Paragraphe 2 : Les compétences élargies
du président
« Une institution est, sans doute, une histoire, une
idée faite corps, des intérêts contraires coagulés,
mais aussi des hommes ; et pour celui qui la dirige, le souci de l'institution
se confond nécessairement avec le souci de soi »22.
Cette affirmation de Dominique ROUSSEAU est
d'autant plus vraie qu'aux USA, la cour suprême s'identifie toujours
à son président : cour Marshall, cour Warren... de même au
Bénin la tendance est à cette personnalisation de l'institution
constitutionnelle : cour Dossou23.
Certes, il n'est pas dans la tradition française de
donner à une juridiction le nom de la personne qui la préside,
néanmoins les noms des présidents qui ont marqué
l'histoire du conseil constitutionnel par leur reformes comme Roger
FREY24 président du conseil constitutionnel pendant
l'ouverture de la saisine aux parlementaires en 1974 ou encore la
présidence de Robert BADINTER 25marqueront
à jamais l'histoire de la justice constitutionnelle française.
Ainsi, la notoriété et la compétence du
président d'une cour qui plus est constitutionnelle est indispensable au
bon fonctionnement de l'institution mais surtout elles permettent de mieux
faire accepter les décisions de cette cour à l'opinion publique
et politique .C'est pourquoi, les prérogatives du président de la
cour et la manière dont il est désigné sont deux
éléments essentiels.
La proposition de loi organique de la commission politique
administrative et judiciaire de l'assemblée nationale congolaise fait un
double choix : d'abord celle d'une élection du président par ses
pairs (A) .Ensuite d'une extension des pouvoirs de celui-ci
(B)
A) Un Qrésident élu
22 D.ROUSSEAU « la doctrine Badinter et l
démocratie » P.1 1
23 Maître R.DOSSOU est président de la
cour constitutionnelle Béninoise depuis le 6 juin 2008
24 R.FREY fut président du conseil
constitutionnel français de 1974 à 1983
25 R.BADINTER fut président du conseil
constitutionnel français de 1986 à 1995
21 L'article 7 de la proposition de loi organique stipule que
le président de la cour constitutionnelle est élu au scrutin
majoritaire à deux tours à bulletin secret par ses pairs pour une
durée de trois ans renouvelable une seule fois.
La question de l'élection du président de la
cour constitutionnelle par ses pairs est un choix démocratique qui
mérite d'être signalé .Il est vrai qu'un certain nombre
d'Etats africains comme le Congo Brazzaville ou le Cameroun ont fait le choix
inverse c'est-à-dire, celui de la nomination du président de la
cour ou du conseil constitutionnel par le président de la
république.
Ce choix inspiré par le modèle français
est tout aussi contestable que le mode de nomination des membres de la cour ou
du conseil, essentiellement politique. Il est vrai qu'en France, certains
présidents de cette institution furent des grands juristes comme Robert
BADINTER, d'autres durent d'avantage cette fonction à leur rapports
personnels avec le président c'est la cas de MM MAZEAUD et DEBRE qui
étaient des vieux amis du président CHIRAC , cela peut conduire
à douter de l'objectivité et de l'efficacité du
conseil.
Ainsi contrairement aux autres constitutions
européennes qui associent toujours le parlement à la nomination
des membres des cours constitutionnelles d'une part et d'autre part laisse le
choix du président de ces institutions aux pairs ; le système
français importé dans des nombreux Etats africains est source de
vives polémiques en Afrique et en France.
A titre d'exemple, la nomination de monsieur
Gérard BINTSOUNDOU26 à la tête
du conseil constitutionnel au Congo Brazzaville avait suscité une vive
réaction de l'opposition congolaise. Ce monsieur étant l'un des
plus proches collaborateurs du président de la république du
Congo M SASSOU .Pour l'opposition il s'agissait d'une part, de contrôler
la cour constitutionnelle pour peser sur le contentieux électoral qui
est la principale mission la cour au Congo.
Par ailleurs, M BINTSINDOU étant entendu comme
témoin assisté en France sur l'affaire des disparus du Beach du
fleuve Congo27.
22 Cette nomination lui permettait de bénéficier
de l'immunité juridictionnelle dont bénéficie les juges
constitutionnels au Congo Brazzaville.
La proposition de loi organique de la commission fait le choix
d'une démocratisation de la cour constitutionnelle en donnant la
possibilité aux juges constitutionnels d'élire leur
président. Cependant, un certain nombre d'interrogations subsistent, et
la proposition de loi organique de la commission n'y répond point.
D'abord la question de la durée du mandat du
président élu : celui-ci est de trois ans renouvelable une fois
selon l'article 7 de la proposition de loi organique .l'article 5 de la
même proposition de loi précise que le mandat des juges
constitutionnels est de neuf ans. La combinaison des articles 7 et 5 de la
proposition de loi organique nous permet de nous interroger sur la pertinence
de la réduction du mandat présidentiel qui est de trois ans et en
cas de deux mandats de six ans. Il y'a comme une interdiction tacite de pouvoir
présider la cour constitutionnelle pendant neuf ans, pourquoi ?
L'efficacité du mandat ne serait elle pas mieux préservée
en fixant un mandat correspondant au mandat des juges constitutionnels
c'est-à-dire neuf ans ? La question du renouvellement ne se poserait pas
puisque résolue par la coïncidence des mandats.
Ensuite, se pose la question de la composition du corps
électoral. Cette question ne se pose pas pour les autres
démocraties occidentales notamment parce qu'il y'a un statut unique des
juges constitutionnels .
Dans le cas de la cour constitutionnelle en République
démocratique du Congo, la diversité de magistrats
constitutionnels nous permet de nous interroger sur ceux qui auront le droit de
participer à l'élection du président de la cour. Car outre
les neuf membres de la cour constitutionnelle, celle-ci est composé des
magistrats du parquet et des conseillers référendaires, dont le
statut n'est pas clairement définis , sont-ils des juges ? Auquel cas,
ils doivent participer à l'élection du président de la
cour.
23 Mais il semble que sans être très clair,
l'article 7 réserve l'élection du président de la cour aux
seuls membres désignés selon la procédure prévue
par l'article 2 de la proposition de loi organique.
Ainsi il reviendra au législateur organique de
régler ces ambiguïtés en précisant le statut des
autres magistrats de la cour constitutionnelle.
B) Les prérogatives du président de la
cour constitutionnelle
« ...chaque président transmet au conseil, une
part de lui-même, une part de ses convictions, de sa philosophie ...
»28 cette affirmation de Dominique Rousseau n'est valable que
lorsque le texte organisant le fonctionnement et l'organisation de la cour ou
du conseil constitutionnel, donne un certain nombre de pouvoirs au
président de ladite cour .
En France, ni la constitution de 1958, ni la loi organique
N°58-1067 sur le conseil constitutionnel ne précisent les pouvoirs
du président du conseil constitutionnel et notamment sur
l'administration du conseil, seul l'article 16 de la loi organique pose que le
président du conseil est l'ordonnateur du budget .
Cette absence d'attributions précises du
président du conseil français contraste avec les pouvoirs dont
disposent les présidents des autres cours constitutionnelles
européennes .Cela s'explique sans doute aussi par le budget, les moyens
matériels et en personnel qui reste très faible en France par
rapport aux autres cours constitutionnelles, qui ont, il est vrai des
compétences plus importantes.
La proposition de loi organique de la commission politique,
administrative et judiciaire (C.P.A.J) de l'assemblée nationale de la
RDC fais le choix inverse du conseil constitutionnel français.
Le président de la future cour constitutionnelle
congolaise, disposera d'un ensemble de pouvoirs
28 D.ROUSSEAU .OC. P 19
24 assez variés et sera à ce titre un acteur
incontournable à la fois dans l'administration de la cour mais
également tout au long de la procédure du procès
constitutionnel.
On retrouve dans la plupart des Etats africains, des
présidents des cours ou conseils constitutionnels aux pouvoirs
réduits ou quasi-inexistants. C'est le cas au Cameroun, ou le
président du conseil constitutionnel, n'a presque aucun pouvoir
administratif et d'ailleurs, le secrétariat général du
conseil constitutionnel camerounais est presque lié au président
de la République Camerounaise qui en fixe par un décret les
modalités de fonctionnement et choisi de façon
discrétionnaire celui qui on aura la charge, c'est ce qui résulte
des alinéas 1 et 2 de l'article 10 de la loi du 21 avril 2004 portant
organisation et fonctionnement du conseil constitutionnel Camerounais .
Toutefois, la proposition de loi organique de la C.P.A.J de la
RDC s'inspire des quelques Etats africains qui accordent une place majeure au
président de la cour. L'exemple le plus probant venant du Bénin.
En effet dans ce pays , pionnier et exemple de la démocratie
constitutionnelle en Afrique , la loi organique N°3 1--009 portant
organisation de la cour constitutionnelle , fait du président de ladite
cour , le principal acteur de l'organisation administrative de la cour
constitutionnelle en lui accordant le pouvoir de nomination de l'ensemble des
services rattachés à la cour ; c'est ce qui résulte de la
combinaison des articles 2,39,12,16,17,19,20.Par ailleurs ,il dispose d'un
pouvoir de proposition de nomination du secrétaire général
de la cour constitutionnelle qui est du reste nommé par décret
pris en conseil des ministres .
C'est dans ce sens que s'oriente la proposition de la C.P.A.J de
l'assemblée nationale de la RDC .
Il convient à cet effet de distinguer les pouvoirs qui
relèvent de l'administration générale de la cour ; et ceux
relevant de la participation du président dans la procédure du
procès constitutionnel.
25
a)Un président
administrateur
D'après les alinéas 3 et 4 de l'article 7 de la
proposition de loi organique, « le président de la cour est
chargé de l'administration de la cour » « il dirige le
personnel mis à la disposition de la cour ». Ces deux
alinéas font du président de la cour le maillon essentiel quant
au fonctionnement administratif de celle-ci. Par ailleurs pour le permettre de
bien accomplir sa tache administrative, le président est assisté
d'une part d'un greffe, c'est ce qui ressort de la lecture de l'article 16 de
la proposition de loi organique ; et d'autre part, des conseillers
référendaires avec des attributions assez imprécises mais
placé sous l'autorité du président de la cour comme le
stipule l'article 19 de la même proposition de loi.
Comme c'est le cas dans l'ensemble des cours et conseils
constitutionnels, c'est le président de la cour qui réunit la
cour comme le précise l'article 34 et c'est également à
lui qu'est notifié la démission d'un membre, cependant, il doit
informer, le président de la République, le président du
sénat le président de l'assemblée nationale et le
président du CSM de la démission du membre ; c'est ce qui
résulte de l'article 30 de la proposition de loi organique.
Le président est aussi l'ordonnateur du budget de la
cour. L'article 8 de la proposition de loi ajoute que le projet de budget de la
cour est transmis au CSM qui à son tour le transmet au gouvernement. Le
2e alinéa de cet article semble poser une limite au projet du
budget de la cour, car il précise que l'inscription au budget
général de l'Etat ne se réalisera que si le projet de
budget de la cour respecte les équilibres imposés par la loi de
finance. Cet alinéa soulève au moins deux interrogations :
pourquoi la cour constitutionnelle ne pourrait elle pas faire parvenir
directement son projet de budget au gouvernement au lieu de passer par un
intermédiaire ? Est ce un moyen d'affirmer l'autorité du CSM sur
la cour ?
Ensuite, pourquoi ne confie t-on pas de manière
explicite au président de la cour la compétence de proposer le
budget ? Puisque l'on sait qui lui reviendra d'arbitrer sur les
priorités
26 budgétaires .Lui confier ce rôle, devrait
contribuer à affirmer un peu plus son autorité sur l'ensemble de
la cour.
A ce propos, le législateur organique congolais,
pourrait s'inspirer du modèle Béninois, dans lequel l'article 18
de la loi organique portant sur l'organisation et le fonctionnement de la cour
constitutionnelle, fait du président de la cour constitutionnelle,
à la fois l'auteur du projet de budget de la cour et l'ordonnateur des
dépenses. Une t-elle précision parait mieux adaptée que la
formule congolaise qui fait de l'ensemble de la cour constitutionnelle l'auteur
du projet du budget en droit alors qu'en fait c'est le président qui en
sera le principal auteur .
Au delà des compétences administratives du
président, celui -ci joue un rôle non négligeable tout au
long de la procédure du procès constitutionnel. Il convient de
souligner qu'il ressort de la LO N°08/013 portant organisation et
fonctionnement du
CSM, que le président de la cour constitutionnelle est de
droit président du CSM.
b) Le président : principal acteur du
procès constitutionnel
La proposition de loi organique fait du président et de
ces services des vrais remparts contre des recours de complaisance. En effet
après réception du dossier par le greffe, celui-ci le fait
parvenir au président de la cour, qui dans ces conditions devient, un
véritable filtre. L'article 36 de la proposition de loi lui permet
d'examiner préliminairement le dossier et si ce dernier constate que le
dossier et soit irrecevable , soit infondé ou encore si il juge que la
cour est incompétente à statuer , il peut communiquer le dossier
à la chambre restreinte pour un nouvel examen .
Il joue dans ces conditions le rôle d'un verrou
difficilement contournable ou presque incontournable puisque c'est lui qui doit
fixer d'après l'alinéa 5 du même article la date de
l'audience .
27 Il revient donc au président soit de constater la
pertinence du dossier et de fixer au plus vite la date de l'audience soit d'en
douter auquel cas il le transmet à la chambre restreinte pour un nouvel
examen.
L'un des acteurs essentiels sinon indispensables du
procès constitutionnel est le juge rapporteur .En effet le rapporteur
d'une affaire doit briller par sa connaissance du dossier, une
virtuosité argumentative et un pragmatisme, il doit faire en sorte que
son rapport soit accepté par l'ensemble des membres de la cour.
Le rôle du juge rapporteur est essentiel, même
dans des pays comme la France ou les opinions dissidentes ne sont pas rendues
publiques et la recherche du consensus toujours espéré, ce
rôle reste de premier plan, c'est pourquoi la désignation du juge
rapporteur est loin d'être un pouvoir honorifique ou symbolique.
L'article 38 alinéa 5 de la proposition de loi
organique confie cette compétence ou président de la cour, qui
devra choisir, sans doute en fonction des compétences de ses
collègues par rapport à chaque affaires mais, sans doute aussi en
fonction de son intime conviction quant à la capacité du juge
choisi de défendre un sujet ou un autre.
Enfin en vertu de l'article 41 de la proposition de loi
organique, la voix du président est prépondérante en cas
de partage de voix, cette prérogative n'est pas non plus anodine. Il
peut arriver, que dans les grands sujets qui divisent l'opinion, la cour soit
elle-même divisée en deux bloc égaux auquel cas toute
l'importance de ce pouvoir que l'article 41 accorde au président de la
cour prendra sens. Toutefois, s'il est vrai que la proposition de loi organique
accorde des pouvoirs élargis au président de la cour
constitutionnelle, elle ne va aussi loin que dans d'autre pays .Ici encore
l'exemple du bénin est édifiant.
Contrairement à la plupart des pays africains
inspiré par l'article 7alinéa 4 de la constitution
française de 1958 qui confie l'intérim de la présidence de
la république, au président du sénat en cas de vacance du
pouvoir.
28 Tirant les leçons de l'importance majeure de la cour
constitutionnelle dans le fonctionnement régulier des pouvoirs publics
et dans la protection des libertés, Le constituant Béninois ne
laisse donc pas à la cour la seule possibilité de constater la
vacance du pouvoir comme en France, mais fait du président de la cour
constitutionnelle l'intérimaire du président en cas de vacance du
pouvoir et ce sur le fondement de l'article 50 de la constitution de 1990.
Certes , la proposition de la C.P.A.J ,élargie les
pouvoirs du président de la cour pour en faire un véritable
manager , elle est à certains égard pas assez ambitieuse qu'au
Bénin et par ailleurs un certain nombre d'élément
contribuant à affirmer l'autorité du président de la cour
et à faciliter sa gestion administrative doivent être clairement
précisé par le législateur organique nous pouvons à
titre d'exemple citer le corps des conseillers référendaires dont
le rôle n'est pas précisé dans la loi mais aussi le
rôle exact du président lors de la conception du budget de la cour
.
Paragraphe 3 : un statut garantissant
l'impartialité et l'independance des juges
Comme nous l'avons vu dans les paragraphes
précédents, les nominations des membres de la future cour
constitutionnelle congolaise sont politiques même l'intervention du CSM
ne garantie le pluralisme.
La question de la politisation des cours ou conseils
constitutionnels s'est toujours posée partout : en France ou le mode de
désignation porte à critique mais aussi dans les Etats comme
l'Espagne ou l'Allemagne ou pourtant le système de désignation
est censé être plus démocratique .
Comme il est difficile de lutter contre la politisation, l'une
des meilleurs garanties d'indépendance et d'impartialité est le
statut des juges et leur situations une fois nommés.
Selon Esmein « l'indépendance
est la condition , sinon suffisante du moins nécessaire de
l'impartialité , celle qui fera non pas que les juges soient impartiaux
mais qu'ils ne soient pas
29 empêchés de l'êtres
».Cette obligation d'un statut garantissant indépendance et
impartialité est pris en compte dans la proposition de loi de la C.P.A.J
de l'assemblée Nationale (AN) de la RDC .
Ainsi, « la où il n'y a pas de magistrats
indépendants, il n'y a que des délégués du pouvoir
»cette opinion de Royer-Collard ne peut, à
l'évidence, s'appliquer aux membres de la cour constitutionnelle, qui
disposent en contrepartie de leur obligation de réserve, des moyens
d'accomplir leur missions en toute liberté29 .
L'indépendance des membres de la cour devrait
être d'abord assurée par leur mandat long et non renouvelable
(A), ensuite, une série d'incompatibilités
garantira à la fois l'indépendance et
l'impartialité(B).
A)Un mandat long et non renouvelable : gage
d'indépendance
Le mandat long et non renouvelable est un élément
essentiel pour une cour constitutionnelle pour au moins deux raisons :
d'abord elle permet aux juges constitutionnels de travailler
sereinement dans la durée et ainsi de forger des techniques de travail
acceptable par tous .
Ensuite , elle permet aux juges d'être à l'abri des
invectives du responsable ou du camp politique auquel ils doivent leurs
nominations.
D'après l'article 5, al,1er LO de la C.P.A.J
de le l'AN de la RDC , les juges constitutionnels sont nommés pour un
mandat de neuf ans non renouvelable .Il ne peuvent être
révoqués et comme ils ne peuvent aussi être
renouvelés, il bénéficient de ce qu'on appelle
l'inamovibilité : définit par Esmein comme étant : «
le fait de ne plus rien à craindre ni à attendre de
l'autorité de nomination » il s'agit d' un véritable
gage d'indépendance .
La longueur du mandat (neuf ans) est une durée assez
normale dans une cour constitutionnelle
29 J et J-E. GICQUEL « Droit constitutionnel et
institutions politiques » 22e édition P.741
30 et le fait que le mandat soit non renouvelable, est
indispensable pour qu'ils ne cherchent pas à plaire à ceux qui
les ont désignés30.
L'alinéa 2 du même article précise que la
cour constitutionnelle est renouvelable par tiers tous les trois ans .Il s'agit
d'éviter une rupture de méthodes et de jurisprudence
consécutive à l'alternance.
La proposition de loi organique s'oriente dans le sens des
grandes démocraties occidentales en accordant aux juges constitutionnels
un mandat long pour faire leur travail de façon stable et non
renouvelable pour mieux échapper aux pressions politiques.
C' est le cas en Allemagne où le mandat est encore plus
long (douze ans) et à longueur du mandat, il convient d'ajouter la
condition d'âge à l'entrée (40 ans minimum et 68
maximum).
En Espagne, le système est similaire, le mandat est de
neuf ans, le tribunal constitutionnel est renouvelé par tiers tous les
trois ans mais il y'a la possibilité d'être reconduit au tribunal
mais pas immédiatement.
En Afrique subsaharienne , le principe des mandats long et non
renouvelable pour les juges constitutionnel est presque acquis .Dans la plupart
des pays c'est ce système qui prévaut : au Cameroun l'article 7
de la loi N°2004/004 pose le principe d'un mandat de neuf ans non
renouvelable pour les conseillers constitutionnels ; au Burkina Faso, l'on
retrouve dans les articles 2,3 et 4 de la loi organique N°01 1-2000/AN du
27 avril 2000 portant composition , attributions et fonctionnement du conseil
constitutionnel d'une part , le mandat unique de neuf ans et d'autre part
l'inamovibilité des conseillers constitutionnels .
Il convient de souligner que dans deux pays si le principe est
aussi clairement affirmé, il n'en demeure pas moins qu'il existe deux
petites différences : d'abord à Madagascar ou le principe
posé par l'article 89 alinéa 2 de l'ordonnance N°2001-003 du
18 novembre 2001 portant loi organique relative à la haute cour
constitutionnelle , accorde un mandat de six ans non renouvelable aux juges
constitutionnels et au Bénin ou l'article 115 de la constitution de
1990
31 stipule que le mandat du juge constitutionnel est de cinq
ans , mais ce mandat de cinq ans est renouvelable une fois, pour autant la cour
béninoise est l'une des meilleures en Afrique à la fois par
rapport à sa jurisprudence et à son indépendance
vis-à-vis du pouvoir politique quelque soit par ailleurs les
alternances.
Le non renouvellement de mandat se présente ,
objectivement comme , un gage d'indépendance par rapport à
l'autorité de nomination .Toutefois , en cas de vacance,
consécutive à la démission , prévue par l'article
30 de la proposition de loi organique ou en cas d'incompatibilité
politique (articles 24) , une personne est nommée par l'autorité
intéressée .Elle achève le mandat commencé .A
l'expiration du terme normal, ce membre peut être renouvelé pour
un mandat entier de neuf ans si le remplacement a été
inférieur à trois ans .c'est ce qui ressort de la lecture de
l'article 33 de la proposition de loi organique .
Cette disposition peut encourir la suspicion, au cas où la
même autorité de nomination ne se résoudrait à la
reconduction de celui-ci.
Seule la pratique nous révélera si nos
interrogations sont fondées dans une telle circonstance.
Il est évident qu'en ce qui concerne le mandat, la C.P.A.J
n'innove pas mais choisit la sécurité en optant pour ce qui
existe et fonctionne bien en Afrique comme ailleurs .
Cependant, une interrogation mérite d'êtres
soulevée :
La question de la révocabilité des juges
constitutionnels est loin d'être aussi claire qu'elle y parait. Sont-ils
révocables ? Et si oui par qui ? L'on a évoqué
l'inamovibilité mais c'est simplement que l'on présume qu'ils
sont irrévocables pendant l'exercice de leur mandat.
comme en France ou aucun article de la loi organique sur le
conseil constitutionnel ni le texte même de la constitution ne
prévoit, l'irrévocabilité, seule l'absence de
désignation d'une autorité compétente pour révoquer
un conseiller constitutionnel, permet de dire qu'ils sont irrévocables.
Cette présomption en France n'a jamais été violée,
parce que la France est une vieille démocratie ou la culture des contres
pouvoirs est admise, même si la légitimité du conseil a
32
parfois été remise en cause.
Dans un pays comme la RDC où la justice
constitutionnelle et la démocratie sont des nouveautés, il aurait
fallut que cette question soit tranchée par un article prévoyant
cette irrévocabilité. C'est d'ailleurs déjà le cas
au Burkina Faso ou l'article 3 de la loi organique sur le conseil
constitutionnel pose l'impossibilité de révocation des
conseillers constitutionnels et au bénin ou l'article 115 pose le
même principe.
B) Réserves et Incompatibilités gage
d'indépendance et d'impartialité
Comme le mandat long et non renouvelable, l'obligation de
réserve et le régime d'incompatibilité est un
élément qui garantie l'indépendance des juges
constitutionnels.
De ce point de vue, la plupart des constitutions modernes
déterminent un régime d'incompatibilité et de
réserve pour d'une part, lutter contre la confusion de pouvoirs et des
intérêts et d'autre part, permettre au juge d'être
totalement dévoué à sa fonction.
La proposition de loi organique de la C.P.A.J de l'AN de la RDC
va dans ce sens .
Toutefois, il convient de souligner l'absence d'une prestation
de serment pour les juges constitutionnels congolais. Cette absence est assez
étonnante pour un pays ou la justice brille par sa dépendance au
pouvoir politique est d'autant plus contestable que dans la plupart des pays en
occident ou Afrique , la prestation de serment existe.
La prestation de serment est un acte par lequel ,les futurs
juges constitutionnels s'engagent à exercer leurs fonctions en toute
impartialité et indépendance .A titre d'exemple , en France
l'article 3 de la organique sur le conseil constitutionnel prévoit
qu'avant leurs entrées en fonction , les membres du conseil
constitutionnel jurent de remplir fidèlement leurs fonctions et de
garder secret les délibérations et les votes ; au Mali , c'est
l'article 2 de le loi organique portant organisation et fonctionnement de la
cour constitutionnelle qui stipule que les membres
33 de la cour constitutionnelle prêtent serment lors
d'une cérémonie solennelle devant le président de la
république enfin l'article 12 de la loi organique portant organisation
et fonctionnement du conseil constitutionnel au Burkina Faso prévoit
aussi une prestation de serment .
Pourquoi la proposition de loi organique de la C.P.A.J de l'AN
de la RDC ignore cette prestation ? Et pourtant à l'origine, la
proposition de loi organique initiée par l'honorable
député Mohamed BULE GBANGOLO BASABE
31 déposée le 30 octobre 2007 à l'AN ;
prévoyait dans son article 7 une prestation de serment des membres de la
cour constitutionnelle devant le président de la république,
l'assemblée nationale et le sénat. Pourquoi cette proposition
n'a-t-elle pas été retenue par la C.P.A.J ? Peut être que
cette prestation n'étant une obligation constitutionnelle ne pouvait
être retenue ? Mais la C.P.A.J a pris certaine liberté par rapport
à la constitution sur d'autres sujets, pourquoi ne pouvait-elle
s'affranchir encore une fois, même si l'objectif de notre propos n'est
pas d'encourager ce genre d'entorse à la jeune constitution congolaise
mais néanmoins toutes ces questions restent sans réponses.
Ainsi, si les juges constitutionnels congolais ne sont pas
astreints à prêter serment devant le président de la
république, ils ont tout de même une obligation de réserve
qui pèse sur eux.
a) Une obligation de
réserve
D'après l'article 24 de la proposition de loi
organique, pour préserver leur indépendance et leur
dignité, les juges constitutionnels ont une obligation
générale de réserve dans l'exercice de leurs fonctions.
Cette obligation de réserve se manifeste concrètement par une
absence de prise de position publique sur des questions ayant fait ou
susceptibles de faire l'objet des décisions de la cour .Cette obligation
s'impose aussi pour les membres de la cour constitutionnelle qui exerceraient
en même temps des fonctions de professeurs d'universités. Ils ne
peuvent être
31 M.M.BULLE GBANGOLO BASSABE est député
d'opposition membre du mouvement pour la libération du Congo ,
34 consultés sur les mêmes questions relevant des
prérogatives de la constitutionnelle, c'est ce qui résulte de la
lecture de l'article 25 de la même proposition de loi.
Le 3e alinéa du même article interdit aux juges
constitutionnels d'adopter des attitudes ou comportements tendant à
démontrer leur appartenance politique ou syndicale en participant
à des manifestations politiques partisanes ou syndicales. L'obligation
de réserve est un principe assez partagé par la plupart des
systèmes constitutionnels .En France, en Allemagne, en Espagne mais
aussi en Afrique ou des pays comme le Bénin, le Congo Brazzaville...
prévoit une obligation de réserve pour les membres du conseil ou
de la cour constitutionnelle.
Il s'agit d'un principe indispensable, car comment imaginer
une cour constitutionnelle censée trancher, en faisant respecter la
constitution, être constitué des personnalités
exerçant par ailleurs, une totale liberté quant à leurs
interventions publiques au risque de contredire les décisions de la cour
constitutionnelle .Il en va à la fois de la crédibilité de
l'institution, de son efficacité et de son indépendance.
Cette indépendance doit encore être garantie par des
incompatibilités
b) Le régime des
incompatibilités
Ces incompatibilités visent à assurer
l'indépendance de la cour constitutionnelle, et, par suite, à
renforcer l'autorité de l'institution32
Conformément à l'article 17 de la proposition de
loi organique, il est interdit aux membres de la cour constitutionnelle
d'exercer d'autres fonctions publiques, l'alinéa 2 du même article
précise cette interdiction en nommant les administrations
concernées.
Par fonctions publiques, la proposition de loi entend :
des fonctions gouvernementales, et des entreprises d'Etats
.Dans cet alinéa, la proposition de loi innove en maintenant
l'interdiction jusqu'à deux ans après la sortie de la cour
constitutionnelle
32 S.LOUIS FERMERY « la constitution
commentée article par article « 12e édition .P
122
35 .Cette interdiction prolongée peut s'expliquer par
le souci d'éviter des démissions d'opportunités ou encore
des arrêts de complaisance en faveur du pouvoir politique dans le but
d'obtenir un poste à la sortie de la cour.
De même, l'article 28 pose expressément les
fonctions qui sont incompatibles avec la fonction de juge constitutionnel : en
sus des fonctions posées par l'article 26 , est ajouté l'exercice
de tout emploi public, civil ou militaire ; est également incompatible ,
l'exercice d'un mandat électoral. L'article 29 semble admettre qu'un
juge constitutionnel puisse exercer un service public si cela est prévu
par la loi .
Cette disposition assez controversée pousse à
s'interroger sur la distinction que font les auteurs de la proposition de loi
entre les fonctions publiques et le service public ? L'alinéa 2 du
même article pose l'interdiction de l'exercice d'une quelconque
activité professionnelle ou commerciale et ce, même par personnes
interposées.
Reste la question des sanctions en cas
d'incompatibilité, c'est l'article 31 qui prévoit la sanction .En
effet la cour constitutionnelle constate d'office la démission de ses
membres qui accepterait exercer une fonction ou une activité
incompatible avec le statut de juge constitutionnel .Cette sanction s'appliquer
aussi en présence de la perte de droits civiques et politiques ou de
l'empêchement définitif par suite d'incapacité physique.
Le régime des incompatibilités parce qu'il
favorise l'impartialité et l'indépendance des juges a
été repris par l'ensemble des pays qui ont une cour
constitutionnelle et notamment en Afrique. Toutefois, ce régime tel que
fixé par la proposition de loi garantie t-elle pour autant
l'indépendance ?
Il semble que la rédaction de certaines
incompatibilités prêtent à la confusion c'est le cas nous
l'avons évoqué de la différence entre le service public et
les fonctions publiques par ailleurs les juges constitutionnels ne
bénéficient pas d'une immunité fonctionnelle.
Il est vrai qu'en France les conseillers constitutionnels ne
bénéficient pas d'une immunité
36 personnelle, c'est ce qui ressort notamment de l'affaire
DUMAS mais ils ont un statut assez protecteur.
Or la proposition de loi fixe un grand nombre d'obligation aux
juges constitutionnel sans leurs accorder la protection nécessaires
.Dans la proposition de l'honorable Bulle , l'article 8 faisait des membres de
la cour constitutionnelle des justiciables , en premier et dernier ressort
devant la cour de cassation .
Cette proposition non retenue ne répond pas à la
question, même si il est vrai qu'un début de réponse
était donnée dans la mesure où le juge compétent
pour connaître des litiges contres les membres du conseil était
désigné .en l'espèce , il s'agit de déterminer les
garanties Judiciaires que le statut de juge constitutionnel accorde et le texte
nous dit rien ou presque . L'expérience nous dira si les
députés congolais ont eu raison d'accorder aucune protection
fonctionnelle pour les juges, mais une autre solution était possible
.
En regardant ce qui se fait dans la matière dans le
continent , nous avons des nombreux exemples , nous allons en prendre deux :
d'abord au Mali ou l'article 7 de la loi organique portant
organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle pose le principe
selon lequel , les membres de la cour constitutionnelle peuvent être
poursuivis, détenus ou jugés en matière pénale
qu'après avis de la cour constitutionnelle elle-même .En pratique
, il s'agit d'un vrai filet protecteur qui permet au juge d'échapper
à toutes pressions judiciaire fantaisiste ou simplement relevant de sa
vie privée ; ce filet de protection peut être utile notamment ,
lorsqu'un juge constitutionnel est désigné comme rapporteur d'une
affaire et en même temps est sous la menace d'une procédure
judiciaire , la cour peut mettre en attente son avis pour laisser le temps au
juge de finaliser son dossier sereinement ;ce qui contribuera sans doute
à empêcher un travail bâclé sous la pression .Ce
principe à toutefois une limite , il s'agit d'un cas de flagrant
délit dans ces conditions , l'avis de la cour constitutionnelle avant le
déclenchement d'une procédure n'est plus requise .
37 Ensuite au Burkina Faso, où l'article 5 de la loi du
27 avril 2000 pose le même principe avec la même exception, sauf
que cet article ajoute une obligation d'information du président de la
cour dans les quarante huit heures en présence d'un cas de flagrant
délit .
Ces deux protections spécifiques n'existent pas pour le
juge constitutionnel congolais.
Dans le silence des textes, c'est le régime exorbitant
de droit commun des magistrats qui s'applique mais le juge constitutionnel
n'est un magistrat commun, ni dans son statut ni dans sa fonction.
Toutefois, ni l'obligation de réserve, ni le régime
des incompatibilités sont véritablement des remparts contre les
excès de certains juges ou conseillers constitutionnel :
en France ,V GISCARD D'ESTAING n'a pas toujours
respecté cette obligation de réserve de même, Mme
Simone VEIL s'est placée en congé du conseil
pour soutenir le oui au referendum sur la constitution européenne.
En définitive, la compatibilité sera
appréciée au regard de l'obligation générale des
conseillers de s'abstenir de tout ce qui pourrait compromettre
l'indépendance et la dignité de leurs fonctions33. Un
juge constitutionnel relève d'abord et souvent de sa propre conscience
plus que d'un statut.
Tableau 1 : Tableau récapitulatif
1
Membres nommés (Art 158 de la constitution de 2006
et Art 2 de la proposition de loi)
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Autorités de Nomination
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Président de la République : il
nomme les neuf membres de la cour constitutionnelle
|
doivent être
(art
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dont trois de sa propre initiative .Deux membres sur trois,
désignés par lui des juristes, issus du barreau, de
l'enseignement universitaire ou de la magistrature 4 de la proposition
de loi organique).
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Parlement réunis en congrès :
désigne trois membres .Un des trois membres
|
doit être (art 4 de la
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juriste issu du barreau, de l'enseignement universitaire ou de la
magistrature proposition de loi)
|
Conseil supérieur de la magistrature : il
désigne trois membres qui
|
sont issus du
|
pouvoir judiciaire (art 4 de la proposition de
loi)
|
Le président de la cour
constitutionnelle est élu par ses pairs, il à voix
prépondérante en cas de partage. IL a en charge l'administration
de la cour et est l'ordonnateur du budget (art 7 et 8 de la proposition
de loi organique).
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Tableau 2 : Tableau
Récapitulatif 2
Mandat long de 9 ans non renouvelable. (art 5)
Inamovibilité sauf démission volontaire (art30) ou d'office
prononcée par la CC (art 30 a 2).
Les juges sont soumis à une obligation de :
réserve (art 24), neutralité (art 25 a 2) et
d'impartialité
(art 25a 3).
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Incompatibilités
Incompatibilités Politiques (art27et28)
Incompatibilités Professionnelles (art29)
Membre du Gouv, même deux ans après sa sortie de
la cour ; mandat électoral
; appartenance à un parti politique.
Aucune activité professionnelle ou commerciale
même par personne interposée.
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