Paragraphe 1 : Le choix des membres
Conformément à l'article 158 de la constitution
congolaise, repris tel quel par l'article deux de la proposition de loi
organique : la cour constitutionnelle sera composé de neuf membres.
Comme c'est le cas pour la plupart des cours et conseils constitutionnels
étrangers , les membres de la cour constitutionnelle sont
désignés par des personnalités politiques .Cette forme de
désignation est d'origine française , en effet l'article 56 de la
constitution française de 1958 pose le principe d'une nomination
politique des membres du conseil constitutionnel repartis entre le
président de la république, le président de
l'assemblée nationale et le président du sénat qui nomment
chacun trois membres .On retrouve ce mode de désignation un peu partout
en Afrique , la tendance générale est de valoriser le rôle
du chef de l'État dans ces nominations . Trois constitutions africaines
se sont inspirées des proportions imaginées par le constituant
français : les exemples les plus nets sont ceux du Gabon et du Tchad
avec trois membres désignés par le président
République, trois par le président de l'assemblée
nationale et trois par celui du sénat .Il est cependant vrai que ce
choix est toujours limité par une série d'autres
conditions17.
La proposition de loi organique congolaise s'inscrit dans ce sens
(A), mais va au delà des seules désignations
politiques (B).
A) Une désignation partagée
La désignation des membres de la future cour
constitutionnelle prévue par l'article 2 de la
17 A.CABANIS et M.LOUIS-MARTIN « Les
constitutions d'Afrique Francophone Ȏdition Karthala, P .163
11 proposition de loi organique , fait du président
l'autorité de nomination des membres de la future cour constitutionnelle
mais cela étant dit il faut prendre soin de préciser qu'il s'agit
en réalité d'un pouvoir partagé,
En pratique le président de la république ne
nomme que trois juges constitutionnels par sa seule initiative, les six autres
membres sont nommés par le parlement réunis en congrès et
par le conseil supérieur de la magistrature.
La nomination des membres de la future cour constitutionnelle par
les parlementaires réunis en congrès n'est pas une invention
congolaise.
Dans la matière, le modèle est sans aucun doute
le royaume d'Espagne .L'article 159 de la constitution espagnole de 1978
stipule que les membres du tribunal constitutionnel sont nommés par le
roi dont quatre sur proposition du congrès et quatre autres sur
proposition du sénat, à chaque fois à la majorité
de trois cinquième.
Il est vrai que la présente proposition de loi
organique ne va pas aussi loin mais, néanmoins l'idée de confier
au congrès le choix de la désignation de trois membres de la cour
constitutionnelle à la place d'une désignation relevant du
pouvoir discrétionnaire des présidents des chambres
parlementaires est en soi une avancée considérable.
Il convient tout de même de souligner ,qu'en Espagne le
congrès des députés et le sénat désignent
chacun de leur coté les membres du tribunal constitutionnel. La
désignation des membres de la cour constitutionnelle à un autre
avantage, c'est celui de favoriser un consensus autour des membres de la cour
désignés par le parlement on peut rêver d'une entente entre
les principales formations politique composant le parlement pour aboutir
à des nominations partagées ou en tous cas représentatives
des principales tendances politiques représentées dans le
parlement .
En l'espèce l'articulation de l'article deux de la
proposition de loi organique ne va pas aussi loin que l'article 159 de la
constitution espagnole de 1978 en l'absence d'une obligation de
majorité
12 qualifiée de désignation , l'on peut penser
que la volonté de la majorité parlementaire l'emportera sur
l'opposition. Ainsi avec la concordance des majorités et l'influence du
président de la République, les juges ainsi
désignés seront choisis par ce dernier ou au mieux il faudra pour
la majorité recueillir l'avis favorable du président de la
République avant de valider une quelconque désignation.
En France avec la reforme du 23 juillet 2008, les articles 13
et 56 de la constitution sont modifiés, le pouvoir de nomination du
président de la République s'exerce après avis public de
la commission permanente compétente de chaque assemblée, le
président de la République ne peut procéder à une
nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission
représente au moins les trois cinquième des suffrages
exprimés au sein de deux commissions18 Toutefois l'avis est
public et non les auditions .Dans la mesure où la majorité
parlementaire qui est soumise au président par la dissolution et est
également majoritaire dans ces commissions, ce droit de veto n'aura
certainement qu'une incidence marginale sur les nominations.
Cette problématique de la majorité parlementaire en
l'absence d'une majorité d'adoption qui va au delà de la
majorité simple ne permet pas le pluralisme de l'institution.
L'article deux de la proposition de loi confie la
désignation du tiers des membres restant au conseil supérieur de
la magistrature.
Cette participation du conseil supérieur de la
magistrature dans la désignation des membres de la cour
constitutionnelle est aussi une avancée, même si il ne s'agit pas
là encore d'une innovation du législateur organique congolais
.L'article 159 de la constitution espagnole de 1978 prévoit une
désignation de deux membre sur proposition du conseil
général du pouvoir judiciaire, qui est en fait
l'équivalent du conseil supérieur de la magistrature. Cette
désignation d'une partie des membres de la cour constitutionnelle par le
conseil supérieur de la magistrature est aussi un procédé
assez largement partagé en Afrique ; l'article 7 de la loi portant
fonctionnement du conseil constitutionnel au Cameroun prévoit la
désignation de deux membres du conseil
13 constitutionnel sur proposition du conseil supérieur
de la magistrature de même la constitution de Madagascar met en place ce
mécanisme qui permet au conseil supérieur de la magistrature de
proposer à la nomination des juges constitutionnels ; des juges issus en
son sein . Toutefois cette désignation par le conseil supérieur
de la magistrature est certes saluée mais pour autant constitue t-elle
une réelle manifestation du pluralisme ?
Dans le cas du Congo, la question mérite d'être
posée ? La question se pose d'autant plus qu'une proposition de
révision constitutionnelle initiée par le député
TSHIBANGOU KALALA 19et soutenue par les
députés de la majorité. Avait été
déposée sous forme de pétition à l'assemblée
nationale le 5 novembre 2007.
Cette proposition visait entre autre, la révision de
l'article 152 de la constitution de 2006 relatif à la composition et au
fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature. L'objectif de
cette proposition était de modifier cet article en son alinéa
deux afin de revoir à la baisse les effectifs du conseil
supérieur de la magistrature d'une part et d'autre part d'inclure au
sein de cette institution non seulement le président de la
république mais aussi le ministre de la justice et des
personnalités indépendantes issues de la société
civile.
Cette proposition avait soulevée une levée de
bouclier de l'opposition voyant dans cet acte une manoeuvre pour la
majorité et le président de la République de
contrôler le conseil supérieur de la magistrature. Devant cette
opposition farouche, le président de la République avait
été obligé de taire cette polémique en
renonçant à cette révision20.
On le voit la désignation partagée mise en en
place par la proposition de loi organique ne permet pas le pluralisme au sein
de la future cour constitutionnelle de même la désignation par les
membres du conseil supérieur de la magistrature en l'état ne
constitue pas une garantie pour ceux qui réclame une cour
constitutionnelle totalement indépendante et impartiale.
Ce mode de recrutement peut prêter à des
critiques et à des spéculations qui auront des
conséquences sur la portée des arrêts que la cour sera
amenée à rendre ; à l'image du conseil
14 constitutionnel français , dont certain ont
estimé qu'il n'était pas composé de manière
à présenter les garanties que doit offrir une haute juridiction
.
Cependant, l'on peut penser que même en présence
d'un mode de désignation discuté, la crédibilité de
la future cour constitutionnelle résultera de l'indépendance
d'esprit de ses membres, à leur compétence et à la haute
conscience qu'ils auront de leur mission qu'aux dispositions relatives à
son recrutement.
Il convient de noter que la proposition de loi organique, fait
preuve d'une d'originalité en assurant au sein de la cour
constitutionnelle une représentation équilibrée des trois
pouvoirs distingués par Montesquieu.
Par ailleurs un certain nombre de dispositions ont
étés posés visant à rendre le choix des membres
plus adéquat et plus sélectif.
B) Une désignation
encadrée
La désignation des membres de la cour constitutionnelle
est non seulement partagée, elle aussi encadrée.
En effet conformément à l'article 159 de la
constitution congolaise de 2002 repris dans l'article trois de la proposition
de loi organique, un certain nombre des conditions sont requises pour devenir
juge constitutionnel.
En dehors de la condition de nationalité qui est une
condition obligatoire et de bon sens, l'article trois fixe deux autres
conditions :
D'abord pour être nommé membre de la cour
constitutionnelle, il faut justifier d'une expérience de quinze ans dans
le domaine juridique ou politique ; ensuite l'article pose une interdiction aux
parents ou alliés jusqu'au troisième degré de
siéger à la cour en même temps,
a) Une expérience juridique ou politique de
quinze ans
Il s'agit du premier principe que pose l'article trois de la
proposition de loi organique, sans être une innovation car l'article 159
de la constitution espagnole de 1978 prévoit une obligation similaire,
mais dans le continent Africain peu de constitutions exigent une
expérience politique ou juridique pour devenir juge constitutionnel.
Si la recherche de l'expérience peut être un gage
d'efficacité pour le futur juge constitutionnel, la rédaction de
l'article reste très vague pour appréhender la portée de
ce principe.
En effet un certain nombre de question se posent car la
formulation de l'article reste très générale : à
partir de quel moment faut-il prendre en considération le
décompte de cette expérience?
Si le décompte de l'expérience juridique ne pose
pas de problème particulier, car il suffira de prendre en compte le
début d'une fonction juridique quelconque ; La réponse est moins
aisée pour le décompte de l'expérience politique.
Autant la fonction juridique peut aisément être
déterminée autant la fonction politique est plus difficilement
déterminable. Il semble que les auteurs de la proposition de loi
organique aient souhaités que l'expérience tant juridique que
politique soit appréhender de la manière la plus large, alors
l'expérience politique s'entend elle au sens de l'exercice d'un mandat
politique dans une structure d'État, des provinces ou partisane?
La proposition de loi est muette sur le sujet alors que la
question est loin d'être anodine. Un responsable local d'un parti
politique depuis plus de vingt ans sans aucune connaissance juridique peut il
devenir juge constitutionnel ? Il reviendra au législateur organique de
nous éclairer et de répondre à ces interrogations.
Mais il nous semble qu'il soit essentiel de limiter ce
principe de l'expérience politique en précisant la fonction
politique requise pour devenir juge constitutionnel; car si un mandat
électif permet d'acquérir une connaissance du fonctionnement des
pouvoirs publics, il est plus
contestable qu'une responsabilité partisane locale
renforce cette connaissance. b) Une interdiction pour
éviter le clientélisme constitutionnel
Le troisième alinéa de l'article trois de la
proposition de loi organique pose un principe tout à fait innovant qui
ne se retrouve nulle part ailleurs.
En effet cet alinéa prévoit l'interdiction des
parents ou alliés jusqu'au troisième degré inclus
d'être en même temps membre de la cour constitutionnelle ,il est
justifié par la volonté des auteurs du texte de renforcer
l'indépendance de la cour en la mettant à l'abri du tribalisme,
du clientélisme et du népotisme .
Dans aucune constitution occidentale l'on peut retrouver cette
interdiction , d'ailleurs l'on peut dans une fiction, considérer que le
députe louis GISCARD-D'ESTAING peut être
nommé membre du conseil constitutionnel et ainsi siéger au
coté de son père qui lui est membre de droit en vertu de
l'article 56 de la constitution de 1958 , il n'est donc pas impossible que deux
parents ou alliés puissent siéger en même temps dans la
future cour constitutionnelle .
Il est certes vrai, que les questions du tribalisme et du
clientélisme minent la société africaine et par voie de
conséquences ces institutions, il est cependant plus contestable de
démontrer que la cour sera exposée à ces maux si deux
parents ou alliés siégeaient en même temps .
Croire que cela est possible c'est manqué de confiance
à l'intégrité des personnalités qui seront
nommées. Par ailleurs en écartant les parents ou alliés de
la cour, en écarte pas pour autant les maux .
Le tribalisme repose il est vrai sur la parenté mais
aussi sur la tribu et le clientélisme peut être favorisé
par l'appartenance partisane ; ainsi des juges nommés par la même
majorité peuvent très bien s'entendre pour orienter les
décisions de la cour ;de même des juges de la même tribu
peuvent s'entendre sur des bases tribales .
17 Mais l'on ne peut penser à priori que les
personnalités désignées comme juges constitutionnels , ne
pourront dépasser leur appartenance partisane ou ethnique pour se
concentrer sur le seul objectif qui compte c'est-à-dire le respect de la
constitution .
C'est pourquoi il semble que ce principe loin de lutter contre le
tribalisme, le clientélisme ou le népotisme, introduit une
inégalité.
Pourquoi deux éminents juristes fussent-ils frères
ne pourront ils siéger en même temps dans la future cour
constitutionnelle ?
En outre, un argument évoqué par le
professeur Stéphane BOLLE mérite
d'être souligné .
Ce dernier pose la question de la constitutionnalité
d'une telle mesure au regard de l'article 169 de la constitution de 2006 qui
habilite le législateur organique à fixer l'organisation et le
fonctionnement de la cour constitutionnelle. En rappelant qu'une loi organique
complète ou précise la constitution et à l'instar de tout
texte d'application ne peut que la prolonger, alors qu'en l'espèce la
commission s'affranchit de cette règle.
c) Des juristes au coeur de la future cour
constitutionnelle
Le conseil constitutionnelle rend la justice .Elle dit le
droit au nom de l'Etat (Marcel Waline) .Ses
décisions sont revêtues de l'autorité absolues de chose
jugée (Jean Rivero) .A ce titre, elle s'impose à
l'Etat, aux pouvoirs publics. Il est donc essentiel que les membres d'une cour
ou d'un conseil constitutionnel aient des connaissances juridiques importantes,
pour développer une véritable jurisprudence permettant la
garantie des libertés et la régulation des pouvoirs publics.
Atteindre cet objectif, suppose d'accorder une place de choix aux
juristes dans ces instances . Déjà dans les années 1920,
Hans Kelsen développait l'idée de juristes
nécessairement professionnel : « il est de la plus grande
importance d'accorder dans la composition de la
18 justice constitutionnelle une place adéquate aux
juristes de profession ». Toutefois, cela n'est pas la règle
pour toutes les cours constitutionnelles.
En Europe occidentale, le principe est la nomination des juristes
ou des professionnels du droit, les deux exemples les plus importants
étant L'Allemagne et L'Espagne.
En Allemagne, les articles 93 et 94 de la loi fondamentale
complétée par la loi du 12 mars 1951 sur le statut et le
fonctionnement de la cour constitutionnelle posent : que les juges
constitutionnels sont au nombre de seize .Il sont recrutés parmi les
juristes qui ont fait des longues études de droit leur permettant de
devenir, avocat ou haut fonctionnaire .D'ailleurs six des seize membres doivent
être issus de la cour de cassation21.
En Espagne, le principe est posé de manière plus
forte. En effet, l'article 159 alinéa un, précise que le tribunal
constitutionnel espagnol est composé de douze membres .Les magistrats du
tribunal constitutionnel sont tous des professionnel du droit.
Néanmoins, toutes les démocraties ne vont pas
dans ce sens .En France l'article 56 de la constitution de 1958 ne pose aucune
obligation quant à la qualité des membres .Toutefois, il convient
de souligner qu'en pratique, on constate que les membres du conseil sont des
hommes politiques ou des juristes parfois les deux à la fois, ce qui a
permis d'atteindre un certain équilibre entre les compétences et
les opinions.
En Afrique, la plupart des constitutions souvent
inspirées par la constitution française de 1958, ne pose aucune
condition sur la qualité et l'origine professionnelle des magistrats
constitutionnels. En effet ni au Bénin, ou l'article 115 de la
constitution de 1990 fixe simplement une obligation de compétence
professionnelle sans évoquer le domaine .Même si dans la pratique
les différents membres sont souvent des juristes ; ni au Cameroun ou
l'article 7 de la loi du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement
du conseil constitutionnel fait abstraction de l'obligation d'une participation
des juristes au conseil constitutionnel ; ni au Congo Brazzaville ou l'article
144 de la constitution de 2002 relatif la procédure de nomination
19 des membres du conseil constitutionnel, on retrouve une
obligation de nomination des juristes . Il existe cependant quelques exceptions
à cette règle :
d'abord l'article 150 de la constitution de mars 1992 du
Burundi pose expressément dans son deuxième alinéa,
l'obligation de recruter les membres de la cour constitutionnelle parmi les
juristes de haut niveau.
Ensuite, l'article 89 de la constitution gabonaise de mars 1991
exige que la cour constitutionnelle gabonaise soit composée au deux
tiers par des juristes.
En s'orientant dans ce sens, la proposition de loi organique des
députés de la république démocratique du Congo est
une véritable avancée.
En effet le deuxième alinéa de l'article 158 de
la constitution congolaise de 2006 stipule que le deux tiers des membres de la
cour constitutionnelle doit être des juristes, issus du barreau ou de
l'enseignement universitaire. Ainsi pour atteindre cet objectif
constitutionnel, la proposition de loi organique propose que deux membres parmi
les trois désignés par le président de la
République et un membre désigné par le parlement doivent
être des juristes issus du barreau et de l'enseignement universitaire.
Cette proposition certainement inspirée par le tribunal
constitutionnel Espagnol est important à bien d'égard :
En premier lieu , elle permet aux juristes d'être au coeur
de la cour constitutionnelle ensuite elle est la garantie de
l'efficacité ou du moins de la compétence des magistrats.
En second lieu , cette proposition permet d'encadrer les
désignations présidentielle .En effet , le président
pourra nommer qui il veut, simplement dans deux cas sur trois ils devront
être des juristes .
Enfin le conseil supérieur de la magistrature devra
designer les trois magistrats constitutionnels au sein du pouvoir judiciaire ce
qui est déjà en soi, la garantie d'une participation de
magistrats compétents.
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