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L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

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par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

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III.6. La démocratisation des discussions

Chez Locke aussi bien que chez Rousseau, c'est la doctrine de la division du pouvoir qui permettait le passage de la théorie des droits fondamentaux à celles des institutions politiques légitimes. C'est une configuration qui aujourd'hui peut être reprise dans le cadre d'une conceptualisation qui différencie système et monde vécu :

« Je propose de considérer le droit comme le medium qui permet au pouvoir fondé sur la communication de se transformer en pouvoir administratif, écrit Habermas. [...] L'idée d'Etat de droit peut alors être interprétée, d'une façon générale, comme l'exigence de lier le système administratif régulé par le code du pouvoir, à un pouvoir législatif fondé sur la communication et de le dégager des interférences du pouvoir social, autrement dit de la force factuelle d'intervention des intérêts privilégiés »128(*).

Ici, c'est la communication qui inspire la démocratie. C'est elle qui influence la thèse démocratique classique qui stipule que le sujet de la volonté politique n'est pas le gouvernement encore moins l'Etat, mais le "peuple", compris ici comme le protagoniste de délibérations possibles.

Cependant, cette théorie juridico-politique doit prendre en compte les conséquences de l'impossibilité de réaliser les exigences ambitieuses liées aux critères d'universalité qu'impose le principe D. Comment faire en sorte que les délibérations politiques au sein de la société conduisent réellement à un consensus fondé sur la reconnaissance universelle des meilleurs arguments ? Habermas distingue trois sortes de délibérations pour résoudre cette difficulté. Dans la première délibération, le point de vue moral est au centre et le critère d'universalisation est en principe utilisable et en tout cas rationnellement exigible, même si, dans les faits, il ne peut être que partiellement mis en pratique. La deuxième délibération propose une discussion éthique où les acteurs explicitent le type de pré-compréhension axiologique sur le lequel repose la forme de la vie collective à laquelle ils appartiennent. Comme dans le premier cas, la proximité avec l'idéal du consensus motivé est exigible, même si les désaccords ont des chances d'être plus profonds. Restent les cas où aucun intérêt universalisable clair ni aucune valeur partagée n'apparaît. Ici intervient alors la négociation.

Dans Droit et démocratie, la négociation est présentée comme une espèce de pis-aller qui permet de conserver un lien, même ténu, avec les exigences communicationnelles. Malheureusement, cette pratique est marquée par une bonne part d'irrationalité qui provient surtout de la faible chance que les "exploités" et autres "exclus" y prennent part efficacement de leur point de vue, tandis que les détenteurs de positions sociales dominantes sont, de leur côté, tentés de s'y soustraire ou de ne s'y engager qu'en se sachant protégés dans leurs intérêts essentiels. « De tels compromis prévoient un arrangement qui (a) est pour tous plus avantageux que l'absence de tout arrangement, et qui exclut à la fois (b) les resquilleurs qui refusent de participer à la coopération et (c) les exploités qui tirent moins de profit de la coopération qu'ils n'y perdent »129(*). Une situation comme on le voit très dramatique. Mais alors, comment pourrait-on y remédier ? Aucune recette magique, mais une conviction qui rassure : quand la société est remplie de culture démocratique, l'intolérance face aux injustices et aux inégalités sociales se développe, réduisant ainsi la voix vociférante des « resquilleurs » et enclenchant une dynamique d'intégration des laissés-pour-compte, des « exploités ».

Mais ces trois formes de discussion ne suffisent pas pour démocratiser les discussions. Il faut encore analyser les espaces sociaux où la discussion peut être annoncée, vécue en réalité et entretenue. C'est dans le droit moderne légitime que Habermas trouve la vitalité de la discussion. Et cela à trois niveaux : le tribunal, les pratiques démocratiques institutionnalisées et l'espace informel de la délibération démocratique.

III.6.1. Le tribunal

On y aperçoit une confrontation des intérêts des parties pour parvenir à un accord raisonnable en invoquant, autant que faire se peut, des arguments intersubjectifs acceptables. On s'appuie sur une jurisprudence qui, de façon idéale, le recueille les décisions antérieures bien fondées et permet ainsi d'alimenter la discussion. Cependant, même si son interprétation est positive, Habermas élabore une approche nettement déflationniste du tribunal. Il est convaincu que « les parties en présence ne sont pas tenues de rechercher la vérité par une quelconque coopération, et elles peuvent ménager leur intérêt à ce que la procédure débouche sur une issue favorable »130(*). Dans le procès, il est donc question, d'un mixte entre deux modes typiques de l'agir : le communicationnel et l'instrumental-stratégique. Les asymétries de position qui laissent le droit de prononcer le droit à la seule personne du juge en sont la preuve tangible. D'autre part, avec le poids des traditions nationales et des exigences de cohérence intra-systémique, les règles du procès sont fondamentalement liées à des circonstances historiques contingentes et à des rapports de force inertes, de sorte que « les conditions procédurales qui président aux argumentations en général ne sont pas suffisamment sélectives pour obtenir des décisions qui soient les seules justes »131(*).

Habermas est convaincu qu'il n'existe qu'une simple influence indirecte des principes de rationalité communicationnelle sur les pratiques propres au tribunal moderne : « Le droit procédural ne règle pas l'argumentation normative et juridique en tant que telle, mais il garantit des points de vue temporel, social et matériel, le cadre institutionnel où l'on laisse libre cours aux développements communicationnels [possibles] qui obéissent à la logique de la discussion relative à l'application »132(*). Les procès empiriques présentent une trop grande diversité pour qu'on puisse voir en eux un reflet pur et simple de la rationalité pratique redéfinie intersubjectivement. Voilà pourquoi il apparaît prudent d'insister sur la possibilité de la révision et du renvoi à une instance supérieure susceptible de confirmer ou de casser le premier jugement. C'est cette possibilité qui garantit une discussion rationnelle malgré sa contingence et sa faillibilité : « L'auto-réflexion institutionnalisée du droit sert à la protection juridique individuelle d'un double point de vue, celui de la justice eu égard aux cas individuels, et celui de l'homogénéité de l'application du droit et de sa constante mise à jour »133(*).

Une telle approche diplomatique du judiciaire trouve place dans la justice constitutionnelle de Habermas. On sait combien, surtout au Congo ou dans la plupart des pays du Tiers-Monde, le dogme classique de la souveraineté, même filtré par le principe de la séparation des pouvoirs, a toujours constitué un obstacle à la mise en valeur philosophique et juridique d'une telle institution dans la machine politique. Dès lors, comment parler d'un contrôle réflexif de la juridiction quand le pouvoir est pensé sous la catégorie de l'exercice de la puissance souveraine ; quand le droit est conçu comme l'expression éventuellement illimitée d'une volonté nécessairement valable parce qu'émanant de cette autorité dernière qu'est le souverain ? Pourtant, le tribunal constitutionnel doit être le garant ultime de l'ordre juridique, soit qu'on attribue au juge la fonction de « professeur prophétique qui, par son interprétation de la parole divine des Pères fondateurs, assure la continuité d'une tradition constitutive de la vie communautaire »134(*), soit qu'on voie dans la cour constitutionnelle le porte-parole des valeurs humanistes constitutives qui portent tout l'Etat.

Habermas lui aussi reconnaît que le tribunal constitutionnel est la clef de voûte d'un système juridique moderne. Loin d'être seulement un simple régulateur des rapports entre l'Etat et le citoyen, le tribunal habermassien est en réalité l'ensemble de la formation de la volonté juridique que visent ses décisions. C'est à lui d'évaluer si les pouvoirs sociaux et les groupes d'intérêts issus de la sphère économique n'ont pas interféré avec le pouvoir légitime enraciné dans la discussion démocratique135(*). Mais cela ne veut pas dire que, le juge constitutionnel doit maintenant se substituer à l'auto-thématisation de la société civile : « La transformation conceptuelle des droits fondamentaux en valeurs fondamentales revient à opérer un travestissement téléologique des droits, par lequel on masque le fait que les normes et les valeurs assument dans les contextes de justification des rôles distincts dus à la différence de statut qui est la leur du point de vue de la logique de l'argumentation »136(*).

En fait, la cour constitutionnelle évalue la procédure de la décision comprise dans toute son ampleur, compte tenu de la compatibilité des intérêts particuliers avec l'intérêt général ainsi que des exigences universelles de justice. « Le critère de l'appréciation est constitué par le fait que la formation de l'opinion et de la volonté est fondée sur la discussion, et en particulier la question de savoir si la décision législative a été prise au nom d'intérêts privés qui ne sont pas susceptibles d'être déclarés dans le cadre de débats parlementaires »137(*).

* 128 Ibid., p. 169.

* 129 Ibid., p. 185.

* 130 Ibid., p. 254.

* 131 Ibid.

* 132 Ibid., p. 258.

* 133 Ibid., pp. 259-260.

* 134 Ibid., p. 281.

* 135 Ibid., p. 284.

* 136 Ibid., p. 280.

* 137 Ibid., p. 300.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote