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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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b. L'appareil critique et le traitement des sources

Philippe Mousket questionne-t-il ses sources ? Cela ne transparaît pas

dans son écriture. Contrairement à d'autres historiographes contemporains qui soupèsent les témoignages et rejettent ce qui ne leur paraît pas vraisemblable (ou simplement ce qui contredit leur propos), Mousket semble faire feu de tout bois. On a vu le large faisceau des genres qu'il exploite : du Turpin ou des chroniques normandes, il retient presque tout sans émettre aucune réserve, parfois au prix de contradiction. Ainsi, la couronne d'épines est dédoublée par l'intégration, d'une part, de la tradition dionysiaque du pèlerinage de Charlemagne rapportant la relique à l'abbaye et, d'autre part, du récit de son achat par saint Louis à Constantinople et de la construction de la Sainte Chapelle. De même, certains récits rapportés1 sont repris tels quels sans être interrogés. Cette absence d'esprit critique a été sévèrement jugée par les premiers commentateurs du chroniqueur ; c'était, du reste, un regard souvent porté sur les oeuvres médiévales. La chose est mieux comprise depuis que l'on a pris en compte le rôle de l'authentique et de l'apocryphe dans les critères médiévaux de vérité2. Mais sans doute y avait-il des historiens plus crédules que d'autres, et Mousket en faisait partie. Il n'avait ni la culture, ni l'outillage intellectuel des grands historiens du Moyen Âge qui, attentifs à la chronologie, « [discutaient] la suite des temps » (Robert d'Auxerre). Il était avant tout un écrivain amateur et s'en est remis tout entier à des sources d'autorité, au patronage des « livres anchiens » de Saint-Denis qui suffisaient à garantir la vérité de son propos. Il s'est posé, on l'a dit, en entremetteur, en prétendant ne vouloir ni omettre, ni ajouter quoi que ce soit pour transmettre tel quel ce que les anciens témoignaient. C'est pour cela que, pour autant que nous connaissions ses sources, il n'a pas fait preuve d'un esprit critique avisé en rejetant ce qui lui paraissait invraisemblable.

Pour autant, il ne laisse pas ses sources intactes. Il interpole, amplifie, change de ton parfois. Dominique Boutet a bien montré que Philippe Mousket ne s'était pas contenté de recopier telle quelle une version du Turpin, mais l'avait combiné avec la Chanson de Roland 3 . Il intègre également des amplifications qui lui sont propres, et auxquelles il donne un ton épique (parfois même proche de la poésie lyrique, par la multiplication des comparaisons animales). Ce sont notamment les regrets que Roland adresse, mourant, non plus seulement à son épée mais également à Charlemagne, à la France, à son cor, à

1 Voir supra, III. 2) a. Les sources revendiquées, p. 29.

2 B. Guenée, « "Authentique et approuvé" : recherches sur les principes de la critique historique au Moyen Âge », La lexicographie du latin médiéval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du Moyen Âge, Paris, 1981, p. 215-229.

3 D. Boutet, « La réécriture de Roncevaux... », art. cit.

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son cheval et à ses compagnons. Fait notable, cette interpolation est précédée de la venue d'un autre personnage, Thierry, survivant à la bataille, qui peut donc être le garant de l'authenticité des ajouts faits par le chroniqueur : là où Mousket s'écarte du texte original, il prend soin de glisser un témoin qui, par sa présence, contribue à valider le propos. Il y a également le second planctus (v. 8628-8912) qui, on l'a dit, n'est ni dans la Chanson ni dans le Turpin. Il est d'inspiration beaucoup plus profane que le premier, tiré du Turpin, et fait la place aux sources romanesques et à la célébration des valeurs courtoises. C'est ici, semble-t-il, que nous pouvons entendre la voix de Philippe Mousket :

Boins cevaliers et de grant sens A vous estoit tous mes asens, En vostre cors manoit proecce Et en vos mains gisoit largecce. Humilités, parole douce

Soujournoit en la vostre bouce ; En vos biaus ious iert pasience, En vostre cuer obédience. Vous estiés bien en Dieu créans, Vous destruisiés les mescréans. De tous cevaliers convenables Estiés vous ermines et sables ; Et, de tous preudomes non pers, Vous estiés al bon Ector pers, De cevalerie et d'ouneur

De courtoisie et de valeur

Vous n'aviés pas la cière baude, Ainc estiés la fine esmeraude.1

Les sources romanesques et épiques que Mousket interpole sont tissées intimement au récit et n'en bouleversent pas la trame. Les personnages sont évoqués, à peine développés. Quand il résume la Chanson de Girart de Roussillon2, ni Girart, ni Foulques ne sont pas présentés. De même, après la mort de Roland, Mousket fait l'énumération des « félons et traïtours » qu'il connaît :

Guenles, li fel, et si parent, Fromons, li vious, et Aloris, Hardrés, Sansons et Amaugris, Et li autre traïtour faus,

1 Reiffenberg, op. cit., v. 8736-8753

2 Voir supra, p. 37.

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Et par leur parage et par aus, Ont maint roi de Frange grévé1.

Leur noms sont familiers de l'auditoire et sont censés faire écho à des oeuvres littéraires bien connues, dégageant tout un arrière-monde littéraire. L'idée est d'intégrer dans la longue chaîne de l'histoire les héros dont se délecte déjà le public, créant ainsi un lien entre les guerriers qui combattaient devant Troie, ceux qui cherchaient le Graal et ceux qui accompagnaient Charlemagne. De même, quand Arthur apparaît au détour d'un vers, son nom vient enrichir, par sa simple présence, le récit historique des résonnances du vaste monde arthurien.

