1.2.2 Les exemples venus d'Afrique australe. Etudes de
cas
Comme nous l'avons vu dans les pages précédentes,
le milieu des années 80 est l'époque qui marque le vrai
début de la participation des populations locales dans la gestion des
aires protégées dans les deux pays de l'Afrique australe,
à savoir la Zambie et le Zimbabwe. Quelle que soit sa forme, cette
participation locale, à travers des projets de conservation
participative, se situe dans l'optique d'une rencontre entre deux mondes
longtemps séparés par le pouvoir colonial anglais et les nouveaux
Etats indépendants: un secteur de la conservation jusque-là
isolé et une société locale principalement agricole
(Rodary E., op. cit.).
Selon le même auteur, cette nouvelle donne en
matière de conservation lui paraît comme un processus important,
car elle introduit une exigence de protection de la nature dans la vie
socio-économique et politique des populations vivant aux alentours des
aires protégées. A ce titre, affirme-t-il, « on peut
qualifier cette nouvelle conservation de
?territoriale?, au sens où un territoire est
un espace approprié socialement, à l'inverse d'une
conservation
?spatiale?
qui délimitait une zone en interdisant l'occupation humaine.
»
En Zambie, ce déplacement volontaire du champ de la
conservation d'une position isolée vers la société locale
est pris en compte suite à une étude du Département des
parcs nationaux et de la faune, financée par la « New York
Zoological Society », sur les populations d'éléphants.
Cette étude insistait sur la nécessité d'une implication
des populations locales pour limiter le braconnage. C'est à la suite de
cette initiative qu'un colloque sera organisé par l'Agence
norvégienne de développement et le gouvernement zambien en vue
d'élaborer les programmes. Au Zimbabwe, ce sont également les
services du Département des parcs nationaux et de la gestion de la faune
qui, profitant d'une politique générale de
décentralisation pour préserver la gestion de la faune, proposent
en 1986 le projet CAMPFIRE.
1.2.2.1 Le programme ADMADE en Zambie: un exemple du
processus participatif de gestion et de conservation de la faune sauvage
Avec 20 parcs nationaux et 36 zones de gestion du gibier (soit
30% de la superficie totale du pays) gérés tous par le Service
des Parcs nationaux et de la vie sauvage (Sournia G., op. cit.), la Zambie est
actuellement l'un des grands pays du continent africain pour la valeur de ses
ressources naturelles (la faune sauvage en particulier). Mais comme nous
l'avons vu précédemment, la création de ces espaces a
été caractérisée par l'expulsion des populations
autochtones et les conflits qui en ont résulté se sont traduits
par une utilisation abusive de ces ressources.
Ainsi, le braconnage s'appuyant en partie sur les populations
riveraines des aires protégées a conduit à la disparition
de certaines espèces comme le Rhinocéros noir dans le pays, sans
oublier le nombre excessif d'éléphants disparus entre 1976 et
1986 (une dizaine chaque jour) et les grandes Antilopes abattues chaque jour en
vue d'approvisionner les villes en viande de gibier. En fin de compte, les
services chargés de la conservation dans le pays estimaient que
l'équivalent de 500 millions de $ avaient été ainsi
prélevés entre 1970 et 1985 sans aucun profit pour l'Etat ni pour
les populations locales qui, bien que complices, ne reçoivent que la
part très réduite avec tous les risques d'être
réprimés par les forces de l'ordre anti-braconnage dans la
région (Sournia G., idem).
Face à cette multiplication d'échecs de la part
des associations de la nature et du gouvernement zambien en matière de
protection de la faune sauvage, ces derniers ont pris conscience (lors des
ateliers organisés au début des années 1980) que tous ces
échecs étaient dus au fait que le système en place niait
toute implication des populations locales dans la gestion des ressources
naturelles concernées. En d'autres termes, les recettes
engendrées par la faune étaient versées à la caisse
de l'Etat qui n'en redonnait qu'une très faible partie au Service
chargé de la gestion de la faune. En outre, l'augmentation de la
population et les pressions de plus en plus fortes qu'elle exerçait sur
le milieu et ses ressources allaient mettre en évidence l'inadaptation
de ce système.
Pour faire face à ces difficultés, les
mêmes ateliers formulèrent un certain nombre de recommandations
dont les trois plus importantes furent les suivantes: d'abord, la
création d'un fonds de reversement pour la conservation de la vie
sauvage, ledit fonds qui devait être administré par le service
chargé de la faune avec la collaboration des populations élues
par les villageois; ensuite, la préparation d'une structure
d'implication des populations rurales dans l'administration de ce fonds par
l'intermédiaire de représentants traditionnels et élus;
enfin, la mise en chantier d'un projet intégré de valorisation
durable des ressources naturelles (Rodary E., op. cit.; Sournia G., op.
cit.).
D'après ces auteurs, la mise en application de ces
recommandations allait se faire en trois étapes importantes. En premier
lieu, on a créé un projet dans la zone de Lupanda «
Lupanda Project. » Le but de ce projet était de tester la
possibilité d'associer les populations locales aux activités de
conservation et d'utilisation de la faune locale. Une importance fondamentale
était accordée à la préoccupation
socio-économique des villages riverains de la zone afin d'essayer
d'identifier les voies d'une réconciliation des intérêts de
la conservation avec ceux des destructeurs potentiels, c'est-à-dire les
habitants de cette même zone.
Dès lors, le projet se concentre d'abord sur un
programme de rentabilisation des espèces animales dont les effectifs
étaient en surnombre (les hippopotames par exemple), ensuite sur la
recherche d'emploi des populations locales, et enfin sur la vente aux
enchères des territoires de chasse dont 40% furent reversées aux
populations locales afin que ces dernières puissent créer leurs
propres projets. Il faut noter que cette bonne initiative a rencontré
beaucoup de succès auprès des communautés locales
associées.
