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L'émergence de la responsabilité sociale des entreprises en Afrique : état des lieux, enjeux et perspectives

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par Urbain K. YAMEOGO
IAE Gustave Eiffel - Université Paris 12 (Créteil) - Master 2 professionnel Management de la RSE 2007
  

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B- Les initiatives en matière de RSE en Afrique

I- Les initiatives nationales et continentales des acteurs

a) Les initiatives des pouvoirs publics

Par leurs missions traditionnelles de satisfaction de l'intérêt général et de protection de l'individu et de la collectivité, les acteurs publics assument une responsabilité importante voire primordiale en matière de RSE. Ces acteurs peuvent s'investir dans la RSE sous diverses formes en tant que censeur, promoteur ou incitateur ou tout simplement en donnant l'exemple par leur implication dans des démarches de responsabilité sociétale.

1. ISO 26000 et les comités miroirs nationaux40

Plusieurs pays africains sont « membres pleins » de l'Organisation Internationale de Normalisation (ISO) et prennent part aux processus d'élaboration des normes à travers leurs organismes nationaux de normalisation41. Cependant beaucoup d'autres pays ne sont que membres observateurs ou correspondants. Dans le cadre de l'élaboration des lignes directrices ISO 26000, des comités miroirs nationaux ont été mis en place autour des organismes nationaux de normalisation. Ces comités miroirs nationaux regroupent diverses catégories d'acteurs ou parties prenantes (pouvoirs publics, industries, organisations non gouvernementales, monde du travail, consommateurs et les SSRO pour désigner les Services, Etudes, Recherches et autres) qui travaillent sur les propositions des groupes de travail. Au stade actuel de l'élaboration de la norme l'opportunité est donnée à tous les membres, pleins ou non, et à toute organisation/structure de faire remonter à l'ISO, par le biais des comités miroirs nationaux, leurs observations à la lumière des réalités nationales. On note l'existence de comités miroirs notamment en Afrique du sud, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, en Egypte, au Maroc, au Sénégal.

Cette initiative est innovante en ce qu'elle réunit diverses parties prenantes autour d'un concept à clarifier, à construire en prenant en compte différentes approches, différentes perceptions et différentes visions. Tout l'enjeu du processus est non seulement de tenir compte de ces particularités et des avis nationaux, sans noyer l'essentiel des lignes directrices dans des particularismes nationaux ou organisationnels mais aussi de rendre les lignes

40 L'ISO a été créée en 1947 et constitue la première organisation productrice de normes au niveau international. Elle comprend aujourd'hui 157 organismes nationaux de normalisation membres

41 Pour plus d'information sur les pays membres de l'ISO : http://www.iso.org/iso/iso members

directrices accessibles, compréhensibles et adaptables sinon applicables à toutes les organisations dans tous les pays. Ce processus favorise le rapprochement et le dialogue entre des organisations (industries et ONG par exemple) qui n'avaient sans doute jamais fait l'expérience d'une collaboration dans le cadre d'un processus de normalisation. Ce processus favorise le renforcement des capacités de certaines organisations dans le domaine de la RSE et leur permet en retour de développer des initiatives. C'est le cas par exemple de l'Association Sénégalaise de Normalisation (ASN) qui vient d'organiser un séminaire à Dakar sur la responsabilité sociétale des entreprises du secteur des plastiques.

2. L'atelier régional sur la responsabilité des entreprises du secteur plastique42

Cet atelier organisé en juillet 2007 en collaboration avec l'Association internationale des volontaires laïcs (Lvia) a connu la présence de la Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Mali et de la Mauritanie preuve, s'il en est besoin, que la gestion des déchets plastiques est une question cruciale au Sénégal et dans la sous région et nécessite de ce fait une coordination et une collaboration des interventions sur ce champ. L'atelier était une occasion de sensibiliser les acteurs politiques, économiques et sociaux sur l'importance de la normalisation comme voie de réponse aux problématiques de RSE et comme voie d'amélioration des performances de l'entreprise. L'Association sénégalaise de normalisation qui est à l'origine de cet atelier est membre plein de l'ISO et participe aux travaux du Réseau francophone sur la responsabilité sociétale en vue du développement durable (Réseau RSDD). Elle prend activement part aux travaux de l'ISO 26000 et à ce titre, elle constitue un acteur essentiel de la RSE au Sénégal en tant que structure hôte du comité miroir sénégalais.

b) Les initiatives du milieu des affaires

En Afrique, le secteur informel occupe une grande partie de l'économie de la plupart des Etats africains et l'implantation d'entreprises multinationales est plus ou moins forte en fonction des Etats, des ressources dont ils regorgent et des opportunités de marché. Pour des questions pratiques de collectes des informations, nous nous sommes limité aux initiatives développées par les entreprises du secteur formel et en particulier celles des grandes entreprises publiques et privées ou mixtes, des implantations des multinationales ainsi que celles des organisations professionnelles.

42 Pour plus d'information : http://www.lesoleil.sn/article.php3?id article=27149

1. Démarches QSE (ISO 9001, ISO 14000, OHSAS 18001)

Les démarches qualité ont fait bonne recette dans beaucoup de pays africains au sein du milieu des entreprises. Des entreprises s'y sont engagées avec la ferme volonté d'améliorer leur compétitivité par la qualité de leurs produits et services. Parallèlement se sont aussi développées des normes en matière de management environnemental, d'hygiène, de santé et de sécurité qui ont suscité l'intérêt des entreprises. Plusieurs entreprises ont ainsi adopté des outils et référentiels QSE (Qualité, Sécurité, Environnement) et ont fait l'objet d'une triple certification ISO 9001, ISO 14001 et OHSAS 18001. L'adoption de l'outil QSE amène l'entreprise à allier compétitivité économique, protection sociale et de l'environnement. Cette démarche qui aboutit à une triple certification a été la voie par laquelle certaines entreprises africaines estiment s'être engagées officiellement dans le développement durable et la RSE. C'est l'exemple d'AZITO O&M en Côte d'Ivoire qui, après sa triple certification, ambitionne d'« être en Afrique la référence du Développement Durable»43.

2. La mobilisation des milieux des affaires et des syndicats contre le SIDA L'Afrique constitue le continent le plus touché par la pandémie du Sida. La frange jeune, c'est-à-dire la force de travail du continent, est très affectée et la situation est particulièrement catastrophique dans certains pays notamment d'Afrique Australe où la séro-prévalence dépasse souvent les 20%. Les entreprises sont de fait affectées et interpellées par les enjeux liés au SIDA : sur les 40 millions de personnes infectées par le VIH/SIDA dans le monde, 26 millions seraient des travailleurs44. Les enjeux qui se posent sont la sensibilisation des salariés et des communautés locales, la prévention, le dépistage, l'accès au traitement, la non- discrimination, etc.

La mobilisation du monde des affaires contre le Sida concerne aussi bien des entreprises
multinationales que nationales, publiques comme privées. La plupart des multinationales
implantées en Afrique placent la lutte contre le SIDA au rang des premières responsabilités

43 AZITO est une entreprise d'économie mixte détenue par l'Etat ivoirien et EDF qui opère dans le domaine de l'énergie et qui fournit 50% de la consommation de la Côte d'Ivoire

44 Le rapport de la 93ème conférence internationale du travail révèle aussi que trois millions de personnes en âge de travailler meurent chaque année en raison du VIH/Sida. Les pertes se chiffraient déjà à environ 28 millions de travailleurs en 2005. Et au président de l'AECV Edouard Rochet d'ajouter que « le Sida est une menace pour les entreprises où en cas de décès du travailleur, il faut repartir à zéro, reprendre la formation sans compter avec l'expérience ».

sociales de l'entreprise. Des séminaires réunissent les entreprises autour du SIDA45 et des structures associatives se sont créées pour coordonner la lutte et apporter aux entreprises l'expertise nécessaire. C'est l'exemple de l'association Sida - Entreprises au niveau international et de l'association « Action des entreprises contre le VIH/Sida au Burkina (AECV) ». Beaucoup d'entreprises multinationales s'appuient sur Sida - Entreprises46 pour développer des programmes innovants en matière de prévention et de traitement.

« Partenaires contre le sida» a été lancée par la Coalition Mondiale des Entreprises contre le sida, la tuberculose et le paludisme (GBC) et Sida-Entreprises avec l'appui financier de l'Agence Française de Développement. Cette association s'investit dans la prévention et la prise en charge avec pour but de renforcer la place du secteur privé dans les programmes publics et les politiques nationales de lutte contre le SIDA, la tuberculose et les maladies sexuellement transmissibles (MST). Elle offre par ailleurs aux entreprises une expertise technique pour conduire des programmes internes. Une des problématiques associées à la lutte contre le SIDA est sans doute le tourisme sexuel qui interpelle les entreprises du secteur touristique.

3. Lutte contre le tourisme sexuel : une charte au Cameroun

La lutte est en train de s'organiser au Cameroun comme l'atteste l'adoption d'une « Charte contre le tourisme sexuel » par des acteurs du tourisme le 2 juin 2007 à l'occasion de la première journée mondiale pour un tourisme responsable. Cette charte vise à « lutter contre le tourisme sexuel et défendre les valeurs culturelles »47. Son adoption s'inscrit dans la dynamique mondiale de promotion d'un tourisme durable portée par la Coalition internationale pour un tourisme responsable.

4. L'Observatoire des pratiques éthiques des affaires en Afrique de l'Ouest La création de l'Observatoire des pratiques éthiques des affaires en Afrique de l'Ouest fait suite à un colloque sur l'éthique et le management organisé du 8 au 10 juin 2006 à Dakar, sur

45 Le dernier séminaire international s'est tenu les 26 et 27 juin 2007, à l'hôtel Sofitel Ouaga 2000.

46 Selon M. VIRY, président de Sida - Entreprises «le rôle de Sida-entreprises est d'entretenir l'engagement des acteurs contre le Sida au sein des entreprises »

47 10% des 842 millions de touristes choisissent leur lieu de villégiature en fonction du marché du sexe disponible et selon le président de la Coalition internationale pour un tourisme responsable, Guillaume Cromer, trois millions d'adolescents dans le monde sont affectés par le tourisme sexuel, auquel l'Afrique paie un lourd tribut http://www.afrik.com/article11865.html

l'initiative de l'Institut Africain de Management (IAM). L'Observatoire des pratiques éthiques des affaires en Afrique de l'Ouest a été mis en place pour répondre au souhait des participants de créer un observatoire, qui aurait une mission de « veille et de contrôle des pratiques éthiques dans la gestion des entreprises » comme indique le communiqué de presse qui lève le voile sur les attributions de la structure. L'Observatoire s'est doté d'une charte éthique et nourrit l'ambitieux objectif de développer un climat sain dans le milieu régional des affaires par :

- la mise en place d'un label éthique

- la collecte de l'information et veille sur l'éthique des affaires

- l'accompagnement d'entreprises dans la mise en oeuvre de « programmes d'équité sociale, le respect de l'environnement, et l'amélioration de la cohésion sociale, des relations de commerce équitable »

Contrairement à d'autres initiatives multi parties prenantes, l'OPEAO ne réunit que des entreprises soucieuses de travailler sur les problématiques liées à l'éthique des affaires.

5. Forum des employeurs africains sur la RSE et la déclaration de Bamako48 Il s'est tenu à Bamako un forum sous-régional de réflexion des organisations d'employeurs d'Afrique francophone sur la responsabilité sociale des entreprises en août 2007. Organisé par le Conseil National du Patronat du Mali (CNPM) en collaboration avec le Bureau International du Travail (BIT) et l'Organisation Internationale des Employeurs (OIE), ce forum, premier du genre dans le milieu des employeurs d'Afrique francophone, avait pour objectif de « dégager une stratégie africaine commune de promotion de la RSE sur le continent » . Il vise par ailleurs l'amélioration des connaissances et le renforcement des capacités, les échanges de bonnes pratiques et l'appropriation de la notion par les employeurs africains. Ce forum a été l'opportunité pour certaines entreprises de présenter leur engagement et leurs expériences en matière de RSE. Ce premier forum s'est conclu par une déclaration dite de Bamako à travers laquelle les employeurs déclarent partager la vision de l'organisation Internationale des Employeurs sur la RSE et être « convaincus de la nécessité de prendre en compte les questions sociales et environnementales dans le cadre d'un développement harmonieux et durable de chacun des pays membres de l'espace africain francophone » et affirment « saisir toute la portée de la Responsabilité Sociale de l'entreprise africaine et

48 http://www.bamanet.net/actualite/print/4201.html et http://www.cnpmali.org

encouragent les dirigeants d'entreprise à s'approprier volontairement et librement ce concept et à tout mettre en oeuvre pour assurer sa promotion ».

d. les organisations de la société civile49

Le rôle que la société civile joue ou est susceptible d'occuper dans le débat sur la RSE ou en faveur du changement social est fonction de son état, de son expertise et de ses capacités d'influence. Selon les informations que nous avons recueillies à travers notre consultation, il ressort que la plupart des pays africains disposent d'une implantation assez forte d'organisations de la société civile qui interviennent sur divers champs, allant du développement local aux droits humains en passant par l'environnement, la lutte contre la corruption, la défense des intérêts matériels et moraux de leurs membres, etc. Cependant cette forte présence d'organisations de la société civile contraste, selon les pays, avec leur capacité réelle d'influence. La société civile demeure plus ou moins structurée selon les pays et, dans la plupart des cas, peu influentes. La RSE ne semble pas être leur préoccupation majeure du fait de la faible structuration de l'entreprenariat privé et du manque d'expertise. Cependant, toutes les organisations de la société civile n'ont pas été insensibles à l'émergence de la RSE et ont, bien au contraire, développé des initiatives dans ce sens.

