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Le bouddhisme theravada, la violence et l'état. Principes et réalités

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par Jacques Huynen
Université de Liège - DEA Histoire des religions 2007
  

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Université de Liège

Faculté de Philosophie et Lettres

LE BOUDDHISME THERAVADA, L'ÉTAT ET LA VIOLENCE. PRINCIPES ET RÉALITÉS

Adapté d'un mémoire présenté en 2007 par

Jacques Huynen

Pour l'obtention du DEA en Histoire des religions

INTRODUCTION

Le bouddhisme jouit de la réputation d'une religion pacifique, voire la plus pacifique des religions. Dans les textes du Canon pâli, les passages soulignant l'inutilité et la nocivité de la violence, défensive ou rétributive, abondent. Contentons nous d'en rappeler certains parmi les plus connus :

Celui qui, cherchant le bonheur, menace des êtres cherchant [aussi] le bonheur, dans l'au-delà n'atteindra pas son bonheur (Dhammapada 131).La colère doit être conquise par la non-colère, le mal par le bien, c'est par la générosité qu'est vaincue l'avarice et par la sincérité le trompeur (Dhammapada 223)

Mais c'est le vers 5 du Dhammapada qui formule de la manière la plus lapidaire cette idée de la vanité et de l'inefficacité de la force ou de la violence :

Les haines ne sont jamais vaincues par la haine, elles le sont par la non-haine ; c'est une loi éternelle

Même l'usage motivé, rétributif, de la force et atteignant son objectif dans la victoire, est déconseillé par le Bouddha. Ainsi dans le Sangama Sutta I (SN III, 14)1(*) après avoir relaté l'épisode où Ajâtasattu, roi du Magadha, se dirigeant vers Kasi (Bénarès) alors située sur le territoire de Pasenadi, roi du Kosala, voit ce dernier venir à sa rencontre pour le repousser. Pasenadi est battu par l'armée d'Ajâtasattu et se retire à Sâvatthi. À cette nouvelle, le Bouddha fait l'éloge de Pasenadi « ami de tout ce qui est bon » et la critique d'Ajâtasattu « ami de tout ce qui est mal ». Mais ajoute-t-il Pasenadi a été humilié et passera une nuit pénible.

On ne peut cependant s'empêcher de remarquer que la qualité royale de Pasenadi et le fait qu'il vient de s'engager dans une guerre n'empêche pas le Bouddha de traiter Pasenadi comme un ami et de faire son éloge. D'où on pourrait être tenté de se demander si la guerre défensive est considérée par le Bouddha comme moins illégitime qu'une guerre d'agression.

Il n'en reste pas moins ferme sur les principes et conclut par les vers suivant, que l'on retrouve aussi dans le Dhammapada (201):

La victoire engendre la haine, car le vaincu en souffre; celui qui est pacifié, ayant rejeté victoire et défaite, connaît le bonheur.

Dans l'Issattasutta (SN, III) le Bouddha s'adressant à Pasenadi introduit une métaphore comparant la guerre des rois et celle, morale, que les moines livrent à l'attachement et au désir par la phrase « Supposons que tu te prépares à une grande bataille... » semblant considérer que pour un roi, qui ne cherche pas la libération et le nirvâna mais seulement une bonne réincarnation, la guerre est une activité normale. La violence ne constituerait-elle une faute que par rapport au but que chacun se fixe et non dans l'absolu? Le serait-elle d'avantage pour le moine qui, par définition vise le nirvâna et dans une moindre mesure pour le laïc ne visant qu'à une meilleure réincarnation, dans une moindre mesure encore pour le roi, dont le sadhamma (devoir d'état) implique précisément la protection de ses sujets et si nécessaire, à cet effet, le recours à la violence ?

Par la suite, les deux rois précités se retrouvent de nouveau face à face sur le champs de bataille et cette fois Ajâtasattu est vaincu et emmené en captivité (SN, III,15). Cependant Pasenadi lui laisse la vie sauve et se contente de confisquer son armée, ses armes, chars et éléphants. À ce propos, le Bouddha prononce les vers suivant qui semblent mettre en doute l'opportunité même de toute riposte à l'agression. :

Un homme en ayant spolié un autre dans la mesure où cela lui est avantageux, lorsqu'il est à son tour spolié par d'autres, cherchera sa revanche. Car le sot, tant que ses actes mauvais n'ont pas porté leur fruit, s'imagine « Voici le moment, l'occasion ! » Mais lorsque le fruit de l'acte a mûri, alors il en supporte les pénibles conséquences. Le tueur rencontre son meurtrier, le vainqueur est vaincu, l'insulteur insulté, le harceleur harcelé. C'est ainsi que par l'enchaînement des conséquences de l'acte, le spoliateur finit par être lui-même spolié.

En ce qui regarde le mahayana l'image parfaitement irénique du bouddhisme a depuis longtemps déjà été corrigée, entre autre par l'article fameux de Paul DEMIÉVILLE « Le bouddhisme et la guerre: post-scriptum à l'Histoire des moines-guerriers du Japon, de G.RENONDEAU»2(*). Plus récemment Lambert SCHMITHAUSEN3(*)A mis en évidence dans les littératures mahayaniques certains passages justifiant, dans certaines circonstances, le recours à la violence, voire au meurtre, à l'encontre entre autres des icchantika4(*). BRIAN DAIZEN VICTORIA5(*)note que les écoles mahayaniques s'impliquèrent souvent dans les guerres menées par leur seigneur séculier et que dès le VIe siècle EC des empereurs chinois utilisèrent le bouddhisme à des fins politiques. Qu'en est-il dans celles du theravada canonique et post-canonique ?

Nous essayerons dans ce mémoire de répondre aux deux questions suivantes :

1. L'affirmation de Walpola RAHULA (L'enseignement du Bouddha, 1978, p. 22) suivant laquelle pas une seule goûte de sang n'avait été versée au nom de la propagation du bouddhisme peut elle être soutenue ?

2. Pourquoi, de nos jours, la plupart des pays de tradition theravada semblent-ils chroniquement en proie à la violence, surtout civile, mais aussi aux conflits inter-étatiques, impliquant des variables religieuses, alors que depuis la fin de la guerre du Vietnam, exception faite du Tibet, de tels conflits et violences sont absents de l'aire mahayanique6(*) ?

I. en traduisant et interrogeant les textes principaux relativement à l'origine de l'état et à ses caractéristiques les plus désirables dans la perspective du bouddhisme theravada, II. en comparant leur contenu à la réalité historique, sociale et politique, des pays de tradition theravada.

*

Le premier des préceptes s'imposant à tous, mais surtout aux moines, interdit de tuer aucun être vivant. Dans la société indienne de l'époque, relativement violente, comme elle l'est d'ailleurs encore, le voeu d'abstention de violence était en quelque sorte ce qui constituait le renonçant et le renonçant bouddhiste. Être un moine ou un laïque bouddhiste, c'était d'abord renoncer à la colère et à la violence (MN, Sâleyyaka Sutta, I 287) :Et quelles sont, maîtres de maison, les trois modes de conduite conformes au dhamma et à la vie paisible ? Ils sont le fait, maîtres de maison, de celui qui ayant renoncé à tuer quelque être vivant que ce soit, évite toute action de tuer, qui ayant déposé le bâton et le glaive, reste calme, charitable, et soucieux du bien-être de tous les êtres vivants.

et MN, Ghatikâro Sutta, II, 51 :

Le potier Ghatikara a pris refuge dans le Bouddha, le Dhamma et le Sangha. Il s'abstient de tuer tout être vivant, de prendre ce qui n'est pas donné, de tout acte sexuel illégal, de toute parole trompeuse, de tout intoxicant ou boisson alcoolisée susceptible d'affecter la concentration.

*

Sukumar Dutt7(*) (Early Buddhist Monachism, pp.72-73) suggère par ailleurs que quatre vers du Mahâpadâna Sutta (Dîgha Nikâya III.25-28), introduits comme « pâtimokkha », pourraient représenter l'origine des deux cent vingt-sept sikkhapada ou règles du pâtimokkha actuel autour desquelles s'est développé le droit monastique ou Vinaya. Ces vers mettent l'accent sur la patience et la non-violence comme ce qui distingue les moines bouddhistes des autres renonçants de l'époque, et constitue en quelque sorte, sur le plan de l'éthique, l'essence du bouddhisme.

