2.2 Quelques considérations et perspectives
d'avenir de la politique de conservation en Afrique de l'Est
L'objet de ces considérations et perspectives est
qu'elles vont nous conduire à formuler un certain nombre d'observations
et de critiques de ce qui a été fait jusqu'à
présent et de ce qui reste à faire dans le domaine de la
conservation en Afrique orientale. En outre, elles peuvent constituer autant de
conclusions sur ce travail et/ou de perspectives de ce que nous projetons faire
dans nos recherches ultérieures (travail de thèse).
2.2.1 Le cas de l'Afrique orientale ex-anglaise
Comme nous l'avons vu précédemment, la
période coloniale en Afrique orientale anglaise (ou anglophone) a
été caractérisée par une scission
délibérée des populations locales de l'utilisation
juridique ou de l'accès aux zones abritant la faune sauvage, au profit
des politiques de création des aires protégées. Une grande
partie de réserves de la faune sauvage de la région était
classée avant l'époque des indépendances.
Après ces indépendances, la plupart des nouveaux
gouvernements n'ont pas interrompu les pratiques coloniales, créant
d'autres aires protégées et excluant des populations plus
nombreuses. Le cas des peuples Maasai du Kenya et de la Tanzanie est sans doute
le plus connu dans le champ de la conservation en Afrique de l'Est. Mais petit
à petit, et plus récemment d'ailleurs, des changements sont
intervenus en matière de conservation, avec l'apparition d'une approche
participative où les populations locales sont désormais
considérées en même temps comme des acteurs et des
bénéficiaires de développement, et non plus comme de
simples observateurs-perturbateurs de la nature.
Cette évolution dans les politiques de conservation a
démarré lentement en Afrique de l'Est en s'inspirant beaucoup de
l'expérience de l'Afrique australe des années 80, même si
la première expérience de ce genre est antérieure à
cette date. En effet, la première du genre en Afrique de l'Est fut
conduite par la FAO et le PNUD, au cours des années 70, dans le District
de Kaliado au Sud de Nairobi. Selon G. Sournia (op. cit.), l'objectif de ce
projet était de produire de la viande à partir de populations
d'animaux sauvages; une moyenne journalière de 40 à 50 Gnous
étaient abattus et leurs carcasses étaient traitées dans
un abattoir de brousse; les deux tonnes de viande quotidiennement produites
étaient vendues (sous contrôle vétérinaire) à
une douzaine de boucheries de la capitale kenyane, située à une
centaine de Kms. Les possibilités d'exportation furent un moment
envisagées, tout d'ailleurs comme la mise en conserve, mais
l'infrastructure à mettre en place était bien importante en
comparaison avec des revenus possibles.
Le projet fonctionnait sans beaucoup de difficultés
mais des raisons variées mirent un terme à son
développement au bout de quelques années. Toutefois, cette
expérience (malgré son arrêt prématuré) fut
approfondie dans une optique plus commerciale par un fermier privé qui
produisit de la viande d'animaux sauvages dans son ranch de la rivière
Athi. La difficulté principale pour ce fermier fut, au départ, de
créer un marché pour le produit. Mais finalement les boucheries
et les hôtels de la capitale kenyane devinrent peu à peu des
clients réguliers et la demande ne cessa de croître.
Au début des années 80, la
crédibilité de cette production était établie. Tout
d'abord, seule la viande fraîche était commercialisée, mais
des problèmes de qualité apparurent; la production de viande et
de saucissons se substituèrent peu à peu à la viande
fraîche.
Aujourd'hui, la majeure partie de la production est
transformée sous forme de viande séchée afin de supprimer
le problème de la conservation.
Bien que cette expérience ne fasse pas sortir
clairement l'intérêt que pouvaient bénéficier les
populations locales au sein de cette entreprise, elle a néanmoins
inspiré la plupart des projets de conservation participative liés
à l'utilisation rationnelle de la faune sauvage dans le pays. Depuis
1990, le KWS permet le prélèvement sélectif de la faune
surnuméraire dans plusieurs réserves et s'attache actuellement
à mettre en place un système assez solide pour la
commercialisation de la viande et des peaux en provenance de ces
réserves.
En dehors de cela, il faut rappeler que cet organisme envisage
d'entreprendre les activités de la chasse sportive,
jusqu'à-là abandonnée pour des raisons de braconnage
exagéré et de corruption, afin d'augmenter les revenus puisque
ces activités procurent des bénéfices qui sont nettement
supérieurs à ceux du tourisme photographique. De surcroît,
grâce au KWS, quelques expériences associatives se sont mises en
place sur des terres communautaires situées en bordure des
sanctuaires-vedettes comme le Parc national d'Amboseli ou la Réserve de
Maasai-Mara, en vue de développer le tourisme dans ces zones.
Cependant, malgré toutes ces initiatives en faveur des
populations locales, la situation de quelques 800.000 Maasai vivant sur le
territoire kenyan reste précaire. En effet, privés d'une bonne
partie de leurs terrains de parcours par les colons anglais au profit des parcs
et réserves, les Maasai ne sont pas les premiers
bénéficiaires de ce nouveau système en place comme en
témoigne le nombre de jeunes Maasai qui vagabonde dans les rues des
grandes villes kenyanes. A l'heure actuelle, plusieurs auteurs font constater
que les Maasai sont considérés comme les mal-aimés du
Kenya puisqu'ils sont toujours exclus dans les parcs et réserves et
qu'ils ne peuvent y pénétrer que sous certaines conditions, par
exemple pour faire boire leurs bêtes à quelques points d'eau.
Par contre, les « troupeaux Maasai subissent, dans
leurs pâturages, la concurrence des herbivores sauvages venus des Parcs
», explique A. Huetz de Lemps (op. cit.); ce qui accentue le conflit
qui date de plusieurs années entre les Maasai et les gardes de ces
espaces parce que ces derniers voient d'un mauvais oeil l'accès des
troupeaux Maasai dans les aires protégées. Or, l'un des meilleurs
moyens d'éviter de graves conflits serait d'associer ces éleveurs
(sans aucun prétexte) à la gestion de ces espaces comme c'est le
cas autour du Parc d'Amboseli ou aux environs de la Réserve de
Maasai-Mara, même si là aussi des progrès restent à
faire. En outre, une meilleure reconnaissance de leurs droits à la
propriété, à la citoyenneté, et à
l'épanouissement serait une bonne chose pour la survie de ces peuples,
et surtout pour l'avenir de la faune sauvage dans le pays.
En bref, il faut dire que le Kenya est aujourd'hui l'un des
pays-vedettes dans le développement du tourisme lié à la
faune sauvage suite à ses potentialités touristiques assez
exceptionnelles. Mais pour que cette industrie puisse durer, il faut une seule
chose très importante: il est impératif d'impliquer
parallèlement les populations locales (surtout les Maasai) et de
n'avancer aucun prétexte pour que celles-ci aient un rôle
significatif à jouer, et un profit réel à tirer des
initiatives relevant du tourisme durable.
En ce qui concerne la Tanzanie, l'autre pays qui regorge des
ressources naturelles exceptionnelles dans le région, il sied de
rappeler que la fin de la politique « Ujamaa » est
considérée comme un phénomène majeur pour les
nouvelles autorités tanzaniennes. En effet,
avec l'ouverture politique et économique de ce pays sur
le monde occidental, la situation dans le domaine de conservation ne cesse de
s'améliorer. Les autorités en place pensent que les sanctuaires
et le gibier vont enfin payer leur part dans la construction du pays
grâce aux différentes aides en provenances de l'occident.
Tout comme à l'époque coloniale, mais peut
être de façon plus nuancée, reste posé le
problème du véritable partage des bénéfices
tirés des ressources naturelles avec les communautés locales,
à majorité d'ethnie Maasai, qui en ont été pourtant
les vrais gestionnaires durant de nombreux siècles et qui maintenant
n'en subissent que les inconvénients. Mais comme nous l'avons vu
précédemment, des programmes de conservation associant les
populations locales sont déjà là même si les efforts
de leur exécution restent très timides par rapport à ce
qui se passe en Afrique australe.
Après plus de 15 ans de la politique «
Ujamaa » du Président Nyerere et ses conséquences
dans le domaine de la conservation, il est aujourd'hui nécessaire que le
gouvernement tanzanien profite de la politique de décentralisation (dans
le cadre du Programme d'Ajustement Structurel) en cours dans le pays depuis
plus d'une dizaine d'années, afin d'appliquer ces nouveaux programmes en
matière de conservation participative. En outre, il doit
s'intégrer parfaitement, à travers les « Projets de
biodiversité transfrontaliers » ou « Parcs de la
paix » dans la région (que ce soit au Kenya ou en Zambie) en
vue de bien faire participer les populations locales, surtout les quelques
1.200.000 Maasai que comptent le pays, à la gestion durable des
ressources naturelles (en particulier la faune sauvage) que regorge le pays.
C'est à travers de cette politique de conservation participative que
prendront fin certains conflits qui opposent les populations locales aux
gardiens à l'intérieur et/ou autour des parcs et réserves
de la Tanzanie.
Côté ougandais, il faut dire qu'après
plusieurs années de cauchemar, le pays semble retrouve le bon chemin.
Des projets de conservation participative sont déjà sur place,
grâce à l'influence de l'extérieur (comme c'est d'ailleurs
le cas du Kenya et de la Tanzanie), mais il faut que le gouvernement ougandais
s'investisse davantage dans ces projets. Il doit d'abord miser sur la politique
régionale de conservation en essayant de coopérer
étroitement avec les pays voisins (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui),
notamment le Rwanda et le Congo- Kinshasa, sans oublier le Soudan au Nord, afin
que la sécurité des aires protégées contiguës
entre l'un ou l'autre des pays ci-haut cités soit assurée. Cela
reste une condition sine qua non pour l'arrivée massive des
touristes.
Ensuite, il doit essayer de résoudre durablement le
problème des peuples Iks situés au Nord-Est du pays (autour du
Parc National de Kidepo), sans oublier celui de quelques 30.000 paysans
déplacés lors de la création du corridor des
éléphants entre le Parc national de la Reine Elisabeth et la
Réserve de Kabale à la fin des années 1980. Si le premier
semble trouver une issue étant donné qu'un projet de
biodiversité transfrontalier commence à s'occuper de ces
populations dans les forêts situées en dehors du parc, il
semblerait que le second est loin d'être résolu. Or, ces
populations sont en danger puisque, privées de leurs terres
d'exploitation agricole, elles n'ont plus d'autres moyens d'assurer leur
survie. Ce qui n'est pas bon ni pour ces populations ni pour les aires
protégées car les menaces qui pèsent sur ces
dernières vont absolument augmenter.
les années 80 en Afrique australe, mais qu'un grand pas
reste à franchir. En effet, aussi longtemps que les populations locales
chassées de leurs terres (depuis le début du
20ème siècle) ne seront pas véritablement
associées à la politique de conservation pour en tirer profit,
tous les projets seront voués à l'échec et le fameux
« développement durable » tant chanté par les
organisations de tout genre ne sera pas atteint.
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