1) La conférence maghrébine des travailleurs sur la RSE
Cette conférence s'est tenue à Tunis les 6 et 7 mai 2005, organisée par l'Union Syndicale des
Travailleurs du Maghreb, en collaboration avec l'Organisation Arabe du Travail sur le thème
de « la responsabilité sociale de l'entreprise économique » et a connu la participation des
Organisations de travailleurs de Libye, d'Algérie, du Maroc, de Mauritanie et de Tunisie. Elle
a permis aux participants de se familiariser avec le Pacte Mondial, les principes directeurs de
l'OCDE à l'intention des multinationales et la déclaration de principes tripartite de l'OIT sur
les entreprises multinationales et la politique sociale. Dans les recommandations finales les
participants notent que : « le concept «Responsabilité Sociale de l'entreprise économique»
est un concept apparu souvent dans le contexte de l'accroissement de la mondialisation et il
est relié à la question du développement durable, mais pourrait être interprété différemment.
Ainsi, certains partenaires pourraient en faire un mauvais usage, c'est pourquoi les

49 Selon Habermas, « la société civile se compose de ces associations, organisations et mouvements qui à la fois accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l'espace public politique, la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privée ».

syndicalistes sont tenus de mieux l'éclaircir et de fixer son contenu et ses limites de façon à le mettre au service du développement social global et à éviter les interprétations et les utilisations restrictives et intéressées ».

2) Travail et environnement, lutte contre la pauvreté, SIDA et la corruption

à l'ordre du jour des conférences et des plans d'action des syndicats africains Une conférence des Cadres d'UNI AFRICA co-organisée par UNI et la CFDT a réuni les représentants syndicaux de divers pays francophones à Yaoundé, du 13 au 17 novembre 2006 sur la thématique de la corruption. A l'issue de cette formation, les participants ont adopté des résolutions dans lesquelles ils marquent leur volonté :

- « d'intégrer le concept de la responsabilité sociale et sociétale des cadres dans le processus de dialogue social ;

- de promouvoir l'éthique et la bonne gouvernance pour la lutte contre la corruption et la mauvaise gestion des ressources ;

- et de mettre en place dans chaque pays un cadre de réflexion en vue de partager les expériences ».

Peu avant cette conférence s'est tenue du 28 au 29 juillet 2006 à Johannesburg une autre conférence syndicale sur le travail et l'environnement. A cette occasion un module de formation a été présenté par M Gabou GUEYE vice-président d'UNI sur « le gouvernement d'entreprise, la responsabilité des entreprises : transparences financières et équité sociale », la preuve, une fois de plus, que le débat sur la RSE s'ancre progressivement dans le paysage syndical africain. Les syndicats s'engagent ainsi sur des champs quelques peu différents du terrain traditionnel de défense des intérêts de leurs adhérents pour s'engager dans des enjeux qui interpellent toute la société. C'est ainsi que dès 2003 UNI Africa déclarait la guerre à la pauvreté et au Sida. Des programmes de lutte contre le SIDA se sont aussi développés au sein des syndicats afin surtout de « faire valoir les droits des travailleurs vivant avec le VIH/SIDA dans le milieu du travail ». C'est toute la raison de l'engagement d'UNI - Africa à travers l'Action contre le VIH/sida en Afrique lancée à l'occasion de la 1ère Conférence Régionale UNI-Africa tenue à Johannesburg du 15 au 18 octobre 2003 et précédé de l'appel des jeunes d'UNI-Africa à un engagement des syndicats sur ce terrain. L'une des causes ou des vecteurs possibles voire évidents du Sida est le tourisme sexuel et la lutte contre le Sida passe aussi par l'implication responsable des entreprises opérant dans le secteur touristique.

3) Les mouvements sociaux dans le débat sur la RSE en Afrique

Beaucoup d'organisations africaines se sont impliquées dans les forums sociaux mondiaux et au fil du temps, elles se sont forgées une certaine expertise dans l'analyse des phénomènes économiques locaux, nationaux, régionaux et internationaux. Des forums sociaux mondiaux se sont déroulés sur le sol africain à Bamako au Mali et à Nairobi au Kenya. Des forums sociaux nationaux (Burkina50, au MALI51) et régionaux (forum social ouest africain FSOA)52 ont aussi vu le jour. Au nombre des sujets de débat lors de ces forums sociaux figurent en bonne place la mondialisation néolibérale et l'OMC, les OMD, les questions agricoles dans les négociations internationales, la souveraineté alimentaire et les OGM, la dette et les investissements, l'immigration, les accords de partenariat économique (APE) entre l'Union Européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), les droits économiques, sociaux et culturels de façon générale et en particulier l'accès aux biens essentiels. A l'occasion du deuxième FSOA tenue au Bénin la responsabilité des acteurs économiques et les questions relatives à la gouvernance des entreprises et au contrôle citoyen ont constitué des thèmes de débat et de proposition.

4) « Publiez ce que vous payez »

Il s'agit d'une initiative internationale qui vise à inciter voire contraindre les entreprises du secteur extractif et les Etats riches en ressources minières et surtout pétrolières à faire de la transparence autour des recettes de ces exploitations. Selon le coordonnateur pour l'Afrique de «Publiez Ce Que Vous Payez», Matteo PELLEGRINI, « en Afrique, la question du delta du Niger et de l'oléoduc Tchad-Cameroun a été le déclencheur de l'action de la société civile internationale et nationale » à travers l'initiative «Publiez Ce Que Vous Payez»53. Cette campagne internationale a trouvé des échos auprès de la société civile africaine et des coalitions nationales se sont constituées dans divers pays où l'activité extractive des mines et

50 Le forum social du Burkina (FSB) s'est tenu du 28 au 30 mars 2007 à Loumbila près de Ouagadougou. Pour plus d'information voir http://www.forumsocialburkina.info

51 Le forum des Peuples a eu lieu à Gao du 15 au 17 juillet 2006 et a réuni les représentants des mouvements sociaux des pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Conakry, Mali, Maroc, Niger, Belgique, Canada, France, Ecosse.

52 La deuxième édition du FSOA s'est tenu à Cotonou du 23 au 25 septembre 2005. Pour plus d'information sur ce forum voir http://www.mediabenin.org/fsoa

53 Présentation de PCQVP lors d'un atelier organisé en juin 2007 à Libreville disponible sur : http://www.publishwhatyoupay.org/francais/pdf/bulletins/0106afrique.pdf

ressources pétrolières et de gaz occupent une place importante dans l' économie. A ce jour, plus de 12 coalitions «Publiez Ce Que Vous Payez» existent à travers l'Afrique54.

5) L'initiative de transparence des industries extractives

En réaction à la campagne « Publish what you pay » (Publiez ce que vous payez) engagée par des ONG, Tony BLAIR et le gouvernement britannique lancent l'Extractive Industry Transparency Initiative (EITI) lors du sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002. Cette initiative publique a connu une adhésion majoritairement de pays africains puisque 14 des 22 pays qui ont adhéré à cette initiative sont du continent africain. D'autres institutions africaines comme le groupe de la Banque africaine de développement (BAD) y ont également souscrit55. Cette initiative et son pendant ONG « Publish what you pay » sont parmi les initiatives internationales de RSE les plus connues des acteurs africains dans les pays où se pose la problématique de la transparence de la gestion des recettes minières et pétrolières.

e. Le monde académique et de la recherche

Le monde académique occidental est aujourd'hui un acteur incontournable du débat et des initiatives en matière de RSE. Beaucoup de travaux de recherche et de publications ont appuyé l'action des parties prenantes. Le monde académique et de la recherche est le lieu d'éclosion des théories et d'analyse des faits économiques et sociaux. La contribution du monde académique et de la recherche en Afrique est tout aussi importante pour l'institutionnalisation de la RSE en Afrique. Le développement durable est bien connu et fait l'objet d'enseignement et de travaux de recherche au sein des universités dans plusieurs filières académiques (droit, sciences économiques et de gestion, communication - journalisme, en sociologie, dans les études environnementales, l'agriculture et le développement rural de façon générale.), dans les centres de recherches et les écoles spécialisées56. Des activités académiques et des colloques sont organisés autour du

54 Les 12 coalitions de la société civile sont originaires de : Mauritanie, Guinée Conakry, Sierra Leone, Libéria, Nigeria, Ghana, Côte d'Ivoire, Niger, Tchad, Cameroun, Congo Brazzaville, RDC. La société civile est mobilisée également en Guinée Equatoriale, Sao Tomé, Angola, Madagascar, Zambie, Mozambique, Guinée Bissau, Botswana et Afrique du Sud et une nouvelle coalition a vu le jour au Gabon en juin 2007

55Le Potentiel éd. 3856 19/10/06 http://www.lepotentiel.com/afficher article.php?id edition=&id article=35928 56 L'Institut International d'Ingénierie de l'Eau et de l'Environnement (2IE), ex groupe EIER - ETSHER basé à Ouagadougou offre diverses formations spécialisées liées au développement durable. www.eieretsher.org

développement durable. Cependant, la RSE n'est pas abordée en tant que discipline ou branche autonome ni en tant que module d'enseignement. Mais divers enseignements en matière de gestion et de gouvernance des entreprises ou touchant aux problématiques de RSE ressortent. Des professionnels universitaires et du conseil s'intéressent de plus en plus à la RSE et l'expertise est en construction dans plusieurs pays anglophones (l'Afrique du sud, Ghana, Nigeria, Kenya, etc.) et dans quelques pays francophones (Maroc, Tunisie).

1) Le Business Ethics Network of Africa (BEN Africa)57

Créé en 1990, il réunit des professionnels universitaires de plus de 25 pays africains disposant de compétences dans l'enseignement, la recherche et la gestion des questions relatives à l'éthique des affaires. Le réseau a des représentations au Botswana, au Kenya, au Nigeria, en Afrique du sud, en Tanzanie et au Cameroun. L'utilisation d'outil électronique (site web, newsletter) et des conférences permettent d'entretenir une certaine interaction entre les membres et d'échanger sur les questions.

2) Le milieu académique sud-africain

L'Afrique du sud est assurément le pays africain où la notion de RSE ou de citoyenneté d'entreprise fait autant débat que dans les milieux académiques occidentaux. L'histoire du pays et le rôle joué par les entreprises pendant le régime d'apartheid a été un élément propulseur de la RSE en Afrique du sud.

Le « Centre for Corporate Citizenship », un programme des facultés de Sciences économiques et gestion de l'université d'Afrique du Sud (UNISA), est aujourd'hui un acteur essentiel dans le développement de la RSE en Afrique du sud. Il se positionne comme un leader dans la construction des connaissances et le renforcement des capacités individuelles et institutionnelles sur la RSE et dans « la promotion des affaires soutenables et la cohésion sociale ». Il s'investit aussi bien dans l'enseignement, la formation que dans la recherche et le plaidoyer en faveur de la RSE et enfin développe un programme d'accompagnement et de conseil des professionnels dans la conduite du changement et l'intégration de la RSE dans les pratiques managériales. A la suite de l'UNISA, d'autres universités ont développé des enseignements qui intègrent la RSE. C'est l'exemple de la Graduate school of business du Cape Town, du Leadership centre de l'université du Natal qui développe, en partenariat avec

57 http://www.benafrica.org/

la National Business Initiative (NBI) et l'International Business Leaders Forum (IBLF), un programme de MASTER entièrement consacré à la RSE.

On peut affirmer que l'intérêt de la RSE pour le monde académique sud africain est à la hauteur ou à l'aune de l'intérêt qu'il suscite au sein même du pays et du milieu des affaires en particulier.

Dans d'autres pays comme le Nigeria et le Kenya, il convient de noter quelques enseignements dispensés incluant la RSE en général ou la gouvernance des entreprises et l'éthique des affaires au Lagos business school logée au sein de l'université panafricaine du Nigeria et au Eastern and Southern Management Institute de Nairobi. On peut ainsi constater que les écoles de management se positionnent comme les leaders dans l'enseignement la recherche et le plaidoyer autour de la RSE. Autre fait d'importance à noter : la collaboration entre ces écoles et d'autres acteurs notamment du milieu des affaires mais aussi de la société civile. Cette collaboration s'est souvent traduite par le développement d'initiatives mixtes ou conjointes et à ce titre l'AICC, constitue le meilleur exemple.

f. Les initiatives mixtes ou « multi-parties prenantes » : l'AICC et la Convention de l'African Corporate Citizenship58

L'Institut africain pour la citoyenneté d'entreprise (AICC) est une organisation multi parties prenantes qui a vu le jour en Afrique du sud en 2001 et qui se positionne comme un centre d'excellence dans la promotion de la responsabilité sociétale des entreprises et dans la construction de sociétés durables. L'Institut développe plusieurs programmes en faveur de la RSE en Afrique.

L'Africa Corporate Sustainability Forum (ACSF) est un des premiers programmes majeurs de l'AICC. Tribune multi parties prenantes établie en 2005, l'ACSF offre une opportunité de rencontre entre divers acteurs pour des échanges d'expériences autour des grands défis africains en matière de RSE. Le Centre for Sustainability Investing (CSI), créé en 2003 offre à l'AICC l'opportunité de s'investir dans l'évaluation de la manière dont les innovations dans les produits financiers, les mécanismes de marché et les structures de régulation peuvent mieux contribuer au développement durable en Afrique. Le programme de compétition et d'innovation (Competitiveness and Innovation) vise le renforcement des capacités institutionnelles des organisations de la société civile pour leur permettre de s'engager avec

58 L'institut intervient sur divers projets au Botswana, au Cameroun, au Lesotho, Malawi, au Mozambique en Namibie, au Nigeria, en Zambie et au Zimbabwe. Pour plus d'information : www.aiccafrica.org

les entreprises sur les questions fondamentales de RSE. ReportCom est une plate-forme de recherche, d'implication et d'échanges de connaissances et d'expériences sur le reporting en matière de RSE et de développement durable en général. Elle s'investit dans le plaidoyer en faveur du reporting, les modèles d'assurance ou de certification de rapports et des processus de reporting entre autres.

L'Institut africain pour la citoyenneté d'entreprise est l'initiatrice de la Convention africaine sur la responsabilité sociale des entreprises organisée en collaboration avec le « Centre for Corporate Citizenship de l'Université d'Afrique du Sud (CCC - UNISA) à Johannesburg. La convention réunit les chefs d'entreprises, de gouvernements, d'organisations de la société civile africaines et du monde afin de favoriser les échanges de points de vue et la construction de visions partagées. La deuxième convention tenue en Septembre 2004 s'est appesanti sur l'opportunité de concevoir un agenda de responsabilité sociale des entreprises pour l'Afrique. Elle souligne l'inadéquation entre les approches de la RSE dans les pays développés aux réalités contextuelles de l'Afrique et une claire divergence entre la teneur principale de l'agenda global de RSE et celle qui émerge en Afrique.

g. Les organismes internationaux et la RSE en Afrique

1- Le développement des réseaux Pacte Mondial

Le Pacte Mondial se positionne aujourd'hui comme l'une des initiatives de RSE les plus connues et les plus globalement acceptées par les acteurs africains. Il s'est développé dans les pays africains avec l'appui d'organisations internationales notamment du PNUD. Plusieurs réseaux nationaux ont été créés ou sont en cours de création dans divers pays africains59. Ces réseaux sont des structures d'appui importantes pour l'institutionnalisation de la RSE au niveau national, à la construction d'une expertise au sein des entités adhérentes et au partage des bonnes pratiques entre les différents participants. La force de l'initiative réside dans l'appui des représentations résidentes des Nations Unies et du consensus tout au moins relatif du milieu des affaires vis-à-vis des principes édictés. Dans certains pays comme le Maroc et la Tunisie, le projet «Développement durable grâce au Pacte Mondial » qui implique le BIT et la participation financière de l'Italie permet la promotion des trois outils principaux : le Pacte Mondial, la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l'OIT et les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises

59 Réseaux africains existants : Afrique du sud, Côte d'Ivoire, Egypte, Ghana, Malawi, Mozambique, Nigeria, Sénégal, Tunisie, Zambie. Réseaux en cours de formation : Cameroun, Maroc.

multinationales. Il faut noter par ailleurs l'organisation par le Pacte mondial de forums d'apprentissage (international learning forum) dans quelques pays Africains. Le quatrième du genre s'est tenu au Ghana du 22 au 24 novembre 2006 et a connu le lancement d'Africa Leads, une publication qui fait une compilation d'expériences innovantes dans le milieu des affaires relativement à la RSE60.

2. Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et le Growing sustainable Business du PNUD

Les objectifs du millénaire pour le développement constituent une initiative internationale de premier ordre. Elle a été lancée par les Nations Unies à l'occasion du sommet du millénaire pour le développement et a érigé la lutte contre la pauvreté en objectif primordial. Cependant, elle a très souvent été perçue comme une initiative publique qui n'engage que les seuls pouvoirs publics. Le Growing sustainable Business vient donc comme une initiative sous- jacente devant mettre en avant la contribution et le rôle du secteur privé dans la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement. Le Growing sustainable Business a été développé par le PNUD et vise selon Nicolas PONTY61 à « attirer davantage d'investissement en Afrique dans les pays les moins avancés et aligner les intérêts commerciaux et le développement soutenable». Emergé en 2002 de la politique de dialogue du Pacte Mondial sur le développement durable et les affaires, le Growing sustainable Business a été renforcé à l'issue de la publication du rapport de la Commission des Nations Unies sur le secteur privé et le développement en mars 2004. Il s'agit d'une démarche expérimentale d'implication du secteur privé dans la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement. Coordonné par les bureaux nationaux du PNUD et le bureau du Pacte Mondial, le Growing sustainable Business engage le secteur privé dans des partenariats innovants, souvent autour de nouveaux modèles d'affaires, afin de donner un coup d'accélérateur au progrès sur les objectifs du millénaire pour le développement. L'initiative a été mise en oeuvre dans plusieurs pays africains62 où se sont formés dans un premier temps des processus consultatifs transparents sous l'égide du PNUD réunissant pouvoirs publics, entreprises, organisations non

60 Pour plus d'information : sur le forum international d'apprentissage : http://www.ungc-learningforum.org/ et sur Africa Leads : http://www.unisa.ac.za/Default.asp?Cmd=ViewContent&ContentID=19365

61 Nicolas PONTY est administrateur de l'INSEE, économiste principal au PNUD.

62 Les pays ayant expérimenté l'initiative en Afrique sont l'Angola, l'Ethiopie, le Kenya, le Madagascar, le Malawi, la Tanzanie, et la Zambie.

gouvernementales, bailleurs de fonds et système des Nations Unies pour identifier des projets permettant de soutenir la croissance du secteur privé et de bénéficier aux communautés locales. Dans un second temps, la création d'une structure interface permanente a permis de gérer les relations entre les différentes parties prenantes impliquées dans la démarche en lien avec le PNUD et les partenaires au développement. Elle a permis par ailleurs d'apporter un appui à l'identification et au développement de projets de développement d'affaires durables, le financement de travaux de recherche et la diffusion de connaissances, le renforcement des capacités et de révéler les opportunités d'investissement dans les pays participants. Elle a mobilisé le milieu des affaires et permis le développement de nouveaux modèles d'affaires au bénéfice des communautés locales.

3. Les initiatives de la Francophonie/IEPF : le Réseau RSDD

Une des initiatives les plus importantes dans le monde francophone constitue la création sous l'impulsion de l'Institut de l'Energie et de l'Environnement de la Francophonie (IEPF) d'un réseau sur la responsabilité sociétale en vue du développement durable (Réseau RSDD). Lancé à l'issue du séminaire de Marrakech en décembre 2005 sur la normalisation et la responsabilité sociétale en vue du développement durable, ce réseau ne regroupe pas que des acteurs africains mais il constitue une plate-forme au sein de laquelle les acteurs africains ont l'opportunité de renforcer leurs capacités et de confronter leurs visions, leurs approches et leurs perceptions de la RSE avec les acteurs d'autres pays participant à ce réseau. Le Réseau affiche par ailleurs une ferme volonté d'être une partie prenante au débat sur la RSE et d'oeuvrer à l'institutionnalisation de la RSE en Afrique. A cet effet cette étude jette les bases d'actions futures de renforcement des capacités des acteurs engagés ou désireux de s'engager. Une plate-forme de communication a été élaborée et favorisera les échanges sur les problématiques de fond de RSE.

Les initiatives évoquées relativisent l'idée généralement répandue selon laquelle la RSE est un concept complètement méconnu en Afrique. Ces sont des initiatives d'acteurs africains ou d'organismes internationaux présents en Afrique très impliqués aux côtés d'acteurs locaux dans le débat et la promotion de la RSE. Mais il faut noter aussi que les débats et initiatives sur la RSE en Afrique sont aussi le fait d'acteurs extérieurs qui marquent cependant un intérêt pour le développement de la RSE en Afrique.

4. Le groupe d'action régional pour l'Afrique de l'UNEP-FI

L'UNEP-FI est une initiative mondiale qui a scellé un partenariat entre le PNUE et le secteur financier privé en vue d' « explorer et promouvoir les liens entre l'environnement, la durabilité et la performance financière ». Un des moyens d'action de cette initiative constitue la création de groupes d'action régionaux. Le groupe d'action régional Afrique s'est ainsi créé avec pour objectif de soutenir et de développer une pratique financière durable en Afrique. Ce groupe de travail regroupe pour l'instant des acteurs d'Afrique australe (Afrique du sud et Zimbabwe) mais il a pour ambition de s'élargir à toute l'Afrique. Elle bénéficie de l'appui de la Division Technologie, Industrie et Economie du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (DTIE/PNUE) et compte à son actif la publication d'un rapport sur la pratique bancaire durable en Afrique qui couvre les systèmes bancaires de l'Afrique du sud, du Nigeria, du Kenya, du Botswana et du Sénégal.

II- Quelques initiatives internationales tournées vers l'Afrique a) Les initiatives des pouvoirs publics

1) Le Code de conduite pour les entreprises européennes opérant dans les pays en développement 63

Le Parlement européen fait preuve d'une attention particulière sur les implications éventuelles et impacts possibles des activités des entreprises européennes dans les pays en développement notamment dans les zones sensibles. Il a ainsi adopté un code de conduite qui doit guider les activités des entreprises. Malgré la portée juridique très limitée d'un tel texte, il convient de souligner les importantes positions prises par le Parlement européen sur la responsabilité des multinationales vis-à-vis des communautés au sein desquelles elles opèrent. Selon le Parlement européen « les codes de conduite ne sauraient servir d'instrument permettant de soustraire les entreprises multinationales au contrôle des pouvoirs publics et de la justice ». Il affirme par ailleurs que «l'autodiscipline» ou l'autorégulation n'est pas toujours la réponse adéquate. Il relève surtout qu'une attention particulière doit être accordée à l'application des codes en ce qui concerne les travailleurs du secteur informel, du secteur de la sous-traitance et des zones franches et enfin que les entreprises devraient contribuer sur le plan économique et social au processus de développement dans les régions affectées, dans le respect des orientations définies par les pouvoirs publics concernés.

63 Résolution sur des normes communautaires applicables aux entreprises européennes opérant dans les pays en développement: vers un code de conduite. A4-0508/98

2) Les évaluations d'impact sur le développement durable (EIDD) des accords commerciaux64

En 1999, la Commission européenne décidait de soumettre tout accord commercial international qu'elle négocierait à une évaluation d'impact sur le développement durable (EIDD). Ceci marquait une certaine volonté politique de la Commission européenne de renforcer la cohérence de sa politique en matière de développement durable, volonté qui sera matérialisée et inscrite dans sa stratégie développement durable65. Financés par l'Union Européenne et réalisés par un consortium de consultants, les EIDD s'appuient sur les trois piliers principaux du développement durable et font l'objet de publication sous forme de rapports intermédiaires et finaux mis à la disposition du public. Elles viseraient, selon Stefan SZEPESI du Centre européen de gestion des politiques de développement, non seulement à informer les négociateurs sur les conséquences sociales et environnementales de l'accord projeté, mais aussi à orienter les mesures correctives et d'accompagnement à entreprendre. Simple greenwashing ou réelle volonté politique de la Commission d'intégrer les enjeux et principes du développement durable dans les accords commerciaux ?66 les EIDD ont au moins cet avantage de poser le développement durable à l'ordre du jour des négociations commerciales extérieures de l'Union Européenne et dans le processus de conclusion des accords, en attendant que les partenaires africains y tirent réellement le meilleur parti pour un développement harmonieux.

3) L'action du Canada dans le domaine minier

Le Canada marque une attention particulière pour la RSE en l'inscrivant comme une question
centrale dans le cadre de sa politique et de son action de coopération et de commerce
international. Il a initié depuis quelques temps sous l'égide de son ministère des affaires

64 Préparatifs en vue des négociations d'APE : Quel est le rôle des EID ? Eclairage sur les négociations commerciales, juin 2003

65 « Nos politiques - intérieures et extérieures - doivent soutenir activement les efforts déployés par les pays tiers, et notamment par les pays en développement, pour parvenir à un développement plus durable» Développement durable en Europe pour un monde meilleur : stratégie de l'Union européenne en faveur du développement durable COM(2001)264 final/2, page 9

66 Les ONG restent néanmoins préoccupées principales par les EIDD comme l'atteste une déclaration conjointe de 31 ONG d'Europe et des Etats-Unis. Et dans le cadre des accords de partenariats économiques (APE) Union Européenne - ACP, les ONG africaines dénoncent de plus en plus fortement les conséquences qu'ils entraîneraient et rien ne semble pour l'instant répondre à leurs préoccupations malgré le dispositif EIDD

étrangères et du commerce international des tables rondes réunissant diverses parties prenantes autour de la responsabilité sociétale des entreprises canadiennes opérant dans les pays en développement dans le secteur extractif (mines, pétrole, gaz)67. Selon le ministère canadien des affaires étrangères ces tables rondes ont pour objectif d'examiner les mesures à prendre pour permettre aux entreprises opérant dans les pays en développement de satisfaire aux normes et aux pratiques exemplaires internationales en matière de RSE. En favorisant et en promouvant la responsabilité sociétale de ses entreprises opérant dans les pays en développement, le Canada montre la voie à suivre et contribue de fait à l'institutionnalisation de la RSE dans les pays africains. Les recommandations des tables rondes ont été saluées par le réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises (RCRCE) comme « un pas vers la bonne direction »68. En plus de ces tables rondes le Canada s'est illustré encore en à travers l'inscription de la RSE à l'ordre du jour des dialogues interparlementaires Afrique - Canada. Il est ressorti de ces dialogues la nécessité de conjuguer les efforts en faveur de la responsabilisation des entreprises et en particulier celles opérant dans le secteur des ressources naturelles69. Ces dialogues ont tout leur intérêt dans le fait qu'il renforce les capacités des parlementaires, décideurs politiques africains, dans ce domaine et aiguise leur sensibilité face aux problématiques et enjeux de RSE.

4) Le Groupe de travail sur la RSE et les SNDD en Afrique

Il s'agit d'une initiative émergente qui vise à mobiliser des entreprises françaises présentes en Afrique autour des problématiques de RSE et de développement durable. Une démarche expérimentale visera dans un premier temps 5 pays africains : Burkina Faso, Cameroun, Ghana, Maroc et Sénégal et mobilisera des entreprises françaises volontaires présentes dans ces pays autour des problématiques de responsabilité sociétale et des stratégies nationales de développement durable (SNDD). L'initiative qui ne vise pas seulement le milieu des affaires intégrera progressivement des acteurs autres que les entreprises, notamment les ONG dans la démarche. La seconde phase de la démarche expérimentale s'intéressera à l'Algérie et à la Côte d'Ivoire et, par touche progressive, s'étendra à d'autres pays africains.

67 Pour plus d'information sur les tables rondes : http://geo.international.gc.ca/cip-pic/current discussions/csrroundtables-fr.aspx

68 La déclaration du RCRCE sur le rapport final des tables rondes nationales sur la RSE est disponible sur : http://geo.international.gc.ca/cip-pic/library/CSR CNCA Statement francais.pdf

69 Consulter le rapport du deuxième dialogue interparlementaire annuel Afrique-Canada sur les politiques http://parlcent.ca/africa/papers/Rapport%20(Version%20site%20web).pdf visité le 10/10/2007

b) Les initiatives du milieu des affaires

1. Les principes de Sullivan et les sommets Léon Sullivan

Très peu évoquée au niveau international, cette initiative peut et doit pourtant être considérée comme l'initiative pionnière en matière de RSE au niveau international, en Afrique et en particulier en Afrique du sud. Lancés en 1977 par le Révérend Léon H. Sullivan70, alors qu'il siégeait au conseil d'administration de General Motors, ces principes visent à soutenir et promouvoir la justice économique, l'équité et la cohésion sociales par les entreprises partout où elles opèrent. Au coeur de ces principes figurent en bonne place la promotion des droits humains en général, des droits des employés en particulier, le respect des lois et le bien-être des communautés au sein desquelles l'entreprise opère et enfin l'égalité des chances et la non- discrimination.

Cette initiative trouve son fondement dans la volonté de son initiateur de mobiliser les entreprises nord américaines opérant en Afrique du Sud sous l'apartheid à ne pas appliquer des politiques d'apartheid et à traiter leurs employés noirs comme elles le feraient pour des citoyens américains. Ces principes font expressément référence à la déclaration universelle des droits de l'Homme et s'adressent à tout type d'entreprise. Il est attendu des entreprises qui y souscrivent de fournir publiquement des informations attestant des efforts déployés pour se conformer aux principes. Ces principes ont contribué de manière significative à la fin de l'apartheid. Revisité et rebaptisés « Global Sullivan Principles for Corporate Responsibility», ces principes sont considérés comme le fondement même du Pacte mondial des Nations Unies.

Cette initiative de M. Sullivan a eu aussi pour objectif d'inciter les entreprises et la diaspora afro-américaines à investir en Afrique. Il se tient depuis plusieurs années des sommets Léon Sullivan réunissant les dirigeants politiques. Le dernier en date et huitième du genre s'est tenu du 17 au 21 juillet 2006 à Abuja au Nigeria71. Ces sommets contribuent aussi à la promotion des principes et à l'institutionnalisation de la RSE.

70 Léon H. Sullivan (16 octobre 1922 - 24 avril 2001) premier afro-américain à occuper d'aussi importantes fonction au sein d'une grande entreprise américaine. Il fut un activiste contre l'apartheid et lança les principes de Sullivan sous forme de code de conduite en complément de la campagne de désinvestissement lancé à l'endroit des entreprises américaines présentes en Afrique du sud pendant l'apartheid.

Pour plus d'information : http://www.thesullivanfoundation.org/gsp/default.asp

71 Le premier sommet Sullivan s'est tenu en Côte d'Ivoire en 1991. Les sommets Sullivan réunissent des décideurs politiques et économiques mondiaux, des délégués d'organisations des sociétés civiles nationales,

2. La charte du développement durable du CIAN

Le CIAN a adopté une charte du développement durable avec la volonté de « lui donner une spécificité africaine » ainsi que l'affirmait son Président, Gérard PELISSON. A travers cette charte, les entreprises membres s'engagent à respecter 3 principes essentiels du développement durable : la contribution au développement économique des pays d'opération, le respect de l'autre et de sa culture et la protection de l'environnement et du patrimoine écologique. Un groupe de travail « suivi des entreprises » permettra à l'organisation d'assurer un accompagnement des entreprises dans leurs stratégies et démarches de développement durable pour une meilleure efficacité de la démarche. Il faut noter par ailleurs que le CIAN a adopté en mars 2005 une déclaration sur la prévention de la corruption.

3. Le Forum des affaires UE - Afrique et le groupe de travail sur la bonne gouvernance et l'éthique d'entreprise

Le forum des affaires Europe - Afrique est en passe de s'institutionnaliser. Après une première édition tenue à Bruxelles du 16 au 17 novembre 2006, la deuxième édition a eu lieu en terres africaines, au Ghana du 21 au 23 juin 2007. Portés par les milieux des affaires, de tels forums ont pour objectif de mettre en exergue les potentialités africaines et les opportunités d'affaires entre les deux régions et de favoriser la mise en place de réseaux d'affaires et, partant, de renforcer le secteur privé africain.

La première édition annonçait déjà les couleurs quant à la perspective de l'intégration de la RSE dans les rapports économiques entre l'Europe et l'Afrique. En effet, au menu des discussions figuraient en bonne place la bonne gouvernance et l'éthique d'entreprise. Un groupe de travail «Bonne gouvernance et éthique d'entreprise» a été mise en place avec pour but : « d'approuver les meilleures pratiques en matière de gouvernance du secteur public et de promouvoir les meilleures pratiques en matière de gouvernance du secteur privé »72.

Il est à noter que si les secteurs privés aussi bien européens qu'africains ont apprécié l'intégration de la RSE dans le forum, ils estiment cependant dans le document de discussion que « toute société faisant des affaires sur le continent africain, et non seulement les entreprises européennes, devrait réfléchir aux stratégies de RSE ».

internationales et universitaires pour concentrer l'attention et les ressources sur le développement économique et social de l'Afrique

72 Extrait du document de discussion du groupe de travail sur la base de la contribution du secteur privé

4. Les initiatives du milieu pharmaceutique

Trente neuf (39) grandes entreprises pharmaceutiques avaient engagé des poursuites judiciaires contre l'Afrique du sud en 1997 pour le non-respect des droits de propriété intellectuelle sur les produits anti rétro viraux (ARV) malgré la catastrophe sanitaire qui menace l'Afrique du sud du fait de la séro-prévalence très élevée. Cette action a soulevé une indignation générale de par le monde, ces entreprises ayant donné l'impression d'accorder plus d'attention aux intérêts financiers qu'à la santé humaine. Cette situation a écorné l'image de nombreuses entreprises qui ont, par la suite, abandonné leurs poursuites. Et pour faire sans doute amende honorable et reconquérir leur image de marque, des grandes entreprises pharmaceutiques ont lancé un nouveau plan pour l'Afrique qui vise coordonner la lutte contre le sida en faisant face à l'émergence de crise de diabète73.

Sanofi- adventis pour sa part a choisi de s'attaquer aux maladies tropicales négligées74. Elle a renouvelé ainsi en octobre 2006 sa collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour le traitement de la trypanosomiase africaine et de 3 autres maladies négligées : leishmaniose, ulcère de Buruli et maladie de Chagas. Elle s'investit également dans un programme contre le paludisme dénommé Impact malaria.

c) Le monde académique : les études, mémoires et actions du GRAMA

Le GRAMA constitue une composante de la Chaire de recherche sur la gouvernance et l'aide au développement de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Il poursuit « un triple mandat de recherche, de formation et de participation aux processus de prise de décision concernant les enjeux de développement économique et social que suscite la présence croissante d'activités minières en Afrique » 75. Il a ainsi mené plusieurs études qui ont fait l'objet de publication et présenté des mémorandums notamment dans le cadre du dialogue sur la politique étrangère du Canada afin que celui-ci inscrive, dans ses politiques nationales, bilatérale et multilatérale, la nécessité d'élaborer des normes contraignantes à l'intention des

73 Pour plus d'information : http://www.business-humanrights.org/Links/Repository/360156/link page view

74 Selon la Mission permanente de la France auprès de l'ONU à Genève, un milliard de personnes dans le monde sont atteintes d'une ou plusieurs maladies négligées. Ces maladies sont qualifiées de « négligées » car elles ne frappent plus que les populations des régions les plus pauvres et marginalisées.

Sur le partenariat avec l'OMS : http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2006/pr54/fr/index.html

75 Il s'agit là d'une présentation synthétique suivant les informations disponibles sur le site du GRAMA. Pour plus d'information : http://www.er.uqam.ca/nobel/grama/

entreprises minières pour garantir les droits humains et le respect de l'environnement. Il faut relever particulièrement le mémoire soumis dans le cadre des audiences publiques du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international dans lequel il estime que le Canada doit jouer un rôle de leader et assumer les responsabilités dans la promotion de la responsabilité sociétale des entreprises opérant à l'étranger et dans le suivi des investissements opérés avec son appui76.

d) Autres initiatives sur l'activité extractive en Afrique objet d'études et d'enquête

Parce que le secteur minier est très problématique en Afrique, beaucoup d'ONG ont mené des enquêtes et investigations à la suite d'alertes, d'allégations ou de soupçons de violation de droits humains ou d'atteinte à l'environnement. On peut citer en exemple l'étude de la FIDH sur l'exploitation minière au Mali77 et les rapports de deux missions d'enquête conduite par SHERPA au Niger et au Gabon, respectivement en 2005 et 200778.

D'autres études de type académique se sont également intéressées aux problématiques de RSE en Afrique. On peut entre autres relever une thèse de Aurélie CHAMARET sur les projets miniers au Niger79. Cet intérêt croissant du monde académique européen et des ONG internationales pour les problématiques et enjeux de RSE en Afrique contribue assurément à renforcer le débat au niveau africain en aiguisant l'intérêt des acteurs locaux voire en les

76 La gouvernance des activités minières en Afrique : une responsabilité partagée . Examen de l'Énoncé de politique internationale du Canada Fierté et influence : notre rôle dans le monde, par Dr Bonnie Campbell, en collaboration avec Suzie Boulanger et Myriam Laforce, Montréal, le 4 novembre 2005.

Pour plus d'information : http://www.ccic.ca/e/docs/002 policy 2005-1 1 ips memoire grama.pdf

77 Mali : l'exploitation minière et les droits humains, FIDH, septembre 2007, N°477

78 LA COGEMA AU NIGER Rapport d'enquête sur la situation des travailleurs de la SOMAÏR et COMINAK, filiales nigériennes du groupe AREVA-COGEMA, 25 avril 2005. Enquête réalisée en collaboration avec la CRIIRAD et AGHIR IN' MAN Sous la direction de William Bourdon. Rapport disponible : http://www.assosherpa.org/CP areva07/RAPPORT%20SHERPA%20NIGER%20ARLIT.pdf

AREVA AU GABON, Rapport d'enquête sur la situation des travailleurs de la COMUF, filiale gabonaise du groupe AREVA-COGEMA, 4 avril 2007. En collaboration avec la CRIIRAD, Médecins du Monde et les associations d'anciens travailleurs de la COMUF : CATRAM (au Gabon) et MOUNANA (expatriés). Rapport disponible : http://www.asso-sherpa.org/CP areva07/RAPPORT%20AREVA%20MOUNANA%20040407.pdf

79 A. CHAMARET «Une démarche top-down / bottom-up pour l'évaluation en termes multicritères et multiacteurs des projets miniers dans l'optique du développement durable: Application sur les mines d'uranium d'Arlit» (Niger), thèse soutenue le 28 juin 2007

mobilisant autour des enjeux de RSE et incite les entreprises étrangères qui y opèrent à porter plus d'attention aux impacts de leurs activités.

D'autres organisations non gouvernementales se sont également investis dans des initiatives qui ont touché l'Afrique. Il s'agit par exemple de :

- Amnesty International et Global Witness ont beaucoup travaillé sur les exploitations des ressources minières et les violations des droits humains, plus spécifiquement sur les diamants de la guerre et le processus de Kimberley ;

- Transparency International sur les questions relatives à la corruption

- OXFAM et Agir Ici et les Amis de la Terre sur les questions agricoles et les accords de partenariat économique (APE)

Diverses initiatives ont contribué à alimenter le débat sur la RSE en Afrique à l'intérieur et hors des frontières africaines. Ces initiatives sont d'importance inégale. Il en est de même de la connaissance du concept dans les pays et par les acteurs africains. On retiendra pour l'essentiel une tendance beaucoup plus importante au développement du débat et des initiatives dans les pays anglophones que dans les pays francophones. Cela relève-t-il des influences des anciennes métropoles , de l'influence du système juridique, d'influences culturelles ? Dans tous les cas, il serait intéressant de voir ce qui explique le fait que la RSE soit un sujet plus discuté dans les pays anglophones que francophones et surtout s'il y a une convergences dans l'approche, dans la vision de la RSE ainsi que les éléments déterminants de telles approches. Une première étape dans cette direction n'est-elle pas de voir de façon globale ce qui constitue le fondement d'une vision africaine de la RSE au vu des réalités précédemment décrites et de la culture africaine.

TROISIEME PARTIE : QUELLE RSE POUR L'AFRIQUE ?

La contribution du milieu des affaires au développement durable et la gestion des impacts négatifs des activités de l'entreprise sur la société est devenue une question centrale dans le contexte actuel de la mondialisation. Simple effet de mode ou mouvement de fond, la RSE demeure encore une notion qui est à la recherche de ses marques surtout en Afrique. En Occident, plusieurs théories ont été développées pour fonder/justifier la RSE et plusieurs définitions ont été les témoins d'une diversité d'approches théoriques, de courants et d'écoles de pensée. Les questions qui se posent à nous dans cette partie sont la pertinence des fondements théoriques développés jusque-là autour de la RSE par rapport aux problématiques africaines, les enjeux que la RSE pose pour l'Afrique ainsi que les leviers potentiels de l'institutionnalisation de la RSE en Afrique.

A Les théories fondatrices de la RSE à l'épreuve des réalités africaines

Selon M. CAPRON, « la responsabilité sociale (de l'activité économique, puis des entreprises) existe dès lors que l'Homme se soucie de réguler ses rapports avec la nature et avec ses semblables »80. Cela va s'en dire que la RSE, tout au moins la RSE implicite81, n'est nouvelle ni pour l'Europe ni pour l'Afrique. Plusieurs approches théoriques ont été développés et qui sont le fondement ou la justification des visions occidentales de la RSE. Il y a lieu, dans cette partie de notre étude, de faire l'économie de ces approches théoriques et de s'interroger sur ce qui peut fonder une vision africaine de la RSE ou s'accommoder aux réalités qui sont les siennes.

I Que faut-il entendre par réalités africaines ?

Il serait très réducteur de penser l'Afrique comme un ensemble uniforme partageant les mêmes caractéristiques, les mêmes visions, les mêmes traditions. Bien au contraire, l'Afrique est multiple. Cependant, les pays africains partagent des caractéristiques socioculturelles économiques et politiques qui se distinguent de très loin de celles des pays des autres régions

80 CAPRON M., Quel sens donner au mouvement de la responsabilité sociale des entreprises ? EJESS - 19/2006. Ethique, économie et société, pages 113

81 D. MATTEN et J. MOON distingue la RSE explicite par opposition à la RSE implicite.

du monde. Il faut par conséquent se référer au contexte et à la conception africaine de l'entreprise pour comprendre les réalités africaines dans lesquelles doit s'ancrer toute approche et toute vision de la RSE.

a) Rappel du contexte africain

Comme nous l'avons déjà évoqué plus haut, le contexte africain se caractérise par des Etats affaiblis, fragilisés par le processus de mondialisation, un contexte économique en pleine mutation avec une volonté officiellement manifeste de sortir du sous-développement, un contexte écologique riche mais menacé par les enjeux globaux et spécifiques. Le véritable défi des Etats réside plus dans la mise en application des législations et réglementations que dans l'existence même d'un cadre institutionnel et juridique approprié. On note par ailleurs une influence très faible de la société civile malgré la forte présence d'associations, de syndicats et d' organisations non gouvernementales dans la plupart des pays. Il s'agit non seulement d'une société civile peu influente mais aussi qui ne marque que peu d'intérêt aux problématiques liées aux entreprises. Les réalités africaines, c'est aussi l'aspiration des populations à l'éducation, à la santé et à l'accès aux produits de base. La recherche de produits moins chers met ainsi souvent au second plan la question de la qualité intrinsèque du produit. Dans ces situations, il est illusoire de penser à un quelconque activisme consumériste. La pression des consommateurs sur l'entreprise est de ce fait quasi absente et ne peut à priori être l'élément moteur de l'engagement de celle-ci dans des démarches RSE. L'Afrique marque aussi par la spécificité des problématiques fondamentales de développement auxquelles elle est confrontée : pauvreté, insécurité, souveraineté alimentaire, accès aux marchés extérieurs, SIDA et autres pandémies. Des problématiques qui touchent de plein fouet les entreprises et demandent de leur part une plus grande pro-activité en matière de RSE. C'est aussi un environnement où la RSE explicite est en pleine implantation grâce aux initiatives de certains acteurs, la construction d'une vision à laquelle prend activement part l'acteur international. Enfin les réalités africaines, ce sont aussi à la fois une histoire, une diversité de cultures qui se tiennent à travers certaines caractéristiques fondamentales ; c'est une certaine approche de l'entreprise qui transcende l'objectif financier et le court terme.

b) L'entreprise africaine : de la fiction juridique à la réalité sociologique

La plupart des Etats africains ont hérité des traditions juridiques et politiques des anciennes métropole82. De ce fait l'approche juridique de l'entreprise s'inscrit dans les systèmes juridiques auxquels les Etats africains appartiennent. Il est par conséquent difficile, voire inopérant de ne recourir qu'aux acceptions juridiques de l'entreprise dans l'effort de conceptualisation d'une approche africaine de la RSE. C'est pourquoi dans nos propos, nous ne nous limiterons pas uniquement à la société commerciale juridiquement consacrée. Nous nous intéresserons aussi aux très petites entreprises du secteur informel car la compréhension de leurs pratiques est aussi utile pour le développement d'une approche africaine de la RSE. Il s'agit par conséquent de se pencher davantage sur une conception sociologique et multidimensionnelle de l'entreprise africaine pour éclairer les acceptions juridiques et les pratiques de l'entreprise.

1) Essai de définition et de compréhension de la place et du rôle de l'entreprise africaine

L'entreprise ou la société (commerciale), selon le droit burkinabé et des pays de tradition juridique française, est « un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes décident de mettre quelque chose en commun, dans la vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter ». Cette acception « contractualiste » de l'entreprise ne rend compte que partiellement de la réalité de l'entreprise en mettant seulement en exergue l'association des capitaux, la recherche et le partage des bénéfices entre les associés. L'entreprise est aussi, selon Pascal LABAZEE83, « le lieu de création de richesses et de pouvoirs » et un « espace social ». Les réponses au questionnaire nous donnent par ailleurs un éclairage sur la perception de l'entreprise par les participants africains. Tous s'accordent sur l'objectif de rentabilité de l'entreprise, mais il convient de noter que la grande majorité lui assigne d'autres missions/rôles tels que le développement de la communauté, la participation à l'innovation et à la créativité ainsi que la répartition équitable des richesses.

Créer de la richesse, de la valeur, engendrer des bénéfices, être profitable ; l'objectif
économique de l'entreprise est le lieu de convergence à la fois des acceptions africaines et
occidentales de l'entreprise. Mais l'entreprise en Afrique est aussi un espace social et un lieu

82 L'harmonisation du droit des affaires a suivi les traditions juridico-linguistiques et l'OHADA en constitue une preuve palpable.

83 Pascal Labazée, né en 1953. Economiste et anthropologue, il est chargé de cours à l'université Paris VIII. Il a effectué plusieurs séjours en Afrique, notamment au Burkina Faso. Il est l'auteur du livre Entreprises et entrepreneurs du Burkina Faso, Karthala, 1987, collection Les Afriques.

de pouvoirs. Cela n'en demeure pas moins vrai aussi dans les pays occidentaux. Cependant cet état de fait est encore plus prégnant en Afrique lorsque l'on prend en considération les traditions, les réalités sociologiques. L'entreprise africaine est en soi un microcosme social. Il se reproduit au sein des entreprises nationales du secteur formel comme du secteur informel et même dans les filiales de multinationales dirigées par des nationaux, des attributs de la société africaine. LABAZEE parle de reconstitution d'un pouvoir de forme traditionnelle à l'intérieur des entreprises84. Le recours à des méthodes ou voies non juridiques de gestion des conflits sociaux est illustratif du fait qu'au sein de l'entreprise se retrouvent les traits, les représentations même de la société africaine.

L'entreprise est un moyen plutôt qu'une fin. La création d'une affaire doit permettre au promoteur d'en vivre mais aussi de faire vivre ses proches, parents et amis, de délivrer des services à la communauté. Elle doit contribuer à raffermir le lien social et non le mettre en péril. La prospérité assure au promoteur une certaine considération ou ascension sociale. Cependant cette considération sera à l'aune de la contribution de l'entrepreneur ou de l'entreprise au bien-être social, de la légitimité que lui confère la conformité de ses activités aux exigences éthiques et enfin de l'effectivité de son ancrage territorial. A ce titre, l'obligation implicite de solidarité vis-à-vis de la communauté est fortement ancrée dans les sociétés africaines et se répercute au sein même de l'entreprise. C'est ce qui justifie qu'à l'occasion des grands enjeux nationaux (secours à des sinistrés, participation à une compétition, etc.), l'Etat fasse appelle à la contribution des acteurs privés hors du circuit traditionnel des obligations fiscales à leur charge et des activités de mécénat traditionnel.

L'entreprise africaine dispose ainsi de caractéristiques propres et de rôles particuliers qui le distinguent de l'entreprise occidentale et qui vont au-delà de l'acception juridique. A ce titre LABAZEE fait un tour d'horizon des pratiques de gestion, de direction et de prise de décision dans le milieu des affaires burkinabé et dégage des caractéristiques qui peuvent, à certains égards, être répliquées/étendues à l'Afrique, marquée par l'hétérogénéité du milieu des affaires burkinabé et africains en général.

2) Les modes de gestion, de direction et de prise de décision

84 La reconstitution d'un pouvoir de forme traditionnelle à l'intérieur des entreprises provient de l'adaptation des règles de communication et des équilibres hiérarchiques et économiques qui y sont liés : distinction entre source et manipulation du pouvoir, règlement des problèmes particuliers relatifs aux impératifs de solidarité, respect des prééminences gérontocratiques ou familiales, représentation de ces prééminences, etc.

i. Typologie des modes de gestion des entreprises africaines

La gestion empirique est très caractéristique de beaucoup d'entreprises africaines. Elle se manifeste par l'absence quasi-totale d'organisation comptable formelle et de reporting financier et par une très grande variabilité des prix. Ce mode de gestion est très présent dans les entreprises du secteur informel et dans certaines entreprises structurées individuelles ou familiales. L'organisation et la gestion de l'entreprise sont telles que celle-ci se confond à son dirigeant dans les faits et la réalité. Le dirigeant en est à la fois propriétaire, gérant et comptable. L'entreprise se positionne le plus souvent sur des « marchés d'opportunité » qui ne s'accommodent pas forcément avec les outils modernes de gestion. Le promoteur ou l'entrepreneur applique à la gestion de son entreprise des méthodes personnelles acquises au fil de son expérience et de sa formation personnelles.

La délégation des responsabilités de gestion constitue un premier pas vers « l'assimilation des contraintes » selon l'auteur et l'adoption de règles modernes de gestion qui autorise une certaine dose/obligation de reporting comptable et financier du gérant délégué au propriétaire ou à l'administration fiscale. Le propriétaire ou promoteur demeure cependant très présent dans les différents actes que pose l'entreprise, contrôle ou recommande les embauches sans que le délégué à la gestion puisse dans la réalité remettre en cause ces décisions.

Dans ces deux modes de gestion, on peut affirmer que l'éthique de l'entreprise est celle de son dirigeant puisqu'il y a une symbiose quasi parfaite, du moins une confusion entre l'entreprise et l'entrepreneur. L'entreprise n'a d'existence que par son propriétaire. L'ancrage de l'entreprise dans son milieu sera à la hauteur de l'intégration de son propriétaire ou de son dirigeant au sein de la société. Dans cette situation, il faut rechercher la source du commandement dans l'autorité morale et confessionnelle de l'entrepreneur.

La gestion professionnelle constitue la mise en oeuvre des outils modernes de gestion. Selon LABAZEE, elle est le fait « d'investisseurs influents, de promoteurs ayant une qualification élevée ou une expérience en matière de gestion et d'organisation ». Les entreprises s'adaptent dans leur gestion aux contraintes du marché et de l'économie moderne. Elles éliminent l'utilisation d'opportunités tant pour l'approvisionnement que la distribution de produits ou la délivrance des services. Le respect d'une certaine orthodoxie de gestion financière est la condition à l'accès aux crédits dont l'entreprise a besoin pour son développement. Elle s'attache moins aux particularités que les deux modes précédents évoqués. La source de commandement au sein de l'entreprise réside dans les compétences professionnelles du dirigeant ou la propriété des capitaux conformément aux réglementations régissant les entreprises. Les entreprises filiales de multinationales sont assurément dans cette optique de

gestion même si les réalités qui gouvernent la prise de décision sont soumises à des contingences sociales et sociologiques qui peuvent échapper dans tous les cas aux règles de la gestion moderne.

Typologie d'organisation de la gestion et de la comptabilité et leurs effets

1) Gestion empirique

> flux d'échanges non profitable, le profit escompté est variable et dépendant des opportunités

> Impossibilité d'accès aux financements externes à court, moyen et long terme.

> Impossibilité de générer des produits financiers et d'effectuer des placements > Pas d'accès aux marchés publics

> Articulation nulle ou médiocre aux grandes entreprises

2) Gestion déléguée

> L'information suscitée dans l'entreprise et utilisable par le promoteur dépend étroitement de la qualification du personnel recruté

> Conflits potentiels de pouvoir dans l'entreprise, difficulté de contrôle de l'activité du gestionnaire

> Abandon partiel des marchés d'opportunité

> Poids de la concurrence avec les établissements à gestion empirique, qui bénéficient d'un avantage en terme de coûts.

3) Gestion professionnelle

> Difficultés de recrutement d'un personnel qualifié

> Difficultés d'une planification rigoureuse sur tous les aspects relatifs à l'activité

> Abandon des opportunités produisant des profits exceptionnels et difficulté de dégager une marge régulière

> Difficultés de concilier les techniques de gestion rigoureuses et les impératifs liés à l'existence de cas particuliers

Source : P. LABAZEE, Entreprises et entrepreneurs du Burkina Faso, Karthala, 1988

ii. Les impératifs gouvernant la direction et la prise de décision

Deux types d'impératifs gouvernent la gestion et la prise de décision dans l'entreprise. Il y a d'une part les impératifs liés au respect des règles de solidarité très ancrée dans les communautés africaines et d'autre part l'impératif de rentabilité optimale.

Comme évoqué plus haut, l'entreprise africaine n'est pas dénué de tout objectif de profitabilité et il serait aberrant de penser que l'entreprise africaine est vouée à faire de la charité à tout vent. Bien au contraire ! La poursuite de la rentabilité à court, moyen et long termes constitue un objectif essentiel de l'entreprise. Cependant, cet objectif de profitabilité s'articule avec l'obligation de solidarité très ancrée dans les traditions africaines et qui ressort aussi dans l'entreprise. Cela se manifeste dans les actes caritatifs, l'attention sur les préoccupations de la communauté, le respect des valeurs. On y retrouve des pratiques paternalistes comme par exemple la prise en charge de l'employé et de sa famille par l'employeur, la variabilité du salaire qui est fixée selon des facteurs extra-économiques (humeur du patron, proximité familial, etc.). Face à un problème, les décisions à prendre doivent à la fois préserver l'objectif financier de l'entreprise et se conformer à l'ensemble des normes culturelles et morales en vigueur dans la société.

3) Pratiques de gestion des ressources humaines (GRH)

Nous n'analyserons pas en détail toutes les pratiques de GRH dans les entreprises africaines. Pour les besoins de notre étude, nous avons choisi de nous limiter aux pratiques de recrutement et de rémunération qui ont un effet certain sur les relations entre employeurs et employés ainsi que les types de conflit et les modes de résolution des conflits sociaux utilisés. D'entrée de jeu, il convient de noter que les 2 impératifs sus-mentionnés déterminent aussi bien le recrutement que le système de rémunération85. On distingue 3 modes de recrutements qui ont aussi des influences sur le mode de rémunération et de gestion de la carrière de l'employé.

i. Le recrutement sur qualification ou expérience professionnelle

Il se fait sur le marché anonyme de l'emploi par des services ou directions de ressources humaines intégrés dans l'entreprise ou par le recours aux organismes privés ou publics de recrutement ou de placement. Il se justifie par les besoins de croissance de l'entreprise. Sont principalement prises en considération les qualifications, les compétences, l'expérience

85 Pascal LABAZEE ajoute un troisième impératif qu'il appelle l'impératif idéologique

professionnelle et la motivation du postulant. La relation de l'employé à l'employeur est hiérarchique, individuelle certes mais moins personnalisée au début de l'embauche. La rémunération et la gestion des carrières sont négociées et tiennent compte des stipulations contractuelles, du droit du travail et /ou des conventions collectives qui les régissent. Les revendications et conflits sociaux s'inscrivent dans le cadre professionnel et leur résolution obéit le plus souvent à des règles formalisées consacrées dans le droit du travail et les pratiques professionnelles formelles sans préjudice de démarches informelles parallèles qui peuvent aussi y contribuer.

ii. Les recrutements familiaux ou interethniques et les embauches clientélistes ou relationnelles

Ces deux modes sont très fréquents et similaires dans leurs caractéristiques86. Ils trouvent leur fondement dans la nature même du marché économique et du travail avec la forte présence du secteur informel qui a principalement recours à ces formes d'embauche. Il consiste à engager dans des liens professionnels des personnes issues de la famille au sens (large) africain du terme, des amis ou des personnes recommandées par des proches87. Très souvent cette relation professionnelle n'est pas formalisée par la signature d'un contrat formel de travail. L'engagement de l'employé peut ne pas correspondre à un besoin particulier de l'entreprise ni tenir compte des qualifications de l'employé. Il s'agit d'une forme de solidarité qui consiste à offrir à l'employé un travail et les moyens de survie par le biais du travail au sein de l'entreprise au-delà des actes caritatifs ponctuels conformément aux traditions de solidarité et au dicton qui veut qu'au lieu de donner du poisson à quelqu'un on lui apprenne plutôt à pêcher : on supplée ainsi à la charité par le travail. Ces modes de recrutement peuvent cependant se conjuguer avec la compétence et l'expérience professionnelle de la personne recrutée. Mais le fait d'appartenir au réseau familial ou de connaissance constitue un atout majeur, ce qui peut s'analyser à tort ou à raison comme une atteinte au principe de l'égalité des chances.

86 La possibilité de s'insérer dans l'entreprise en tant qu'apprentis ou employé est ouverte aux membres de la famille de l'entrepreneur et à ceux qui partagent une communauté de culture ethnique ou confessionnelle avec celui-ci

87 On inclut dans le cercle familial toutes les personnes qui entretiennent des liens de parenté proche ou lointaine. On parle très souvent de grande famille. Mais la famille ne se limite pas seulement au lien de sang. Elle peut aussi résulter d'une relation d'affectivité et d'amitié transcendant le lien de sang

Ces modes de recrutement ont pour effet la transposition dans l'entreprise de relations personnalisées d'une toute autre nature transcendant les simples liens de travail. Les relations personnelles influent sur les relations professionnelles et vice versa. L'employeur est responsable de l'employé et de sa famille et intervient dans des situation personnelles (financement du mariage, participations aux soins ou aux funérailles de l'employé ou de ses proches, etc.) On assiste au développement d'une certaine forme de paternalisme qui trouve son fondement dans l'obligation de solidarité et qui participe à la cohésion sociale. On y retrouve des systèmes atypiques de gestion des conflits sociaux hors du cadre juridique établi. On peut citer par exemple le recours à la médiation privée non formelle comme les conseils de famille, les conseils d'anciens ou de sages sans préjudice des mécanismes formels (négociation collective et dialogues avec les instances représentatives du personnel). Le montant de la rémunération de l'employé est très variable et son versement irrégulier. Le salaire peut comporter une part non financière et son montant/variation ne tient pas forcément compte d'éléments objectifs : elle se fait au gré de l'employeur.

Si cette forme d'embauche a l'avantage de favoriser un climat de travail a priori serein entre des personnes dont la destinée commune dépasse le cadre de l'entreprise, elle peut aussi déboucher sur l'exploitation de l'employé qui se refuserait à tout conflit professionnel ou à toute revendication pour préserver les relations extra professionnelles qui le lient à l'employeur. Les employeurs qui ont recours à ce mode de recrutement manifestent une certaine hostilité vis-à-vis des organisations de travailleurs et des revendications corporatives88.

Ces modes de recrutement et de rémunération peuvent ainsi être appréciées de diverses manières suivant l'appréhension qu'on a de ces pratiques et suivant les conséquences qu'elles engendrent. D'une part elles favorisent la redistribution de ressources par le travail (alors même que la situation de l'entreprise ne commande pas le recrutement de l'employé) et la consolidation de relations professionnelles entre employeurs et employés et d'autre part elles peuvent favoriser l'exploitation, voire une certaine méprise du droit du travail. La solution réside-t-elle dans la formalisation des relations professionnelles et la restructuration même des entreprises du secteur informel pourvoyeur de ces emplois précaires ? Peut-être bien ! Mais cela s'accommodera-t-il avec les conditions sociales de la production et de la circulation des marchandises, des réalités sociales et sociologiques ? On ne peut manquer de se demander si

88 P. LABAZEE « il est évident qu'un patron ne peut voir d'un bon oeil la mise en place d'une section d'entreprise », op. Cit.

l'application de techniques de rationalisation n'engendrerait pas, dans certains cas des effets pervers et ne briserait pas la chaîne de solidarité en individualisant et en dépersonnalisant les relations de travail. Ce que certains peuvent considérer comme un manque de rationalité dans la gestion des entreprises notamment dans le mode empirique, n'en est peut-être rien. Il conviendrait de voir si, en raison des différences de considération et de perception de l'entreprise, le curseur de la rationalité et de responsabilité ne se situe pas à niveau autre que dans la situation de gestion moderne occidentale et de trouver les approches fondatrices d'une RSE conformes à ces réalités sociales, économiques et sociologiques à l'exemple des approches européennes qui ont été développées.

