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Eléments pour une clinique différentielle de l'anorexie à travers le stade du miroir

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par Serafino Malaguarnera
Université Libre de Bruxelles - DEA en Sciences Psychologiques et de l'Education 2006
  

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3. La problématique de l'image du corps

En 1973, H. Bruch18(*)  considère l'anorexie essentiellement comme un trouble de l'image du corps provoqué par des perturbations de la perception intéroceptive. Ces perturbations, qui se manifesteraient par une incapacité à reconnaître les sensations et les besoins du corps, seraient consécutives à des attitudes pathogènes de la mère. Celle-ci répondrait à toute demande affective de l'enfant par l'alimentation et, en conséquence, lui empêcherait de percevoir ses besoins réels tels que la faim, la fatigue, le sommeil, etc. Ce vécu pouvant perturber les capacités concernant la reconnaissance des perceptions intéroceptives provoquerait une fragilité de la délimitation du moi et un défaut de la construction de l'image du corps. En 1990, H. Bruch confirme les trois caractéristiques principales de l'anorexie mentale énoncées auparavant, notamment la perception presque délirante du corps - trouble de l'image du corps -, la confusion des sensations corporelles et un sentiment exagéré d'inefficacité. Bien qu'elle soutienne encore ces trois aspects, elle aurait tendance à les considérer comme l'expression d'une idée de soi défectueuse, la crainte d'un vide intérieur et la peur d'avoir quelque chose de mauvais en soi19(*).

Les relations pathologiques que l'anorexique entretient avec l'image du corps ont été aussi mises en avant par la perspective cognitivo-comportementale, selon laquelle l'anorexie serait liée à une déficience des processus de maîtrise face aux nouvelles demandes de l'adolescence. Dans une société qui valorise l'apparence, la perception négative du corps et la peur d'être grosse susciteraient des sentiments d'autoévaluation, d'inadéquation et d'incompétence. En 1985, S. Orbach20(*) considère que les magazines féminins présentent les régimes et le contrôle du poids comme une solution aux difficultés d'adaptation et à la crise de l'adolescence. La volonté de maigrir serait alors une conduite d'évitement qui permettrait à l'adolescent de faire face à une situation angoissante d'échec d'adaptation. Branch et Eurman21(*) proposent que l'amaigrissement susciterait également des renforcements positifs externes et internes, produits habituellement au sein de l'entourage familial et social sous forme d'encouragements. A partir d'un questionnaire visant à analyser les attitudes de la famille et des amis, ils ont observé que l'acceptation et l'approbation étaient évoquées le plus souvent, et que l'anorexique était fréquemment jugée attractive, enviée ou admirée.

Toujours selon une perspective cognitivo-comportementale, P. Slade22(*) développe un modèle de l'anorexie mentale basé sur le paradigme de l'analyse fonctionnelle. Comme pour tout comportement, il définit la symptomatologie anorexique par deux ensembles de variables : les événements antécédents et les événements conséquents. Selon cet auteur, l'anorexie serait le résultat d'un manque de stratégies pour faire face aux perturbations émotionnelles. Slade propose que la perte de poids initiale serait un événement qui renforcerait et maintiendrait le jeûne ou les comportements compensatoires tels que l'exercice physique, les purges, etc. Suite à une perte initiale de poids, l'anorexique serait captivé par ce succès et lui donnerait une importance exagérée qui se manifesterait par une perception surévaluée de l'image du corps. Le jeûne serait alors un comportement pour éviter cette pénible perception qui viendrait ainsi renforcer négativement le comportement problématique. Le modèle de Slade pose surtout le besoin de contrôle au centre de l'anorexie mentale et de son maintien23(*). Ce besoin se manifesterait au travers d'une restriction alimentaire qui serait renforcée positivement par les sentiments de succès résultants et négativement par la crainte de la prise de poids. Le succès consécutif à la perte du poids aurait une fonction renforçatrice lorsque l'anorexique a le sentiment de vivre plusieurs échecs ou de ne pas avoir le contrôle sur les événements de la vie. Bien que ce modèle prenne en compte la forme du corps et le poids, ces paramètres ne sont pas mis au centre de l'anorexie. En 1985, D.M. Garner et al.24(*) poseront ces paramètres au centre de leur modèle cognitif. Selon ces auteurs, la plupart des comportements observés chez les anorexiques seraient le résultat de croyances, d'attitudes et de suppositions concernant la signification du poids corporel, et les facteurs renforçateurs conforteraient la croyance de la patiente selon laquelle il est absolument nécessaire d'être mince. Gouvernées par des impératifs internes d'évitement, les anorexiques deviendraient de moins en moins susceptibles de prendre en compte les informations ou expériences qui mettraient en doute leur système de croyances. En 1993, Garner25(*) propose un modèle qui présente les troubles alimentaires comme un trouble multidéterminé. Le contrôle du poids serait, selon cet auteur, le meilleur moyen de s'auto-évaluer, de juger la valeur et l'efficacité des actions.

En 1993, le modèle cognitif de Vitousek et Ewald26(*) accorde une place centrale aux processus d'information, à la représentation de soi, aux variables de personnalité et à la motivation des patients. Selon ces auteurs, les symptômes alimentaires seraient maintenus par un ensemble d'idées surestimées concernant la forme corporelle et le poids. Ces idées seraient provoquées par l'interaction de caractéristiques individuelles stables - comme le perfectionnisme et l'ascétisme - et les difficultés dans la régulation des affects associés à des idéaux socio-culturels concernant la beauté de la femme. Selon ce modèle, il y aurait chez les anorexiques une distorsion entre la représentation mentale et l'apparence réelle du corps. Les sujets auraient tendance à avoir une représentation négative de leur physique, ce qui entraînerait des sensations d'insatisfaction par rapport à ce corps ou à une partie de celui-ci. Il arrive, en outre, que des anorexiques se perçoivent comme beaucoup plus grosses qu'elles ne le sont réellement en considérant leurs déformations de sensations comme une réalité alors qu'il s'agirait d'une erreur de pensée ou d'une distorsion cognitive27(*). Le thème de la surestimation du poids a fait l'objet de plusieurs recherches. Whitehouse et al.28(*) ont utilisé une méthode qui permet de modifier une image télévisée du corps en l'élargissant ou en la rétrécissant et l'adolescente doit indiquer quand l'aspect réel est atteint. Ils ont constaté l'absence de différence entre la moyenne des réponses des anorexiques et du groupe de contrôle. Une surestimation marquée du volume du corps serait rare et, en général, les anorexiques auraient conscience de leur minceur, mais elles se sentiraient grosses. Selon ces auteurs, la peur d'être grosse renverrait plutôt à une dépréciation de l'image du corps ou à un mécanisme dysmorphophobique qu'à un trouble de la perception du corps.

3.1. La problématique de l'image du corps et les facteurs de risque

A partir de plusieurs recherches, la problématique de l'image du corps a été insérée parmi les facteurs de risque. Une étude longitudinale29(*) de 1100 adolescents sans troubles de comportement alimentaire a évalué les facteurs de risque de l'apparition d'un de ces troubles au cours d'un suivi de trois ans. Pendant ce suivi, 2.9% des sujets ont développé un trouble du comportement alimentaire. La préoccupation corporelle et la pression sociale ont été les seuls prédicteurs significatifs de l'apparition d'un trouble du comportement alimentaire. Plusieurs enquêtes récentes montrent une problématique de l'insatisfaction corporelle auprès des adolescentes, qui représente la population la plus à risque d'une atteinte d'un trouble de comportement alimentaire. Une étude30(*) de plus de 15.000 adolescents de l'Union européenne a noté que 69% des adolescentes étaient insatisfaites de leur poids. En Espagne, une étude31(*) de 105 adolescents, d'âge moyen 15 ans, a relevé que 56% des adolescentes étaient insatisfaites de leur corps et les parties du corps dont elles souhaitaient maigrir étaient le ventre (52%), les fesses (42%), les cuisses (39%), les hanches (18%). L'enquête européenne32(*) HBSC/OMS ( Health Behavior in School-Aged Children » / Organisation mondiale de la santé ) a montré, en France, que près d'une fille sur deux, à 15 ans, se trouvait trop grosse.

* 18 Bruch H. Les yeux et le ventre : l'obèses, l'anorexique et moi dedans. Paris : Payot, 1975.

* 19 Bruch H. Conversations avec des anorexiques. Paris : Payot, 1990.

* 20 Orbach S. « Accepting the symptom : A feminist psychoanalytic treatment of anorexie nervosa » in : Garner D. M., Garfinkel P. E. (eds). Handbook of Psychothérapy for Anorexia Nervosa and Bulimia. New York : The Guilford Press, 1985, p.83-104.

* 21 Branch C. H., Eurman K. J. « Social attitudes toward patients with anorexia nervosa ». American Journal of Psychiatry, 1980, 137, p.631-632.

* 22 Slade P. « Toward a functional analysis of anorexia nervosa and bulimia nervosa ». Britisch Journal of Clinical Psychology, 1982, 21, p. 167-179.

* 23 Cf. Fuso S. Mémoire de fin d'études : Les fonctions de maintien de l'anorexie mentale : construction et validation d'un questionnaire d'auto-évaluation. Université Libre de Bruxelles, 2003.

* 24 Garner D.M., Bmis K.M. « Cognitive thérapy for anorexia nervosa » in : Garner D.M., Garfinkel P.E. Handbook of Psychothérapy for Anorexia Nervosa and Bulimia. New York : The Guilford Press, 1985, p. 107-146.

* 25 Garner D.M. « Psychoeducational principles in treatment » in : Garner D.M., Garfinkel P.E. Handbook of Psychothérapy for Anorexia Nervosa and Bulimia. New York : The Guilford Press, 1997, p. 145-177.

* 26 Vitousek B.K., Ewald S.L. « Self-representation in eating disorders: a cognitive perspective » in : Segal Z.F., Blatt S.J. The self in emotional distress: cognitive and psychodynamic perspectives. New York : The Guilford Press, 1993, p. 221-257.

* 27 Apfelbaum-Igoin L., Ceulemans V., Charlier D. et al. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux. Anorexie et boulimie. Modèles, recherches et traitements. Bruxelles : Editions De Boeck, 1996.

* 28 Whitehouse A.M., Freeman C. O. L., Annandale A. « Body size estimation in anorexia nervosa ». British Journal of Psychiatry, 1988, 153, p. 23-26.

* 29 Chabrol H. L'anorexie et la boulimie de l'adolescente. Paris: PUF, coll. « Que sais-je ? », 2004.

* 30 McElhone S., Kearney J. M., Giachetti I. et al. « Body image perception in relation to recent weight changes and strategies for weight loss in a nationally representative sample in the European Union ». Pyblic Health Nutrition, 1999, 2, p. 141-151.

* 31 Cuadrado C., Carajal A., Moreiras O. « Body perceptions and slimming attitudes reported by Spanish adolescents ». European Journal of Clinical Nutrition, 2000, 54 (suppl. 1), S65-S68.

* 32 Codeau E., Dressen C., Navarro et al. Les années collège : enquête santé HBSC 1998 auprès des 11-15 ans en France, Editions CFES, 2000.

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