La deuxième étape fut celle de la
création, en 1983, du Fonds de Reversement pour la conservation de la
vie sauvage dont l'objectif principal était de « permettre au
Service des Parcs et de la Vie Sauvage de fonctionner sans trop avoir à
dépendre des seuls fonds consentis par l'autorité centrale.
» 75 % de ce fonds devaient être réservés à la
zone de production; 25 % restants étant répartis en deux
destinations: 10 % pour la promotion du tourisme au niveau national et 15 %
pour les frais de fonctionnement du Service des Parcs et de la vie sauvage.
Après quelques années de fonctionnement, 90 % des revenus du
Fonds étaient générés par les taxes d'abattage et
les loyers d'admonition; l'essentiel des produits offerts par les
sociétés de chasse se concentrant sur les Félins et les
Buffles (Sournia G., op. cit.; Rodary E., op. cit.).
Enfin, la dernière étape fut celle de la mise en
place d'un dispositif administratif de gestion connu aujourd'hui sous
l'appellation du programme ADMADE (Administrative Management Design).
Agréé officiellement en 1987 par le gouvernement zambien, ce
programme a comme principale tâche de préserver
des animaux sauvages en périphérie des espaces
protégés par la mise en place des mesures efficaces de gestion et
de protection. Pour y arriver, quatre objectifs spécifiques ont
été visés. Il s'agit d'abord de créer un
réseau de zones tampons autour des aires protégées en vue
d'éviter la dégradation de la réserve centrale; ensuite
c'est la création d'un comité de gestion destiné à
garantir aux populations locales les bénéfices tirés dans
la faune sauvage; puis la mise en place d'un service chargé d'assurer de
bonnes relations entre les responsables du projet et les populations locales;
et enfin le programme se propose de garantir à l'Etat zambien de
pratiquer une politique de conservation durable du milieu naturel
protégé en vue d'assurer des revenus en devises.
Comme ce programme regroupe 10 zones de gestion de la faune
sauvage, l'objectif primordial du projet est de faire en sorte que chaque zone
soit en mesure de gagner beaucoup de revenus pour les populations qui
l'habitent. Etant donné que les 10 zones de gestion ne disposent pas les
mêmes richesses en animaux sauvages, les responsables du projet ont
instauré un système d'entraide où les zones riches, et par
conséquent capables de s'autofinancer, contribuent au financement de
leurs voisines moins riches grâce à un fonds spécial
créé à cet effet.
En ce qui concerne les structures administratives du projet,
il faut signaler que les populations locales sont bien
représentées, ce qui leur donne du poids en matière de
prise de décision. Chaque zone comprend d'abord des unités de
gestion qui représentent le Service des parcs dans la région;
ensuite il y a le Conseil du District local (Local District Council)
composé des représentants de l'Etat et ceux des populations, et
enfin viennent les élus locaux qui sont des représentants des
circonscriptions traditionnelles de chaque zone. Dans ce système, on
constate que les populations son impliquées à l'administration et
à la gestion de la faune sauvage grâce à cette
responsabilité qu'elles assument.
Pour ce qui est des retombées socio-économiques
du programme, les responsables du projet estiment que: « ...nous
procurons du travail à la population locale. Au lieu d'émigrer
vers les villes, les jeunes, hommes et femmes ont la faculté de rester
dans leur région d'origine et d'y gagner leur vie en participant
à la conservation de la faune. Hier encore, rien n'était
possible, mais la tendance s'est inversée et aujourd'hui l'avenir nous
appartient. » (Rodary E., op. cit.)
Sur le terrain, les succès du projet s'inscrivent dans
l'aménagement des infrastructures à caractère
communautaire comme des écoles, des dispensaires, des moulins, etc. Les
auteurs affirment d'ailleurs que les revenus engendrés par les
activités liées à la gestion de la faune sauvage et
alloués à l'exécution de ce type d'infrastructures sont
supérieurs à toute autre subvention publique ( dans ce domaine)
dans les zones concernées par le programme. En outre, toutes les
utilisations possibles des animaux abattus sont exploitées: la viande
est vendue et/ou consommée fraîche, fumée ou
séchée; la peau sert à la confection de chaussures et les
semelles sont souvent faites à base de peaux d'hippopotames; les dents
entrent dans la fabrication de bijoux. La graisse, les sabots, les os sont
transformés en savon et en colle; les os servent aussi comme engrais
pour les cultures potagères qui sont ensuite consommées dans les
campements de safaris (Sournia G., op. cit.).
Sur le plan écologique, il faut signaler que le
braconnage est partout en forte diminution même si certains estiment que
cette régression doit être replacée dans le contexte de
l'interdiction du commerce international de l'ivoire, et que par
conséquent il serait difficile d'évaluer le rôle exact du
programme ADMADE dans cette diminution. En dehors de cela, les
gardes locaux renseignent les chasseurs sur la présence
du gibier recherché dans le secteur qui les concerne; ils accompagnent
le safari et s'assurent de la conformité des abattages
enregistrés par rapport au cahier de charges initial. Notons que ces
gardes sont sélectionnés parmi les populations locales par les
chefs des villages.
De toutes les façons, il faut avouer que la conception
du programme est jugée comme un fait original car tout part de la
population d'en bas pour remonter vers le décideur politique d'en haut.
Ce qui est intéressant, c'est que l'on peut prendre ce type
d'aménagement comme potentiellement unificateur à
l'échelle d'une communauté locale travaillant ensemble, ce qui
peut compenser les lacunes du gouvernement zambien dans le domaine du
développement rural et par voie de conséquence appuyer la
politique de conservation dans la région.
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