Lors de la bataille de Bouvines (v. 21 517-22 228), Philippe Mousket utilise les codes littéraires propres à l'épopée et cherche à établir une continuité héroïque entre le monde des chansons de geste et la consécration du règne de Philippe Auguste2. Si l'on compare les textes en effet, Philippe Mousket réécrit et amplifie sa source (qui semble être, on l'a dit, une chronique attribuée au patronage de Michel de Harnes), n'en gardant que la trame narrative. Nous pouvons ainsi comparer un passage qu'il reprend manifestement mais développe et réarrange :

Michel de Harnes

3. - Othes li Emperere et sa bataille chevauchierent contre l'ensaigne Saint Denis droit a la bataille le roi. Et les gens le roi s'adrechierent a lui. Pierres Malvoisins et li bon chevalier, que li roi gardoient, assemblerent as gens l'empereor, et moult le fisent bien.

4. - La presse fu si grans entor le roi adonc de ceaus qui le gardoient, que ses chevax fondi desos lui, et li rois fu a terre, mais tantost fu remontés, et aidiés de Pierron Tristan, et de ses autres amis, qui la furent environ lui. Gerars la Truie se departi de la bataille le roi, et vint assembler a Othon l'empereor moult hardiement et moult se conbati a lui, et tant fist qu'il feri le cheval l'empereor Othon, d'un cotel a pointe qu'il tenoit, parmi le senestre oel en la cervele et puis le tint grant piece par le frain ; mais li chevaus, qui navrés estoit a mort, commença de la teste à buisnier et a drechier, si que l'en nel pooit tenir, et l'emperere se deffendoit durement et bien, et escrioit s'ensaigne molt haut : « Rome, Rome, a Othon ! »3

Philippe Mousket

Othe, li rois, à grant compagne, Avoec lui sa gent d'Alemagne, Vint cevauçant devers le roi.

1 Reiffenberg, op. cit., v. 8457-462.

2 C. Bouillot, art. cit.

3 « Fragments d'une histoire... », op. cit., p. 113-114.

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Mais bien le connut al conroi

Girars la Truie et raviza.

Au roi vint, si li deviza

Que li rois Othe cevauçoit,

Pour venir à lui s'aproçoit.

« Truie, dist li rois, ù est-il ?

Connissiés-le vous ? » - « Sire, oïl,

Quar il porte, ce n'est pas fable,

L'escut d'or à l'aigle de sable,

Et les banières autreteus.

Il méismes par est trop preus ;

Mais li destourber le poroit

En son venir, moult nos vauroit. »

- « Alons, dist li rois, cele part. »

Girars la Truie atant s'en part,

Quar li rois congiet l'en douna,

Et il à Dieu se coumanda.

Lance baiscie, l'escu pris,

Com cevaliers d'armes espris,

Vint au roi Othon asanbler,

Qu'en XIII pièces fist voler

Sa lance, et puis traist le coutiel.

Le ceval fiéri el cieviel

Parmi l'uel seniestre tot droit,

U sus l'emperères seoit,

Et lues l'a saissi par le frain.

Li roi Othe pour son réclain

Cria Roume III fois, s'ensègne,

Si com proaice li ensègne.

I coutiel ot moult rice à pointe,

D'acier iert l'alemiele jointe,

La Truie en douna si grant cop

Qu'il ne le tient ne pau ne trop,

Quar li cevaux buisnoit del cief,

Si qu'Othe en estoit à mescief1.

Il reprend plus loin et dans les mêmes termes la chute du roi :

Li rois ot aproismiés l'estor, Et ses gens li furent entor.

Pour leurs cors et pour siervir lui,

Vorrent estre n'i ot celui.

1 Reiffenberg, op. cit., v. 22 025-62.

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Priés de lui s'i priésèrent tant, L'une eure arière l'autre avant, Que li cevaus le roi fondi. Li rois en céant descendi, Mais il fu remontés si tos Qu'à painnes s'en perciut li os1.

On constate donc que Philippe Mousket recompose le passage en en modifiant la trame ; il amplifie ce qu'il juge trop bref, insérant du discours direct là où sa source ne faisait que mentionner une parole. Le combat aussi est développé et nous entraîne plus fortement dans la presse. Le canevas est en tous les cas repris et Mousket suit les enchaînements chronologiques : c'est ainsi le cas pour la croisade albigeoise, que les deux chroniqueurs intercalent entre les trêves faites après Bouvines et l'expédition d'Angleterre. Mais Mousket développe en cent-cinquante vers ce qui ne faisait que deux paragraphes dans la source originale, apportant de nouvelles informations. Il semble donc que Philippe Mousket s'inspire de la construction de ses sources et poursuit ailleurs ses recherches quand la relation lui paraît trop succincte.

Comme l'écrit R. Walpole, « Mouskés' sources were his law »2. Il a sans doute construit son oeuvre en fonction des documents qui étaient à sa portée, suivant la plupart du temps servilement les textes qui lui semblaient faire autorité et négligeant d'interroger leur véracité. Mais, on le voit, il ne s'est pas contenter de recopier et est parfois allé chercher plus loin des compléments d'information. Il a réécrit, réarrangé et amplifié ses sources pour qu'elles se coulent dans ses propres codes littéraires et dans sa conception de l'écriture de l'histoire, avant tout vouée au plaisir et à l'édification de l'auditoire.

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