2.1.2 L'analyse de l'impact de la politique de conservation
sur les structures socio-culturelles des populations
Outre les bénéfices économiques,
scientifiques ou considérations récréatives, certains
disent que les aires protégées ont également des avantages
d'ordre social et culturel et qu'elles constituent par-là une autre
explication de leur création en Afrique orientale. Dans ce contexte, les
défenseurs de cette logique précisent que le tourisme constitue
un vrai moteur de cette nouvelle justification au travers le choc culturel qui
se crée entre les touristes (ayant beaucoup d'argent) et les populations
locales (souvent dépourvues d'argent) et dont tirent profit ces
populations. Cependant, il sied de signaler que cette logique n'à rien
voir avec la réalité si l'on est au courant de ce qui se passe
aux alentours des espaces protégés où les populations
expulsées de leurs terres mènent une vie précaire depuis
le développement du tourisme dans la région.
2.1.2.1 Le mépris à l'égard des modes
de vie des acteurs locaux
Si on regarde un peu en arrière, on constate que les
populations locales ont été chassées de leurs terres
dès la première implantation des premiers européens en
Afrique orientale. Au cours des années qui ont suivi les
indépendances jusqu'à nos jours, leur situation de
précarité ne cesse de s'aggraver malgré le
développement de l'industrie touristique dans la région, ce qui
signifie, pour ces populations, que les deux pouvoirs n'ont rien fait pour
assurer leur intégration socio-économique et culturelle. Au
contraire, les autorités coloniales et post-coloniales n'ont
cessé de manifester leur mépris à leur égard.
Considérées comme «
indigènes » par les colonisateurs en
effet, elles sont devenues « traditionnelles
» après les indépendances, au sens souvent « de
figées, peu enclines aux changements, parfois même ?primitives?
par leurs rites sociaux, leur mode vestimentaire ou leur habitat. »
(Dufour C., op. cit.)
En faisant un commentaire sur le cas des peuples Maasai du
Kenya, X. Péron (1994) explique l'origine de cette polémique.
Selon lui, « la lutte opposant depuis près d'un siècle
les Maasai à l 'Etat moderne est particulièrement
représentative de la domination de l'idéologie occidentale
dissolvant une culture unitaire où la terre, don de Dieu, sert à
la reproduction de rapports sociaux égalitaires, et lui substituant un
mode de vie individualiste, fondé sur le culte de la consommation, une
certaine idée de la rentabilité, l'obsession de la croissance
techno-économique, et où la terre devient marchandise.
»
Il faut rappeler que cet objectif de «
civilisation » du peuple Maasai remonte au début du
20ème siècle au moment où les Britanniques
considéraient les Maasai comme des peuples « barbares
»1, contrairement aux peuples qui ont une «
culture » c'est-à-dire les «
civilisés ». Dans ce contexte, les peuples qui n'avaient
pas de « culture », c'est-à-dire les Maasai, devaient
céder leurs terres de parcours à des populations ayant une
civilisation (les Européens) ou à d'autres peuples agriculteurs
(les Kikuyu et autres) afin que ces terres soient mises en valeur selon le
modèle occidental d'exploitations des ressources. En pratique, cette
idéologie a été caractérisée par la
création des aires protégées et les group-ranches, ce qui
a entraîné le rejet des Maasai dans les zones hostiles à
l'élevage.
Arrivés au pouvoir au lendemain de
l'indépendance, les nouveaux responsables du pays (à
majorité originaires des milieux agricoles) ont épousé la
même logique afin de « briser la société
traditionnelle Maasai » qui, selon eux, pratiquent un pastoralisme
destructeur et inefficace, bref nuisible à l'environnement du pays. Il
faut rappeler qu' « au lieu d'être reconnu pour leur remarquable
savoir-faire dans l'art de façonner l'environnement pastoral favorisant
l'épanouissement de la faune sauvage en même temps que la survie
de leur bétail, les Maasai n'ont pas cessé d'être
prisonniers du cliché mondialement célèbre de «
guerriers buveurs de sang », cliché repris par les nouveaux
dirigeants, au détriment d'une réalité devenue au fil des
années de plus en plus complexe. » (Péron X., 1995)
En dehors des Maasai, l'autre exemple moins connu mais
très pertinent est celui de la vie des Batwa forestiers du Rwanda, tel
que décrit et commenté par J.B.Mbuzehose (1999). Selon ce
dernier, ces populations font partie de la société rwandaise,
mais leurs pratiques ne sont pas bien comprises par les communautés
non-Batwa (les Tutsi et les Hutu)2. De surcroît, vivant de la
cueillette et de la chasse en milieu forestier, les Batwa forestiers sont,
depuis l'époque coloniale, victimes de la logique occidentale de
protection de la nature. En effet, la course à la rentabilisation a
poussé plusieurs acteurs (Etat, particuliers, ONG de protection de la
nature, etc.) à se disputer le droit d'usage des ressources des zones de
marge qui, jusqu'à l'arrivée des Européens, étaient
réservées aux Batwa forestiers et autres populations riveraines
de ces zones. Comme conséquences, ils sont aujourd'hui dans une
situation très difficile et leurs chances d'être
réintégrés sont très minces vu la situation
actuelle de la politique de conservation dans ce pays.
Notons enfin qu'une situation pareille existe ailleurs en
Afrique orientale où les intérêts des pouvoirs publics
écrasent sans pitié ceux des acteurs locaux au seul nom de la
protection de l'environnement. Le cas des populations déplacées
au Burundi et celui de Iks du Nord de l'Ouganda en sont des exemples
concrets.
1 C'est-à-dire peuple à l'état de
nature sauvage
2 Selon la nouvelle politique de réconciliation
en place au Rwanda, cette notion d' « ethnie » est à
oublier afin d'éradiquer les problèmes de haine, d'où nous
l'utilisons avec beaucoup de réserves
|