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Refexion sur l'inclusion sociale - la double contrainte des collectivités territoriales entre évaluation et prévention

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par Yann WELS
Université Aix-Marseille 3 - Master 2 2006
  

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Chapitre 2nd : L'établissement d'une sur-responsabilisation

Voici, dans mes vieilles idées, le grand problème en politique que je compare à celui de la quadrature du cercle en géométrie et à celui des longitudes en astronomie : trouver une forme de gouvernement qui mette la loi au-dessus de l'homme

Rousseau, 1827

L'Union européenne - et les acteurs politiques et sociaux qui influencent, conduisent ou mettent en oeuvre son action - a aujourd'hui à sa disposition 4 grandes méthodes pour produire une action en matière sociale à l'égard des Etats membres : le droit européen classique (directives et règlements), le droit européen conventionnel issu du Dialogue social (les accords européens), les méthodes ouvertes de coordination (MOC) et les instruments financiers (le Fonds social européen, FSE). Ces méthodes sont de nature très différente, se distinguant entre elles notamment par leur historicité - certains datent de l'origine (droit classique et FSE), d'autres des années 90 (droit conventionnel et MOC) -, par leur portée juridique - contraignante (droit classique et droit conventionnel) ou incitative (MOC et FSE), distributive (FSE) ou «régulatoire» (les trois autres) -, par les configurations d'acteurs qui y sont associés, formellement et factuellement (le rôle que remplissent les partenaires sociaux, dans leurs formes organisationnelles nationales ou européennes, n'est par exemple pas du tout le même selon les instruments pris en considération).

Traitant de la question de l'européanisation de la politique sociale française, et surtout de l'inclusion sociale et de son impact sur la transformation de la collectivité territoriale en «collectivité providence», il est apparu intéressant d'adjoindre à la question classique du rapport entre système politique national et système politique européen, la prise en compte d'une variable peu/pas examinée dans la littérature existante sur «l'Europe sociale»: la question de l'impact de l'établissement d'une responsabilisation des acteurs publiques nationaux et locaux différenciée, produite par l'Union Européenne. La nature tout à fait novatrice de la méthode mise en oeuvre à l'occasion de la stratégie de Lisbonne, sur la thématique de l'inclusion sociale offre une occasion tout à fait singulière de traiter cet aspect-ci d'une politique publique.

L'objectif central va donc être ici de repérer s'il existe des différences significatives dans les modes et les contenus de responsabilité publique qui sont produites au niveau européen et "réceptionnés" au niveau national, en rapport avec la thématique retenue de l'inclusion sociale, selon que cette action passe par le canal du droit européen classique, du droit européen conventionnel, de la MOC ou du FSE. Dans le traitement de la question de l'européanisation de la politique sociale française sur le volet «inclusion», il s'agira de mettre en évidence non seulement les impacts sur la politique sociale nationale de l'action publique en matière sociale issue du niveau européen mais aussi les co-évolutions entre les initiatives politiques prises en matière sociale au plan national et local. En effet, une attention portée uniquement aux phénomènes d'européanisation risque de surdéterminer l'influence de l'action issue de ce niveau de pouvoir aux dépens des évolutions nationales «endogènes». De même, il faut prendre garde à une analyse qui serait uniquement sectorielle de la problématique, qui abstrairait la politique sociale européenne, et son impact sur la politique sociale nationale et locale des autres politiques menées.

Dans la poursuite de cet objectif, seront donc ainsi traités, l'européanisation des politiques sociales européennes (I), donnant lieu, à la production d'une législation nationale coercitive (II), laquelle s'articule sur la territorialisation des enjeux sociaux (III). Ces éléments participants de la compréhension de la «difficile» pérennisation des dispositifs sociaux curatifs.

I. L'Européanisation des politiques publiques sociales

«En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union»93(*)

L'irruption récente de l'Europe comme variable explicative des réformes survenues dans le domaine des politiques sociales constitue un tournant significatif des recherches portant sur l'évolution des États-providence. L'analyse de l'action publique s'est en effet longtemps appuyée sur une double évidence excluant toute influence communautaire dans les politiques sociales. D'une part, les traités européens sont remarquablement clairs sur l'application du principe de subsidiarité dans ce domaine. D'autre part, l'observation des États-providence européens ne permet pas de conclure à leur convergence vers un régime de protection sociale unique. L'hétérogénéité structurelle et institutionnelle dont rend compte la typologie de Gøsta Esping-Andersen94(*) persiste dans les préférences affichées par les États-providence lors de leurs réformes successives, suivant un schéma classique de path dependence95(*).

Au cours des années 1990, la libéralisation concomitante des systèmes de santé européens a cependant soulevé l'hypothèse d'un alignement dynamique des réformes sur un référentiel de marché (Freeman et Moran, 2000, Hassenteufel, 2003). Plus récemment, la notion d'européanisation96(*) des politiques publiques a permis d'envisager l'existence, au niveau européen, d'un processus «d'harmonisation cognitive» (Mandin et Palier, 2004) des réformes nationales, rendu possible par la mise en oeuvre d'un dispositif politique particulier : la méthode ouverte de coordination, mise en place au Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 et appliquée dans les domaines de la lutte contre l'exclusion et la protection sociale depuis les sommets de Nice (décembre 2000) et Stockholm (mars 2001). C'est dans cette démarche que sera donc envisagée l'analyse fonctionnelle de l'inclusion sociale (A) s'articulant ensuite avec une analyse séquentielle de l'inclusion sociale (B), propre à mettre en exergue la lente diffusion d'une responsabilité des acteurs (nationaux et locaux) au travers les différents dispositifs mis en place. Ces éléments étant constitutifs d'autant de contrainte dans le processus de pérennisation des actions et dispositifs sociaux curatifs.

A. L'analyse fonctionnelle de l'inclusion sociale

La réduction de la pauvreté est restée, pendant plusieurs dizaines d'années, un objectif diffus des politiques européennes. L'ensemble des mesures communautaires allant dans ce sens depuis la fin des années soixante-dix n'est pourtant pas négligeable ; néanmoins, ce n'est qu'à partir du Conseil européen de Lisbonne en 2000 qu'une véritable politique de lutte prend forme et s'articule autour d'un agenda social formalisé, ouvrant un nouveau cycle de politiques publiques.

Depuis 1957, on observe une évolution considérable du contenu comme des instruments de la politique sociale européenne. Quatre étapes peuvent être identifiées:

-les règlements relatifs à la libre circulation des travailleurs après 1957;

-les directives sur la santé et la sécurité après l'Acte unique européen en 1986 : dans ces domaines, la législation européenne a joué un rôle majeur;

-les accords des partenaires sociaux européens après le traité de Maastricht en 1993;

-la méthode ouverte de coordination visant à mettre en oeuvre la stratégie européenne pour l'emploi après le traité d'Amsterdam en 1997.

Le milieu des années 90 a été caractérisé par l'arrivée de nouveaux États membres dans l'Union : la Suède et la Finlande ont apporté avec elles le modèle scandinave de complémentarité vertueuse entre les politiques économiques, les politiques sociales et les politiques d'emploi.

Marché intérieur Social

Approche intégrée

Economie Politique sociale Economie Emploi

1986-1994 1995-2004

Dès le milieu des années 90, l'UE et ses États membres ont commencé à modifier leur approche de la politique sociale: affirmation de l'emploi comme un objectif, et non plus seulement comme un résultat de la politique économique; attention accrue portée aux politiques sociales en tant qu'investissement (et non seulement en tant que coût), et au rôle «productif» de la politique sociale dans le cadre d'un cercle vertueux combinant flexibilité et sécurité d'emploi, adaptabilité et employabilité. Ceci a entraîné un renforcement significatif de la politique de l'emploi et de la politique sociale européenne à la fois en termes politiques et en dispositions institutionnelles, tout d'abord à Amsterdam avec le titre «Emploi» et l'incorporation du protocole de Maastricht dans le Traité, et ensuite à Lisbonne avec l'affirmation des objectifs intégrés et le lancement de la méthode ouverte de coordination comme nouvel instrument permettant d'aborder les questions de politique sociale.

L'analyse de l'évolution de la politique sociale européenne montre que, malgré les progrès enregistrés, la politique sociale a toujours couru derrière la politique économique. La stratégie de Lisbonne vise à concilier politique économique, politique de l'emploi et politique sociale en les centrant sur les objectifs définis en commun que sont l'amélioration de la compétitivité, la recherche du plein-emploi et la promotion de l'insertion sociale. Le principe sous-jacent est que ces politiques ne sont pas astronomiques, mais qu'elles peuvent se renforcer mutuellement. Compte tenu des incertitudes et des complexités inhérentes à la définition de politiques dans l'Union élargie, la mise en oeuvre adéquate et cohérente de la stratégie de Lisbonne suppose l'incorporation de l'inclusion sociale dans un ensemble plus vaste d'action publique. La nouveauté de cette politique réside principalement dans trois de ses caractéristiques liées. Premièrement, son cadre intellectuel a changé et a intégré plusieurs éléments issus de la pensée programmatique de la «Troisième Voie» (Third Way), promue entre autres par le courant du New Labour en Grande-Bretagne97(*). En simplifiant, l'exclusion sociale y est abordée en termes de responsabilité individuelle, d'où un renforcement des liens entre assistance sociale et contrepartie obligatoire en travail, les politiques de Workfare tendant ainsi à se substituer aux politiques traditionnelles d'assistance par le Welfare-State (Merrien, 2000 : 117).

Le poverty trap ou job trap, c'est-à-dire la «désincitation» à l'emploi dû à un niveau trop élevé de prestations sociales et l'installation durable dans l'assistance d'une partie de la population, est au coeur des politiques d'inclusion sociale qui visent à ramener autant d'individus que possible sur le marché du travail en renforçant les politiques d'activation de l'emploi98(*). Deuxièmement, les politiques d'inclusion sociale sont dotées d'une structure d'exécution inédite, la méthode ouverte de coordination, dont on a posé quelques jalons descriptifs en introduction. La méthode ouverte de coordination avait déjà connu une application dans le cadre de la Stratégie Européenne pour l'Emploi, élaborée au Conseil européen d'Amsterdam en 1997. Toutefois, sa mise en oeuvre était alors fortement associée à une autre politique, l'Unification Européenne Monétaire, dont elle devait constituer le volet social complémentaire. L'application de la méthode ouverte de coordination à l'inclusion sociale inaugure de ce fait une certaine forme d'autonomie pour le dispositif, bien que ce dernier demeure expérimental et fragile à plusieurs égards99(*). Enfin, l'évaluation systématique des efforts effectués par les États-membres constitue la troisième caractéristique discriminante permettant de distinguer l'ouverture d'un nouveau cycle dans le champ des politiques publiques d'inclusion sociale.

Ces éléments sont autant de témoignage du passage d'une responsabilité à minima des Etats membres à une responsabilité renforcée de ces derniers dont l'analyse fonctionnelle de l'inclusion sociale peut révéler les traces. Sur ce terrain, les propos de l'Union sont très clairs «(...) L'Europe doit renouveler les bases de sa compétitivité, augmenter son potentiel de croissance ainsi que sa productivité et renforcer la cohésion sociale, en misant principalement sur la connaissance, l'innovation et la valorisation du capital humain. Pour atteindre ces objectifs, l'Union doit davantage mobiliser tous les moyens nationaux et communautaires appropriés- y compris la politique de cohésion - dans les trois dimensions économique, sociale et environnementale de la stratégie pour mieux en exploiter les synergies dans un contexte général de développement durable»100(*). Comme le précise la commission ses propositions visent à obtenir des améliorations dans deux domaines principaux. En premier lieu, la dimension stratégique de la politique de cohésion est renforcée afin d'assurer une meilleure intégration des priorités communautaires dans les programmes de développement nationaux et régionaux. En second lieu, des efforts sont faits afin de garantir une meilleure appropriation de la politique de cohésion sur le terrain. Cela se traduit par «un dialogue renforcé au sein des partenariats formés par la Commission, les États membres et les régions, ainsi que par un partage de responsabilités plus clair et plus décentralisé dans des domaines comme la gestion et le contrôle financiers. Les propositions aboutiraient également à une répartition plus transparente des responsabilités entre la Commission, les États membres et le Parlement»101(*). La référence à une responsabilisation par les instances européennes est clairement évoquée comme devant guider l'action publique inclusive.

L'amélioration des performances économiques, l'obtention d'une meilleure insertion sociale, la création d'emplois s'est avérée difficile, en dépit d'efforts politiques considérables; les sources de la croissance économique ne sont pas bien comprises; l'environnement extérieur n'est pas favorable. Mais, il est toutefois possible et réaliste de penser que l'UE puisse faire des progrès. Pour réaliser ce projet, il est essentiel que les politiques économiques et sociales soient coordonnées. Dans le passé, les politiques sociales ont trop souvent été conçues sans prendre en compte leurs conséquences économiques. Les régimes de prestations d'assurance-chômage ont été introduits, ou étendus, sans qu'une évaluation complète des éventuels effets dissuasifs sur l'emploi ait été réalisée, et font maintenant partie du problème. Les régimes de préretraite ont été utilisés pour résoudre les problèmes à court terme du marché du travail, sans tenir compte de leur impact sur le ratio de dépendance. Inversement, la politique macroéconomique a trop souvent été menée sans se soucier des conséquences sociales. Le coût des politiques déflationnistes n'a pas été partagé de façon égale. Les appels en faveur de la flexibilité du marché du travail n'ont pas tenu compte du besoin de sécurité de revenu. Les politiques économiques et sociales devraient être conjointes afin d'éviter que les problèmes dans un domaine soient exacerbés par les solutions adoptées dans un autre. Une telle approche intégrée pose à son tour une difficulté quant aux structures du gouvernement. Dans les États membres, c'est le ministère des finances, ou le Trésor, qui s'occupe en règle générale d'améliorer les performances économiques et c'est le ministère des affaires sociales ou de la politique sociale qui est chargé de la justice sociale. De même, au niveau de l'Union, on retrouve plusieurs DG. Une approche cohérente est nécessaire au niveau des gouvernements nationaux aussi bien qu'au niveau européen.

Par ailleurs, il convient de reconnaître que chaque État membre rencontre des problèmes spécifiques qu'il faut prendre en compte lors de l'examen de la position du pays. En particulier, les coûts de la réunification ont eu un impact durable sur l'économie allemande et ont nécessité la mise en place d'importantes réformes. Le principe de subsidiarité permet aux États membres de faire de tels ajustements sans qu'il soit nécessaire que les autres États membres prennent des mesures dans le domaine de la politique sociale. Le processus d'inclusion sociale est assez flexible pour permettre aux pays de choisir des instruments différents afin d'atteindre les objectifs arrêtés en commun. Lorsqu'il a relancé la stratégie de Lisbonne, le Conseil européen a approuvé un ensemble unique d'orientations rassemblant les grandes orientations de politique économique et les lignes directrices de la stratégie européenne pour l'emploi, intégrant ainsi les diverses politiques - politique macroéconomique, politique microéconomique et politique de l'emploi - menées pour promouvoir la croissance et la création d'emploi. Conformément à la proposition de règlement, les priorités des orientations stratégiques communautaires en matière de cohésion dans les domaines de l'emploi et des ressources humaines doivent être de la stratégie européenne pour l'emploi.

En termes de développement du capital humain, les lignes directrices pour l'emploi proposent trois priorités d'action pour les politiques d'emploi des États membres:

- attirer et retenir un plus grand nombre de personnes sur le marché du travail et moderniser les systèmes de protection sociale;

- améliorer la capacité d'adaptation des travailleurs et des entreprises et accroître la flexibilité des marchés du travail;

- investir davantage dans le capital humain par l'amélioration de l'éducation et des compétences. L'analyse fonctionnelle de l'inclusion sociale révèle donc, à la marge, l'émergence et la diffusion d'une responsabilisation des différents acteurs et intervenants.

B. L'analyse séquentielle de l'inclusion sociale

L'action publique et celle plus singulière d'inclusion sociale révèlent une série de mutations importantes dont les analyses ne rendent compte que partiellement. Parmi ces mutations, la multiplication des acteurs jugés aptes à participer n'est pas sans poser problème tant aux praticiens qu'aux analystes puisque révélant des niveaux divers et variées d'interactions et de responsabilités.

Les théories de la gouvernance envisagent l'action publique comme une action à plusieurs au sein de laquelle sont amenés à interagir une multitude d'acteurs qui tous ont un intérêt pour agir. S'intéressant tout particulièrement aux phénomènes de privatisations et d'intrication du public et du privé, ces théories envisagent la responsabilisation au travers l'ingénierie et le design institutionnel.

La littérature sur les réseaux de politiques publiques analyse les processus de responsabilisation et de hiérarchisation entre les différents acteurs des politiques publiques, les chaînes de relations qui s'établissent entre les différents partenaires permettant une grande stabilité des réseaux, mais c'est dans l'oeuvre d'un auteur américain de la fin des années 1970, et dans une théorie fondant l'analyse séquentielle que l'on trouve l'apport le plus pertinent sur la responsabilisation.

Parler d'analyse séquentielle à ce stade-ci, implique une référence très nette à la science politique. C'est en effet à un auteur américain Charles Jones102(*), que l'on doit l'analyse séquentielle d'une politique publique. L'intérêt de cette analyse est de révéler que dans la décision publique et de façon plus globale dans une action publique, des séquences d'action successives se succèdent.

Cette «séquentialité» permet de faire émerger l'idée d'une responsabilisation, responsabilisation que l'on peut définir comme la sensibilisation à l'exercice des fonctions et aux risques inhérents aux missions assurées103(*).

