collées pour se donner du courage dans le quotidien. Le problème de ces personnes est que leur passé souvent violent pour ne pas dire sanglant, les poursuit et qu'en plus de cela, ils ne sont pas certains d'avoir un avenir et restent dans l'impossibilité de se projeter dans le futur: la question de leur identité ou de leur absence d'identité se pose avec beaucoup d'acuité. Il leur est donc nécessaire de s'occuper pour ne pas vaciller dans la déprime et pour que chacun trouve comme il peut une solution qui lui est propre pour ne pas être tenté de broyer du noir. Ainsi, Cyprien offre au quotidien ses services aux « Restos du Coeur » et à « l'association des paralysés de France ».

La loi de finances 2006 met un terme à l'allocation d'insertion qui était auparavant attribuée aux demandeurs d'asile durant les 12 premiers mois d'attente après qu'ils aient fait leur demande. Cette allocation d'insertion est remplacée par l'Allocation Temporaire d'Attente. La France devient enfin en conformité avec la norme européenne car la nouvelle allocation est versée à tous les demandeurs d'asile majeurs (même aux plus de 65 ans, ce qui n'a pas toujours été le cas) en possession d'un titre de séjour, et cela pendant toute la durée de la procédure et non plus

seulement durant les douze premiers mois. Néanmoins l'allocation temporaire d'attente n'est toujours versée qu'après enregistrement de la demande d'asile à l'OFPRA. Le demandeur d'asile est sans ressource entre sa première démarche en préfecture et la délivrance de son récépissé attestant de sa demande d'asile.

Le droit à la scolarité des enfants étrangers est rappelé dans la circulaire du 20 Mars 2002 relative à la scolarisation des enfants étrangers: celle-ci rappelle que ce droit est incontestable et qu'il ne saurait appartenir ni à la municipalité ni au ministère de l'éducation nationale de contrôler la régularité de la situation des élèves étrangers et de leurs parents en ce qui concerne les règles de leur entrée et de leur séjour en France. Le droit à la scolarité d'un élève fils d'étranger n'est donc pas subordonné à un titre de séjour. Cela permet d'ailleurs à Dico l'Arménien de faire scolariser assez vite sa petite fille, qui de ce fait n'a aujourd'hui absolument aucun retard par rapport à ses autres camarades de classe.

En vertu du principe d'autonomie des Universités, c'est à elles que revient le droit d'admettre les candidats. Les écoles, universités peuvent donc accepter l'inscription des demandeurs d'asile. On constate à ce niveau que la situation est extrêmement variable selon les établissements.

En France, l'accès des demandeurs d'asile à la formation professionnelle exige une autorisation préalable de la DDT. Dans la pratique, les demandeurs d'asile ne peuvent être inscrits dans les stages de formation professionnelle s'ils ne sont en possession que d'un récépissé constatant le dépôt d'une demande d'asile d'une durée de trois mois. Ils peuvent avoir accès aux actions de formation qui ne prévoient pas la rémunération des stagiaires, comme les actions d'adaptation socioprofessionnelle ou d'alphabétisation. Il leur est impossible d'intégrer un stage de formation rémunéré par les services de placement.

Les demandeurs d'asile résidant en CADA font partie malgré tout cela des plus favorisés sur le territoire français. Cela est d'autant plus inquiétant que les CADA n'ont hébergés par exemple en 2004 que 20 pour cent des demandeurs d'asile sur le territoire. L'objectif du gouvernement étant de porter ce taux de couverture à 80 pour cent en 2010. A ce jour, l'objectif visé est encore loin d'être atteint. Les demandeurs d'asile, de tous horizons, continuent de survivre dans l'espoir que leur situation connaîtra une amélioration notable si la CRR leur accorde le statut tant idéalisé de réfugié politique...

TROISIEME PARTIE

Etre réfugié politique

Pour beaucoup de demandeurs d'asile, la France reste un objectif à atteindre, une sorte de havre de paix. Pour d'autres, c'est l'Angleterre et une naturalisation directe pour quiconque foule le sol britannique. Cette population ne demande qu'une seule chose : vivre mieux et pouvoir trouver une place au sein de la société française. Alors se met en place la machine administrative, un quadrillage systématique, une sorte de filtre ne laissant que les « méritants » (de ce fait, c'est déjà une sorte « d'immigration choisie »). C'est en fait la distinction entre les immigrés (ceux qui partent de leur pays pour trouver une meilleure condition de travail), et les réfugiés politiques.

« Le terme réfugié s'appliquera à toute personne :

[...]

qui, par suite d'événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

(Convention de Genève du 28 juillet 1951, Chapitre 1er, Article 1er, paragraphe A)

L'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) qualifie le réfugié, dans son Code d'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA), en ces termes :

« La qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu'à toute personne sur laquelle le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la Convention susmentionnée. »

(CESEDA., Livre VII, Chapitre 1er, Article L. 711-1, code relatif à l'Asile)

Toujours selon l'OFPRA, le statut de réfugié politique se distingue de l'Asile territorial, et du statut de l'Apatride, les deux autres formes de demandes d'entrée, de séjour et de droits d'asile. L'Asile territorial est délivré par le Ministère de l'Intérieur, en consultation du Ministère des Affaires Etrangères ; il est alors délivrée une carte de séjour d'une année, pour le demandeur et son conjoint, si « sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme ». La notion d'apatride, quant à elle, s'applique aux personnes ne possédant plus de

nationalité, sans aucunes autres considérations ; ce statut passe par l'OFPRA pour être examiné et entériné.

Lorsque le statut du demandeur est reconnu (celui du statut de réfugié), il obtient de ce fait une carte de résident de 10 ans, l'autorisant à séjourner dans son pays d'accueil ; son conjoint ainsi que ses enfants mineurs bénéficient des mêmes conditions. Un titre de voyage est aussi délivré. Par son principe de protection, l'OFPRA a le devoir de fournir tout document officiel indispensable à la vie quotidienne (article 9 du décret n°2004-814 du 14 août 2004).

La carte de résident en poche, le possesseur rentre alors dans le droit commun, c'est-à-dire qu'il aura les mêmes droits et les mêmes devoirs qu'un citoyen français. Une proposition de loi en 2000, visait à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non ressortissants de l'Union Européenne aux élections municipales. Mais pour l'instant ce projet n'a toujours pas été entériné par une décision de l'Assemblée Nationale. Ces droits s'apparentent à l'accès à la formation professionnelle, au travail, au logement, aux droits sociaux, aux soins médicaux, à la sécurité sociale (CMU) ou à tous autres droits correspondant au traitement le plus favorable accordé dans les mêmes circonstances aux ressortissants d'un pays étranger en situation régulière ou aux nationaux. Cette carte de séjour permet aussi la libre circulation dans n'importe quel pays européen ou non européen.

« Tout étranger résidant en France, quelle que soit la nature de son titre de séjour a le droit de quitter librement le territoire français ».

Article L 321-1 du CESEDA

L'accès au même droit qu'un citoyen implique aussi le même respect envers les lois du pays, et les devoirs qui en découlent. En plus de cela, le réfugié ne doit pas rester en contact, ou être en contact avec les autorités de son pays d'origine car il a été reconnu officiellement que ce pays est une menace à sa personne, et de ce fait pourrait contredire et rendre caduque toutes les démarches entreprises lors de la demande d'asile. Toute démarche considérée par l'OFPRA comme acte d'allégeance aux autorités du pays d'origine peut entraîner le retrait du statut. Cependant, en cas d'un voyage exploratoire ou d'un désir de se réinstaller dans son pays d'origine, les autorités françaises peuvent laisser la possibilité au réfugié de se déplacer dans ce pays, soit sous couvert d'une durée limitée avec un visa de retour, soit si la situation géopolitique est stabilisée et permet une réinstallation définitive ; ce fut le cas pour certains réfugiés kosovars en 2000.

« ... avoir le statut c'est vraiment le début d'une nouvelle vie mais alors il faut tout reconstruire ... tout recommencer... »

Commentaire de Haïat AIT MOUHOU, Assistante Sociale du Centre d'Hébergement Provisoire de la Croix-Rouge à Quetigny

Et après ?

Après une arrivée en France, souvent très éprouvante psychologiquement et physiquement, due aux conditions difficiles d'un voyage, et due aussi à la cause même de la fuite, après des jours passés dans la rue, dans les squats, dans les foyers ou les centres de nuit, après une attente de 2 ou 3 ans d'un examen puis d'un réexamen de leurs dossiers, et enfin un titre de séjour délivré, quel peut-être l'avenir du réfugié ?

L'ensemble des bénéficiaires d'un titre de séjour de plus d'un an (pour l'année 2006), représente 120 000 personnes. Il se compose de conjoints de français, de regroupement familial (liens personnels et familiaux), de résidents de plus de 10 ans et de réfugiés. Ceux-ci représentent 8%, soit 9600 individus. Les conditions d'arrivée sont différentes selon la nature du titre, les personnes réfugiées sont le plus souvent jeunes (29% ont entre 18 et 24 ans, 64% ont moins de 34 ans), et sont rarement en couple (19% sont seules, 26% vivent avec d'autres personnes). Leur réseau relationnel est très faible, la maîtrise de la langue est souvent partielle (42% parle peu le français). De plus, l'accès à l'emploi est fortement lié aux relations, à la pratique de la langue et à l'expérience professionnelle. Parmi les réfugiés français, 47% des hommes et 12% des femmes travaillent (Chiffres basés sur les personnes ayant un 1er titre de séjour permanent en 2006, DREES).

1) EXISTER ou la condition du réfugié

« exister : è-gzi-sté ; du latin existere : sortir de, du préfixe ex :hors de, et de sistere :être établi, posé ; avoir la vie, vivre, en parlant d'être vivant ; être en réalité, représenté dans le temps et l'espace ; avoir une réalité ; exister auprès de quelqu'un de quelque chose, avoir de l'importance, de la valeur ; exister, s'affirmer, se faire reconnaître comme personne aux yeux de la société. »

Grand Larousse Universel, Tome 6, Edition Larousse 1997, page 4058

« Croyez-moi... quand les gens sont dans l'action et qu'il leurs faut un logement, un travail, qu'il faut subvenir à ses besoins, qu'il faut avoir un statut, qu'il faut exister... c'est énormément de pression.... »

Commentaire de Haïat AIT MOUHOU, Assistante Sociale du Centre d'Hébergement Provisoire de la Croix-Rouge à Quetigny

Lorsqu'elle parle des structures administratives et des papiers à remplir qui n'en finissent pas, Hélène évoque l'idée d'une prison dans la mesure ou elle doit, en tant que demandeur d'asile rendre des comptes à l'Etat sur ses actes, faits et gestes. La comparaison n'est pas anodine, bien au contraire. Exister dans un système culturellement différent, sans cesse avec l'obligation de se justifier, de prouver que l'on ne dit que l'entière vérité lorsqu'on raconte ce que l'on a vécu est difficile. Pour Hélène, le fait d'avoir obtenu son statut de refugié lui a facilité la vie. Lorsqu'elle put bénéficier d'un logement à Quetigny, un F3, par le biais du C.P.H., qui la suivait lors de l'acquisition de son statut, cette sensation de prison s'est effacée peu à peu. Elle y habite maintenant depuis 5 années. Agée de 70 ans, elle vit avec une petite retraite de 600 euros, cultive un jardin loué à la mairie. Toujours habillée en noir, sans bagues, anxieuse, diabétique, ayant beaucoup de mal à parler en français, malgré les cours suivie. Elle nous confie qu'elle vit mieux. Sa vie s'est stabilisée. Avant sa naturalisation, effectuée en avril 2008, lors de son entretien, elle avouait que sa condition de vie en tant que réfugié politique, s'améliorait avec le temps surtout avec un logement décent. Maintenant Hélène semble plus posée et reposée. Elle parle de calme en parlant de sa situation actuelle.

Comme tout français ou ressortissant européen, le réfugié peut ainsi bénéficier d'aides financières (APL), ou obtenir un logement social. C'est une véritable étape dans l'intégration. Sortir du Centre Provisoire d'Hébergement, ou d'un foyer, avoir une vraie adresse, ne pas dépendre d'un organisme, c'est exister par rapport aux autres, c'est exister socialement, et comme elle l'exprime « trouver le calme » ; c'est une progression sociale. C'est aussi avoir une vision d'avenir positive, se sentir plus libre psychologiquement. C'est la représentation sociale de son existence. Il y a là, la notion d'établissement dans la durée, la possibilité d'un projet de vie social et familial.

La vie active est le deuxième lien solide avec la société. Logement et travail sont l'un des fondements principaux de la construction d'une citoyenneté à part entière. Sous l'officialisation du statut de réfugié, concrétisée par la carte de séjour, l'individu bénéficiaire a le droit de travailler et, par conséquent d'entrer dans les dispositifs d'insertion par le travail (ANPE, AFPA), d'obtenir le revenu minimum (RMI) ou de bénéficier d'autres aides financières via des organismes concernés comme la CAF. Omar, réfugié politique d'origine soudanaise, possédait une solide expérience de soudure, en Libye et au Soudan. L'accès à une formation de complément

lui a été possible dans le cadre d'une évaluation et d'un bilan de compétence proposé par l'ANPE. Ainsi, de 2005 à 2007, en Côte d'Or, il put travailler dans le secteur du BTP. En ce qui concerne l'apprentissage de la langue, il passa par l'association CESAM, organisme dijonnais lié au Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des Enfants du Voyage (CASNAV)1, directement dépendant du Ministère de l'Education Nationale, favorisant l'éducation des mineurs venus de l'immigration. Pendant la période de la demande d'asile, l'interdiction de travailler est de rigueur.

« on n'a pas le choix... ici, sans travail... cela devient très dur... »

Paroles de Dico

D'origine arménienne, Dico l'un des premiers arméniens arrivés au C.P.H. de Quetigny, fut contraint de s'adapter aux exigences de son pays d'accueil avec toutes ses spécificités. Femme et enfant, dès son statut officialisé, Dico savait qu'il devrait tout mettre en oeuvre pour vivre dans les meilleures conditions possibles. Motivé par sa stabilité familiale (Sa femme est intégrée et sa fille inscrite à l'école) et son jeune âge (30 ans), il a pu bénéficier d'un suivi efficace. Son assistante sociale du C.P.H., a mis en place une réactualisation de ses compétences, elle lui a fait repenser la façon de rechercher un travail, et surtout comment démontrer ses capacités face à un éventuel employeur. Des contacts ont été pris avec l'A.N.P.E., pour l'élaboration de son dossier. Dico a donc envoyé des centaines de C.V., et a persévéré pendant la durée de sa recherche. Après un 1er contrat de 3 mois en C.D.D. dans le BTP, il trouve un C.D.I. (assez rare pour un statut réfugié), dans une chocolaterie locale. La situation peut être difficile lors de l'entretien lorsque le réfugié doit mentionner son statut ou lorsqu'il doit expliquer pourquoi il a passé des années sans travailler. Il se retrouve aux yeux des employeurs dans la même situation qu'un chômeur ou qu'un bénéficiaire du RMI qui n'a pas fait ses preuves dans la vie active. Il faut noter qu'il n'existe pas de type de contrat spécifique pour les réfugiés politiques : ils sont des demandeurs d'emploi comme les autres et rentrent dans le cadre général du régime commun. Dico s'est adapté à la vie française, établissant un réseau de contact et d'amitié (collègues français, algériens, réfugiés arméniens), il possède une voiture et un logement décent. Cependant, cela n'a pas été facile au départ, car il a été fragilisé par la rupture avec sa culture d'origine.

« Paradoxalement le statut ... c'est une délivrance mais c'est aussi une pression... par où je commence le travail... la maison... »

Paroles de Dico

1 Anciennement CEFISEM, crée en 1975, devenu CASNAV en 2002.

Si le fait pour les demandeurs d'asile d'obtenir leur statut les délivre d'un poids considérable, il n'empêche que de nombreuses responsabilités leur tombent dessus au même moment : l'avenir est alors à construire car il devient possible. Force est de constater que le réfugié ne s'est pas du tout préparé au but de son voyage ; ses actions ne sont établies que pour des finalités à court terme. Il ne pense pas généralement à la durabilité de sa vie dans son pays d'accueil. Il peut donc y'avoir un choc psychologique qui fait suite à la joie d'avoir le statut de refugié. Heureusement, les refugiés trouvent à leur disposition de nombreux organismes qui peuvent les orienter et les appuyer pour qu'ils puissent s'insérer au mieux dans la société française.

Dans le cadre officiel, et selon la Convention de Genève, les réfugiés politiques ont les mêmes droits que les nationaux. Ainsi l'accès au travail, aux soins, aux aides sociales, sont inscrits dans le Contrat d'Accueil et d'Intégration (CAI voire en annexe). C'est un dispositif national d'insertion par l'apprentissage de la langue, des droits et des devoirs dirigé par un organisme, l'Agence Nationale d'Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM), créé lors de la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005. Ce contrat en place s'est étendu à l'ensemble des départements français à partir de 2006. Au 31 décembre 2006, il représente 207 805 contrats. Ce contrat stipule deux engagements, celui de l'Etat qui met en oeuvre une visite médicale, un bilan linguistique, une formation linguistique, civique et sociale, et celui du signataire, respectant ce contrat par sa présence et son assiduité.

2) DEVENIR ou la naturalisation : la solution ?

« devenir : du latin devenire :arriver à ; traduit le passage d'un état à un autre ; mouvement progressif par lequel les choses se font ou se transforment ; avenir ou futur de quelqu'un ; évolution dans l'histoire de la réalité des choses, du monde. »

Grand Larousse Universel, Tome 5, Edition Larousse 1997, page 3196

Les principales conditions à remplir pour demander la naturalisation en tant que réfugié sont d'avoir son statut en règle, « d'être assimilé à la société française » (avoir une pratique suffisante du français) et « d'être de bonne vie et de bonnes moeurs » (ne pas avoir subi certaines condamnations). Cette demande se fait personnellement à la préfecture, qui est transmise au Ministère des Affaires Etrangères, celui-ci, en cas de décision favorable, établira un état-civil français (acte de naissance français). Lors de la remise officielle d'un livret de nationalité, la naturalisation est rendue officielle, en présence du préfet ou de son représentant, par la délivrance d'une lettre en tant que citoyen français du Président de la République, une ampliation du décret signé par le Premier Ministre et le Ministre chargé de la naturalisation.

Dico dû passer deux entretiens et un test de capacité à l'expression française pour obtenir sa carte d'identité nationale; ces examens se sont déroulés dans les bureaux du Commissariat de Police de Dijon.

En 2006, 40.28% des nouveaux français étaient auparavant des réfugiés politiques.

Une simple finalité administrative ?

Cette idée est généralement confuse dans l'esprit des réfugiés. Pour eux, c'est d'abord une nécessité administrative, une suite logique au long cheminement accompli. Sans cette procédure de naturalisation, les personnes interrogées ressentent un manque de reconnaissance. Un logement, une adresse, un travail ou une petite retraite, n'ont pas la même valeur officielle que la nationalité française. Ils sentent le besoin d'obtenir aux yeux de leur pays d'accueil une identité véritablement légitime.

Une protection ?

Il ne faut pas oublier qu'avant de venir en France, les personnes interrogées dans le cadre du mémoire, ont souvent fuit leur pays pour des régions limitrophes. Ils ont déjà subi un passé de réfugié : pour Cyprien ce fut le Mozambique, pour Omar la Libye, pour Hélène la Russie, et pour Dico la Russie. Certains réfugiés vécurent ainsi des périodes répétées où l'idée d'égalité avec les autres nationaux n'était que de façade. Un sentiment de racisme, de méfiance permanent règne souvent à l'encontre des minorités ethniques dans les différents Etats que les demandeurs d'asile peuvent être amenés à traverser. De 1994 à 1999, la famille de Dico avait l'obligation de montrer en permanence ses papiers1, subissant parfois les brimades de la milice et des autorités russes. Les personnes étrangères de couleur devaient souvent montrer leur autorisation de séjour aux immigrés ou alors leur donner de l'argent pour pouvoir circuler librement. Après 1999, sa famille ne reçut plus d'autorisation de séjour (ce fut le cas pour les réfugiés établis en Russie); commença alors une période de clandestinité.

« Depuis la guerre des tchétchènes tout le temps la police demande les papiers ...elle regarde les personnes noires ... ou t 'as autorisation ou alors tu payes quelque chose... »

Paroles de Dico

1 L'autorisation de séjour est renouvelable tous les 6 mois

Pour les russes, les personnes noires représentent les immigrés, ceux qui se sont réfugiés dans les régions frontalières du Caucase, ceux qui ne sont pas russes. Beaucoup de régions ont obtenu leurs indépendances depuis la création de la CEI. L'effondrement de l'empire soviétique, et depuis 1999, avec la guerre entre la Russie et la Tchétchénie, les pays caucasiens ont vu fuir les minorités de leur pays vers d'autres régions notamment la Russie. Cette période charnière a engendré beaucoup de conflits internes sur certaines régions litigieuses, sur les différentes ethnies ou confessions religieuses. Cela a eu comme conséquence la montée d'un racisme nationaliste russe envers cette immigration. Ce fut le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan qui obligea la famille de Dico à fuir son pays d'origine pour se réfugier en Russie1.

Hélène, de mère russe, et de père allemand, vivait en Géorgie avant de fuir vers la Russie2. Cyprien, lui, dût fuir le conflit rwandais, passant du Congo au Mozambique, poursuivi par des bandes organisées continuant à traquer les hutus hors de leurs frontières.

Toutes ces expériences traumatisantes expliquent que les refugiés voient souvent l'obtention de la nationalité française comme une protection contre le fantôme passé de la répression politique.

Par ailleurs, l'obtention de la nationalité française permet aussi aux personnes récemment naturalisées de pouvoir se projeter sur le long terme, de pouvoir renouer de véritables contacts avec la famille restée au pays. Installés en France, ils pensent souvent à faire venir leurs parents ou leur famille. Cette volonté de retrouver les siens naît d'un sentiment de solitude ou de culpabilité. Dico dut partir avec sa femme et sa fille, ils étaient alors âgés d'une vingtaine d'année. C'est son père qui a décidé que lui seul partirait, le passage coûtant trop cher, environ 10 000$, laissant derrière lui sa famille et celle de sa femme. Lorsqu'il eut la nationalité en 2005, il voulut repartir en Russie. Son père étant mort, il se sentit responsable de la sécurité de son frère, de sa propre mère et de la mère de sa femme restés en Russie. Son frère refusa de venir en France : il est de tradition chez les Arméniens qu'un homme ne doive pas laisser des femmes seules dans le besoin et il ne pouvait donc pas venir en France et laisser notamment sa mère, qui elle était trop âgée et refusait de venir en France construire une nouvelle vie.

Certes, ils ont acquis leur carte d'identité française, obtenu un logement, et pour certain un travail, mais ils ont un passé enraciné dans des conflits ethniques et géopolitiques que le système administratif ne peut résoudre par un simple tampon et une signature.

1 Conflit entre 1988 et 1994, sur l'occupation arménienne du territoire du Haut-Karabagh situé en Azerbaïdjan, conflit qui ne s'est toujours pas apaisé et qui a provoqué la répression et le déplacement de population arménienne

2 conflit en Abkhazie, région séparatiste de Géorgie, qui dès 1992 demanda son indépendance

Quelle identité pour ces nouveaux français ?

« ...

- Vous vous sentez de quel pays ? France, Russie, Géorgie ?

- Je ne sais pas ... c'est trop dur...

- Dans le coeur ?

- C'est les enfants...

- C'est le pays de vos enfants ?

- Voir les enfants ... moi habite en France... c'est fini pour moi Georgia.... »

Entretien avec Hélène

Pour les nouveaux Français, la question de leur état d'esprit et de leur possible projection dans l'avenir se pose. Pour Hélène, même si elle attend toujours sa naturalisation, elle se sent française, ou plutôt, elle ne se sent plus géorgienne, voulant finir sa vie en France avec son petit jardin, sa retraite. Son fils, a lui obtenu la nationalité française, s'est marié avec une française, et est rentré dans l'armée. Etant plus jeune, et s'étant intégré par le travail, il se sent plus Français que sa mère.

Quant à Omar, il se sent Soudanais et français, mais c'est très flou ; son projet n'est pas de s'installer en France, en raison de sa formation, il a plutôt le désir de travailler dans les stations off-shore, à l'étranger.

Une famille, sa fille à l'école, un CDI, Dico est le plus inséré socialement ; mais là encore, il se sent Français, Arménien et Russe. Il ne pense pas repartir dans son pays mais plutôt s'installer définitivement ici, en France.

Entre les demandeurs d'asile, les réfugiés politiques et ceux devenus français, il y'a dans le cadre de cette étude un point commun qui les relie: le pays d'accueil. Leurs destins sont différents, leurs vies ne sont pas les mêmes et leurs ambitions divergent. La France devient pour eux une escale, une étape dans leurs vies. La constatation est que parmi les personnes intervenues dans les entretiens, personnes n'a dans le passé vraiment rêvé de vivre en France et certains prévoient même de retourner dans leur pays dés que cela leur sera possible. Ainsi, Venantia prévoit sérieusement de retourner au Congo si elle est naturalisé pour développer là bas un projet de développement d'établissements scolaires et contribuer au développement de son pays d'origine. Sous cet angle, Dijon semble aux yeux des demandeurs d'asile comme un quai d'une gare ou un hall d'aéroport : beaucoup se croisent, certains s'arrêtent, d'autres repartent, tout cela dans l'espoir d'arriver à un point ou le bonheur puisse être enfin trouvé et le quotidien en mesure de bénéficier d'un peu d'enchantement.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Finalement, au terme de cette étude sur les demandeurs d'asile français et plus spécifiquement dijonnais, il paraît évident que leur situation est bien plus complexe et périlleuse que ne le laissent entendre les discours fallacieux et réducteurs entretenus par de nombreux gouvernants actuels. L'amalgame est constamment fait entre migrants économiques, demandeurs d'asile, clandestins, personnes en attente de régularisation ou d'attribution de la nationalité française. Le débat public en devient confus, passionné, déraisonné, ce qu'à très bien souligné l'historien Gérard Noiriel, qui pour protester contre le récent « Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale », n'a pas hésité à démissionné en Mai 2007 de la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration. Celui-ci estimait, à juste titre que cette appellation ne pouvait que conforter des préjugés malsains, clairement négatifs et excluant en ce qui concerne « l'étranger ».

Quoi qu'il en soit, nous avons lors de nos nombreux entretiens, partagé avec les demandeurs d'asile divers « morceaux de vie », tous aussi tumultueux, différents, les uns les autres dans leur singularité et leur spécificité. Au moment où nous rédigeons ces lignes, nous venons d'apprendre qu'Hélène a obtenu en Avril la nationalité française et que Venantia et François ont depuis nos derniers entretiens acquis le statut tant attendu de réfugié.

Les témoignages que nous avons recueillis, les discussions que nous avons eues avec les divers travailleurs sociaux, médecins, fonctionnaires nous ont amenées à être directement exposés à leurs doutes et incertitudes quant au bien fondé du traitement réservé ces dernières années aux demandeurs d'asile, dont la situation psychologique, matérielle, identitaire se trouve durant un laps de temps variable et non clairement définie tout simplement en suspens. La plupart des acteurs professionnels dijonnais qui leur viennent en aide au quotidien affichent clairement leur volonté et leur satisfaction de pouvoir leur apporter une aide mais regrettent dans un même temps le désengagement financier évident, progressif de la part de l'Etat qui leur accorde chaque année de moins en moins de moyens pour les prendre en charge dignement.

Sans nier la qualité des décisions de l'OFPRA et de la CRR, ni remettre en cause le caractère infondé de certaines demandes, on peut tout de même constater que les délais raisonnables d'instruction des affaires liés aux demandeurs d'asile sont de plus en plus aléatoires.

La volonté de la France mais plus globalement de l'Europe de réduire absolument et à tout prix les
flux migratoires, se fait souvent au détriment des droits reconnus aux demandeurs d'asile par la
Convention de Genève. Ainsi, depuis 1995, la déclaration de Barcelone qui met en place le

partenariat euro-méditerranéen impose au Maroc de sous traiter la politique d'immigration européenne. Le Maroc se trouve en effet dans la dure position de devoir empêcher par tous les moyens appropriés et souvent au déni des droits de l'homme tout immigré africain, quelle que soit son origine de passer par son territoire pour se rendre en Europe. Dans les faits, cela se traduit par de mauvais traitements infligés aux nombreux migrants qui se réunissent dans des camps informels constitués notamment dans la Foret de Bel Younes, heureusement relayés de temps à autres par l'équipe de Médecins Sans Frontières. Quoi qu'il en soit, cette répression s'exerce à l'égard de tous types de migrants et dans la pratique, les autorités ne cherchent pas à savoir si une personne fuit son pays pour survivre et « pour son combat en faveur de la liberté ».

En France, la CNCDH qui s'inquiète du traitement réservé parfois aux demandeurs d'asile rappelle que tout étranger résidant sur le territoire national bénéficie d'un certain nombre de droits qui doivent impérativement être respectés en toutes circonstances, notamment ceux d'accès aux soins, à l'éducation et d'hébergement d'urgence en cas de détresse sociale.

Cette peur de tout ce qui vient de l'étranger est d'autant plus intrigante qu'un rapport de l'ONU de 2000 prévoit que l'Europe, compte tenu de son vieillissement, devrait de nouveau faire appel d'ici 2050 à entre 47,5 et 150 millions d'immigrés! Cela viserait le maintien de la population européenne et la préservation de l'équilibre de 4 à 5 actifs pour un retraité. Aussi, plus récemment, le rapport de la Commission parlementaire présenté par Jacques Attali en Janvier 2008, chargée de trouver une issue pour « libérer la croissance » prône même le recours à l'immigration: pour « faire face à un marché du travail en tension », l'immigration apparaît comme un « facteur de développement de la population » et en tant que telle comme une source de création de richesse, donc de croissance.

Sous l'effet de la mondialisation, l'immigration va d'ici quelques années s'intensifier et d'elle va dépendre le sort de nos sociétés modernes, tant du point de vue de leurs structures économiques que démographiques. Il y a de grandes chances qu'elle transforme le monde global tel que nous le connaissons aujourd'hui et le rôle qu'elle sera amenée à jouer dans le cadre du métissage des cultures, de l'intercompréhension des civilisations devrait être de plus en plus majeur. Le traitement qui est aujourd'hui réservé en France aux demandeurs d'asile, reste révélateur de la méfiance qui subsiste face à « l'autre ». Il est temps que l'Europe comprenne que nous entrons dans l'ère de la mobilité et que plutôt que réduire à tout prix et avec démesure les flux migratoires, il convient plus que tout de les réglementer justement et sans entretenir la peur.

BIBLIOGRAPHIE

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LALLEMAND M. (sous la dir. De R.PORTEILLA). Les Murs invisibles de la politique d'immigration européenne : réflexions sur la notion de pré-frontière. Mémoire de Master 2 (2007).

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POLLACK M. L'Expérience concentrationnaire : essai sur le maintien de l'identité sociale. Paris, Éditions Métailié, 1990

REBETZ C. et ROBERT P. Nature de la torture . Une Perspective psychologique et légale. Université de Genève

RICOEUR P. La Métaphore vive. Points Gallimard (1975)

ROUSSEAU C. et FOXEN P Le mythe du réfugié menteur : un mensonge indispensable ?. L'évolution psychiatrique 71 (2006).

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VINAR M Exil et torture . (1989), Denoël.

VUILLEMIN E. Entre-deux: l'attente de statut et ses répercussions sur l'insertion du réfugié mémoire de 2002, IRTESS

Annexes

Annexe 1 : questionnaire type pour les entretiens

· NOM / PRENOM

· PAYS D'ORIGINE

· AGE

· SEXE

· PROFESSION

Parcours professionnel Etudes

· RELIGION

· FAMILLE

· NOMBRE D'ENFANTS

· SITUATION ADMINISTRATIVE ou REGIME

Demandeur d'asile Autre

· PRISE EN CHARGE

Quelle association vous prend charge aujourd'hui ?

Quels sont les autres organismes qui vous ont pris charge avant ? (par ordre chronologique)

· COUT FINANCIER DU VOYAGE

Comment êtes vous parti de votre pays ? (passeurs, en groupe, pirogue, train, avion) Voulez vous rester en France ?

Voulez vivre en France ?

· POINT DE VUE

La France, Terre d'accueil ?

Les ONG en France ?

Les OG en France ?

Les ONG dans votre pays d'origine ? Les OG dans votre pays ?

Etait-ce que vous aviez voulu ?

Annexe 2 : carte des aides locales

PREFECTURE DE CÔTE D'OR

Rue de la Préfecture,2 1000 Dijon

Passage nécessaire pour réaliser le dossier de demandeur d'asile (« dossier OFPRA ») et obtenir en attendant la carte de résident temporaire. Renseigne aussi sur l'offre d'hébergement et les associations ou institutions locales.

Deux passages sont nécessaires (prise d'empreintes obligatoires via les bornes Eurodas)

SCODA ( Service de Coordination et d'Orientation des Demandeurs d'Asile)

AFTAM ( Association pour la Formation des Travailleurs Africains et Malgaches) Rue de la Houblonnière, 21000 Dijon.

Réunion de deux associations d'aide et de conseils aux demandeurs d'asile en matière de procédure et d'hébergement à destination des primo-arrivants. Sa priorité est le problème d'urgence relatif au logement et à l'alimentaire.

Le SCODA oriente les primo-arrivants selon qu'il s'agit de familles (vers la résidence Blanqui à Dijon) ou de majeurs seuls (vers le foyer Sadi Carnot).Le SCODA/AFTAM a des contacts quotidiens avec la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS) qui les autorise ou non à prendre en charge les primo-arrivants selon les cas. Ces deux associations ont également en charge le plan hivernal concernant les personnes errantes dans les rues.

Les services :

- aide à la domiciliation postale ( ? CSF) afin de permettre aux primo-arrivants de constituer leurs dossiers (obligation de domicile postal)

- financement des photographies d'identité et des documents constitutifs du dossier OFPRA

- recherche et consultation d'interprètes (? CSF Paris et son service d'interprétariat en ligne)

- réservation de chambres dans des hôtels volontaires

- orientation vers le PASS pour le bilan de santé

- écoute et restauration de premiers temps

- recherche d'un hébergement stable (? CADA)

Aujourd'hui le SCODA de Dijon, le premier qui est aussi AFTAM en France gère plus de 300 personnes par an.

COORDINATION RÉFUGIÉS DE CÔTE D'OR

Plateforme régionale regroupant des acteurs associatifs (AFTAM,CIMAD, Secours Catholique) et des partenaires institutionnels (ADOMA,DDASS,DDET) qui se réunit mensuellement à la DDASS de Côte d'or afin de faire le point sur les demandes d'asile et leur prise en charge.

COLLECTIF SOS REFOULEMENT et CSF (Confédération Syndicale des Familles)

Permanences juridiques : à la CSF, rue Vaillant, 21000 Dijon.

Aide à la constitution du dossier OFPRA et lutte contre les discriminations et le non-respect des droits des primo-arrivants, service gratuit de domiciliation postale

ANAEM (Agence Nationale d'Accueil des Etrangers et des Migrations)

Rue du Chapeau Rouge, 21000 Dijon.

Organisme national de renseignements et de protection des demandeurs d'asile et des migrants en général. Services :

L'entrée en France.

L'ANAEM participe aux procédures d'introduction en France des étrangers en situation régulière, au titre du travail ou du regroupement familial principalement.

La visite médicale.

L'ANAEM effectue la visite médicale réglementaire de l'ensemble des étrangers admis à séjourner durablement en France. (? PASS)

L'accueil et l'assistance.

L'ANAEM accueille les étrangers en situation régulière à leur arrivée sur le territoire national. Elle leur propose de signer le Contrat d'Accueil et d'Intégration (CAI) désormais obligatoire. Par ailleurs, l'ANAEM a la responsabilité des actions spécifiques à destination des demandeurs d'asile et des demandeurs de regroupement familial.

Le retour dans le pays d'origine.

L'ANAEM met en oeuvre les dispositifs d'aide au retour des étrangers en situation de détresse sociale. L'Agence assure également sous certaines conditions un accompagnement social et financier des migrants porteurs d'un projet économique désireux de regagner leur pays d'origine.

L'emploi des Français à l'étranger.

L'ANAEM participe au développement du réseau public de placement à l'international (Espace Emploi International) en collaboration avec l'Agence Nationale pour l'Emploi (ANPE).

La lutte contre l'emploi illégal des étrangers.

L'ANAEM participe à la lutte contre l'exploitation en France de travailleurs étrangers en situation irrégulière, en effectuant le recouvrement de l'amende administrative appliquée aux employeurs délictueux.

SECOURS CATHOLIQUE

Boulevard Voltaire,2 1000 Dijon

Aide à l'élaboration du dossier OFPRA, accompagnement, information sur les droits et obligations.

RESTO DU COEUR

Trois centres à Dijon. Les demandeurs d'asile y trouvent écoute, aide alimentaire et distribution vestimentaire.

CENTRE PROVISOIRE D'HEBERGEMENT CROIX-ROUGE FRANCAISE

Boulevard Champs aux Métiers, Quetigny

Aide sociale, hébergements (35 places) et aide au logement pour les réfugiés politiques.

CADA (Centre d'Accueil des Demandeurs d'Asile)

Centres d'hébergement pour les demandeurs d'asile dont le dossier est en cours d'instruction
auprès de l'OFPRA. Les CADA Les Verriers et Samuel Beckett sont les principaux foyers

d'hébergement de Dijon, situés dans les locaux de l'ADOMA. La Croix-Rouge Française en administre également un (de 75 places, le plus important de France) rue Auguste Blanqui.

DRAFA (Développement de réseaux associatifs entre la France et l'Afrique) Maison des Associations rue des Corroyeurs à Dijon. Permet aux migrants africains de garder le contact avec leurs cultures par des actions de sensibilisation.

PASS (Permanence d'Accès aux Soins de Santé)

Hôpital Général de Dijon.

Ce sont des cellules de prise en charge médico-sociale destinées à faciliter l'accès des personnes en situation précaire au système hospitalier, aux réseaux de soins et d'accompagnement social Les permanences d'accès aux soins de santé sont mises en place par les établissements publics de santé et par les établissements privés qui participent au service public hospitalier dans le cadre du PRAPS (Programme Régional d'Accès à la Prévention et aux Soins).Même si les PASS ne sont pas destinés spécifiquement aux demandeurs d'asile, beaucoup de primo-arrivants y ont recours dans leurs démarches de santé.

Services : tous types de soins, suivi des traitements, sensibilisations pédagogiques,écoute.

CIMADE (Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués)

Boulevard de Brosse, 21000 Dijon

Accueil des étrangers, défense des droits sociaux et constitutionnels, formation et accompagnement à l'insertion.

CASNAV (Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage)

Aide à la scolarisation des mineurs étrangers. Organisme dépendant de l'Education Nationale et intégré à l'Académie locale.

SAMU SOCIAL ou « 115 »

Le 115 a pour mission d'informer, d'orienter et/ou héberger les personnes isolées ou en famille, sans domicile fixe .Ses missions se fondent pour partie sur la Loi d'Orientation relative à la lutte contre les exclusions du 27 juillet 1998 : évaluer l'urgence de la situation de la personne ou de la famille en difficulté, proposer une réponse immédiate en indiquant notamment l'établissement ou le service approprié, tenir à jour l'état des différentes disponibilités d'accueil dans le département.

Annexe 3 : Glossaire

- OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides - CRI : Croix-Rouge Internationale

- HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés (ONU)

- CRR : Commission des Recours des Réfugiés

- DDT : Direction Départementale du Travail

- DPM : Direction des Populations et des Migrations

- CESEDA : Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile - APS : Autorisation Provisoire de Séjour

- ADOMA/SONACOTRA : Société Nationale de Construction de Logements pour les Travailleurs

- CNCDH : Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme - FAAR : Formation et Accueil des demandeurs d'Asile et Réfugiés

- CMU : Couverture Maladie Universelle

- COMEDE : Comité Médicale des Exilés

Annexe 4 : Contrat d'Accueil et d'Intégration (CAI) délivré par l'ANAEM

Annexe 5 : exemple d'une insertion réussie d'un demandeur d'asile des années 70

Publié dans le Bien Public du jeudi 18 janvier 2007

A DIJON DEPUIS VINGT-CINQ ANS

Benito Alcapia : « La France m'a beaucoup donné »

« Je suis un partisan acharné de la formation tout au long de la vie »

Réfugié politique accueilli par la France en 1973 après le coup d'état du Général Pinochet, Bénito Alcapia, Chilien naturalisé Français depuis deux ans, raconte son long parcours d'intégration en France et surtout à Dijon où il s'est posé il y a vingt-cinq ans.

C'est un personnage, Bénito. Son feutre noir et son visage marqué lui donnent l'allure d'un Al Capone un peu triste des vallées andines.

Sauf qu'il vit à Dijon depuis un quart de siècle.

En vadrouille sur le marché, il serre des dizaines de mains, tant il est connu.

Marié à une Bourguignonne et père de deux enfants, cet exilé chilien regarde aujourd'hui l'avenir avec plus de douceur.

Les années de plomb sont passées

Né à Santiago du Chili, Bénito Alcapia grandit dans une famille d'ouvriers entouré de neuf frères et soeurs. « Je me suis engagé très jeune dans la politique, confie t'il.

Mais en 1973, avec l'arrivée de Pinochet au pouvoir, ma mère prend peur et conseille à ses enfants de partir. J'ai alors 22 ans. »

Rêveur, il est pétri de l'idéal du Che. Il rejoint l'Argentine où il est modéliste en chaussures. L'exil n' a pas calmé ses démangeaisons politiques.

En 1976, le Général Videla arrive au pouvoir. Bénito connaît la clandestinité et subit les persécutions de l'armée.

« C'est grâce à l'ONU que j'ai pu quitter l'Argentine. J'ai été traqué jusqu'à l'aéroport.

La France a été le premier pays à m'accueillir. J'y suis arrivé le 24 décembre 1976. Elle m'a sauvé. »

Franco-chilien

Il débarque à Besançon, ignore tout du pays de Voltaire, est stupéfait par le Haut-Doubs sous la neige.

Il est adroit au foot, le petit Chilien, ce qui lui vaut d'être remarqué par une entreprise d'articles de voyages.« Il m'ont donné un boulot à la chaîne. J'y suis resté deux ans. Mais, bien sûr, je rêvais d'autre chose. Je pensais que si j'y mettais de moi, je pouvais mieux m'intégrer. J'ai tiré le levier. J'ai fait deux ans d'études de psychologie à Besançon. »

Il bifurque à Dijon pour y passer sa licence mais l'abandonne faute d'argent. Cette fois, il enchaîne les petits boulots.

La Chambre de Commerce lui propose de donner des cours d'espagnol. Il s'aperçoit qu'il aime l'enseignement.

L'Université lui confie des cours et il part valider ses connaissances à Nanterre pendant 3 ans. « Je suis un partisan acharné de la formation tout au long de la vie, explose t'-il. »

Le choix

1990. La démocratie chrétienne est revenue au Chili. Il a le choix entre un nouveau statut de réfugié politique, une résidence permanente en France renouvelable tous les dix ans et la naturalisation. Il choisit cette dernière.

« Je partage aujourd'hui ma vie professionnelle entre un travail de surveillant de nuit dans un foyer d'adultes en réinsertion et des vacations à la fac. Ma formation en psychologie m'a servi. » Il a encore tiré le levier.

Il est retourné une première fois au Chili après la chute de Pinochet. Il fait une moue. » On sentait encore le militaire...mais les retrouvailles avec ma mère, c'était comme si je ne l'avais jamais quittée...Son visage s'attendrit.

Bénito est un poète.

« Dans chaque Chilien se cache l'âme d'un poète, dit-on là-bas. »

Et de citer Pablo Neruda:

« Los recuerdos son

traidores, se

enfuman cuando

se les quiere evocar »*

Il pose sa tasse de café, remet son chapeau. « Comme lui, j'avoue que j'ai vécu. »

Bernadette PALLEGOIX

* les souvenirs sont des traîtres qui se dérobent dès qu'on les évoque.

Réfugié politique accueilli par la France en 1973 après le coup d'état du Général Pinochet, Bénito Alcapia, Chilien naturalisé Français depuis deux ans, raconte son long parcours d'intégration en France et surtout à Dijon où il s'est posé il y a vingt-cinq ans.

Annexe 6 : Guide de la demande d'asile en Côte d'or

Photographie première page de couverture : Source UNHCR/533/1961 S. Wright






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