II Approches occidentales de la RSE : définition conceptuelle et débat autour de la RSE

La RSE peut être saisie comme l'application du concept et des principes du développement durable à l'entreprise ou encore la contribution des entreprises au développement durable par la prise en compte des impacts négatifs de leurs activités sur la société. Pour l'entreprise, le développement durable suppose qu'elle se développe en s'appuyant sur trois piliers majeurs et interdépendants : économique, social et environnemental.

Pour Jones (1980) la responsabilité sociétale est « [l'idée] selon laquelle les entreprises, au- delà des prescriptions légales ou contractuelles, ont une obligation envers les acteurs sociétaux ». Il ressort que la responsabilité d'une entreprise ne saurait se limiter aux exigences ou contraintes légales, contractuelles classiques. La Commission de l'Union européenne abonde dans ce sens en affirmant que : « Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir davantage dans le capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes ». La RSE explicite est apparue d'abord aux Etats-unis à la fin du 19ème siècle. La conception états-unienne de la RSE a une forte dominance éthique et un ancrage religieux important. L'entreprise, assimilée à son dirigeant, est capable de faire du bien ou du mal, d'adopter des comportements éthiques, être vertueuse. Les principes de charité et de bienveillance ou d'intendance à l'égard d'autrui (charity and stewardship principles) ont été le fondement de l'approche états-unienne de la RSE. La philanthropie participe ainsi à réduire les inégalités, à rétablir les injustices et à réparer les torts survenus du fait de l'activité de l'entreprise. La RSE s'est par la suite propagée en Europe et a connu d'autres développements et d'autres justifications voire une remise en cause de la philanthropie comme faisant partie de la RSE.

Le nouveau développement des fondements de la RSE en Europe est en partie lié aux nombreux scandales économiques et financiers, humains, sociaux et environnementaux survenus dans diverses parties du monde et impliquant directement ou indirectement des entreprises, les multinationales en particulier et à la forte pression de la société civile. La problématique de la gestion des impacts ou externalités négatives des entreprises s'est ainsi retrouvée au centre des débats et le nouveau domaine d'investissement de divers acteurs OSC, pouvoirs publics, des investisseurs institutionnels et privés voire des entreprises elles-mêmes. Les scandales associés à l'image des entreprises, la multiplication des mouvements sociaux et du consumérisme ont contribué à l'institutionnalisation de la RSE et à son inscription dans l'agenda interne, national, régional et international de divers acteurs économiques notamment des entreprises.

Dans le débat sur la RSE au sein de l'Union européenne par exemple, les acteurs expriment des positions diverses qui vont de la demande d'une réglementation contraignante dans certains domaines de la RSE à une politique du laisser-aller laisser-faire ou le volontarisme pur. Pour certains acteurs de la société civile occidentale, il faut mettre en place un cadre institutionnel contraignant pour garantir que les entreprises assument effectivement leur responsabilité vis-à-vis de la société. Cependant pour la plupart des acteurs du milieu des affaires, la responsabilité RSE ne saurait éluder la responsabilité première de l'Etat. Les théories néo-classiques et la théorie de l'agence en particulier nous enseignent que le dirigeant d'entreprise, qui n'a reçu de mandat que des actionnaires propriétaires de l'entreprise, ne peut ou ne doit assumer de responsabilité qu'à leur égard. Si l'entreprise devait être amenée à assumer une responsabilité, celle-ci ne peut être que secondaire et volontaire.

La RSE en tant que concept s'est par la suite étendue à d'autres continents, notamment en Afrique, avec des réalités, des problématiques et des enjeux somme toute spécifiques. Les fondements justificatifs de la RSE en Afrique sont sans doute aussi différents. Et de ce fait, l'appropriation du concept, oblige les acteurs africains à l'adapter aux problématiques spécifiques, aux enjeux locaux. Cette appropriation passe aussi par la construction de théories justificatrices ou des fondements de « la RSE à l'Africaine ».

Au vu de ce qui précède, la conceptualisation d'une vision africaine de la RSE se trouverait confrontée au moins à une double problématique/tension : les fondements ou les justifications moralistes, éthiques et institutionnalistes d'une part et d'autre part les approches volontaire et contraignante de la RSE. Peut-on saisir une vision unique et uniforme de la RSE en Afrique? Cette vision s'accommode-t-elle avec les grands courants précités ou se rapproche-t-elle de

certains courants particuliers? Les réalités et les initiatives indiquent-elles le chemin d'une autre alternative théorique ou d'un nouveau fondement justificatif ?

III Les fondements d'une vision africaine de la RSE

Les pratiques des entreprises sont fortement ancrées dans l'environnement économique, social, juridique et politique, culturel voire idéologique dans lequel elles se trouvent. Elles peuvent soit influencer leur environnement, soit être influencées par lui. La vérité est que le plus souvent, c'est une double influence qui s'opère. L'environnement africain n'est pas celui des pays occidentaux et vice versa. Les approches de la RSE et les fondements des pratiques peuvent ainsi différer. La convention de l'Institut africain pour la citoyenneté des entreprises (AICC) de 2004 s'est conclue à Johannesburg par le constat qu'il y a une inadéquation entre les visions, les fondements et les justifications africaines de la RSE d'une part et celles occidentales d'autre part. Cette divergence de vues ou d'approches tiendrait au fait que les réalités sociales, sociologiques et économiques sont très différentes d'une région à l'autre.

a) L'interculturalité du développement durable et de la RSE

L'émergence de la RSE a été suivie de débats à tous les niveaux quant à l'opportunité et à la pertinence des démarches volontaires d'une part et d'autre part celle d'une approche contraignante. Des démarches volontaires n'auront d'échos et de succès auprès des entreprises que dans la mesure où l'on pourra préalablement prouver que de telles démarches seraient bénéfiques pour l'entreprise (business case), ou à tout le moins, qu'elles ne lui nuiraient pas. S'il est évident que la RSE peut entraîner des coûts supplémentaires ou changer les pratiques de l'entreprise, la corrélation positive entre RSE et performances économiques reste à prouver En dehors de tout cadre contraignant, tout au moins incitatif, il va s'en dire que peu d'entreprises s'engageraient dans des démarches RSE. C'est une des raisons pour lesquelles certains acteurs postulent pour un cadre contraignant au niveau international. Des normes ont été élaborées ou sont en cours d'élaboration par des organismes publics et privés. Le processus ISO 26000 qui aboutira à des lignes directrices à destination de tout type d'organisations s'inscrit dans cette dynamique. D'autres référentiels et outils d'auto diagnostic et d'audit ont aussi vu le jour. Ces normes ont été le plus souvent élaborés dans les pays occidentaux au sein d'instances où les acteurs africains sont absents. L'enjeu et le débat en Afrique ne devraient donc pas se porter uniquement sur la nature contraignante ou volontaire de la RSE. Ils devraient également se porter sur la question la question de

l'adaptabilité et de l'applicabilité de ces normes au contexte africain. Il se pose donc le dilemme de l'aspiration à l'universalité théorique des normes et des principes qui les inspirent face à la relativité et à la spécificité des contextes et des réalités. Un premier pas dans la réponse au dilemme passe à notre sens par la prise en compte d'une dimension culturelle du développement durable et donc de la RSE.

La question d'un quatrième pilier du développement durable a été à maintes reprises évoquée. Jean Philippe BARDE89 dans une communication sur les enjeux économiques du développement durable évoquait aussi l'impératif éthique comme quatrième dimension du développement durable. Mais l'éthique peut-elle se départir de la culture ? L'éthique et la morale qui posent des questions de valeurs sont fondamentalement culturelles. C'est pourquoi Esoh ELAME évoque plutôt « l'interculturalité» qu'il élève comme quatrième pilier du développement durable.

Le développement durable comprend en effet un aspect culturel qu'on ne saurait ignorer. Esoh Elame reprochait en effet à l'émergence du concept même de développement durable de ne pas mettre assez l'accent sur la diversité culturelle et la nécessité de prendre en compte l'interculturel à tous les niveaux des politiques de développement arguant de la diversité même des représentations des problématiques que pose le développement durable. Pour lui, en effet, « l'absence des dimension culturelle et interculturelle dans l'analyse des questions de développement durable a une incidence dans la lecture des problème de l'humanité » 90.

Il définit l'interculturalité comme le « rapport aux autres cultures par une articulation langagière, de savoir-faire, de croyances, de représentations et par une expérimentation continue des pratiques de co-responsabilité, de co-décision et de co-gestion ». Une telle approche aurait l'avantage de favoriser les échanges des pratiques entre les différentes communautés culturelles autour des problématiques de développement contrairement à l'approche multiculturelle qui, selon lui, ne favoriserait pas les échanges91.

89 Jean-Philippe travaille à la Direction de l'environnement de l'OCDE et intervient dans plusieurs universités, écoles et instituts européens

90 Esoh (E).,2004 b - « Interculturaliser le développement durable» Actes du colloque de la Francophonie Volume 1- Burkina Faso. Journées d'études organisées par l'Agence internationale de la Francophonie

91 Selon lui l'approche interculturelle tient compte de la diversité culturelle dans une approche à la fois ethnoculturelle , écologique, sociale, économique et favorise les échanges de bonnes pratiques entre les communautés culturelles.

Solidarité
sociale

Efficacité économique

Pilier sociétal

Pilier culturel

Pilier environneme ntal

Pilier économique

Responsabilité
écologique

Responsabilité
interculturelle

Les quatre piliers du développement durable selon Esoh Elamé

Cette problématique de l'interculturalité se pose à notre sens à divers niveaux. D'une part au niveau global dans le débat international et l'agenda de la RSE et du développement durable et d'autre part dans le chef même des entreprises multinationales opérant en Afrique.

Au niveau international, l'intégration de la dimension culturelle du développement durable doit permettre la prise en compte du rôle essentiel de toutes les régions du monde, y compris l'Afrique, dans le débat international et dans la conceptualisation de la RSE ainsi que dans les initiatives de normalisation qui ont court ou à venir. La meilleure manière pour que les normes transpirent l'universalité n'est-elle pas d'associer divers acteurs et diverses sensibilités à leur élaboration ? Cependant il conviendrait de ne pas tomber dans la considération des particularismes qui conduit le plus souvent à des normes au rabais.

Les filiales des multinationales présentes en Afrique doivent respecter la politique ou la stratégie de groupe en matière notamment de RSE. Les pratiques de l'entreprise s'inscrivent dans une certaine culture d'entreprise que l'entreprise tête de groupe entend bien appliquer aux filiales. La perspective de RSE commande par ailleurs que l'entreprise tête de groupe ou la maison mère soit attentive aux comportements de la supply chain. Mais cette culture d'entreprise ou la démarche RSE peut être confrontée aux représentations locales, aux spécificités culturelles. Elle aura par conséquent besoin d'intégrer une dimension fondamentale culturelle dans l'approche des enjeux et des problématiques locales et de développer une interculturalité pour allier la spécificité du milieu, du contexte à la culture et la stratégie globale de groupe. Les meilleures stratégie RSE ne sont-elles pas celles qui, dans

leur opérationnalisation, s'appuient sur la culture locale et répondent effectivement aux problématiques locales en phase avec le développement durable ?

Si nous partageons bien avec E. Elamé la nécessité d'une dimension culturelle dans le développement durable et la RSE, nous demeurons moins convaincu par l'idée que cette dimension s'érige en un pilier du développement durable et plus encore à l'idée d'une responsabilité interculturelle. La dimension culturelle et l'interculturalité au même titre que l'éthique doivent être appréhendées comme des principes fondamentaux du développement durable et de manière très transversale. Isoler l'aspect culturel ou interculturel comme pilier reviendrait à nier la nécessité de prendre en compte l'aspect culturel dans chacune des trois piliers : il y a du culturel dans l'économique, dans le social ou le sociétal et dans l'écologique. Notre conviction est donc que chacun de ces piliers possède une dimension culturelle et que l'effort d'une démarche interculturelle doit favoriser l'intégration des trois piliers dans une perspective de développement durable.

b) L'épreuve des théories de la dépendance à l'égard des ressources et de la

légitimité : les actions caritatives et la tradition de solidarité

Comme nous l'avons déjà évoqué plus haut, l'entreprise africaine n'a pas pour seul objectif de maximiser les profits au bénéfice de ses propriétaires. Au-delà de l'objectif de rentabilité, l'entreprise et l'entrepreneur assument une certaine responsabilité vis-à-vis des proches, amis et parents voire de la société.

Le lien social et relationnel précède l'entreprise et l'entreprise est un moyen plutôt qu'une fin. Même lorsqu'il relève d'une initiative individuelle, la création et la prospérité d'une entreprise reposent sur un lien social fort qu'il ne saurait ignorer au fil de sa croissance, de son développement et de ses transformations. Pascal LABAZEE croyait si bien dire lorsqu'il affirme qu' « il faut chercher l'origine de la réussite (d'une entreprise) non dans la transmission d'un capital monétaire, mais dans un stock de connaissances et de relations indispensables à la réalisation d'affaires favorisant une accumulation de départ ». Il ressort donc que le capital relationnel est un palliatif à l'épargne personnelle souvent insuffisante. L'objectif de profitabilité ne devrait pas mettre à mal ce lien social, relationnel qui est à l'origine même de l'affaire. Bien au contraire l'entreprise ou l'entrepreneur doit allier efficacité économique et contraintes sociales. Pascal LABAZEE renchérit que « l'entreprise européenne n'est précisément pas soumise aux conflits potentiels entre l'optimum d'efficacité

financière et les contraintes d'ordre social 92». Dans le cadre d'une démarche RSE en Afrique, la considération de ce lien social, de ce capital relationnel élargi à toute la communauté est fondamentale. Car ce lien constitue la ressource essentielle que l'entreprise doit préserver. On voit ainsi se dessiner la théorie de la dépendance à l'égard des ressources et celle de la légitimité : le lien social est ici la ressource et la préservation de cette ressource confère la légitimité.

La tradition de solidarité, de charité, de bienveillance vis-à-vis du bien et du bien-être d'autrui constitue le fondement de la culture et les actions caritatives, qui sont à la fois des prescriptions voire des préceptes religieux et culturels, restent fondamentalement ancrées dans les moeurs individuels et collectifs. Dans une société où l'altérité est si présente et résiste tant bien que mal aux exigences d'une mondialisation quelque peu oppressante, la RSE ne devrait apparaître comme une contrainte supplémentaire mais plutôt comme une opportunité de mettre les exigences de la mondialisation en phase avec les réalités sociales, sociologiques, économiques et culturelles. Georges Frynas souligne que beaucoup d'activités philanthropiques dans les pays en développement peuvent être guidées par les notions traditionnelles de la responsabilité du milieu des affaires dans le cas de la défailllance de l'action gouernementale93.

c) Enraciner la théorie des biens publics mondiaux dans la culture de protection, de bienveillance et du bien commun

La théorie des biens publics mondiaux implique que l'entreprise adapte son activité aux nécessités de préservation des biens que le monde a en partage et dont dépend la survie de tous. Cette théorie suggère ainsi l'idée de protection des ressources communes. En Afrique cette idée de préservation des ressources communes (au-delà du lien social) est fortement ancrée dans les traditions et impose à tout membre de la communauté, et partant, à toute organisation humaine la protection de ces ressources dont la communauté dépend. Ces ressources peuvent être multiformes. Dans le domaine environnemental par exemple, la culture de sacralisation de certaines espèces végétales ou animales peut être considérée comme répondant de cette idée de protection des biens communs. Esoh Elamé évoque ainsi la sacralité des forêts négro-africaines qui appartiennent d'abord aux ancêtres et sont le

92 LABAZEE P. Op. Cit. p. 138

93 George Frynas, Corporate Social Responsibility in Emerging Economies, JCC 24 Winter 2006

« domicile de divinités »94. Au Burkina Faso, la pratique des totems conduit à l'interdiction de l'abattage de certaines espèces animales considérés comme ayant des liens directs de vie et de survie avec l'Homme (caïmans, boa, etc.). Serait-il par exemple concevable qu'une entreprise qui exploite et vend des peaux de caïman s'établisse dans une zone où les caïmans sont considérés comme sacrés ? Il y a donc une approche culturelle de la protection et de la conservation de la nature et de la biodiversité qui peut être développée95. Cette protection permet à la fois de se conserver (protection de soi), de maintenir le lien social et de protéger les autres. On perçoit assez aisément la permanence, l'omniprésence des considérations d'ordre moral, éthique et religieux dans les différentes approches qui peuvent être développées en lien avec les réalités et la culture africaine. Une approche africaine de la RSE peut donc partager en partie l'approche éthique et religieuse comme c'est le cas dans les pays anglosaxons.

d) L'approche par la mondialisation : RSE régulateur de la mondialisation « Si la mondialisation est un fleuve, construisons des barrages pour produire de l'énergie »96 Cette assertion attribuée par la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation à un participant polonais au dialogue traduit bien l'enjeu que l'émergence de la RSE pose face à la mondialisation : la transformation du phénomène de mondialisation en une force positive de développement. Certains acteurs du débat international posent très souvent la RSE comme le moyen de régulation de la mondialisation. L'Afrique étant le continent qui a le plus souffert de la mondialisation, il sied par conséquent de se pencher sur cette approche régulatrice de la mondialisation.

La mondialisation et les programmes d'ajustements structurels qui en ont résulté ont contribué à affaiblir la capacité des Etats africains à satisfaire les besoins fondamentaux des populations locales. Cet affaiblissement du rôle de l'Etat n'a malheureusement pas été compensé par le milieu des affaires qui a bénéficié de ce retrait/repli de l'Etat. La RSE offre donc l'opportunité de réfléchir à la manière même de poser et de définir les problématiques de développement et la contribution des entreprises à la satisfaction des besoins fondamentaux. Il s'agit tout simplement d'appréhender la RSE comme la contribution des acteurs privés au développement social, à l'amélioration de la qualité de la vie et l'inscription d'une telle préoccupation au centre de tous les processus de développement. Et, comme le souligne

94 Esoh Elamé, Interculturaliser le développement durable, op. cit.

95 Esoh Elamé à ce sujet évoque bien à propos une dimension culturelle des déchets solides urbains

96 Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, op. cit.

l'AICC, il faut permettre aux entreprises de jouer un rôle dans le renversement des tendances d'affaiblissement de la croissance économique en Afrique : « En conduisant cependant des affaires de façon responsable, les compagnies peuvent certainement améliorer leur propre compétitivité, la condition sociale de leur pays et voire du continent. »

e) Une vision influencée par l'acteur international et dictée par le contexte mondial : l'institutionnalisation de la RSE

La particularité du débat et des initiatives en matière de RSE en Afrique réside dans le rôle important de l'acteur international dans l'institutionnalisation de la RSE en Afrique. Il faut entendre par acteur international l'ensemble constitué par les organisations internationales non africaines, les institutions financières internationales ainsi que les autres organismes internationaux comme l'ISO, l'organisation Internationale des Employeurs, les confédérations de syndicats et les organisations non gouvernementales internationales. Dans les différentes initiatives décrites dans la seconde partie de notre étude, on remarque qu'il y a très peu d'initiatives endogènes de RSE explicite. La présence de l'acteur international est quasi permanente dans toutes les initiatives et contribue « volens nolens », à la construction d'une certaine vision et approche de la RSE.

Dans la déclaration de Bamako, les employeurs francophones disent clairement partager la vision de la RSE développée par l'Organisation International des Employeurs. Les cadres d'Uni Africa ne manquent d'affirmer la nécessité pour les syndicalistes de se saisir de la RSE conformément à la vision qui leur a été transmise par la CFDT-Cadres lors de la rencontre de Yaoundé. Le même son de cloche avait été entendu lors de la conférence maghrébine des travailleurs qui se donne une mission de vigilance face à l'éventualité d'une exploitation utilitariste et à des interprétations restrictives de la RSE par les entreprises. Du côté des organisations non gouvernementales, le discours altermondialiste, l'exigence d'une régulation contraignante et la dénonciation de l'approche purement volontaire de la RSE sont aussi présents au sein des organisations non gouvernementales africaines de différentes obédiences. Mais la vraie influence vient aussi des partenaires économiques et bailleurs de fonds du continent ainsi que des multinationales. A cet effet, l'agenda africain de la RSE sera aussi celui qui est suggéré par ces derniers. Plus la RSE sera mise en avant dans les relations bilatérales et multilatérales des partenaires de l'Afrique, plus il sera inéluctable qu'elle s'inscrive dans l'agenda africain. Il ne faut donc pas s'étonner que certaines approches de la RSE trouvent leurs échos en Afrique avec ou sans considération des spécificités culturelles africaines.

C'est ainsi que l'on peut remarquer une tendance fondamentale, dans les pays anglophones, à une mise en avant de l'aspect éthique et des approches contractualistes notamment la théorie des parties prenantes. Dans les pays francophones par contre, la tendance est plus à une approche institutionnaliste de la conformité aux exigences internationales et de la légitimité. Cette approche institutionnaliste se justifie d'autant plus que, comme nous avons eu à le relever à maintes reprises, l'enjeu africain est plus dans l'efficacité et l'effectivité du cadre existant plutôt même que la création de nouveaux cadres institutionnel, réglementaire ou normatif. La preuve en est que la plupart des Etats africains en matière de signature et de ratification des conventions internationales font preuve d'un certain enthousiasme, mais échouent dans la mise en application des obligations contractées. La question est donc comment l'entreprise peut intégrer cette dimension de la conformité à des exigences pour suppléer à la défaillance de l'Etat.

Il ne faut cependant pas se leurrer. La répartition des approches n'est pas aussi étanche ni fondamentalement liée au rapport colonial, aux traditions juridiques et au rapport linguistique. Nous constatons par ailleurs une tendance du milieu des affaires et dans une certaine mesure du milieu académique à se focaliser sur le caractère volontaire de la RSE. Le fait que ce soit des facultés de gestion qui, à travers l'enseignement du management, s'intéressent le plus à la RSE en Afrique y est certainement pour beaucoup. La presse sénégalaise rapporte à l'occasion du lancement de l' Observatoire des pratiques éthiques des affaires en Afrique de l'ouest que pour Moustapha Mamba Guirassy, président directeur général de l'Institut africain de management (IAM) et un des initiateurs de l'Observatoire des pratiques éthiques des affaires en Afrique de l'ouest, le souhait est que « le législateur se saisisse le moins possible du sujet de l'éthique des affaires et laisse aux organisations existantes le soin de définir les règles adaptées à leur environnement économique et culturel en s'appuyant sur l'obligation de transparence ».

B Les enjeux que la RSE pose pour l'Afrique

Le tableau ci-dessous expose à lui seul les différents enjeux que la RSE pose pour l'Afrique et que nous développerons en 3 temps. D'une part, la RSE pose la question du développement harmonieux et durable de l'Afrique par une participation responsable du secteur privé. D'autre part elle commande que l'Afrique puisse tirer le meilleur parti des échanges internationaux par le respect de certaines exigences nationales et internationales implicites et explicites afin d'accéder aux marchés extérieurs et de nouer des partenariat économiques

durables. Enfin, vue comme régulateur de la mondialisation, la RSE implique de relever les défis de la mondialisation en lui donnant un visage plus humain.

L'industrie de la fleur coupée du Kenya : une étude de cas en matière de RSE

[...] Le secteur à croissance la plus rapide de l'économie du Kenya, qui se classe au troisième rang en matière de recettes en devises étrangères, est l'horticulture [...]. Les visites ont amplement démontré les résultats favorables sur le plan social et environnemental, éminemment rentables de surcroît, des pressions exercées sur l'industrie en matière de RSE. [...] À la suite des revendications des travailleurs et des pressions exercées par les acheteurs européens, les producteurs indépendants ont créé le Kenya Flower Council en 1997. Homegrown est membre fondateur de ce Conseil et s'est engagée non seulement à adopter le code de pratique du Conseil mais aussi, lorsque sa société mère est devenue membre de l'Ethical Trading Initiative (ETI) [...] à adhérer aux neuf clauses du code de base de l'ETI. [...]. Les pratiques des entreprises de culture de fleurs ont également fait l'objet d'inspections du comité parlementaire permanent de l'agriculture, des terres et des ressources naturelles du Kenya. Bien qu'elle ne soit pas membre du Kenya Flower Council, Sher Agencies Limited fait preuve d'un engagement vigoureux en matière de RSE. L'entreprise offre à ses 5 000 travailleurs un logement gratuit avec eau et électricité, une garderie, une école primaire équipée d'ordinateurs et un hôpital de 55 lits, que plusieurs des parlementaires ont visité. Pourquoi le plus gros producteur de roses du monde investirait-il des sommes aussi considérables dans le bien-être de ses travailleurs? Notamment parce que Sher est également obligée de respecter les strictes normes européennes. En outre, selon le propriétaire de l'exploitation, moins les travailleurs ont de soucis, plus ils sont productifs et plus la productivité est élevée, plus ses profits augmentent. En bref, ce que les principaux représentants de l'industrie de la fleur coupée du Kenya ont appris, d'abord sous l'influence de pressions puis peut-être à leur étonnement, c'est qu'ils prospèrent en se souciant du bien de leurs travailleurs.

Source : Rapport du deuxième dialogue interparlementaire annuel Afrique-Canada sur les politiques

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