Ces séquences sont ainsi les suivantes :

1-la mise sur l'agenda ;

2- la formulation politique, stade de la production de solutions ou d'alternatives ;

3-décision, qui est a priori le moment le plus visible et le plus objectivable, qui est d'ailleurs celui de l'émergence de la responsabilisation ;

4-la mise en oeuvre (implementation). Cela renvoi à l'exécution pratique ou à la non-exécution, des décisions élaborées aux stades antérieurs ;

5-l'évaluation, qui concerne les modalités de vérification des effets pratiques de la décision (mais qu'on traitera dans la seconde partie du mémoire) ;

6-la fin de l'action.

L'intérêt de cette méthode d'analyse, est d'offrir un cadre assez simple et de mettre un peu d'ordre face à ensemble de données complexe et hétérogène. Les séquences de Jones sont en effet suffisamment larges pour s'appliquer à toutes les politiques publiques. Ensuite, ce modèle d'analyse se révèle à l'usage très utile parce qu'il rompt avec une représentation de l'action publique très ancrée qui consiste à appréhender les politiques publiques uniquement au travers l'action des élites dirigeantes.

Jones sans doute parce qu'il est américain, a élaboré un schéma d'analyse qui repose sur l'idée selon laquelle la décision est un processus qui met en scène une pluralité d'acteurs étatiques et non étatiques. Il permet de prendre en compte le fait que la production des décisions est un processus compétitif mettant aux prises des agents à l'intérieur de la sphère politico-administrative et opposant aussi des acteurs représentant l'Etat d'une part et la société d'autre part. Enfin, cette analyse révèle le lent processus «contractualiste» qui favorise la responsabilisation ainsi entendue dans la mesure où «elle permet de clarifier les missions et les objectifs assignées aux uns et aux autres, de personnaliser les engagements des gestionnaires de faciliter le contrôle de leur exécution»104(*). C'est là tout le défi d'une politique comme l'inclusion sociale.

L'inclusion sociale en ce qu'elle vise à «garantir que les personnes en danger de pauvreté et d'exclusion sociale obtiennent les possibilités et les ressources nécessaires pour participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle, qu'elles jouissent d'un niveau de vie et de bien-être considéré comme normal pour la société dans laquelle ils vivent et leur garantit une meilleure participation aux processus de prise de décision qui affectent leur vie et un meilleur accès à leurs droits fondamentaux», ne peut qu'enjoindre ses promoteurs et acteurs à une action responsable, puisque la production de cette politique doit tenir compte de variables communes. Cet élément est largement illustré par la présentation même du budget inclusion sociale pour 2006 en France. Face à des facteurs explicatifs souvent multiples et à des mécanismes d'interaction complexes : «l'Etat a un rôle essentiel à mener d'observation et d'analyse des phénomènes de précarité et de pauvreté et d'animation et de pilotage des politiques publiques»105(*). Dans cette perspective, il s'agit non seulement de prévenir la pauvreté et l'exclusion, de créer les conditions favorables à une sortie de l'assistance, et de répondre à l'urgence, mais également de soutenir la professionnalisation des intervenants, notamment du secteur social et de renforcer le partenariat avec les acteurs chargés de l'aide directe auprès des personnes. Le Plan de cohésion sociale, présenté en juin 2004 et dont la partie législative a été adoptée en janvier 2005, a été construit en réponse à cette situation. Il a pour objectif de systématiser les dispositifs favorisant la sortie de l'assistance au profit d'un retour à l'activité ; de permettre une insertion rapide aux jeunes rencontrant des difficultés particulières et de rétablir l'égalité effective des chances entre les populations, entre les territoires. «Le pilotage du programme et l'animation interministérielle et interpartenariale des politiques de lutte contre l'exclusion ont été confiés à la direction générale de l'action sociale (DGAS). Elle les exerce, notamment, à travers le secrétariat du comité interministériel de lutte contre l'exclusion (CILE) et du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE). La DGAS est responsable du DPT inclusion sociale»106(*). Il se dégage indubitablement dans la formulation même des propos une responsabilisation des intervenants, sous la houlette de l'Etat qui lui-même répercute la politique européenne. Comme le rappelle la commission «la réussite de la mobilisation en faveur du plein-emploi et d'une productivité plus élevée dépend d'une large gamme d'actions [...] Pour optimiser l'impact sur l'emploi des investissements, les ressources humaines doivent aussi être développées et renforcées. La politique de cohésion doit principalement viser à relever les défis spécifiques à chaque État membre mis en évidence dans la stratégie européenne pour l'emploi, cela en soutenant des actions s'inscrivant dans le cadre des objectifs de convergence et de compétitivité régionale et d'emploi. L'éventail des actions éligibles et des ressources financières est plus important pour le premier de ces objectifs».

Bien que latente et bien qu'elle ne soit jamais clairement évoquée, la responsabilité de chacun des intervenants, tel qu'elle ressort de l'analyse séquentielle rapidement esquissée, est la condition sine qua non de la réussite de l'action publique européenne envisagée, et si cela paraît logique, ça n'en est pas moins novateur en ce sens que peut se profiler à l'horizon une véritable responsabilité juridique, dès lors que des règlements ou des directives communautaires, établiront une «obligatoriété» de types d'interventions publiques spécifiques et ciblés.

II. La production d'une législation nationale coercitive

«La crédibilité et l'efficience des pouvoirs dépendent d'une architecture des responsabilités et des agencements institutionnels relativement simple et lisible par les acteurs sociaux et économiques»107(*)

L'Europe distille comme cela a pu être mis en exergue une responsabilisation en direction des principaux acteurs nationaux et de leurs démembrements locaux.

Le débat récurrent sur la responsabilité des autorités publiques a vu des intervenants d'origines et d'horizons très divers prendre part aux discussions, et pas seulement les experts et les juristes, ce qui montre l'étendue et la visibilité du problème. Philosophes, journalistes, spécialistes du nouveau management public, politistes et artisans de la réforme de l'Etat et de la décentralisation réfléchissent depuis plusieurs années à la question, en lien avec les affaires, les accidents ou les catastrophes qui l'ont rendue particulièrement sensible. La responsabilité publique représente donc une notion à la mode mais une mode dont l'Union semble avoir pris toute la mesure...Ainsi posée, le débat sur la responsabilité administrative et financière des autorités publiques (la responsabilité pénale connexe ayant été mis de côté par choix), place de coté

Se faisant, bien qu'acteur de principe, il réalise néanmoins un surprenant basculement et transfert de responsabilité en remaniant, sous couvert de décentralisation, la promotion de la responsabilité administrative (A) et en préservant la responsabilité financière des acteurs locaux (B), illustrant ainsi le caractère coercitif de la production législative nationale actuelle, ce dans la continuité de la volonté communautaire dont il se fait le relais.

A. La promotion de la responsabilité administrative

Si l'Etat garde la charge des grandes politique de santé, d'emploi, d'inclusion sociale et des grands principes liés au logement social le tout dans l'optique de permettre l'exercice correct du principe d'égalité, il ne c'est pas moins réservé une porte de sortie tout à fait surprenante au travers l'Acte 2 de la décentralisation. Contenues dans le titre III (art. 49 à 74) de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les dispositions ayant trait à la solidarité, à «l'inclusion» et à la santé n'ont sans doute pas été les plus discutées lors de l'élaboration de la loi, même si certains débats de principe n'ont pu être évités. L'Assemblée nationale a le plus souvent épousé les points de vue du gouvernement en revenant au texte de base du projet de loi. Sur certains points, le Sénat a été plus innovant, favorable qu'il est à accroître la décentralisation et la libre administration des collectivités territoriales et à donner davantage de compétences aux élus. Cependant cette ivresse de liberté se traduit bons grés mal grés par un désengagement massif de l'Etat en tant qu'acteur historique et acteur de principe de la politique publique inclusive en lieu et place du département et de l'intercommunalité108(*). C'est ainsi que les centres communaux d'action sociale dont le caractère obligatoire a été menacé par un vote en première lecture du Sénat ont été réhabilités par l'Assemblée nationale. De même le transfert de compétence du préfet au maire s'agissant du contingent de logements réservés envisagé par le Sénat en première lecture s'est transformé, après passage devant l'Assemblée nationale, en une possibilité de délégation conventionnelle.

Le titre III divisé en quatre chapitres, respectivement consacrés à l'action sociale et médico-sociale, à la mise en oeuvre de la protection judiciaire de la jeunesse, au logement social et à la construction, à la santé, modifie quatre codes : le code de l'action sociale et des familles, le code de la santé publique, le code de la construction et de l'habitation et le code de l'éducation. En ce qui concerne la solidarité et la santé109(*), l'acte II de la décentralisation traduit un renforcement du rôle du département qui devient incontestablement chef de file de l'action sociale. Outre cette fonction de chef de file, il se voit transférer l'ensemble de l'action gérontologique, les instruments de lutte contre la précarité et, à titre expérimental, la protection judiciaire de la jeunesse. Face à ce pivot, les autres collectivités publiques doivent se contenter de compétences assez restreintes. La région, tente une incursion dans le secteur sanitaire et social avec la formation professionnelle et l'aménagement du territoire.

Sur le volet inclusion et plus spécifiquement s'agissant de la prévention de l'éxclusion les intervenants se révèlent multiples et variés. La prévention de l'exclusion mobilise de nombreux dispositifs sous la responsabilité non seulement de l'État mais aussi des organismes de protection sociale et de plus en plus des collectivités locales. Certains sont gérés dans le cadre de conventions partenariales signées entre l'État et les organismes de protection sociale. La DGAS participe au comité de suivi et d'évaluation des conventions d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAF et de la CNAM ; elle exerce la tutelle de l'action sociale de la CNAF, elle est par ailleurs «donneur d'ordre» pour les minima sociaux gérés pour son compte par la CNAF. Les DRASS sont chargées de l'évaluation au niveau local de la COG de la CNAF.

La DGAS a également été chargée suite au CILE 2004 et au plan de cohésion sociale:

- de favoriser et conforter les démarches qualité au sein des services publics fondés sur l'accès aux droits des plus démunis, prenant en compte la participation et l'expression directe des personnes, notamment par une adaptation de la charte Marianne ;

- de créer, sur la base d'une collaboration entre divers partenaires et par voie contractuelle, des pôles d'accueil en réseau pour l'accès aux droits sociaux (PARADS) qui visent, notamment, à faciliter l'accès aux services et aux droits fondamentaux grâce à l'établissement de liaisons fonctionnelles plus denses et plus efficaces entre institutions, associations et organismes gestionnaires ;

- de développer (+ 300 en 3 ans) les points d'accueil et d'écoute pour les jeunes (PAEJ), dispositif de prévention destiné aux jeunes en situation de mal-être ou de risque (39.000 jeunes reçus en premier entretien en 2002).

Concernant l'action en faveur des plus vulnérables, les services sociaux publics et les associations coopèrent. La DGAS est compétente pour tout le dispositif d'accueil généraliste, CHRS et places d'urgence, pour la veille sociale et le 115, ainsi que les maisons-relais et les dispositifs d'accompagnement renforcé tels que l'ASI. Dans ce dernier cas, les crédits nationaux affectés à ces dispositifs sont complétés par des crédits du Fonds social européen. Au sein de l'organisation mise en place à l'occasion du Plan de cohésion sociale, la DGAS est plus particulièrement chargée de la réalisation concernant les questions d'hébergement des personnes en grande difficulté. La mise en oeuvre de ces différents dispositifs est majoritairement confiée à des opérateurs associatifs avec lesquels la DGAS ou les services déconcentrés du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale passent des conventions.

Pour ce qui est de la conduite et de l'animation de la politique de lutte contre l'exclusion, la DGAS s'appuie sur le conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) et le comité interministériel de lutte contre l'exclusion (CILE), la commission professionnelle consultative du travail social et de l'intervention sociale (CPC) et le conseil supérieur du travail social (CSTS).

Enfin s'agissant des rapatriés où l'action a pour but de résoudre les difficultés subsistant pour un certain nombre de rapatriés d'Afrique du Nord après 1962. L'action concerne deux grands types de populations :

-Les rapatriés ayant exercé une activité professionnelle non salariée qui réinstallés dans des conditions souvent précaires sont toujours confrontés à un endettement professionnel important lié aux conditions de leur rapatriement. Le dispositif CODAIR mis en place en 1994 a été prolongé par un nouveau dispositif issu du décret du 4 juin 1999 destiné à régler les derniers cas, en créant une commission nationale d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée (CNAIR).

- Les harkis, anciens supplétifs et leurs familles victimes de représailles et de massacres après le 19 mars 1962, ils ont été rapatriés en France dans des conditions dramatiques. Ils ont connu, ainsi que leurs enfants, des difficultés d'intégration dont les conséquences sont toujours visibles aujourd'hui. Pour eux a été mis en place une allocation de reconnaissance, revalorisée en 2004, et dont les dispositions ont été améliorées par la loi du 23 février 2005, qui assure maintenant des revenus réguliers pour tous les anciens supplétifs et leurs conjoints survivants et le maintien pendant 5 ans des mesures d'aide au logement.

Se dessine ainsi une nouvelle architecture bâtit sur la démultiplication des acteurs et intervenants publics, parapublics voir privés offrant l'immense avantage de dispatché les responsabilités notamment de l'Etat et offre concurremment l'inconvénient majeur de multiplier en même temps sur un même problème, les intervenants risquant ainsi de voir éclore des questions de compétences entre niveaux administratifs co-compétents et illisibilité de l'action pour l'usager.

B. La préservation de la responsabilité financière

S'il était encore nécessaire d'insister, la libre administration ne se résume pas à la liberté de dépenser. La rédaction actuelle de la Constitution de 1958 ne prévoit pas explicitement que les collectivités locales bénéficient de ressources d'origine fiscale. Elle n'établit a fortiori pas de lien entre l'existence d'une fiscalité directe locale et le principe de libre administration. Dans la plupart des pays de l'Union européenne, les collectivités locales s'administrent librement sans pour autant maîtriser l'évolution de toutes leurs ressources fiscales. En Allemagne, la Constitution prévoit un partage du produit des impôts d'Etat entre l'Etat fédéral et les collectivités locales. Les ressources de celles-ci s'apparentent donc plus à des prélèvements sur les recettes fiscales de l'Etat, dont le taux d'indexation serait fixé par la Constitution, qu'à une fiscalité directe. En 1995, dans tous les pays de l'Union européenne à l'exception de la Suède, la part des ressources locales provenant d'impôts dont les taux sont votés par les collectivités locales était inférieure à la part de ces ressources dans les budgets locaux français. Cette plus grande dépendance envers l'Etat ne semble pourtant pas constituer un obstacle à l'exercice normal de compétences étendues110(*).

Par ailleurs, la capacité réelle des collectivités locales française à agir sur le montant de leurs recettes fiscales est parfois mise en doute. Ainsi a-t-il était considéré que : «l'autonomie fiscale des collectivités locales était réelle en apparence, mais théorique dans les faits»111(*). Ces éléments peuvent conduire à considérer que le coeur de la libre administration des collectivités ne réside pas dans leur mode financement mais dans leur latitude à décider librement de leurs dépenses. Cette conception a été relayée par la secrétaire d'Etat chargée du budget à l'occasion du débat au Sénat sur la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation : «On peut soutenir que la libre administration s'entend essentiellement de la liberté d'emploi des ressources, le législateur devant veiller à ce qu'elles soient suffisantes en quantité pour permettre aux collectivités locales d'exercer les compétences qui leur sont dévolues»112(*). Un tel raisonnement, constitue une démonstration on ne peut plus limpide de la préservation d'une pleine et entière responsabilisation financière des acteurs locaux, dans la conduite des politique territorialisées telle que l'inclusion sociale, dont on peut percevoir ici, une illustration. Plus généralement, cette responsabilisation et son maintien ont été clairement identifié par l'OCDE, dans les termes suivants : «La responsabilisation des collectivités locales - Dans un contexte décentralisé, les niveaux d'administration locaux doivent financer leurs actions par des ressources locales, et essentiellement fiscales. L'obligation de maintenir ou d'augmenter la base fiscale est une forme d'incitation à la mobilisation locale en faveur du développement économique. Des attitudes malthusiennes des collectivités locales face au développement d'activités économiques, comme par exemple un faible intérêt pour l'aménagement de zones d'activités et une préférence pour une activité résidentielle, cèdent le pas à de véritables stratégies de croissance économique. Un élu local dont les ressources se composent essentiellement de subventions centrales se trouve placé dans la position d'un quémandeur ; un élu local responsable des rentrées fiscales devient un acteur du développement»113(*).

III. La territorialisation des enjeux sociaux

«Un mouvement en sens contraire s'est cependant produit à partir des années 1980 : tout se passe comme s'il était devenu nécessaire d'administrer au plus près des habitants et en prenant en compte le poids des particularisme locaux ; le principe de proximité entraîne l'apparition d'un nouveau modèle de relations entre l'Etat et le territoire, emblématique de la post-modernité»114(*).

Même si elle doit faire toute sa place à l'expression de la solidarité nationale et au rôle des acteurs socio-économiques, l'approche territoriale paraît la mieux adaptée. Sur le plan fonctionnel, les départements ont su engager progressivement depuis 1990 la restructuration de leur action sociale, en partant d'une approche globale et territorialisée. Ils ont ainsi privilégié une logique de projet, conçue autour d'un concept de mission, sur la logique de services. Cette démarche a tendu à faire coïncider l'intervention des services départementaux avec les territoires de vie, afin que la réponse sociale soit mieux adaptée à l'environnement réel des personnes. Elle s'accompagne d'expérimentations de formules diverses, notamment pour l'accueil du public, le traitement des demandes ou l'accompagnement social.

Or cette même approche doit prévaloir dans les prochaines années pour prendre en charge les différentes évolutions socio-économiques, et la politique d'inclusion sociale. Cette approche territorialisée révèle aussi la responsabilisation des collectivités territoriales et leur prise de conscience face au défi de l'inclusion. Il convient donc d'en voir deux traits distinctifs que sont la reconnaissance de la localisation des besoins (A) à laquelle succède celle de la polarisation des objectifs.

A. La localisation des besoins

Le vieillissement de la population et le financement des situations de dépendance, qui ont un impact majeur sur les dépenses d'action sociale, justifie une adaptation de l'action publique à l'environnement réel des personnes âgées et à la diversité des besoins suscités par les situations de dépendance, par exemple le cas des personnes handicapées vieillissantes qui implique l'établissement de «passerelles» entre les travailleurs sociaux qui s'occupent des personnes handicapées et ceux qui ont en charge les personnes âgées afin de trouver une réponse adaptée à ce nouveau besoin. Injustement critiquée, la prestation spécifique dépendance instituée par la loi du 24 janvier 1997 - à la suite d'une initiative sénatoriale - a permis d'améliorer la perception du problème de la dépendance ainsi que la prise en charge des personnes en bénéficiant. Elle a en outre mis fin aux dérives de l'allocation compensatrice pour tierce personne. En ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance, la déstabilisation des familles et l'aggravation de la fracture sociale soulèvent de nouveaux problèmes qui conduisent à réfléchir sur une intervention accrue des collectivités locales. L'apparition du chômage de longue durée, la concentration des difficultés économiques sur des territoires déterminés ont fragilisé les familles et affaibli les solidarités de proximité. Parallèlement le modèle familial s'est transformé, avec notamment une multiplication des familles monoparentales. Ces phénomènes ne sont pas sans conséquence sur les dispositifs de protection de l'enfance. Or la décentralisation se traduit dans ce domaine par une meilleure évaluation des besoins et des réponses qui doivent leur être apportées. Les évolutions démographiques et socio-économiques dessinent également de nouveaux besoins en matière d'éducation. Or comme l'a admis M. Michel Garnier, directeur de la programmation et du développement au ministère de l'Education nationale, en matière de programmation de l'offre d'enseignement, «les critères démographiques globaux sont insuffisants». Ils devraient, selon lui, «s'accompagner, dans le cadre d'une contractualisation avec les établissements, d'une nécessaire adaptation aux réalités locales».

L'inclusion constitue un autre enjeu qui justifiera des dispositifs plus décentralisés encore. L'intervention des collectivités locales dans la gestion du volet «insertion» du revenu minimum d'insertion (RMI) a ainsi été efficace. Contrairement à certaines idées reçues, les écarts entre les territoires que les politiques sociales conduites par l'Etat avaient laissés se creuser, ont eu plutôt tendance à se restreindre. Les évolutions en matière de politique de la santé mettent également en évidence qu'une meilleure efficacité du système de soins doit être recherchée dans une approche territorialisée.

On constate donc une pleine et entière localisation des besoins surtout au niveau départementale, invitant l'action publique locale à se polariser sur certains objectifs bien déterminés.

B. La polarisation des objectifs

La complémentarité des différents niveaux passe tout d'abord par une identification claire de leurs missions respectives. En s'appuyant sur les vocations dominantes de chaque niveau d'administration locale la polarisation des objectifs devient tout à fait possible et c'était d'ailleurs l'esprit qui avait primé dans les lois de 1983. Si, comme on l'a vu, la logique des blocs de compétences n'a pu être mise en oeuvre avec toute la rigueur souhaitable, il n'en demeure pas moins que chacun des niveaux a su identifier assez clairement ses missions essentielles. Cette évolution n'a pu qu'être encouragée par un contexte économique difficile qui s'est traduit par une progression plus limitée des ressources locales, obligeant ces dernières à des arbitrages entre leurs différentes actions.

Le département doit demeurer l'échelon des solidarités sociales et territoriales. Institué sous la période révolutionnaire, organisé en collectivité territoriale par la loi du 10 août 1871, le département s'appuie sur son expérience en mettant à profit les nouvelles capacités d'action que lui a conférée la décentralisation pour renforcer ses moyens et ses compétences traditionnelles. L'évolution des budgets départementaux témoigne de la place des départements dans le processus de décentralisation. Par une mise en oeuvre efficace de ses compétences, le département a répondu aux nouvelles attentes de la population notamment dans le domaine social, qui représente désormais près de 60% des dépenses de fonctionnement dans les budgets départementaux. Il est par ailleurs un espace de solidarité, non seulement par le biais de la péréquation départementale de la taxe professionnelle mais aussi par l'intermédiaire du budget départemental qui corrige certaines inégalités entre communes, en permettant notamment l'équipement des communes rurales. Ils jouent également un rôle très efficace dans de nombreux autres domaines, par exemple celui des transports.

Collectivité territoriale plus jeune, la région a une vocation plus orientée vers l'impulsion et la coordination en matière d'aménagement du territoire et de développement économique. Les différents textes généraux applicables aux régions ont confirmé cette vocation. Dès la loi du 5 juillet 1972 qui, leur reconnaissant la personnalité morale, les a érigées en établissements publics, les compétences régionales ont été spécialisées dans le domaine économique et social. Tout en leur étendant la «clause générale» de compétence (article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales), les lois de décentralisation ont néanmoins confirmé cette vocation particulière. L'article L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales précise que la région «a pour mission, dans le respect des attributions des départements et des communes et, le cas échéant, en collaboration avec ces collectivités et avec l'Etat, de contribuer au développement économique, social et culturel de la région (...)». On retrouve cette même vocation dans la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, dans la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ou encore dans la loi d'orientation du 4 février 1995 qui a prévu l'élaboration d'un schéma régional d'aménagement et de développement du territoire ainsi que la création, dans chaque région, d'une conférence régionale qui est un cadre pour la concertation des différents partenaires. L'affirmation de cette vocation spécifique peut passer par certaines précisions concernant les compétences régionales. Telle a été la démarche du législateur qui a confié aux régions la responsabilité d'élaborer un schéma régional en matière de tourisme (loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992), ainsi que de nouvelles compétences en matière de formation professionnelle (loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993) et, sur la demande de la région intéressée, de traitement de déchets industriels (loi n° 95-101 du 2 février 1995). En outre, la loi d'orientation du 4 février 1995 (article 67) a permis une expérimentation de la régionalisation des réseaux ferroviaires d'intérêt local. Le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains prévoit de transférer à l'ensemble des régions, le 1er janvier 2002, les compétences que l'Etat détient en qualité d'autorité organisatrice des transports ferroviaires de voyageurs d'intérêt régional.

L'impact de l'acte II de la décentralisation dans le renforcement offert aux régions qui deviennent désormais «chef de fil» témoigne du renouvellement des objectifs et aussi de l'ancrage de ces derniers qui comme on peut le constater sont polarisés autour des deux entités départementales et régionales, avec un prima pour le premier.

* 93 Traité établissant une Constitution pour l'Europe, Titre 3, Article I-11, alinéa 3

* 94 Constatant que les besoins et aspects importants de l'existence sociale (éducation, garde des enfants, santé, retraites, etc.) sont difficilement couverts par le marché, que tous les pays ont développé des formes plus ou moins abouties de fourniture hors marché («démarchandisation» de l'accès aux biens et services), que par ailleurs l'Etat-providence peut-être conceptualisé comme lieu de distribution du bien-être, Gøsta Esping-Andersen propose une typologie de l'Etat-providence comme suis :

Etat

Société Civile Marché

L'utilité du modèle Esping-Andersen et d'offrir un contenu historique aux «plis culturels» de différentes nation, de permettre de comprendre le «développement humain» de certaines nations et de relier ensemble des aspects variés dans un contexte comparatif. Gøsta Esping-Andersen, Les trois mondes de l'Etat providence - Essai sur le Capitalisme moderne, Le lien social, PUF, 1999

* 95 Littéralement : «le passé engage l'avenir». Paul Pierson, Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics, American Political Science Review, vol. 94, no 2, 2000

* 96 Le concept d'européanisation renvoie à : «construction, diffusion, and instutionalization of formal and informal rules, procedures, policy paradigms, styles, ways of doing things, and shared beliefs and norms which are first defined and consolidated in the making of EU decisions and then incoroprated in the logic of domestic discourse, identities, political structures, and public policies», ce qui traduit revient aux : «processus de (a) construction, (b) diffusion et (c) institutionnalisation de règles formelles et informelles, de procédures, de paradigmes, de styles, de «façons de faire», de croyances partagées et de normes qui sont d'abord définies et consolidées dans l'élaboration d'une politique européenne, puis incorporées dans la logique des discours nationaux, des identités, des structures politiques et des politiques publiques». Claudio Radaelli, Whither Europeanization? Concept stretching and substantive change, European integration online papers (EioP), Vol. 4 (2000), N°8, http://eiop.or.at/eiop/texte/2000-008a.htm

* 97Ruth Levitas, The Inclusive Society? Social Exclusion and New Labour, Basingstoke: Macmillan, (1998)

* 98 Le modèle d'État-providence scandinave est probablement celui où ces politiques d'activation du marché de l'emploi ont été le plus développées, en particulier par la grande attention des pouvoirs publics pour la formation professionnelle, les stages de reconversion et la mise en place de partenariats public/privé (sans oublier le secteur associatif) autour de l'emploi. Les travaux d'économistes comme Olivier Blanchard (MIT) ou Jean-Claude Barbier (CEE) fournissent un excellent aperçu de l'état de ces politiques à l'heure actuelle.

* 99 La rationalisation en cours du dispositif témoigne particulièrement bien de cet état de fait.

* 100 Conclusions de la Présidence, Conseil européen, mars 2005.

* 101 COM(2005) 299, Une politique de cohésion pour soutenir la croissance et l'emploi Orientations stratégiques communautaires 2007-2013, 5 juillet 2005

* 102 An introduction to the study of Public Policy (1970)

* 103 F. Chambon, C. Gaspon, La déontologie administrative, LGDJ, collection système, 1996

* 104 J. Chevallier, Synthèse du colloque La contractualisation dans le secteur public des pays industrialisées depuis 1980, L'harmattan, Logique juridique, 1999.

* 105 PLF 2006, Programme 177 : Politiques en faveur de l'inclusion sociale

* 106 Ibid

* 107 Michel Piron, extrait du Rapport d'information de l'assemblée nationale n°2881, l'équilibre territoriale des pouvoirs, p.281, Paris, 2006

* 108 Mais de façon plus pernicieuse, notamment sur le volet logement.

* 109 Hervé Rihal, Les transferts de compétences, solidarité et santé, Chroniques p. 1978, AJDA 2004

* 110 L'agence de notation financière Standard & Poor's relève que, «à l'échelle européenne, les responsabilités assumées par les collectivités locales françaises restent relativement limitées. Les compétences les plus lourdes financièrement, telles que la santé ou l'éducation (définition des programmes scolaires, rémunération des professeurs) sont gérées en France par l'Etat, alors que dans de nombreux pays tels que l'Espagne, l'Allemagne, la Belgique ou l'Italie, elles sont administrées et financées par les régions», La notation des collectivités locales, octobre 1999.

* 111 M. Philippe Valletoux, extrait d'audition par la mission sénatoriale le 8 mars 2000

* 112 JO Sénat, séance du 7 juin 2000, p. 3741.

* 113 Groupe de travail n° 6 sur les politiques de développement régional (DT/REG(97)10), Les politiques régionales dans les années 90 : réorientation vers une recherche de la compétitivité et des partenariats avec les niveaux infrarégionaux, 16-17 décembre 1997.

* 114 J. Chevallier, L'Etat post-moderne, Série politique n°35, LGDJ, 2004

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