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Eléments pour une clinique différentielle de l'anorexie à travers le stade du miroir

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par Serafino Malaguarnera
Université Libre de Bruxelles - DEA en Sciences Psychologiques et de l'Education 2006
  

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3. 2. Cas d'anorexie se situant dans un contexte psychopathologique hystérique

L'hystérie et l'anorexie ont plusieurs points en commun que nous allons succinctement énoncer ici et que nous reprendrons avec T. Vincent106(*). Comme pour l'hystérie, le corps de l'anorexique est au centre de la pathologie et devient une scène où la souffrance se donne à voir. A la fin du XIXème siècle, cette souffrance se manifestait sous la forme de crises, de spasmes et de convulsion ; de nos jours, elle apparaît sous la forme de cachexie. Par ailleurs, bien qu'il y ait des formes masculines d'hystérie et d'anorexie, elles restent essentiellement des formes féminines.

Comme dit à l'introduction de ce paragraphe, nous avons choisi de prendre en compte les cas d'anorexie qui se déclenchent pendant la puberté. A cette période, le sujet se trouve face à de complexes transformations corporelles et psychiques qui entraînent la réactualisation d'une problématique infantile liée à la sexualité. Concernant l'hystérie, il s'agirait d'interroger la manière dont s'actualise, lors de ce processus de la puberté, le rapport du sujet à la sexualité et d'interroger le type de défense mobiliser pour contrer l'appel à la jouissance faisant suit aux transformations du corps. Ces deux aspects, le corps et la jouissance, ont été étroitement liés à l'hystérie dès les premiers développements sur cette pathologie proposés par Freud. Sans vouloir nous attarder dans les détails des découvertes du fonctionnement psychique de l'hystérique, il importe ici de nous arrêter seulement sur quelques points saillants. Si nous abordons l'hystérie du point de vue descriptif, nous pouvons dire qu'il s'agit d'une névrose qui apparaît le plus souvent pendant des événements difficiles ou des périodes critiques de la vie, comme par exemple à l'adolescence107(*). Dès les premières descriptions cliniques de cette pathologie, le corps a été la scène princeps où les symptômes ont été découverts. En effet, l'hystérie se manifeste le plus souvent sous la forme de symptômes somatiques tels que les perturbations de la motricité - difficultés de la marche, paralysies des membres, paralysies faciales, etc. -, les troubles de la sensibilité - douleurs locales, migraines, etc. - et les troubles sensoriels - cécité, surdité, etc. Du point de vue psychique, l'hystérie serait surtout, selon la psychanalyse, un état pathologique concernant le lien que l'hystérique entretient avec autrui. Ce lien est dominé par un fantasme inconscient où le sujet joue le rôle d'une victime malheureuse et constamment insatisfaite. La psychanalyse a découvert que cet état d'insatisfaction permettrait à l'hystérique de se mettre à l'abri d'un danger qu'elle redoute le plus. Selon Freud, ce danger remonte à l'enfance, et précisément à la période du « complexe d'OEdipe » indiquant la scène fantasmatique où le sujet a peur de jouir de ce qu'il désire le plus. En mettant au centre de cette pathologie le complexe d'OEdipe, la psychanalyse à préciser la nature de cette peur. Le grand danger redouté et menaçant pour l'hystérique serait le danger de vivre la satisfaction d'une jouissance maximale assimilée à l'inceste. A partir de ce danger, l'hystérique s'évertue pour éviter toute expérience susceptible d'évoquer un état de pleine ou absolue satisfaction. La possibilité de jouir deviendrait donc la peur principale contre laquelle l'hystérique met en oeuvre un scénario fantasmatique destiné à se prouver et prouver au monde qu'il n'y a de jouissance qu'insatisfaite. Le maintien d'un état d'insatisfaction serait donc une forme de protection contre la menace d'une jouissance perçue comme un risque de désintégration.

Nous voudrions, à présent, exposer notre hypothèse. A la puberté, les transformations corporelles, qui réactualisent une problématique infantile liée à la sexualité, révoquerait le danger de cette jouissance maximale assimilée à l'inceste. Lorsque les premiers signes sensibles et visibles de la puberté apparaissent, l'anorexique ne voudrait pas accepter de se sentir femme et de voir son corps de femme. Plus précisément, l'anorexique s'inscrivant dans une structure hystérique, ne refuserait pas d'être une femme en tant que personne de sexe féminin opposé au sexe masculin, mais elle refuserait le corps féminin en tant qu'objet de jouissance. La vue de son corps deviendrait insupportable et l'anorexique voudrait bannir de sa vie psychique les caractères signifiants du corps pouvant évoquer la jouissance. A la différence de l'anorexique chez un sujet psychotique, le mécanisme de défense mis en oeuvre pour se défaire de ces premiers signes sensibles et visibles de la puberté serait le refoulement.

L'anorexique éloignerait donc de sa vie psychique ces caractères signifiants comme source de jouissance par le refoulement et les tiendraient à l'écart de la conscience en mettant en place un idéal ayant comme but la minceur. Cet idéal de minceur permettrait ainsi de reconquérir un corps infantile où aucun signe visible évoquant la jouissance n'apparaît encore. Cet idéal prendrait davantage appui et se nouerait autour de l'idéal social largement véhiculé par les médias concernant les exigences féminines de minceur, de régime et de performance. Cela expliquerait par ailleurs l'augmentation de cas d'anorexies dans des sociétés108(*) où cet idéal est largement diffusé et partagé. Nous voyons là réapparaître la classique suggestibilité hystérique qui paraît à première vue à l'opposé de la volonté tenace qui caractérise l'anorexique. Du point de vue du stade du miroir, cet idéal correspondrait à l'idéal du moi.

Il y aurait aussi un rapprochement entre cet idéal de l'anorexique et certains idéaux présents dans l'histoire de notre culture. Selon T. Vincent109(*), l'anorexique reproposerait une expérience subjective, certainement d'une manière renouvelée, s'inscrivant dans le vaste mouvement du renoncement à la chair qui fût à certaines époques de l'humanité un idéal social et qui a été particulièrement traité par P. Brown110(*). Dans ce mouvement, le corps était vécu à la fois comme le lieu de l'âme - le temple de Dieu - et à la fois comme le lieu de la chair habité par le péché. Le corps était au centre d'une pratique de la contention visant essentiellement la sexualité considérée comme ce qui marque les corps d'une différence qui renvoie continuellement à la faute originelle. Le mal prend racine de cette différence sexuelle qui soutient l'exercice de la sexualité et ses tentations de concupiscence. Celui ou celle qui choisit la volonté de Dieu contre les caprices de la chair s'engage dans le célibat ou plus encore dans la virginité, et en particulier la virginité féminine puisqu'elle fait résistance à la pratique de la sexualité et à ses conséquences tel que l'enfantement. L'engendrement était aussi considéré comme la racine du mal parce qu'il transmet à chaque nouveau-né le péché d'Adam et Eve. Selon T. Vincent l'anorexique pousse à l'extrême la contention, le jeûne et, l'abstinence et le renoncement et « ce qu'elle veut sauver, c'est l'esprit comme volonté et comme domination, et à lire les nombreux témoignages qu'elle laisse ça ou là, jamais l'esprit ne paraît aussi aiguisé que lorsque la chair est matée111(*) ».

* 106 Vincent T. (2000) L'anorexie. Paris : Odil Jacob, 2006.

* 107 Nasio J.-D. L'hystérie ou l'enfant magnifique de la psychanalyse. Paris : Payot, 1995, p.15.

* 108 Gordon R. A. Anorexie et boulimie, anatomie d'une épidémie sociale. Paris : Stock, 1992.

* 109 Vincent T. (2000) L'anorexie. Paris : Odil Jacob, 2006.

* 110 Brown P. Le Renoncement à la chair. trad. Dauzat P-E. et Jacob C., Paris : Gallimard, 1988.

* 111 Vincent T. (2000) L'anorexie. Paris : Odil Jacob, 2006, p. 161-162.

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