Chapitre II
NOUVELLES FORMES D'AIRES PROTEGEES: STRATEGIES
ACTUELLES ET QUELQUES CONSIDERATIONS RELATIVES EN AFRIQUE ORIENTALE
Depuis que le concept d'aires protégées existe
dans sa forme actuelle, on constate que ses principaux objectifs restent
presque les mêmes; ce qu'on essaie d'ajouter au cours de ces
dernières années, c'est l'élément de «
développement local » en mettant un accent particulier sur
les droits et les intérêts socio-économiques des
populations autochtones1 et ceux des populations riveraines des
espaces protégés.
Depuis les années 1970, l'intégration de ces
populations se fait au travers des projets
d' « écodéveloppement », un
concept cher aux conservationnistes puisque l'intégration en question
leur apparaît, d'une part comme une « nécessité
» (dans le but d'éviter que la pauvreté de ces
populations n'entraîne pas la dégradation des aires
protégées), et d'autre part comme une «
opportunité » (en vue de capter des fonds internationaux
pour le fonctionnement de leurs projets) (Castellanet C., 1998). Coté
acteur-Etat, ces projets sont également considérés comme
bénéfiques parce que le tourisme est partout en plein essor.
Quant à acteurs locaux, les résultats de ces projets ne sont pas
du tout satisfaisants même si des différences subsistent entre les
pays.
Face à ces résultats
«mitigés » de cette politique de conservation
participative, les deux grandes organisations de protection de la nature,
l'UICN et le WWF, ont publié un document2 dans lequel on
trouve les nouvelles bases conceptuelles préconisées pour les
aires protégées de ce nouveau siècle. Comme nous allons le
voir dans les paragraphes suivants, ces nouvelles stratégies tiennent
compte des intérêts de tous les acteurs en jeu en essayant de
relever les défis enregistrés par les Projets
Intégrés de Conservation et de Développement durant les
deux dernières décennies d'opération.
1.1 Bases conceptuelles des aires
protégées pour le 21ème siècle
Outre la préoccupation des questions d'environnement
global dans le monde, les nouvelles bases conceptuelles des aires
protégées prévues pour le 21ème
siècle s'appuient sur l'amélioration des méthodes
d'intervention des différents acteurs dans le processus de gestion
durable et de participation locale. Dans ce contexte, la
nécessité de renforcer les politiques institutionnelles à
tous les niveaux (local, national et régional) est
considérée comme le pilier de ces nouvelles stratégies.
1 C'est-à-dire tous groupes dont la
caractéristique principale est leur mode de subsistance désormais
marginal (Chartier D. et Sellato B., op. cit.)
2 WWF/IUCN (1998) Protected Areas for a new
millenium. WWF/IUCN, Gland/Suisse.
1.1.1 Projet des aires protégées
transfrontalières
Depuis le lancement des PICD dans les régions
riveraines des espaces protégés, il y a un peu plus de 20 ans,
les conservationnistes croyaient que les populations vivant aux alentours de
ces espaces devaient tirer assez de bénéfices pour
améliorer leurs modes de vie, ce qui dans la suite allait changer
positivement leurs mentalités à l'égard des initiatives de
conservation. Cette idée était sage mais sans résultats
escomptés comme allait le prouver une première évaluation
de ces projets au début des années 1990 (Colchester M., 1998).
Au début de cette dernière décennie, les
PICD ont intégré des questions environnementales dans leurs
préoccupations en vue de renforcer leurs capacités de
participation dans le milieu rural. L'analyse de cette deuxième
série de projets a montré que les résultats
n'étaient pas à la hauteur des objectifs fixés au
départ suite au manque de lien suffisant entre la conservation et le
développement. Parmi les raisons de cet échec, les professionnels
de la conservation évoquent d'abord le rôle des ONG de protection
de la nature comme nous l'avons vu précédemment, puis le manque
de cadre institutionnel entre les principaux acteurs de la politique de
conservation comme c'est le cas au Zimbabwe et/ou en Zambie. Les enseignements
tirés de ces échecs ont montré la nécessité
d'améliorer les politiques institutionnelles entre les principaux
acteurs de la conservation participative en mettant un accent particulier sur
le renforcement des possibilités de participation des communautés
locales. Les « Projets des aires protégées
transfrontalières » sont donc des PICD de troisième
génération en vue de corriger certaines imperfections du
passé ( Godwin P., 2001).
