II-2- Le canal étroit du crédit
Le canal étroit du crédit (ou strict) du
crédit s'appuie sur la spécificité du crédit
bancaire par rapport aux autres moyens de financement. Le crédit
bancaire constitue le moyen de pallier les insuffisances du marché
financier qui résultent de l'imperfection de l'information.
Il y a une imparfaite substituabilité entre les
sources de financement externes et internes pour les différents agents
économiques. De plus au sein même du financement externe le
financement bancaire est imparfaitement substituable au financement direct
à la fois à l'actif du bilan des banques (du point de vue des
préteurs) et au passif du bilan des agents économique (du point
de vue des emprunteurs).
D'une part, certains investisseurs n'ont pas accès
au marchés financiers et dépendent des banques pour le
financement externe, il s'agit essentiellement des petites et moyennes
entreprises et des ménages. Le coût du crédit bancaire est
plus faible que celui d'un endettement obligataire pour les PME.
D'autre part, les banques elles-mêmes
considèrent que les réserves, les titres et les crédits
qu'elles nourrissent à leur actif ont une substituabilité
imparfaite, de même que les différentes formes de dettes qu'elles
émettent à leur passif.
Le canal des prêts bancaires énonce que la
dépendance de certaines entreprises du financement bancaire en
présence d'asymétrie d'informations peut transférer les
variations de l'offre de monnaie à l'activité réelle par
l'intermédiaire du volume des prêts distribués.
Illustrons le raisonnement par une politique
monétaire restrictive pesant sur la liquidité bancaire. En
vendant des titres publics à l'Open Market, le bilan de la Banque
Centrale est modifié par une réduction simultanée des
titres à l'actif et des réserves au passif.
Cette restriction monétaire n'a pas le même
effet sur les banques. Il y a une baisse des réserves bancaires et une
augmentation de leur portefeuille titres accompagnée par une hausse du
taux d'intérêt sur le marché monétaire. Or les
banques ont une contrainte de liquidité car :
- Les dépôts à vue les exposent
à des risques de retrait de la clientèle : risque
d'illiquidité.
- Certaines ressources sont soumises au système
des réserves obligatoires.
Le passif bancaire diminue en conséquence car la
baisse des réserves se répercute sur certains dépôts
par la logique des réserves obligatoires.
Pour retrouver leur ratio de liquidité, les
banques ont trois possibilités :
- Les agents non financiers considèrent que les
dépôts à vue sont substituables aux titres publics, ils
peuvent utiliser leurs dépôts à vue pour acheter les titres
acquis par les banques auprès de la Banque Centrale ce qui augmente le
taux d'intérêt sur le marché des titres. Cette augmentation
se propage aux autres actifs. Il y a ajustement et le crédit bancaire ne
varie pas. Le canal de transmission dans ce cas est le canal monétaire.
Il va se traduire par une augmentation du taux d'intérêt sur tous
les marchés de façon identique (marché du crédit et
marché de la monnaie).
- Si les agents non financiers voient que les
dépôts à vue sont substituables aux autres
exigibilités bancaires notamment les certificats de dépôts,
ils utiliseront leurs dépôts à vue pour acheter les
certificats de dépôts (qui exigent moins de réserves
obligatoires et pas de réserves de précaution) émis par
les banques. Il y a ajustement par une modification du passif bancaire et le
crédit reste inchangé.
- Si les agents non financiers jugent que les
dépôts à vue sont des actifs particuliers car ils ont une
valeur nominale garantie, il n'y a pas d'arbitrage possible et les banques se
verront obligées de réduire les crédits.
Pour que le canal de crédit fonctionne, il faut
donc une imparfaite substituabilité entre les titres (obligations) et
les prêts bancaires (à l'actif du bilan des banques), mais surtout
une imparfaite substituabilité entre les dépôts à
vue, les autres dettes bancaires et les obligations détenus par les
agents non financiers.
Bernanke et Blinder [1988] explicitent ces arbitrages,
comme il est déjà cité au dessus, dans un modèle
comprenant trois actifs, la monnaie, le crédit et les titres
obligataires. Dans un modèle IS-LM prolongé qui est un
modèle néokéynesien d'économie fermé
à prix fixes, le marché de la monnaie est décrit par une
courbe LM conventionnelle, L'offre de monnaie résulte d'une
multiplication des réserves bancaire, le coefficient multiplicateur
étant une fonction croissante du taux d'intérêt obligataire
(plus le taux obligataire est élevé, plus les réserves
excédentaires induisent un coût d'opportunité important
pour les banques). La demande de monnaie décroît avec le taux
obligataire et croît avec le revenu agrége. Le marché de
crédit nécessite un commentaire plus détaillé. Les
préteurs comme les emprunteurs arbitrent entre le financement
obligataire et le financement à crédit en fonction des taux. La
demande de crédit est une fonction décroissante du taux
débiteur bancaire, mais croissante du taux obligatoire et de revenu
agrégé (le revenu étant une variable indicatrice du
financement interne). L'offre de crédit quant à elle augmente
avec le taux débiteur (absence de rationnement) mais diminue avec le
taux obligataire (effet de substitution). Enfin, le marché des biens est
soldé par une courbe IS qui décroît avec le taux
obligataire et le taux débiteur bancaire, les deux modes de financement
externe contraignant la demande agrégée.
Bernanke et Blinder isolent la courbe LM et
agrègent les marchés du crédit et des biens dans une
courbe représentative CC (commodities and credit). Comme la
courbe IS et pour des raisons similaires, la courbe CC présente une
liaison négative entre le taux obligataire et le revenu
agrégé. En revanche, la courbe CC est affectée par
n'importe quel choc exogène pesant le taux débiteur, notamment
une variation des réserves.
Ainsi, une politique monétaire restrictive (reprise
de liquidités bancaires par exemple) déplace la courbe LM vers la
gauche. Si le crédit et les titres étaient des substituts
parfaits, la courbe CC se confondrait avec une courbe IS et ne subirait aucune
modification. De l'équilibre initial (Y, i), l'économie passerait
à l'équilibre (Y1, i1), reflétant le canal
monétaire traditionnel : la demande excédentaire de monnaie
serait résorbée par une hausse du taux obligataire. Si le
crédit et les titres sont des substituts imparfaits en revanche, la
courbe CC se déplace vers la gauche et l'équilibre final se situe
éventuellement en (Y2, i2). Le canal du crédit bancaire renforce
le canal monétaire: la réduction des réserves
entraîne une réduction des dépôts et des
crédits offerts par les banques. La demande excédentaire de
crédit est alors apurée par une augmentation du taux
débiteur et une réduction du taux obligataire en raison d'un
arbitrage crédit-titres à l'actif des banques et un arbitrage
dépôts-titres à l'actif des agents non financiers. La
restriction monétaire initiale réduit la dépense
agrégée via un effet de liquidité (passage de Y à
Y1) auquel s'ajoute un effet de disponibilité du crédit (passage
de Y1 à Y2). En définitive, on conçoit qu'en fonction des
élasticités relatives de substitution réserves-titres et
titres-crédit dans les actifs bancaires, une politique monétaire
restrictive réduise le taux obligataire (passage de i à
i2) contrairement à ce que le seul effet de liquidité laisse
présager dans le canal monétaire. Dès lors, le taux
d'intérêt obligataire n'est pas un indicateur pertinent pour
caractériser le contenu restrictif ou expansif d'une politique
monétaire.
Graphique 3 : Effet d'une politique
monétaire restrictive
Le modèle du canal du crédit bancaire
suppose un système financier qui est basé sur le principe du
multiplicateur de la base monétaire où les banques n'accordent de
crédit que si elles disposent au préalable de réserves
excédentaires : c'est le cas des économies de marchés. Il
est donc difficile de trouver une justification empirique du canal du
crédit bancaire dans un système financier d'une économie
d'endettement où l'offre de crédit ne nécessite pas de
réserves bancaires au préalable puisque l'on est dans une logique
de diviseur de crédit
Par contre pour d'autres auteurs comme Stiglitz et Weiss
(1981), les banques qui gèrent les problèmes liés aux
asymétries d'information (anti-sélection et/ou aléa moral)
peuvent être conduites à rationner leur offre de crédits
plutôt que d'augmenter leur taux d'intérêt débiteur.
La contraction de l'offre de crédit bancaire a pour conséquence
une augmentation de la prime de financement externe pour les emprunteurs
dépendants des banques qui seront obligés de réduire leur
activité.
En conclusion, le canal étroit du crédit
fait ressortir un aspect quantitatif dû à un effet de rationnement
qui influence l'activité des PME dépendantes des banques. Il y a
aussi un effet de taux d'intérêt du crédit bancaire qui
peut être le résultat de l'effet quantité ou bien la
conséquence des conditions débitrices des banques.
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