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La chronique de Philippe Mousket

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par Thibault Montbazet
Université Paris-IV Sorbonne - Master dà¢â‚¬â„¢histoire médiévale 2011
  

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2) D'autres héros : les Normands

L'une des particularités de la chronique de Philippe Mousket est la place que prend la geste des Normands dans une histoire qui est censée être celle des rois de France. On l'a dit, il faut sans doute y voir une influence des sources du chroniqueur. Certaines compilations en français intègrent, parfois, une chronique normande qui consiste en une traduction de Guillaume de Jumièges complétée et agrémentée d'autres apports. En tous les cas, Mousket gonfle largement ces sources connues et c'est sur près de 3000 vers que les ducs de Normandie tiennent le haut du pavé.

Les premières apparitions des Normands dans la chronique sont succinctes et consistent en brèves évocations de leurs raids. Le terme « Danois », est plus utilisé que celui de Normands, pour distinguer les païens destructeurs de leurs successeurs civilisés. Au début du règne de Charles le Simple cependant, Mousket interrompt sa relation et interpole une traduction abrégée des Gesta Normannorum ducum de Guillaume de Jumièges, qui commence par une description du monde et sa division en trois parties. Le chroniqueur annonce cette digression par une transition commode et classique :

La tière tinrent en grant pais. Une pièce atant le vous lais, De Carlon le Cauf si dirai, Des Normans itant que g'en sai1.

C'est donc comme pour relever le récit des règnes de Charles le Simple et de ses successeurs, trop peu documentés et trop peu mouvementés à son goût, que Mousket fait de cette digression le centre de son récit. « En grant pais », ils contrastent en effet avec ceux de Charlemagne et de ses successeurs, gonflés par les héros et les batailles épiques. En outre, les troubles dans la succession dynastique et la montée sur le trône de souverains à la légitimité fragile, ne faisaient pas des rois de France du Xème siècle les pièces de choix d'un récit laudatif. C'est donc depuis la Normandie que nous sont racontés les règnes des

1 Ibid., v. 12 855-58.

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derniers Carolingiens et des Robertiens. La mort de Raoul est ainsi située chronologiquement en fonction des ducs de Normandie :

Al tans Guillaume, le fil Rou, Si avint-il apriés I pou

Que dont moru li rois Raous, Qui moult fu preus et vigerous1.

Tandis que, plus loin, la montée sur le trône de Louis IV est en partie mise au crédit de Guillaume Longue-Epée :

Hue li grans et li barnés De France tout communément, Par le consel nouméément Le duc Willaume des Normans, Qui moult estoit preus et vallans,

Redemandèrent tot en apiert, Par l'arcevesque Ghilebiert, Loéis, ki fus fius Charlon2

La concurrence ne se fait pas partout cependant : si la chronique normande de Guillaume de Jumièges donnait des origines troyennes aux Danois, Mousket saute ce passage et se contente d'évoquer l'ancêtre dynastique Danaus/Daniel. Il était hors de question de leur accorder cette dignité réservée aux Francs.

Il n'en reste pas moins que les héros d'alors sont normands. C'est d'abord la figure de Rollon, Rou, qui s'impose des vers 13 216 à 13 772. Son personnage est positif, même quand il combat les Français et ravagent leurs terres. L'influence du Roman de Rou de Wace est assez présente, donnant un tour romanesque au récit : visions, prophéties et aventures solitaires se multiplient alors. Mousket interpole également une prédiction, que l'on ne trouve pas dans les autres sources normandes, faite par un inconnu à Rollon et qui lui annonce sa postérité :

Et s'ot devant lui I monciel De cendres, en l'aistre del feu. Esparses les a en cel leu, VII roies i fist d'un baston

1 Ibid., v. 14 011-14.

2 Ibid., v. 14 018-25.

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Qu'il n'I a dit ne od ne non, Et si desfit les roies luès, Quart de plus ne li estoit wés, Que çou fu en senéfiance Que donques iroit à faillance La lignie Rou ; ensi fu,

Et li preudom ot despondu1.

C'est ensuite son fils, Guillaume Longue-Epée, qui prend le relais. Les rois de France s'efface encore derrière lui jusqu'au vers 14 408. Le personnage est lui aussi positif, seigneur si bon et si pieux qu'il avait, nous dit Mousket, l'intention de se faire moine. Son assassinat fait l'objet de l'offuscation du chroniqueur, scandalisé par une telle trahison dans laquelle, du reste, le rôle du roi de France était assez ambigu... Progressivement, pourtant, ce dernier reprend sa place dans le récit. A partir du règne d'Hugues Capet, la narration se recentre à nouveau sur les rois, même si la Normandie reste très présente, notamment dans ses rapports avec l'Angleterre. En réalité, on voit bien que le front historique s'est déplacé vers l'Ouest. Les problèmes de succession en Angleterre avant et après Guillaume le Conquérant occupent une place centrale, comme par la suite les premiers Plantagenêts. Comme chez l'Anonyme de Béthune, source probable de Mousket, la geste des ducs de Normandie se perpétue dans les rois d'Angleterre, et fait pendant à l'histoire des rois de France. Cet intérêt montre aussi la place singulière de la Flandre, à cheval entre les influences anglaises et françaises et dont le jeu politique intriquait les intérêts des deux dynasties. Les Normands offraient aussi à Mousket le matériel nécessaire au plaisir littéraire et à l'enrichissement de sa narration, contrairement aux derniers Carolingiens. Ce long écart géographique n'est donc pas à percevoir comme le signe d'un patronage particulier ou d'un lien avec l'aristocratie normande. Du reste, la prise de la Normandie par Philippe Auguste en 1204 ne soulève aucun regret ni réaction chez le chroniqueur.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry