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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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B. La monnaie : un artifice, produit de l'histoire, socle des économies contemporaines

Selon l'approche qui est la notre, la monnaie doit être appréhendée comme une institution, c'est-à-dire un ensemble de règles conçues pour répondre à un certain nombre de besoins. Composante de notre réalité socialement construite au sens où l'entend John R. Searle22(*), elle fait intervenir un certain nombre de mécanismes et comporte plusieurs caractéristiques fondamentales propres aux faits institutionnels. Cette partie-ci de la réflexion intègre des éléments de philosophie ; ce détour paraît important pour la suite de l'analyse.

Taxinomie des faits réels et émergence de la monnaie comme fait institutionnel

Dans son ouvrage intitulé La construction de la réalité sociale, John R. Searle défend ce qu'il appelle la « thèse du réalisme externe », selon laquelle il existe une réalité extérieure, indépendante de toute pensée, représentation ou volonté humaine. Ce monde exogène à la vie de l'homme n'a rien à voir avec une quelconque théorie de la vérité ; l'idée sous-jacente consiste juste dans le fait que des choses existent réellement, qu'elles soient matérielles ou immatérielles, indépendamment de tout arbitraire humain :

« J'ai défini le réalisme comme la thèse selon laquelle le monde existe indépendamment des représentations que nous en avons. Il s'ensuit en particulier que si nous n'avions jamais existé, s'il n'y avait jamais eu de représentations - d'énoncés, de croyances, de perceptions, de pensées, etc. -, la majeure partie de ce qui compose le monde n'en aurait pas été affectée » ; « En d'autres termes encore, la réalité, dans une large mesure, ne dépend pas de l'intentionnalité sous une forme quelconque » ; « Si l'on tient à le loger dans une case particulière, on pourrait dire que le réalisme est une théorie ontologique : il dit qu'il existe une réalité totalement indépendante de nos représentations [...] Le réalisme ne dit pas comment les choses sont mais seulement qu'elles sont d'une certaine manière. Et choses dans les deux phrases précédentes ne veut pas dire objets matériels ou même objets »23(*).

La thèse du réalisme externe s'oppose en philosophie à la thèse antiréaliste selon laquelle aucune réalité extérieure n'existe en dehors de la pensée, de la conscience ou de l'esprit humain. La doctrine antiréaliste se compose principalement de deux versions : l'idéalisme-phénoméniste et le constructivisme social.

Ceci étant, pour en revenir à ce qui nous préoccupe, la thèse centrale de John R. Searle consiste à défendre l'idée d'un monde réel dichotomique, constitué d'une part d'une réalité extérieure aux individus, et, d'autre part d'une réalité socialement fabriquée découlant de l'esprit ou de la volonté humaine. La thèse du réalisme semble bien fondée car il paraît difficile d'admettre que l'homme ait le monopole, ou même, soit à l'origine de tout ce qui nous entoure. Cela dit, la question tout à fait cruciale qui préoccupe John R. Searle est celle de la manière dont les hommes construisent « leur » réalité sociale sur laquelle repose nos vies, celle qui pour nous, individus, nous apparaît banale. Pour l'expliquer, John R. Searle hiérarchise les différents types de faits qui composent le monde réel selon qu'ils impliquent ou non un degré de conscience élevé. Une première distinction consiste à différencier les faits bruts des faits relatifs à l'observateur. Les faits bruts sont des phénomènes intrinsèquement naturels. En ce sens, ils sont indépendants de tout état de conscience humaine. En revanche, les faits relatifs à l'observateur sont directement rattachés à une forme de pensée humaine. Cette première classification est celle qui fait du monde dans lequel nous vivons un univers dichotomique, subdivisé entre une réalité naturelle et une réalité plus ou moins directement liée à la présence de l'homme. Ensuite, John R. Searle identifie au sein des faits relatifs à l'observateur les faits sociaux, catégorie de faits résultant de l'intentionnalité collective, qu'il différencie d'autres types de faits impliquant un état de conscience moindre, tels les faits mentaux (j'ai mal à la tête). L'intentionnalité collective, à l'origine des faits sociaux, renvoie à une conscience d'action collective, d'agir en commun sciemment. En d'autres termes, l'intentionnalité collective implique que l'action individuelle prend son sens uniquement dans la mesure où elle est reliée à une action collective plus largement définie :

« L'élément décisif dans l'intentionnalité collective est le sentiment que l'on a de faire (vouloir, croire, etc.) quelque chose ensemble, et l'intentionnalité individuelle que chacun peut avoir est dérivée de l'intentionnalité collective que l'on partage. Ainsi, pour revenir à l'exemple précédent du match de football, j'ai bien en effet l'intention à titre individuel de bloquer la défense, mais je n'ai cette intention que dans le contexte plus général de notre intention collective d'exécuter une passe »24(*).

Selon John R. Searle, tout fait impliquant une intentionnalité collective est un fait social. Néanmoins, il existe plusieurs types de faits sociaux qui doivent être nuancés selon qu'ils font intervenir un état de conscience plus ou moins développé. Ainsi, certains animaux ont des comportements relevant de l'intentionnalité collective. C'est notamment le cas lorsque des poissons se mettent en banc pour se protéger d'un prédateur. Toutefois, de tels comportements n'impliquent pas de prédispositions linguistiques ou culturelles. C'est pourquoi, certains faits sociaux peuvent relever de l'inné tandis que d'autres renvoient à un niveau de conscience plus évolué. Ainsi, à un niveau de conscience supérieur, on trouve les faits sociaux consistant à associer des fonctions à des objets. Là encore, John R. Searle distingue les différents types de fonctions assignées selon leur niveau d'abstraction. Par abstraction, il faut comprendre l'écart existant entre une fonction assignée à une chose et les propriétés de cette chose à l'état brut. Au niveau d'abstraction le plus élevé, on trouve le processus d'assignation de fonction-statut qui ne peut se faire que sur la base d'un système de représentations et de règles préexistant. L'assignation d'une fonction-statut à un objet requiert en effet l'existence préalable de toute une série d'institutions humaines, dont le langage en est une essentielle, étant donné la déconnexion importante entre la fonction assignée et les propriétés intrinsèques de l'objet. Il en résulte que les fonctions-statuts sont constitutives des faits institutionnels, eux-mêmes constitutifs en grande partie de notre réalité socialement construite25(*) :

« Une sous-classe particulière des faits sociaux est constituée par les faits institutionnels, les faits impliquant des institutions humaines » ; « Les faits institutionnels [...] ont impérativement besoin, pour exister, d'institutions particulières. Le langage est l'une d'elles ; en vérité, c'est tout un ensemble d'institutions de ce genre »26(*).

L'imbrication des faits institutionnels comprise dans un ensemble plus vaste dans lequel sont intégrés d'autres types de faits sociaux, tels les faits créés par assignation de fonctions agentives fortuites, aboutie à l'édification d'une réalité construite socialement. Les faits institutionnels sont inter-reliés les uns aux autres. La construction des la réalité sociale est un processus qui se réalise conformément à une culture de société. Ce faisant, la monnaie est un fait institutionnel au sens de John R. Searle en ce qu'elle est créée par assignation de fonction-statut à un support physique qui, à l'état naturel, est détaché du rôle qui lui est dévolu ex post. Si cela est particulièrement probant pour la monnaie moderne, monnaie-signe, le raisonnement mené ci-dessus est également valable pour la monnaie métallique, par exemple. En effet, même si la monnaie métallique fonde sa valeur sur un métal précieux, celui-ci est précieux parce que les individus ont décidé de le percevoir ainsi. Naturellement, il en est autrement car l'or et l'argent ne possèdent pas de valeur intrinsèque. Même s'ils sont rares et difficilement extractibles, ils ne satisfont pas directement de besoin humain. La valeur qui a pu (et est toujours) leur être conférée était déconnectée de leurs propriétés naturelles. En ce sens, ils ont été des monnaies instituées, à l'instar de la monnaie-papier, simplement peut-être de manière moins abstraite. C'est pourquoi, la monnaie ne peut être réduite à sa dimension fonctionnelle, faisant d'elle un instrument technique des échanges. Pour comprendre les faits impliquant la monnaie, il est nécessaire de saisir sa nature : un fait socialement construit, avec toutes les conséquences que cela implique.

* 22 John R. Searle est professeur de philosophie de l'esprit et du langage à Berkeley (Californie). Son ouvrage intitulé La construction de la réalité sociale constitue une référence bibliographique centrale de ce mémoire en ce que sa réflexion, de nature philosophique, s'articule très bien avec mon projet qui est de réfléchir sur la nature profonde de la monnaie pour en faire ressortir des traits extra économiques (mais aussi économiques !) susceptibles d'éclairer les faits réels. Ainsi, cette partie se fonde essentiellement sur son analyse de la réalité sociale. Sa démarche et la thèse qu'il défend s'inscrivent en adéquation avec les théories économiques hétérodoxes de la monnaie, en particulier celle de Michel Aglietta et André Orléan.

* 23 John R. Searle, La construction de la réalité sociale, Gallimard, Paris, 1998 : p. 197 ; 198 ; 200.

* 24 Idem, p. 13.

* 25 Selon John R. Searle, seuls les faits institutionnels sont constitutifs de la réalité socialement construite. Or, d'autres faits sociaux qu'il mentionne, impliquant un niveau d'abstraction moins élevé, semblent également participer à l'édification de notre réalité construite. C'est le cas par exemple des faits créés par assignation de fonctions agentives fortuites. L'assignation de fonctions agentives fortuites n'implique pas un système de règles préalables car la fonction attachée est en rapport direct avec la consistance physique de l'objet (ou presque). John R. Searle prend l'exemple du tournevis : cet objet constitué de fer et de bois est un tournevis. Il n'en reste pas moins qu'il n'existe pas à l'état naturel de tournevis ; un tournevis est un objet fabriqué par l'homme pour une utilité bien précise. Ainsi, on peut penser qu'il n'y a pas que les faits institutionnels qui soient constitutifs de la réalité construite, même si les faits institutionnels possèdent vraiment une nature particulière renvoyant au fictif (telle une frontière, non matérialisée, entre deux pays).

* 26 Ibid. p. 44 ; 45.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille