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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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Introduction

I. Vue d'ensemble du sujet

Contexte du sujet

Le Rwanda a connu, dès avril 1994, une tragédie humaine qui aura fait des milliers de morts en quelques mois seulement. A l'origine, la catégorisation d'une société par des anthropologues du colon Belge1(*) a créé un mythe sur l'origine divine des tutsi, descendants prétendus de la dynastie des Nyiginyas2(*). Le corollaire de cette instrumentalisation pathologique du différentiel ethnique aura été l'inféodation des hutu ; ce qui provoqua de premières représailles tutsi en 1959, en 1963, en 1964, et en 19733(*). Comme le souligne Bertrand Jordane, « la colonisation Belge a renforcé la radicalité des positions et des clivages, rendant ces mémoires de plus en plus hermétiques et incompatibles »4(*). Il poursuit en disant : « L'histoire falsifiée, figée, récupérée, que ce soit celle des origines de la structuration étatique du Rwanda ou celle des évolutions politiques depuis les années soixante, a donc fait le lit d'un extrémisme identitaire fondé sur la reconnaissance, dans chacune des communautés, d'un passé ethnique particulier. »5(*). Les tutsi, minoritaires (4%) par rapport aux hutu (95%), vont fuir en exil d'où ils développeront une haine viscérale à l'endroit des hutu restés au pays. Dès 1993, la classe politique au pouvoir à Kigali fait de plus en plus face aux rebelles tutsi en exil. Les accords d'Arusha du 04 Août 1993 sont sensés réunir les frères ennemis, notamment par la mise sur pied d'un Comité pour la réconciliation nationale. Le 10 avril 1994, l'avion du Président Habyarimana (un hutu) est abattu6(*). Un mois plus tard, la France lance l'opération Turquoise, pendant que la communauté internationale, médusée, assiste impuissante au carnage tutsi. Dans un premier temps, l'ONU qualifie la situation de « meurtre des membres d'un groupe ethnique avec l'intention de détruire ce groupe en tout ou partie »7(*). Elle se refuse à employer le terme de génocide, même si l'on retrouve les éléments de définition de ce crime8(*) dans l'énoncé précédent. Toutefois, à la mi-mai 1994, l'ONU commence à parler d'actes de génocide9(*). Malheureusement, malgré les avertissements de Roméo Dallaire alors Commandant de la MINUAR10(*), la situation était d'ores et déjà irréversible. Il fallait désormais penser les modalités de réconciliation.

En Afrique du Sud, le système apartheid -dit de développement séparé des races- débute en 1948. La société est alors `'racialisée''.On distingue quatre races : les noirs, les blancs, les métis et les indiens. Ce système est basé sur la dénégation des droits fondamentaux (politiques et sociaux) de la personne humaine aux noirs, et des abus de toute nature, en l'occurrence : la liberté de réunion, l'accès à l'éducation, aux soins de santé, les déménagements forcés, la répression de la contestation, etc. Entre 1960 et 1992, 200000 Sud africains sont arrêtés. Des massacres de grande ampleur sont perpétrés, comme en témoigne celui de Sharpville, dans lequel 59 noirs sont assassinés en 1960. Pour accompagner ce système inédit, une législation est adoptée par la minorité blanche au pouvoir. Elle ira de l'interdiction des mariages entre blancs et noirs, aux questions foncières, à l'éducation, aux transports et emplois publics, à la division administrative de l'Etat. Pour revendiquer leurs droits, des leaders noirs fondent un parti politique, le Congrès National Africain, dont des leaders seront jetés plusieurs fois en prison suite à des manifestations interdites. Nelson Mandela en est une parfaite illustration. Après 27 années passées en prison, il est libéré en 1990. Une nouvelle ère s'ouvre en Afrique du Sud, par des négociations entre le Parti National de Frédéric de Klerk et le Congrès National Africain de Mandela. Celles-ci aboutissent à un accord sur une nouvelle constitution en 1993, dite Constitution de transition. Cette dernière rejette officiellement le système d'apartheid, affirme l'égalité formelle et substantielle entre tous les citoyens et proclame l'unité nationale et la réconciliation. Les premières élections post apartheid ont lieu. Nelson Mandela devient Président Sud africain, suite à la victoire de son Parti, par 61% de suffrages exprimés. Au-delà de la volonté officielle de réconcilier les Sud africains, il faudra compter sur des actes forts, sur le pardon et la justice ; deux concepts qui méritent d'être présentés de manière opérationnelle.

Eléments généraux sur le sujet

La justice et le pardon sont dès lors deux modalités a priori opposées qui peuvent structurer les processus de sortie de crise dans nombre d'Etats. L'actualité de la question peut s'évaluer par un certain nombre d'indicateurs-témoins des événements marquants des relations internationales africaines. Il s'agit notamment du mandat d'arrêt lancé contre le Président Soudanais Omar el Béchir le 04 mars 2009, survenu quelques temps après l'arrestation de Rose Kabuye en Allemagne pour complicité de génocide, le 09 novembre 2008. L'inculpation de Jean Pierre Bemba11(*) et de Charles Taylor12(*) ainsi que le mandat d'arrêt lancé contre Hissène Habré13(*) témoignent de la présence de la justice internationale en Afrique. En même temps, la justice transitionnelle mise en oeuvre sous différentes formes au Rwanda, en Afrique du Sud, en République Centrafricaine ; illustre l'institutionnalisation du pardon en période post conflit.

Au vrai, le pardon apparaît comme une valeur, un principe moral, dont on ne perçoit pas dès l'abord la politisation. Une réflexion liminaire consiste donc à examiner la validité de celui-ci en tant que construit des acteurs dans un champ politique. Des questions de fonds pourront nous interpeller tout au long de notre analyse, notamment l'étendue du pardon, son opportunité, sa portée, son (ses) domaine (s), le lien entre pardon et mémoire dans les systèmes politiques africains, ses limites. Ces préoccupations sont néanmoins d'une vastitude qu'un tel projet-modeste en soi- ne saurait prétendre épuiser.

Quant à la justice, elle semble connoter une culture de responsabilité nationale et internationale, ciblée sur les individus, et forgée dès le Tribunal de Nuremberg (pour la responsabilité internationale) chargé de réprimer les criminels nazis. La justice se décline ici aux échelles nationale et internationale. Ces deux niveaux d'observation posent tous la question du lien entre la justice et le pardon. La valeur curative de cette justice pourra être évaluée à l'épreuve de la réconciliation en Afrique du Sud et au Rwanda, ainsi que l'orientation pédagogique des justices transitionnelles face aux justices ordinaires. Mais au préalable, la clarification des concepts majeurs du présent objet se révèle nécessaire.

Définition des concepts et objet de l'étude

Le pardon

Le pardon en politique « est un acte qui fait conjointement appel à la vérité morale, au refus de vengeance, à l'empathie et à la volonté de réparer des relations brisées »14(*). L'avantage de cette approche est de nous indiquer les éléments du pardon, à savoir :

- la vérité morale ;

- le refus de vengeance ;

- l'empathie ;

- le désir de réconciliation.

Toutefois, elle peut être complétée par la définition de Bole, Christiansen, et Hennemeyer : « Le pardon présuppose toujours de la part de la victime un jugement établissant qu'un tort moral lui a été objectivement infligé librement et en toute connaissance de cause, à elle-même ou à sa communauté, par un acteur responsable....le pardon implique un jugement moral quant à la réalité d'une transgression15(*). Cette dernière formulation nous informe non seulement sur les acteurs du pardon, mais également sur le caractère conscient de la douleur infligée. Une autre élaboration de ces auteurs consiste à nous dire ce que, précisément, le pardon n'est pas : « Le pardon n'est pas seulement un acte de piété personnel... le pardon n'est pas la négation de la responsabilité humaine... »16(*). Cette précision est indicative de ce qu'il y a éventuellement un pardon individuel et un pardon collectif, et que la finalité de cette action n'est pas l'impunité, mais simplement l'invite à un refus des représailles. Comme le dit d'ailleurs Baker, « le pardon n'est pas l'oubli ; c'est plutôt une certaine manière de se souvenir, c'est se souvenir sans amertume »17(*). D'où ces éléments du contre-pardon identifiés par Shriver : la vengeance, la distorsion de la mémoire, la victimisation, l'effondrement des institutions18(*). Dans les deux approches du concept (à partir de ce qu'est et ce que n'est pas le pardon), la sentimentalité est un trait marquant. Ceci traduit une certaine intimité du pardon dont l'entreprise de publicisation est loin d'être lisse.

En résumé donc, il y a une dimension éthique, politique et symbolique dans l'acte de pardonner. La rencontre entre morale, droit et politique va s'opérer au travers d'une mise en scène, d'une mise en spectacle des acteurs. Le pardon est-il opposé à la justice ?

La justice 

La justice désigne ce qui est juste. Rendre la justice consiste essentiellement à dire ce qui est juste dans l'espèce concrète soumise au tribunal19(*). Pour l'économiste et internationaliste Mokhtar Lakehal, la justice renvoie au respect des règles écrites ou coutumières, qui reconnaissent les intérêts légitimes et les droits d'un individu, d'un groupe, ou de tout un peuple20(*). Elle est aussi « l'idéal de responsabilité et d'équité en ce qui concerne la protection et la revendication des droits et la prévention et la punition des violations... C'est un concept enraciné dans toutes les cultures et les traditions nationales... »21(*).

La justice sera perçue, ici, comme la sanction d'une violation d'une part et comme l'une des conditions de la sociabilité post conflit d'autre part. Cette affirmation de Jean Paul II semble corroborer cette vision : « Il n' y a pas de paix sans justice. Il n'y a pas de justice sans pardon. »22(*). Manifestement, pardon et justice font sens dans les sociétés ayant connu un conflit.

Le conflit

Ce terme traduit une situation d'opposition, sous des formes très diverses, des individus ou des groupes dont les intérêts sont divergents23(*). Pour Mokhtar Lakehal, le conflit est un désaccord verbal, le déclenchement d'une guerre meurtrière. Il est le fait des Hommes. Cette définition, bien qu'édifiante, introduit néanmoins un flou. L'assimilation par l'auteur du concept de conflit à celui de « guerre meurtrière » est particulièrement osée. En effet, loin d'être une guerre, le conflit s'en distingue par l'intensité de la violence plus marquée dans le cas de cette dernière.

Les sociétés civilisées ont des moyens de le prévenir. Mais il est inévitable par la nature de ces sociétés. Il a plusieurs formes : conflit à somme négative (la fin n'emporte aucun gain net aux deux protagonistes mais au contraire des pertes), conflit à somme nulle (ni gain ni perte), conflit à somme positive (gain des deux parties)24(*). L'auteur a le mérite de nous indiquer que le conflit est une coproduction humaine et sociale. Celui-ci peut éventuellement faire l'objet d'anticipation et possède des rationalités liées aux rapports de force entre ses acteurs.

Selon le Philosophe, économiste et historien italien Pietro Verri, le conflit rend compte des affrontements qui peuvent se produire entre deux ou plusieurs Etats, entre un Etat et un acteur non étatique, entre un Etat et une faction dissidente, entre deux ethnies diverses à l'intérieur d'une entité étatique25(*). Le but ici est d'insister sur la typologie des conflits. Dans cette étude, nous aurons à faire avec deux conflits politiques à relents ethnico racial. Qu'en est-il du concept institution ?

Institution

Ce terme polysémique est employé à la fois par les juristes, les économistes et les sociologues. Il désigne l'ensemble des règles qui organisent la société ou certaines de ses instances. Une institution assure une triple fonction : le contrôle, la régulation, et la socialisation26(*). D'après Mokhtar Lakehal, le mot voudrait dire : «  Ce qui a été établi par la loi ou la coutume d'un pays, et appelé à durer. Il existe des institutions politiques (parlement, Sénat, Conseil constitutionnel, Conseil d'Etat) et des institutions sociales (famille, école, association du quartier). Une institution peut être un établissement ayant une existence officielle avec un rôle identifié par tous (exemples: banque, assurance, armée). Toute institution participe directement ou indirectement à la construction de la nation. » L'auteur poursuit en nous présentant ce que peut faire une institution, malgré sa nature ambivalente:

« Elle est parfois conduite à édicter des règles, établir des lois, instaurer des interdits, proposer des normes, contrôler des activités, orienter la vie publique ou collective, inculquer des valeurs, imposer des obligations (école obligatoire, service militaire obligatoire, acquittement obligatoire des impôts, etc.). Une institution peut être privée ou publique, peu importe, car sa raison d'être est de durer dans sa participation à la construction de la nation.»27(*). L'institution prend place dans un système d'action précis.

5. Acteurs

Par ce terme, il faut entendre des personnes vivant dans un environnement donné (système) tout en l'influençant ou en étant influencée par ce dernier.

Selon Crozier et Friedberg, par les acteurs, « les problèmes sont redéfinis et les champs d'interaction aménagés ou « organisés » de telle façon que dans la poursuite de leurs intérêts spécifiques, (ils) ne mettent pas en danger les résultats de l'entreprise collective. »28(*). Ceci ne revient pas à nier l'inventivité de ces individus. Crozier et son collègue diront d'ailleurs : « Les acteurs utilisent la marge de liberté de façon si extensive qu'il n'est pas possible de considérer leurs arrangements particuliers comme de simples exceptions au modèle rationnel »29(*). Les acteurs ne sont pas totalement libres, le système officiel les influence de manière à ce qu'il « n'ont qu'une liberté restreinte et ne sont capables corrélativement que d'une rationalité limitée. ». Ils ont des objectifs, bien que ceux-ci ne soient pas toujours clairs et cohérents30(*).

L'objet du sujet31(*) est donc : le pardon et la justice en tant que variantes des processus de sortie de crise et de consolidation de la paix, à l'aune de deux situations africaines. Une telle perspective a été rarement mise en évidence de la sorte. Sans doute la nature visqueuse de ces variables et leur relative insaisissabilité sans une incursion dans d'autres paradigmes d'analyse, hormis ceux des politistes, déconcertent les observateurs froids. Cette étude se situe autour de deux niveaux d'analyse : celui des acteurs et celui des institutions. Il s'agira pour nous de rendre intelligible le discours sur le pardon et la justice en montrant que les acteurs et les institutions ont une configuration spécifique et opèrent en valorisant leurs ressources respectives. Analyser ce processus en lui-même participe déjà de l'intérêt du sujet.

L'intérêt du sujet

Une double utilité peut se dégager du présent projet d'étude.

II.1. Intérêt social

La réconciliation apparait à bien des égards comme un mythe de Sisyphe dans une société déchirée par la violence politique. Pour y parvenir, recours peut être fait à la justice, au pardon, ou aux deux à la fois. Comprendre les logiques de fabrication de ces processus par les acteurs en action, ainsi que les structures qui les portent peuvent permettre d'améliorer leur efficacité dans d'autres situations peu ou prou similaires. C'est ainsi que justice et pardon contribuent à leur manière à la sociabilité commune, et tentent de consolider la paix.

II.2. Intérêt scientifique

Cette recherche se situe davantage dans une démarche de cumulativité du savoir plutôt qu'une volonté de rupture paradigmatique et théorique. En ce sens, nous souhaitons contribuer à l'enracinement des théories retenues dans des objets appliqués aux terrains africains. La plus value heuristique peut néanmoins résulter de la relecture de certains postulats de ces théories quant à l'explication des forces profondes des phénomènes étudiés et des approches choisies. En outre, notre projet pourrait aboutir -ou non- à l'émergence d'une catégorie nouvelle de règlement des conflits africains, catégorie que les chercheurs, plus aguerris que nous, pourraient explorer et conceptualiser, en termes de « justice-pardon » et de « pardon-justice ». Aussi, la formation du concept `'crime contre la société'' dont nous appelons l'avènement est-elle l'une des trouvailles du présent texte.

Délimitation du sujet

Il est important de cadrer cette réflexion afin d'éviter d'aller dans tous les sens. Pour ce faire, trois dimensions méritent un balisage : l'espace, le temps et le sujet en lui-même.

III.1. Délimitation dans l'espace

La problématique du pardon et de la justice peut se poser dans toute l'Afrique parsemée de conflits. Vaste est donc l'étendue géographique dans laquelle on peut l'objectiver. Mais, dans ce cadre, nous allons expérimenter nos hypothèses dans deux Etats africains. L'Afrique du Sud relève de la partie australe du continent pendant que le Rwanda appartient à l'Afrique centrale (CEEAC) et des Grands lacs. Nous n'avons pas la prétention de soutenir que ces deux pays, à eux seuls, peuvent traduire la richesse et la diversité du pardon et de la justice post conflits en Afrique. Nous avons, a contrario, la conviction que les pays choisis pourront nous permettre de dégager les tendances lourdes de ces modalités de réconciliation dans le continent. Les ruptures, spécificités et autres variantes des situations que l'on pourrait observer ailleurs, n'invalident pas une construction consciemment relative de la montée en généralité, à partir notamment de deux cas majeurs.

III. 2. Délimitation dans le temps

La borne supérieure choisie est 1994.

Au Rwanda, le génocide débute en 1994, suite à l'attentat contre l'avion du Président Habyarimana le 10 avril. En juillet, le FPR prend le pouvoir. C'est aussi au cours de cette année que la résolution S/ 955 (1994) du 08 novembre créé le TPIR.

En Afrique du Sud, cette date traduit les lendemains de la création de la Commission vérité et réconciliation. Il s'est agi en outre de l'élection de Mandela comme premier Président noir.

La borne inférieure est 2004.

Ce choix s'explique par le fait que nous voulions évaluer les efforts de réconciliation nationale dans les deux pays, par la justice et le pardon. Pour avoir matière à évaluer, il a semblé pertinent de retenir dix années. Aussi, faut-il souligner que le dernier rapport de la CVR en Afrique du Sud est rendu une année avant cette date.

Au Rwanda, le bilan de la justice transitionnelle, sous la forme des « gacacas », est possible quatre années après sa mise en oeuvre, tout comme l'est celui du travail effectué par la justice classique au lendemain du génocide. Compte tenu des exigences liées à l'épaisseur des développements attendus, nous ne ferons volontairement pas cas de certains aspects sous-jacents à l'espace temporel saisi par l'objet du sujet.

Toutefois, cette borne inférieure ne saurait être figée. C'est pourquoi, se basant sur le caractère long du processus de réconciliation, nous nous ferons le devoir d'intégrer certains faits majeurs dont la survenance est postérieure à 2004.

III.3. Délimitation dans le sujet

Tout travail de recherche est nécessairement l'exploration partielle d'un objet. Bien que notre jeunesse dans l'analyse nous prédispose à vouloir tout embrasser à la fois, sans un sens de la mesure et d'auto censure véritable, nous avons l'intention d'opérer un mouvement réflexif. En ce sens, les analyses fécondes de philosophie politique ne seront pas poussées. Il en va de même de l'éclairage de la psycho pathologie, qui eût été structurant dans la compréhension de la consolidation de la mémoire victimaire. Toutes les formes de justice transitionnelles en Afrique ne sont pas explorées. Il en est le cas des « bushigantahé » du Burundi, des tribunaux populaires excepté ceux du Rwanda, les Conférences nationales souveraines, et les instances délibératoires mises en place par les gouvernements de transition. Quant à la collecte des données32(*), elle est nécessairement limitée dans la mesure où nous aurions pu enrichir notre matériau avec des interviews des acteurs du pardon et de la justice opérant sur les terrains d'observation ; ceci grâce à un voyage d'étude dans les deux pays.

Revue de la littérature

Il n'est pas évident, pour un néophyte de la galaxie scientifique, de faire amende pertinente à la pensée des colonnes dont les écrits emportent admiration. Toutefois, nous osons faire, ici, le pari de l'audace. Avant de dire en quoi nous nous démarquerons des quelques travaux sélectionnés, il sera loisible, dans un premier temps, de dévoiler leurs contenus. Il convient de préciser d'entrée de jeu que la recherche africaniste n'a pas beaucoup planché sur notre objet en termes d'ouvrages. A la vérité, il n'est surtout question des articles scientifiques qui n'abordent pas le pardon et la justice de manière simultanée.

1. Le juriste Antoine Garapon dresse un plaidoyer favorable pour la justice internationale. Son ouvrage propose de remonter le temps pour voir émerger, progressivement, l'idée d'une justice internationale. De Nuremberg à Tokyo, l'idée de fonds est que la conscience universelle doit lutter contre la culture de l'impunité. L'auteur relève l'épisode de la levée de l'immunité du Général Augusto Pinochet par les Lords britanniques, à la demande du royaume d'Espagne. Aussi un fait inédit survient-il avec l'arrestation, en plein exercice de son mandat, de Slobodan Milosevitch jugé par le TPIY. A. Garapon pose la question de savoir si la CPI contribue à la construction de la paix, et si les procès guérissent les victimes. Pour y répondre, il opte pour une approche précautionneuse. En effet, pour l'auteur, ni la punition ni le pardon ne règlent le problème. Ce postulat rencontre notre point de vue, à la différence néanmoins que, lorsque Garapon avance que c'est la justice internationale qui doit jouer le rôle de réécriture de l'histoire des peuples, nous nous inscrivons en faux contre cette internationalisation de la mémoire nationale. Ce substitut au rôle des institutions et acteurs nationaux est réhabilité dans notre approche qui, elle, tente de rendre compte des entreprises du dedans en même temps que celles du dehors. Notre projet va donc au-delà de l'analyse ci- dessus.

2. La mémoire, l'histoire, l'oubli. C'est la trilogie qui a suscité la réflexion ricoeurienne. Même si l'auteur, sans doute par modestie caractéristique des chercheurs mûrs, prévient que son livre est disparate et ardu. L'ouvrage est en réalité une somme philosophique. Il tente une analyse de ce qui lie l'homme au passé. Pour le philosophe Ricoeur, c'est « une énigme d'une représentation présente du passé présent ». La mémoire collective, individuelle, et historique est tour à tour scrutée dans une analyse méthodique de philosophie politique. Entre autres points cruciaux développés : l'introduction à une phénoménologie de la mémoire, le travail de deuil dans la mémoire collective, l'oubli, l'histoire. Ce livre comprend des synthèses de lecture après chaque grand thème. Ricoeur confronte avec succès les principales idées des philosophes sur la mémoire (Bergson, Aristote, Platon, Saint Augustin, Nietzsche, Husserl). Il s'insurge contre les abus dans son usage. A ce titre, il est édifiant de rapporter ses propos que voici : « L'injonction à se souvenir risque d'être entendue comme une invitation adressée à la mémoire à court-circuiter le travail de l'histoire. Je suis pour ma part d'autant plus attentif à ce péril que mon livre est un plaidoyer pour la mémoire comme matrice de l'histoire, dans la mesure où elle reste la gardienne de la problématique du rapport représentatif du présent au passé.. » Plus loin il écrit : « La tentation est alors grande de transformer ce plaidoyer en une revendication de la mémoire contre l'histoire. Autant je résisterai le moment venu à la prétention inverse de réduire la mémoire à un simple objet d'histoire parmi ses " nouveaux objets ", autant je refuserai de me laisser enrôler par le plaidoyer inverse (...) Il se pourrait même que le devoir de mémoire constitue à la fois le comble du bon usage et celui de l'abus dans l'exercice de la mémoire »33(*). Sur la question de l'histoire, Paul Ricoeur s'intéresse aux excès dans son évocation. Il essaye de situer le lien entre l'histoire et le temps. L'oubli et le pardon ne riment pas, selon lui, avec les crimes contre l'humanité, considérés comme « impardonnables de fait».

Dans notre travail, la problématique du pardon et de la justice soulève dans le même temps celle de la mémoire des victimes. En effet, il appert qu'un pardon non sincère et une justice injuste ou insuffisante ne parviennent pas à gommer les cicatrices de l'histoire, à l'oubli. C'est à ce titre que ce livre nous servira de support théorique, même si notre analyse ne s'en limitera pas pour aller un peu plus loin dans l'exploration empirique. Aussi la maigreur des développements sur l'Afrique nous motive-t-elle à réhabiliter ce terrain dans la pensée scientifique liée à cette thématique.

3. Trois auteurs ont fourni l'une des monographies les plus larges sur la question du pardon à l'échelle globale. Dans leur livre intitulé Le pardon en politique internationale. Un autre chemin vers la paix, Bole, Christiansen et Hennemeyer scrutent la problématique générale du pardon dans la politique internationale dans une approche éthique. Le pardon y est vu comme un instrument au service de la résolution des conflits, un outil opérationnel pour la paix. En 194 pages, ils abordent 8 principaux points. C'est le cas, en premier lieu, des forces de l'intolérance. La vengeance, les souvenirs dangereux et la victimisation sont quelques rubriques qui font l'objet de développements subséquents. La deuxième articulation se fixe pour leitmotiv de répondre à la question du pourquoi du pardon. En guise de réponse, il est énoncé que le pardon vise à construire l'avenir, à créer une nouvelle dynamique, à cicatriser les blessures et à forger la réconciliation. Le pardon en politique, les actes et les acteurs, la vérité collective et la guérison individuelle, les communautés religieuses, l'intervention des acteurs religieux, et le lien entre religion, culture et pardon sont successivement analysés avec minutie. Des références bibliographiques sont rappelées à la fin de chaque thème de manière à synthétiser les différents écrits ayant constitué le support analytique des postulats avancés. C'est l'une des références les plus déterminantes dans notre inspiration, en ceci que même si les auteurs s'intéressent au pardon en politique internationale, ce dernier peut tout aussi se décliner en politique interne avec les mêmes schémas. Notre ambition est, à partir du champ d'analyse des auteurs, d'opérationnaliser certains énoncés du pardon dans une vision macro, telle que vue par Bole et ses collègues, dans un cadre micro. D'autre part, nous irons au-delà des aspects du livre non conformes avec les réalités des sociétés politiques internes, dans l'optique d'en montrer les limites eu égard à notre travail.

4. Comment sortir de cette revue sélective de la littérature sans parler du livre de la chercheuse du CNRS Sandrine Lefranc ? Les politiques du pardon, c'est le titre évocateur que son auteur donne à cette réflexion. Sandrine Lefranc s'interroge sur la manière dont on peut réduire la violence d'Etat par le pardon politique. En analysant particulièrement les cas de l'Amérique latine et de l'Afrique du Sud, elle montre que, même si le pardon politique n'est pas possible dans l'absolue, il devient une catégorie dominante du discours sur la justice. Dans une écriture accessible et au style simple, elle pense que les victimes et les politiques de justice doivent conjuguer leurs efforts pour la réconciliation. Pour notre part, il est utile de s'approprier les éclairages de Sandrine Lefranc sur la notion de pardon politique, la problématique de la mémoire, ainsi que les analyses qu'elle fait sur l'Afrique du Sud. Contrairement à elle, nous récusons la vision fataliste de l'irrémédiabilité du non pardon politique. Fidèle à une option qui priorise la construction sociale, ce projet vise à montrer que le pardon politique est au contraire possible lorsqu'il est construit. Nos centres d'intérêts vont au-delà de la violence par le haut que Lefranc étudie, et sont donc par conséquent élargis à la violence par le bas. Les développements que cet auteur fait sur les politiques de justice sont plus axés sur la perspective interne, or nous nous intéressons par ailleurs à la justice internationale exercée au plan interne à travers le TPIR.

5. Le philosophe américain Michael Walzer propose un Traité sur la tolérance. Il reconnait d'entrée de jeu que c'est un principe que des groupes humains peuvent pratiquer pour vivre en paix. Le philosophe politique affirme que la tolérance rend possible l'existence des différences. Le livre repose sur deux principaux postulats :

a. la coexistence pacifique est toujours une bonne chose ;

b. les régimes de tolérance doivent être alternatifs.

Dans ses développements empiriques, il tire des exemples en Europe, en Amérique, en Amérique du Nord et au Moyen Orient. Walzer s'interroge sur l'étendue de la tolérance et les processus de mise en scène de celle-ci. Il typologise la tolérance et en ressort quatre propriétés :

- l'acceptation résignée de la différence ;

- l'opposition passive d'une indifférence à la différence ;

- la reconnaissance des droits similaires aux autres même s'ils les exercent de manière peu plaisante;

- l'ouverture à l'autre, son respect, son écoute.

L'analyse de cet auteur veut rendre compte des pratiques de tolérance dans les sociétés non africaines. L'analyse qu'il mobilise relève de notre point de vue de l'idéal. Les pistes qu'il préconise pour cultiver la tolérance relèvent davantage d'un travail propre à soi, même s'il reconnait en filigrane l'importance de la relation de face-à face dans ce processus. A la vérité, il ne traite pas de la tolérance politique, mais a contrario celle privée. Or c'est la première que nous aurions pu intégrer comme condition du pardon, et comme moyen de régulation des tensions en Afrique, un continent du reste mis à l'écart du traité de Walzer. Envisageons à présent la problématique qui fonde ce travail de réflexion.

Problématique34(*)

L'Afrique du Sud et le Rwanda ont connu des violences politiques d'une forte intensité. La brièveté de celles-ci dans le second cas n'enlève rien à leur caractère inhumain, considérablement distinct des abus perpétrés dans le 1er cas depuis 1948. Après ces situations s'est posée la question de la réconciliation. Une alternative s'offrait ainsi aux catégories dirigeantes héritières des systèmes politiques post conflits : juger ou pardonner. Le choix entre justice et pardon fera l'objet d'adaptation dans un cas comme dans l'autre ; allant parfois jusqu'à l'imbrication des deux modalités de sortie de crise. Pour porter cette dynamique, un système actanciel et institutionnel sera fonctionnel. Dès lors quelle est la configuration des acteurs de la justice et du pardon dans les deux pays et quelle est la portée de leurs actions dans la réconciliation ? Comment les acteurs internes et externes vont-ils interagir et mobiliser les institutions pour reconstruire la cohésion sociale brisée ? Ces actions sont-elles suffisantes pour réconcilier et faire émerger une sociabilité post conflit ?

Hypothèses

Nous formulons une hypothèse35(*) principale et deux hypothèses secondaires qui vont permettre de tester les variables dont elles sont constitutives dans les développements.

Hypothèse principale

Les acteurs et les institutions du pardon et de la justice sont multiples. Ils mobilisent des ressources radicalement différentes pour construire la paix. Toutefois, ces deux modalités ont une similarité d'objectif-la réconciliation-dont les voies de réalisation demeurent distinctes, et l'efficacité relative.

Hypothèses secondaires

1. Les instances de droit commun et les formes de justices transitionnelles aux plans nationaux travaillent respectivement la fabrication du pardon et l'administration de la justice. Les résultats de leurs actions dépendent de l'environnement et du sens que les acteurs leur donnent, ainsi que des rapports dedans-dedans et dedans-dehors qui y sont imprimés.

2.

Bien que la justice et le pardon visent la sociabilité post conflit, les acteurs et institutions internes et externes sont impuissants face à l'inoubliable et la mémoire des victimes. Ceci peut alimenter des conflits futurs et remettre en cause la pertinence de ces deux modes de sortie de crise.

Méthodologie

La présente recherche est organisée autour d'une construction et d'un cadre théoriques.

VII.1 De la méthode

Trois types d'analyses vont meubler nos développements : l'analyse sociologique, l'analyse comparative et l'analyse systémique. Nous préciserons ensuite le système de collecte et de traitement des données qui sera usité.

A. Typologies analytiques

a. L'analyse sociologique

L'analyse du sujet pourra s'enrichir de cette grille de lecture. En effet, l'on sera attentif à la dimension sociale du pardon et de la justice, dans la mesure où les acteurs et les institutions révèlent une dynamique d'interrelations sociétales conflictuelles et pacifiques. L'identité des acteurs et institutions, les valeurs qu'ils invoquent, le sens qu'ils donnent à leurs actions, sont autant d'éléments à observer. En outre, il sera question de mettre en lumière les processus simples et robustes qui sont à l'oeuvre dans les deux sociétés post conflits. Le pardon et la justice seront saisis à travers les acteurs et les institutions. Ce qui amène à intégrer à la fois l'holisme ou sociologisme36(*) et l'individualisme méthodologique37(*) dans notre posture analytique. Aussi utiliserons-nous l'analyse cognitive pour rendre compte des perceptions des acteurs par rapport à la réconciliation et des usages de la mémoire.

b. L'analyse comparative

L'essence de cette analyse est de relever les points de convergence et de divergence. En ce sens, nous allons essayer de comparer l'action des acteurs et les institutions du pardon et de la justice. Deux niveaux d'appréciation seront pris en compte, notamment le national et le global. La multi variation sera le trait caractéristique de cette comparaison38(*).

c. L'analyse systémique

L'exploration du pardon et de la justice, à partir des institutions et des acteurs, doit absolument, de notre point de vue, intégrer la dimension structurelle. Ces acteurs et institutions ne font sens que dans un système d'action précis. Les contraintes environnementales dans les sociétés politiques étudiées, les demandes sociales après les années d'hostilité, et les solutions qu'offrent les ordres dirigeants sont des déterminants dont l'étude peut permettre de comprendre l'efficience ou non. Plus concrètement, le modèle eastonien de prise en compte des inputs et des outputs nous inspirera pour comprendre les mécanismes de construction de la réconciliation après des violences politiques (inputs) par la justice et le pardon (outputs). Ces différentes formes d'analyse seront utiles dès lors que nous aurons collecté et traité le matériau nécessaire pour soutenir notre argumentation.

B. Du système de collecte et de traitement des données

a. La collecte39(*)

Nous ferons usage de la méthode d'observation indirecte, avec notamment la technique documentaire. Les ouvrages scientifiques, les articles des revues du même genre, les articles des journaux, les dictionnaires généraux et spécialisés vont constituer nos différentes sources. Aussi exploiterons-nous les rapports publics comme sources de première main. Nous emprunterons l'approche dogmatique propre aux juristes pour lire le statut du TPIR et les lois internes aux deux pays. La collecte sera enrichie par l'outil internet, dont l'exigence de distanciation avec les faits sera plus grande. En effet compte tenu du caractère délicat, voire passionné des thématiques sous-jacentes à notre objet, des sites internet ont été crées pour perpétuer les mémoires du génocide et de l'Apartheid, et fonctionnent sans grande objectivité. Il nous reviendra alors de faire la part entre l'engagement militant et les analyses scientifiques.

b. Le traitement

Les matériaux collectés seront sélectionnés, classés et interprétés en vue de constituer des appuis aux arguments développés. Cette étape de la recherche devra tenir compte de l'exigence éliassienne d'engagement et de distanciation40(*). Pour viser la rigueur d'analyse, nous essayerons de nous démarquer des pré notions, des idées arrêtées. Nous tenterons alors d'intégrer l'exigence d'intersubjectivité pour, notamment, expurger l'analyse de nos convictions propres. Tout ceci sera solidifié par un cadre théorique spécifique.

VII.2 Du cadre théorique

Trois théories vont nous servir de phare dans l'orientation épistémologique qui est à la base de nos postulats : le néo institutionnalisme, le constructivisme, et l'interactionnisme symbolique. Il conviendra d'être attentif à l'invite de Michel Beaud, selon laquelle « la qualité d'une théorie ne peut se juger à sa seule cohérence interne, mais par rapport à sa capacité à rendre compte du réel »41(*).

a. Le néo institutionnalisme

Après l'éclipse de l'analyse institutionnelle dans les années 1960-1970, un regain d'intérêt s'observe dans les années 1980. L'influence des institutions sur l'action (comportement des acteurs, leurs stratégies, leurs préférences, leurs identités) va de pair avec leur développement. Le néo institutionnalisme a pour but de structurer le politique42(*). Les auteurs de ce courant avancent que l'analyse doit partir des institutions et non des acteurs. L'action est conditionnée par les institutions. Il existe trois types de néo institutionnalismes : historique, du choix rationnel, et sociologique43(*). On parle de `'néo'' en référence à l'ancien institutionnalisme formaliste (descriptif, a-théorique). Mais pour certains, la variante `' néo'' n'a rien apporté mais s'inscrit plutôt dans la continuité44(*). L'institutionnalisme historique s'est développé en réaction au behaviourisme et aux approches centrées sur les sociétés. Son argument principal est le `'path dependency `'45(*). L'institutionnalisme du choix rationnel met en exergue l'importance stratégique des institutions. Il ne rejette pas le behaviourisme, mais l'adapte à l'analyse institutionnaliste. Il s'est beaucoup intéressé à l'étude des législatures, des exécutifs, des bureaucraties et à la formation des coalitions politiques. Les institutions sont considérées selon les opportunités qu'elles offrent aux acteurs. L'institutionnalisme sociologique tire ses racines dans la théorie des organisations46(*). Ici, les institutions incarnent et reflètent des symboles et pratiques culturelles qui influencent la perception des acteurs. La création de nouvelles institutions doit être respectueuse de la compatibilité avec celles existantes. Un lien étroit existe entre la société et les institutions. Les institutions diffusent la société et conditionnent leur interprétation.

La critique faite à ce courant tient à son éparpillement. Même s'il existe un patrimoine commun entre ces trois approches, il n'en demeure pas moins vrai que leurs postulats sont divergents sur le concept institution, sa création, et l'action. Dans ce travail, c'est le versant sociologique du néo institutionnalisme qui nous concerne. Nous montrerons que les « gacacas » incarnent la justice traditionnelle, les tribunaux de droit commun et les cours constitutionnelles incarnent les valeurs de la justice moderne. Le TPIR édicte des sanctions qui ont pour but de façonner la perception des acteurs sur la question de la responsabilité. Il en va de même du travail de construction du `'pardon-justice'' par la CVR. Par ailleurs, un lien fort existe entre institution et société : le TPIR c'est la culture De la société internationale tandis que les autres institutions représentent celle de la société nationale.

b. Le constructivisme

Le constructivisme social rime avec la figure de Berger et Luckmann. Il postule fortement que les phénomènes sociaux sont des construits. Les constructivistes s'attachent à voir comment la réalité est construite par les institutions. La réalité constructiviste est plus subjective qu'objective. Ce courant émerge dans les années 80-90 pendant la crise du marxisme et du structuralisme. Il comporte quatre caractéristiques de base :

- une position critique sur le caractère acquis des connaissances ;

- la spécificité historique et culturelle des connaissances ;

- le soutien des connaissances par les processus sociaux ;

- la concomitance entre connaissance et action.

Les pionniers de la construction sociale affirment que « la société est une production humaine. La société est une réalité objective. L'homme est une production sociale »47(*). Cette réalité est extériorisée, les acteurs s'en émancipent pour affirmer leurs stratégies. Mais la réalité est aussi subjective par le processus d'intériorisation : c'est la socialisation. Hormis le constructionnisme sus présenté, il existe un constructivisme structuraliste (Bourdieu) et un constructivisme phénoménologique (Alfred Schutz). Dans le premier cas, Bourdieu lui-même écrit : «  Par constructivisme structuraliste, je veux dire qu'il existe, dans le monde social lui-même, (...) des structures objectives indépendantes de la conscience des agents, qui sont capables d'orienter ou de contraindre leurs pratiques et représentations. Par constructivisme, je veux dire qu'il y a une genèse sociale d'une part des schèmes de perception, de pensée et d'action qui sont constitutifs de ce que j'appelle habitus, et d'autre part des structures sociales, et en particulier de ce que j'appelle des champs »48(*). Dans le deuxième cas, l'analyse saisit les individus et leurs interactions. Les objets de pensée construits par les chercheurs en sciences sociales se fondent sur les objets de pensée construits par la pensée courante. Ainsi, à la base de la connaissance savante du monde social, il y a la connaissance ordinaire.

Le constructivisme social est celui qui va nous intéresser pour montrer que le pardon et la justice sont construits par des acteurs et des institutions en fonction de leurs identités respectives. La réconciliation recherchée est l'objet d'un travail méthodique d'influence des représentations et des perceptions des victimes. C'est aussi le cas de la mémoire négative dont précisément la déconstruction vise la construction de la sociabilité commune.

c. L'interactionnisme symbolique

C'est dans les années 1970 que ce courant issu de la sociologie américaine va consolider sa perspective.49(*) L'idée fondatrice est que l'individu contrôle ses actions et agit sur lui-même et le tout en fonction des circonstances du contexte. Cette théorie privilégie la méthode d'observation qualitative et inductive. L'interactionnisme symbolique accorde une grande importance aux significations spontanément élaborées par les acteurs pendant leurs interactions. L'analyse microsociologique qui est à sa base met l'accent sur l'ordre social. Les individus recherchent le consensus par la négociation. Les interactionnistes se demandent comment les normes sociales sont vécues, construites, interprétées, et reproduites par les individus pendant leurs interactions quotidiennes50(*). A partir de là, ils reconnaissent un sens construit à l'interaction, ils abordent les thématiques liées au contrôle social et aux stigmates, au soi, aux rôles et aux représentations, aux adaptations secondaires. Chez Anselm Strauss, l'interactionnisme prend une forme contestataire vis-à-vis du fonctionnalisme. Lorsque les seconds voient une société structurée, relativement statique et composée d'acteurs guidés par des normes et valeurs, les premiers vont s'intéresser à la construction permanente de l'ordre social par les individus. Les fonctionnalistes considèrent la société comme un système structuré avec des statuts accolés à des rôles. Dans le même temps, les interactionnistes étudient la complexité des rôles. L'acteur peut prendre des distances à l'égard de ceux-ci. Là où les fonctionnalistes écrivent que les organisations sont régies par des règles formelles maintenues par la communauté d'intérêt, les interactionnistes sont d'avis que l'interaction sociale est caractérisée par son dynamisme et son caractère négocié. Chaque acteur participe à la représentation de la situation dans laquelle il est engagé, l'interaction ne fait pas l'objet d'un jugement mais d'une adaptation, d'un réinvestissement.

Nous montrerons que, contrairement à la vision axée sur l'ordre social, les relations de face à face entre acteurs et institutions du pardon et de la justice trouvent leur base dans le désordre des deux sociétés observées. Le sens que les acteurs donnent à ces catégories varie selon le dedans et le dehors. Dans les situations post conflits, la sociabilité commune s'inscrit dans les interrelations quotidiennes. Les rôles des acteurs internes du pardon et de la justice sont ambigus d'autant plus que ceux-ci interagissent de manière négociée avec l'externe. Nous serons en outre attentifs aux interrelations des acteurs et à celles des institutions.

Annonce du plan

La première partie portera sur l'étude de la configuration des acteurs et institutions du pardon et de la justice au double plan interne et externe. La seconde tentera de montrer que ces acteurs et institutions précédemment saisis dans leurs statuts, fonctions et identités reconfigurent relativement la sociabilité post conflit en Afrique.

Première partie : Configuration mouvante des acteurs et institutions du pardon et de la justice

Dans un contexte général marqué par les souvenirs non disparus et du génocide et de l'apartheid, il apparaît que la détermination des acteurs et institutions judiciaires au plan interne et au plan externe peut permettre d'objectiver l'hypothèse de la configuration mouvante (Chapitre 1). Pour mieux comprendre l'étendue du pardon, ses acteurs, ses logiques de fabrication et, pour rendre compte de son caractère ambivalent en Afrique, une étude préalable de ses figures, processus de mise en oeuvre et sa morale est envisagée (Chapitre 2). Pour ce faire, nous mobiliserons l'institutionnalisme et le constructivisme pour mieux éclairer les variables sous-jacentes aux hypothèses à vérifier à ce niveau de l'analyse.

CHAPITRE 1 : DE LA JUSTICE POST CONFLIT : ACTEURS ET INSTITUTIONS DU DEDANS ET DU DEHORS

« L'objet premier de la justice, c'est la structure de base de la société, la façon

dont les institutions répartissent les droits et les

devoirs fondamentaux et déterminent la répartition

des avantages tirés de la coopération sociale »51(*)

Les situations de violence politique brièvement rappelées à l'introduction appelaient une réponse adéquate de la part des gouvernements qui ont hérité des deux pays ciblés. Dans un cas, il est surtout question de remobiliser toutes les ressources humaines détruites par le génocide. Dans l'autre cas par contre, des réformes visent davantage la révision des lois héritées du système ségrégationniste, pour universaliser et rendre équitable la justice dans le pays. De toute évidence, ces deux processus distincts de par leurs finalités, seront rythmés par des dynamiques endogènes plurielles, dont la pédagogie du TPIR s'en démarque quelque peu52(*). Ainsi, notre ambition est de montrer que si les acteurs et les institutions de la justice au plan interne peuvent à un moment biaiser leur rôle du fait de la contrainte de l'ordre dirigent (surtout au Rwanda), la finalité de ceux du dehors n'est ni plus ni moins que de rendre justice, sans état d'âmes. Cette différence de posture déontologique pourrait avoir pour explication le fait que très souvent en Afrique, les autorités exécutives ont une grande influence sur le pouvoir judiciaire. Dans les sociétés post conflits comme celles qui nous concernent, mettre en accusation certains coupables des crimes, alors même qu'ils sont devenus les principaux héritiers de l'ordre politique est, à défaut d'un leurre, une tâche titanesque. Ce schéma est en partie le reflet de la situation du Rwanda, mais pas exactement de celle de l'Afrique du Sud du fait notamment de l'implication active des factions du RPR dans les opérations avant et après le génocide.

Section 1 : Pluralité d'acteurs et d'institutions internes

Les acteurs de la justice au Rwanda, avant le génocide, essayent tant bien que mal de dire le droit, malgré des problèmes visibles d'infrastructures et de ressources humaines de qualité. En Afrique du Sud par contre, les années 95- marquent l'institutionnalisation de l'universalité et de la civilité de l'appareil judiciaire, pendant qu'il s'agit plutôt de sa désinstitutionalisation dans l'autre cas. Le fil d'Ariane comparatif balise notre orientation analytique. Mais, il ne s'agit pas d'une recherche systématique de la spécificité d'un pays par rapport à l'autre. Il est un constat néanmoins clair : l'exploration des deux sociétés politiques, au cours de la période sous étude, révèle une richesse du personnel judiciaire d'une part, et une pauvreté de celui-ci d'autre part. Il n'en va pas autrement pour les institutions judiciaires.

Paragraphe 1 : La structuration actancielle : entre stabilité et incertitude

Il convient de l'analyser tour à tour en Afrique du Sud et au Rwanda.

A. En Afrique du Sud : une configuration multipartite

La sortie négociée de l'ère apartheid en Afrique du Sud a entraîné l'uniformisation de la justice. Auparavant, la ségrégation judiciaire ôtait aux noirs la possibilité de saisir les instances judiciaires pour se faire rétablir dans leurs droits. Néanmoins Mandela et un de ses amis ont fondé un cabinet d'avocat, dont le but était de donner des consultations aux noirs des townships à bas coût. En tant que tels, ils peuvent donc être retenus comme acteurs de première heure de la justice dans ce pays. Leurs actions de protestation ont progressivement suscité la prise de conscience de la minorité blanche, et la mobilisation ultérieure de la communauté internationale, pour provoquer des changements politiques substantiels, mais de manière graduelle. Comme il dira d'ailleurs lui-même à ses compatriotes à sa sortie de prison : « Nous ne sommes pas encore libre, mais nous avons acquis la liberté d'être libre ». Ces acteurs ne seront pas étudiés en détail dans cette rubrique, au regard de la délimitation temporelle du sujet.

Les différents acteurs de la chaîne judiciaire vont obligatoirement, indépendamment de leurs couleurs, agir dans le sens de la nouvelle Constitution de 1993. Dans son préambule, celle-ci proclame: «We, the people of South Africa, recognise the injustices of our past, honour those who suffered for justice and freedom in our land, believe that South Africa belongs to all who live in it, united in our diversity..., heal the divisions of the past and establish a society based on democratic values, social justice and fundamental rights...» Il est primordial de relever que l'intégration, dans les consciences collectives, des abus perpétrés par le passé, a joué un rôle crucial dans la transformation mentale des personnels judiciaires. La béatification subséquente des martyrs de la justice les érige du coup en acteurs moraux de la justice rénovée.

Ici, les acteurs de la justice sont des magistrats et juges dans différents tribunaux et institutions du système judiciaire. Mention doit aussi être faite des avocats et des différents acteurs de la police judiciaire, dont le rôle consiste à accompagner les magistrats dans le ministère du droit. A la tête de cet édifice trône le `'Chief Justice of South Africa'', lequel est assisté du `'Deputy Chief Justice''. Très importante est l'autorité chargée du ministère public. Celle-ci est composée du Directeur national des poursuites, du Directeur des `'Public Prosecution'' et des `'Procecutors'' déterminés par la loi. Il existe par ailleurs un `'Public Protector'' qui fait office de médiateur de la République. Les membres des différentes institutions judiciaires sont également des acteurs de premier plan. C'est le cas du Président de la cour suprême d'Appel, des praticiens du droit, des enseignants d'université, des représentants de l'Assemblée Nationale officiant par exemple dans la commission de service judiciaire, etc. La situation rwandaise est examinée dans les paragraphes qui vont suivre.

B. Au Rwanda : une architecture imparfaite

Anne Cécile Robert pose avec clarté le problème de la justice en ces termes : « 1200 prisonniers attendent d'être jugés. Les conditions de détention sont désastreuses et 761 hommes en sont morts en 1999... le TPIR n'a, depuis sa création en 1994, jugé que 28 prévenus et édicté 57 actes d'accusation, tandis que la justice rwandaise est débordée, faute de magistrats, et n'a pu traiter que 1500 dossiers »53(*). Le défaut de magistrats souligné par l'auteur est l'une des différences majeures avec l'Afrique du Sud où, contrairement à la destruction massive des personnels judiciaires pendant le génocide rwandais, les personnels existant étaient en nombre suffisant, et devaient simplement s'adapter à la législation post apartheid révisée.

Pour pallier à la carence de magistrats, des juges sont formés en six mois et des procès collectifs seront organisés, allant de 10 à 60 personnes. La formation des magistrats non juristes a été faite grâce au concours de RCN54(*). Le 28 septembre 1996, l'on dénombrait alors 20 juges à la Cour Suprême, 29 juges à la Cour d'Appel, 200 procureurs et magistrats.

Le problème de formation des magistrats ne s'est pas véritablement posé en Afrique du Sud. Au Rwanda par contre, « les effectifs des magistrats ... posaient moins de problèmes que leur niveau de formation. Sur les sept cent huit magistrats de l'ordre judiciaire (fin 1992), quarante six seulement avaient une formation universitaire. Les autres, après des études secondaires, avaient suivi une courte formation professionnelle. »55(*). Les autres acteurs de la justice n'avaient pas une situation plus reluisante. Par exemple, avant le génocide, l'on ne dénombrait que 128 avocats et conseillers des entreprises dont le niveau de culture juridique atteignait la licence en droit56(*). Après le génocide, ils n'étaient plus qu'une trentaine. Face à cela, la profession a du s'ouvrir aux personnes ayant exercé des métiers connexes liés à celui d'avocat (huissiers, etc). La situation est ainsi résumée par le juriste Frédéric Mutagwera : « Pour une population de sept millions cinq cent mille habitants, le rapport avocat diplômé/population était de un pour cent vingt mille, c'est-à-dire une proportion tout à fait insuffisante même avant le génocide »57(*). Notons que le nombre de magistrats avant le génocide était de moins de 800. Le tableau ci-après donne un aperçu de la situation qui vient d'être décrite.

Tableau 1 : Les effectifs des personnels judiciaires au Rwanda entre 1994 et 1996

 

Avril 1994

Novembre 1994

Décembre 1996

Magistrats du siège

 
 
 

Cour Suprême

Cour d'Appel

Tribunaux de 1ere instance

Tribunaux de canton

Total

Nd.

+21

114

505

661

7

4

42

184

237

20

32

210

437

699

Magistrats debout

 
 
 

Cour Suprême

Cour d'Appel

Tribunaux de 1ere instance

Total

Nd

Nd

75

83

1

1

12

14

4

14

127

145

Inspecteurs de police judiciaire

193

24

158

Greffiers

214

80

259

Secrétaire/dactylographes

169

89

55

Source : Stef Vandeginste, « Poursuite des présumés responsables de génocide et des massacres politiques au Rwanda », in www.ua.ac.be/objs/00110967.pdf, visité le 09/12/09

Les acteurs de la justice au Rwanda sont l'incarnation matérielle des institutions. En bonne place se trouve le Procureur de la République et ses substituts, qui forment le corps des officiers publics, les inspecteurs de police judiciaire, les secrétaires de parquet58(*).

Tous ces acteurs sont en réalité une somme condensée d'un ensemble d'individus dont le rôle dans la réconciliation a été crucial dans les deux pays. Malgré les écarts dans les chiffres et la formation, l'office des acteurs de la justice en Afrique du Sud est le même que celui des acteurs rwandais : contribuer à la sociabilité commune par la sanction des injustices (à des degrés divers néanmoins) et le bannissement de la culture de l'impunité. Mais tout va dépendre du rôle que leur confèrent les catégories dirigeantes dans les deux pays. Et c'est à ce niveau que la différence est nette. Le poids de l'ordre dirigeant, composante du pouvoir exécutif, sur les rôles assignés aux acteurs judiciaires dans les situations post conflits, est tel que ceux-ci ne peuvent pas prendre des distances vis-à-vis de ces rôles qui leur sont confiés. Dans le cas d'espèce donc, l'on est dans une perspective contraire à la lecture interactionniste symbolique, qui postule justement la rationalité et l'émancipation des acteurs par rapport aux rôles à eux assignés. Ces différents acteurs interagissent dans des systèmes institutionnels tout aussi distincts.

Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des deux systèmes judiciaires : des écarts notables

Les institutions de la justice que nous allons analyser relèvent de l'organisation classique et quotidienne du travail judiciaire dans les deux Etats. Dans les sociétés post conflits, leur apport dans la réconciliation est déterminant pour reconstruire la légitimité de l'Etat, en tant que léviathan capable d'encadrer l'action des acteurs59(*). Si en Afrique du Sud les institutions de la justice sont organisées et fonctionnent normalement dans la période sous étude, au Rwanda en revanche, elles ont nécessité un recadrage pour mieux être à même d'incarner la lutte contre l'impunité. En plus, la coexistence entre ces dernières et le TPIR a posé quelques problèmes dans la pratique60(*).

A. Les institutions de la justice en Afrique du Sud : un exemple d'indépendance institutionnelle

En Afrique du Sud, l'Autorité judiciaire est incarnée par les tribunaux indépendants61(*).Ceux-ci sont soumis à la constitution et à la loi. Dans ce pays, l'on peut globalement distinguer deux capitales institutionnelles de la justice. La première est représentée par Johannesburg, siège de la Cour constitutionnelle. La seconde l'est par Bloemfontein. C'est le véritable siège du pouvoir judiciaire en ce sens que la Cour Suprême du pays (Supreme Court of Appeal) s'y trouve. De manière générale, l'appareil institutionnel en matière de justice y comprend donc:

- la Cour constitutionnelle ;

- la Cour suprême d'Appel ;

- les Hautes Cours, ainsi que toute haute cour d'Appel qui est susceptible d'être établie par un acte du parlement pour connaître des appels des hautes cours ;

- les Cours de magistrats (magistrates courts) ;

- la Commission du service judiciaire ;

- l'Autorité chargée du ministère public.

La Cour constitutionnelle fait l'objet des développements à l'article 167 de la constitution. Elle comprend 09 juges et les décisions se prennent par l'accord au moins de 09 juges. C'est la plus haute instance en matière constitutionnelle. Elle ne décide que sur les matières constitutionnelles et les domaines connexes. En outre, elle donne un avis sur la constitutionnalité des textes et si une affaire a un impact constitutionnel. La Cour constitutionnelle arbitre les conflits entre les organes de l'Etat au niveau national et provincial, s'agissant des statuts constitutionnels, des pouvoirs et fonctions de ces organes. Il décide de la constitutionnalité d'une loi parlementaire et provinciale. L'alinéa 6 de l'article précité précise que la saisine est ouverte à toute personne, dans l'intérêt de la justice.

La Cour suprême d'Appel62(*) est la plus haute juridiction d'Appel en dehors des affaires constitutionnelles. Elle décide des Appels, des affaires liées aux Appels, et de toute autre matière précisée dans des textes législatifs.

Les Hautes cours63(*) connaissent de toutes les affaires constitutionnelles excepté celles qui ne peuvent être connues que par la Cour constitutionnelle. Elles sont aussi compétentes sur les matières dévolues à une autre cour de statut similaire à la haute cour.

Les `'magistrates Courts'' et les autres cours décident de toute affaire conformément à la loi. Mais celles-ci ne peuvent en aucun cas connaître des affaires liées à la constitutionnalité des lois et des actes du gouvernement.

Il existe une autre institution appelée Commission du service judiciaire64(*). Elle est composée des principaux acteurs du système judiciaire sud africain et des représentants des autres institutions éducatives, législatives, judiciaires, et provinciales.

L'Autorité chargée du ministère public complète cet édifice et détient des pouvoirs en matière d'institution des poursuites criminelles au nom de l'Etat. Ses membres doivent êtres absolument indépendants. Dans le cas du Rwanda, la pauvreté du personnel judiciaire après le génocide est-elle allée de pair avec un désert institutionnel ?

B. Les institutions de la justice au Rwanda : une organisation pyramidale

Le gouvernement d'Union nationale mis en place le 19 Juillet 1994 s'est immédiatement attaqué au problème de restructuration de la justice et à celui de l'impunité. 120 000 prisonniers de génocide devaient être pris en charge par ces institutions. Or le système judiciaire de ce pays avait déjà du mal à fonctionner en tant de paix65(*).

La Cour suprême est la plus haute institution judiciaire du Rwanda. Ses arrêts sont insusceptibles de recours, excepté en cas de grâce et de révision. Elle est organisée par la loi n° 01/2004 du 29/01/2004. Elle a en son sein un Département chargé de l'inspection des cours et des tribunaux. Elle connaît des arrêts rendus par la Haute Cour de la République. Elle règle de la constitutionnalité des lois, des affaires liées au contentieux des élections présidentielles, référendaires et législatives. Elle reçoit le serment prononcé par le PR, etc.

En second lieu la Haute Cour de la République a sa base à Kigali et une compétence nationale. Elle comprend quatre Chambres qui siègent hors de son quartier général. Elle connaît des Appels rendus par les juridictions inférieures. Elle juge les crimes de guerre, de génocide, les meurtres et atteintes à la sûreté de l'Etat.

Parmi les autres institutions les plus notables, il y a le Conseil Supérieur de la magistrature. Deux années après le génocide, ce dernier n'était pas toujours reconstitué66(*). Selon les proposions de la Constitution, ses membres sont élus par les représentants de l'ensemble du système judiciaire des tribunaux de tous les cantons à la Cour suprême. C'est en effet ce Conseil qui statue en matière de nomination des magistrats des différents tribunaux. La solution trouvée par le gouvernement était de faire nommer le Président et le vice-Président de cette cour par le parlement, sur sa proposition.

Les Cours d'Appels, qui connaissent des appels des jugements rendus en première instance, sont au nombre de quatre au Rwanda. A côté de ces institutions, se trouve le Parquet. C'est une structure chargée de mener des enquêtes et de déférer les auteurs des infractions devant les tribunaux. Douze parquets existent dans ce pays dans la mesure où un est créé dans chaque chef-lieu de préfecture et un à Nyamata et Rushashi. Les parquets travaillent pour le compte des tribunaux de première instance67(*).

La loi n° 08/96 du 30/08/1996 créé des Chambres spécialisées au sein de chaque Tribunal de première instance, Cour d'Appel, et Cour militaire. Il en existe 13 qui ont rencontré des problèmes pratiques notamment les renvois des audiences, l'éloignement des témoins des lieux des audiences, la question des preuves. Cela aboutissait généralement à des acquittements. Il existe des tribunaux de district et de ville, des tribunaux de province et de la ville de Kigali.

Les Comités de conciliateurs ont été créés par la loi n° 2004/ du 20 juin 2004. Leur rôle vise à désengorger les tribunaux en connaissant des tentatives obligatoires de conciliation préalables entre les parties. Ils sont compétents en matière pénale et civile. Après règlement, ils dressent des procès verbaux cosignés par les parties. L'affaire est transmise au greffe du tribunal compétent dans l'unique cas où une partie n'est pas satisfaite par le jugement rendu.

Les Commissions de triage préfectorales connaissent des demandes en libération provisoire ou définitive des personnes poursuivies pour génocide. Leur composition intègre les représentants des différents ministères  et structures de l'Etat: Défense, Intérieur, Renseignements et Parquet.

Sans être exhaustif citons la Commission nationale de lutte contre le génocide dont la loi organique définissant le cahier de charge n'intervient que le 16 février 200768(*). Toutefois, sa création est insérée dans le texte constitutionnel du 14 juin 2003.

Le ministère de la justice a aussi joué un rôle déterminant. C'est en effet lui qui fut chargé d'encadrer les différentes réformes du secteur de la justice, et de veiller à l'application des décisions prises au niveau politique par le gouvernement d'unité nationale, dans le volet judiciaire69(*).

Les infrastructures de ces institutions ayant été complètement détruites, le gouvernement et ses partenaires extérieurs70(*) vont entreprendre de les remettre sur pied. C'est ainsi que les bâtiments, le mobilier et le matériel de bureau sont réhabilités. La mémoire institutionnelle est renforcée par l'octroi du matériel documentaire. Les moyens de communication et de déplacement sont renforcés : téléphone, courrier, dons de véhicules71(*) et de motos72(*). Il s'agissait là des éléments du dedans. Il nous revient à présent d'introduire une deuxième dimension de notre analyse, consistant notamment à ressortir les dynamiques des acteurs et institutions du dehors.

Section 2. Une structuration actancielle et institutionnelle externe à géométrie variable

La communauté internationale, après son silence et sa réaction tardive avant et pendant le génocide, va voler au secours des autorités rwandaises pour lutter contre les injustices. Dans le même temps, après avoir salué les négociations entre les acteurs locaux victimes et planificateurs de l'apartheid, elle va s'éclipser pour laisser jouer la volonté interne portée par Mandela : non aux poursuites et oui à la réconciliation et aux amnisties. Les procès y relatifs furent conduits par des tribunaux nationaux exclusivement. Ce qui a eu pour conséquence de minorer l'action directe du dehors dans ce processus particulier.

Paragraphe 1 : Les acteurs internationaux de la justice : fondement et nature

Les acteurs du dehors ont une présence justifiée par des raisons à la fois politiques et juridiques. Il est donc crucial d'analyser non seulement le fondement de leurs présences dans des sociétés politiques internes, mais aussi leur typologie.

A. Fondement de l'action des acteurs internationaux : entre l'ordre moral et l'ordre juridique

Le premier fondement est d'ordre moral. Il s'agit pour des individus appartenant au genre humain de manifester leur solidarité vis-à-vis des membres de l'espèce humaine à qui d'indicibles souffrances sont imposées. Comme l'écrivent William Bourdon et Emmanuelle Duverger, « lorsque les souffrances endurées dans un pays ont été effroyables et que la vérité a été confisquée ou falsifiée, la promulgation des lois d'amnistie s'oppose au besoin de justice »73(*). En d'autres termes, le caractère inhumain des violences politiques justifie que des personnes, même non concernées par une situation d'abus manifestes, se mobilisent afin que la justice ne soit pas dévouée. Les hosti humani generis ou ennemi du genre humain n'ont pas d'appartenance territoriale qui limiterait, en théorie, des actions mobilisées au niveau extérieur. Il s'agit là d'une approche qui priorise la communauté de l'humanité, entendue ici comme un magma composite des êtres humains, dont la dignité fait l'objet d'une universalité. Les atteintes à la dignité humaine, où qu'elles soient perpétrées, suscitent une réaction de tous ceux qui se reconnaissent membres de la famille des êtres civilisés. Le problème se poserait par contre lorsque des intérêts particuliers poussent des acteurs extérieurs à agir. Dans ce cas, ce n'est plus la considération de nécessité qui l'emporte, mais au contraire celle de l'opportunité.

Le deuxième fondement est d'ordre juridique. En effet, la nature des crimes commis indique si tel ou tel acteur externe est susceptible d'initier ou tout au moins influencer une procédure judiciaire au plan interne. Dans le cas d'espèce, le crime de génocide défini à l'article 6 du Statut de la CPI a été commis au Rwanda, pendant que l'apartheid est classé dans la catégorie des crimes contre l'humanité, en vertu de l'article 7. En appui au Statut de Rome instituant la CPI, la Convention du 08 décembre 1948 pour la prévention et la répression des crimes de génocide. A la base de cette construction juridique, il y a l'idée que le caractère erga omnes des obligations découlant de la perpétration des crimes ci-dessus est la conséquence de leur érection en norme de jus cogens. Ces normes sont désormais reconnues par l'ensemble des spécialistes du droit des gens, comme étant impératives. L'universalité des effets liés à leur violation est une évolution du droit international général, qui court-circuite ainsi les Etats, réfugiés très souvent derrière leur souveraineté, ou la non ratification du Statut de Rome, pour se soustraire de leurs obligations internationales. Comme l'interrogent des auteurs, « Comment un Etat, pour des raisons d'opportunité politique interne, serait-il fondé à invoquer sa souveraineté nationale contre l'humanité tout entière dont il n'est qu'une partie ? »74(*).

Le troisième fondement est d'ordre symbolique. Les acteurs extérieurs, qu'ils soient des Etats ou des individus, des organisations gouvernementales ou non, visent tous l'ennoblissement que confère une action allant dans le sens de restaurer la dignité humaine et de renforcer la justice au détriment de l'impunité. Les gains symboliques vont par conséquent de la respectabilité à la `'fréquentabilité'' et au classement dans le club des potentiels nominés aux différentes distinctions dont la plus prisée aujourd'hui semble être la nobélisation. Nous voulons préciser qu'il n'y a point d'action neutre du dehors. Même celles les plus désintéressées d'apparence peuvent en réalité cacher la recherche des gains symboliques ou non, portés notamment par plusieurs types d'acteurs.

C. Typologie des acteurs : étatisation et transnationalisation

Notre hypothèse est qu'il y a eu plus d'acteurs internationaux de la justice au Rwanda75(*). Ceci pourrait s'expliquer par la contemporanéité du drame et son acuité, c'est-à-dire l'ampleur de la violence ethnicisée. En Afrique du Sud par contre, il y a eu plus d'institutions, ce qui semble se justifier par la tradition culturelle des pays du Commonwealth d'une part76(*), et la lassitude des acteurs extérieurs du fait des décennies d'Apartheid d'autre part.

Les acteurs sont donc soit des Etats, soit des organisations internationales, soit des individus. En Afrique du Sud, l'on note une imposante présence des Etats-Unis d'Amérique, par le truchement de leur justice nationale. En effet, un groupe constitué des avocats Sud africains, avec à sa tête Charles Abrahams, a réussi à faire accepter l'idée d'une collectivisation des poursuites. Appuyés par leurs collègues américains spécialistes dans ce procès, les avocats Sud africains ont intenté un procès contre 23 multinationales et banques appartenant à six pays. La plainte déposée le 11 avril 2002 a été fondée sur la responsabilité indirecte des mis en cause, notamment du fait de leur soutien implicite au régime d'apartheid. Plus concrètement, il a été avéré que leur apport n'a pas été négligeable dans le soutien financier et logistique de la logique apartheid. Certaines firmes ont vendu au gouvernement des engins utilisés pendant les répressions brutales. Des banques occidentales ont tiré profit de ce système, entre autres arguments invoqués.

D'autres acteurs sont : la Suisse, la Belgique, le Canada, et la France. Ceux-ci motivent leurs actions sur la base du principe de compétence universelle. En général, les tribunaux de certains de ces pays ont contribué à déterritorialiser la loi pénale internationalisée derechef. Nonobstant le lieu de commission du crime, la nationalité de son auteur, si une victime ou un intérêt sont établis comme ayant un lien national avec les pays affirmant cette compétence, alors l'action est engagée. Devant les pressions exercées par les Etats-Unis néanmoins, le principe de compétence universelle a été limité dans sa portée, à tel point que d'autres critères sont désormais exigés (par exemple la nationalité de la victime) des juridictions nationales étrangères, pour attraire en justice des non nationaux, pour des crimes commis en territoire étranger. Mais la Belgique s'est aussi investie au Rwanda à travers la construction de deux palais de justice dans le cadre du programme de restructuration de la justice après le génocide77(*). La Cour suprême a été rénovée avec, entre autres, le concours de ce pays78(*). Les tribunaux de France ont aussi connu plusieurs affaires liées au génocide. La plus médiatisée et sans doute la plus intriquée semble être celle qui aura suscité un jeu de ping-pong entre le TPIR et une Cour d'Appel française79(*). En outre, le Procureur de la République, ayant refusé d'ouvrir une enquête suite à quatre plaintes des Rwandais datées de 2005, se verra contredire par le juge d'instruction aux armées80(*). La Hollande a en outre offert son concours pour le financement de l'agrandissement des prisons.

De nombreuses ONG internationales ont mené des actions pour la justice au Rwanda. Avocat sans frontière en est l'illustration. Créée en 1992 et basée à Bruxelles, elle est composée de magistrats, d'avocats et de juristes en général. Ses objectifs concourent à la réalisation des sociétés plus justes, équitables et solidaires devant le droit et la justice. Cette organisation a mis sur pied le Programme « Justice pour tous au Rwanda ». Le but visé était de pallier au nombre insuffisant d'avocats dans ce pays81(*) et d'apporter une assistance judiciaire aux victimes et aux coupables pendant les procès82(*).

L'action menée par Amnesty international et Reporter sans frontière est tout aussi déterminante. Leur problème était de lutter pour la modernisation des procédures usitées par les « gacacas ». Ces justices étaient dénoncées par ces ONG dans le sens du non respect des critères internationaux définissant un procès équitable. Le respect du principe de non discrimination, les arrestations arbitraires et les règlements de compte des pontes du RPR sont des pratiques qui ont été dénoncées par ces organisations.

L'international rescue Committee a mis en oeuvre un programme pour réhabiliter les parquets détruits par les violences inter ethniques. Les financements y relatifs ont été octroyés par l'USAID. Son action se rapproche de celle du Haut Commissariat pour les réfugiés, qui a eu à fournir à ces mêmes parquets «l'équipement mobilier de base. Ceux de Kibungo, Byumba et Gisenyi ont reçu une première livraison en 1995. A Byumba, les meubles sont arrivés avant que le bâtiment calciné soit réhabilité... »83(*)

Nous avons choisi de les présenter dans la catégorie des acteurs ; car se sont d'abord des organisations non gouvernementales. En tant que telles, elles mobilisent plus directement des individus, acteurs des relations internationales, pour accomplir, à leur nom certes, des missions précises.

Signalons l'action des militants Suisses et Allemands en 1998. Ceux-ci ont en effet rédigé un rapport sur les bénéfices excessifs tirés par les banques suisses et allemandes pendant le régime ségrégationniste. Ils ont, pour cela, rejoint ceux qui pensent qu'il faut rendre justice aux Sud africains, en annulant la dette contractée par le régime apartheid du fait de son caractère inique.

La plupart de ces acteurs ont considérablement influencé les institutions ; ce qui renforce la relativité de la perspective néo institutionnaliste s'agissant des figures de la justice. Aussi, bien que le transnationalisme ne fasse pas partie de notre armature théorique, doit-on relever la désétatisation des actions et programmes visant la recomposition des deux sociétés. La transnationalisation du processus de réconciliation fait indubitablement écho à la théorie transnationaliste des relations internationales. Au demeurant, quel est l'apport des institutions du dehors dans le système judiciaire du dedans ?

Paragraphe 2 : Les institutions internationales dans la justice interne : un indice de l'extranéité du processus

Le Rwanda a connu un regain d'intérêt de l'ONU qui, à son appel, va très vite mettre sur pied le TPIR. Nous nous intéresserons particulièrement à cette institution. En Afrique du Sud, un certain nombre d'institutions vont timidement influencer les réformes dans le secteur judiciaire, et la restauration de la dignité humaine aux noirs.

A. Le TPIR ou l'internationalisation de la justice au Rwanda

Cette internationalisation devrait être entendue comme une extension du champ institutionnel. Celle-ci se justifie, selon le juriste Mégret, de cette manière : « Les crimes internationaux étaient d'une certaine manière, dans l'esprit des membres du Conseil de Sécurité, quelque chose de trop sérieux pour qu'on les abandonne entièrement aux juridictions nationales »84(*). C'est en effet la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a créé le TPIR, un véritable casse-tête juridique85(*). Selon Jean-François Dupaquier, il « s'apparente à un organe subsidiaire du Conseil de sécurité créé en vertu de l'article 29 de la Charte des Nations Unies... le statut du tribunal et les conséquences juridiques qui en découlent s'imposent à tous les Etats membres conformément à l'article 25 de la Charte. »86(*). Le TPIR est supposé affirmer son indépendance vis-à-vis des autorités du Rwanda, des Nations Unies, et des tribunaux nationaux. Son siège basé à Arusha en Tanzanie a suscité de nombreuses querelles juridiques et politiques. Il était notamment mentionné que les crimes ayant été commis au Rwanda et les victimes étant rwandaises en très grande majorité, le siège devait se trouver à Kigali. La vision du SG de l'ONU était différente. Celui-ci a en effet recommandé que les débats se déroulent en territoire neutre87(*). Quant à l'argument économique, l'absence d'infrastructures au Rwanda a été relevée. En revanche, les personnels de ce tribunal se déplacent régulièrement entre Kigali, Arusha et la Hayes. Les observateurs notent que la tenue des procès au Rwanda aurait eu pour importance de familiariser les juges nationaux avec les pratiques internationales, en y tirant des leçons pour leurs propres expériences. Son mandat a été arrêté en date du 08 novembre 199488(*). Il s'agit pour lui de « juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'Etats voisins entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 199489(*). Selon cet auteur, le tribunal porte en lui les espoirs de justice, de paix et de réconciliation. Trois sortes d'incriminations sont prévues par son statut :

- le génocide, désignant des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux90(*) ;

- les crimes contre l'humanité, qui renvoient aux assassinats, tortures, viols, et autres actes commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique contre une population, civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale, religieuse mais aussi politique91(*) ;

- les violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et celles du Protocole additionnel II de 1977 (sur les conflits armés non internationaux). Ainsi, les crimes de guerre et les infractions aux conventions sus citées dans les conflits internes sont visés.

La procédure applicable est de nature accusatoire. Le TPIR a une compétence qui prime sur celle des juges rwandais. Ceci s'applique dans les domaines de l'identification, la recherche des suspects, la production des preuves, l'expédition des documents, les arrestations et détentions de personnes. En vertu de son statut, il peut demander à un tribunal national de se dessaisir d'un procès en cours à tout moment.

Selon l'article 6 des Statuts du TPIR, « la qualité officielle d'un accusé, même chef d'Etat ou de gouvernement, ou haut fonctionnaire ne le met pas à l'abri des poursuites ». Cette disposition constitue un défi pour la pratique usuelle consacrant des immunités aux Chefs d'Etat pour des actes accomplis pendant leurs fonctions. Toutefois, l'on doute fort que la mise en oeuvre de cette provision soit possible. Son insertion dans l'écriture statutaire du TPIR a davantage une fonction pédagogique quant à l'étendue des sanctions internationales que l'on encourt en cas de commission des crimes divers, sans distinction de leurs auteurs92(*).

Le TPIR comprend 11 juges indépendants. Il existe deux Chambres de première instance comprenant trois juges et une Chambre d'Appel de cinq juges. Un procureur s'occupe de l'instruction des dossiers ainsi que des poursuites93(*). S'agissant des preuves, il est arrêté que les juges apprécient leur force probante. La conséquence de cette latitude accordée aux juges internationaux est que toute preuve valable peut être validée. Selon le règlement du TPIR, s'il existe un doute sur les preuves, de nature à biaiser le jugement final, il peut être ordonné de fournir des preuves supplémentaires94(*). La Cour tient généralement compte de la coopération des accusés, et peut donc leur reconnaître des circonstances atténuantes. Ceci peut aboutir à une grâce ou une réduction de peine95(*).Toutefois, la recevabilité des preuves en matière de viol est très fortement encadrée. En vertu des provisions réglementaires du tribunal, les préalables suivants sont observés scrupuleusement96(*) :

- la collaboration du témoignage de la victime par des témoins n'est pas requise ;

- le consentement ne pourra être comme moyen de défense lorsque la victime a été soumise à des actes de violence, a été contrainte ou soumise à des pressions psychologiques. Il en est aussi le cas lorsqu'elle a raisonnablement estimé que, s'il elle ne se soumettait pas, une autre pourrait subir les mêmes actes ;

- l'accusé doit démontrer que ses moyens de preuves sont pertinents et crédibles ;

- le comportement sexuel antérieur de la victime ne peut être invoqué comme moyen de défense.

Les témoins bénéficient d'un système de protection spécial et les mises en accusation sont exécutoires dès lors que les Etats y font suite, le Tribunal n'ayant pas de force de police97(*).

Le TPIR va donc incarner des valeurs de la justice internationale. Sa composition, son siège et ses règles vont traduire un ensemble de symboles et de pratiques culturelles internationales en matière de lutte contre l'impunité. Sa création et son fonctionnement vont influencer la perception des acteurs internes au Rwanda sur l'orientation des procès de génocidaire par les tribunaux nationaux et la collaboration à apporter à ce tribunal. Ceci confirme donc les postulats de l'institutionnalisme sociologique.

En Afrique du Sud la réflexion sur le rôle du dehors en matière de justice peut acquérir plus de saillance si nous dégageons précisément sa part dans la lutte contre les injustices du système de développement séparé.

D. De la mobilisation des institutions de la société internationale en justice post Apartheid

Le Commonwealth est l'institution qui s'insurge contre le régime Apartheid dès son début. Fidèle à son histoire d'ouverture et d'acceptation des différences, c'est tout naturellement que la politique du Parti national va être dénoncée. Les injustices basées sur une ségrégation judiciaire, scolaire, sexuelle, administrative, et humaine sont décriées, en vain. Finalement, l'Union Sud africaine devenue République sort du `'club des gentlemen'' en 1961. Après l'abolition de l'Apartheid, ce club fera entendre sa voix en acceptant la réintégration de l'Afrique du Sud en 1994. Cette réintégration fut conditionnée par des évaluations pertinentes des avancées en matière de justice sociale et d'égalité de chance entre les races dans ce pays. Remarquons ici que l'action n'est pas directe. Contrairement au Rwanda, ce qui est à l'oeuvre se sont plutôt des incitations à l'adoption des lois plus justes, à l'abolition des clivages factices qui demeurent l'émanation des hommes, etc. Cet accompagnement de l'Afrique du Sud est concomitant à son autonomisation quant à la conduite des réformes judiciaires et des procès par les acteurs politiques dominants et les tribunaux nationaux respectivement.

En même temps qu'il est mis au banc de la communauté des Etats, l'ordre dirigeant Apartheid va conduire le CIO à exclure le pays des jeux olympiques. Pendant plusieurs années d'absence dans les compétitions sportives internationales, c'est Mandela en personne qui marquera le retour de son pays, à la faveur d'un match de rugby contre la Nouvelle Zélande que l'Afrique du Sud a d'ailleurs remporté. La sanction du CIO est levée en 1992.

L'UNESCO, de concert avec le Conseil mondial des Eglises, va aussi jouer sa partition dans la lutte contre les injustices. Plusieurs autres confessions religieuses sont invitées à concevoir des messages de réconciliation, mais aussi de justice car l'un ne va pas sans l'autre. En bonne place, l'Eglise allemande réformée, l'Islam, l'Eglise catholique romaine, et l'Eglise africaine indigène.

L'ONU a considéré l'apartheid comme une menace contre la paix et la sécurité internationale98(*). Un Comité spécial contre l'Apartheid a été créé, de même qu'un Fonds d'affectation des Nations Unies pour l'Afrique du Sud. Le Fonds international de défense et d'aide pour l'Afrique australe a permis notamment de fournir une assistance juridique aux prisonniers politiques et d'aider les familles. L'ONU a par ailleurs soutenu la campagne mondiale contre la collaboration militaire et nucléaire avec l'Afrique du Sud (embargo sur les armes). Le `'Shipping research Bureau'' a pour sa part aidé à surveiller l'application des mesures relatives à l'embargo sur le pétrole.

Conclusion de chapitre

Il était question d'étudier la configuration des acteurs et institutions judiciaires dans les deux pays au double plan interne et externe. Au terme de cette brève analyse, nous affirmons que la pluralité est le trait caractéristique dans ce premier chapitre. Les deux pays pourraient éventuellement servir d'exemple pour illustrer la diversité des structures et des Hommes en charge d'appliquer la justice dans les Etats africains sujets à des défis de sortie de crise. L'appareil que nous avons présenté et, nous osons dire discuté, fonctionne de manière différente ici et là. Il n'est pas déconnecté des orientations politiques données par les acteurs. C'est notamment ce qui justifie la différence entre les deux pays. Quant à la dimension exogène, elle a semblé, en plus des initiatives internes, plus adaptée au cas rwandais, car limitée dans le temps. Faire le procès des génocidaires était une tâche que l'on pouvait facilement déconnecter du procès du système politique. L'externalisation de la justice dans le cas d'espèce visait donc à garantir cette neutralité, gage des procès non politiques à orientation punitive certes, mais pédagogique aussi. La justice internationale a été quasiment absente dans l'autre cas, si l'on excepte l'action des tribunaux américains, qui intervenaient d'ailleurs dans un cadre purement national. Dans l'un et l'autre cas, la justice est l'une des voies par lesquelles le pays passe pour se reconstruire. Comme le dit Jonh Rawls, la justice, d'un point de vue politique, « ne se contente pas de fournir un fondement à la justification des institutions politiques et sociales sur lesquelles l'opinion publique doit s'accorder, mais (...) contribue aussi à garantir la stabilité d'une génération à l'autre »99(*). L'étude du pardon politique en Afrique pourrait confirmer cette posture de la justice et, derechef, celle de la non opposition entre les deux concepts d'un point de vue fonctionnel.

CHAPITRE 2 : DU PARDON POLITIQUE : FIGURES, PROCESSUS DE MISE EN SCENE ET VALEUR

« Parfois acceptée, d'autres fois rejetée, la figure du pardon prend place dans l'ensemble

des discours qui sont tenus sur des justices

de transition. Elle est d'ailleurs un

motif classique des politiques

de sortie de la violence »100(*)

Le pardon est un concept dont l'opérationnalité dans le champ politique est problématique à plus d'un titre. Comme le souligne le cardinal Daly, « il faut accepter l'idée que le pardon est une démarche très, très coûteuse et très, très difficile. Il est plus facile de pardonner par procuration et collectivement que de pardonner personnellement au coupable des actes abominables dont on a eu à souffrir »101(*). En effet, dans quelle mesure peut-on objectiver clairement une valeur morale dans un environnement qui a connu des violences inter individuelles d'une cruauté ahurissante ? Comment un être humain peut-il avoir commis des atrocités en toute conscience et bénéficier du pardon ? Si cela est un devoir pour les croyants, l'immersion du concept dans la sphère politique complexifie son élaboration et sa mise en oeuvre. Notre objectif est de comprendre comment le pardon a pu ou non jouer une fonction pacificatrice, à côté de l'impératif de sanctionner les auteurs des crimes, aux fins de diffuser l'idée de `' plus jamais ça !`'. Il s'agit dans ce chapitre de faire un inventaire critique des acteurs d'une part. Ceci va nous permettre de comprendre leurs rôles décisifs ou, inversement, leur influence négative dans le processus de réconciliation. Il ne sera pas question de les étudier en exhaustivité. Aussi nous attacherons- nous à en ressortir ceux dont l'action a été déterminante dans la réconciliation. D'autre part, il est structurant de voir si l'on peut parler d'institution du pardon en Afrique, notamment à partir des deux formes de justices transitionnelles mises en place dans les deux pays. L'hypothèse que nous avançons ici est qu'en Afrique du Sud, la volonté de tourner la page définitivement supplante celle de rendre justice ; ce qui justifie que les principaux acteurs du régime apartheid n'aient pas été poursuivis. Au Rwanda par contre, tout en réconciliant tutsi et hutu, il était important que justice soit prioritairement faite, et que les coupables répondent de leurs actes, ne fusse que symboliquement. Cette situation nous permet alors de suggérer que dans un cas, qu'il y a eu un `'pardon-justice'', et dans l'autre il s'est surtout agi d'une `'justice-pardon''.

Section 1 : Identification et fonctionnalité des acteurs du pardon

A l'examen des deux sociétés politiques, il apparaît que deux grandes catégories d'acteurs du pardon peuvent être identifiées, à savoir les acteurs individuels et les acteurs collectifs. Les étudier revient non seulement à préciser leur posture dans la chaîne de fabrication du pardon, mais aussi à identifier leurs places dans ce processus. Par ailleurs, il conviendra de démontrer que bien qu'étant une catégorie socialement construite, le pardon est aussi un construit politique dynamique.

Paragraphe 1 : Un processus civilisateur entre acteurs passifs et acteurs actifs

De manière fondamentale, nous pensons que l'on peut distinguer les acteurs passifs des acteurs actifs.

A. Les acteurs actifs du pardon : les victimes

Bole et alie reconnaissent que les victimes sont les premiers agents du pardon en Afrique102(*). Par victime il faut entendre la partie qui subit la violence. Il s'est agi des tutsi pour le Rwanda et des noirs pour l'Afrique du Sud.

Le génocide rwandais a lieu du 06 avril 1994 au 4 juillet de la même année. En trois mois, 800000 tutsi (selon l'ONU) ont été massacrés, ainsi que des hutu dits `'modérés''. Ces derniers seraient ceux qui apportaient du soutien à des voisins tutsi, amis, et familles pourchassées. Après la mort du Président Habyarimana, un gouvernement intérimaire est mis sur pied. Le colonel Bagossora en sera le leader. C'est sous sa houlette qu'une véritable stratégie d'élimination des `' cafards103(*) `' va être exécutée, comme en témoignent ces crânes d'êtres humains.

Source : http://wikipedia.org/w/index.php ?

La stratégie consistait à traquer, puis éliminer, grâce à un réseau informationnel très puissant, tous ceux qui avaient des caractéristiques physiologiques des tutsi. Les armes utilisées étaient rudimentaires : machettes principalement, houes, et gourdins. Un système inique d'incorporation des représentants de l'administration fut établi, à tel point que des barrages étaient dressés par ceux-ci, sous le prétexte de protection par regroupement dans des lieux publics104(*). Le rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda, présenté par Réné Degni-Ségui, en application du paragraphe 20 de la résolution S-3/1 du 25 mai 1994, est sans équivoque dans ses points dix et onze:

« 10. Les atrocités se révèlent davantage dans la manière de donner la mort aux Tutsi: ceux-ci sont le plus souvent exécutés à l'arme blanche; ils sont frappés à coups de machette, de hache, de gourdin, de barre de fer ... jusqu'à ce que mort s'ensuive.

11. De plus, ces massacres sont systématiques, n'épargnant personne, même pas les bébés. Et les victimes sont pourchassées jusque dans leur dernier retranchement : orphelinats, hôpitaux et églises ».

La violence a donc atteint un degré inimaginable. Des femmes tutsi étaient éventrées lorsque enceintes, à l'effet de tuer les foetus `'cafards''. Les opérateurs des tueries prenaient plaisir à faire `'le travail'' en regroupant les membres d'une même famille tutsi. Le père devait alors assister au viol105(*) de sa fille, son épouse, avant d'être lui-même égorgé106(*). Le Colonel Bagossora en personne coordonnait les opérations. Devant cette stratégie ordonnée, les tutsi qui réussissent à s'échapper ou ceux qui bénéficient de l'aide des hutus modérés vont se réfugier dans des pays voisins jusqu'à la prise de pouvoir par le FPR le 4 juillet.

En Afrique du Sud, les noirs pourtant majoritaires107(*) ont été les victimes de l'Apartheid. A la différence du génocide, ici ce qui constitue l'objet de haine et de discrimination c'est la couleur de la peau. Si au Rwanda les violences contre les tutsi ont été perpétrées en 3 mois seulement, en Afrique du Sud par contre elles l'ont été de 1948 jusqu'en 1991, soit 43 années d'abus multiformes. Dès la victoire du Parti National, la politique de ségrégation raciale est mise en marche dans ce pays par Daniel François Malan. En réaction, l'ANC dénonce cette politique et finit par lancer une lutte armée. Des manifestations sont organisées, suivies des répressions et d'emprisonnement. Le massacre des noirs de Sharpeville en est l'exemple emblématique de même que les émeutes de Soweto. Des militants noirs sont arrêtés et jetés en prison.

Ces acteurs sont considérés comme actifs dans la mesure où l'initiative du pardon part de leurs consentements. C'est en effet aux victimes de décider en priorité de la nature et de l'étendue du pardon. Parce que ce sont elles qui ont subi les violences, c'est à elles d'accepter leurs oppresseurs comme appartenant à la famille de l'humanité civilisée, et de choisir de cohabiter avec eux. Comme le dit Desmond Tutu, « Nous aurions très bien pu faire justice, nous faire justice, et nous retrouver dans une Afrique du Sud qui ne serait plus que cendres... »108(*).

L'option pacificatrice et réconciliatrice des victimes de l'apartheid est impulsée par les leaders noirs, à l'instar de Mandela. Des partis politiques comme l'ANC ont accepté de négocier la paix et de pratiquer l'ubuntu109(*). Les relations entre les acteurs actifs et les acteurs passifs ont permis de consolider cette idée. Qui d'autre que les victimes du génocide peut pardonner à leur place ? L'un des éléments du pardon étant la renonciation à la vengeance, c'est la raison pour laquelle victimes et bourreaux doivent se regarder en face pour tenter de reconstruire la relation sociale brisée.

E. Les acteurs passifs : les bourreaux

Au Rwanda, il est à la fois facile et difficile de dire avec certitude qui est bourreau et qui ne l'est pas. Facile, cette entreprise l'est dans la mesure où les hutu majoritaires sont ceux qui ont tué en masse les tutsi et les hutu modérés. Les bourreaux sont donc les premiers suppléés dans leur tâche par les interahamwé et les Impuzamugambi issus de la coalition pour la défense de la République110(*). Les médias sont aussi des bourreaux, à l'instar de Radio Télévision Mille collines111(*) qui, le 10 mai 1994, lançait : « Prenez vos machettes, prenez vos lances, faites vous épauler par les soldats (...) combattez les avec vos lances, vos bâtons, (...) transpercez les ces cafards »112(*). Il en va de même du Journal Kangura qui publia les 10 commandements des Bahutus, véritables appels aux meurtres113(*). Ces commandements sont les suivants :

- tout Hutu doit savoir que la femme tutsi, où qu'elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent, est traître tout hutu qui épouse une tutsi, qui d'une tutsi sa secrétaire ou sa protégée ;

- tout hutu doit savoir que nos filles sont plus dignes et plus conscientes dans leur rôle de femme, d'épouse ou de mère de famille. Ne sont-elles pas jolies, bonnes secrétaires et plus honnêtes ?

- filles hutu, soyez vigilantes et ramenez vos maris, vos frères et vos fils à la maison ;

- tout hutu doit savoir que tout tutsi est malhonnête dans les affaires. Il ne vise que la suprématie de son ethnie ;

- les postes stratégiques tant politiques, administratifs, économiques, militaires et de sécurité doivent être confiés aux hutu.

- le secteur de l'enseignement doit être majoritairement hutu.

- les FAR doivent être exclusivement hutu.

- les hutu doivent cesser d'avoir pitié des tutsi.

- les hutu, où qu'ils soient, doivent être unis solidaires et préoccupés du sort de leurs frères hutu.

- la révolution sociale de 1959, le référendum de 1961, l'idéologie hutu, doivent être enseignés à tout hutu et à tous les niveaux.

Difficile, la désignation des bourreaux au Rwanda tient du fait que la survenue des événements de 1994 reste sujette à débat aujourd'hui, quant au rôle de certains acteurs internes et externes. Au plan interne, le FPR de l'actuel Président Kagame est parfois indexé comme ayant soit préparé, soit planifié le génocide. En soutien à cette hypothèse, une éventuelle responsabilité de ses éléments (tutsi réfugiés en Ouganda avant les Accords d'Arusha) dans l'attentat contre l'avion du Président rwandais abattu. Ce qui est du reste considéré comme le début du génocide. Le but visé aurait été de sacrifier au besoin des `'frères'' tutsi, pour légitimer leurs actions militaires contre les FAR et conquérir le pouvoir en fin de compte.

Au plan externe, certains pays comme la France sont apparus comme ayant eu tous les éléments disponibles ayant pu permettre d'éviter le génocide. En soutien à cette hypothèse, des rapports des Commissions françaises et ceux des ONG114(*). Au cas où cela est avéré, peut-on pour autant raisonnablement étendre le statut de bourreau à la France ? Le fait pour elle d'avoir uniquement évacué ses ressortissants, ainsi que des proches de la famille du Président assassiné l'incrimine-t-il pour autant ? Vaste questionnement dont nous n'avons pas la prétention d'apporter des réponses ici.

En Afrique du Sud a contrario, la détermination des bourreaux est plus aisée. Il s'agit clairement des Africaners (Boers), blancs, dont les leaders ont planifié la ségrégation raciale115(*). Parmi ces leaders, le haut du pavé est occupé par JG Strydom, Nicolas Havenga, DF Malan, EG Jansen, et Charles Swart. En 1950, le `'Group areas Act'' institue un classement de la population par catégorie raciale. Cette loi a pour conséquence la création des zones de résidences distinctes, la création des réserves pour noirs, et l'interdiction de l'accès à 87% du territoire, zone réservée aux blancs. En 1951, une loi oblige les noirs à détenir un passeport intérieur. Une année plus tard, le `'Separate Amenities Act'' consacre la séparation des lieux publics entre blancs et noirs, pendant que le `'Bantou Education Act'' limite l'éducation des noirs au strict niveau requis pour exercer une profession. Lorsque, en 1983, une nouvelle constitution est adoptée, un parlement comprenant trois chambres est mis sur pied. Le droit de vote est étendu aux métis et aux indiens, mais pas aux noirs.

Il est néanmoins usuel d'avoir des difficultés à dire jusqu'où les bourreaux ont réellement causé du tort. Dans ce cas, la détermination des victimes n'est pas à l'abri de la politisation, ou de la manipulation de l'histoire. Ceci revient à soutenir que l'ambiguïté qu'il y a dans ce processus tient aux interactions troubles que l'on peut observer entre ceux qui sont supposés avoir subi ces violences et ceux qui les ont perpétrées. En Afrique du Sud, le problème ne se pose pas de la même manière qu'au Rwanda. Si dans le premier cas il est presque impossible de prouver que des noirs ont contribué de manière décisive à l'apartheid, dans le second par contre des études -certes polémiques- ont envisagé l'hypothèse des tutsi génocidaires, notamment à travers le FPR et des hutu non génocidaires ayant aidé, au péril de leur vie, des tutsi en dangers de mort.

De toutes les manières, les coupables doivent être disposés à reconnaître leurs torts. Cette exigence est nécessaire pour faciliter le travail de deuil des victimes. Comme le dit Abderrahmane N'Gaide, « les bourreaux doivent répondre de leurs crimes, expliquer comment ils ont fait mourir leurs semblables, raconter la souffrance de ces hommes »116(*). Pour l'auteur, les bourreaux portent en eux les marques indélébiles du crime et doivent être châtiés en tant que tel. Or pour aboutir à une réconciliation véritable, il faut toujours allier la logique de la justice à celle de la renonciation à la vengeance. D'autres acteurs sont identifiables dans la chaîne du pardon.

Paragraphe 2 : les acteurs collectifs et les personnalités majeures : des positionnements asymétriques

Il sied d'examiner la place qu'ont occupée la société et certaines institutions, ainsi que de mettre en lumière l'office des figures majeures des processus dans les deux pays.

A. Les acteurs sociaux et moraux : pluralité et spécificité des rôles

La société désincarnée, que ce soit en Afrique du Sud ou au Rwanda, a subi directement les affres de l'apartheid et du génocide. Dans un cas, le cloisonnement racial a eu pour corollaire le cloisonnement social. L'écart entre blancs et noirs en matière d'égalité des chances dans l'accès à l'éducation, consécutif au Bantou Education Act, a été un crime contre la société. La nouvelle catégorie `'crime contre la société'' dont nous voulons proposer l'avènement ici, renseigne mieux les terrains sous étude et resserre le niveau d'interpellation direct, l'humanité étant précisément une immensité. Celle-ci pourrait forger une nouvelle qualification des atteintes graves, conscientes et planifiées, exercées à l'encontre des personnes vivant dans un milieu précis du globe, provenant de l'intérieur du milieu ou non, et ayant pour effet de dénier l'inscription de la sociabilité commune des habitants du milieu dans le temps long.

La philosophie publique du pardon dont parlent Bole et ses collègues117(*) valide donc la société comme acteur. Dans l'autre cas, l'ethnicisation du politique s'est faite en créant des clivages au sein de l'espace social. Pendant un temps, l'identification citoyenne a été biaisée tout en imprimant des identités ethniques dans le référentiel global-national. L'altérité négative qui s'en suivit déstructura les liens sociaux entre hutu et tutsi englués dans le rejet mutuel de l'autre. Il est éclairant à ce titre de rappeler cette interrogation de Anne Cécile Robert ; laquelle semble confirmer cette situation intriquée: « Comment faire vivre ensemble les victimes et les bourreaux, quand ceux-ci sont des voisins, des parents, qui ont fait preuve d'une incroyable ingéniosité dans la mise en oeuvre des atrocités ? »118(*). Nous dirons donc avec Bole et alie que «  la société est un agent potentiel du pardon ; elle peut, à travers des structures, ses lois et sa culture, s'engager dans une démarche de pardon »119(*). Dans les deux pays, les lois votées par les parlements avaient pour finalité d'apporter une réponse adéquate aux liens sociaux distendus. Que ce soit pour rendre justice ou pour aménager les institutions chargées de reconstuire la coexistence ente différents groupes, le bénéficiaire est la société. Au Rwanda, des associations ont été créées, à l'instar d'IBUKA (souviens-toi). L'association AVEGA a développé un Projet de confection de petits paniers utilisés dans la décoration et exportés plus spécialement sur le marché américain. Elle est constituée de femmes de veuves et d'autres dont les maris sont incarcérés pour génocide. A côté de celles-ci l'on retrouvera des institutions comme la Commission nationale de l'unité et de réconciliation120(*), l'office de l'ombudsman et la Commission nationale de lutte contre le génocide. En Afrique du Sud, l'arsenal juridique ségrégationniste est modifié, l'appareil administratif de l'Etat est unifié, un acte fondamental définit les nouvelles valeurs sociales.

Les Eglises peuvent aussi être considérées comme des acteurs du pardon, dans la mesure où leur rôle aura constitué à dépolitiser cette valeur121(*). Il convient dès lors de prendre au sérieux le travail des ministres du culte. Desmond Tutu en Afrique du Sud en est l'illustration, avec l'Eglise de Nyamata au Rwanda122(*). Le procès de Monseigneur Augustin Misago, Evêque de Gikongoro (Sud) pour complicité de génocide des tutsi à Cyanika jette pourtant un voile noir sur la place de ces forces morales pendant le génocide.

F. Le pardon comme empreinte d'acteurs individuels : des rôles variables

Au Rwanda, il est incontestable que la figure de Kagame mérite une attention particulière123(*). A l'âge de quatre ans, il quitte sa famille en 1961, suite au premier massacre des tutsi en 1959. Il vit en exil en Ouganda. Après la suspecte mort de son ami Fred Rwigema le 02 octobre 1990, il prend la direction du FPR. Paul Kagame va négocier les Accords d'Arusha avec Habyarimana. Son rôle dans le processus de construction du pardon est capital. De l'avis de plusieurs observateurs, il serait l'un des commanditaires de l'assassinat du Président Habyarimana. Il est vice-Président du Rwanda et ministre de la défense le 19 juillet 1994. Le 17 avril 2000, il devient Président de la République, suite à une élection. C'est lui qui va proprement impulser la reconstruction du Rwanda où 91% de tutsi présents au pays furent tués en 1994. On lui prêtera aussi un rôle dans le renversement de Mobutu et l'arrivée au pouvoir de Laurent désiré Kabila. Les anciens éléments des FAR et les milices interahamwes s'y étant réfugiés, les troupes de l'APR les y ont débusquées. En 1997, il est accusé d'ingérence dans les affaires intérieures du Congo. 11 ans plus tard, il est soupçonné de soutenir la milice tutsi de Laurent Nkunda. Kagamé va gracier l'ancien Président, le pasteur Bizimungu en 2006, soit trois ans après sa condamnation à 15 ans d'emprisonnement fermes. Au-delà de la volonté de cet acteur de maîtriser toute la chaîne du pouvoir dans son pays, il est clair que c'est aussi lui le catalyseur du processus de réconciliation au Rwanda.

Le pasteur Bizimungu a aussi été un acteur de poids124(*). Président rwandais dans le gouvernement de transition, celui-ci est un hutu modéré proche du FPR. Sa présence auprès de Kagamé est donc un argument de réconciliation entre les hutu dont il est issu, et les tutsi qui sont les nouveaux acteurs dominants du champ politique rwandais. Il sera Président pendant 6 ans. Après sa démission de la tête de l'entreprise publique Electrogaz en 1990, il avait accusé le Président Habyarimana d'encourager les tensions communautaires dans le pays. Par réalisme politique, il rejoint les rangs du FRR en Ouganda et en devient porte parole. Il en sera d'ailleurs le chef de délégation aux négociations d'Arusha en Août 1993. Les premières réformes judiciaires sont lancées pendant son mandat, de même que les procès des génocidaires devant les juges nationaux et le TPIR. En mars 2000, il démissionne de ses fonctions de Président de la République et fonde en 2002 un parti politique : le PDR. Cette audace politique lui coûtera un procès expéditif et une condamnation. Abordons à présent le cas de trois figures déterminantes en Afrique du Sud.

Nelson Mandela est né le 18 juillet 1918 à Mvézo, un bantoustan du Transkei (il correspond à l'actuel Cap Oriental). Il intègre l'ANC en 1944. A partir de 1948, il participe à la lutte non violente contre l'apartheid. Devant la radicalisation de la politique de la minorité blanche, il créé la branche militaire de l'ANC, le Umkhoto we Sizwe, en 1961. Il est président de la représentation de son parti au Transvaal en 1952 et Vice-Président au plan national. Il organise, avec ses compagnons de lutte (à l'instar de Olivier Tambo), le « Defiance Campaign » du 06 avril 1952, à l'occasion de la célébration du 300e anniversaire de la création du Cap et de la 1ère institution blanche d'Afrique du Sud. 8500 noirs sont arrêtés sur près de 10000 manifestants. Mandela en fera partie ; sera jugé en 1953 et condamné à 9 mois d'emprisonnement avec sursis et résidence surveillée. En 1956 il est accusé de trahison. En 1961, il est arrêté et jugé deux ans plus tard, à l'âge de 45 ans. Il sera condamné à la prison à vie d'où il en sortira le 11 février 1990. A sa sortie, il déclara : « J'ai combattu la domination blanche et j'ai combattu la domination noire. J'ai rêvé de l'idéal d'une société libre et démocratique où tout le monde vivrait en harmonie avec des chances égales. C'est un idéal pour lequel je veux vivre et que je veux réaliser. Mais, s'il le faut, c'est aussi un idéal pour lequel je suis prêt à mourir »125(*).

Desmond Tutu est né le 07 octobre 1931 à Klerksdorp. Ordonné prêtre en 1961, il est fait aumônier de l'Université qui accepte des étudiants noirs pendant la période de ségrégation : Fort Hare. Il s'est dès lors très vite engagé dans des prêches qui participaient du réveil de la conscience des noirs, sur leur dignité et leur non infériorité vis-à-vis des blancs. A la mort de Steve Bico126(*) en 1977, il est choisi pour lire l'oraison funèbre. Il participait à des réunions secrètes du mouvement créé par ce dernier ainsi qu'aux activités de la Black Theology qui popularisa les vertus de l'Ubuntu. Il milita pendant des années pour le décloisonnement social dans son pays, ce qui sera couronné par un Prix Nobel de la paix le 16 octobre 1984. Desmond Tutu sera fait Président de la Commission vérité et réconciliation créée pour permettre aux Sud africains d'écrire ensemble leur histoire.

Frédérik Willem de Klerk a joué un rôle de premier plan dans la réconciliation entre blancs et noirs. Né le 18 mars 1936 à Johannesburg, c'est lui qui conduisit les réformes qui mirent fin à l'apartheid en 1991. La légalisation de l'ANC est marquée de son empreinte tout comme les négociations entre le PN et son éternel adversaire politico idéologique. Après la victoire de Mandela, il devient, avec Thabo Mbéki, l'un des deux vice-Présidents du pays. En 1993, il reçoit le prix Nobel de la paix avec Mandela. Il quitte la direction du PN en 1997 et se retire de la vie politique. En 2000, il crée une Fondation chargée de promouvoir la paix dans les Etats multi raciaux.

Ici, il convient de noter l'opérationnalité relative du néo institutionnalisme. En avançant que l'analyse part des institutions et non des acteurs, les néo institutionnalistes ont affirmé que l'action est conditionnée par les institutions. Dans le domaine du pardon par contre, la volonté des acteurs est la clé de sa portée. Au vrai, ce sont plutôt les acteurs qui vont déterminer et donner de la substance aux institutions. On pourrait donc dire que, contrairement au néo institutionnalisme du choix rationnel, l'action est déterminée par les acteurs. Tous ces acteurs ont joué un rôle de premier plan dans la construction du pardon et dans les deux pays, soit par le haut, soit par le bas.

Section 2 : Le pardon comme catégorie politiquement construite : variété et « januosité » d'un processus

Les « gacacas » constituent un projet des acteurs internes néanmoins implémenté au niveau du bas, tandis que la CVR renseigne plus sur l'existence d'un mouvement d'émanation exogène127(*) toutefois impulsé à partir du haut.

Paragraphe 1 : La construction d'une `'justice-pardon'' par le bas : les « gacacas » au Rwanda

Le Rwanda a mis sur pied un mécanisme complexe de mise en scène de la justice, qui allie tradition et quelques bribes de modernité. Il s'agira successivement d'examiner la mise en place et la mise en oeuvre de ces tribunaux.

A. La mise en scène d'une forme originale de justice transitionnelle128(*)

Après la mort des tutsi pendant le génocide, les nouvelles autorités rwandaises qui contrôlent le pays vont faire de l'impératif de justice une urgence. Devant l'incapacité de la justice classique à connaître de l'ensemble des cas129(*) pour des raisons évoquées, la décision est prise de s'appuyer sur un mode local préexistant de règlement des conflits. En effet, le modus operandi des « gacacas » s'est toujours appuyé sur des `'inyangamugayo'' choisis pour leur vertu, probité, leur âge élevé, leur sagesse dans la prise des justes décisions, leur générosité, et leur influence économique dans la communauté. Ce système était en vigueur au Rwanda avant la colonisation et l'adoption du droit moderne comme régulateur judiciaire. Les sanctions variaient en fonction de la nature de la faute commise. Il n'y avait pas de prison et l'ensemble de la famille du coupable (requise pour la réparation du tort) était sanctionné avec ce dernier dans un mécanisme de collectivisation de la punition130(*).

L'ordre dirigeant rwandais rejette l'option de création d'une CVR et opte plutôt pour un modèle qui privilégie la lutte contre l'impunité. Ce choix est considéré par Peter Uvin comme une révolution sans précédent au plan `'légal-social'' à la fois dans sa taille et son étendue131(*). Le 26 janvier 2000, une loi organique modifiée en 2004 créé les gacacas132(*).En 2001, des élections permettent d'avoir 255000 juges « gacacas » qui seront par la suite formés en mai 2002. Les « gacacas » sont organisés autour de quatre niveaux133(*) :

- la cellule ;

- le secteur ;

- le district ou la ville ;

- la province ou kigali.

Chacun de ces trois niveaux est constitué de trois organes : L'Assemblée générale qui est composée de tous les habitants de la cellule âgés au moins de 18 ans révolus. Au niveau supérieur, l'Assemblée générale regroupe les délégués des niveaux inférieurs. Environ 50 personnes constituent l'effectif requis pour son fonctionnement. En plus de l'Assemblée générale, il existe un siège de la juridiction « gacaca » comprenant 19 membres choisis par l'Assemblée générale. Le Comité de coordination enfin élit en son sein 5 membres chargés de coordonner l'ensemble du travail : un Président, deux vice-Présidents, et deux secrétaires sachant lire et écrire convenablement le Kinyarwanda134(*).

Au niveau de la cellule, le but est de collecter toutes les informations utiles pour la constitution du récit historique du génocide dans la circonscription de ladite cellule. L'objectif à terme est de renseigner les échelons supérieurs grâce à des éléments de terrain dont la précision détermine très souvent le travail de ces échelons. Concrètement, trois étapes interviennent : la reconstitution des faits, la catégorisation et le jugement proprement dit. Ce jugement est décidé après six réunions ainsi réparties135(*) :

- la 1ère réunion décide du lieu, du jour et de l'heure des réunions suivantes, complète le siège s'il y a lieu et les nouveaux membres prêtent serment devant l'Assemblée Générale ;

- la 2ème réunion établit la liste de ceux qui habitaient la Cellule pendant le génocide;

- la 3ème réunion établit la liste des personnes tuées dans la Cellule ;

- la 4ème réunion dresse la liste des personnes tuées en dehors de la Cellule ;

- la 5ème réunion fait la liste des victimes du Génocide et leurs biens endommagés ;

- la 6ème réunion établit la liste des accusés de Génocide.

Une réunion est par la suite organisée (sorte de 7e du genre). Pendant celle-ci, les dossiers individuels des accusés sont établis. En s'appuyant sur les informations recueillies lors des précédentes réunions, les accusés sont classés dans une catégorie précise selon l'énumération de la loi de 1996136(*). Quel bilan peut-on dresser des « gacacas » aujourd'hui ?

G. Du parlementarisme traditionnel à la solidarité discursive

La finalité des juridictions gacacas était de suivre l'orientation générale en matière de répression du génocide et des infractions connexes au Rwanda. Leur caractère extra judiciaire n'a pas pour autant empêché qu'elles ne s'appuient sur la loi n° 08/96 du 30/08/1996 portant organisation et répression du crime de génocide et des massacres ou des crimes contre l'humanité. Il a même existé une collaboration entre ces tribunaux et les parquets modernes. Toutefois, l'autorité législative a voulu donner la plénitude de la compétence aux juridictions ordinaires dans les crimes relevant de la 1ère catégorie. Pour le Rwanda, il est important d'allier la vocation réconciliatrice à l'impératif juridico historique. Ceci se justifie par la nature du crime commis : le génocide. Il a surtout été question de s'appuyer sur la tradition pour y trouver des valeurs exportées vers la modernité juridique, à l'effet de stigmatiser ce `'crime contre la société '' rwandaise en particulier.

La mise à jour des faits permet à l'ensemble des juridictions « gacacas » de contribuer à l'écriture collective de l'histoire du génocide. Ce processus de publicisation de la violence a, à rebours, une fonction d'aseptisation de la société. Les « gacacas » ont consisté en cette mise en scène des massacres. Il s'agissait en clair d'entrer dans l'intimité du crime pour en dégager le mode opératoire, les mobiles et les remords de ceux qui les ont commis. Une fois par semaine au moins, les membres d'une communauté (cellule, secteur, etc) se retrouvaient pour les audiences publiques137(*). Le but recherché était non seulement de reconstituer les faits, faciliter le jugement des responsables en éradiquant l'impunité, mais aussi réconcilier les Rwandais. Dans ce sens, des personnes appelées à témoigner au cours des procès publics ont souvent été des hutu modérés ayant aidé les tutsi pourchassés. Le système permettait à l'auditoire de s'exprimer. Ainsi, des faits nouveaux pouvaient jaillir d'une intervention tierce à charge ou à décharge du prévenu. Lorsqu'un prévenu avouait le crime, il bénéficiait d'une réduction de peine. Le procédé fonctionnait ainsi138(*) :

1er cas : Lorsque la personne n'a pas avoué ou que son aveu a été rejeté la peine capitale ou à perpétuité était requise.

2e cas : Lorsque l'aveu intervient avant la publication du nom d'un prévenu sur la liste de 1ère catégorie, il encourt 25 ans d'emprisonnement ou la perpétuité.

3e cas : Lorsque l'aveu arrive après accusation et rangement sur la liste faite par la juridiction « gacaca » de la Cellule, la peine est de 12 à 15 ans d'emprisonnement. La moitié est purgée en prison, pendant que l'autre est commuée en prestation des travaux d'intérêt général.

4e cas : Si l'aveu arrive avant l'accusation et le rangement sur la liste faite par la juridiction « gacaca » de la Cellule, 7 à 12 ans d'emprisonnement sont prononcés. La moitié de la peine est purgée en privation de liberté et l'autre commuée en prestation des travaux d'intérêt général.

5e cas : Si la personne n'a pas avoué ou son aveu a été rejeté, elle écopait de 5 à 7 ans d'emprisonnement. La moitié de la peine est passée en prison, et l'autre commuée en prestation des travaux d'intérêt général.

6e cas : Si l'aveu est postérieur à l'accusation et au rangement sur la liste faite par la juridiction « gacaca » de la Cellule, 3 à 5 ans d'emprisonnement sont décidés. Une partie de la peine est passée en prison, l'autre commuée en prestation des travaux d'intérêt général.

7e cas : Quand l'aveu intervient avant le rangement sur la liste faite par la Juridiction « Gacaca » de la Cellule, la personne est condamnée à 3 ans d'emprisonnement. La moitié de la peine purgée en prison ferme et l'autre commuée en prestation des travaux d'intérêt général.

Les cellules ont connu des crimes de la 4e catégorie ainsi que des oppositions aux jugements rendus par elles en l'absence de prévenus. Les secteurs étaient compétents dans les crimes de 3e catégorie et les oppositions aux jugements rendus par eux en l'absence de prévenus. Les districts avaient une compétence étendue à la 2e catégorie tandis que les provinces connaissaient des appels contre les jugements des districts de leurs ressorts.

Au plan institutionnel, la création des gacacas a entraîné celle d'une 6e chambre auprès de la Cour Suprême, spécialement chargée de suivre leur travail. Mais, avec les réformes subséquentes dans son organisation ultérieure, cette chambre est supprimée au profit d'un Service national chargé du suivi, de la coordination et la supervision des activités des « gacacas ».

Le travail effectué par ces tribunaux a été déterminant pour réconcilier hutu et tutsi. L'évocation par les bourreaux des crimes commis a permis à bon nombre de Rwandais d'accepter de pardonner. Ce pardon faisait suite à la manifestation des remords par les génocidaires. Les gacacas ont permis, malgré un manque de professionnalisme dans leur fonctionnement, de désengorger les tribunaux classiques. Le travail de collecte des informations à différents niveaux locaux a permis d'aider la justice ordinaire dans la formulation des incriminations et la formalisation des qualifications des crimes. Il est éclairant de voir que ces tribunaux ont permis de réécrire l'histoire du génocide. Une histoire authentique a germé des récits des acteurs, et une flopé d'informations ont été récoltées, pour pouvoir servir de référence à la prévention d'éventuels actes de violences similaires. Des institutions ont été créées pour coordonner l'activité des « gacacas ». Cette réalité a témoigné de la volonté d'institutionnaliser ces cadres de justice non classiques qui s'appuyaient pourtant sur des provisions destinées à être appliquées par la justice ordinaire. La CVR procède d'une toute autre logique.

Paragraphe 2 : L'institutionnalisation d'un `'pardon-justice'' par le haut : la Commission vérité139(*) et réconciliation en Afrique du Sud

Pendant que le Rwanda forge un mécanisme endogène de gestion judiciaire basé sur la tradition, l'Afrique du Sud va reprendre un modèle expérimenté hors d'Afrique pour non seulement le perfectionner, mais aussi l'adapter à sa situation post conflit. L'étude de la composition et de l'office de cet organe ainsi que ses modes opératoires nous permettra de démontrer que, ici, l'impératif de réconciliation est l'horizon indépassable de la société post apartheid, quitte à sacrifier l'impératif de justice réparatrice.

A. Un processus cathartique : logistique et logique

Des expériences antérieures ont permis d'imaginer l'expérience sud africaine. En Bulgarie, une loi dite Panev datée de décembre 1992 obligea les hauts fonctionnaires à rédiger des rapports sur leurs activités communistes antérieures au nouveau régime. En Allemagne, les généraux de la RDA ont été poursuivis pour le meurtre des Allemands ayant tenté de franchir le « mur de la honte » (Berlin). En Ouganda, une Commission d'enquête internationale est créée par Idi Amin Dada, pour statuer sur les disparitions massives dans son pays entre 1971 et 1974. En Argentine, le cas de la Commission nationale pour les personnes disparues mise sur pied en 1983 est significatif. La Commission vérité du Chili mérite également d'être mentionnée. Pour Amy Ross, la Commission Sud africaine se démarque assez de ses précédentes : « Deux aspects en particulier diffèrent totalement des commissions vérité antérieures : la possibilité pour le public d'assister aux séances, soit en personne lors d'auditions ouvertes, soit par le biais d'une couverture médiatique régulière, la façon de lier la poursuite de la vérité sur les atrocités avec le droit d'amnistier pour ces crimes... »140(*).

La Commission vérité et réconciliation sud africaine a débuté son travail en 1990141(*). Une description y est donnée de tous les crimes et disparitions perpétrés par la police. Elle va donc s'inspirer des différents modèles ci-dessus, de bien d'autres non évoqués, et transposer dans son propre cadre les contradictions engendrées par les expériences précédentes142(*). Il s'agira aussi pour les Sud africains de trancher entre l'amnistie et la justice punitive. En 1995, cette Commission est instituée143(*). Elle débute ses activités un an plus tard dans la ville de East London, théâtre des violences policières dans les années 1970 et ville d'origine de Steve Biko. Le mandat alloué à cette institution était de faire un inventaire des violations des droits de l'homme intervenues en Afrique du Sud entre 1960 et 1993 d'une part et d'indemniser les victimes d'autre part. Elle devait en outre procéder à des recommandations pour éviter des violations ultérieures des droits de l'homme. La CVR sud africaine a eu ceci de particulier qu'elle avait le pouvoir d'octroyer des amnisties à des conditions bien précises144(*).

L'avènement de cette Commission a été la résultante d'intenses débats et négociations entre les acteurs de la scène politique nationale. Les positions étaient en effet divergentes, quant aux mesures à prendre pour réécrire l'histoire du pays. Tout au plus, le minimum de consensus était présent, relativement à la définition même d'une CVR. Celle-ci est, de l'avis du juriste et politiste Neil J Kritz, « une institution par le biais de laquelle une nation essaie d'établir une estimation, une histoire et un inventaire officiel des violences et violations du droit perpétrées par le passé »145(*). Les leaders blancs de l'Apartheid souhaitaient l'amnistie totale pour les exactions et bévues commises par les forces de sécurité et les différents planificateurs de l'apartheid. Les militants de l'ANC par exemple étaient en faveur du jugement de tous les responsables des violations des droits de l'homme dans le pays pendant l'apartheid. Cette démarche ne fut pas soutenue par l'élite ANC et d'autres forces progressistes qui optèrent pour la création d'une CVR. Ce choix était aussi guidé par des raisons de réalisme politique. La minorité blanche détenait encore suffisamment le contrôle des maillons sensibles du système politique pour faire échouer le processus de réconciliation cher à Mandela. Ce qui a fait dire à Desmond Tutu : « Au lieu du bain de sang que beaucoup craignaient et que bien d'autres avaient prédit, voilà que les Sud Africains, noirs et blancs réunis, étaient en train de réussir un changement et une passation de pouvoir relativement pacifiques »146(*).

La CVR en Afrique du Sud était composée des membres dont l'origine ethnique et raciale devait refléter la volonté d'unir les Sud africains. Ainsi, le Président et les différents membres ont été désignés en fonction de ce critère, mais aussi pour leur engagement dans la lutte contre l'apartheid, ou leur neutralité politique, à quelques exceptions. La liste complète des membres est résumée dans le tableau ci-après:

Tableau 2 : Les membres de la CVR

Source : Tableau réalisé par nous.

Ces membres ont été retenus suite à une sélection rigoureuse de plus de 300 candidats. Ces personnes ont fait l'objet des auditions publiques, processus au terme duquel 35 noms ont été retenus. C'est finalement Nelson Mandela, aidé par son cabinet, qui chosira les 17 membres ci-dessus. Il n'est pas inutile de revenir sur le contexte de sa création pour mieux en dégager le bilan.

B. La mise en scène contextuelle de la vérité : une constellation des victimes

La Constitution provisoire sud africaine du 27 avril 1994 a prévu l'amnistie. Cette clause insérée dans le dernier paragraphe du texte constitutionnel énonce : « Pour favoriser une telle réconciliation et une telle reconstruction, une amnistie sera accordée en relation avec les actes, les omissions et les infractions associées à des objectifs politiques et commis au cours des conflits du passé... »147(*). Le 13 Janvier 1995, 3500 membres des forces de sécurité bénéficient de cette amnistie. Ces rappels permettent de situer le travail qui était attendu de la CVR148(*), dont l'établissement a été postérieur à l'insertion constitutionnelle de la clause dite amnistiante. Une loi subséquente fut présentée au Parlement et fit l'objet de pas moins de 130 heures de discussion et de plus de 300 amendements. La loi de promotion de l'unité nationale est signée par le Président Mandela le 19 juillet 1995149(*). Pour Sandrine Lefranc, elle est un « monument légal, d'une longueur inédite, puisque ne comportant pas moins de 49 sections et s'étalant sur 34 pages. Cette longueur témoigne de la volonté des rédacteurs et des législateurs de réduire au minimum la marge d'interprétation laissée aux membres de la Commission vérité et réconciliation. »150(*). C'est elle qui constitue le phare juridique de la Commission.

La CVR ainsi créée va fonctionner autour de trois Comités : violations des droits de l'homme, réparations et réinsertion, amnistie. De 1996 à 1998, 343 personnes furent employées. Le travail consistait généralement à :

- identifier les actes de nature politique pouvant donner droit à amnistie. L'on a eu à retenir les actes commis par une organisation politique ou ceux des membres des forces de sécurité commis par leurs titulaires dans l'exercice de leurs fonctions ;

- identifier la catégorie de victimes des violations des droits de l'homme et des pertes financières ;

- regarder aussi du côté des meurtres, mauvais traitements et kidnappings ;

- etc.

Le Comité de violation des droits de l'homme, dirigé par Desmond Tutu, avait pour mission de collecter auprès des familles toutes les informations utiles pouvant permettre de répertorier les violations de ces droits dans la période délimitée. Quelques cas marquants ont été retenus pour faire l'objet de débat lors des audiences publiques, et parfois télévisées. Au total, l'on a eu à enregistrer 50 auditions publiques en 244 jours. Le rapport de cette commission fait état de 21000 demandes de réparation et de 7124 demandes d'amnistie. En fin de compte, 38000 violations graves des droits de l'Homme furent recensées avec en majorité des femmes.

Le Comité Amnistie était composé de trois magistrats indépendants et de deux avocats. Il était dirigé par le juge Hassen Mall. A sa mort, le juge Andrew Malls lui succéda en Août 1999. Les amnisties accordées l'étaient jusqu'à l'année 2000. L'action à la base de la demande devait avoir été commise entre 1960 et 1994. La demande y relative devait être déposée avant le 30 septembre 1997. Il fallait pour cela que la confession151(*) sur les crimes commis soit totale, et que le mobile politique soit clairement mis en relief. Les requérants devaient être militants des partis politiques identifiables ou membres d'un corps de l'Etat, dont l'inaction aurait pu susciter une réprobation de leurs autorités hiérarchiques. En somme, en mai 2001, 849 demandes d'amnistie ont été octroyées et 5392 refusées. Pour la poétesse Antjie Krog, « Les personnes amnistiées sont susceptibles de poursuite devant les tribunaux, mais les différends procès de tortionnaires, submergés par des manoeuvres dilatoires et débouchant souvent sur la relaxe, incitent les autorités à la prudence152(*).

Le Comité chargé des réparations et réhabilitations, contrairement aux deux autres, n'a pas tenu des audiences publiques153(*). Il était dirigé par Hlengiwe Mkhize. Il a essayé de répartir les actions susceptibles d'être menées par le Gouvernement en différentes catégories : réparations urgentes, individuelles et symboliques. Les victimes directes et indirectes pouvaient bénéficier de ces réparations. En 1998 déjà, le fonds pour l'indemnisation des victimes fut mis en place. 65 millions d'euros ont été prévus pour son approvisionnement. Seuls 48 millions d'euros ont été versés à la date de novembre 2001 à 17100 requérants sur les 20563. Au total, sur 90000 personnes, 22000 ont été reconnues comme ayant droit à réparation. La CVR en Afrique du Sud a donc été conforme à la lecture que font Bole et ses collègues sur l'essence de ces instances délibératives : «  La raison d'être des Commissions est, si l'on peut dire, de rappeler le passé pour l'inclure dans le présent et d'accorder une attention prioritaire aux souvenirs extrêmement douloureux d'un peuple sur le long chemin de la réconciliation. Par l'entremise d'une Commission vérité, le monde politique choisit le pardon plutôt que la vengeance et manifeste au moins le désir de renouer à termes les liens brisés »154(*).

La différence fondamentale que l'on peut noter avec les « gacacas » rwandaises tient à l'orientation que les acteurs ont donnée aux deux processus. En Afrique du Sud, le contexte impose la négociation du compromis politique entre l'ANC et le Parti National. La victoire électorale du parti de Mandela n'était pas suffisante pour ignorer à la fois les pressions menées par les forces de sécurité155(*), qui se sentaient visées par des éventuelles poursuites judiciaires, et les leaders du Parti ségrégationniste dont les rangs étaient gorgés des planificateurs du crime d'apartheid. En plus, Nelson Mandela avait tout à perdre s'il cédait aux pressions des radicaux de son Parti et à celles des organisations de défense des droits des noirs ; revendiquant notamment que les pontes de l'apartheid soient traduits en justice pour les violations massives par eux perpétrées. Il fallait donc qu'il soutienne une position qui traduirait le compromis entre le refus de vengeance et la nécessité de ne pas laisser naître dans l'opinion noire majoritaire le sentiment d'une impunité des violateurs des droits de l'homme et, plus grave, celui que le pardon à leurs bourreaux leur serait imposé. C'est pourquoi il y a eu un pardon-justice dans ce cas. . Dans son rapport, des recommandations sont faites quant à la réhabilitation publique des victimes. Des certificats de décès pour les personnes disparues ont été délivrés et une indemnité versée aux victimes. Des sanctions ont aussi été prises156(*).

Dans la situation rwandaise par contre, le FPR sort victorieux de la guerre et peut manoeuvrer le processus post conflit. Le choix du pasteur Bizimungu comme Président visait à associer un hutu dans la nouvelle équipe en quête de légitimité au Rwanda. Dans l'ombre, Paul Kagamé régentait le politique, en attendant son heure. Dans une telle configuration des rapports de force, il est compréhensible que l'élite FPR, par volonté de rassurer les tutsi dont ils sont originaires, soutienne davantage une politique `'d'accountability''157(*). Il s'agissait en même temps d'écarter des potentiels adversaires politiques en les délégitimant à travers l'exposition à l'opinion nationale de leur rôle pendant le génocide, ou en brandissant le spectre du divisionnisme ethnique pour justifier des procès politiques158(*). La faible indépendance du pouvoir judiciaire et l'orientation plus grande des « gacacas » vers l'impératif de rendre justice aux victimes du génocide accréditent l'hypothèse d'une justice-pardon.

L'analyse des foras de justice transitionnelle valide l'idée que la réalité sociale est un construit. La mise en scène d'un parlementarisme traditionnel au Rwanda et d'une instance délibératoire moderne en Afrique du Sud illustre le poids des acteurs dans l'orientation du sens du travail des « gacacas » et de la CVR159(*). Ces remarques permettent d'affirmer sans ambages l'opérationnalité du constructivisme sociologique à ce niveau.

Conclusion de chapitre

Même si le pardon et la justice sont deux réalités distinctes, leur opérationnalité vise un objectif similaire, à savoir la réconciliation. Nous réaffirmons pour cela l'hypothèse suivant laquelle dans les deux cas, il y a eu comme une imbrication de l'une sur l'autre. Le critère des options préférentielles des catégories dirigeantes nous a permis d'identifier les modèles inventifs qui ont été mobilisés dans les deux pays. Il convient par ailleurs de renforcer l'idée que le pardon est une catégorie socialement et politiquement construite. Celui-ci n'est pas imposé, mais plutôt négocié. Il faudrait néanmoins tempérer l'ambition du présent texte, dans la mesure où l'évaluation complète de l'efficacité du pardon est difficile. Le défaut de statistiques que nous aurions pu obtenir des réponses à un questionnaire nous incline à la précaution, quant à la validité réelle du pardon dans les deux pays. Ceci est d'autant plus difficile que la démarche du dehors semble en partie ramer à contre courant de cette logique ; ce qui peut amener les victimes à se rétracter, ou tout au moins à pardonner sans pardonner. Dans les deux pays, le pardon a eu une dimension civilisatrice et réconciliatrice. Sa dimension pragmatique est liée au fait qu'il a fallu, ici et là, combiner des exigences contraires. Nous avons tour à tour analysé les acteurs individuels et collectifs. Ceci colle parfaitement avec l'orientation méthodologique que nous avons rappelée en introduction. En effet, les agrégats individuels et toutes les dimensions micro présentes dans notre étude renvoient à l'individualisme méthodologique, tandis que les agrégats collectifs du pardon et de la justice font écho à la perspective holiste. En revanche, comment lire les influences réciproques du travail des acteurs et institutions du dedans et du dehors ? Telle est la préoccupation majeure qui fera l'objet du chapitre suivant. Néanmoins, il peut être reconnu que les ruptures institutionnelles, normatives et comportementales observées dans les deux cadres d'études, sont des témoins d'un changement certes relatif de deux sociétés en train de se reconstruire.

IIème partie : Reconfiguration imparfaite de la sociabilité post conflit par les acteurs et institutions du pardon et de la justice

La configuration, en tant qu'elle rend compte de la structuration, de la disposition ou de l'articulation, informe le caractère mouvant et relatif des acteurs et des institutions de la justice et du pardon dans la réconciliation en Afrique. Caractérisé par la logique du pluriel, cet agencement institutionnel et actanciel traduit l'expression de la difficile fabrication du consensus social et politique, quant aux voies de sortie de crise préconisées. Une deuxième difficulté consiste notamment à poser le dedans et le dehors non en termes de désunion, mais plutôt d'union complémentaire. Le chapitre suivant vise à examiner les défis que pose cette articulation. Nous essayerons de montrer que l'orientation duale n'efface pas l'orientation duelle, en ce sens que les institutions et acteurs du dedans peuvent mobiliser des ressources potentiellement conflictuelles avec celles du dehors (chapitre 3). Dès lors que le pardon et la justice sont posés en termes d'alternatives pour la sortie de crise, quelle est leur efficacité réelle dans la consolidation de la réconciliation ? La mémoire des victimes résiste-t-elle à ces deux mécanismes (chapitre 4) ? Sur le plan théorique, l'interactionnisme viendra en appui à notre démonstration, ainsi que certains concepts des théories précédemment usitées, notamment ceux du constructivisme.

CHAPITRE 3 : LA RECOMPOSITION DES SOCIETES POST CONFLITS A L'EPREUVE : ANALYSE DES INTERACTIONS PLURIELLES DU SYSTEME ACTANCIEL ET INSTITUTIONNEL

« Et il n'a jamais été question, pour des raisons

politiques et logistiques évidentes, que la communauté

internationale se substitue entièrement aux autorités

nationales... pour juger les personnes s'étant

rendues responsables de violations

du droit international... »160(*)

Parvenu à ce stade de notre réflexion, il importe de jeter un regard rétrospectif sur les acquis. D'une part, une gamme variée d'acteurs et institutions ont joué leur rôle dans la partition de la justice dans les deux pays où nous expérimentons nos hypothèses. D'autre part, le pardon politique s'est révélé saisissable dans la mesure où sa mise en scène et sa mise en oeuvre ont traduit l'implication des victimes et bourreaux. Des résultats palpables sont perceptibles, dans les deux sociétés post conflits, relativement à la question de la réconciliation. Cela peut aussi s'expliquer à l'aune des rapports non lisses entre les logiques internes dans un premier niveau, et entre ces dernières et les logiques internationales dans un second niveau. Au plan interne, nous serons particulièrement enclins à ressortir l'esprit qui guide la collaboration ou le défi. Dans bien des cas en effet, il apparaît que bourreaux et victimes se sont retrouvés dans des situations à la fois d'expiation du mal et de construction de l'avenir. Au plan externe, la réflexion devra être attentive à l'intérêt de départ de la communauté internationale dans des questions qui ressortissent d'abord de la compétence des Etats souverains. L'interactionnisme symbolique constitue le support théorique de ce chapitre. Nous montrerons en quoi ce dernier est valide pour rendre compte des situations qui sont étudiées. Cette analyse distinguera tour à tour les rapports de face-à-face au niveau actanciel et au niveau institutionnel.

Section 1. Les acteurs : un agencement pacifique potentiellement problématique dans la réconciliation

L'analyse pourrait avoir plus de saillance si elle s'attache à dégager la richesse des rapports entre les différents acteurs du pardon au plan strictement interne. L'examen de l'articulation entre ceux de la justice du dedans et du dehors est éclairant sur leurs priorités distinctes.

Paragraphe 1. Dynamiques internes des acteurs du pardon

Un fois encore, nous déclamerons la situation existante non seulement au Rwanda, mais aussi en Afrique du Sud.

A. Les rapports inter acteurs endogènes au Rwanda : des interactions entre conflit et compromis

On peut retrouver les traces du fondement juridique de cette relation dans la constitution rwandaise du 04 Juin 2002. Dans l'un de ses principes en effet, il est énoncé que la recherche du dialogue sera primordiale dans la résolution des conflits passés. Cette évocation du dialogue n'est pas neutre lorsque explicitement insérée dans la norme fondamentale. Elle révèle tout au moins l'affirmation d'une politique publique du pardon. L'Etat, en tant que personnalité morale, veillera à l'accomplissement de cet objectif.

Les traces de cette option sont déjà perceptibles dans les négociations de 1993 à Arusha. Il s'agissait d'ouvrir les voies de la réconciliation entre Tutsi vivant en exil et hutu au pouvoir à Kigali. Au terme de ce processus, le cessez-le-feu a pu être obtenu de même que l'agrément de la partie hutu sur le retour de la diaspora tutsi majoritairement installée en Ouganda. Comme il sera observé par la suite, le consensus fragile d'Arusha sera violé. Le rapprochement entre adversaires politiques ethniquement structurés aura été de courte durée, et le reste est connu...

Les `'têtes brûlées'' apparaissent ici comme des acteurs qui rament à contre courant de l'initiative officielle. Il s'agit pour eux d'instrumentaliser la différence en exacerbant le critère de la division161(*). Dans ce contexte, les interactions demeurent davantage conflictuelles entre acteurs du pardon, ce qui éloigne la perspective de la réconciliation. `'Radio Milles collines'' est l'une des têtes brûlées les plus féroces dans l'histoire du Rwanda en période de génocide. Quand on sait que certains hutu, au coeur de la haine meurtrière, ont ouvert leurs coeurs à la coexistence pacifique avec leurs frères tutsi, on est loin d'imaginer leur capacité de résistance à l'idéologisation du différentiel pathologique portée par cette radio162(*). Celle-ci devient ainsi le porte-parole de la propagande anti tutsi dans le pays. Elle donnait des détails sur leur emplacement, relayait les messages des planificateurs, et informait sur l'étendue des tueries dans le reste du territoire, permettant ainsi à la virilité masculine de rivaliser d'intensité de violence. En 1994, c'est cette radio qui annonce l'attentat contre l'avion présidentiel tout en indexant les soldats belges de la MINUAR. En représailles, des hutu furieux abattent 9 soldats belges.

Les acteurs au plan interne ont dû reconstruire cette renaissance psychologique qui leur a permis de s'accepter comme membre de la famille humaine. Les victimes ont ré humanisé leurs bourreaux. Ceci était important dans la mesure où il s'agit de l'une des conditions du pardon. En affrontant très souvent leurs tortionnaires, ennemis d'hier, les victimes et les coupables ont écrit, ensemble, l'histoire non falsifiée du génocide, gage d'une société qui s'est relativement réconciliée avec elle-même. Le discours dominant de l'ordre dirigent permet ou non d'emphaser ce mouvement. Comme l'écrit en d'autres circonstances le philosophe libéral John Rawls, « Les vertus de la coopération politique qui rendent possible un régime constitutionnel sont ainsi des vertus supérieures. J'entends par là, par exemple, les vertus de tolérance, le fait d'être prêt à rejoindre les autres à mi-chemin, la vertu de modération et le sens de l'équité. Ces vertus constituent le capital politique de la société »163(*).

Il reste néanmoins que le processus rwandais enregistre des contre courants visibles. Quelle est en effet la place accordée à ces multiples Rwandais qui, fuyant les hostilités, ont acquis le droit d'asile à l'étranger ? Plusieurs d'entre eux font toujours l'objet des poursuites judiciaires au Rwanda. Contrairement à l'Afrique du Sud, la clause amnistiante n'a pas été constitutionnalisée et, a fortiori, à leur bénéfice. La réconciliation véritable devrait donc, selon nous, passer par une procédure inclusive de l'ensemble des acteurs internes dont les Rwandais de l'extérieur font partie. Des appels dans ce sens ont été formulés par l'élite politique de Kigali, mais restent marqués du sceau de la suspicion. Cette situation ne se démarque pas complètement de l'environnement sud africain.

H. Les relations de face-à-face entre acteurs en Afrique du Sud : devoir de mémoire et droit au souvenir

Peu avant la fin de l'Apartheid, des négociations sont menées en Afrique du Sud. Elles ont duré quatre ans et l'étaient entre l'ANC et le PN. Sandrine Lefranc résume ainsi la situation : « Pour passer de la négation radicale de tout statut d'acteur politique à l'opposant, réifié par presque cinquante années de régime d'apartheid et plusieurs siècles de discrimination, à un dialogue permanent des négociations sur les structures politiques, il était nécessaire, pour les membres du gouvernement, de faire connaissance avec leurs anciens ennemis »164(*).

Les relations entre ces acteurs constituent le point crucial du devenir de la nation arc-en-ciel. Le rythme, le sens, et l'étendue donnée aux discussions marquent un tournant décisif dans la réécriture de l'histoire nationale. Pour le PN, il était important de permettre l'auto détermination des groupes peu ou prou volontairement constitués comme tels dans le domaine des own affairs. La deuxième grande idée tenait à la forme de l'Etat. Pour ses leaders, il fallait un partage de pouvoir pour les general affairs ; ce qui devait aboutir, à terme, à une fédération. Sur le plan économique, le PN pense que l'Afrique du Sud doit s'inscrire dans l'économie libérale. Il propose enfin que le pouvoir constituant dérivé soit mobilisé non par une assemblée constituante, mais plutôt par une convention de plusieurs parties165(*).

L'ANC, pour sa part, a préconisé la création d'un Etat unitaire et d'une économie mixte. En février 1993, les deux partis s'entendent sur les modalités de power sharing pendant une période quinquennale. Ils mettent en place un Conseil exécutif de transition qui avait pour mandat d'organiser la consultation populaire relative à la constitution. Cette constitution sera promulguée le 27 avril 1994. Sandrine Lefranc est restée pessimiste quant à la volonté réelle des acteurs d'aller vers ce processus. Elle soutient en effet : « Il fallut donc plus de quatre pour qu'une « logique consensuelle » s'impose, produite par le hasard des négociations plus que par la volonté des protagonistes... »166(*). Nous ne partageons pas cet avis, pour trois raisons : D'abord le temps mis pour forger un consensus aussi visqueux ne représente rien à l'échelle du temps des violences du système apartheid. Autrement dit, l'ampleur des divisions entre noirs et blancs et la gravité des violations des droits de l'homme en une quarantaine d'années au moins, représente à peine les débats pendant une durée de quatre ans. Ensuite, les négociations menées n'ont pas été un hasard, mais bien au contraire. Elles ont été le fruit d'un agenda politique interne négocié entre acteurs de la réconciliation. Enfin, ne pas reconnaître la volonté, ne fusse que symbolique, de certains protagonistes est une entreprise amnésique pour l'histoire. Une cécité volontaire ou inconsciente qui cache l'idéal porté par Mandela167(*) et l'élite dirigeante du PN. Tout comme l'expérience rwandaise, l'Afrique du Sud a pu tourner une page de son histoire grâce aux négociations des acteurs. Le contexte de celles-ci doit être pris en compte pour comprendre les significations élaborées par les différents acteurs pendant leurs interactions. L'on est par conséquent au coeur de la vision interactionniste.

Sur la question des amnisties, le PN soutenait une absolution totale et inconditionnelle des opérateurs de la violence d'Etat. Finalement, la Constitution intègrera cette nécessité d'amnistier, néanmoins encadrée. Le 13 janvier 1995, le fait pour le Président De Klerc d'amnistier unilatéralement 3500 personnes n'était pas conforme au consensus arrêté. Et Sandrine Lefranc de souligner : « Le ministre de la justice Dullah Omar, affirmant qu'il n'avait pas été informé de ces mesures, précisa immédiatement qu'il n'en reconnaissait pas la validité »168(*).

La philosophie de l'Ubuntu précédemment évoquée canalise la construction de la réconciliation par l'ensemble des acteurs impliqués. Les leaders noirs et blancs se sont assis ensemble, ils ont discuté des orientations futures à donner au pays pour tourner définitivement la page des années sombres. Le plus important a été la diffusion des orientations au niveau des populations qui ont dû renoncer à l'esprit de vengeance. C'est à ce niveau que des acteurs de la société civile ont joué un rôle déterminant en relayant le discours positif de la classe politique. Comme les acteurs du pardon, ceux de la justice ont aussi eu des échanges construits.

Paragraphe 2 : Des interactions variables entre acteurs de la justice : entre dynamiques internes et externes

Il est question de revenir sur quelques uns des acteurs déjà présentés en première partie, et d'en scruter les horizons dans la politique de paix au double plan interne et externe.

A. Echanges entre acteurs internes de la justice : logique d'interdépendance

Au Rwanda, il est un lieu commun de reconnaître que la réconciliation ne pouvait pas être décisive si les victimes ne réalisaient pas, alors qu'ils sont les acteurs actifs du pardon, que la prise en compte de leurs douleurs était une priorité des gouvernants. Comme le souligne l'Association ASF, « La justice du génocide... ne pourra contribuer à la perspective d'une réconciliation que dans la mesure où elle reconnaîtra les victimes, condamnera les coupables et réhabilitera les innocents. Le respect des principes du droit à un procès équitable en est la condition »169(*).

Pour cela, les gardiens de la loi que sont les magistrats ont dû jouer un rôle incomparable. Dans un premier temps, il était question pour le nombre limité de magistrats de se regrouper, pour échanger leurs points de vue sur des orientations collectives à donner à la réforme du secteur judiciaire. Des consultations ont ainsi eu lieu à l'intérieur du corps, pour recueillir le maximum d'informations nécessaires susceptibles d'adapter la réforme de ce secteur à l'objectif de réconciliation. Les avocats devaient aussi faire face à ces défis. Leur nombre insuffisant et l'absence d'un barreau limitaient leur capacité à garantir les droits aux procès équitables aux nombreux accusés. Ce n'est qu'en 1997 que le barreau sera remis en place dans ce pays.

Le rythme des jugements rendus est drastiquement lent. Le problème d'infrastructures et de déficit de personnel mis en évidence supra entraîne inexorablement la surpopulation des prisons. D'où le travail des membres des Comités de conciliateur, en relation avec les greffes des tribunaux. Le problème pointé du doigt est très souvent la légitimité des décisions rendues. En effet, plusieurs témoignages recueillis sur l'ensemble du territoire par ASF tendent à renseigner sur le manque de confiance des citoyens vis-à-vis des acteurs de la justice. Deux principales raisons justifient ce phénomène :

- L'influence de l'exécutif sur le judiciaire

Les relations d'assujettissement observables entre l'élite bureaucratique et les personnels judiciaires tendent à consacrer la non indépendance, gage d'une légitimité postérieure des jugements. Dans un tel contexte, des suspicions sont dégagées de la compétence du PR en matière de nomination et de révocation des membres de la CS, et enfin de son influence supposée sur le fonctionnement du Conseil Supérieur de la magistrature.

- L'absence de jugement des principaux coupables

Effectivement, l'amnésie juridique quant à la réalité des faits massifs commis en 1994 est de nature à perpétuer le climat de méfiance et de rancoeur. Les manoeuvres politiciennes, tendant à la sélection des bourreaux et à l'inféodation des acteurs du judiciaire, ont une finalité contre productive dans la réconciliation. Et Sandrine Lefranc de souligner : « Ces concessions peuvent avoir une traduction directe dans les politiques de justice : ne pas intenter de poursuite judiciaire, ou seulement des poursuites sélectives à leur encontre. Mais cette « impunité » elle-même est susceptible d'avoir des effets en retour : en atteignant le principe démocratique d'égalité devant la loi, elle peut miner la légitimité de la démocratie nouvelle en renforçant l'animosité des partisans des poursuites judiciaires »170(*).

En Afrique du Sud, les acteurs de la justice doivent surtout intérioriser l'application d'une nouvelle législation, plus attentive au respect de la digité humaine en général, et non plus seulement celle des blancs. Pendant la période de l'Apartheid, le système judiciaire n'est pas unifié. Comme conséquence, il existe une duplication dans l'administration du droit par les acteurs de la justice. Le répertoire normatif pro ségrégationniste ayant été ravalé au rang de calendes grecques, les acteurs de la justice doivent en outre intégrer l'universalisation de l'application des lois ; elle-même conforme à la réforme de la carte administrative du pays.

Ici, l'octroi de l'amnistie fait l'objet d'une insertion constitutionnelle. L'orientation officielle est alors de décider d'octroyer des amnisties aux violateurs des doits de l'homme pendant l'apartheid, à des conditions précises toutefois. Un consensus suffisamment fort a été façonné sur cette orientation pragmatique de politique juridique. Et Desmond Tutu d'écrire : « Au lieu du bain de sang que beaucoup craignaient et que bien d'autres avaient prédit, voilà que les Sud Africains, noirs et blancs réunis, étaient en train de réussir un changement et une passation de pouvoir relativement pacifique »171(*).

On peut donc dire que la politique a limité la marge de manoeuvre des acteurs de la justice, comme prix à payer dans la réconciliation. En confiant l'écriture officielle de l'histoire de l'apartheid à une Commission, les entrepreneurs politiques de ce pays ont stratégiquement déclassé une autorité pourtant compétente en la matière. Cette décote n'était cependant pas totale. Par conséquent, l'office des acteurs, professionnels de la justice, sera mis en évidence dans la composition des membres de cette Commission. L'on y trouvera dès lors des magistrats et avocats, preuve de leur participation féconde dans le travail de catharsis collective.

B. Rapports entre les acteurs externes : logiques solitaire et collaborative

En Afrique du Sud, il n'existe pas à proprement parler une coordination des actions de la communauté internationale. Quelques initiatives sont prises au niveau de la justice des Etats, notamment par des avocats américains défendant les victimes collectives. Dans ce cas, une équipe d'experts américains s'est rassemblée autour du procès contre les firmes multinationales. Elle a essayé de formuler un acte d'accusation solide, tenant notamment compte à la fois du droit sud africain et du droit américain. La société civile aura néanmoins joué un rôle tout aussi essentiel. De concert avec les organisations internes du pays, un dispositif externe de soutien des politiques de réconciliation fut mis en place. Il convient néanmoins de relever la synergie entre les actions menées dès la revendication de la cessation des discriminations par des organisations de défense des droits de l'homme. Des organisations de lutte contre le racisme aux Etats-Unis d'Amérique font entendre leurs voix, et influencent symboliquement l'agenda interne et les négociations en cours sur le décloisonnement de la société post apartheid. Les individus et ONG mondiales vont d'ailleurs faire de Durban le cadre de discussion et d'échange mondial pour juguler le fléau du racisme et des discriminations y relatives. Le Sommet mondial de Durban constituera dès lors l'arène de foisonnement des interactions des acteurs internationaux qui diffusent, à partir de l'Afrique du Sud, les idées d'égalité des races et de justice pour tous.

Au Rwanda par contre, des ONG travaillent ardemment sur le terrain de la réconciliation par la justice. C'est le cas d'ASF qui s'investit dans la reconstitution de la chaîne des personnels judiciaires décimée en 1994. ASF disposait des équipes sur le terrain, tout en créant au plan international un consensus humanitaire sur la nécessité d'agir au Rwanda. Ainsi, un appel à manifestation d'intérêt fut lancé à l'ensemble des avocats du monde désireux de participer au programme `'justice pour tous au Rwanda''. Après quelques hésitations, des centaines d'avocats d'Afrique et d'ailleurs vont entrer en contact avec ASF pour offrir leurs services auprès du barreau rwandais172(*). Les experts de cette OING leur font rapidement un breafing sur l'état de la législation au Rwanda, les procédures devant les juridictions, et les spécificités des cas qu'ils ont à défendre. Un manuel confectionné à cet effet leur était remis. Dans le même ordre d'idées, Human Right Watch et Amnesty International envoient des experts pour évaluer la situation au Rwanda, relativement à l'implémentation des réformes judiciaires et l'activité des gacacas. Nos recherches nous permettent de souligner l'intense collaboration entre les agents de ces structures internationales sur le terrain. C'est ainsi que, par exemple, elles sortiront un Rapport conjoint173(*) fustigeant la manière dont la justice transitionnelle fonctionne au Rwanda. Le rapport en appelait au renforcement des capacités des Inyangamugayos et au respect des règles d'un procès équitable. Il nous revient à présent d'examiner les interactions inter institutionnelles.

Section 2 : Les institutions : des interactions orientées vers l'externalisation et l'internalisation des séquences du temps pacificateur

L'observation du fonctionnement des institutions pendant la période sous revue nous permet d'avancer qu'il y a eu une diversité des rapports entre celles du dedans et du dehors, allant parfois de la collaboration au déclassement. Il sied d'examiner ces interactions au niveau des `'institutions'' du pardon et celles de la justice respectivement.

Paragraphe 1 : Les institutions du pardon et les acteurs internationaux : des priorités distinctes

L'analyse aura plus de saillance si elle s'attache à révéler les échanges entre les ordres de juridiction aux plans traditionnel et moderne d'une part ; et si elle rend mieux compte de la prépondérance de l'endogénéité dans les interactions inter institutionnelles d'autre part.

A. Justice traditionnelle et justice moderne : des rapports ambivalents

La phase juridictionnelle des « gacacas » a débuté le 10 mars 2005. Celle-ci faisait suite à une première phase expérimentale dans un certain nombre de zones du pays. Le travail accompli en amont174(*) déterminait en réalité l'issue des procès qui intervenaient en aval175(*). Ainsi, seules 118 juridictions pilotes de secteur et 118 juridictions pilotes d'Appel ont entamé le jugement176(*). Les lenteurs du processus étaient d'ordre structurel et pratique. L'impréparation des acteurs au plan local et les longues distances entre les lieux de résidence des acteurs et ceux de déroulement des audiences en sont quelques explications.

Devant l'incapacité de la justice classique à connaître de l'ensemble du contentieux du génocide, le Rwanda a aménagé un mécanisme original. Les « gacacas » s'appuyèrent sur un socle préexistant dans les sociétés traditionnelles. Le système de règlement des conflits, semblable à la palabre, mettait en scène des punitions symboliques. La communauté solidaire garante de son harmonie groupale entendait réprimer non pas seulement l'individu auteur du fait réprouvé, mais aussi l'ensemble de sa famille qui aura manqué à sa mission d'agent socialisateur et imprimeur de l'identité du groupe. La spécificité que l'on peut dégager de ce système tient à son caractère communautaire. L'individualisation des incriminations n'existe pas, de même que la professionnalisation stricte. Mis à part quelques initiés, choisis par la communauté pour leur probité ou leur respectabilité pour différentes raisons, tout le monde était acteur du processus judiciaire traditionnel.

C'est ainsi que la loi portant création et organisation des « gacacas » va puiser dans ce répertoire socio anthropologique pour imaginer une synthèse non plus seulement adossée sur les rites et pratiques traditionnelles, mais aussi sur les aspects du droit moderne. Une catégorisation des infractions liées au génocide fait l'objet d'un encadrement normatif applicable à la fois par les tribunaux ordinaires et les juridictions « gacacas ». D'où cette appréciation positive d'Amnesty International : « Le système de justice populaire des juridictions « gagacas » pourrait offrir la possibilité aux survivants du génocide, aux prévenus et aux témoins de présenter leurs arguments dans le cadre d'un mécanisme judiciaire ouvert, à caractère participatif. Il pourrait permettre d'accomplir un grand pas vers la réconciliation nationale et la résolution de la crise du système carcéral rwandais ».

Néanmoins, là s'arrête l'appréciation. Amnesty International passe par la suite au crible le système « gacacas ». Ses représentants auraient sillonné l'ensemble du pays, assisté aux audiences, et échangé avec des juges traditionnels. Leur constat est cinglant : « Le caractère extra judiciaire du système gagacas et la préparation insuffisante de sa mise en oeuvre, conjuguée à l'intolérance du gouvernement actuel à l'égard de toute forme d'opposition et à sa réticence à revoir sa propre politique pourtant déplorable en matière de droit humains, risquent de pervertir ce nouveau mécanisme. Il est par conséquent impératif que le gouvernement rwandais ainsi que la communauté internationale prennent des mesures afin que le système gacacas soit conforme aux garanties minimale d'équité prévues par les normes internationales ».

Les institutions internationales, à travers leurs représentants sur le terrain, épinglent le caractère inopérant des « gacacas » en matière de respect des standards universels. ASF identifiera la violation des règles relatives à l'équité des procès. Le principe de présomption d'innocence est suppléé par la présomption de culpabilité. Selon son rapport de mars-septembre 2005, ASF relève que les parties au procès ont progressivement développé des frustrations et insatisfactions. Pour cause, la justice « gacaca » serait favorable aux accusés. Aucune réparation n'est envisageable en dehors des crimes contre les biens. Bien plus, les décisions rendues souffrent de déficit d'exécution, tant les « gacacas » ne disposent pas de compétence en la matière. Les institutions internationales reprochent en plus la tenue des procès collectifs et sommaires, où aucune différence n'est faite sur le degré d'implication des différentes parties. Toute chose qui est de nature à créer un sentiment d'injustice et des abus préjudiciables à la légitimité des « gacacas ».

De notre point de vue, ceci constitue un dépassement de la vision interactionniste. En posant que l'interaction ne fait pas l'objet d'un jugement, mais d'une adaptation, d'un réinvestissement, le terrain rwandais illustre bien le contraire. L'appréciation du dehors semble bien être un « jugement » de l'action des « gacacas » qui interagissent avec la société et les tribunaux ordinaires.

Aussi, ASF souligne-t-il la non prise en compte de l'article 14 alinéa 3 du Pacte international sur les droits civils et politiques177(*) par les juges « gacacas ». La pratique systématique des Inyangamugayo consistait à demander aux parties civiles et aux accusés de prêter serment, tout en acceptant de ne pas nier les faits à eux reprochés. Tout en appréciant l'aménagement de l'infraction de viol, les institutions internationales ont largement reconnu que la résolution du contentieux du génocide par les « gacacas » avait substantiellement été améliorée. Elles ont préconisé une meilleure prise en compte des victimes, l'application restrictive des mesures privatives de liberté et l'application des standards internationaux en matière de procès équitable. Pour sa part, l'Afrique du Sud va opter pour une démarche plutôt orientée vers l'interne. La logique de `'path dependancy'' n'y est donc pas d'actualité, de même que le caractère ultra judiciaire du processus de consolidation de la réconciliation.

B. L'internalisation des interactions entre institutions en Afrique du Sud

De manière originale, la CVR en Afrique du Sud va afficher sa spécificité par rapport à la Commission chilienne dont elle s'en était pourtant inspirée. Celle-ci est observable au moins à trois niveaux : Au Chili l'option fut faite pour une justice rétributive. En Afrique du Sud par contre, elle est réparatrice178(*). Ici, les victimes ont une place centrale dans l'édifice de la réconciliation179(*), alors que ce sont les bourreaux à punir qui l'avaient dans le cas latino américain. Enfin, l'amnistie n'est pas décrétée par le pouvoir central de manière collective. Elle est octroyée individuellement à ce qui en font la demande et de manière conditionnelle.

L'originalité de l'initiative sud africaine est aussi rattachable à son niveau de neutralité. Les rapports de l'élite ANC avec cette structure pourtant donnée proche d'elle n'ont pas été lisses. Par exemple, quelques mois avant la sortie officielle du rapport, l'ANC tente de faire supprimer des passages négatifs qui mettent en évidence sa responsabilité dans les violences, en vain. Le traitement des violations des droits de l'homme se faisant de la même manière, 60% des activistes de ce parti durent formuler des demandes d'amnistie au même titre que 18% des éléments des forces de sécurité, auteurs des répressions policières.

La CVR a été un espace d'auto légitimation des actions par des acteurs et de délégitimation de celles des adversaires. Les blancs y étaient en majorité hostiles et justifiaient leurs forfaits par l'iniquité générale du système. Le Rapport de la Commission est d'ailleurs évocateur sur ce point : « La communauté blanche a souvent paru indifférente, sinon explicitement hostile au travail de la commission... »180(*). Appelés à y témoigner, certains hauts responsables de IKP ont décliné l'invitation. La justification donnée par les mis en cause de l'ANC est la `'guerre juste'' menée en réaction aux abus qu'ils subissaient de la part de la minorité blanche. Quant aux forces de sécurité, elles affirmaient leur impuissance devant les ordres de la hiérarchie et la nature des lois lors même qu'ils étaient personnellement opposés aux violences. Quelquefois, ils exprimaient des remords plats, sans véritablement y croire, avec le seul but de bénéficier de l'amnistie.

La relation que le peuple entretient avec la Commission est un peu plus chaleureuse. Considérée à bien des égards comme le tribunal des larmes, la Commission a, selon l'historien politique Stephen Ellis « exhumé les corps des victimes des escadrons de la mort, enterré dans des tombes anonymes. Elle a captivé l'imagination de millions de citoyens, par exemple lors de la télédiffusion du témoignage public de Winnie Madikizela-Mandela »181(*). L'institution qu'est la CVR va ainsi davantage interagir avec d'autres institutions comme la famille, les corporations professionnelles à l'instar des forces de sécurité, les partis politiques. L'enjeu consiste pour chacune de ces composantes à faire triompher « son » sens de la vérité. Les institutions du dehors s'effacent un temps soit peu devant les dynamiques internes suffisamment complexes pour laisser s'imposer le pardon et la réconciliation comme figures dominantes. Il s'opère de ce point de vue une déjuridicisation du processus de sortie de l'ère apartheid de manière générale. Ceci ne revient pas à invalider l'existence d'une justice dans le pays. Il s'agit plutôt d'une relative mise en hibernation de son côté punitif à des fins de compromis politique. Cette expérience informe le caractère emblématique de la trajectoire sud africaine et invite l'ensemble des chercheurs, politistes, et autres, à la réinventer comme possible modèle exportable dans d'autres pays africains. Il ne s'agira pas d'une transposition, mais bien d'une appropriation des leviers et de l'idée. A l'observation du cas rwandais, il est structurant de noter une certaine coopération entre le dedans et le dehors en matière d'institutions judiciaires. Toutefois, cette coopération comporte en elle-même des phases de défi.

Paragraphe 2 : La collaboration variable entre les institutions de la justice internationale et les juridictions nationales au Rwanda

Selon qu'elles sont positives ou négatives, les relations entre le TPIR et les tribunaux rwandais vont traduire soit des conflits de compétence, soit une certaine coopération.

A. L'affirmation conflictuelle des compétences

Le Statut du TPIR est pourtant clair. En son article 7, l'étendue de sa compétence ratione loci est précisée de la manière suivante : « La compétence ratione loci du Tribunal international pour le Rwanda s'étend au territoire du Rwanda, y compris son espace terrestre et son espace aérien, et au territoire d'États voisins en cas de violations graves du droit international humanitaire commises par des citoyens rwandais. ». L'écriture de cette disposition n'a pas laissé de doute sur son interprétation. En effet, la compétence du tribunal suit le lien national entre tout individu et l'Etat Rwandais. Cette déterritorialisation de la loi pénale est amplement justifiée par les crimes sanctionnés :

- le génocide qui comprend une série d'actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. L'on y ajoute l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe et publique, la complicité et ma tentative182(*) ;

- les crimes contre l'humanité qui renvoient à l'assassinat, aux tortures, viols, et aux autres actes commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique contre une population civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale, religieuse mais aussi politique, à l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, aux expulsions, emprisonnement, tortures, et autres actes inhumains183(*) ;

- les violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel numéro II. Il s'agit des personnes qui ont commis ou donné l'ordre de commettre ces violations notamment : les punitions collectives, la prise d'otages, les actes de terrorisme, les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, la contrainte à la prostitution, le pillage184(*).

Le TPIR a la primauté sur les juridictions nationales du Rwanda, en vertu de l'alinéa 2 de l'article 8 de ses Statuts qui précise : « Le TPIR a la primauté sur les juridictions nationales de tous les Etats ». Toutefois, le problème se pose avec la mise en application du principe non bis in idem énoncé à l'article 9 en ces termes :

Alinéa 1. Nul ne peut être traduit devant une juridiction nationale pour des faits constituant de graves violations du droit international humanitaire au sens du présent statut s'il a déjà été jugé pour les mêmes faits par le Tribunal international pour le Rwanda ;

Alinéa 2. Quiconque a été traduit devant une juridiction nationale pour des faits constituant de graves violations du droit international humanitaire ne peut subséquemment être traduit devant le Tribunal international pour le Rwanda ;

Alinéa 3. Pour décider de la peine à infliger à une personne condamnée pour un crime visé par le présent statut, le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans laquelle cette personne a déjà purgé toute peine qui pourrait lui avoir été infligée par une juridiction nationale pour le même fait.

A cette limite de la double incrimination, il est permis au TPIR de dessaisir les juridictions nationales dans l'une des trois conditions suivantes :

a. le fait pour lequel il a été jugé était qualifié crime de droit commun ;

b. la juridiction nationale n'a pas statué de façon impartiale ou indépendante,

c. la procédure engagée devant elle visait à soustraire l'accusé de sa responsabilité pénale internationale, ou la poursuite n'a pas été exercée avec diligence.

Comment en effet apprécier du degré de partialité des instances judiciaires nationales sans que cela n'aboutisse inéluctablement à un conflit ? La diligence requise du procès peut ne pas être observée de bonne foi, eu égard notamment aux contraintes budgétaires et infrastructurelles de l'Etat rwandais au lendemain du génocide. Un dessaisissement sur cette base peut éventuellement créer des incompréhensions entre les deux parties. Heureusement un équilibre a été trouvé, répondant aux voeux de la communauté internationale : « Au TPIR de juger de la poignée d'idéologues et d'organisateurs du génocide se trouvant à l'étranger, et aux juridictions rwandaises d'organiser les procès de la multitude des exécutants demeurés au Rwanda »185(*). Une libération d'un prévenu a aussi constitué la pomme de discorde majeure entre le Rwanda et le tribunal international. Il s'agit de Jean-Bosco Barayagwiza, membre créateur de Radio milles collines186(*). L'intéressé avait bénéficié d'un acquittement de la Chambre d'Appel, déclarant nul l'acte d'accusation formulé contre lui. Frédéric Mégret revient sur ce cas en écrivant : « Dans l'affaire Barayagwiza, la Chambre d'Appel avait décidé que l'accusé devait être transféré au Cameroun en se fondant sur l'article 40 bis (H) qui stipule qu'une personne relâchée suite à une détention provisoire doit être remise aux autorités de l'Etat l'ayant transférée. »187(*). Malgré l'affirmation conflictuelle des compétences, la praxis offre un répertoire d'actions collaboratives.

I. Une collaboration dans la pratique

Le Tribunal international pour le Rwanda et les juridictions nationales sont concurremment compétents pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d'États voisins188(*). C'est en ces termes que l'article 8 du Statut du TPIR est libellé, en son premier alinéa. Cette compétence conjointe est nécessaire dans la mesure où, malgré son bilan relativement positif, le TPIR ne pouvait pas à lui seul juger l'ensemble des génocidaires189(*). Au titre de ce bilan, 70 personnes accusées, 60 arrêtées et transférées, en 2002. Au rang des grandes figures inculpées, Jean Kambanda, Premier Ministre du Gouvernement Rwandais, lors des événements de 1994. En outre 14 ministres de son Gouvernement sont détenus, plusieurs hauts gradés de la gendarmerie, parmi lesquels 3 officiers généraux, des hauts fonctionnaires, des hommes d'affaires, des religieux, etc.

Pour cela, il a fallu la coopération de 19 Etats dont 12 Africains, au rang desquels le Rwanda190(*). La résolution 978 du Conseil de Sécurité constitue le fondement immédiat de cet appui des Etats. Elle a notamment indiqué :

- les autorités nationales compétentes d'arrêter et de mettre en détention, conformément à leur législation nationale et aux normes applicables du droit international, les personnes trouvées sur le territoire contre lesquelles il existe des preuves suffisantes qu'elles se sont rendues coupables d'actes entrant dans la compétence du tribunal international pour le Rwanda ;

- les Etats qui mettent en détention des personnes soupçonnées de crime qui entrent dans la compétence du tribunal international sont tenus d'informer le Secrétaire Général et le Procureur du tribunal international pour le Rwanda de l'identité des personnes détenues, de la nature des crimes dont elles sont soupçonnées, des éléments de preuve réputés constituer des motifs raisonnables et suffisants de détention, de la date à laquelle les intéressés ont été détenus et du lieu de leur détention. Un accès libre aux détenus doit être assuré aux enquêteurs du TPIR.

La coopération entre les deux niveaux de juridictions est exemplifiée, par ailleurs, par des échanges d'expériences. C'est ainsi que des stages de formations ont eu lieu au Rwanda en faveur des magistrats, sur des thématiques telles que la coopération judiciaire internationale. Des visites de ces derniers à Arusha ont également été programmées191(*). En octobre 1999, le Rwanda désigne un représentant auprès du TPIR192(*). A son arrivée à ce poste, il déclara qu'au départ, « les relations entre le gouvernement rwandais et le TPIR avaient été mauvaises...mais le tribunal a accompli des progrès remarquables... »193(*). Cette collaboration a été jugée trop étroite par un collectif d'avocats qui a estimé que la justiciabilité des membres du FPR devant le TPIR ne permettait pas qu'il soit représenté. En réaction, l'organisation réagira par le canal de son porte-parole, en affirmant que le TPIR est garant de son indépendance et que tout Etat au monde, représenté à l'ONU, peut avoir un représentant auprès du TPIR.

Conclusion de chapitre

Il était question de mettre en lumière les interactions des acteurs et institutions dans les sociétés post conflits sous revue. Parvenu au terme de cette entreprise, il est éclairant de noter que ces relations de face-à-face sont décryptables entre les acteurs internes194(*), entre les acteurs internes et les acteurs externes, entre les institutions internes, entre celles-ci et les institutions internationales, entre les acteurs et les instituions du dedans et du dehors. L'étude des interactions a permis de mettre en exergue la variété des rapports. Ceux-ci sont fortement imprimés par les valeurs et l'identité des différentes parties engagées aux plans interne et externe. Aussi peut-on à présent affirmer qu'il y a eu influence réciproque dans ces interactions. Qu'elles soient marquées du sceau de la complémentarité ou de la concurrence, les relations de face-à-face informent à suffisance le dynamisme de la construction des sociétés post conflits en Afrique. Par là, les postulats de l'interactionnisme symbolique sont vérifiés, dans la mesure où les interactions sociales décrites ont été non seulement dynamiques, mais aussi négociées. Mais jusqu'où ces échanges peuvent-ils servir la coexistence pacifique inscrite dans le temps long entre d'anciens groupes ennemis ?

CHAPITRE 4 : APORIES DU PARDON ET DE LA JUSTICE : L'INTENSITE DE LA SOUFFRANCE ET LA MEMOIRE DES VICTIMES

« On ne peut pas bâtir une nation sur des amertumes et sur des ressentiments »195(*)

Nous suivions un fil d'Ariane constitué certes d'aspérités depuis le premier chapitre de ce travail, mais voici qu'une difficulté majeure survient de plus grande: comment valider le pardon et la justice comme dispositifs crédibles de sortie de crise en Afrique, face notamment à la question de la mémoire196(*) ? Si la justice punitive n'est pas efficace dans la réconciliation, la justice réparatrice résiste-t-elle à l'irrésistibilité du retour vers le passé ? Le pardon est-il suffisant pour emporter la rancoeur ? Autant de questions qui nous interpellent et dont Christine Martin reconnaît le caractère difficile : «  Réécrire l'histoire et réinterpréter les faits qui ont marqué son évolution sont des tâches essentielles, des défis passionnants, mais complexes »197(*). La complexité tient aussi au fait que les ressorts de la mémoire sont inscrits dans l'individualité. En d'autres termes, nonobstant des efforts construits inter acteurs, inter institutions, et inter acteurs-institutions, la décision de tourner la page, de « réécrire son histoire » est une entreprise en définitive privée. Et que dire du conflit des mémoires ? Lorsque jouxtent côte-à-côte deux récits distincts l'un de l'autre, pour un même événement, l'écriture d'une histoire officielle s'impose. Ceci s'est fait dans les deux pays par la recherche des consensus entre acteurs (interactionnisme symbolique) et le développement des interrelations construites autour de l'altérité positive (constructivisme). C'est toute la problématique de la sincérité du pardon et de la portée de la justice rétributive qui se pose à nous. Dès cet instant, certains auteurs en viennent à parler du pardon sur fond d'impardonnable198(*), du fait notamment des violences infligées, ce qui érige une barrière particulièrement difficile à franchir par le pardon et la justice : l'oubli199(*).

Section 1 : La violence  et les traumatismes : faits générateurs de l'impardonnable ?

Le kaléidoscope de la violence politique en Afrique du Sud est inépuisable. Il ne l'est pas moins au Rwanda où les deux groupes parlent la même langue, ont la même couleur de peau et le même répertoire socio anthropologique. En Afrique du Sud, le différentiel racial a été source de dénégation de droits pendant une période suffisamment longue. D'où la profondeur des blessures qui, substantiellement, ont semblé être relativement guéries plus rapidement qu'au Rwanda200(*).

Paragraphe 1 : L'impact des violences rwandaises sur les mémoires individuelles et collectives

Il n'est pas inutile d'examiner cette situation au plan des mémoires individuelles et de la mémoire collective et instruite tutsi.

A. La mémoire individuelle : un foyer de la survalorisation du passé présent

La mémoire individuelle ici traduit le rattachement intime de la victime à la violence qu'elle a endurée. Les évènements de 1994 ont créé chez bon nombre de tutsi des traumatismes qui hantent leur existence plusieurs années après leur accomplissement. Ces traumatismes constituent des psychoses dont seuls des spécialistes de la psycho pathologie et des psychologues peuvent mieux rendre compte. Or le travail de réconciliation au Rwanda a davantage mis l'accent sur la répression des génocidaires. Le relatif délaissement des victimes quant aux guérisons individuelles est patent. Ceci a pour conséquence de créer une mémoire passéiste201(*). La mémoire passéiste202(*) est contre présentiste et produit une déconnection de l'individu avec le temps présent. C'est « une mauvaise mémoire, une mémoire en trompe l'oeil, [qui] nous colle au présent et éloigne le trop proche pour nous donner l'illusion de la perspective. »203(*). Le passé présent ne permet pas à certains tutsi de regarder de l'avant, de s'assumer dans la nouvelle société post génocide. Et Frédéric Mutagwera d'écrire, « la conscience égarée, à la recherche de repères, se tourne alors vers le monde extérieur. »204(*) Or aucun processus de réconciliation authentique ne peut s'appuyer uniquement vers l'extérieur. Le fait pour nombre de victimes du génocide de perdre confiance en leurs propres institutions judiciaires, lors même que le discours dominant était celui de la justice, a un impact négatif sur leur rapport aux hutu. Comme le précise Jean François Dupaquier, « le sentiment de non-justice favorise le discours négationniste, renforce l'espoir des architectes du génocide, en même temps qu'il pousse les rescapés à imaginer la vengeance individuelle...comme issue. »205(*).

Dans les représentations individuelles, il est primordial de rendre justice, pour permettre aux proches des tutsi assassinés ainsi qu'à ceux des hutu modérés de pouvoir pardonner. Cette perspective est pourtant polémique dans la galaxie du pardon politique. Certains auteurs estiment que celui-ci ne peut être formulé que par les victimes : « Les victimes sont mortes, souvent. Les crimes semblent inexpiables puisqu'ils sont imputables à des hommes qui agissent en tant qu'agent de l'Etat. Qui devrait alors demander le pardon, et qui pourrait l'octroyer ? Victimes directes et indirectes, coupables et indifférents vivent dans des motifs distincts, et ne sont que rarement en mesure de délibérer ensemble sur la justice ».206(*) La légitimité des ayant droits des victimes décédées étant à caution, il serait donc question que se soient les survivants qui accordent le pardon. Or il s'agirait d'un processus incomplet. Les effets des violences subies par des tutsi et des hutu modérés, pris individuellement, ont un impact sur d'autres membres survivants de leurs familles. Si rien n'est fait dans le sens de tenir compte de leurs souffrances, aucune coexistence pacifique de long terme n'est envisageable. Jacques Derrida ne partage pas cet avis. Pour lui, « le pardon ne semble pas être demandé ou accordé que « seul-à-seul », en face-à-face, sans médiation entre celui qui a commis le mal...et celui ou celle qui l'a subi, et qui est seul à pouvoir l'entendre... »207(*).

Au cours des audiences des « gacacas », les rapports exploités font en effet état de ce qu'il arrivait que des témoins affirment que des prévenus n'avaient pas tout dit. Une antipathie se développe immédiatement face à ce déni d'histoire entre le bourreau et le représentant moral et familial de la victime qui personnalise ainsi la violence endurée par son proche208(*). Ce processus d'appropriation de la souffrance est d'autant plus marquant que leurs acteurs estiment que le système « gacaca » faisait la part belle aux accusés, alors que le génocide a causé une « effrayante blessure morale...D'où une sorte de paralysie mentale devant des crimes tellement énormes, au sens étymologique tellement inouïs, que la référence à des situations passées, à une jurisprudence rwandaise, était impossible »209(*). Cette blessure morale a indéniablement un impact sur la mémoire collective tutsi.

J. La mémoire collective tutsi : une prégnance des formes socialisées du passé

A la différence de la mémoire individuelle, la mémoire collective210(*) est un trait caractéristique de l'identité tutsi. Il est quelque peu malaisé d'étudier cette collectivisation de la mémoire, notamment dans la mesure où les tutsi sont aussi différents les uns que les autres. Il devient par conséquent difficile de dégager la saillance de ce qui constitue leur patrimoine mémoriel commun. Les tutsi vivant en exil en Ouganda n'auront jamais le même rapport aux hutu que ceux qui sont restés au pays, d'ailleurs considérés comme des félons211(*). De même certains ont réussi à pardonner à leurs bourreaux d'hier.

Devant ces multiples éléments qui relativisent l'affirmation de l'existence de la mémoire collective tutsi, quelques arguments militent en faveur de l'existence des sous-mémoires collectives à l'intérieur du magma mémoriel hétérogène tutsi. Sa diaspora a effectivement pu tisser un lien vivificateur entre les unités qui la composent. Ce lien renforcé par l'effet du temps a été entretenu à la faveur de la conscience commune en une exclusion de la terre de leurs ancêtres, et derechef à leur dépersonnalisation par le pouvoir central hutu. L'on trouve par ailleurs les traces d'une sous-mémoire collective tutsi chez les survivants qui vivaient au Rwanda pendant les évènements de 1994. Pour preuve, ceux-ci ont créé une association dite des `'rescapés du génocide''.

Dans tous les cas, l'édification d'une mémoire collective n'est pas une mauvaise chose en soi. Par contre, ce qui est en jeu, c'est d'éviter que la mémoire ne soit négative. Le devenir revient généralement à ne se remémorer que des souvenirs douloureux. Or, « des souvenirs dangereux ou déformés contribuent à alimenter le cycle de la vengeance, notamment dans des conflits ethniques...Une mémoire puissante et bien souvent déformante est à l'origine de bien d'affrontements contemporains »212(*). Comme on peut le constater, une telle mémoire, lorsque sujette à une agrégation des pensées vengeresses, peut provoquer la résurgence des tensions, voire une violence larvée entre d'anciens groupes ennemis. Abderarrahmane N'Gaide ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit : « Le meurtre d'hier a été vécu comme fête, cette dimension reste insupportable. Elle dépasse l'entendement humain et s'enfonce dans le mensonge ; ce qui alimente les sillons du génocide... »213(*).

Pour éviter la dissémination de cette haine, le gouvernement du Rwanda a mis sur pied un dispositif institutionnel réactif et proactif. Sur le plan judiciaire, la loi condamne avec une sévérité inégalée l'infraction dite `'d'incitation au génocide et au divisionnisme ethnique''. Il s'agit là d'un garde-fou juridique qui a une fonction dissuasive et interpellatrice. Par ailleurs, la création de la Commission nationale de lutte contre le génocide est un tournant majeur dans le combat institutionnel contre le négationnisme214(*). Cette structure est chargée de contribuer à la recherche sur le génocide et à la promotion de la culture de la paix. Pour combattre la transmission de la haine entre générations de tutsi, les catégories dirigeantes actuelles ont d'abord établi que justice sera faite pour ceux qui ont subi directement ou indirectement les effets du génocide, tant sur le plan matériel, humain, que sur le plan psycho social. Ensuite il s'est agit d'amener les citoyens vers la culture de la tolérance. Une semaine du génocide est instaurée officiellement, non pour se tourner vers le passé pour y puiser la source du rejet de l'autre, mais au contraire pour y transcender la douleur du tort en vue de construire l'avenir215(*). Selon Walzer, on peut tolérer à un individu ou à un groupe216(*). Mais pour se faire, le tutsi doit reconsidérer son voisin hutu comme un être humain. La réhumanisation de l'ennemi permet de l'accepter comme soi-même, d'intégrer dans sa propre conscience que ce dernier est capable de se repentir. Mais en clair, il ne s'agit pas de tolérer le génocide, loin s'en faut. Le régime de tolérance dont l'avènement est souhaité concerne la sociabilité des deux groupes après le génocide. Comme le souligne la philosophe politiste Julie Saada-Gendron, « il faut mettre en place des régimes de tolérance tels qu'ils renforcent les différents groupes et qu'ils portent même les individus à fortement s'identifier à un ou plusieurs d'entre eux »216(*). Cette tolérance sera le leitmotiv prôné par l'élite politique ANC qui va fortement imprimer l'orientation sud africaine.

Paragraphe 2. Les violences faites dans le système Apartheid : un facteur de complexification de la sociabilité commune

La ségrégation avait plusieurs visages en Afrique du Sud. Elle a été systématisée par la minorité blanche dont les planificateurs et exécutants bénéficieront néanmoins des mesures de clémence décidées et constitutionnalisées dans la période post apartheid. Pour les besoins d'authenticité et de préservation de l'esprit et de la lettre du texte, nous préférons rapporter les versions anglaises tirées du rapport de la CVR.

A. La culture d'une mémoire officielle à visée consensuelle en Afrique du Sud

Le système en  vigueur en Afrique du Sud, avant l'arrivée des noirs au pouvoir, est caractérisé par la brutalité et la répression. Pour soutenir la balkanisation qui était l'une des matrices de ce phénomène, un arsenal législatif est voté par le parlement217(*) ; ce qui constitue le fondement de la légalité des exactions. Malgré les conséquences de l'application de ces lois, Nelson Mandela conduira les leaders de l'ANC vers une autre voie que celle que certains auraient pronostiquée : la réconciliation. Pour cela ; il fallait que les différentes communautés réécrivent ensemble leur histoire. L'ampleur de la difficulté de cette tâche est relevée dans le rapport de la CVR en ces termes : « The road to reconciliation requires more than forgiveness and respectful remembrance. It is, in this respect, worth remembering the difficult history of reconciliation between Afrikaners and white English-speaking South Africans after the devastating Anglo-Boer/South African War. Despite coexistence and participation with English-speaking South Africans in the political system that followed the war, it took many decades to rebuild relationships and redistribute resources. Reconciliation requires not only individual justice, but also social justice »218(*). Ce paragraphe souligne le caractère insuffisant du pardon dans le processus de réconciliation. Pour les commissionnaires sud africains, il fallait plus que ce dernier. Ainsi, la justice individuelle devait être couplée avec la justice sociale pour densifier les ressources de la réconciliation. La grande majorité de noirs ont accepté de pratiquer la philosophie de l'Ubuntu219(*). De plus, le rapport revalorise le concept d'égalité dans la nouvelle société. Le système politique est `'déracialisé'', en même temps qu'est rappelé l'avènement d'une coopération inter personnelle : « The survival of our people in this country depends on our co-operation with each other. My plea to you is, help people throw their weapons away. No person's life is a waste. Every person's life is too precious »220(*). De manière Claire, la CVR a noté que la sociabilité commune ne peut pas être possible si les victimes n'ont pas le sentiment que leurs bourreaux d'hier ont été punis. C'est en réalité l'appel au réalisme du processus de réconciliation, dans la mesure où tout en prônant de tourner la page du passé, il est recommandé ardemment qu'une justice restauratrice soit appliquée. C'est le gage de l'adaptation des mémoires au temps présent. Cette vision est formulée en ces termes: «  Restorative justice demands that the accountability of perpetrators be extended to making a contribution to the restoration of the well-being of their victims. The fact that people are given their freedom without taking responsibility for some form of restitution remains a major problem with the amnesty process. Only if the emerging truth unleashes a social dynamic that includes redressing the suffering of victims will it meet the ideal of restorative justice »221(*).

L'ampleur du travail effectué par la CVR traduit l'importance et la difficulté du rapprochement des ennemis d'hier. En guise d'illustration, 21707 dossiers ont été étudiés dans la période comprise entre le 1er mars 1960 et le 10 mai 1994. L'on doit ainsi à la Commission d'avoir « pris en considération toutes les victimes : celles qui ont succombé sous l'apartheid mais aussi les 5000 personnes hâtivement exécutées par les mouvements de résistance (dans les camps de guérilla, dans les townships, lors des confrontations au Kwazulu-Natal) et bien sûr les victimes des attentats »222(*). Ce sentiment n'est pas partagé par tous. En effet, vu l'ampleur et la durée de l'apartheid, il n'a pas été matériellement possible de considérer l'entièreté des cas: «In essence, therefore, the Commission was restricted to examining only a fraction of the totality of human rights violations that emanated from the policy of apartheid - namely, those that resulted in physical or mental harm or death and were incurred in the course of the political conflicts of the mandate period»223(*). Le panorama des violences rappelées par le Rapport de la Commission est le suivant : « These include bannings and banishment; judicial executions, public order policing, the use of auxiliary forces, torture and deaths in custody. The various methods of torture are discussed, amongst others, beating, the imaginary chair, electric shocking and the incidence of sexual torture »224(*). La description des violences sexuelles endurées est faite avec une froideur qui a justement pour but de créer le choc nécessaire qui permettra aux négationnistes de se rendre compte de l'authenticité des faits imputés aux tortionnaires du système racial : « Cases of sexual torture included forcing detainees (both male and female) to undress; the deliberate targeting of genitals or breasts during torture; the threat of and, in some instances, actual rape of detainees (male and female); the insertion of objects such as batons or pistols into bodily orifices and placing detainees overnight in cells with common-law prisoners known to rape newcomer »225(*). Puisque le processus de réconciliation doit être total, même les abus de l'ANC sont mis en évidence, ce qui n'était pas du goût des dirigeants de ce parti, de surcroît au pouvoir pendant les travaux de la Commission, et même après, ainsi que rappelé supra. La formulation de la responsabilité de l'ANC et des autres mouvements noirs est ainsi déclinée : « Nonetheless, the Commission drew a distinction between a 'just war' and 'just means' and has found that, in terms of international conventions, both the ANC, its organs the National Executive Council (NEC), the National Working Committee (NWC), the Revolutionary Council (RC), the Secretariat and its armed wing Umkhonto weSizwe (MK), and the PAC and its armed formations Poqo and the Azanian People's Liberation Army (APLA), committed gross violations of human rights in the course of their political activities and armed struggles, acts for which they are morally and politically accountable »226(*). Il est question que le consensus recherché soit d'orientation équilibriste. Imputer l'ensemble de la responsabilité à la minorité blanche ne l'aurait pas amené à adhérer au projet de réconciliation. Au début des travaux de la Commission, les blancs étaient très réticents à son encontre. Mais ils se sont progressivement rangés derrière sa cause, surtout lorsque la responsabilité des mouvements de résistance a été nettement emphasée. S'il fallait rendre une justice punitive, tous étaient désormais de potentiels justiciables. Mais cela traduit-il à suffisance la pratique d'absolution du mal ?

B. Justice et mémoire : signifiants et signifiés de l'amnistie

La possibilité pour la Commission d'amnistier est largement reconnue comme la plus grande innovation de l'expérience sud africaine. Cette question n'a pas été évidente à régler. Les acteurs avaient des points de vue différents quant aux conditions de cette dernière, étant entendue qu'aucune amnistie générale ne devait prévaloir : « After the conclusion of the Record of Understanding, the focus shifted to the question of how a future democratic government would deal with amnesties for political offences and especially for the security forces. Two matters were settled relatively early. It was agreed, in the first place, that actions taken in terms of apartheid law would not merely for that reason be regarded as illegal and that there would be no Nuremberg-type trials for the many human rights violations legally committed in the course of implementing apartheid »227(*). Dans le mouvement général de sortie de l'apartheid, la constitution intérimaire elle-même avait recommandé l'octroie des amnisties conditionnelles.228(*) En 1994, le projet de loi sur l'unité nationale et la réconciliation insère la clause amnistiante tout en prenant le soin d'affirmer le droit aux victimes de raconter leur souffrance et leur combat229(*).

La question de l'amnistie est importante à étudier dans la mesure où les violateurs des droits humains qui en ont bénéficié sont appelés à côtoyer leurs victimes. Dans le contexte de l'Afrique du Sud, la parade trouvée au plan de la rhétorique juridico politique a été d'amener les demandeurs d'amnistie à raconter dans un premier temps leurs forfaits, avant d'espérer avoir une suite favorable à leur demande230(*). Il est éclairant de réfléchir à partir de l'analyse de la question par l'avocat et Professeur de droit Robert Badinter : « Je ne crois pas, pour ma part, qu'il puisse y avoir paix véritable dans une société sans justice. Le travail de deuil nécessaire ne peut s'accomplir pour les victimes et leurs familles, et dans le corps social tout entier, que par l'établissement de la vérité et la justice. Celle-ci n'exclut jamais le pardon. Encore ne peut-on pardonner qu'en connaissance de cause. La vérité d'abord, la justice ou l'amnistie ensuite »231(*). Badinter note par ailleurs : « Tourner la page de l'histoire pour en ouvrir une nouvelle, toute blanche celle-là, paraît plus propice à l'avènement de la démocratie (...) que d'exercer la justice contre les criminels d'hier. La paix civile s'acquiert au prix du silence et de l'amnistie »232(*).

L'amnistie conditionnelle sud africaine, sans être tout à fait un système parfait233(*), a néanmoins permis de revenir sur les circonstances des violences des demandeurs. En cela, elle n'a pas favorisé l'amnésie historique. Elle avait simplement pour fonction de prioriser l'avenir tout en sanctionnant symboliquement le passé. Des demandes ont été rejetées par la Commission, et d'autres acceptées ; ce qui voudrait dire que le critère des amnisties sélectives a été observé dans la pratique. Ceux des demandeurs qui voyaient leurs requêtes non validées étaient directement traduits devant les tribunaux classiques pour répondre de leurs actes.

Ce sentiment d'opérationnalité des amnisties n'est pas partagé de tous. Parlant de l'Argentine et du Chili, Sandrine Lefranc commente : « Les lois d'amnistie qui ont été adoptées n'ont pas seulement mis fin à l'exercice de la justice ; elles ont aussi rendu impossible l'établissement des faits au cas par cas qui incombe aux instances judiciaires »234(*). Benjamin Sora dira pour sa part : « Ce qui est refoulé n'est pas éliminé et trouve toujours à s'exprimer par des voies détournées. L'amnistie qui veut masquer, évacuer, prépare d'autres conflits, d'autres régressions »235(*). Dans ces deux cas, il semble que la procédure amnistiante était décidée de manière collective. Le cas de l'Afrique du Sud est différent non seulement à cause de l'existence des demandes remplies dans des formulaires individualisés, mais aussi par la condition même de dire la vérité avant d'en bénéficier ou non236(*). En ce sens, on peut dire que la Commission sud africaine a essayé de trouver un compromis entre tourner cette `' page de l'histoire'' et mettre des garde-fous afin que `'tout'' ne soit pas oublié.

Section 2 : Le refus d'oublier comme limite de la portée du pardon et de la justice : de la centralité du facteur temps

Malgré toutes les initiatives prises, il peut toujours arriver que les victimes ne parviennent pas à oublier. Ceci peut être le produit d'un travail des acteurs, ou alors tout simplement l'expression de la fatalité, le signe des limites intrinsèques du pardon et de la justice en période post conflits.

Paragraphe 1 : Les mécanismes de consolidation de la mémoire victimaire

Deux éléments peuvent illustrer cette pratique : il s'agit de l'instrumentalisation et des mémoriaux.

A. L'instrumentalisation de la mémoire : une difficile parlementarisation de la coexistence entre d'anciens ennemis

La mémoire d'une violence de grande ampleur est un puissant moteur de bellicosité. En d'autres termes, nonobstant l'ensemble des mesures qui ont été prises par les catégories dirigeantes pour réconcilier, il existe toujours des `'têtes brûlées''237(*) qui rament à contre courant. Les `'têtes brûlées'' n'ont très souvent rien à perdre dans la manipulation en vue de la routinisation de la haine238(*). Elles relèvent de l'affirmation extrémiste d'une cause. Dans le cas du Rwanda comme celui de l'Afrique du Sud, les autorités gouvernementales ont prôné des stratégies différentes dans le rapport à la mémoire.

Au Rwanda, tout en travaillant de manière sérieuse sur l'acceptation mutuelle entre tutsi et hutu au plan interne, les dirigeants sortis de la guerre civile de 1994 ont stratégiquement mis sur pied une version de l'histoire à présenter au monde extérieur. En interne, il s'agit de cultiver une mémoire positive239(*) tandis qu'à l'externe, l'élite politique est plus préoccupée par la négativation de la mémoire. Le but est de présenter les événements de 1994 comme le point culminant d'une politique irresponsable et immorale : celle de la France. En soutien à cette politique publique de la mémoire, la création d'une Commission dite indépendante, spécialement chargée d'enquêter sur la responsabilité de la France dans le génocide. Il y a de notre point de vue instrumentalisation de la mémoire à des fins de légitimation d'un pouvoir dans cet acte. Ce qui aura pour conséquence le fait que, du côté de la France, des Commissions parlementaires tablent sur la question, et que la version hexagonale de l'histoire du génocide soit écrite240(*). Une conflictualité mémorielle s'installe par le haut, au grand dam des souffrances dont l'ampleur est relevée par le bas241(*).

En Afrique du Sud, les vertus de la tolérance entre blancs et noirs ont pris corps, à telle enseigne que tout discours visant à décrédibiliser le projet de réconciliation est délégitimé de facto. Ici, l'instrumentalisation de la mémoire de l'apartheid va dans le sens de rallier la majorité noire. La mise en scène du rapprochement entre De Klerck et Mandela, les appels à l'unité nationale, sont autant de signes soigneusement préparés pour éviter que les dominés d'hier n'aient l'idée de se venger. Et qui d'autre que celui qui est la conscience morale de la lutte contre l'apartheid pouvait incarner et porter ce discours fédérateur ? En acceptant d'abord de pardonner à tous ceux qui lui ont fait du mal, Mandela donne un signe fort à l'ensemble de sa communauté raciale. Ses prises de parole et actions permettent de construire un rapport positif à la mémoire chez les noirs. Au plan international, la `'nobélisation'' collective des deux hommes cités traduit l'acceptation par la communauté internationale du symbolisme sud africain notamment caractérisé par le consensus interne autour de l'unité nationale et la réconciliation.

L'instrumentalisation négative de la mémoire est le foyer de l'intolérance et du rejet perpétuel de l'autre. Or « la tolérance rend possible l'existence des différences ; les différences rendent nécessaires l'exercice de la tolérance »242(*). Si cela avait été fait en Afrique du Sud, il n'est pas exclu que l'élimination totale de la race blanche dans ce pays en eût été la résultante. Ainsi, la perspective de la réconciliation devrait être questionnée dans le long terme. C'est pourquoi une justice sévère n'est pas la solution appropriée. Comme le dit Botcharova, « Passé les premiers instants de triomphe, [la victime] prend soudainement conscience que, si la justice est accomplie, la souffrance est toujours là, que la hantise qui l'étouffe face à la perte qu'elle a subie n'a pas disparu et que la colère qui brûle au fonds d'elle-même n'est pas éteinte. Après un sentiment immédiat de soulagement vient souvent la déception et une impression de vide ; la vie paraît encore plus dépourvue de sens une fois la vengeance accomplie et l'ennemi abattu »243(*). La dimension instrumentale de la mémoire s'applique en outre aux édifices.

K. L'entretien institutionnel de la mémoire et ses effets indirects : le cas des mémoriaux au Rwanda

La prise en compte publique des morts des guerres du passé, des héros ayant particulièrement marqué la construction d'une nation, des martyrs politiques ; amène généralement les Etats à créer des édifices en leur honneur. Ceux-ci ont le but légitime de perpétuer la mémoire et sont largement acceptés par la communauté. Le problème peut néanmoins se poser dans le cas des mémoriaux des événements tels que le génocide. Ceux-ci peuvent en même temps jouer un rôle d'aseptisation des mémoires et de reproduction des souvenirs dangereux. Valérie Rosoux ne dit pas autre chose en écrivant : « Nous avons déjà observé que l'utilisation de la mémoire du génocide pouvait conduire au désir d'oubli. Nous constatons à présent que cette même utilisation de la mémoire peut au contraire susciter une obsession mémorielle »244(*).

Dans le premier cas, le mémorial sert de pont entre les vivants et les morts. Aucune nation ne se construit sans une conscience historique élevée. Ce lien est canalisateur des consciences enfouies dans l'éternité. Le trait d'union entre les générations futures et passées peut également s'établir à travers le mémorial. Ainsi présentés, ces bâtiments publics ou privés participent de la pérennisation de la pensée et/ou de l'oeuvre des personnages et des personnalités mis en exergue. La construction des mémoriaux au Rwanda fait l'objet d'une option inscrite dans l'agenda public. Après le génocide, le pouvoir central a voulu réhabiliter la mémoire des tutsi morts, ce d'autant plus que l'actuel Chef de l'Etat est l'un des leurs. En conséquence, la loi portant création du Comité national de lutte contre le génocide réaffirme, en son article 4, la décision de développer des stratégies nationales en vue de perpétuer la mémoire du génocide. C'est dans ce contexte que des musées et des mémoriaux vont voir le jour. Les victimes et rescapés du génocide étant soutenus tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du Rwanda, aucune opposition n'est faite sur leurs initiatives privées en matière de création des musées et autres édifices de la mémoire245(*). C'est la raison pour laquelle l'on peut retrouver des Rwandais de l'intérieur, tutsi, mais aussi ceux de la diaspora, propriétaires de ces enseignes.

Dans le second cas par contre, le mémorial peut avoir exactement à produire l'effet contraire à celui souhaité. Au Rwanda, ces institutions exposent très souvent des corps des hutu modérés, mais surtout des tutsi tués pendant le génocide. En fait de corps il s'agit des squelettes humains recouverts de vêtements de leurs propriétaires avérés ou non. La mine desdits squelettes est de nature à produire un effet d'émoi et de révolte naturelle à ceux qui les regardent. La douleur que ces morts ont endurée est comme vivante, présente, et transmissible. Dans le cas où l'on n'est pas suffisamment une `'tête froide'',246(*) il peut arriver que les souvenirs enfouis dans la mémoire resurgissent de manière négative. Etant donné que les musées et mémoriaux sont très souvent implantés dans des lieux où les massacres ont eu lieu (Eglises, écoles, gymnases, etc), les proches des victimes se rendent en priorité là où pourraient se retrouver les membres de leurs familles. Il est fort à craindre que la vue de ces corps puisse éventuellement créer une révolte interne qui alimenterait l'esprit de vengeance.

Dans tous les cas, il convient de dire avec Bertrand Jordane que, « alors qu'un génocide a déchiré la société rwandaise dans son ensemble, la question du rapport à l'histoire et de la mémoire est plus que jamais l'enjeu essentiel de la survie de cette société à travers chacun des individus qui la composent »247(*). Le rapport des Rwandais de tous bords à ces bâtiments du souvenir est en partie lié à leur propre histoire. Cependant, dans la reconstruction morale du pays, ce qui compte, c'est d'accepter l'autre et d'en faire un membre de la communauté désensauvagée. Dans les deux pays, la question de la solidité de la réconciliation soulève irréfutablement celle de sa pérennité.

Paragraphe 2 : Une réconciliation définitive est-elle possible ?

Nous venons de voir que les politiques du pardon et de la justice butent très souvent contre la mémoire des victimes qui peuvent ne pas oublier. Dès lors se pose la question de savoir si le pardon et la justice peuvent contribuer de manière durable à la paix dans une société post conflit.

A. Passéisme et présentisme dans la réconciliation au Rwanda

Aujourd'hui, le visage qu'offre le Rwanda est de loin différent des images de violence de 1994. Le pays s'est peu à peu relevé des cendres du génocide. Le système judiciaire tatillon au lendemain des événements atroces s'est reconstruit remarquablement. De plus, les « gacacas » ont permis de réécrire dans les détails l'histoire du génocide à travers les acteurs.

Le retour vers le passé se fait à deux niveaux distincts qui ne sont jamais neutres: celui des individus et celui des institutions. Dans le premier cas, des associations créées248(*) travaillent pour perpétuer la mémoire positive du génocide249(*). Certaines essayent de recenser les noms de l'ensemble des rescapés et victimes. En plus, elles ont permis d'avancer vers la création des sépultures symboliques aux tutsi enterrés dans des fausses collectives. Des fonds d'aides privés existent par ailleurs pour soutenir les familles des disparus, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, et de la réhabilitation sociale. Bon nombre travaillent sur des domaines précis. C'est la raison pour laquelle il existe des associations qui prennent en charge les femmes violées et mutilées, les enfants des tutsi assassinés, les rescapés traumatisés, etc. Dans le second cas, le pouvoir central essaye de faire en sorte que les Rwandais s'identifient au génocide non en tant que membre d'une composante ethnique, mais en tant que citoyen du pays. Les manuels scolaires essayent de transmettre la version officielle de l'histoire de ce génocide, tout en sensibilisant les jeunes générations sur les dangers du crime passé250(*). Le Fonds d'Assistance aux rescapés du génocide et d'autres mesures officielles sont prises dans le même sens251(*). Comme l'écrit Valérie Rosoux, la mémoire « ne se réfère jamais au passé de manière neutre et tout à fait objective. En effet, ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui entrent dans la mémoire mais leurs images...elle reconstruit et réorganise le passé »252(*).

Chaque année, une semaine est consacrée aux célébrations des morts pour affirmer que le courant négationniste est anhistorique. En effet, certains pensent encore aujourd'hui que le génocide n'a pas eu lieu au Rwanda. Les défenseurs de cette thèse avancent plutôt l'hypothèse d'une violence mineure exagérée par les médias, ou pire encore celle des tutsi eux-mêmes génocidaires. Pour appuyer cette dernière thèse, l'on mentionne des actions menées par le FPR en RDC, en soutien à la rébellion de Laurent Nkunda Batoiré, un tutsi congolais ; et l'implication des milices du FPR dans le bombardement de l'avion présidentiel en avril 1994, point déclencheur des tueries.

Il est aussi éclairant de signaler l'important travail effectué par le TPIR pour arrêter et juger certaines grandes figures du génocide. La relative collaboration apaisée avec les autorités rwandaises traduit une volonté générale de tourner la page pour rebâtir la nation Rwandaise expurgée de la haine réciproque et de la désignation mutuelle de l'autre comme ennemi.

Toutefois, malgré tout ceci, la reconstruction du présent demeure parsemée de défis liés à ce passé trop présent. La question des libérations des génocidaires repentis sans réparations constitue l'un de ces défis. Faute de preuves, les « gacacas » et les tribunaux ordinaires étaient très souvent appelés à libérer les prévenus253(*). Dans la mesure où ces personnes devaient cohabiter avec leurs victimes, il demeure impossible d'imaginer une situation dans laquelle la page du passé pourrait se retourner devant une impression d'injustice. Le sentiment d'incomplétude du processus se trouve amplifié par la non prise en compte des dommages contre les biens, ainsi que nous l'avons relevé.

La question des mémoriaux divise encore les Rwandais aujourd'hui. Une quantité raisonnable des hutu qui soutiennent toujours la famille Habyarimana en exil sont opposés à la décision du président Rwandais de transformer l'ancienne résidence du président défunt en musée. La famille de ce dernier a d'ailleurs vivement réagi en publiant un communiqué dans lequel elle fustigeait cette décision. De manière plus générale, nous avons montré que les musés peuvent attiser des foyers de violence latentes dans les mémoires individuelles. Le musée de Gisozi de Kigali par exemple expose 260000 corps. A l'intérieur, on y trouve des crânes humains, des ossements, des vidéos qui montrent des tueurs en action, des blessés qui demandent grâce à leurs bourreaux, etc.

Devant cette irruption permanente du passé dans les consciences individuelles et collectives, il devient impératif que la construction du présent s'émancipe du poids de la mémoire négative pour puiser dans l'histoire non les réminiscences des événements douloureux, mais plutôt le ferment de l'unité et de la réconciliation qui reste une possibilité, bien que difficilement réalisable dans la totalité. Le cas Rwandais permet de voir que malgré la priorisation par le pouvoir central des poursuites contre les génocidaires254(*), l'unité nationale commande la prise des mesures plus conciliatrices qui, à défaut de réconcilier totalement, permettent une sociabilité commune durable entre tutsi et hutu. L'expérience sud africaine quant à elle, centrée sur les victimes255(*), va devoir se solder par la rupture avec le passé et la projection vers le futur.

B. L'Afrique du Sud entre assomption du passé et projection de l'avenir

L'Afrique du Sud a ouvertement pris le chemin de l'assomption de son passé. Plutôt que de se préoccuper à sanctionner les méfaits de ce dernier, le choix effectué a été de récompenser les faits du présent. Pour cela la stratégie a consisté en une paix politique mise en scène pour influencer les mémoires. L'élection a légitimé le processus sud africain tandis que la constitution l'a institutionnalisé256(*).

Avec la mise sur pied de la CVR, le travail historique a permis d'accorder la majorité des noirs et blancs sur le sens à donner aux événements qui ont marqué l'histoire du pays pendant des décennies. Le fait pour les persécuteurs de demander l'amnistie revenait pour eux à reconnaître, du moins formellement, leur responsabilité dans les violences et injustices du passé. Tout de même, l'on s'accorde à dire que la Commission n'a pas fait -sans doute volontairement-, tout le travail qui devait mettre en évidence le caractère systémique de l'apartheid qui a privé les noirs de l'éducation, des conditions de vie décentes, et a déstructuré l'ensemble de la société. Aussi reste suspendue la question des réparations promises au terme du travail du Comité y compétent de la CVR.

L'on pourrait emprunter, en outre, la catégorisation de Barbara Cassin pour comprendre la situation de ce pays. L'auteur distingue en effet deux types de politiques de mémoires : une politique passive et une politique active257(*). Dans le premier cas, la gestion des archives participe de l'apaisement au temps. Le temps de latence, précisément, favorise la transition d'un passé trop récent, violent, chargé d'affect, vers un passé apaisé. Dans le deuxième cas, il s'agit de conduire des politiques d'amnésie ou d'anamnèse. En grec ancien, ces deux termes traduisent en effet une même réalité258(*). Selon Barbara Cassin, alors que l'amnésie est liée aux crimes qu'on ne peut ni punir ni pardonner selon l'expression de Hannah Arendt, l'anamnèse est un impératif de `'full disclosure''. Ici, le crime doit être pleinement divulgué.

La version réécrite de l'histoire de l'apartheid est compilée dans les rapports de la CVR. Ceci va en droite ligne de la logique de l'anamnèse, dans la mesure où les archives ont été détruites par les blancs. Ceci justifie amplement le choix de poser, entre autres conditions de l'amnistie, la révélation complète du crime. La pratique grecque constitue donc le parfait exemple du contraire de ce qui s'est passé en Afrique du Sud. Mais le but n'était pas seulement de dire. Il fallait aussi faire comprendre, transmettre. C'est pourquoi l'écriture de ce rapport est formalisée dans un style simple. Cette option facilite la lecture des Sud africains de niveau moyen. En plus, ce rapport est traduit dans l'ensemble des langues officielles du pays. Toutefois, son coût mentionné supra ne permet pas sa diffusion dans l'ensemble des couches sociales. Ce qui voudrait dire que bon nombre de citoyens, en dehors des auditions ultra médiatisées de la Commission, ne disposent pas du document qui constitue le fondement de la renaissance morale du pays.

Les résultats de cette remarquable expérience qui portent en elle des béquilles compréhensibles sont nets. Après l'adhésion d'une grande majorité des Sud africains au projet de réconciliation, la question des indemnisations non versées ou partiellement demeure l'une des préoccupations restées sans solutions. Sa capacité de production d'une résurgence de bellicosité est néanmoins nulle. Toutefois, cette question peut alimenter des frustrations perpétuelles et un sentiment d'inachevé chez les bénéficiaires insatisfaits. Malgré tout, les défis qui interpellent ce pays dans sa marche vers la conquête de son statut de puissance émergente ont commandé que tous les acteurs dominants du champ politique s'accordent sur le minimum de conditions à même de permettre la gestion harmonieuse du passé pour l'émergence consensuelle du futur. La nouvelle Afrique du Sud réinventée culturellement fera donc face, désormais, aux défis sociaux, démographiques, économiques, juridiques et politiques259(*).

Les processus décrits ici et là peuvent se résumer dans les schémas suivants :

Conclusion de chapitre

Il apparaît à présent clair que la réconciliation, dans les deux sociétés post conflits, doit intégrer le caractère limité des solutions offertes par la justice et le pardon. Ainsi donc, les apories de ces deux catégories tiennent à la question de la mémoire des victimes. Pardon et justice butent très souvent sur l'irrésistibilité du retour au passé de manière négative. Dans ce cas, les souvenirs260(*) dangereux sont de nature à bloquer le mouvement de rapprochement des anciens ennemis. Ceci est d'autant plus risqué lorsque les violences infligées ont laissé des traces dont l'ampleur est toujours visible au présent. Malgré ces limites du pardon et de la justice, l'analyse des deux sociétés en étude révèle une richesse de ces deux modalités. Leur apport dans la recomposition des sociétés déchirées par la violence est considérable. Ce qui compte en effet, c'est le sens, l'orientation et le contenu qui leur est donné par les acteurs et les institutions. Toutefois, l'incomplétude de ces outputs n'est pas seulement le fait du système et de son environnement. La sentimentalité des acteurs détermine considérablement la valeur du pardon et de la justice. Les ressorts cognitifs sont donc pertinents pour évaluer la place des perceptions individuelles dans la structuration de la mémoire collective. Les représentations et l'identité des acteurs et des institutions façonnent leur conception des inputs que sont la réconciliation et la sociabilité post conflits.

CONCLUSION GENERALE

Il était question d'analyser, de manière comparative, les dynamiques des acteurs et des institutions du pardon et de la justice en Afrique du Sud et au Rwanda. Le fil conducteur reliant les quatre chapitres du présent mémoire s'établit autour de la question de la configuration des deux niveaux d'analyse choisis, et de leur apport dans la réconciliation. Pour vérifier les hypothèses posées à l'introduction, nous avons opté pour une série de méthodes et de théories ; lesquelles nous ont permis de donner sens au matériau issu de la collecte et du traitement des données.

Le 1er chapitre s'est focalisé sur la justice. Nous y avons identifié les figures à l'heure dans les deux pays, non seulement au plan interne, mais également au plan externe. L'orientation comparative choisie nous permettait à chaque fois de poser l'Afrique du Sud et le Rwanda côte-à-côte pour dégager les similarités, les différences et le patrimoine commun. Il s'est agi d'étudier les acteurs et institutions de la justice en mettant en lumière leurs repères, valeurs et rôles.

Le 2e chapitre quant à lui porte sur le pardon politique. Nous nous sommes attelés à y étudier les figures, les processus et la valeur dans les deux pays. Notre recherche étant basée sur deux niveaux d'analyse, à savoir les acteurs et les institutions, nous avons identifié et analysé les figures du pardon ainsi que ses institutions au plan strictement interne. Ceci mérite d'être emphasé car le fil conducteur de la présente étude tient précédemment à ces deux niveaux d'analyse au-dedans et au dehors. Toutefois, la restriction de l'observation du champ du pardon politique ici a pour justification le fait que dans les deux pays, il existe une forte convergence vers l'internalisation de la dynamique de pardon. Nous avons pu ressortir des rôles respectifs des acteurs passifs et actifs, tout comme ceux de certaines personnalités morales. Le pardon politique apparaît comme un processus dans les deux pays, notamment par le fait qu'il procède d'une construction progressive, obéissant à un répertoire de valeurs spécifiques d'une société à une autre. D'où l'existence d'une morale propre du pardon en Afrique du Sud et au Rwanda. Dans le 1er cas, l'option choisie par les acteurs a été le `'pardon-justice'' tandis que dans le 2e cas il s'est agi d'une `'justice-pardon''. Nous pensons qu'il pourrait s'agir, en l'espèce, d'une nouvelle catégorie combinant des valeurs apparemment contraires, mais dont la mise en forme et la mise en oeuvre nous a été informée par les deux expériences africaines objet de l'étude.

Le 3e chapitre avait pour objectif de révéler les interactions entre les acteurs et les institutions du pardon et de la justice aux plans interne et externe (pour la justice notamment). En clair, il n'a pas été question de revenir sur la présentation de ces acteurs et institutions, mais plutôt leurs relations de face-à-face. Bien plus, nous avons essayé de démontrer que l'examen de ces interactions révèle une coproduction de la réconciliation entre l'interne et l'externe. Aussi avons-nous souligné la grande influence de l'externe au Rwanda ainsi que l'affirmation conflictuelle des compétences qui s'y est en partie illustrée entre les tribunaux nationaux et le TPIR. Les échanges entre les acteurs au plan strictement interne ont aussi été examinés, ce qui démontre que le processus de réconciliation est, non le résultat du hasard de l'histoire, mais a contrario le fruit d'une construction patiente d'un travail de négociation de ces acteurs et ces institutions. Ce chapitre est par conséquent loin d'une réplique simpliste des premiers développements. Il est éclairant du dynamisme du système actanciel et institutionnel, ainsi que de l'apport de celui-ci dans la réconciliation, à travers les sous-systèmes de soutien, de collaboration et d'échange.

Le dernier chapitre enfin s'est intéressé aux limites du pardon et de la justice dans les deux pays. Ces deux modalités sont à l'épreuve de la mémoire des victimes. Nous avons montré que la mémoire du passé n'est pas une chose mauvaise en soi. Ce qui est déterminant, par contre, c'est la manière dont celle-ci est incarnée par les acteurs et institutions. L'instrumentalisation de l'histoire peut produire des effets à rebours de la réconciliation lorsqu'elle ravive les souvenirs dangereux. Qu'elle soit envisagée au plan individuel ou collectif, la mémoire est le moteur de l'histoire dans les deux pays. Pendant que le Rwanda s'est peu-à-peu reconstruit des cendres du génocide, tout en gardant appui sur le passé, l'Afrique du Sud a très tôt décidé d'assumer ce passé douloureux pour se projeter dans le futur et faire face aux défis sociaux et économiques qui l'interpellent, en tant que puissance émergente.

Parvenu au terme de l'étude, nous validons aux ¾ l'hypothèse principale. Le fait tient à la radicalité de la différence des ressources des acteurs et institutions posée dans nos prémisses. En réalité, nous remarquons, après coup, une communauté de ressources notamment juridiques, morales et symboliques révélées par l'identité et l'action des acteurs et institutions. Quant aux hypothèses secondaires, nous validons en entier la 1ère. Toutefois, la remise en cause de la pertinence du pardon et de la justice soulignée dans la 2e hypothèse secondaire du fait de la mémoire des victimes, mérite d'être nuancée. Nous affirmons que, malgré les limites de ces deux modalités, lesquelles relativisent leur portée, et non leur pertinence, celles-ci demeurent un réservoir riche en possibilités de restauration de la sociabilité post conflit en Afrique. Cette hypothèse est par conséquent validée dans les ¾.

En définitive, les enjeux que soulève la question du pardon et de la justice peuvent aussi concerner les sociétés pacifiques, mais dont la mémoire nationale se structure autour d'un compromis imparfait du fait de certains épisodes de leur histoire. La question de la mémoire électronique mérite par ailleurs que les chercheurs s'y intéressent, pour voir en quoi celle-ci pourrait servir de passerelle entre le passé et le présent de manière harmonieuse ; ou alors de catalyseur de la résurgence des maux du passé.

ANNEXES

Annexes 1 : Affiche de recherche pour le TPIR

Annexe 3

Réconciliation et lutte contre l'impunité

Conférence de l'Organisation internationale de la Francophonie - Bénin, 29-30 septembre, 1er octobre 2005

"Pratiques constitutionnelles et politique en Afrique : dynamiques récentes"

Rapport final

1. Les termes du "dilemme"

Comment refonder le pacte social dans des sociétés profondément divisées par les conflits internationaux, les violences de la guerre civile ou les exactions d'un régime oppressif ? Comment faire face au passé afin de se tourner, avec confiance et soulagement, vers le futur ? Un terme aux contours indéfinis semble répondre à ces interrogations : la "réconciliation".

Suivant les situations considérées, la réconciliation repose sur des exigences diverses : la fin des hostilités, le règlement durable du conflit, le rétablissement de la confiance entre gouvernés et gouvernants, la reconnaissance des crimes passés, le respect des droits de l'Homme, notamment la jouissance des libertés fondamentales, le droit à la justice, ainsi que le droit au développement - soit les moyens financiers d'assurer la sécurité humaine au sens du Programme des Nations Unies pour le développement. La problématique naît du fait que la réconciliation concerne différents acteurs -les représentants d'un Etat, les forces militaires et politiques et la population civile- et que leurs exigences peuvent diverger, voire s'entrechoquer. Ainsi, toutes les instances nationales ou internationales qui se sont impliquées dans le règlement de situation de conflits, se sont inévitablement trouvées face à un dilemme : comment concilier la construction de la paix et le respect de la justice ?

Pour certains, ces deux objectifs sont contradictoires. La recherche inexorable de la justice constituerait un obstacle à la paix. Insister, partout et toujours, pour sanctionner ceux qui se sont rendus coupables de manquements graves aux droits de l'Homme et au droit international humanitaire, pourrait compromettre un processus de réconciliation fragilisé par le rôle politique qu'y peuvent tenir les anciens chefs de guerre criminels. Pour la FIDH, il ne saurait y avoir de véritable paix sans justice. Fermer les yeux sur l'impératif de la justice uniquement pour parvenir à un accord, hypothèquerait ce dernier.

L'expérience issue des nombreuses tentatives de réconciliation démontre qu'aucune paix durable n'a pu s'établir sans l'intervention indépendante du judiciaire. L'amnistie - ou bien souvent d'ailleurs l'auto-amnistie - et le pardon, dérogent au principe fondamental de la responsabilité sapant ainsi tout effort de prévention de nouveaux crimes, base d'une réconciliation. En effet l'oeuvre de justice ne s'exprime pas uniquement par la sanction mais

également par la prévention. La FIDH estime ainsi essentiel que les auteurs des crimes les plus graves - crimes de guerre, génocide, crimes contre l'humanité - puissent être poursuivis et jugés pour asseoir une réconciliation dans la continuité. Pour saborder l'esprit de vengeance - terreau fertile à toute insécurité - il est primordial que les victimes de violations des droits de l'Homme et du droit international humanitaire aient droit à la vérité, la justice, la reconnaissance et la réparation.

2. L'impunité hypothèque tout effort de réconciliation

Chaque fois que des forces politiques ont souhaité oeuvrer pour la réconciliation nationale en faisant table rase du passé, via l'amnistie ou le pardon, la paix relative obtenue par de telles décisions s'est trouvée déchirée par la résurgence de conflits. L'impunité conférée aux auteurs de violations graves des droits de l'Homme ne permet pas la prévention de nouveaux crimes.

Sans être exhaustif, il suffit de se rappeler les conséquences de certaines mesures d'amnisties proclamées au nom de la réconciliation nationale pour comprendre que le blanc seing accordé aux criminels n'a pas l'effet d'apaisement souhaité.

En Côte d'ivoire, le président Gbagbo a décrété une amnistie pour les auteurs de violations des droits de l'Homme lors du Forum de la réconciliation nationale en décembre 2001. Il expliquait à cette occasion que si la poursuite des coupables est une "exigence certes légitime, le remède serait sans doute pire que le mal et ferait persister la discorde". Quelques mois plus tard, la rébellion éclatait revendiquant notamment que la lumière soit faite sur les crimes du passé. En République centrafricaine, l'ancien chef de l'Etat Ange-Félix Patassé a fait voter deux lois d'amnistie, en date des 30 mai 1996 et 15 mars 1997 relatives aux graves violations des droits de l'Homme commises par les éléments des forces armées centrafricaines. Le 15 mars 2003, le général François Bozizé prenait le pouvoir par la force réclamant que justice soit faite pour le peuple centrafricain qui avait été victime de graves violations des droits de l'Homme perpétrées par les militaires et milices de l'ex Président centrafricain.

Le 7 juillet 1999, le Front uni révolutionnaire (RUF) signait les accords de paix de Lomé qui prévoyait une amnistie complète pour tous les auteurs de crimes commis en Sierra Léone antérieurs à la date du traité. Quelques semaines plus tard, les hostilités reprenaient de plus belle. Il est vain d'espérer le règlement durable de conflits en faisant table rase du passé, en laissant impunies les graves violations des droits de l'Homme contre la population civile. C'est le cas notamment du Liberia où la communauté internationale et le gouvernement de transition ont jusqu'ici montré peu de détermination pour traduire en justice les auteurs présumés de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. C'est le cas au Togo, où aucune démarche judiciaire n'a été entreprise pour poursuivre les auteurs des graves violations des droits de l'Homme perpétrées notamment contre les représentants de la société civile et de l'opposition politique qui contestaient dans la rue la légalité du scrutin présidentiel. C'est aussi le cas du Sud Soudan où l'accord de paix devant mettre un terme à l'un des plus longs conflits d'Afrique élude la question de la lutte contre l'impunité.

3. Le droit à la vérité et la justice sont des éléments fondateurs de la réconciliation

Les exemples précédents démontrent qu'il est impossible d'imposer la réconciliation à quelqu'un qui demande justice. Pour qu'il y ait réconciliation il faut être deux. Mais le plus souvent, les deux entités réunissent des exécutifs ou des chefs de guerre, qui, par les crimes qu'elles ont commises, ne peuvent en rien prétendre représenter l'intérêt général des populations civiles. Il apparaît désormais essentiel de faire prévaloir une nouvelle approche : si les "politiques" doivent représenter une entité, l'autre doit être représentative des victimes des crimes de masse, dont les droits et aspirations sont le reflet général des populations civiles. En effet, on ne peut sceller une paix durable sans réconciliation avec et pour les victimes des exactions et des conflits, avec et pour les populations civiles martyrisées. Et lorsque l'on travaille aux côtés de victimes de violations graves des droits de l'Homme comme le fait la FIDH depuis sa création, on ne peut faire qu'écho à leurs aspirations : vérité, justice et réparation. C'est par la réalisation de ce triptyque qu'une réconciliation durable est possible.

i) le droit à la vérité : une étape nécessaire mais non suffisante de la réconciliation

Rechercher et connaître la vérité sur les crimes passés est un des éléments essentiels de la réconciliation. Il ne s'agit pas seulement du droit individuel qu'a toute victime, ou ses proches, de savoir ce qui s'est passé, "le droit de savoir est aussi un droit collectif qui trouve son origine dans l'histoire pour éviter qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent".

La vérité ne se décrète pas, elle se recherche. C'est sur ce fondement qu'est née la pratique relativement nouvelle des commissions vérité, importantes dans l'oeuvre de réconciliation. C'est ainsi que la première Commission importante a été mise sur pied il y a presque 20 ans en Argentine. Aujourd'hui, des commissions existent, ou sont prévues, au Timor Oriental, en Sierra Leone, au Ghana, au Congo, au Burundi, en République démocratique du Congo, au Libéria... La plupart de ces commissions vérités sont prévues par des conventions ou accords de paix et participent à l'objectif de réconciliation nationale.

La réalité de chaque pays détermine les caractéristiques d'une commission vérité. Mais, l'étude de ces commissions vérité démontre que celles-ci sont bénéfiques si l'on précise et reconnaît officiellement une version complète et concertée de la « vérité »; si l'on mène des consultations approfondies avec les organisations de la société civile, les victimes et les témoins; si l'on offre réparation; si l'on définit les responsabilités individuelles et institutionnelles par rapport aux violations passées; si l'on analyse les causes profondes du conflit; et si l'on recommande des mesures préventives concrètes.

Une leçon importante de l'examen de ces commissions est que la commission vérité ne constitue pas la fin du processus mais bien une étape de celui-ci. En effet, dans le long processus qu'est celui de la recherche de la réconciliation, de nombreuses questions restent habituellement à régler en marge ou à la fin des travaux de la commission, notamment celles de la justice. L'expérience enseigne qu'il convient de veiller à ce que ces commissions ne soient pas détournées de leur finalité pour devenir prétexte à ne pas saisir les tribunaux.

ii) Le droit à la justice : un élément déterminant de la réconciliation

La FIDH reprend les propos tenus par Louis Joinet dans son rapport final sur la question de l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme : "Il n'est pas de réconciliation juste et durable sans que soit apportée une réponse effective au besoin de justice; le pardon, acte privé, suppose en tant que facteur de réconciliation et lutte contre l'impunité, la réconciliation, que soit connu de la victime l'auteur des violations et que ce dernier ait été en mesure de manifester son repentir : en effet, pour que le pardon puisse être accordé, il faut qu'il ait été demandé."

Le droit à la justice confère à l'Etat des obligations : celle d'enquêter sur les violations, d'en poursuivre les auteurs et, si leur culpabilité est établie, de les sanctionner. Si l'initiative des poursuites relève en premier lieu de l'Etat, des règles complémentaires de procédure doivent prévoir que toute victime puisse être partie civile aux poursuites et, en cas de carence des pouvoirs publics, d'en prendre elle-même l'initiative. La compétence des tribunaux nationaux devrait demeurer le principe, car toute solution durable implique qu'elle vienne de la nation elle-même et l'exercice judiciaire doit permettre, à partir de cas d'espèce particulièrement graves, la catharsis collective qui crée les conditions du pardon individuel. Mais il arrive trop souvent, hélas, que les tribunaux nationaux ne soient pas en mesure de rendre une justice indépendante et impartiale ou soient dans l'impossibilité matérielle de fonctionner. Se pose alors la question d'une justice alternative ou complémentaire.

iii) La nécessité de soutenir le système de justice pénale internationale

La justice pénale internationale se fonde sur l'idée même que rendre justice aux victimes de crimes les plus graves - torture, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide - participent de la réconciliation nationale en consolidant la paix et prévenant la commission de nouvelles violations.

Ainsi le Préambule du Statut du TPIR insiste sur le fait que des "poursuites contre les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire contribueraient au processus de réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement et au maintien de la paix".

Le Préambule du Statut de la Cour pénale internationale précise que les Etats parties sont déterminés à mettre un terme à l'impunité des auteurs des crimes internationaux et à "concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes". C'est d'ailleurs en ce sens que la justice pénale internationale ne reconnaît pas les amnisties qui lui sont opposées par le droit national5. La FIDH soutien l'évolution de ce système de justice internationale fondée sur la complémentarité -Tribunaux pénaux internationaux, Tribunaux mixtes, Cour pénale internationale, compétence universelle des tribunaux nationaux - car elle est persuadée que la répression des auteurs des crimes les plus graves participe d'une paix durable. Mettre en lumière les crimes les plus graves, désigner et réprimer leurs auteurs, dans le cadre de procédures indépendantes et équitables, est essentiel dans tout processus de reconstruction, notamment d'un Etat de droit. Ainsi, la FIDH milite depuis sa création en 1922 pour la mise en place d'une justice pénale internationale. La FIDH a activement participé au processus de la mise en place de la CPI, tant à Rome que lors des commissions préparatoires à New York, et elle participe aujourd'hui à une campagne de ratification du Statut de Rome au sein de la Coalition internationale pour la CPI. Par ailleurs, la FIDH contribue activement au travail de la CPI en informant le Procureur de situations qui déclare que l'amnistie accordée par l'Accord de Lomé aux membres des différentes factions engagées dans la guerre civile en Sierra Léone ne peut être opposable au Tribunal. Sur l'opposabilité de la loi d'amnistie mauritanienne du 14 juin 1993, elle indique que "quelle que soit la légitimité d'une telle amnistie, dans le cadre d'une politique locale de réconciliation, cette loi n'a d'effet que sur le territoire de l'Etat concerné et n'est pas opposable aux pays tiers, dans le cadre de l'application du droit international. Elle n'a par conséquent aucune incidence sur l'action publique pour l'application de la loi en France".

Elle a également encouragé le Conseil de sécurité des Nations Unies à prendre ses responsabilités en saisissant le Procureur de la CPI de la situation au Darfour8. Aujourd'hui la FIDH oriente son action vers le soutien à la participation des victimes dans les procédures devant la Cour, consciente que ceci participe pleinement du processus de réconciliation.

La FIDH participe également activement au combat pour l'application de la compétence universelle par les tribunaux d'Etats tiers pour connaître des crimes internationaux. C'est ainsi qu'elle initie ou soutien des procédures portées contre des génocidaires rwandais, l'ex dictateur tchadien Hissène Habré, des responsables congolais dans l'affaire du Beach, des miliciens algériens. A cet égard, la FIDH se réjouit de la première décision des juridictions françaises sur le fondement de la compétence universelle basée sur la Convention de New York contre la torture condamnant un tortionnaire mauritanien à 10 ans de réclusion criminelle. Le développement croissant de la justice internationale permet de décourager ceux qui sont tentés de commettre des crimes horribles ou qui sont poussés par d'autres à le faire, en leur faisant comprendre qu'un jour ils devront personnellement rendre des comptes. Ce moyen de dissuasion n'existait pas dans le passé. Aujourd'hui, il est aussi nécessaire que jamais, et il le sera tout autant à l'avenir.

Surtout, ce système de justice internationale, par l'accent qu'il place sur le rôle et la responsabilité première des juridictions nationales du lieu de perpétration des crimes, par l'interaction qu'il institutionnalise entre les acteurs locaux et les acteurs internationaux, renforce l'obligation d'agir de l'Etat concerné. La jeune histoire de ce nouveau système est prometteuse: l'immixtion d'un tiers indépendant - le juge - dans des processus politiques complexes essentiellement traités jusque là par des pouvoirs exécutifs ou des forces armées, ne doit pas inquiéter; elle ouvre une voie fertile vers la consolidation de la paix par la prise en compte des droits fondamentaux de ses principaux bénéficiaires et créanciers, les victimes des crimes de masse et les populations civiles. La CPI a déjà certainement retenu les bras de bourreaux dans certaines situations dont elle est saisie; gageons qu'avec le démarrage actuel de son activité judiciaire, les premières poursuites et condamnations confirmeront aux criminels que leur avenir, y compris politique, est sérieusement compromis; et que le seul avenir qu'il importe de garantir est celui des peuples qu'ils ont martyrisés.

Conclusion

Justice et paix ne sont pas des notions antagonistes mais complémentaires. L'expérience de ces dix dernières années montre clairement qu'il n'est possible de renforcer la paix au sortir d'un conflit que si la population est convaincue que les abus dont elle a été victime seront pris en compte. Aussi la question n'est-elle pas de savoir s'il faut promouvoir la justice et la transparence mais plutôt comment et quand. A l'évidence, l'examen d'événements passés, le rétablissement de l'état de droit et le soutien à la démocratie sont des processus qui demandent du temps dans des pays aux institutions dévastées, aux ressources épuisées, où la sécurité laisse à désirer et où la population est divisée et profondément bouleversée. Il n'en demeure pas moins que ces tâches sont impératives et réalisables.

Recommandations

La FIDH considère qu'aux fins de réconciliation de sociétés profondément divisées par les conflits internationaux, les violences de la guerre civile ou les exactions d'un régime oppressif, il est essentiel de répondre au droit à la vérité, au droit à la justice et à réparation des victimes des crimes les plus graves.

Ainsi la FIDH recommande à la communauté internationale, notamment à l'Organisation internationale de la Francophonie, de déployer tous ses moyens en vue :

- de dénoncer tout accord de paix ou tout instrument de règlement des conflits qui posent des obstacles à la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves, notamment en accordant des amnisties ou immunités;

- de permettre aux représentants de la société civile de prendre part activement aux négociations pour le règlement des conflits et de s'assurer qu'ils soient mis à contribution pour déterminer, en fonction de la situation concernée, les mécanismes appropriés de lutte contre l'impunité des crimes les plus graves;

- d'accompagner la mise en place de commissions vérité réconciliation en s'assurant qu'elles répondent aux critères suivants : des consultations approfondies avec les organisations de la société civile, les victimes et les témoins; la reconnaissance officielle d'une version complète et concertée de la « vérité »; l'obtention de réparation pour les victimes et familles de victimes ; la définition des responsabilités individuelles et institutionnelles par rapport aux violations passées; l'analyse des causes profondes du conflit; la recommandation de mesures préventives concrètes;

- de considérer les commissions vérité comme une étape du processus de réconciliation qui ne peut s'affranchir du droit des victimes à un recours effectif devant les tribunaux;

- d'exhorter les Etats à ratifier le Statut de la CPI;

- d'exhorter les Etats qui ont ratifié le Statut de la CPI à transposer en droit interne les dispositions du Statut relatives à la coopération mais aussi aux définitions des crimes et aux principes généraux du droit pénal international;

- d'exhorter les Etats qui ont ratifié le Statut de la CPI à ratifier l'Accord sur les Privilèges et Immunités de la Cour (APIC) ;

- d'exhorter les Etat à adopter en droit interne les dispositions des conventions internationales qui les lient permettant à leurs tribunaux d'exercer leur compétence universelle pour connaître des crimes internationaux ;

- de demander aux Etats de ne pas conclure ou de dénoncer les accords bilatéraux avec les Etats-Unis dans le cadre de l'article 98 du Statut de Rome, visant à exclure les ressortissants américains de la compétence de la CPI, même si ces accords ne sont pas réciproques.

Annexe 4 : Structure de la Commission vérité et réconciliation

Comité des droits de la personne

(CDP)

Comité de l'amnistie

(CA)

Comité des réparations

et de la réhabilitation

(CRR)

Human Rights Committee

chapeauta le tout et fut chargé de

recueillir les témoignages des

victimes, sous forme de formulaires

standardisés; il en amassa 21 000

durant son existence, en éliminant

éventuellement environ 2 000 qui

n'étaient pas conformes aux

critères de la Commission (par

exemple, dans le cas où le crime à

la source de la victimation n'avait

pas de motif politique). Quelques 2

000 victimes furent appelées à

témoigner en personne devant le comité et les médias.

Amnesty Committee

évaluer quelques 7 000

demandes d'amnistie.

Débordé par cette

charge malgré le rejet

sommaire de près de

5 000 demandes, le

comité dû continuer à

fonctionner plus de

deux ans après la

clôture officielle des

activités de la CVR.

Reparations and Rehabilitation

Committee

visait à élaborer un système de

compensation pour les victimes

de violations des droits de la

personne. Il fut proposé que

chaque victime (c'est-à-dire les

victimes de torture ainsi que les

parents de disparus ou tués), soit

dédommagée par une somme

équivalente au salaire annuel

moyen sud-africain (environ 2

600 €) pendant six ans. En avril

2003 le Président Mbeki a offert

aux victimes une somme unique

de 3 800 €.

décembre 1995 : 8 commissaires

février 1996 : 21 commissaires

juin 1997 : 21 commissaires

octobre 1998 : clôture

juin 2001 :

3 commissaires

5 commissaires

11 commissaires

19 commissaires

clôture

5 commissaires

10 commissaires

10 commissaires

clôture

Source : Stephane Leman-Langlois, « La vérité réparatrice dans la Commission... », op.cit

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III. Dictionnaires et ouvrages méthodologiques

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V. Rapports, lois et documents officiels

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Loi n° 09/2007 du 16/02/07 portant attribution et fonctionnement de la Commission nationale de lutte contre le génocide

Loi n°2004 du 20 juin 2004 créant les Comités de conciliateurs

Loi n° 08/96 du 30/08/1996 créant des Chambres spécialisées au sein de chaque tribunal de 1ère instance, Cour d'Appel et Cour militaire

Loi n° 07/2004 du 25/04/2004 portant code d'organisation, fonctionnement et compétence judiciaires

Loi n° 01/2004 du 19/01/2004 organisant la Cour Suprême

Ministère de la justice, La place de la justice et le rôle des magistrats dans l'édification d'un Etat démocratique, Ed, Kigali, 1992

Rapport de la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud

Constitution rwandaise de 1991 et du 4juin 2003 ; constitution sud africaine de 1993

Rapport du Secrétaire Général de l'ONU, sur le rétablissement de l'état de droit et l'administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit, S/2004/616, paragraphe7.

Schostmans, Martiens, Rapport d'évaluation mi- parcourt du projet Appui au développement de l'Etat de droit et de la démocratie au Rwanda, mars-mai 2004

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Résolutions et rapports du Conseil de Sécurité de l'ONU sur le Rwanda

Rapport S/ PV.3371 du 30 avril 1994

S/Res/918 (1994) du 17 mai 1994

S/PV.3453 du 08 novembre 1994

CS/Res/955 (1994), Res 978(1995)

Res 929 (1994)

Res 928 (1994)

Res 1200 (1998)

Résolutions du Conseil de Sécurité et rapport du Secrétaire Général de l'ONU sur l'Afrique du Sud

Résolution 930 (1994), Résolution A/RES/48/13 C et Résolution A/RES/48/258 A du 23 juin 1994, Rapport final du Secrétaire Général sur la Mission d'observation des Nations Unies en Afrique du Sud : S/1994/717, Résolution 919 (1994)

Lois nationales en Afrique du Sud

Separate Amenities Act de 1953, Bantou Education de 1953, Group Areas Act de 1950, Prohibition of Mix Mariage Act de 1950, Immorality Amendmment Education Act de 1959.

VI. Sites Internet

http://fr.encarta.msn.com

www.institudrp.org

http://aircrigeweb.free.fr

www.inkiko-gacaca.gov.rw.

info@asf.be

www.ibuka.org

www.ua.ac.be/objs/00110967.pdf

Table des matières

Sommaire................................................................................................I

Dédicaces.................................................................................................II

Remerciements..........................................................................................III

Abréviations et sigles et acronymes..................................................................IV

Liste des tableaux et schémas........................................................................VI

Liste des annexes......................................................................................VII

Abstract................................................................................................VIII

Résumé..................................................................................................IX

Introduction générale.................................................................................1

I. Vue d'ensemble du sujet.............................................................................1

A. Contexte du sujet.....................................................................................1

B. Eléments généraux sur le sujet.....................................................................3

C. Définition des concepts et objet de l'étude .............................................................4

II. L'intérêt du sujet.....................................................................................7

II. 1. Intérêt social.......................................................................................7

II.2 Intérêt scientifique.................................................................................8

III. Délimitation du sujet..............................................................................8

III.1. Délimitation dans l'espace.....................................................................8

III.2.Délimitation dans le temps......................................................................9

III.3.Délimitation dans le sujet........................................................................9

IV. Revue de la littérature............................................................................10

V. Problématique......................................................................................14

VI. Hypothèses.......................................................................................14

VII. Méthodologie....................................................................................15

VIII. De la méthode..................................................................................15

A. Typologies analytiques ..........................................................................15

B. Du système de collecte et de traitement des données........................................16

a. La collecte..........................................................................................16

b. Le traitement........................................................................................17

VII.2 Du cadre théorique............................................................................17

a. Le néo institutionnalisme.....................................................................17

b Le constructivisme..............................................................................18

c. L'interactionnisme symbolique..............................................................19

VIII. Annonce du plan...............................................................................20

Première partie : Configuration mouvante des acteurs et institutions du pardon et de la justice................................................................................................. 21

CHAPITRE 1 : DE LA JUSTICE POST CONFLIT : ACTEURS ET INSTITUTIONS DU DEDANS ET DU DEHORS........................................................................22

Section 1 : Une pluralité d'acteurs et d'institutions internes....................................22

Paragraphe 1 : La structuration actancielle : entre stabilité et incertitude.....................23

A. En Afrique du Sud : une configuration multipartite..........................................23

B. Au Rwanda : une architecture imparfaite......................................................24

Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des deux systèmes judiciaires : des écarts notables................................................................................................27

A. Les institutions de la Justice en Afrique du Sud : un exemple d'indépendance institutionnelle........................................................................................27

B. Les institutions de la justice au Rwanda : une organisation pyramidale ..................29

Section 2. Une structuration actancielle et institutionnelle externe à géométrie variable.................................................................................................31

Paragraphe 1. Les acteurs internationaux de la justice : fondement et nature ...............31

A. Fondement de l'action des acteurs internationaux : entre l'ordre moral et l'ordre juridique................................................................................................31

B. Typologie des acteurs : étatisation et transnationalisation....................................33

Paragraphe 2. Les institutions internationales dans la justice interne : un indice de l'extranéité du processus..............................................................................35

A. Le TPIR ou l'internationalisation de la justice au Rwanda..................................36

B. De la mobilisation des institutions de la société internationale en justice post apartheid.................................................................................................39

Conclusion de chapitre.......................................................................40

CHAPITRE 2 : DU PARDON POLITIQUE : FIGURES, PROCESSUS DE MISE EN SCENE ET MORALE.............................................................................................................................................................................41

Section 1. Identification et fonctionnalité des acteurs du pardon...............................42

Paragraphe 1 : Un processus civilisateur entre acteurs passifs et acteurs actifs...............42

A. Les acteurs actifs du pardon : les victimes......................................................42

B. Les acteurs passifs : les bourreaux...............................................................45

Paragraphe 2 : les acteurs collectifs et les personnalités majeures : des positionnements asymétriques............................................................................................48

A. Les acteurs sociaux et moraux : pluralité et spécificité des rôles ...........................48

B. Le pardon comme empreinte d'acteurs individuels : des rôles variables...................49

Section 2. Le pardon comme catégorie politiquement construite: variété et « januosité » d'un processus..........................................................................................52

Paragraphe 1. La construction d'une `'justice-pardon'' par le bas : les « gacacas » au Rwanda..................................................................................................52

A. La mise en scène d'une forme originale de justice transitionnelle...........................52

B. Du parlementarisme traditionnel à la solidarité « discursive » ..............................54

Paragraphe 2. L'institutionnalisation d'un `'pardon-justice'' par le haut : la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud..........................................................57

A. Un processus cathartique : logistique et logique ...............................................57

B. La mise en scène de la vérité : une constellation des victimes ..............................60

Conclusion de chapitre ............................................63.

IIème partie : Reconfiguration imparfaite de la sociabilité post conflit par les acteurs et institutions du pardon et de la justice...............................................65

CHAPITRE 3 : LA RECOMPOSITION DES SOCIETES POST CONFLITS A L'EPREUVE : ANALYSE DES INTERACTIONS PLURIELLES DU SYSTEME ACTANCIEL ET INSTITUTIONNEL........................................................................................66

Section 1. Les acteurs : un agencement pacifique potentiellement problématique dans la réconciliation...........................................................................................66

Paragraphe 1. Dynamiques internes des acteurs du pardon.........................................67

A. Les rapports inter acteurs endogènes au Rwanda : des interactions entre conflits et compromis .............................................................................................67

B. Les relations de face-à-face entre acteurs en Afrique du Sud : devoir de mémoire et droit au souvenir................................................................................................68

Paragraphe 2 : Des interactions variables entre acteurs de la justice : entre dynamique interne et externe......................................................................................70

A. Echanges entre acteurs internes de la justice : une logique d'interdépendance............70

B. Rapports entre les acteurs externes : logiques solitaire et collaborative...................73

Section 2 : Les institutions : des interactions orientées vers l'externalisation et l'internalisation des séquences du temps pacificateur..........................................74

Paragraphe 1 : Les institutions du pardon et les acteurs internationaux : des priorités distinctes..............................................................................................74

A. Justice traditionnelle et justice moderne : des rapports ambivalents........................74

B. L'internalisation des interactions entre institutions en Afrique du Sud .....................76

Paragraphe 2 : La collaboration variable entre les institutions de la justice internationale et les juridictions nationales au Rwanda...............................................................78

A. L'affirmation conflictuelle des compétences ...................................................78

B. Une collaboration dans la pratique...............................................................80

Conclusion de chapitre........................................................................82

CHAPITRE 4 : APORIES DU PARDON ET DE LA JUSTICE : L'INTENSITE DE LA SOUFFRANCE ET LA MEMOIRE DES VICTIMES..........................................................................................................83

Section 1 : La violence et les traumatismes : faits générateurs de l'impardonnable ?..........84

Paragraphe 1 : L'impact des violences rwandaises sur les mémoires individuelles et collectives................................................................................................84

A. La mémoire individuelle : un foyer de la survalorisation du passé présent............84

B. La mémoire collective : Une prégnance des formes socialisées du passé...............86

Paragraphe 2. Les violences faites dans le système apartheid : un facteur de complexification de la sociabilité commune.............................................................................88

A. La culture d'une mémoire officielle à visée consensuelle en Afrique du Sud..............88

B. Justice et mémoire : signifiants et signifiés de l'amnistie................................................91

Section 2 : Le refus d'oublier comme limite de la portée du pardon et de la justice : de la centralité du facteur temps............................................................................93

Paragraphe 1 : Les mécanismes de consolidation de la mémoire victimaire...................93

A. L'instrumentalisation de la mémoire : une difficile parlementarisation de la coexistence entre d'anciens ennemis...............................................................................93

B. L'entretien institutionnel de la mémoire et ses effets indirects : réflexions sur le cas des mémoriaux au Rwanda.................................................................................95

Paragraphe 2 : Une réconciliation définitive est-elle possible ?............................................96

A. Passéisme et présentisme dans la réconciliation au Rwanda.................................97

B. L'Afrique du Sud entre assomption du passé et projection de l'avenir.....................99

Conclusion de chapitre...............................................................................103

Conclusion générale..................................................................................104

Annexes.................................................................................................106

Bibliographie..........................................................................................120

Table des matières....................................................................................130

SOMMAIRE

Sommaire....................................................................................................I

Dédicaces...................................................................................................II

Remerciements............................................................................................III

Liste des abréviations, sigles, et acronymes..........................................................IV

Liste des tableaux et schémas...........................................................................VI

Liste des annexes........................................................................................VII

Abstract..................................................................................................VIII

Résumé...................................................................................................IX

Introduction générale....................................................................................1

Première partie : Configuration mouvante des acteurs et institutions du pardon et de la justice.............................................................................................................21

Chapitre 1 : De la justice post conflit : Acteurs et institutions du dedans et du dehors....................................................................................................................................22

Chapitre 2 : Du pardon politique : figures, processus de mise en scène et valeur.................................... ........................................................................41

Deuxième partie : Reconfiguration imparfaite de la sociabilité post conflit par les acteurs et institutions du pardon et de la justice...............................................................64

Chapitre 3 : La recomposition des sociétés post conflits à l'épreuve : Analyse des interactions plurielles du système actanciel et institutionnel.................................66

Chapitre 4 : Apories du pardon et de la justice : l'intensité de la souffrance et la mémoire des victimes................................................................................83

Conclusion générale..................................................................................104

Annexes................................................................................................106

Bibliographie..........................................................................................120

Table des matières....................................................................................131

DEDICACES

A mes filles,

Jessica et Johanna Edou.

Afin qu'elles fassent mieux que leur père.

A mes parents,

Témoins intrépides de mon progressif accomplissement,

Afin que leur semence fasse éclore une conscience à jamais éveillée.

REMERCIEMENTS

Fruit du partage du savoir entre nous et de nombreux encadreurs, conseillers et relecteurs, ce travail n'aurait pas abouti sans leurs efforts. A cet égard, il sied de remercier particulièrement notre superviseur, le Professeur Luc Sindjoun. Son éclairage et sa vision ont été d'une remarquable fécondité pour nous éviter les écueils méthodologiques et théoriques. Malgré ses innombrables occupations, il a lu et relu patiemment notre texte. Nous lui en savons gré.

Au Directeur de mémoire, le Docteur Guy Mvelle, nous voulons dire notre infinie reconnaissance. Parce qu'il a suivi notre projet dès sa phase de conception et, ce faisant, a été d'un appui déterminant pour la maturation de nos prémices, qu'il daigne trouver en ces mots le témoignage de notre gratitude.

Les enseignants du Département de science politique nous ont outillé quant à l'exploration des différents aspects de notre objet. Nous espérons ne nous être pas trop éloignés de leurs précieux conseils ; le contraire n'étant pas entêtement, mais a contrario affirmation de notre propre personnalité scientifique.

Sévérine Dégée, d'Avocat sans frontière, mérite un témoignage particulier. Sans nous connaître, elle nous a permis de disposer des rapports de terrain rédigés au Rwanda par les experts de son organisation.

Une reconnaissance singulière va à l'endroit de Martiens Schotsmans, spécialiste des justices traditionnelles et transitionnelles. Nos échanges ont certes été de courte durée, mais ils furent si riches en enseignement.

Les mots du présent produit final ayant été en grande partie trouvés durant notre séjour au Ghana, nous sommes très reconnaissant du soutien linguistique (pour les documents en anglais) et moral des amis du Kofi Annan International Peacekeeping Training Centre.

Pendant la relecture, nous avons bénéficié de l'écoute active et des commentaires des amis rencontrés à New Delhi en Inde. A Russel de Papoisie Nouvelle Guinée et Hanny du Vietnam, merci pour la leçon de vie : l'idéal de paix transcende les frontières des Etats nations.

Nous n'oublions pas les facilitateurs de l'impression du texte et autres lecteurs critiques : Emmanuel, Germain, Philomène, Priscille, Désiré, Magui, Dominique.

A tous les camarades de promotion qui ont, de par leurs touches, contribué à améliorer le manuscrit, vous avez montré que recherche et solitude sont aux antipodes, et que ce n'est qu'au travers des échanges nourris que l'on parvient à faire oeuvre scientifique. Votre participation à ce texte constitue une grande leçon d'humilité.

Merci enfin à tous les anonymes contributeurs directs et indirects. Puisse ceux-ci se reconnaître dans ce mémoire et partager avec nous, la vision que loin d'être un achèvement, celui-ci demeure plutôt un commencement.

ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES

1. ANC : African National Congress

2. APLA : Azanian People's Liberation Army

3. APR : Armée Patriotique Rwandaise

4. ASF : Avocat Sans Frontière

5. CEEAC : Communauté Economique des Etats d'Afrique centrale

6. CF : Confère

7. CICR : Comité International de la Croix Rouge

8. CIO : Comité International Olympique

9. CNRS : Centre National de Recherche Scientifique

10. CPI : Cour Pénale Internationale

11. CS : Conseil de Sécurité

12. CVR : Commission Vérité et Réconciliation

13. DEA : Diplôme d'Etudes Approfondies

14. FAR : Forces Armées Rwandaises

15. FPR : Front Patriotique Rwandais

16. FRR : Forces Révolutionnaires du Rwanda

17. F rw : Franc Rwandais

18. HCR : Haut Commissariat aux Réfugiés

19. IKP : Inkata Freedom Party

20. MINUAR : Mission des Nations Unies au Rwanda

21. MK : Umkhonto we Sizwe

22. N° : Numéro

23. NEC : National Executive Council

24. NWC : National Working Committee

25. OING : Organisation Internationale Non Gouvernementale

26. ONG : Organisation Non Gouvernementale

27. ONU : Organisation des Nations Unies

28. PDR : Parti Démocratique Rwandais

29. PN : Parti National

30. PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

31. PR : Président de la République

32. PUF : Presse Universitaire de France

33. RC : Réseau des Citoyens

34. RDA : Rassemblement Démocratique Africain

35. RFSP : Revue Française de Science Politique

36. RICR : Revue Internationale de la Croix Rouge

37. RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines

38. TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda

39. TPIY : Tribunal Pénal International pour l'ex Yougoslavie

40. UNESCO : United Nations Educational Social and Cultural Organisation

41. USAID : United States Agency for International Development

42. Vol: Volume

LISTE DES TABLEAUX ET SCHEMAS

Tableau 1 : Les effectifs des personnels judiciaires au Rwanda entre 1994 et 1996.........................................................................................................26

Tableau 2 : Les membres de la Commission vérité et réconciliation....................................................................................................................59

Schéma 1 : Schéma simplifié du génocide et du processus de réconciliation au Rwanda...................................................................................................101

Schéma 2 : Schéma simplifié de l'apartheid et du processus de réconciliation en Afrique du Sud .............................................................................................................102

LISTE DES ANNEXES

Annexe 1 : Affiche de recherche pour le TPIR.....................................................107

Annexe 2 : Extrait des statuts de la RTLM..........................................................108

Annexe 3 : Rapport final de la Conférence de l'OIF de 2005 sur la réconciliation et la lutte contre l'impunité .......................................................................................110

Annexe 4 : La structure de la CVR..................................................................118

ABSTRACT

ABSTRACT

Forgiveness and justice are two concepts which could be wrongly considered as antonymous. In African post conflicts societies, sometimes the way used to tackle issues jeopardizing reconstruction efforts is to bring formal enemies to forgive each others. The problem emphasized in the present work is to compare the two concepts, regarding their utilization in South Africa and Rwanda. Two dimensions are included in our analysis: actors and institutions. Furthermore, we compare their role both in internal and external levels.

In the first chapter, we try to identify different actors and institutions of justice in the two countries. The second chapter's aim is to analyse the processes of political forgiveness. The third one scrutinizes interactions between actors and institutions in the domestic and international levels, not forgetting the interactions between those who are within the two States and those who are from outside. The final chapter draws the link between violence, reconciliation and the victim's memory.

At the end of the day, we realize that justice and forgiveness must go together in order to reach sustainable results. Justice must not be only to punish those who committed crimes, as forgiveness shall not lead to forget the past. The two choosen countries show us that results of initiatives taken depend on the environment, the sense given to the actions, and the willing of victims, who are active actors of forgiveness.

Whereas in South Africa the choice has been to avoid punitive justice, in Rwanda it was the contrary. It was crucial for Stakeholders of this country to punish those who were convicted to have been perpetrators of genocide. This is why the transitional justices in the two cases are quite different. In Rwanda, the «gacacas» courts applied a `' justice-forgiveness'' whereas in South Africa, the Truth and reconciliation Commission was promoting a `'forgiveness-justice''.

RESUME

Le pardon et la justice sont deux modalités à travers lesquelles peut se faire la réconciliation après un conflit. Pendant que la première vise à absoudre les bourreaux de leurs crimes et à exprimer de l'empathie à leur égard pour avancer vers la sociabilité, la deuxième quant à elle milite pour la sanction de la responsabilité des auteurs des crimes passés. L'Afrique du Sud et le Rwanda nous ont offert l'occasion de voir l'imbrication de ces deux processus autour de l'objectif global de ne pas encourager l'amnésie juridique, tout en prônant de tourner la page du passé et de réécrire l'histoire. Ainsi, l'on peut envisager l'émergence des catégories nouvelles en termes de « pardon-justice » et de « justice-pardon ».

Le sujet a été articulé autour de deux niveaux d'analyse : les acteurs et les institutions aux plans interne et externe. Nous avons analysé leurs configurations et leurs apports dans la reconfiguration des deux sociétés. Les interactions entre ces acteurs et institutions révèlent une coproduction du travail de réécriture de l'histoire et d'influence des mémoires. Les limites relevées quant à la portée du pardon et de la justice ne sont pas de nature à invalider leur pertinence. Aussi avons-nous mis en évidence le fonctionnement des instances de justices transitionnelles dans les deux pays ; lesquelles procèdent d'un parlementarisme traditionnel par le bas (Rwanda) et d'une institutionnalisation par le haut (Afrique du Sud).

* 1 Le hutu est considéré comme un être humain ayant un nez épaté et une taille moyenne tandis que le tutsi a un nez fin et une grande taille.

* 2 Jean Pierre Chrétien essaye d'étudier ce phénomène sous l'angle comparatiste : « Pluralisme politique et équilibre ethnique au Rwanda et au Burundi », Enjeux nationaux et dynamiques régionales dans l'Afrique des Grands Lacs, Lille, Université des sciences technologiques, 1992.

* 3 Lire Jacques Sémelin, « Du massacre au processus génocidaire », Revue internationale des sciences sociales, décembre 2002. Ben Kiernan et Robert Gellaty, Spectre of genocide: mass murder in a historical perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

* 4 Bertand Jordane, Rwanda. Le piège de l'histoire. L'opposition démocratique avant le génocide (1990-1994), Paris, Karthala, 2000, p.12.

* 5 Bertand Jordane, op.cit ; p13.

* 6 Lire F. Reyntjens, Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l'histoire, Paris, Bruxelles, 1995

* 7 Cf. le Rapport S/ PV.3371 du 30 avril 1994, p.2.

* 8 Voir infra.

* 9 S/Res/918 (1994) du 17 mai 1994, 10e considérant.

* 10 Celle-ci fut créée le 05 Octobre 1993 par la résolution 972 du Conseil de Sécurité.

* 11 Cinq chefs d'accusation ont en effet été retenus contre ce Sénateur et ancien vice-président de la République Démocratique du Congo le 17 juin 2009.

* 12 Ancien Président libérien dont le procès s'es ouvert à la Hayes le 4 juin 2007.

* 13 Il le fut par la Belgique en septembre 2005, en vertu de la loi de compétence universelle.

* 14 Robert T Hennemeyer, « Forgiveness in conflict resolution : Reality and Utility- The Bosnian Experience » in : Three Dimensions of Peacebuilding in Bosnia: Finding from USIP-Sponsored Research and Field Projects, Steven M. Riskin,éd, Washington, United States Institute of Peace, p.38. Ces auteurs ont en effet une conception religieuse et éthique du pardon.

* 15 William Bole, Drew Christiansen, Robert T. Hennemeyer, Le pardon en politique internationale. Un autre chemin vers la paix, Paris, Nouveaux Horizons, 2007, pp. 44-45.

* 16 Op.cit ; p.4.

* 17 Baker, in Woodstock Colloquium, Forgiveness in Conflict Resolution, Reality and Utility, The Northern Ireland Experience, P.19.

* 18 Shriver, An Ethic for Enemies: Forgiveness in Politics, New York, Oxford University Press, 1995, p.9.

* 19 Raymond Guillien et Jean Vincent (dir), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2003, p.344.

* 20 Mokhtar Lakehal, Dictionnaire de science politique, 2e ed, Paris, l'Harmattan, 2005, p.232.

* 21 Rapport du Secrétaire Général de l'ONU, sur le rétablissement de l'état de droit et l'administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit, S/2004/616, paragraphe7.

* 22 Paroles prononcées en 2002, à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de la paix.

* 23Gilles Ferréol, Philippe Cauche, Jean-Marie Dupez, Nicole Gadrey, Michel Simon, Dictionnaire de Sociologie, Paris, Armand Colin, 1991, p. 32.

* 24 Op. cit ; pp. 92-93.

* 25Pietro Verri, Dictionnaire du droit international des conflits armés, CICR, Génève, 1988, p. 36-37.

* 26 Gilles Ferreol (dir), op.cit ; p.95.

* 27 Op.cit ; p. 220.

* 28 Michel Crozier et Erhard Friedberg, L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p. 22.

* 29 Michel Crozier et E. Friedberg, op.cit ; p. 43.

* 30 Madeleine Grawitz définit l'acteur comme celui qui agit en dehors du sens usuel. Il peu être un individu, un groupe ou même une institution auxquels un rôle est assigné. In : Lexique des sciences sociales, 7e éd, Paris, Dalloz, 2000.

* 31 Pour Madeleine Grawitz, la construction de l'objet est un des points essentiels et les plus difficiles de la recherche, le fondement sur lequel tout repose. In : Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 11e éd, 2001, p. 382.

* 32 Voir infra.

* 33 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 106.

* 34 Michel Beaud définit la problématique comme « l'ensemble construit, autour d'une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d'analyse qui permettent de traiter le sujet choisi ». In : L'art de la thèse, Paris, La Découverte/Syros, 2001, p.32.

* 35 Elle est définie par Madeleine Grawitz comme une proposition de réponse à la question posée. Elle tend à formuler une relation entre des faits significatifs. Op cit ; p. 398.

* 36 Il s'oppose à l'individualisme méthodologique et prône la prééminence du tout sur les parties. Les interprétations sont faites de manière globalisante. Les effets de système sont importants ici. Voir Gilles Ferréol (Sous dir), Dictionnaire de sociologie, 3e éd, Paris, Armand Colin, 2004, p. 85.

* 37 La vision des nouvelles sociologies favorise notre inclusion de ces deux niveaux d'analyse. L'individualisme méthodologique a été développé par des auteurs comme Popper, Hayek, Piaget, pour souligner que tout fait social n'est que la résultante de l'interaction d'un ensemble de comportements individuels. La dimension intentionnelle et stratégique des acteurs est prise en compte en priorité. In : Gilles Ferréol (Sous dir), Dictionnaire de sociologie, op.cit ; p. 93.

* 38 Pour aller plus loin, lire Ronald H. Chicote, Theories of Comparative Politics. The search for a paradigm,Westview Press. Bertrand Badie et Guy Hermet, La politique comparée, Paris, Armand Colin, 2001. Institut d'Etudes Politiques de Bordeaux, Faire de la politique comparée au XXIème siècle, Colloque RIPC, 21,22, 23 février 2002. Cécile Vigour, La comparaison dans les sciences sociales. Pratiques et méthodes, Paris, La Découverte, 2005.

* 39 Pour Gordon Mace et François Pétry, la collecte de l'information est une étape importante du travail empirique parce qu'elle fournit l'élément de base pour la vérification de l'hypothèse. In : Guide d'élaboration d'un projet de recherche en science sociale, Bruxelles, De Boeck Université, 3e ed, p89.

* 40 Norbert Elias, Engagement et distanciation. Contribution à la sociologie de la connaissance, Paris, Fayard, 1993.

* 41 Michel Beaud, op.cit; p.50.

* 42 Voir Sven Steino et al, Structuring Politics: historical Institutionalism in comparative Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

* 43 Lire André Lecours, « L'approche néo institutionnaliste en science politique : unité ou diversité ? », Politique et société, vol 21, n°3,2002, pp.3-19.

* 44 C'est le cas de Gabriel Almond, « The return of the State », American Political Science Review, vol 82, 1998, pp. 853-874.

* 45 Il rend compte du conditionnement des phénomènes politiques par des données relevant du contexte extérieur aux acteurs. Ceux-ci perdent le contrôle sur des dynamiques créées par les institutions. Pour aller plus loin, Colin Hay et Daniel Wincott, « Structure, Agency and historical Institutionnalism », Political Studies, vol 46, 1998, pp. 951-957.

* 46 James March et Johan Olsen, Rediscovering Institutions, New York, Free Press, 1989. Paul di Magio, et Walter Powell, Powell, The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1991.

* 47 Peter Berger et Thomas Luckmann, The social construction of Reality, New York, Double day, 1966, p.87.

* 48 Pierre Bourdieu, « Espace social et pouvoir symbolique », chose dite, Paris, Minuit, 1987

* 49 Lire Erving Gofman, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, ed de Minuit, 1973. Les rites d'interaction, Paris, ed de Minuit, 1974.

* 50 Pour aller plus loin, J. M. De Quieres, M. Ziolkowski, L'interactionnisme symbolique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1994. Anselm Strauss, Miroirs et masques. Une introduction à l'interactionnisme, Paris, Métaillé, 1922.

* 51 John Rawls, Justice et démocratie, Paris, Seuil, 1993, p.33.

* 52 Voir infra, chapitre 3.

* 53 Anne Cécile Robert, « Au Rwanda, vivre avec le génocide », Manière de voir, n°55, Janvier-Février 2001, p.77.

* 54 Il s'agit notamment d'une ONG belge, dont l'acronyme voudrait dire réseau de citoyens.

* 55 Frédéric Mutagwera, « Détention et poursuites judiciaires au Rwanda », in : Jean-François Dupaquier (sour dir), La justice internationale face au drame rwandais, Paris, Karthala, 19996, pp. 18-19.

* 56 La loi organique portant création du Barreau au Rwanda est celle n° 3/97 de mars 1997.

* 57 Ibid.

* 58 Voir Jean François Dupaquier (sous dir), op.cit ; p. 38.

* 59 Marc Osiel, s'inspirant de Durkheim, analyse le rôle du procès dans la réactivation de la solidarité sociale. Le procès fournit l'occasion à une société de se réunir et de communier dans un même rejet du crime et une même réprobation du criminel. Mais le problème consiste à s'entendre sur un récit unique de ce crime et sur une imputation consensuelle des torts. Dans le contexte actuel de démocratie libérale, la pluralité d'opinions et la liberté de pensée sont consacrées. Osiel parle de « solidarité discursive » pour rendre compte du fait que les procès peuvent mettre en scène de manière pacifique les désaccords. Ces procès publics stimulent les débats publics et servent à promouvoir les vertus démocratiques de tolérance, de modération, et de respect civil. Lire Marc Osiel, Juger les crimes de masse. La mémoire collective et le droit, Paris, Seuil, 2006.

* 60 Voir supra.

* 61 Article 165, alinéa 1 de la constitution.

* 62 Article 168 de la constitution.

* 63 Article 169 de la constitution.

* 64 Article 178.

* 65 Celui-ci était miné par des problèmes tels que la corruption, l'insuffisance des effectifs, l'incompétence des acteurs, la main mise de l'exécutif. Voir le Rapport dressé par les professionnels de ce secteur : La place de la justice et le rôle du magistrats dans l'édification d'un Etat démocratique, Ed Ministère de la justice, Kigali, 1992.

* 66 Voir Martiens Schostmans, Rapport d'évaluation mi- parcourt du projet Appui au développement de l'Etat de droit et de la démocratie au Rwanda, mars-mai 2004.

* 67 Dans une perspective plus large, lire Eric Gillet, « Le génocide devant la justice », Temps modernes, n° 583, juillet-Août 1995 ; Alphonse Marie Nkubito, « Le rôle de la justice dans la crise rwandaise », in André Guichaoua, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994), Paris, Karthala, 1995.

* 68 Loi n° 09/2007 du 16/02/07 portant attribution et fonctionnement de ladite Commission.

* 69 Pour d'amples détails, voire la loi n° 07/2004 du 25/04/2004 portant code d'organisation, fonctionnement et compétence judiciaires (J.O n°14/2004 du 15 juillet 2004).

* 70 Jean-François Dupaquier, op.cit ; pp.39-40. Parmi ces partenaires, le RC ou réseau des citoyens, le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme.

* 71 Ces derniers ont été offerts à chaque chef de parquet (Pick up Toyota). L'Unicef a donné un second au Parquet de Kigali.

* 72 122 motocyclettes furent octroyées par le PNUD et le HCR au bénéfice des inspecteurs de police judiciaire. Voir Jean François Dupaquier, op.cit ; pp. 39-43.

* 73 William Bourdon et Emmanuelle Duverger, La CPI. Le statut de Rome, p.307.

* 74 William Bourdon, Emmanuelle Duverger, op.cit ; p.9.

* 75 En Afrique du Sud, la société civile avait des connexions externes qui ont favorisé son plaidoyer dans la réconciliation.

* 76 Dans bon nombre de ces pays en effet, ce qui est en jeu ce ne sont pas des hommes forts, mais plutôt des institutions fortes. En plus, ces pays ont une riche tradition de respect des institutions internationales, chargées de collectiviser leurs intérêts. Ceci ne revient pas à postuler que les pays de tradition française n'ont pas suffisamment ritualisé l'institutionnalisation dans leurs habitus démocratiques.

* 77 Des procès y ont aussi eu lieu. C'est le cas de l'affaire Ntuyaga du 19 avril 2007. Mais deux autres procès ont lieu plus tôt, à savoir celui de 2001 dit des `'Quatre de Butare'' et celui de 2005 impliquant Etienne Nzabonimana et Samuel Ndashyikirwa.

* 78 Ce pays s'est fixé pour objectif, par ailleurs, de poursuivre les auteurs du meurtre de 9 casques bleus belges, ainsi que les auteurs du génocide se trouvant sur son sol. C'est ainsi que, s'agissant du premier objectif, Bernard Ntuyahaga, un officier rwandais, a été condamné à 20 ans de prison.

* 79 Affaire Wenceslas Munyeshyaka, et Laurent Bucyibaruta.

* 80 Cf l'ordonnance du 16 février 2006. Les mis en cause étaient des civils et militaires impliqués dans l'opération Turquoise.

* 81 Voir supra

* 82 Htpp://fr.wikipedia.org/wiki/Avocats_sans_fronti, consulté le 20 septembre 2009.

* 83 Jean-François Dupaquier et alie, op. cit ; p. 40.

* 84 Op ;cit ; p.25 26.

* 85 Pour aller plus loin, lire Rakadomanana, H : « Le Tribunal international pour le Rwanda », Rwanda, Un génocide du XXe siècle, P. 15.

* 86 Op.cit ; p. 75.

* 87 CS/Res/977(1995). Voir les autres résolutions en page 128.

* 88 Cf. S/PV.3453 du 08 novembre 1994, p.16.

* 89 Consulter Frédéric Mégret, Le TPIR, Paris, Pedone, 2002, p. 13. Voir article 6 du Statut du TPIR.

* 90 Article 2 du Statut du TPIR.

* 91 Article 3 du Statut.

* 92 Pour aller plus loin, Emmanuel Décaux, « La mise en place des juridictions pénales ad hoc », in R Verdier, E Décaux, JP Chrétien, Rwanda, un génocide du XXe siècle, Paris, Harmattan, 1995

* 93 Voir pour plus de détails Jean François Dupaquier et alie, op.cit ; pp. 77-78.

* 94 Article de son règlement.

* 95 Article 125 du règlement du TPIR.

* 96 Article 96 de son règlement.

* 97 Pour aller plus loin sur la politique juridique du TPIR, lire P. Akhavan, « The International Criminal Tribunal for Rwanda: The politics and pragmatics of punishment », American Journal of International Law, vol. 90, 1996, pp. 506 et ss. Marshal, Roland, « Justice internationale et réconciliation nationale. Ambiguïtés et débats », Politique africaine, n°92, décembre 2003.

* 98 Pour avoir un aperçu des résolutions adoptées à cet effet en 1994, se rapporter à la page 128.

* 99 Op.cit ; p. 245.

* 100 Sandrine Lefranc, Les politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p. 15.

* 101 Woodstock Colloquim, Forgiveness in Conflict Resolution: Reality and Unity, pp.28-29.

* 102 Bole, Christiensen, Hennemeyer, Le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la paix, op.cit ; p. 76

* 103 Les tutsi étaient effectivement assimilés aux cafards et donc, ils devaient être exterminés.

* 104 Il s'agit des stades, des écoles, des Eglises, etc.

* 105 Le viol a été en effet reconnu comme un crime contre l'humanité, dans l'affaire LE PROCUREUR contre JEAN PAUL AKAYESU (affaire N.ICTR-96-4-T) de septembre 1998. Le TPIR a défini le viol comme une forme d'agression, manifestée par une pénétration sexuelle non consensuelle commise sur la personne d'autrui. Il peut consister en l'introduction d'objets quelconques dans les orifices du corps d'autrui. Ceux-ci ne sont pas considérés comme ayant une vocation sexuelle intrinsèque et /ou l'utilisation de tels orifices dans un but sexuel. Il est utilisé à des fins de dégradation, d'humiliation et de discrimination, de sanction et de contrôle ou de destruction d'une personne. Un viol est donc une invasion physique de nature sexuelle sous l'empire de la contrainte. Dans le cas d'espèce, l'accusé avait ordonné aux Interhamwe de déshabiller une élève et de la forcer à faire la gymnastique toute nue devant une foule. Des actes de viol multiples furent commis sur des dizaines de filles et femmes près d'un bureau communal. Ces femmes étaient par la suite tuées. Lire par ailleurs Bolya, La profanation des vagins. Le viol comme arme de destruction massive, Paris, Edition du Rocher, 2005.

* 106 Juste à titre de panorama des événements et du rôle de l'ONU, lire le témoignage de Roméo Dallaire alors représentant militaire de l'Onu au Rwanda au moment des faits ; pendant que le Camerounais Jacques Roger Booh Booh était responsable diplomatique de la MNUAR : J'ai serré la main du diable, la faillite de l'humanité au Rwanda, Paris, Libre expression, 2003.

* 107 Dans une population de 48,7 millions d'habitants en 2008, les noirs représentent 79,2%, les blancs 9,2%, les métis 9% et 2,6% pour les indiens.

* 108 Desmond Tutu, Il n'y a pas d'avenir sans pardon, Paris, Albin Michel, 2000, p. 30.

* 109 Elle renvoie à la qualité propre au fait d'être un être humain, une pratique de l'humanité mutuelle. Voir R Porteilla, « Afrique du Sud, dix ans de démocratie, entre rêve et réalité », Consulté en ligne, www.institudrp.org, le 15 Août 2009.

* 110 De manière fondamentale, l'on peut regrouper dans la catégorie''bourreau'' les bras armés (FAR et milices), l'administration (préfets, bourgmestres, conseillers communaux) et les exécutants divers.

* 111 Cette radio fut lancée le 8 juillet 1993.

* 112 Danielle Helbig, Jacqueline Martin, Michel Majoros, Rwanda, documents sur le génocide, Bruxelles. Éd. Luc Pire, 1997, p. 41.

* 113 Pour une étude complète sur la question, lire Jean Pierre Chrétien, « Presse libre et propagande raciste au Rwanda », Politique africaine, n° 42, juin 1991. Voir aussi : Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995

* 114 Lire David Ambrosetti, La France au Rwanda. Un discours de légitimation morale, Paris, Karthala, 2001. Bernard Lugan, François Mitterand, l'armée française et le Rwanda, Paris, Ed du Rocher, 2005. François-Xavier Vershave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, Paris, Découverte, 1994. Toutefois, la réouverture en décembre 2009 des relations diplomatiques entre les deux pays pourrait laisser poindre à l'horizon plus de convivialité entre les deux Etats, ainsi qu'un consensus sur la vérité historique.

* 115 En effet, le terme Apartheid dérive de cette langue et veut dire développement séparé.

* 116 Abderrahamane N'Gaide, « Se réconcilier, juger ou pardonner ? Les Mauritaniens face à leur histoire », Bulletin du Codesria, n°3 et 4, 2006, p.41.

* 117 Op.cit ; p.26.

* 118 Op.cit ; p. 76.

* 119 Bole, Christiansen, Hennemeyer, Le pardon en politique internationale..., op.cit ; p 80.

* 120 Celle-ci fut créée par la loi n°03/99 du 12/03/1999.

* 121 L'importance de la place des Eglises dans la société rwandaise est bien lointaine. Dès le mouvement de `'tutsification du Rwanda'' analysé par Bernard Lugan, l'Eglise catholique a affirmé sa préférence en soutenant les tutsi. Les premières traces de ce choix peuvent être vues à travers une lettre de Monseigneur Classe en 1927, dans laquelle le prélat préconise à l'administration coloniale qu'il soit confié aux tutsi les fonctions officielles. Des jeunes tutsi sont très tôt formés dans des écoles missionnaires pour devenir la future élite locale. En conséquence, un ethno nationalisme hutu est né. In : Bernard Lugan, Rwanda. Le génocide, l'Eglise et la démocratie, Paris, ed du Rocher, 2004, pp 40 et ss.

* 122 Pendant le génocide, les tutsi qui s'y sont réfugiés ont trouvé la mort et y ont été ensevelis. Aujourd'hui l'impact des balles et le sang sur les murs encore présents participent de la perpétuation de la mémoire de ces événements.

* 123 Voir sa bibliographie dans www.wikipedia;org/wiki/paul_kagame+bibliographie+be+paul+kagame, consulté le 11 septembre 2009.

* 124 Pour aller plu loin, voir http://fr.encarta.msn.com, `'Bizimungu pasteur'' Encyclopedia Microsoft, en ligne, consulté le 11 septembre 2009.

* 125 Ces mots sont exactement ceux qu'il prononça 28 années auparavant, lorsqu'il fut condamné à perpétuité.

* 126 Celui-ci était notamment le fondateur du `'Black Consciousness Movement''.

* 127 Nous faisons allusions à l'antériorité des CVR en Amérique du Sud, notamment au Chili, en Argentine, etc.

* 128 Sur la question des justices transitionnelles en général, lire utilement Pierre Hazan, « Mesurer l'impact des politiques de châtiment et de pardon : plaidoyer pour l'évaluation de la justice transitionnelle, Revue Internationale de la Croix Rouge, vol 88, n°861, mars 2006, pp. 343-365. L'auteur les considère comme moyen de défense d'un socle civilisationnel et fragile espoir d'un monde meilleur.

* 129 Voir supra. Néanmoins, les capacités de la justice classique sont considérablement améliorées sur le plan des effectifs des personnels, de leur formation, et des infrastructures. La population carcérale est demeurée un problème crucial. Ainsi, 120000 personnes étaient détenues pour crimes de génocide et crime contre l'humanité. En 1997, le Rwanda a dépensé, selon les sources du ministère de la justice, 982000000000 Francs rwandais pour l'achat des vivres des détenus ; ce qui représentait les 2/3 du budget de ce ministère. Le CICR a dû compléter car cette somme était insuffisante. En 1999, le montant fut ramené à 1500000000 F rw, soit plus de la moitié du budget alloué au ministère de la justice, à savoir 3800000000 Frw.

* 130 Sur des thématiques similaires, C. Ntampaka, « Le retour à la tradition dans le jugement du génocide rwandais: le gacaca, justice participative », Bulletin de l'Académie royale des sciences d'Outre-me, n° 48, 2002, pp. 419-455. Cet auteur est un juriste.

* 131 Peter Uvin, «Case study, the gacaca Tribunals in Rwanda», Journal of International Criminal Justice, Vol 3, n°4, 2005, pp. 896-919.

* 132 Voir la loi n° 40/2000 modifiée par la loi n° 16/ 2004.

* 133 Voir la loi n° 16/2004 en ses articles 4 et suivants.

* 134 Article 5 et suivants de la loi n° 16/2004 du 19/05/2004.

* 135 Consultez à cet égard le site officiel du département des juridictions gacacas de la Cour Suprême, et le document intitulé : Les juridictions gacacas comme solution alternative au règlement du contentieux du génocide. www.inkiko-gacaca.gov.rw.

* 136 Voir infra.

* 137 Pour une critique des gacacas, lire Filip Reyntjens, «Le gacaca ou la justice du gazon au Rwanda», Politique Africaine, «Le Droit et ses Pratiques», n°. 40, décembre 1990, pp. 31-44

* 138 Voir le site officiel du département « gacaca » au ministère de la justice, op.cit.

* 139 Voir Alex Boraine, A country Unmasked: Inside South Africa Truth and Reconciliation Commission, Oxford and New York, Oxford University Press, 2000. L'auteur parle de trois types de vérité: la vérité factuelle menée avec impartialité. Elle nécessite la coopération des organes de répression (armée, police, milice), le rôle de l'Etat est central car celui-ci peut conférer à la Commission un pouvoir d'injonction. La vérité personnelle qui produit un effet de catharsis de celui qui l'énonce, elle varie en fonction des victimes, témoins, bourreau. La vérité dialogique ou sociale vise à éclairer les responsables politiques des crimes commis, produit un débat dans la société et l'émergence d'un consensus sur le passé.

* 140 Amy Ross, « Les politiques de vérité ou la vérité sur les politiques ? Amérique du Sud : leçons d'expérience »,

* 141 Voir l'article de l'historien politique Timothy Garton, « La Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud », Esprit, n° 238, décembre 1997, pp. 44 -72

* 142 Pour aller plus loin, lire Dominique Darbon, « La Truth and réconciliation Commission. Le miracle Sud africain en question », RFSP, vol 48, n° 6, décembre 1998, pp.707-727.

* 143 Il s'agira, d'un point de vue conceptuel, de révéler la vérité au bénéfice des victimes. Celle-ci est considérée comme une forme non judiciaire de gestion politique nationale de la mémoire. Le contexte de la transition politique en constitue l'élément déclencheur. Cette Commission est assise sur un compromis politique et un nouvel esprit public de responsabilité démocratique et de réconciliation. Elle dispose de multiples facettes et fonctionne à travers une démarche logistique et administrative. Voir André du Toit, « La commission vérité et réconciliation Sud africaine. Histoire locale et responsabilité face au monde », Politique africaine, n°92, décembre 2003, pp. 99-103.

* 144 Voir infra.

* 145 Neil J. Kritz, Forgiveness in Conflict resolution, Reality and utility. The experience of the Truth Commissions, , Washington, Woodstock theological Center, 1998 p.5.

* 146 Desmond Tutu, op.cit ; p 18.

* 147 Sandrine Lefranc, op. cit ; p 54.

* 148 Sur l'exemple du Togo, voire la communication présentée par son Président à Yaoundé le 18 novembre 2009, lors de la 2e Conférence régionale sur la justice transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la construction d'une paix durable : Nicodème Barrigah-Benissan, « Commission vérité ou Commission d'établissement des faits ».

* 149 Voir également Audrey R. Chapman et Hugo van der Merwe (eds), Truth and Reconciliation in South Africa: Did the TRC deliver? Philadelphia, University of Philadelphia Press, 2008.

* 150 Op.cit ; p56.

* 151 Pour aller plus loin sur le lien entre l'aveu et le pardon, lire Philippe Moreau Defarges, Repentance et réconciliation, Paris, Presses de Science-po, 1999.

* 152 Antjie Krog, La douleur des mots, Actes Sud, 2004, pp.402-403.

* 153 C.J. Colvin, « overview of the reparations programme in South Africa », Centre for the Study of violence and reconciliation, Witwatersrand University, 2003.

* 154 Op.cit ; pp 105-106.

* 155 « The former South Africa government and its security Forces », Truth and reconciliation Commission of South Africa, Report, 2003, 6(3), pp. 247 et ss.

* 156 Pour aller plus loin, lire Sandrine Lefranc, Les politiques du pardon, Paris, PUF, pp.29-51.

* 157 Il s'agit de rendre compte de ses faits et méfaits.

* 158 Le procès de Bizimungu qui créa un parti politique après avoir démissionné du FPR en est une illustration.

* 159 Sur un aperçu général des Commissions, se rapporter à : Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, Les instruments de l'Etat de droit dans les sociétés sortant d'un conflit. Les Commissions vérités, New York et Genève, 2006

* 160 Frédéric Mégret, Le tribunal pénal international pour le Rwanda, Paris, Pedone, 2002, p. 81.

* 161 Le concept est de Everett L. Worthington, un psychologue. A l'opposé, l'auteur propose la figure des `'têtes froides'' dont le rôle est opposé aux premiers. Cité par Bole et alié, op.cit, p.36.

* 162 Lire à cet égard l'historien Jean Pierre Chrétien, « Presse libre et propagande raciste au Rwanda », Politique africaine, n°42, juin 1991.

* 163 Op.cit ; p.271.

* 164 Sandrine Lefranc, Les politiques du pardon, op.cit ; p.52.

* 165 Idem, pp.52-53.

* 166 Idem, pp 53-54.

* 167 Le 10 mai 1994, dans un discours, il supplia la foule, presque totalement constituée de noirs, de pardonner et proposa que les criminels soient amnistiés.

* 168 Sandrine Lefranc, op.cit ; p. 57.

* 169 Rapport de mars-septembre 2005 sur le monitoring des juridictions gacacas. Phase de jugement. Consulté en ligne dans : info@asf.be, le 23 septembre 2009.

* 170 Op.cit ; p.12.

* 171 Desmond Tutu, Il n' y a pas d'avenir sans pardon, op. cit ; p. 18.

* 172 Cette opération draina 4 avocats Camerounais.

* 173 Voir supra.

* 174 Voir supra

* 175 En réalité le système en vigueur était celui du double degré de juridiction. Les affaires sont supposées réexaminées dans les gacacas d'Appel, mais ceux-ci s'en tenaient presque exclusivement aux qualifications faites dans les gacacas de premier ressort.

* 176 Au départ de cette phase pilote, 1545 gacacas de secteur et autant en Appel étaient concernés.

* 177 Cette disposition énonce que toute personne accusée d'une infraction ne peut pas être forcée de témoigner contre elle-même, ni de s'avouer coupable.

* 178 Lire Mahmoud Mamdani, « Reconciliation without justice », South Africa Review of Books, nov-dec 1996.

* 179 Voir la sociologue Laeticia Bucaille, « Vérité et réconciliation en Afrique du Sud. Une mutation politique et sociale », Politique étrangère, Eté 2007/2, pp. 313-325.

* 180 Voir le Rapport de la CVR, vol 6, p. 4.

* 181 Stephen Ellis, « Vérité sans réconciliation en Afrique du Sud », Critique internationale, n°5, 1999, p127.

* 182 Article 2 du Statut du TPIR.

* 183 Article 3 du Statut du TPIR.

* 184 Article 4 du Statut du TPIR.

* 185 Philippe Mégret, op.cit ; p.85.

* 186 L'intéressé répondait de sept chefs de génocide, de crime contre l'humanité et de pillage. Cet homme était détenu au Cameroun et, selon le TPIR, des irrégularités ont été observées par le Parquet pendant le processus judiciaire de ce pays.

* 187 Op.cit ; pp. 87-88. Dans le cas d'espèce, le Rwanda avait émis un mandat d'arrêt contre cet individu et souhaitait qu'il soit transféré vers ses propres juridictions.

* 188 Pour aller plus loin, lire O. Dubois, « Les juridictions pénales nationales au Rwanda et le Tribunal pénal international pour le Rwanda », RICR, n° 828, 1997, pp. 769 et ss.

* 189 Le premier acte d'accusation émis par ce tribunal date du 8 novembre 1995, notamment contre 8 personnes.

* 190 Les noms des huit personnes arrêtées n'ont pas été révélés. Néanmoins, il est établi qu'ils l'ont été pour avoir participé à des massacres dans quatre sites de la Préfecture de Kibuye entre avril et juin 1994. Deux hommes détenus aujourd'hui en Zambie ont fait l'objet des mandats d'arrêt : Georges Anderson, deuxième vice-président du Comité national des milices Interhamwe, a participé à des massacres dans une école à Kigali et dans une carrière à Nyanza. Il était reproché à Jean-Paul Akayezu d'avoir ordonné des massacres, et commis d'autres actes similaires. Une autre mise en accusation a été faite contre Alfred Musena, détenu en Suisse.

* 191 Philippe Mégret, op.cit ; p. 87.

* 192 Il s'agit de Martin Ngoga.

* 193 Propos rapportés par Joseph Garambe, « Le génocide Rwandais devant la justice internationale », in : http://aircrigeweb.free.fr, consulté le 25 août 2009.

* 194 L'une des illustrations fortes concerne la collaboration entre les « gacacas» et les tribunaux classiques. La catégorisation instituée par la loi organique du 30 août 1996 entraîne un échange entre les deux structures dans la pratique. La catégorie 1 concernait les organisateurs, planificateurs du génocide et des crimes contre l'humanité, les personnes qui ont agi en position d'autorité, les meurtriers de grand renom qui se sont distingués par leur zèle ou leur méchanceté excessive. La catégorie 2 comprenait les auteurs ou complices d'homicides volontaires ou d'atteintes graves contre les personnes ayant entraîné la mort. La catégorie 3 distinguait les personnes coupables d'autres atteintes graves contre les personnes. La catégorie 4 enfin regroupait des personnes ayant commis des infractions contre les propriétés.

* 195 Abderrahmane N'Gaide, « Se réconcilier, juger ou pardonner ? Les Mauritaniens face à leur histoire », Bulletin du Codesria, n° 3 et 4, 2006, p. 42.

* 196 Celle-ci est définie par Valérie Rosoux de deux manières : « Dans le premier cas, la mémoire constitue une trace du passé...on parle à cet égard de poids du passé. Dans le second cas, la mémoire n'est plus une trace, mais une évocation du passé », in : « Rwanda : la mémoire du génocide », Etudes, n°3906, juin 1999 p. 735

* 197 Christine Martin, « Après l'Apartheid, réécrire l'histoire », Manière de voir, Juillet-Août 1998, p. 37.

* 198 Voir Jacques Derrida, Pardonner : l'impardonnable et l'imprescriptible, Paris, l'Herne, 2005. L'auteur soutient que le pardon est lié à un passé qui ne passe pas. Il est irréductible au don que l'on accorde plus couramment au présent. Il va plus loin en écrivant que don et pardon sont liés. Le pardon apparaît donc comme une forme de don. Mais le problème c'est que le don n'est pas neutre. D'où sa conception que l'on pardonne pour affirmer sa puissance. Dès lors, il faut même demander pardon pour avoir pardonné. Pp. 8-9.

* 199 Pour Ricoeur, « l'oubli revêt une signification positive dans la mesure où l'ayant-été prévaut sur le n'être-plus dans la signification attachée à l'idée du passé. L'ayant-été fait de l'oubli la ressource immémoriale offerte au travail du souvenir », in La mémoire, l'histoire, l'oubli, op.cit ; p.106.

* 200 Les options de `'justice-pardon'' et de `'pardon-justice'' peuvent expliquer cette différence.

* 201 Henri Rousso, La hantise du passé, Paris, Textuel, 1998.

* 202 Celle-ci est différente de la mémoire heureuse et apaisée dont parle François Dosse, « Paul Ricoeur : entre mémoire, histoire et oubli », Cahiers français, n°303, juillet-août 2001, p.16.

* 203 Abderrahmane N'Gaide, « Se réconcilier, juger ou pardonner ?... », op.cit ; p. 42.

* 204 Frédéric Mutagwera, « Détentions et poursuites judiciaires au Rwanda », in : La justice internationale face au drame rwandais, op.cit ; p.17.

* 205 Jean François Dupaquier (sous dir), La justice internationale face au drame rwandais, op.cit ; p. 10.

* 206 Sandrine Lefranc, op.cit ; p. 18.

* 207 Op. cit ; p. 17.

* 208 Voir Valérie-Barbara Rosoux, « Rwanda : la mémoire du génocide », Etudes, juin 1999, pp. 731-734.

* 209 Frédéric Mutagwera, op.cit ; p. 17.

* 210 Sur la mémoire collective, lire Maurice Halbawachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997, p. 48. L'auteur identifie ses éléments. Il s'agit des formes socialisées de la présence du passé et de la transmission (traditions, souvenirs, notions, enseignement, symboles). Voir aussi Pierre Nora, « La mémoire collective », .Histoire, n°2, juin 1979, pp. 9-32. Celui-ci définit la mémoire collective de la manière suivante : « En première approximation, la mémoire collective est le souvenir ou l'ensemble de souvenirs, conscients ou non, d'une expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l'identité de laquelle le passé fait partie intégrante ».

* 211 Forcés de vivre en exil, pour certains pendant plusieurs générations, ils ont été socialisés dans la posture de victimisation et donc, de contre pardon.

* 212 Bole, Christiansen, Hennemeyer, Le pardon en politique internationale..., op. cit ;p. 14.

* 213 Op.cti ; p. 40.

* 214 Loi n°09/2007 du 16 février 2007 portant attribution et fonctionnement de la Commission nationale de lutte contre le génocide. Son avènement, postérieur à notre période d'étude, mérite d'être signalé. Cette loi a prévu, en son article 4, les attributions ainsi énumérées : organiser une réflexion permanente sur le génocide, ses conséquences et les moyens de l'éradiquer, mettre en place un centre de recherche et de documentation sur le génocide, plaider la cause des rescapés du génocide à l'extérieur comme à l'intérieur du pays, arrêter les stratégies de lutte contre le génocide et l'idéologie génocidaire, mobiliser les aides en faveur des rescapés du génocide et continuer les plaidoyers pour les dommages et intérêts, arrêter les stratégies contre le révisionnisme, le négationnisme, et la banalisation du génocide, arrêter les stratégies de lutte contre le traumatisme, et les maladies qui découlent du génocide, entretenir des relations avec d'autres institutions nationales et internationales qui partagent les mêmes missions.

* 215 Jacques Derrida penserait autrement de la finalité de telles mesures. Dans son ouvrage déjà cité, il écrit en page 23 que le pardon est impossible et il ne le faut pas. Jankélévitch pour sa part, tout en affirmant que le pardon est mort dans les camps de mort, estime qu'il est néanmoins possible dans un cas : lorsque demandé et non imposé. Toutefois, il demeure improbable selon la gravité du crime.

* 216 Julie Saada-Gendrom, La tolérance. Textes choisis, Paris, Flammarion, 1999, p. 187.

* 217 Pour en avoir une idée, signalons le `'population registration Act'' de 1950. Cette loi donnait la catégorisation humaine ci-après: A White person is one who is in appearance obviously white - and not generally accepted as Coloured - or who is generally accepted as White - and is not obviously Non-White, provided that a person shall not be classified as a White person if one of his natural parents has been classified as a Coloured person or a Bantu ... A Bantu is a person who is, or is generally accepted as, a member of any aboriginal race or tribe of Africa ... a Coloured is a person who is not a white person or a Bantu. Il y avait le `'Group areas Act'' de 1950, le `'Prohibition of Mix Mariage Act'' de 1950, `'Immorality amendment Act'' de 1950, `'Suppression of Communism Act'' de 1950, `'Separate Amenities Act'' de 1953, `'Bantou education Act'' de 1953, `'Extension of University Education Act'' de 1959, etc.

* 218 Vol 1, chapitre 5, paragraphe 52.

* 219 C. Marx, « Ubu and Ubuntu : on the dialectics of apartheid and nation building », Politikon, 29 (1), 2002, pp. 49-69.

* 220 Vol 1, chapitre 5, paragraphe 88 du rapport.

* 221 Vol 1, chapitre 5, paragraphe 100.

* 222 Antjie Krog, La douleur des mots, op.cit ; p. 401.

* 223 Introduction au rapport de la CVR, 19e alinéa.

* 224 Rapport de la CVR, vol 2, chapitre 3, paragraphe 1.

* 225 Vol 2, chapitre 3, paragraphe 115. Pour Derrida, un tel panorama de violence contredit même l'idée de pardon. Il écrira : « Quand le crime est trop grave, quand il franchit la ligne du mal radical, voire de l'humain, quand il devient monstrueux, il ne peut plus être question de pardonner, le pardon devant rester, si je puis dire, entre hommes, à la mesure de l'humain ». In Jacques Derrida, L'impardonnable et l'imprescriptible, op.cit ; p. 24.

* 226 Volume 2, chapitre 4, Paragraphes 2 et ss.

* 227 Rapport de la Commission, Historical and legislative origins, alinéa 18.

* 228 Voir supra.

* 229 Il fut signé le 19juillet 1995 et rentra en vigueur le 1er décembre de la même année.

* 230 Pour aller plus loin, consulter Stephane Leman-Langlois, « La mémoire et la paix, la notion de « justice post conflictuelle » dans la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud », Déviance et société, 27 (1), 2003, pp.145-166.

* 231 Préface, in : William Bourdon, Emmanuelle Duverger, La cour pénale internationale. Le statut de Rome, p. 9.

* 232 Ibid.

* 233 Le rapport intérimaire du Comité Amnistie le note implicitement dans ses points 16 à 22.

* 234 Sandrine Lefranc, Les politiques du pardon, op.cit ; p. 10.

* 235 Benjamin Stora, La gangrène de l'oubli, Paris, La Découverte, 1998, p. 283. Cité par Valérie Rosoux, op.cit ; p. 737.

* 236 Lire Stéphane Lemon-Langlois, « La vérité réparatrice dans la Commission vérité et réconciliation d'Afrique du Sud », Les cahiers de la justice, Paris, Dalloz, n°1, 2006, pp. 209-218. G. Gilligan et J. Pratt, Truth and justice : official Inquiry. Discourse, Knowledge, Londres, Willan, pp. 222-242.

* 237 Voir supra

* 238 Voir Marie-Claire Lavabre, « Usage et mésusage de la notion de mémoire », Critique internationale, n°1, avril 2000.

* 239 L'un des leviers de cette politique est la consécration d'une journée nationale pour se souvenir du génocide.

* 240 Malgré le fait que l'an 2009 ne rentre pas dans le cadre de notre délimitation temporelle, notons néanmoins qu'en Août de cette année, des officiers Français ayant servi au Rwanda entre 1990 et 1994 ont particulièrement reçu des promotions. C'est un signe fort à l'endroit des autorités rwandaises, notamment sur la mémoire française des mois terribles au Rwanda.

* 241 L'on peut avoir un autre aperçu du processus victimaire à travers Pascal Bruckner, « L'innocence du bourreau. L'identité victimaire dans la propagande Serbe », Esprit, n° 204, Août-Septembre 1994, pp. 150-172. Cité par V Rosoux, op. cit ; p.735.

* 242 Michel Walzer, Traité sur la tolérance, Paris, Nouveaux Horizons, Gallimard, 1998, p. 10.

* 243 Woodstock Colloquim, Forgiveness in Conflicts resolution, op. cit ; p. 44

* 244 Valérie Rosoux, op.cit ; p. 735.

* 245 Pour en savoir plus, lire Pierre Nora, Les lieux de mémoire, tome 3, vol.1, Paris, Gallimard, 1993.

* 246 Ce concept emprunté à un psychologue a été défini supra.

* 247 Bertrand Jordane, Rwanda. Le piège de l'histoire. L'opposition démocratique avant le génocide (1990-1994), op. cit ; p. 261.

* 248 C'est le cas d'Ibuka ou de l'association des veuves du génocide.

* 249 Ricoeur lit le devoir de mémoire à celui de justice, notamment par le souvenir. In : La mémoire, l'histoire, l'oubli, op.cit ; p.227.

* 250 Sur le lien entre mémoire et pardon, lire Rainer Rochlitz, « Mémoire et pardon », Critique, n°646, mars 2001.

* 251 Voir supra.

* 252 Valérie Barbara Rosoux, « Rwanda. La mémoire du génocide », op.cit ; p. 732.

* 253 Cette situation s'est aussi posée au niveau du TPIR. Le procureur dudit tribunal s'est par exemple retrouvé contraint de ne pas poursuivre les membres de l'Akazu, un cercle d'initiés qui détenaient les rênes du pouvoir hutu en avril 1994. De même peut-on noter l'impasse sur les crimes de guerre commis par l'APR, la branche armée du FPR.

* 254 Sur les victimes a contrario, lire le philosophe et sociologue Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes. Génocide, identité reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997, pp 335-342.

* 255 Voir Stephane Leman-Langlois, «Mobilizing victimization: the construction of a victim-centered Approach in the South African Truth and reconciliation Commission», Criminilogie, 33 (1), 2000, pp. 145-166.

* 256 Pour aller plus loin, lire Wilson, Robert, The politics of truth and reconciliation in South Africa: legitimizing the post Apartheid State, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

* 257 Barbara Cassin, « Oter à la haine son éternité. L'Afrique du Sud comme modèle », consulté en ligne, http://docs.google.com/gview, le 08 octobre 2009.

* 258 Mê mnêsikakein qui veut dire `'tu ne rappelleras pas les malheurs, ou les maux des événements du passé''. La première personne qui enfreignait ce principe était simplement mise à mort. C'était le décret de 403.

* 259 Lire Sean Jacobs, « Sur l'Afrique du Sud post-Apartheid et le devenir de la « nation arc-en-ciel », Politique africaine, n°103, octobre 2000, p.7. Pour aller plus loin : R Alence, « South Africa after apartheid :the first decade », Journal of Democracy, vol 5, n°3, 2004 ; A. Handley, «The new South Africa, a decade later», Current History, vol 103, n°673, 2004; P. Bond, Elite transition: From Apartheid to Neo liberalism in South Africa, Pietermaritzburg, University of Kwazulu Natal Press, 2005; V. Padayachee, «The South African economy 1994-2004», Social research, vol 73, n°3, 2005.

* 260 Tzvetan Todoroz écrit que les réminiscences peuvent avoir deux formes : la sacralisation (isolement radical du souvenir) et la banalisation (assimilation abusive du présent au passé). In : « La vocation de la mémoire », Cahier français, n°303, 2001, p.3. Bien que l'on puisse avoir un `'passé écran'', son rappel est nécessaire pour affirmer son identité et celle du groupe. Voir aussi Marie-Claire Lavabre, « Entre histoire et mémoire. A la recherche d'une méthode », in Martin, Jean-Clément (dir), La guerre civile entre histoire et mémoire, Nantes, Ouest éd, 1996.






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