Selon le même auteur, ces projets consistent à
effacer non seulement des clôtures physiques qui divisent les parcs
nationaux et les exploitations privées des populations locales à
l'intérieur du même pays, mais surtout de gommer des
frontières géographiques entre deux pays pour donner naissance
à des « zones transfrontalières
protégées », appelées aussi « Parcs de
la paix ». Leur but, pour reprendre l'argumentation
développée à la fin des années 1990 par la Banque
Mondiale, est d'associer les populations locales à la protection de
l'environnement. Il s'agit, selon la même organisation, de «
montrer aux communautés vivant à coté des aires
protégées que la vie sauvage peut leur fournir des revenus, et
d'atténuer ainsi le ressentiment que beaucoup de personnes
éprouvent en se voyant interdire de cultiver la terre. »
Au-delà, beaucoup espèrent promouvoir une « culture de
la paix » dans les pays de l'Afrique orientale (et ailleurs)
dévastés par les conflits politiques et ethniques.
Ouvert en l'an 2000 ( 12 mai), le « Kgalagali
» est le premier parc naturel transfrontalier du genre. Il
réunit le Parc national Gemsbok, au Botswana, à celui du Kalahari
Gemsbok, en Afrique du Sud. A l'heure actuelle, les
initiateurs de ce projet dont le milliardaire sud-africain Anton Rupert (homme
d'affaires et président de la section nationale du WWF sud-africain)
estiment que cette fusion n'a pas posé beaucoup de problèmes, les
deux parcs n'étant séparés que par le lit
asséché d'une rivière sans clôture. Après
cette réalisation, considérée par les professionnels de la
conservation comme la première du 21ème en la
matière, les deux pays se sont mis d'accord pour gérer la
réserve comme une seule entité écologique, et les
visiteurs qui entrent dans un parc peuvent passer librement dans l'autre et
revenir, ce qui accroît la fréquentation et la rentabilité
de chacun des deux pays.
Ailleurs, les efforts des initiateurs de tels projets portent
aujourd'hui sur les tentatives d'unification au sein de la communauté
des Etats de l'Afrique australe de plusieurs catégories d'aires
protégées (parcs, réserves de chasse, réserves
forestières, terres communautaires, etc.).
La première tentative réunira le Parc national
Kruger (en République Sud-Africaine), le Parc national de Gonarezhou (au
Zimbabwe), et Coutada 16, un immense ensemble de terres
nationalisées dans la province de Gaza au Mozambique. A terme de ce
projet, elle formera le noyau d'une vaste zone protégée à
usage mixte couvrant près de 155.000 Km2. Rappelons que
d'autres projets de ce genre sont prévus dans tous les pays de l'Afrique
australe dans le cadre de la Communauté de Développement de
l'Afrique Australe (SADC: Southern African Development Community).
Coté humain, les initiateurs du projet affirment que la
composante humaine est la clé de la réussite finale des projets
d'implantation de réserves naturelles transfrontalières. Dans ce
domaine, ils comptent beaucoup sur l'expérience du Zimbabwe avec son
projet CAMPFIRE pour mettre les choses en ordre. Comme nous l'avons vu dans les
pages précédentes, CAMPFIRE est le premier projet qui a
véritablement pris en compte deux grands constats (plus ou moins
ignorés jusque-là) en matière de conservation. Le premier
est que l'essentiel de la faune sauvage du pays vit actuellement en dehors des
réserves de chasse sans beaucoup de difficultés. Le second est
que les populations locales tirent directement des profits économiques
de cette faune selon le plan qu'elles élaborent elles-mêmes. Ceci
diminue les risques de braconnage puisque ces populations se sentent comme les
premiers gestionnaires de cette ressource. C'est grâce à cette
expérience zimbabwéenne que les initiateurs du projet sont
aujourd'hui conscients que les populations locales doivent être les
premiers bénéficiaires des emplois qui seront créés
par la nouvelle réserve. De surcroît, plusieurs infrastructures
(énergie, routes, etc.) sont prévues pour ces populations.
Pour ce qui est de l'intégration régionale,
l'intérêt de ce type de projets est de mettre en place une
politique de conservation qui repose sur l'entente entre les Etats dans la
mesure où certaines zones protégées sont contiguës de
part et d'autre d'une frontière internationale. Or, il a
été constaté que cette coopération n'existe pas ou
du moins existe sur papier. L'exemple typique est celui des trois parcs
nationaux situés entre le Rwanda, l'Ouganda et la République
Démocratique du Congo, à savoir respectivement le Parc National
des Volcans, celui de Virunga et Queen Elisabeth, pour lesquels chaque pays
assure la sécurité de son aire territoriale sans toutefois se
soucier de ce qui se passe de l'autre côté de la frontière.
Les conséquences qui en découlent sont bien sûr nombreuses
en commençant par les activités de braconnage dont le
contrôle reste très difficile, sans oublier aussi les tensions
liées aux mouvements armés dont le refuge reste toujours les
zones protégées de la région.
Dans ce contexte, l'apport des projets du genre sera d'une
grande importance en vue d'éviter toutes ces difficultés.
Cependant, des incertitudes demeurent quant à la réussite de ces
projets. En effet, certains disent que l'idée même des «
parcs de la paix » dépend de la stabilité politique
dans une région géographique donnée. Ce qui n'est pas le
cas pour le moment si l'on regarde par exemple ce qui se passe au Zimbabwe ou
pire encore dans la région des Grands Lacs. De toutes les façons,
le projet est déjà lancé et son aire d'influence a
tendance à déborder les limites habituelles de l'Afrique
australe.
En Afrique orientale par exemple, un « Projet de
biodiversité transfrontalier » vient d'être
lancé. Financé par le Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM)
par le biais du Programme des Nations-Unies pour le Développement
(PNUD), et mis en oeuvre par la FAO et les gouvernements du Kenya, de l'Ouganda
et de la Tanzanie, ce projet a pour objectif de « réduire la
perte de biodiversité dans les sites transfrontaliers en Afrique de
l'Est. » (Rodgers W A.; Persha L.; Nabanyumya R. Et Mupada E.,
2002)
Selon ces auteurs, la philosophie du projet est de «
travailler à tous les niveaux décisionnels d'utilisation des
ressources, du ménage (sensibilisation, autres solutions) au village
(arrêtés, pression des pairs, marchés), au District
(directives d'utilisation des terres, programmes de financement) et à
l'échelon national (politiques et législation). » Les
activités centrales du projet sont la mise au point de plans de gestion
participative et la promotion d'une cogestion par le gouvernement et les
communautés pour conserver les ressources forestières et les
utiliser dans une optique durable. Les populations sont
considérées ici comme une partie intégrante de la solution
au problème. Etant donné que les problèmes, les
intérêts et les solutions potentielles diffèrent d'un site
à l'autre, les solutions doivent être propres au site, même
si l'on peut utiliser des cadres de base pour orienter les actions dans
l'ensemble des sites.
Il faut noter que ledit projet repose sur quatre sites
d'écosystèmes transfrontaliers de la région (voir la carte
n° 8), mais nous allons nous intéresser, au cours de ce
travail, sur le site du Nord-Est de l'Ouganda, à la frontière
kenyane, là où nous trouvons un « Projet de gestion
traditionnelle des ressources naturelles par la communauté Iks du
District de Karamoja. » L'encadrement des Iks a
soulagé beaucoup de personnes (y compris les conservationnistes)
puisqu'ils avaient été victimes, depuis 1962, de la politique
coloniale et post-coloniale de conservation dans la région. De
surcroît, cette communauté a été choisie par les
conservationnistes pour la simple raison qu'elle a fait preuve de grandes
connaissances sur les ressources forestières et la gestion de ces
ressources par rapport aux autres principaux groupes ethniques du District de
Karamoja, à savoir les Karimojong, les Tipes, les Dodos et les Pokos.
En effet, le rapport d'évaluation qui a
précédé le projet révèle que les Iks sont
les seuls peuples dans la région qui, à la fois dépendent
de la forêt pour survivre (sécurité, terres agricoles, eau
et revenus) mais aussi qui reconnaissent les dangers qui pèsent sur
cette ressource (coupe excessive d'arbres, surpâturage, feux de brousse,
etc.). Cette prise de conscience les oblige ainsi à mieux
préserver la ressource en question depuis plusieurs années. En
abondant dans le même sens, les responsables du Parc national de Kidepo
ont tous reconnu que les pratiques des Iks ne perturbent pas la forêt
puisqu'ils se contentent de petites activités qui ne causent pas
beaucoup de dégâts. Au contraire, ils se préoccupent des
feux de brousse allumés dans le milieu environnant par les envahisseurs
Turkana et Dodos, qui détruisent leurs moyens d'existence.
C'était d'ailleurs pour cette raison que l'idée de participer aux
interventions et aux partenariats externes comme le « Projet de
biodiversité transfrontalier » les intéresse
davantage.
A l'heure actuelle, les Iks ont démarré les
activités par les petits travaux qui consistent à tracer et
à dégager les bordures de la Réserve forestière
Timu avec un minimum d'apports du projet. Chaque groupement d'habitants a pris
possession des portions de lisière les plus proches et les membres de ce
village s'occupent des arbres témoins plantés par le projet le
long de la frontière, les arrosent et les couvrent de paillis durant la
saison sèche. En contrepartie, le projet, bénéficiant de
fonds supplémentaires du PNUD, a fourni des éoliennes en bordure
de la réserve pour pomper l'eau de nouveaux puits, car les Iks devaient
souvent parcourir des kilomètres pour aller chercher de l'eau. Les
professionnels de la conservation dans la région espèrent que
cette première mesure devrait enclencher d'autres contrats sociaux pour
la conservation des forêts y compris la prévention des feux et les
signalements d'utilisation illicite.
Carte n° 8: Les quatre sites transfrontaliers du Projet
« Réduire la perte de biodiversité » en
Afrique orientale anglophone
En somme, il faut dire que les Projets Intégrés
de Développement et de Conservation de troisième
génération, c'est-à-dire les « Zones
protégées transfrontalières », donnent l'espoir
des changements sociaux qui se produiront dans l'avenir en matière de
conservation. Comme le cas des Iks de Nord-Est de l'Ouganda l'illustre, les
populations locales ne seront plus considérées comme les
bénéficiaires passifs comme l'avaient été dans le
passé, mais comme les acteurs ruraux actifs, c'est-à-dire
capables de prendre les différentes décisions en matière
de gestion des ressources naturelles se trouvant sur leur territoire.
Le problème qui se pose aujourd'hui est que certains
gouvernements ne sont pas disposés à céder la
propriété de ces ressources à ces populations suite en
général à l'ingérence des ONG de protection de la
nature qui souhaitent, jusqu'à présent, conserver la
quasi-totalité des espaces protégés tel que c'était
le cas avant les années 1970. Cela se fait en général dans
les pays où, d'une part les gouvernements en place n'ont pas les moyens
financiers pour faire démarrer ces projets, et d'autre part là
où les revendications des populations locales sont complètement
anéanties par les pouvoirs publics. Toutefois, certains gouvernements
commencent à reconnaître que les communautés voisines des
parcs et réserves ne peuvent être exclues de l'utilisation ou de
la région de ces derniers, ce qui nous amène à focaliser
notre thème suivant sur la responsabilité de ces populations dans
cette nouvelle stratégie de conservation.
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