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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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II. Un débat qui doit s'appréhender à travers son inter-évènementialité

Il nous semble important d'analyser la conjoncture entourant ce débat. Un traitement de ce sujet omettant son entourage discursif nous aurait paru incomplet. Parce que les médias construisent une information à partir d'un certain nombre d'évènements structurant l'espace public, ils l'imposent ensuite au coeur du débat dans le champ politique et institutionnel. C'est ainsi qu'un ensemble d'évènements sont venus se superposer jusqu'à venir parfois percuter, court-circuiter le débat relatif à l'immigration et à l'intégration.

A partir des travaux d'Eliseo Véron25(*), nous considérons que les médias façonnent des éléments du réel pour construire un ou des évènements. Ils nous proposent leurs réalités et participent ainsi à la construction d'un espace public. A partir de l'ouvrage « Construire l'évènement », il nous semble important de prendre en compte trois éléments participant à la construction : la prise en considération d'évènements singuliers, leur désignation, et la mise en relation avec des objets extérieurs à leur réel.

La mise en place du débat sur l'immigration en tant qu'évènement s'effectue directement en lien avec la conjoncture politique, ce qui implique la prise en compte d'évènements extérieurs apportant une plus-value sémiotique par un ensemble de productions discursives qui permettent d'aller au-delà de la singularité de l'évènement.

Dès lors, nous souhaitons proposer une analyse en terme d'inter-évènementialité. Ce vocable issu du modèle aujourd'hui connu de l'inter-textualité nous permet de mettre en avant deux points essentiels. Tout d'abord, la construction de l'évènement ne peut s'effectuer que conjointement à d'autres objets présents dans un champ discursif plus large qui viendraient « naturellement » s'immiscer dans le traitement du nouvel évènement. Il s'agit de ne pas s'enfermer dans le « réel » de l'évènement car les clés de compréhension se situent également dans des objets extérieurs. Ensuite, ce concept permet de souligner l'importance du temps que nous formulerons à partir de la construction entreprise par Bernard Lamizet dans son dernier ouvrage26(*) :

« L'évènement s'articule aux autres évènements qui l'accompagnent dans le même moment de l'histoire - c'est ce que l'on appelle son articulation à la conjoncture - aux évènements qui lui sont conjoints. Par ailleurs, l'évènement s'articule à d'autres, comparables, survenus dans des conjonctures comparables ou ayant eu des conséquences comparables - c'est ce que l'on appelle l'articulation de l'évènement à la mémoire ».

Dans un cas comme celui de l'immigration, le recours à l'histoire et à la mémoire impose la présence d'évènements antérieurs qui interviennent comme des médiations dans le temps court du débat. La variante temporelle de l'inter-évènementialité fait sens parce qu'elle permet de situer le traitement de la discussion parlementaire dans un historique politique auxquelles réfèrent les identités en confrontation.

Avec l'inter-évènementialité, on sort de la matérialité du réel pour prendre davantage en compte le symbolique de l'évènement, qui s'intègre à présent dans des articulations avec d'autres types de discours. Dès lors, « l'évènement devient un signifiant, ce qui implique que les sujets de la sociabilité l'intègrent, comme n'importe quelle figure, dans leurs processus de communication et de représentation27(*) ». Dans le cas de notre corpus, nous nous plaçons dans le réseau discursif de la « question sociale ». Les stratégies élaborées par les médias ont fait émerger des liaisons symboliques, avec plus ou moins de fidélité, alors que d'autres aspects ont été négligés.

Dans la temporalité proche du débat sur le projet de loi CESEDA (février à juillet 2006), nous avons retenu un ensemble d'évènements antérieurs intervenant dans l'orientation même de la délibération politique ainsi que dans son traitement médiatique28(*). Ils sont nombreux et leurs liens avec l'immigration parfois complexes. Dans un premier temps, nous avons choisi de procéder à une énumération, bien que nous ne puissions garantir une quelconque exhaustivité tant les mécanismes temporels nous privent de saisir l'ensemble des références. Dans un second temps, nous détaillerons deux évènements ainsi que leur influence dans le traitement médiatique et dans les argumentations politiques.

Autour des problématiques de l'immigration et de l'intégration, il est possible de rapprocher de nombreux évènements, ce qui nous amène à faire appel à l'actualité antérieure à juin 2006. Cela nous permettra sans doute de mieux appréhender l'état d'esprit des acteurs du débat. La fin de mandat du Président Chirac ne se passe pas dans les meilleures conditions. Après une énième crise du voile et un « débat » sur la laïcité en 2004, le « rejet » du projet de traité constitutionnel européen par les électeurs isola la France sur le plan politique au sein de l'Union européenne. La question de l'immigration, réapparue lors du décès de dix-huit immigrés d'origine africaine dans l'incendie d'un immeuble insalubre à Paris, fut réinvestie lors de la « crise » des banlieues durant laquelle de nombreux acteurs gouvernementaux attribuèrent les nuits d'émeutes aux jeunes immigrés ou français issus de l'immigration ainsi qu'aux familles polygames. La peur de l'islamisme, aiguë depuis les attentats du World Trade Center, fut ravivée par l' « affaire » des caricatures de Mahomet. Concernant les mémoires, la présentation au Parlement d'un texte sur le rôle positif de la colonisation mis à jour les cicatrices d'une décolonisation douloureuse. Parallèlement, des jeunes acteurs issus de l'immigration devinrent les emblèmes de ce combat qui prit une forme esthétique dans le film Indigènes avant de se traduire dans une loi symbolique sur la revalorisation des pensions des combattants des colonies. Enfin, le débat sur l'immigration s'est déroulé conjointement à trois autres évènements : une crise sociale majeure portée par la jeunesse, celle du mouvement pour l'abrogation du « contrat première embauche » (CPE) ; l'affaire politico-financière Clearstream mettant en cause des membres du gouvernement ; et le début de la campagne présidentielle avec l'organisation de la désignation du candidat du Parti socialiste.

L'ensemble de ces évènements singuliers représente de multiples temps courts entourant notre débat qui doivent aussi s'intégrer dans un temps long de l'immigration et de l'intégration. Dès lors, il faudrait interroger notre histoire et nos mémoires, celle de la colonisation, des décolonisations, la construction d'un modèle républicain et l'avènement de valeurs portées aujourd'hui comme les devises d'un État démocratique moderne. Nous ferons appel à ce temps long au cours de notre second chapitre, dans la mesure où sa force se perçoit davantage lors des processus de construction des représentations.

La crise du C.P.E 

Les deux mois de mouvements sociaux de contestation du projet de contrat première embauche furent fortement médiatisés. Cet évènement nous apparaît comme un élément majeur dans l'orientation du débat sur la loi CESEDA par les médias mais surtout dans les positions adoptées par les acteurs. Nous faisons l'hypothèse que l'organisation du débat sur la loi relative à l'immigration et l'intégration en tant qu'évènement s'est produite comme le miroir du débat public autour du CPE.

La proximité entre la sortie de crise du CPE et le débat sur l'immigration a conduit à placer à nouveau la question du travail comme un élément central du débat alors que celui-ci aurait pu se tourner davantage vers des questions humanitaires ou sociales (mariage, regroupement, droit d'asile...). Après la victoire de la mobilisation contre le CPE, mais aussi contre le gouvernement, la construction de l'évènement autour du débat sur l'immigration de travail représente une transposition, une réminiscence de l'évènement CPE.

La question du travail est une préoccupation essentielle pour l'ensemble des Français. Face aux effets réels de la hausse du chômage, de l'augmentation des délocalisations, de l'échec des 35 heures et d'une croissance moyenne, la thématique du travail s'est imposée dans le débat public sur l'immigration dans la mesure où elle représente un dénominateur commun pour le plus grand nombre. On perçoit donc ici ce qui a permis l'effet de miroir entre le CPE et la loi CESEDA : le premier touche à l'appartenance professionnelle et le second à l'appartenance nationale. Par conséquent, ces deux débats ont abordé chacun à leur manière une des deux composantes majeures de l'identité politique des citoyens.

Le projet de contrat première embauche a déclenché une mobilisation sans précédent d'une jeunesse en quête d'un avenir meilleur. Cet évènement s'est structuré autour de collectifs puissants menés par l'ensemble des organisations syndicales et étudiantes. L'union des acteurs de cette mobilisation, à laquelle on peut ajouter un soutien et un relais fort des partis de gauche et d'extrême gauche, à permis de faire reculer le gouvernement, mais surtout d'installer le travail comme une thématique centrale et déclinable sur de nombreux schémas : ce fut le cas pour l'immigration.

La nouvelle politique d'immigration proposée par Nicolas Sarkozy aborde l'immigration de travail en acceptant des étrangers afin d'exercer les professions pour lesquelles il n'existe pas suffisamment de main d'oeuvre en France. Le texte précise que « L'étranger se verra alors délivrer une carte de séjour temporaire d'un an, renouvelable sur la durée de son contrat de travail. A moins qu'il y ait rupture du contrat, auquel cas elle lui sera retirée ». En outre, le projet amorce implicitement l'instauration de quotas, ainsi le gouvernement indiquera chaque année au Parlement « à titre prévisionnel le nombre, la nature et les différentes catégories de visas de long séjour et de titres de séjour » pour les trois années suivantes, « en distinguant en particulier l'admission au séjour aux fins d'emploi, aux fins d'études et pour motifs familiaux » et « en tenant compte de la situation démographique de la France, de ses perspectives de croissance, des besoins de son marché de l'emploi et de ses capacités d'accueil » en matière de logement, d'éducation, de services publics. La loi crée aussi une carte « compétence et talents » pour « faciliter les conditions d'admission au séjour des étrangers susceptibles de participer de façon significative au rayonnement de la France ».

Pour toutes ces raisons, la lutte s'est engagée contre une immigration qualifiée de « jetable ». Le combat associatif et syndical qui a saisi la thématique du travail a reçu une couverture massive et plutôt favorable dans les médias et, à terme, dans l'ensemble de l'espace public. Beaucoup de médias s'attendaient alors à vivre un « CPE-bis ». A partir de ce moment, le travail est devenu un sujet de discussion majeur tout au long du débat29(*). La médiatisation en ce sens a eu pour effet d'occulter les autres mesures du projet de loi : débat sur l'asile, sur l'outre-mer, sur l'intégration, sur le regroupement familial. Dans le texte, l'immigration de travail concerne pourtant moins d'une dizaine d'articles alors que le projet de loi en comporte 84.

* 25 VERON, Eliseo, Construire l'événement : les médias et l'accident de Three Mile Island, 1981.

VERON, Eliseo, « Le Hibou », Communication, n°28, 1978.

* 26 LAMIZET, Bernard, Sémiotique de l'évènement, 2006, p 187.

* 27 Ibid, p.57.

* 28 Voir la frise chronologique en annexe n°3.

* 29 ALAUX, Jean-Pierre, TERRAY, Emmanuel, et al., Égalité sans frontière : Les immigrés ne sont pas une marchandise, 2001.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault