L'EXECUTIF
La question de la responsabilité pénale du chef
de l'Etat et des autorités politiques de premier plan
général, est toujours un véritable « casse tête
» pour les juristes dans toutes les démocraties. En France,
longtemps négligé par la doctrine constitutionnelle, le
thème de la responsabilité pénale du président de
la république connaît depuis quelques années un
véritable regain d'intérêt. Plusieurs questions se posait
et se posent encore : le chef de l'Etat jouit-il d'une immunité
complète pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses
fonctions ? Est-ce justifiable dans un Etat de droit moderne1 14? A
toutes ces questions , le conseil constitutionnel 115 et la cour de
cassation116 ont apportés des réponses mais qui du
reste soulevaient des interrogations sur leurs compatibilités et sur la
pertinence des solutions applicables 117.C'est, bien entendu ,
lorsque se pose la question du statut pénal du chef de l'Etat , des
membres du gouvernement et des parlementaires , que l'on trouve le plus grand
nombre de références explicites aux dispositions
constitutionnelles et un plein contrôle de la bonne application de ces
règles parfois susceptibles de déboucher sur une
interprétation différente de celle donné par les deux
juridictions 118.
Finalement, un projet de loi constitutionnel a
été adopté en 2007119 pour mettre tout le monde
d'accord. Y est-il parvenu ? Certain estime que, vis-à-vis des principes
de responsabilité pénale applicable au président de la
république, cette vision n'apporte rien par rapport à l'Etat du
droit
1 14C. GUETTIER et A.LEDIVELLEC « La responsabilité
pénale du président de la République »L'harmattan
2003, introduction.
1 15N°98-408DC du 22 janvier 1999
1 16Ass, Plénière de la cour de cassation du 10
octobre 2001
1 17C. GUETTIER et A.LEDIVELLEC .OC.
118 D.COMMARET. »L'application de la constitution par la
cour de cassation, perspectives de droit pénal » paru dans
l'ouvrage intitulé : L'application de la constitution par les cours
suprêmes. Chez Dalloz 2007. p 75
119 Projet de loi constitutionnelle sur la responsabilité
pénale du président de la république adopté par le
congrès le 19 février 2007.
antérieur puisque les contours avaient été
fixés par les deux décisions du conseil constitutionnel de 1999
et de la cour de cassation de 2001120 que nous avons
précédemment évoqués.
Cette complexité à aborder ces questions est
encore plus vraie dans un Etat comme la RDC ou la démocratie est en
pleine construction et l'Etat de droit embryonnaire. Pourtant , le constituant
congolais de 2006 a fait preuve d'une originalité sans
précédent en accordant dans les articles 163 à 167 de la
constitution de 2006 à la cour constitutionnelle le soin de juger le
président de la République et le premier ministre pour les actes
qu'ils auront commis dans l'exercice de leurs fonctions . Ce faisant, le
constituant de 2006 n'a pas créé un organe spécifique
à l'image de la haute cour française.
Toutefois, en confiant cette lourde responsabilité
à la cour constitutionnelle, il a pris soin de définir,
l'ensemble des actes par lesquels, le président de la république
et le premier ministre pouvaient être passibles d'une poursuite
pénale.
Le législateur organique ne fera donc que reprendre les
termes de la constitution, qui du reste
consacre une conception assez
ouverte des infractions pénales (1). Par ailleurs, si
le constituant
a défini lui-même les délits passibles de
poursuite, il a laissé le soin au législateur organique d'en
déterminer la procédure applicable devant la cour. C'est ce qui
fait l'objet d'une section de la proposition de LO. Il convient de noter que
cette proposition de procédure n'est pas très simple
(2). Enfin, confrontant le nouveau régime mis en place en RDC
avec du droit comparé (3).
Paragraphe 1 :Une conception assez large des
infractions pénales du pouvoir exécutif
Le juge constitutionnel, investie de la compétence
pénale à l'égard du président de la
république
et du premier ministre, ne dispose pas d'une
compétence générale. Il s'agit d'une compétence
120 G.J.GUGLIELMI. « la responsabilité pénale
du président de la république » Article paru sur le site
Internet :
www.drole-den-droit .fr le
19 février 2007.
83 d'attribution dont la constitution (Art.163 à 167)
et la proposition de LO (Art.71à 86) définissent les contours
(A) et déterminent les limites (B).
A) La définition des actes relevant de la
compétence pénale de la cour
L'ensemble des délits susceptibles d'engager la
responsabilité pénale des deux têtes de l'exécutif
étant définit par la constitution, la LO ne fait que reprendre
ces différentes définitions :
La haute trahison (Art. 73 LO)
Elle s'applique dans deux cas :
D'abord, lorsque le président de la république
et le premier ministre viole intentionnellement la constitution. Ensuite,
lorsqu'ils sont reconnus, auteurs, co-auteurs ou complices de violation grave
et caractérisée de droit de l'homme, de cession du territoire ou
d'enrichissement illicite. La haute trahison est une notion difficile à
définir, il n'existe pas de définition juridique comme telle.
Toutefois, elle peut être définie comme un crime qui consiste en
une extrême déloyauté à l'égard don pays
121 . D'ailleurs, en France la notion de « haute
trahison » considérée comme antique et belle formule
122 a été remplacée par la formule «
Manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l'exercice
de son mandat » 123 . En l'absence de véritable
définition, selon les Etats, on énumère une liste
limitative des actes qui rentrent dans cette catégorie. Cette technique
est aussi employée par le constituant congolais qui retient trois
éléments : la violation caractérisée de droit de
l'homme, la cession d'une partie du territoire et l'enrichissement illicite.
Peu importe par ailleurs que l'autorité politique ait participé
directement ou indirectement. Il n'en demeure pas moins, que comme dans tous
les Etats ou cette notion existe, elle est difficilement applicable.
121 Définition disponible sur le site Internet
.wikepedia.fr .
122 A.M.LEPOURHIET. A propos du traité de Lisbonne sur le
site Internet : www.marianne2.FR Le 05 octobre 20007.
123 L'article 68 de la constitution de 1958 a
été modifié à l'occasion de la réforme
constitutionnelle de février 2007.
84 Déjà, dans la loi constitutionnelle du 25
février 1875, le président de la république en France
n'était responsable qu'en cas de haute trahison. La notion ne date donc
pas d'aujourd'hui mais elle suscite toujours autant de controverses.
Dans un pays comme la RDC, ou les questions
térritoriales124 et celle de droit de l'homme125
ont une résonance particulière, il serait intéressant de
voir comment les poursuites pourraient être engagées contre le
président de la république ou le premier ministre dans ces
matières . L'atteinte à l'honneur ou à la
probité
Prévue par l'article 74 LO, elle désigne le
comportement personnel du président de la république et du
premier ministre qui , est contraire aux bonnes moeurs, soit reconnus auteurs
ou co-auteurs ou complices de malversations de corruption ou d'enrichissement
illicite. La encore, il s'agit d'une définition assez vague
difficilement rétranscriptible sur un terrain pratique.
En France, dans une affaire consécutive à la
loi d'amnistie de 2002126, le conseil d'Etat avait annulé
l'arrêt de la cour d'appel qui avait considérée que des
propos injurieux relevait « d'une atteinte à l'honneur,
à la probité et aux bonnes moeurs »127. Il
y'avait donc divergence d'interprétation entre les juridictions
administratives. Cet exemple illustre toute la difficulté que le juge
constitutionnel congolais rencontrera pour déterminer des actes relevant
de cette catégorie.
Délit d'initié
L'article 75 LO prévoit ce délit, lorsque le
président de la république ou le premier ministre effectue des
opérations sur valeur immobilière ou sur marchandises à
l'égard desquelles il possède des informations
privilégiées et dont ils tirent profit.
124 A propos du Kivu, une zone frontalière entre la RDC
et le RWANDA. Situé à l'EST de la RDC est le Théâtre
des nombreux affrontements entre les deux Etats.
125 A titre d'exemple, la présumée extermination
des BANYAMULENGE par le feu président J. KABILA à la fin des
années 1990.
126 Loi N° 2002-1062 du 6 août 2002 portant
amnistie
127 CE 11 Février 2008.
Ce type de délit relève plus des acteurs
économiques que des acteurs politiques puisqu'il est défini comme
: un délit boursier que commet une personne qui vend ou achète
des valeurs immobilières en se basant sur des informations dont ne
disposent pas les autres128.
C'est donc l'utilisation ou la communication
d'éléments privilégiés pouvant permettre des gains
illicites lors des transactions boursières, qui sont interdits par la
réglementation de contrôle des marchés financiers.
En pleine crise économique, ce cas peut trouver un
écho au près des populations mais sa raison d'être est
contestable. En effet, il n'existe pas de marché financier (Bourse) en
RDC, par ailleurs, les transactions immobilières restent très
artisanales; il sera donc difficile d'engager la responsabilité du
président de la république ou du premier ministre sur ce
délit d'autant plus que les hommes politiques Africains réalisent
ses opérations en occident. hors ni la LO, ni la constitution ne
prévoit la possibilité d'engager leur responsabilités pour
une transaction immobilière effectuée à l'étranger,
dans une telle situation qu'en sera t-il ?
L'outrage au parlement
Il ressort de l'article 76 LO, qu'il y'a outrage au
parlement, lorsque sur des questions posées par l'une ou l'autre chambre
sur l'activité gouvernementale, le premier ministre ne fournit aucune
réponse dans un délai de trente jours. L'outrage au parlement
formulé de cette manière semble être une innovation. A
titre d'exemple :
Au Canada, l'outrage au parlement revêt une double
signification :
D'abord, il est considéré comme un mensonge ou
un faux témoignage contre la législation adoptée. A titre
d'exemple, une haute autorité de la gendarmerie royale a commis un
outrage au parlement parce qu'il avait porté un faux témoignage
sur les problèmes concernant le fond de retraite des policiers
129 . En deuxième lieu, la loi constitutionnelle canadienne
de 1967, prévoit
128 Cour de droit bancaire et bourse de madame MURVILLE en M1
droit des affaires .2008-2009
129 A propos de l'affaire concernant la commissaire adjointe
Barbara Georges paru dans la presse canadienne édition du 11 avril
2008.
une disposition qui en présence d'une divulgation d'un
projet de loi au public par le pouvoir exécutif avant le débat
à la chambre des communes 130es t un outrage au parlement
.
Récemment, le président de l'assemblée
nationale canadienne131 avait reçu une plainte
déposée par les députés du parti
québécois contre la ministre des transports132. La
ministre était accusée d'outrage au parlement pour avoir rendu
public son projet de loi sur la sécurité routière avant de
le présenter au parlement133.
Par ailleurs, les articles 25 à 27 de la loi du
parlement canadien prévoit un délit d'outrage au parlement pour
les députés eux mêmes. C'ainsi que le député
néo-démocrate Ian WADDDELL est le seul
député à avoir été reconnu coupable
d'outrage au parlement pour avoir tenté de s'emparé de la masse
cérémonielle des communes durant un débat
animé134.
Les conséquences sont nébuleuse mais en
théorie, dans le premier cas il y'a des sanctions allant d'une amende
à une peine de prison. Pour les députés reconnus coupable
d'outrage, l'article 27 de la loi du parlement au Canada, prévoit une
expulsion.
Si la notion de délit d'outrage, n'est pas une
invention congolaise, puisque à l'instar du canada , il existe aussi au
Royaume-Uni , le contenu semble bien être une invention congolaise
135. Mais il est difficile de considérer que la
responsabilité pénale des deux têtes de l'exécutif
puisse être engagée pour un tel délit, car comme au Canada,
il n'y a jamais eu véritablement un cas d'une personnalité
politique où du moins de l'exécutif reconnue coupable d'un tel
délit.
En définitif, les délits susceptibles d'engager
la responsabilité pénale du président de la
république et du premier ministre en RDC sont, soit très vagues
pour faire l'objet d'une véritable poursuite (haute trahison), soit
relevant d'un domaine ou il n'est pas certain que l'engagement d'une telle
responsabilité puisse aboutir (délit initié) .
B) Les limites de la compétence pénale
du juge constitutionnel
130 Il s'agit de l'équivalent de l'assemblée
nationale.
131 M Michel BISSONET.
132 Mme. j. BOULET.
134 Information disponible sur le site :
www.ledevoir.com .
135 Art.30 du règlement de la chambre des lords relatif
aux affaires publiques.
87 L'article 71 LO dispose : « la cour
constitutionnelle est la juridiction pénale du chef de l'Etat et du
premier ministre pour les infractions commises dans l'exercice ou l'occasion de
l'exercice de leurs fonctions ».
D'abord, il convient de remarquer qu'il ne revient pas au
juge constitutionnel de connaître de connaître en premier et
dernier ressort les infractions commises par les autres hautes autorités
politiques. En effet, en vertu de l'article 153 al, 2 de la constitution, c'est
la cour de cassation qui est compétente en présence des telles
plaintes.
Outre, sa compétence pénale sur le
président de la république et le premier ministre, le juge
constitutionnel est aussi compétente pour juger leurs co-auteurs et
complices. Il y'a donc une limite à l'exercice de cette
responsabilité pénale, par ailleurs cette limite n'est pas la
seule puisque l'alinéa 3 du même article précise que seules
les infractions commises dans l'exercice des fonctions présidentielles
et primo-ministérielles relèvent de la compétence de la
cour constitutionnelle. Cette limite est très importante puisqu'elle
consacre une immunité juridictionnelle temporaire du président de
la république et du premier ministre.
En effet , comme l'avait affirmé le juge de cassation
en France a propos du statut pénal du président de la
république 136tirant les conséquences de l'article 3
du titre II de la constitution de 1958 , le juge de cassation a estimé
que le président de la république étant élu
directement par le peuple pour assurer notamment le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat
ne pouvait pendant l'exercice de son mandat être mis en examen ou
même entendu comme témoin assisté 137.
La proposition de LO s'oriente dans ce sens, puisqu'en vertu
de l'article 73 LO, les poursuites en dehors de l'exercice de leurs fonctions
sont suspendues jusqu'à l'expiration du mandat et le délai de
prescription arrête de courir. Cette conception du statut pénal du
chef de l'Etat et du premier ministre au Congo est assez extensive. Qu'en sera
t-il si un chef d'Etat commet un acte grave mais détachable de sa
fonction ? Un premier ministre qui tue son épouse par jalousie, aura
t-il
88 l'autorité morale et politique nécessaire
pour continuer à assumer sa tache ? Ne s'agit-il pas d'une validation de
l'impunité au sommet ? Il aurait été juridiquement plus
louable de faire une distinction entre les actes commis pendant l'exercice de
ses fonctions et détachable de celle-ci qu'un juge de droit commun
pouvait juger.
Peut aussi se poser la question d'une telle protection
juridictionnelle pour le premier ministre, car l'on ne peut évoquer la
légitimité populaire de celui-ci puisque n'étant pas
élu. Par ailleurs, à quel moment l'on pourra considérer
que les poursuites pénales contre ce dernier sont possibles ? Car si
cela est aisé pour le président, élu pour un mandat de
sept ans, le premier ministre ne dispose pas d'un mandat, il peut être
révoqué par le président à tout moment .Le
législateur organique devra faire une distinction entre les deux
responsabilités, car la nature des deux fonctions est à bien des
égards distincts.
Enfin, la principale limite à l'exercice de la
compétence pénale du juge constitutionnel est sans aucun doute
politique. Car en vertu de l'article 77, al. 1er : « les
décisions de poursuites ainsi que la mise en accusation du
président de la république et du 1er ministre sont votées
à la majorité de deux tiers des membres du parlement composant le
congrès suivant la procédure prévue par le
règlement ».
La conséquence de cet article, c'est la restriction
stricte de la saisine de la cour constitutionnelle pour engage une telle
responsabilité. Il s'agit d'un véritable verrou parlementaire,
difficilement atteignable. Il est cependant vrai, qu'en France un tel
dispositif existe 138mais une fois encore la « vieille
» démocratie française, n'est pas comparable à
la « naissante » démocratie congolaise , D'ailleurs
dans les Etats ou cette obligation parlementaire dans la matière existe
, la procédure n'aboutit presque jamais .
Aux USA, où la constitution autorise le congrès
fédéral à destituer et juger le président,
vice-
président et tous les fonctionnaires civils, les
présidents n'ont jamais été destitués
139 . L'exemple
de B.CLINTON en 1998 dont les
sénateurs avaient refusés de confirmer la destitution est une
138 Art. 68 de la constitution de 1958 prévoit un
mécanisme similaire.
139 A ce propos, trois président de la république
ont été inquiétés par cette procédure ; A.
JOHNSON en 1868, R.NIXON en 1974 avait démissionné avant que le
congrès ne se prononce et B.CLINTON en 1998.
89 parfaite illustration, car les sénateurs
démocrates avaient voté contre et une majorité des
républicains avaient voté pour.
Au final, il semble donc difficile, qu'en présence
d'une concordance des majorités mais surtout en Afrique, d'un
système clientéliste, qu'un chef d'Etat succombe à cette
accusation. Il aurait fallut organiser une relation entre les citoyens pouvant
saisir les institutions d'appui à la démocratie et eux jouant le
rôle de filtre avant de saisir la cour constitutionnelle qui en dernier
ressort allait décider s'il elle pouvait ou pas engager des
poursuites.
A coté des limites à la compétence
pénale du juge, la proposition de LO met en place une procédure
qui est loin d'être simple.