La patience est l'ascèse suprême

Le Nibbâna est le bien le plus haut, disent les Bouddhas

Car celui qui blesse autrui n'est pas un renonçant

Celui qui insulte autrui n'est pas un moine.

Ces vers apparaissent aussi dans le Dhammapada (183-185) ainsi que dans les Prâtimoksha d'autres écoles utilisant le sanscrit. PREBISH8(*) suppose que leur inclusion dans les Prâtimoksha Sûtra des différentes écoles y représente la reconnaissance d'une forme ancienne du Patimokkha, afin de renforcer le prestige et l'autorité des versions plus tardives. Mais ce « noyau primitif » a le caractère d'une « confession de foi » plutôt que d'une « confession des fautes». Elle se concentre sur les traits distinctifs du sangha bouddhiste par rapport aux autres groupes de parivrâjaka et sramana contemporains du Bouddha. En effet la communauté du Bouddha n'était au départ qu'une des multiples écoles de renonçants de l'époque s'inspirant plus ou moins des doctrines des Upanishads, du Yoga et du Samkhya, dont elle partageait certains des présupposés doctrinaux, des coutumes et des caractères sociologiques. C'est cependant le rejet de la colère et de la violence qui la caractériserait.

*

Nous tenterons dans ce mémoire d'examiner, en premier lieu, la doctrine du bouddhisme theravada, relativement à l'exercice de la violence répressive ou punitive par la société et l'état, telle qu'elle apparaît dans la littérature pâli canonique et para-canonique, et en second, de comparer cette doctrine avec la réalité ou la pratique des sociétés et états theravada au cours de leur histoire et jusqu'à nos jours.

Dans la Partie I, nous présentons les principaux textes nous introduisant à la conception bouddhiste de l'origine de la violence mais aussi aux thèmes qui y sont liés liés : l'état, l'idéologie et l'utopie comme moyens de contrôle et de légitimation. Ci-dessous un bref survol panoramique du contenu de ces textes.

Dans l'Aggañña Sutta (DN III, 80-98) sont décrites les origines mythiques de l'état, sous forme d'une monarchie élective, comme moyen d'apporter justice et stabilité à une société où crimes et vendetta sont endémique. L'Aggañña Sutta illustre une conception «contractuelle » du pouvoir (cf ZIMMERMANN, 2006, p. 235, note 63).

Le Mahâparinibbâna Sutta (DN II 16; PTS II 71) fait l'éloge du régime républicain des Vajji.

Dans le Cakkavattî Sihanâda Sutta (DN III, 58-77) est décrit l'idéal bouddhiste du souverain ou empereur universel.

La leçon du Sumangala Jâtaka (Ja 420, 3:441-2) est que le dhammarâja (roi vertueux) ne doit pas prononcer de sentence sous l'effet de la colère9(*).

Mais l'exercice du pouvoir est-il compatible avec la vertu ? Le Mûgapakkha Jâtaka (Ja, 538, 15-25) relate l'histoire du prince Temiya qui, persuadé qu'il est impossible d'être roi sans encourir des conséquences karmiques très graves, refuse la charge suprême.

L'idéologie prend ensuite des caractères clairement utopiques : Dans le Bhikkhâparampara Jâtaka (Ja, 496, 4:370) la cour du roi vertueux est vide de criminels et de plaignants. Dans l'Anguttara Nikâya (II 74-6) sont décrit les effets positifs d'une bonne gouvernance sur le cours des astres et autres phénomènes naturels10(*).

Le Mahâvamsa, chronique singhalaise post-canonique (V-VIe siècle EC), postérieure d'au moins cinq siècles aux Sutta et Jâtaka, présente avec ces derniers un contraste surprenant. Il appartient au genre épique et constitue un des rares textes pâli où l'on peut trouver des justifications de la violence, dans le cadre, déjà, d'une guerre défensive contre les Tamouls du Nord.

De ces textes nous traduisons les passages les plus pertinents, et la presque totalité du Cakkavatti Sutta, dans l'édition de la Pali Text Society (PTS). Cependant pour des raisons indépendantes de notre volonté pour les passages du Dhammapada ci-dessus de même que pour l'Éloge des Vajji (DN, Mahâparinibbâna), et l'Adhammika Sutta (AN). nous avons dû utiliser l'édition électronique du VIe Concile par le Vipassana Research Institute ( www.vri.dhamma.org), qui donne aussi accès aux commentaires.

Dans la Partie II, nous tenterons de comparer ces principes et ces idéaux à la réalité des pays de tradition theravada, tant du point de vue des rapports entre états que de celui des rapports entre états et individus ou entre catégories sociales, ethniques et religieuses dans le cadre de ces états.

Quelques repères chronologiques

Dates du Bouddha

Les érudits modernes ont proposé 483 AEC, voire 474/475 AEC pour la date de la mort du Bouddha (parinibbâna) et les études récentes tendent à raccourcir encore jusqu'à 400/380, moins d'un siècle donc avant l'apparition d'Alexandre dans la vallée de l'Indus, l'expansion du royaume de Magadha puis la constitution de l'Empire Maurya sous Chandragupta à la fin du IVe AEC, et son apogée sous Asoka (260-227)11(*). Le Bouddha aurait vécu quatre-vingt ans. Ce qui nous mène à +/- 486 AEC pour la date de sa mort. Mais l'orthodoxie singhalaise maintient en même temps la date de 544/543. En 2006 EC nous sommes donc pour elle en 2549/50 EB. Entre 543, 486 et 380, nous avons donc une fourchette de 163 ans. La question n'est pas résolue et ne le sera peut-être jamais conclut Peter SKILLING12(*).

Pour R.F.GOMBRICH13(*) la chronologie courte s'accorde mieux avec les découvertes archéologiques témoignant de l'accélération de l'urbanisation de la plaine gangétique au IVe siècle, dont témoignent les passages narratifs du Canon14(*). L'article de K.R.NORMAN « Observation on the dates of the Buddha and the Jina »15(*) faisant de manière très complète l'état de la question, tel qu'en 1996, conclut « We shall probably not be far out if we assume that [...] Gotama the Buddha died within the period of ten years either side of 400 BC.»

* 1 PTS I, 83.

* 2 Mélanges publiés par l'Institut des Hautes Études Chinoises I, 1957.

* 3 SCHMITHAUSEN Lambert. « Aspects of the Buddhist Attitude towards War » in Violence, Non-Violence

and the Rationalization of Violence in South Asian Cultural History. Collectif sous la direction de Jan

E.M.Houben et Karel R. VanKooij (Leiden : Brill, 1999).

* 4 « ennemis du Dharma »

* 5 Zen War Stories (London, RoutledgeCurzon, 2003), pp. 150 et 161.

* 6 Ces dernières années ce ne sont pas les moines vietnamiens, japonais, chinois, taiwanais ou coréens qui ont fait la une des journaux mais bien les moines singhalais, birmans et, dans un moindre mesure, thaï.

* 7 Sukumar DUTT. Early Buddhist Monachism, Munshiram Manoharlal, New Delhi, 1996. Première éd. : 1924, p. 72-73.

* 8 Charles S. PREBISH. Buddhist Monastic Discipline : The Sanskrit Prâtimoksha Sûtras of the Mahâsanghikas and Mûlasarvâstivâdins, The Pennsylvania State University Press, 1975, p. 18-19.

* 9 Le Somanassa Jâtaka (Jâ 505, 4:451), spécifie qu'un roi ne devrait pas punir avant d'avoir bien pesé la gravité de la faute et la propriété de la punition.

* 10 Dans le Râjovâda Jâtaka (Ja, 334, 3:110-2) les fruits qui poussent sur les arbres d'un tel pays sont mûrs et sucrés.

* 11 Colette CAILLAT, « L'époque du Bouddha et la diffusion du bouddhisme » dans Religion et Histoire, n° 8, mai-juin 2006.

* 12 « La vie du Bouddha, Traditions et Histoire », traduit de l'anglais par Vincent Basset, Religion et Histoire, n° 8, mai-juin 2006.

* 13 «The history of early Buddhism: major advances since 1950», Indological Studies and South Asian Bibliography A Conference, 1986, Nat. Lib., Calcutta 1988, pp. 12-30.

* 14 À moins qu'ils ne témoignent d'avantage de l'état de la société au moment où ces passages prirent forme ou furent composés plutôt qu'au moment des faits qu'ils sont supposés rapporter à l'époque du Bouddha.

* 15 in K.R. NORMAN, Collected Papers, IV, PTS, Oxford, 1993.

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