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Les limites de la vision occidentale du vivant

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par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

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Les limites du paradigme mécaniste

Que l'ensemble des êtres vivants calcule, voilà qui ne fait plus de doute. Notre machinerie moléculaire calcule également de la même manière et aucun principe vitaliste ni aucune substance spirituelle ne semble nécessaire pour expliquer cela. A la manière de Monod, on peut rendre compte de toute la téléologie du vivant par les mécanismes biochimiques qui en sont les constituants. Le fonctionnement stéréospécifique des acides aminés et des acides nucléiques peut être considéré comme le fondement des capacités de computation dont témoignent toutes les entités vivantes, qui elles-mêmes expliquent les comportements téléologiques que l'on peut observer à toutes les échelles du vivant.

En radicalisant le point de vue du réductionnisme, on serait alors en droit d'éjecter de l'étude du vivant, comme Descartes et Monod, tout principe spirituel et toute forme de finalité, puisque l'étude des simples mécanismes physiques suffit. A cela deux arguments principaux doivent être opposés. Le premier tient au manque d'efficacité méthodologique et prédictive de cette démarche réductionniste. Le second émane paradoxalement de Descartes lui-même puisqu'il s'agit des conséquences philosophiques de son cogito.

Comme nous l'avons déjà remarqué, dans la vie de tous les jours, même le réductionniste cohabite avec ses semblables en leur supposant une subjectivité fondamentale. Certes il peut estimer que des phénomènes électrochimiques sont à l'origine de cette ''émanation psychique'' mais lorsqu'il fait ses courses c'est bien avec cette émanation qu'il marchande, et non avec la réalité biologique qui la sous-tend. De même lorsque le matérialiste le plus forcené cherche à obtenir un visa de voyage ou un prêt bancaire, il ne cherche pas dans un livre de biologie moléculaire l'enzyme appropriée. Pour anticiper les réactions de ses semblables, l'homme doit généralement leur supposer des buts, des projets et une certaine capacité de délibération quant aux moyens à employer pour cela ; bref il doit faire usage des causes finales. Il n'y a guère que dans les laboratoires et les compétitions d'athlétisme qu'il peut arriver que l'on anticipe des réactions humaines uniquement selon le déterminisme matérialiste des causes efficientes.

La biologie n'est d'ailleurs pas la seule science à étudier l'homme car bien qu'elles ne soient pas considérées comme des sciences exactes, les sciences humaines ont prouvé leur capacité à produire des prédictions vérifiables. Et la psychologie, la sociologie comme les sciences économiques et politiques utilisent pour cela tout un attirail de concepts relevant de la finalité et qui supposent une intériorité à leurs sujets d'études. Comment expliquer l'efficacité de ces méthodes si l'on considère que la réalité n'obéit qu'à des lois relevant de la causalité efficiente ? Qui plus est, quoique la biologie puisse prédire les mouvements et les réactions de nombreux de nos composants, le potentiel prédictif des sciences humaines sur les comportements humains semble beaucoup plus puissant. Ainsi, si un biologiste souhaitait obtenir le même type de prédictions que peut fournir une enquête d'opinion15(*) ou une étude de marché, à partir de données strictement biochimiques, il lui faudrait sûrement plusieurs siècles pour disséquer tous les êtres humains impliqués dans le phénomène étudié.

L'usage du principe de finalité dans les sciences ne concerne d'ailleurs pas que l'homme, il suffit de prendre en compte toutes les données que nous avons jusque là rapportées pour se convaincre que le langage des biologistes est lourdement connoté. Les éthologues, bien entendu, traitent leurs sujets16(*) comme le sociologue et le psychologue les leurs. Chandebois, pour sa part, n'hésite pas à utiliser le terme de comportement social concernant la cellule. Partout on parle de fonctions, de rôles et de régulation, et il est difficile de gommer l'aspect normatif de ces concepts sans perdre tout l'intérêt explicatif qu'ils peuvent avoir. Ainsi lorsque l'on définit le système immunitaire, c'est comme l'ensemble des mécanismes de défense de l'organisme ; non seulement cela exige une distinction entre ''soi'' et ''non-soi'' mais les leucocytes, l'acidité gastrique et nos larmes sont uniquement regroupés dans le système immunitaire par leur but commun. On peut remarquer que le darwinisme est également formulé dans un discours essentiellement finaliste puisque l'une de ses notions centrales est celle d'utilité. Bien qu'il en use lui aussi, nous avons déjà noté le point de vue équivoque de Monod concernant l'usage de la finalité dans le langage scientifique :

« La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l'objectivité de la Nature. C'est-à-dire le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une ''connaissance'' vraie toute interprétation des phénomènes en termes de causes finales, c'est-à-dire de ''projet'' » (Le hasard et la nécessité).

« L'objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que, dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet » (Le hasard et la nécessité).

Pour solutionner ce paradoxe Monod estime pouvoir chasser le discours finaliste par l'explication moléculaire de tout comportement téléologique par des mécanismes chimiques stéréospécifiques. Certes, il est vrai que le comportement final dont témoignent les entités vivantes peut être expliqué sans téléonomie, mais les scientifiques s'accordent de nos jours pour estimer au moins qu'un discours finaliste est plus adéquat concernant le vivant. Nombre de scientifiques réductionnistes ne le sont que philosophiquement car méthodologiquement, tout réduire à la physique n'est pas très fructueux. Notamment il faudrait pour cela renoncer à toutes les sciences humaines, à l'éthologie mais aussi à la médecine qui se distingue essentiellement de la biologie par son caractère normatif. Bref c'est une très large gamme d'outils prédictifs qui devraient être abandonnés, ce qui nous autorise à penser qu'une hypothétique science des seules causes efficientes serait bien moins efficace (et plus obscurantiste) que la science actuelle, beaucoup plus ouverte, qui intègre avec succès la finalité.

Parallèlement, le fait est que nous vivons, nous humains, une expérience subjective dont la réalité ne peut être remise en cause. On peut toujours penser que cette subjectivité n'est qu'un simple effet secondaire d'une réalité objective qui serait purement matérielle mais il demeure qu'il faille admettre une forme ou une autre de propriété spirituelle à cette matière, ou à certaines structures matérielles. La conscience peut également être considérée comme une illusion sans la moindre réalité, mais il s'agit d'une aporie puisque c'est par notre conscience que nous sommes à même d'appréhender toute forme de réalité. Personne n'a jamais eu d'expérience du monde sans subjectivité, donc cette possibilité, où l'on peut même voir une contradiction entre les termes, ne mérite pas d'être conservée. Les réponses possibles aux problématiques que nous venons de soulever semblent osciller entre un dualisme des substances qui fait du spirituel un simple épiphénomène et un monisme fondé sur le cogito mais incapable d'en fixer les limites.

Le dualisme s'accommode très bien du matérialisme car il admet une réalité purement matérielle obéissant à des lois tout aussi matérielles. Cela explique toute l'efficacité du discours matérialiste. Mais en conséquence de cette autonomie des lois physiques, l'intériorité que le cogito nous force à admettre doit être considérée comme un épiphénomène qui relègue le choix et le libre-arbitre au rang d'illusions. Les causes finales ne doivent donc plus concerner que cette seconde réalité, la réalité spirituelle.

Le dualisme reste cependant très problématique puisque si seul le cogito me fait admettre ma propre spiritualité, et si l'on n'accepte aucune influence du spirituel sur le matériel, il m'est impossible de déceler avec certitude quels phénomènes physiques sont doublés d'une réalité spirituelle. Les arguments comportementaux et linguistiques posent davantage de problèmes qu'ils n'en résolvent car les indices de finalité étudiés par les sciences sociales, quoiqu'ils ne relèvent pas des sciences physiques, sont tout de même des comportements, des attitudes, des discours, bref des évènements physiques, considérés comme des manifestations d'une intériorité. Si le monde matériel obéit uniquement à ses propres lois sans l'influence du spirituel, comment se fait-il que nous puissions trouver des indices physiques de la présence de celui-ci ? De même, à partir de l'étude physique des entités biologiques, quelle que soit son obédience métaphysique, tout biologiste est forcé d'admettre la finalité et la téléologie dont témoigne tout le règne du vivant. Doit-on alors admettre une réalité purement spirituelle analogue au cogito à toutes les entités vivantes ?

Le monisme ne fait pas face aux mêmes types de problèmes car en admettant que la matière et le spirituel sont des facettes d'une même réalité, il résulte que cette réalité ne peut se résumer à la pure étendue du cartésien. Si le monisme doit être conçu comme davantage qu'un simple monisme matérialiste, c'est grâce au cogito qui témoigne des propriétés spirituelles de la réalité. La question se pose alors de savoir jusqu'où s'étendent ces propriétés. Sont-elles généralisées à toute la réalité ou seulement à certains phénomènes précis ? Dans ce cas se pose de nouveau toute la problématique précédente sur l'attribution de la subjectivité à partir des comportements téléologiques. Le monisme, s'il concilie sûrement mieux que le matérialisme ou le dualisme les données de la physique, la finalité du monde du vivant et l'expérience subjective, il ne nous laisse pourtant que la spéculation métaphysique pour résoudre la question de l'intériorité des non-humains. Aussi faut-il expliquer pourquoi la considération des causes efficientes peut théoriquement suffire, quoique ce ne soit pas forcément la meilleure méthode, pour comprendre et prédire tous les phénomènes du monde, même ceux faisant preuve de finalité ; alors que l'inverse n'est pas vrai, car il semble que l'on ne puisse pas expliquer bon nombre de phénomènes physiques à partir du principe de finalité.

Non seulement un pur mécanisme comme celui de Descartes n'est pas satisfaisant pour rendre compte de la réalité physique mais un matérialiste plus progressif reste tout de même en butte avec la téléonomie dont témoignent certaines données empiriques, à savoir l'étude des entités vivantes. Ces courants de pensée sont problématiques aussi bien sûr le plan méthodologique que sur des questions ontologiques puisque la subjectivité humaine reste énigmatique. Le dualisme ne s'en sort guère mieux car s'il intègre le cogito, il ne rend pas compte de la téléonomie que l'on observe empiriquement. Le monisme semble plus adéquat pour expliquer cet entremêlement des causes efficientes et finales dans l'étude du vivant mais laisse alors entièrement en suspend la question de la subjectivité du non-humain.

* 15 Certes l'efficacité des sondages d'opinion peut être contestée mais c'est davantage la partialité des échantillons sélectionnés, les interprétations fallacieuses que l'on fait des résultats et la médiatisation intéressée qui en résulte qui méritent une vigoureuse critique. Les sondages, beaucoup plus discrets, dirigés par les sociologues, sont effectués selon des méthodes scientifiques abouties où on ne demande pas par exemple ''êtes-vous égoïste ?'' mais on pose tout une batterie de questions détournées pour analyser les intentions du sujet.

* 16 Sur ce point il peut être intéressant de remarquer comment la biologie a tendance à parler de sujets d'étude, à la manière des sciences humaines, là où a physique n'a que des objets.

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