1.2.2 Antagonismes politico-ethniques et crise de la
politique de conservation en Ouganda
L'évolution actuelle des aires protégées
en ex-communauté est-africaine anglaise découle de
l'héritage laissé par les colons britanniques dans ce domaine.
Nous venons de voir en effet comment les nouveaux dirigeants kenyans et
tanzaniens ont été de « bons élèves
» de leurs maîtres colonisateurs en renforçant la politique
coloniale d'exclusion des populations autochtones en faveur de la
création des sanctuaires d'animaux sauvages. Pour ce qui est de
l'Ouganda voisin, cette leçon a été aussi bien suivie,
voire même réussie malgré les antagonismes politiques et
ethniques qui ont ravagé le pays pendant 14 ans de dictatures militaires
et de guerres civiles (1972-1986).
Durant cette période, toutes les politiques de
développement ont été paralysées, y compris celle
de conservation de la nature, de façon que cette dernière ait
traversé une crise redoutable puisque d'une part les aires
protégées constituaient des bastions des groupes armés, et
que d'autre part tout le système administratif était devenu
inefficace pour pouvoir assurer la protection des aires
protégées.
Malgré cette crise des années 70-début
80, la paix retrouvée en 1986 a fait redémarrer le système
en procédant à la création de nouveaux parcs et
réserves analogues mais toujours au détriment des populations
locales. C'est ainsi qu'en dépit de la situation effroyable qu'ont
vécu les Iks dans les années 60, après leur exclusion de
la vallée de Kidepo, afin d'y créer un parc national du
même nom (ce qui a d'ailleurs entraîné la décadence
de leur société), les nouveaux dirigeants ougandais ont
imité ce scénario colonial en 1992.
A cette époque en effet, ils ont procédé
à la création d'un corridor pour les éléphants
entre le Parc National de la Reine Elisabeth (Queen Elisabeth National Park) au
Sud-Ouest et la Réserve forestière de Kabale au Sud. Ce travail
s'est traduit par l'expulsion par l'armée, sans préavis, de
30.000 paysans agriculteurs, assortie de meurtres, pillages, destruction de
cultures et de cheptel dans le cadre d'un projet financé par la Banque
Mondiale et la Communauté Européenne (Rossi G., 2000). Le but de
ce gros travail était, selon Feeney
( repris par G. Rossi, 2000), de permettre aux
éléphants de Kabale d'être à nouveau libres !
A part cette opération, « douloureuse
» pour les paysans chassés de leurs terres mais «
couronnée de succès » selon le rapport officiel de la
CEE (l'actuelle Union européenne), l'organisme qui l'a financée,
la politique post-coloniale de conservation en Ouganda a aussi
été caractérisée par la création de nouveaux
espaces protégés. A l'heure actuelle, ce pays compte 37 aires
protégées au total soit 7,9 % du territoire national (World Bank,
2001). Malgré ce taux élevé des espaces
protégés par rapport à la superficie nationale, on
remarque que le tourisme n'y est pas développé, comme c'est le
cas au Kenya ou moins encore en Tanzanie, suite aux différentes raisons
qu'on a déjà évoquées.
Après cette étude de l'évolution
historique et géographique des espaces protégés dans
chaque pays de l'Afrique orientale, un tableau récapitulatif de leur
situation actuelle nous semble très utile.
Tableau n° IV: Situation
actuelle des aires protégées en Afrique orientale
Pays
|
Nombre
|
Superficie (milliers en ha)
|
% du territoire national
|
Burundi
|
3
|
89
|
3,2
|
Kenya
|
50
|
3.504
|
8
|
Ouganda
|
37
|
1.913
|
7,9
|
Rwanda
|
6
|
192
|
7,2
|
Tanzanie
|
39
|
13.817
|
14,6
|
Sources : - Banque Mondiale et all.
(1997) - World Bank (op. cit.)
- Nos estimations
En définitive, on peut dire que l'Afrique de l'Est,
région agricole à plus de
80% de sa population, occupe une place importante (en
matière de protection de la nature) dans le monde. Mais comme nous
l'avons vu précédemment, le développement des aires
protégées dans cette région s'est accompagné,
depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours, par une fracture
socio-spatiale par excellence, ce qui est d'ailleurs à la base de
certains problèmes de survie pour les populations chassées de
leurs terres. En dehors de cela, la pression démographique constitue un
autre danger à la survie des espaces protégés est-
africains, plus particulièrement ceux situés dans les zones
très peuplées.
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