PARTIE 1: DES VISIONS DE LA TECHNIQUE
La technique chez les Grecs
Tekhnè et poïésis
La poïésis désigne le travail de
l'artisan et de l'artiste, une action qui transforme et continue le monde. La
poïésis est à la fois, l'activité libre de
l'être humain et la création. Platon la définie comme
« Cause qui, quelle que soit la chose considérée, fait
passer celle-ci du non-être à l'être [...] les travaux
qui dépendent d'une technè, quelle qu'elle soit, sont
des poïésis et leurs producteurs sont tous les
poètes1(*) »
(Platon, 205 b).
Tekhnè désigne tout savoir-faire
traditionnel permettant d'obtenir à volonté un résultat
donné. La technique comprenait avant le XVIIIémé
siècle, à la fois les pratiques utilitaires2(*) et les beaux-arts. Depuis cette
date, les beaux-arts désignent la recherche d'une expérience
esthétique. Le domaine où le faire humain est créateur est
la tekhnè. « La tekhnè en
général ou bien imite la physis ou bien effectue ce que
la nature est dans l'impossibilité d'accomplir » (Platon,
a 15-17). Elle prend son origine chez les Anciens, elle est le feux
volé aux dieux dans un mythe d' Épiméthée
et de Prométhée.
La technique volée aux dieux
L' homme est un être technicien. Dans un mythe
rapporté par Platon (Protagoras, 320d-322b) , la technique est
le don du titan Prométhée3(*) à l'humanité, afin de la secourir
de son originelle déficience face aux périls naturels. Car, dans
son étourderie, Épiméthée4(*), que son frère
Prométhée avait autorisé à distribuer
toutes les qualités aux créatures appelées à
l'existence, avait oublié l'homme. Dépourvu de toute arme et de
toute protection naturelle, l'homme nu aurait été promis à
une destruction assurée, si Prométhée ne l'avait
sauvé en dérobant aux dieux le feu de la technique et les
«sciences propres à conserver sa vie » (Platon, 321b). La
technique est donc, dans ce mythe rapporté par Platon, ce par quoi
l'homme se maintient dans l'existence et s'adapte à un environnement
hostile. Elle le sauve de son originelle impuissance, elle lui permet de se
procurer des ressources pour vivre (Platon, ibid.).
La grandeur de l'homme: acquérir de multiples
techniques
Aristote dans « Les Parties des animaux »
(687 b) conteste l'enracinement de l'impuissance et le dénuement
originel de l'homme. Ce serait à l'être capable d'acquérir
le plus grand nombre de techniques
que la nature a donné l'outil de loin le plus utile, la main.
« Aussi, ceux qui disent que l'homme n'est pas bien constitué
et qu'il est le moins bien partagé des animaux [...] sont dans l'erreur.
Car les autres animaux n'ont chacun qu'un seul moyen de défense et il ne
leur est pas possible de le changer pour faire n'importe quoi d'autre, et ne
doivent jamais déposer l'armure qu'ils ont autour de leur corps ni
changer l'arme qu'ils ont reçue en partage. »
(Aristote, 687 b, pp. 136-137 ).
Il voit l'origine de la technique dans la puissance de
l'homme. En effet, l'homme dispose originellement d'une infinité
d'outils grâce à la polyvalence de sa main. La main-outils
s'adapte à l'intelligence supérieure de l'homme, elle permet de
répondre à de multiples circonstances. L'homme est
« l'être capable d'acquérir le plus grand nombre de
techniques » (Aristote, 687b, p136) par le couplage de sa main et de
son intelligence supérieure, c'est ce qui fait de lui, pour Aristote, un
être supérieur. La technique est un moyen d'utiliser la nature et
de dépasser sa propre condition.
* 1 Poète est pris ici dans le sens
de créateurs
* 2 Les métiers, les
habiletés
* 3 Celui qui réfléchit
à l'avance
* 4 Celui qui réfléchie
après coup
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