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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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IV.

Philippe Mousket, l'espace, le temps et

l'histoire

Après nous être intéressés à l'auteur et à l'oeuvre dans ses aspects formels, il faut maintenant se pencher sur le contenu de la chronique de Philippe Mousket, sur ce qu'elle peut nous apprendre du regard d'un Tournaisien du XIIIème siècle sur le monde qui l'entoure, sur le passé et le cours de l'histoire. C'est de sa position dans le temps et dans l'espace qu'il observe ceux qui l'ont précédé et trace une ligne de perspective dans l'histoire. Se dégagent d'abord deux pivots principaux autour desquels s'articulent pour Philippe Mousket l'histoire des rois de France : Charlemagne et Philippe Auguste. A leurs côtés, un autre peuple les concurrence et s'intègre dans un même élan d'exploits, les Normands, auxquels succèdent ensuite les grands rivaux Plantagenêts. Les intérêts de Philippe Mousket dessinent également une certaine géographie : la Flandre et le Nord de la France ; puis un peu plus loin l'Empire et l'Occitanie ; enfin, l'Orient des croisades, cet « horizon onirique » dont parlait J. Le Goff. Il faudra enfin en dernier lieu s'interroger sur ce que l'écriture de l'histoire révèle comme cadres temporels et comme perception du passé. Ces quelques approfondissements permettront de cheminer dans l'oeuvre longue et dense de Mousket et d'y repérer certains détails susceptibles de nous éclairer sur les raisons d'écriture.

1) Les deux piliers : Charlemagne et Philippe Auguste

a. Le Grand Empereur

Le règne de Charlemagne est clairement la partie phare de la chronique de Philippe Mousket : d'une durée de 46 ans, il occupe à lui seul 31% de l'oeuvre, soit 9791 vers1. Certes, il ne faut pas négliger la période contemporaine de l'auteur correspondant, en 20 ans, à 23% de la chronique et interrompue seulement par l'inachèvement du texte. Il n'en reste pas moins que le règne de

1 Voir partie I. 1).

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l'empereur franc occupe une place à part dans l'histoire des rois de France selon Mousket. Alors que jusqu'à la fin du XIIème siècle la rupture dynastique de 987 embarrassait les Capétiens et qu'ils avaient pris l'habitude d'être ces « rois légitimes aux ancêtres discrets »1, le règne de Philippe Auguste réintroduit l'ambition d'une légitimité carolingienne. Son mariage avec Isabelle de Hainaut, descendante du compétiteur d'Hugues Capet Charles de Basse-Lotharingie, permet à l'idéologie capétienne de développer le thème du reditus regni Francorum ad stirpem Karoli et d'atténuer l'usurpation fondatrice (André de Marchiennes, Gilles de Paris...) 2 . Ce contexte politique et idéologique particulier flatte ainsi le thème de Charlemagne, déjà privilégié dans l'écriture historique au XIIème siècle et entretenu par la littérature épique qui se voulait la mémoire vivante des temps carolingiens. La lignée des rois de France tend à s'homogénéiser dans un fil continu qui embrasse les trois dynasties mérovingienne, carolingienne et capétienne.

Philippe Mousket est dans l'air du temps. Dans son histoire des rois de France, on sent que la succession se justifie et se résume dans celui qui la symbolise. Le récit du règne de Charlemagne est entrecoupé de portraits et de dithyrambes répétitifs, relevant à la fois de ses sources (notamment Eginhard), d'un style formulaire de type hagiographique et épique (référents animaux, ou épithètes récurrents - « Le preu, le sage, le vallant »). La chronologie est confuse, le rythme s'accélère, ralentit et bien souvent piétine comme dans l'écriture pathétique et lancinante des chansons de geste. La narration commence d'abord par reprendre la Vita Karoli d'Eginhard, mêlée à des interpolations propres à Mousket ou tirées de chansons du Cycle du Roi. Puis elle est interrompue par le long récit des campagnes d'Espagne et de la bataille de Roncevaux (5086 vers), articulation du Pseudo-Turpin et de la Chanson de Roland. Ici, c'est les héros de l'épopée qui tiennent le haut du pavé, Roland, Olivier, Ogier, et Charlemagne semble être relégué dans le rôle traditionnel du roi dans les chansons de geste : figure tutélaire et lointaine, vénérable arbitre des conflits entre lignages féodaux. Après la disparition de Roland, cependant, le texte se mue en un panégyrique continu et Charlemagne revêt une aura de sainteté, culminant dans le récit de son pèlerinage à Jérusalem et la longue liste des reliques rapportées. Il reprend ensuite le fil interrompu d'Eginhard pour la fin de sa vie et s'attèle à un dernier éloge-portrait dans lequel on voit se dessiner une image de la société médiévale :

1 B. Guenée, « Les généalogies entre l'histoire et la politique : la fierté d'être Capétien, en France, au Moyen Âge », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 33/ 3, 1978, p. 453.

2 B. Guenée, art. cit.

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Bons clercs estoit et s'amoit clers, Tous çaus k'il sot loiaus et fers, Et sovent grans biens lor faisoit. Et chevaliers moult ounouroit, Mescines, pucieles et dames Destornoit volentiers de blames ; Si amoit bourgeois et vilains, Quant il les sot d'aucun bien plains1

On voit poindre aussi les valeurs essentielles à la royauté et les quatre vertus cardinales systématisées dans la théologie chrétienne2 : la piété (mesurée, toujours, car personne ne veut d'un roi bigot), la sagesse, l'art oratoire, la charité, la tempérance et la justice (en faveur des faibles et exercée contre les méchants) :

Volentiers antoit sainte glise Et ascoutoit le Dieu service, Et moult iert biaus parleurs et sages, Si iert à povre gent moult larges Et as autres selonc lor oevre, Famillous peut, les nus recuevre, As pelerins del sien douna Volentiers quant les encontra. (...)

Mais moult avoit sens et meseure ; Pour les biens dont il fu dontés Si estoit il partout doutés,

Comme rois et com emperères,

Buens justiciers, bon conquerères3.

Son rôle de roi justicier est largement développé tout au long du récit, notamment par la longue suite des conquêtes qu'égrène Mousket. La violence du roi est légitime et juste, car elle doit guider le peuple sur la voie droite :

Al tans que Karles à poisance Sostenoit la tière de France ; Si avoit sainte glise éu

1 Reiffenberg, op. cit., v. 11 680-87.

2 Y. Sassier, Royauté et idéologie au Moyen Âge. Bas-Empire, monde franc, France (IVe - XIIe siècle), Armand Colin, Collection U, Paris, 2002.

3 Reiffenberg, op. cit., v. 11 688-703.

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Maint contraire, mais desfendu L'avoit li rois, et guardé bien Qu'à painnes i perdirent rien. Aussi com li vilains sa vache Et son buef donte de sa mace Et tant les enbat et kastie Que la tière en ère et deslie ; Tout aussi les castioit-il, U il les metoit à escil,

U à la mort, à grant hontage, U il ièrent en vil servage1.

Charlemagne représente un des modèles littéraires du roi chrétien. En tant qu'empereur, ses conquêtes tendent à se confondre avec la chrétienté toute entière :

La tière à l'Andalus prist-il Et mist à cendre et à exil, Et la tière de Portigal

Qu'il départi tout par ingal ; (...)

De l'une mer jusqes à l'autre Conquist li rois, lance sor fautre, Et Danemarce et Engletière, Alemagne et Saisogne à gière, Et si reconquist Belléem Et la tière de Jursalem ; Très dont que Cézar Julius Et l'autres Cézar Augustus Regnèrent par trestot le mont, Ki grant pooir orent adont, Ne régna nus ki si preudom Euist estet jusques à som.2

Du reste, le style annaliste et syncopé de la première partie, suivi par le récit circonstancié des campagnes contre les Sarrasins en Espagne et en Terre sainte, donne l'impression d'une chrétienté assiégée dont Charlemagne est l'incarnation et le défenseur zélé :

1 Ibid., v. 10 022-35.

2 Ibid., v. 12 048-73.

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De toutes pars à grant plenté Travelloient crestienté ; Et li rois, ki s'en offendoit, De toutes pars le deffendoit, Et tant partout s'en avanci Qu'il venoient à sa mierci1

Le roi enterré, une phrase prophétique fera encore écho à cette posture :

S'ot tourné son vis viers Espagne Ce fut démostrance et ensagne Qu'encor Sarrasins maneçoit De joiouse qu'el puing tenoit2.

On dépasse parfois le rôle habituel dévolu en Occident au souverain temporel pour tomber dans l'image d'un roi prêcheur et quasi-sacerdotal :

Pour les anemis Dieu abatre Et la viertu Dieu anoncier Et sa naissance praiecier3.

Le lexique hagiographique se fait parfois très prégnant. Vers 3774-3933, Mousket énumère des hommes que Charlemagne a convertis, non seulement par l'épée mais aussi par l'éloquence et le sermon. Ce passage revêt ensuite une dimension eschatologique et l'empereur se voit conféré le rôle de pasteur suprême. Le chroniqueur interpole d'ailleurs ici la parabole des talents qui fait partie de la petite apocalypse de l'Evangile selon Matthieu (Mt 25), avant de conclure :

Si fu Carles li rois lumière Et tierce et seconde et première Pour resplendir sor tos les rois Ki gent tenoient en conrois En nostre tieriiene vie4

Le Charlemagne de Mousket est donc plus que l'empereur à la barbe fleurie issu de la littérature épique. C'est un personnage construit par diverses

1 Ibid., v. 4052-57.

2 Ibid., v. 12 130-34.

3 Ibid., v. 4061-63.

4 Ibid., v. 3916-20.

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influences, à l'intersection de l'ancêtre dynastique glorifié, de la littérature profane et des vieux discours idéologiques et parénétiques sur la royauté sacrée et pastorale. Son temps est celui des héros des chansons, bon temps d'une courtoisie véritable et joyeuse, mais il reste avant tout un modèle royal, à cheval entre le temps historique et mythique, qui pénètre la lignée de ses descendants et retrouve incarnation dans le règne de Philippe Auguste.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore