A. Les visites de Monseigneur Paul Etoga à Nlong
La première visite du prélat entant
qu'évêque intervient le 8 Décembre 195559 pour
dire sa première messe. Les préparatifs pour recevoir
l'évêque à Nlong ont commencé avant son sacre
à l'hippodrome de Yaoundé. Le Père Dietrich avait
d'ailleurs sensibilisé les élèves de l'école
primaire catholique St. Pierre et Paul de Nlong à propos de cet
évènement. Il avait demandé à chaque
élève d'apporter 400 FCFA pour confectionner les t-shirt
à l'effigie de Monseigneur Paul Etoga60. Tous les
élèves vont s'exécuter avec enthousiasme. A leur grande
surprise, ces derniers ont reçu des sous-vêtements t-shirt
sans
58 Au rang des détracteurs de Mgr Paul Etoga
figurent Monseigneur René Graffin et Monseigneur Jean Zoa. Ce dernier
s'était opposé à la construction d'un petit
séminaire dans le diocèse de Mbalmayo. Cf AAY, Réflexion
sur la lettre et le rapport de Rigobert Owono à Mgr. Etoga, le 22 juin
1973.
59 Nleb Bekristen, Bimensuel, N° 227 du
20 Janvier 1956, p. 1.
60 Entretien avec Joseph Ebodé.
manche. Cela entraîna un mécontentement
général. Certains élèves du cours moyen I et du
cours moyen II sont allés au presbytère pour demander au
Père Dietrich de leur rembourser leur argent61. Ce dernier
rétorqua en qualifiant Monseigneur Paul Etoga de « pauvre
évêque noir ». Puis, il refusa de leur rembourser. Un des
élèves le frappa à la tête avec un
bâton62. Scandale ! Le père fut rapidement conduit au
dispensaire.
Lorsque Monseigneur Paul Etoga commence son homélie
devant une foule grandiose, il déclare qu'il est content de l'accueil et
mécontent aussi à cause de l'incident survenu quelques jours
avant son arrivée. Pouvait-il réagir autrement ? Quelques
années plus tard, le Père Dietrich fut affecté à la
mission catholique d' Oveng.
Le prélat continua à venir à Nlong pour
assumer ses fonctions d'évêque auxiliaire en confirmant les
enfants à la mission. En 1958, il confirma plus de 30
enfants63. A chacune de ses visites, il allait à la rencontre
des Frères du sacré coeur pour entendre leurs confessions.
Parfois, assister à des retraites. Pour le frère Jean
Marie64, c'est ce que le prélat devait faire et il le faisait
avec enthousiasme. En 1976 alors qu'il était évêque du
diocèse de Mbalmayo, il est venu assister à la première
messe de Monseigneur Athanase Balla à Nlong65.
Les populations de Nlong gardent de Monseigneur Paul Etoga
l'image d'un homme simple qui allait de maisons en maisons pour écouter
tout le monde.
B. Les messages adressés aux populations de
Nlong
Dans sa pastorale, Monseigneur Vogt a souvent
prôné une évangélisation douce et pacifique. Il
faut, disait-il, évangéliser « en bon pasteur et non en
gendarme ». Une telle option passait aussi par une application souple des
textes
61 Entretien avec Gabriel Tsanga.
62 Entretien avec Marc Ekani.
63Entretien avec Joseph Ebodé.
64 Frère Jean Marie, 75 ans, Frère de la
congrégation du sacré coeur, Nlong le 6 Décembre 2007.
65 Mgr. Athanase Balla, 84 ans, Prélat
originaire de Nlong. Ancien évêque du diocèse de Bafia,
Yaoundé le 15 Novembre 2007.
canoniques. Monseigneur Graffin, ancien aumônier
militaire n'a pas réussi à se départir de l'esprit
carré d'un homme en tenue. Monseigneur Paul Etoga quant à lui se
caractérisait par la rigueur mais aussi par la tolérance dans la
mise en application des textes. Le contenu des messages adressés aux
populations de Nlong par le prélat tournait autour des thèmes
tels que le mariage, la dot, l'eucharistie, la pratique de l'agriculture,
etc.
1. Le mariage et la dot
L'un des points les plus préoccupants pour Mgr. Paul
Etoga est l'interdiction absolue de la polygamie. Pour Mgr. Vogt, la polygamie
était un véritable fléau social qu'il fallait
combattre66. Ceci n'était pas facile pour Monseigneur Paul
Etoga car pour le Beti, la polygamie est un mariage qui donne naissance
à un grand village. Le Beti est traditionnellement polygame ; il lui
faut beaucoup d'enfants. Ainsi, avoir des héritiers, de la nourriture en
quantité suffisante, du prestige, une main d'oeuvre assurée,
constituent pour le Beti les principaux motifs de la polygamie67. Si
par malheur, la première femme avec laquelle une personne s'était
religieusement mariée était stérile, cette personne
pouvait prendre une autre femme dans l'espoir d'avoir des enfants. Dans ce cas,
le mari n'avait plus droit aux sacrements de l'église. Le prélat
était strict là- dessus. La femme mariée à
l'église dans ce cas n'était pas
excommuniée68.
Le prélat s'opposait au mariage entre les Mvog Nama et
les Mvog Ndobo69 car ces derniers descendaient d'un ancêtre
commun. Après deux années de retraite de la femme dans le sixa de
Nlong disait-il le mariage devait être célébré. Le
prélat disait également que : « la cohabitation est
indispensable aux époux »70 . Ils devaient vivre
ensemble pour s'entraider mutuellement et
66 ANY, APA 1 0560/A Culte catholique ÀIncident
divers À Père du Saint Esprit.
67 W. Mvogo, «La mission de l'Eglise catholique
au Cameroun en général et chez les Beti en particulier de 1890
à 1961», Thèse de doctorat de 3e cycle en
Théologie catholique, Université de la propagande, 1979, p.
62.
68 Entretien avec l'Abbé Théodore
Léandre Nzié
69 Etoga, p. 6.
70AD M, Anonyme, Réflexion sur la vie
chrétienne, mémoire pastorale de Monseigneur Paul Etoga,
Mbalmayo, 1955, p. 12.
spirituellement. Il abordait dans le même sens en
affirmant qu'une mauvaise habitude s'était introduite dans le mariage.
Par exemple, le mari travaillait à Yaoundé et l'épouse
restait à Nlong. Cette séparation disait-il était un grand
danger pour la vie conjugale. Il continuait en disant que : « Si Adam
avait été avec Eve au jardin, le démon, n'aurait pas
détruit cette dernière »71.
Monseigneur Paul Etoga n'était pas contre la dot. Mais
celle-ci devait être juste un symbole d'alliance, un symbole d'amour et
non un marchandage entre deux familles72. Il exigeait par exemple
que la dot ne puisse être qu'un symbole. Pour lui, c'était une
mesure médiane qui conciliait les coutumes des populations et les
prescriptions de l'Eglise. C'était une solution sage qui devait amener
vers l'abandon progressif de la dot. Nous voyons en cette attitude de
l'évêque, la tolérance dans l'application des textes
canoniques. Car il tenait compte des moeurs des populations de Nlong. Ceci
créa entre les chrétiens et lui une atmosphère de
confiance et de compréhension. Cette attitude l'amena également
à éviter la résistance des populations à la
pratique des sacrements et à une conversion massive au catholicisme.
L11l 'eucharistie
Monseigneur Paul Etoga disait aux populations de Nlong qu'on
devait toujours se confesser avant de recevoir l'eucharistie73. Pour
la première communion, le prélat exigeait que seul le
prêtre lui-même fasse l'examen d'admission aux postulants. La
réception de l'eucharistie devait être
précédée et suivie des prières intenses et d'une
grande concentration. Il recommandait aux chrétiens de Nlong la pratique
des retraites. Pour lui, « La pratique des retraites est un grand secours
pour la vie chrétienne pour les populations de Nlong d'autant qu'il y
avait une congrégation des frères sur place»74.
Il s'agit ici des
71 ADM, Réflexion sur la vie chrétienne,
p.12.
72 Voir annexe N° III.
73 Sacrement qui pour l'Eglise catholique transforme
réellement et substantiellement le pain et le vin en corps et sang de
Jésus Christ
74 ADM, Réflexion sur la vie chrétienne,
p. 22
retraites spirituelles (interruptions momentanées des
affaires habituelles pour se recueillir en présence de Dieu et exprimer
sa conscience afin de l'orienter vers Dieu pour la purification de
l'âme). Il disait que les retraites devraient se faire avant de recevoir
tout sacrement : mariage confirmation, première communion, ordination,
etc.
3. Les cultures de rente
Monseigneur Paul Etoga n'a pas négligé l'aspect
économique. Il demandait aux populations de Nlong de pratiquer une
agriculture mixte, intégrant les cultures de rente et les cultures de
consommation75. Il leur demandait de planter le café et le
cacao. A titre d'exemple, il avait acquis une plantation de café
à Mbalmayo afin d'accroître les ressources du
diocèse76.
Aux différents messages adressés aux populations
de Nlong, il apparaît que Monseigneur Paul Etoga était très
attaché aux enseignements et aux exigences de l'Eglise catholique. Cet
attachement se faisait ressentir au niveau de la pratique des différents
sacrements de l'Eglise.
En somme, monseigneur Paul Etoga était un pasteur au
sens plein du terme qui s'occupait des âmes et qui cherchait surtout
à transformer les mentalités. Il était à la
disposition de tous. Sa simplicité était appréciée
et toutes les familles de Nlong le citaient en exemple. Les biens
matériels n'avaient pas de signification pour lui. Ce qui
l'intéressait, c'était l'homme dans ses relations avec Dieu.
C'est d'ailleurs cette qualité qui lui a permis de résister
« aux attaques » de monseigneur René Graffin d'une part, et
d'autre part aux difficultés rencontrées à Mbalmayo. Les
relations ambiguës que Monseigneur Paul Etoga entretenait avec monseigneur
René Graffin et Mgr Jean Zoa ont certainement influencé
l'évolution de la mission catholique de N long de 1955 à 1987.
75 Entretien avec Gabriel Tsanga.
76 Etoga p. 36.
CHAPITRE IV. L'IMPACT RELIGIEUX DE L'EPISCOPAT DE
MONSEIGNEUR PAUL ETOGA SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA MISSION CATHOLIQUE
DE
NLONG
Durant l'épiscopat de monseigneur Paul Etoga, la vie
religieuse de la mission catholique de Nlong a été
bouleversée1. Cela s'est fait ressentir sur les plans
évangélique et vocationel. Cette dynamique était le fruit
des messages que le prélat adressait aux populations de Nlong d'une
part, et d'autre part aux relations qu'il entretenait avec Mgr. René
Graffin et Mgr. Jean Zoa.
I. SUR LE PLAN EVANGELIQUE
L'évangélisation est une des dimensions
essentielles de la mission chrétienne. Cette dernière puise son
fondement dans les Saintes Ecritures2. D'après David Bosch
:
L'évangélisation est la proclamation du salut en
christ à tous ceux qui ne croient pas en lui ; elle les appelle à
la repentance et à la conversion, elle annonce le pardon des
péchés, elle les invite à devenir des membres vivants de
la communauté terrestre du Christ et à essayer de vivre au
service des autres par la puissance du Saint Esprit3.
Avec le sacre de Mgr. Paul Etoga comme le tout premier
évêque camerounais, les populations de Nlong
s'approprièrent de plus en plus le message
d'évangélisation. Cela se faisait remarquer par l'augmentation du
nombre des sacrements et par la redynamisation des confréries.
1Entretien avec le Frère Jean Marie.
2 « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les
baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » Cf. Mathieu
28 : 19.
3 D. Bosch, Dynamique de la mission
chrétienne, Paris, Karthala, 1995, p. 23.
$ IO IISSIRSITEMRU tMIAIUXIGISLCWSRSXMRUsitifil
lRUT
L'annonce de l'évangile par les missionnaires avait
pour but d'attirer la sympathie des populations de N long afin de les convertir
au catholicisme4. Avec le sacre de Monseigneur Paul Etoga comme
évêque, il devenait clair pour les populations de Nlong que le
véritable Dieu est celui dont la nature et l'essence avaient
été révélées dans la Bible. L'Eglise
catholique devenait ainsi l'unique « dispensaire » de la grâce
divine, sans elle, il n'y avait point de salut. Et Jésus Christ
était l'unique sauveur de l'humanité.
Pour mieux toucher cette sympathie, le clergé de la
mission catholique de Nlong s'intéressa de plus en plus à la vie
quotidienne des populations en leur demandant d'abandonner certaines pratiques
jugées incompatibles avec les vertus chrétiennes. Les populations
de Nlong réagirent favorablement à ces préceptes de
l'Eglise. La majorité d'entre eux renonça à pratiquer les
rites traditionnels5 (esani, esié,
tsoo, so, etc,) et la polygamie. C'est ainsi qu'entre 1955 et
1961, le nombre de catholiques est passé respectivement de 5860 à
6900. A partir de 1961, ce nombre alla en diminuant et atteindre 2000 en
19876. Cela s'explique par le fait que la paroisse de Nlong
concéda plusieurs de ses villages7à de nouvelles
paroisses créées dans le but de rapprocher l'Eglise des
populations.
Certaines couches sociales à l'exemple des personnes
atteintes de lèpre et d'autres maladies revirent l'espoir de se voir
intégrer à nouveau dans la société car, les
enseignements des missionnaires sur l'égalité et la
fraternité leur donnaient confiance et espoir.
4 Entretien avec Théodore Léandre
Nzie.
5 Entretien avec Gabriel Tsanga.
6 AMCN, Rapport annuel de la Mission Catholique de
Nlong 1986/1987.
7 Nlong est passé de 32 villages en 1955
à 12 villages en 1987.
Il est important de noter que si le clergé de Nlong a
amené les populations à s'approprier l'évangile, c'est
grâce aussi au concours des laïcs engagés comme les
catéchistes. Ces derniers ont apporté la bonne nouvelle aux
confins des villages. L'annonce de l'évangile occupait une place
importante dans l'expansion du christianisme comme le montrent J.P. Messina et
J.V. Slageren : « Le développement de l'agriculture, de la
médecine, de l'enseignement général et théologique
fut encouragé mais à condition qu'il serve au témoignage
de l'évangile dans le pays » 8
|