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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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L'âge d'avoir un enfant

Pour Lisa, au départ, les deux projets d'adoption et de coparentalité ont coexisté. Comme un des amis de Véronique s'était refusé à la coparentalité, elle s'était tournée vers l'adoption.

Quant à Lisa, après le refus d'un premier ami, elle imaginait le faire avec Axel avec qui elle était engagée dans le mouvement associatif et qu'elle appréciait beaucoup. C'est seule qu'elle est allée en parler à Axel mais Christian était là et il est resté lors de la conversation. Ils ont été vivement intéressés et ont demandé du temps pour y réfléchir. Cela lui semblait bien parti. Puis ils sont venus à la maison, ils et elles ont sympathisé à quatre. Au fond, elle ne sait pas vraiment ce qui s'est passé au moment de désigner qui serait enceinte. Elle ne dirait pas qu'une décision a été prise au sens d'un moment explicite et négocié. Ce qui a été avancé c'est qu'Axel se sentait encore trop jeune. Il devait avoir 25 ans en 1998 tandis que Christian en avait quatorze de plus. Par ailleurs, Véronique avait deux ans de plus que sa conjointe. Ensuite, Christian et Véronique étaient tou-t-e-s deux passionné-e-s de théâtre, et Lisa pense que cela a dû bien « accrocher » entre eux. Cela se serait imposé à Lisa qui aurait eu beaucoup de mal à accepter le que Christian et Véronique feraient le premier enfant.

3.1 La dite « horloge biologique » des femmes, l'horloge sociale des individu-e-s

Dans Psychologies magazine88, à la question « pourquoi fait-on un enfant ? », les femmes répondent « pour se sentir femme », la maternité étant étroitement confondue avec la féminité adulte, être mère c'est devenir femme adulte et réciproquement. C'est la suite logique d'une vie. Les femmes peuvent être actives dans la sphère publique à condition que cela ne lèse pas mais serve la sphère familiale. Cette représentation est également retrouvée dans le dictionnaire où une femme est définie comme un « être humain de sexe féminin qui peut donner naissance à des enfants »89. Si les femmes peuvent aujourd'hui retarder l'âge de la maternité par l'allongement des études et l'entrée dans la vie professionnelle, l'enjeu identitaire reste lourd. Il place les femmes mères en concurrence et marginalise les femmes sans enfant. Cet enjeu est lourdement rappelé par la presse dite « féminine », cet article d'Elle90 en est un exemple :

88 MAZELIN SALVI Flavia (2007), « S'épanouir...ensemble », Psychologies magazine, Hors-série n°10, octobre-novembre 2007, p.13.

89 Le Dictionnaire [en ligne], URL : http://www.le-dictionnaire.com, Consulté le 18 février 2009.

90 SOING Isabelle, « Heureuses et sans enfants », Elle, [en ligne], URL : http://www.elle.fr/elle/societe/lesenquetes/heureuses-et-sans-enfants/heureuses-et-sans-enfants/(gid)/409832, Consulté le 10 avril 2009. Si le titre en lui-même laisse penser à l'idée du bonheur sans enfant, tout son contenu ne concerne que le poids des injonctions sociales sur la vie de ces femmes.

« Au mieux, les nullipares volontaires suscitent la pitié (elles loupent leur vie), au pire, elles sont suspectes de ne pas aimer les enfants, d'être immatures, voire monstrueuses... »

« Heureuses et sans enfants »,

Elle

Plus une femme est âgée, plus elle est vue comme « adulte » et plus elle a derrière elle l'expérience des enfants (par la profession par exemple, mais aussi au sein de sa fratrie etc.), plus on lui attribue des « compétences maternelles ». Dans le même temps, on renvoie ces compétences au biologique et à « l'instinct maternel ». Ce qui, dans les représentations, ne gène pas puisque toute femme serait amenée à vouloir être mère. Il s'agirait d'un besoin physique, lié à « l'horloge biologique ». Si l'on transforme « l'horloge biologique » en « horloge sociale », on peut se dire que plus une femme est âgée, plus l'injonction sociale d'avoir un enfant est forte91. Tant qu'elle est jeune, elle construit sa vie professionnelle, ses études, sa vie de couple (on ne demande plus à une femme d'être mère à 19 ans - on lui reprocherait d'ailleurs d'être économiquement et socialement irresponsable). Mais ne jamais avoir d'enfant devient suspect, les femmes sans enfant ne répondant plus à ce qui est reconnu par la société comme « allant de soi ». Par conséquent, entre deux femmes, la priorité de la grossesse est donnée à la plus âgée. L'autre aura bien le temps d'en faire et la femme la plus âgée est représentée comme la plus « construite », la plus « mûre », la plus « capable » d'être mère.

Cela implique également de considérer la grossesse comme impliquant nécessairement la maternité - et l'impliquant plus que pour la conjointe, elle-même parent mais qui ne sera pas enceinte. Quand Maël dit qu'il voyait Karine comme la « maman parfaite », il demande bien à la femme enceinte d'être plus compétente que sa conjointe.

Dans le récit de Lisa, c'est surtout l'âge d'Axel qui est évoqué. Il se serait senti trop jeune. Pour les hommes, la parentalité est davantage perçue comme une décision à prendre et non un besoin. Selon Psychologies magazine92, les hommes font des enfants afin de s'inscrire dans une lignée, dans une histoire familiale, ou bien en se soumettant consciemment à une

91Arlette Gautier montre que le contrôle de la reproduction est très inégalitaire dans le monde. Si l'injonction d'avoir un enfant en France est sociale, elle est patriarcale dans certains pays (Sahel, Côte d'Ivoire), étatique dans d'autres ou bien à la fois étatique et patriarcale (Togo). A l'inverse, certains pays imposent la contraception (Chine, Vietnam) ou la stérilisation à une certaine partie de sa population (Etats-Unis). GAUTIER Arlette (2001), « Des grossesses sûres, désirées et libres ?», 24ème Congrès international sur la population, Session 63 : Social change, gender and population, Salvador de Bahia, UIESP.

92 MAZELIN SALVI Flavia (2007), op.cit.

logique sociale. L'émission de France 5, « Paroles d'hommes, Paroles de pères »93 met en lumière la nouvelle idéologie du rôle de « père » et les injonctions qui l'accompagnent.

Cette émission semble chercher avant tout à démontrer une omniprésence de la mère dans la relation du père à l'enfant. Dans l'épisode 2, « Le blues du futur père », on peut repérer les arguments avancés pour montrer une difficulté d'être père face à la pression sociale, mais surtout, selon eux, face à la pression de la mère. Selon l'idée principale de ce documentaire, si l'homme ne souhaite pas être père, c'est parce que la pression est trop forte, comme le souligne la voix off qui présente le sujet :

Voix off « Quand l'enfant va naître, on dit au père qu'il est sa chair, que désormais, c'est aussi à lui de s'en occuper parce qu'il en aura la responsabilité. Pour toujours. Etre père, c'est aussi cette violence-là. Alors certains parmi eux ne vont plus bien du tout et prennent la fuite. »

Ce qui est décrit comme une responsabilité « naturelle » chez les femmes devient une responsabilité angoissante chez les hommes. Malgré tout, être père de l'enfant dont on est le géniteur semble aujourd'hui être une obligation sociale (avec sans doute un bémol dans le cas de l'Insémination Artificielle avec Donneur94). Idéologiquement, si le géniteur ne souhaite pas être père, c'est qu'il y a un problème, une trop grande pression, pas assez de place, trop jeune, pas de situation sociale « stable ».

Il est moins socialement admis qu'un géniteur ne souhaite pas devenir père lorsque celui-ci est plus vieux, c'est-à-dire, censé avoir une profession stable, une vie privée stable, alors qu'il est concédé à un homme de vingt ans, le fait de devoir finir ses études, d'avoir une profession, une place dans la sphère publique qui n'est pas encore avérée.

Greg, un homme de 23 ans, père d'un enfant de quatre ans, interviewé dans l'émission, revient sur l'annonce de la grossesse. Il ne s'est jamais imaginé avoir un enfant à 20 ans, il était loin de penser ça. Il veut d'abord se créer lui-même avant de créer autre chose. C'est peut-être pour ça d'ailleurs qu'il a « déconné ». Tout se chamboule sans sa tête, il ne sait pas où il va, il prend peur et il n'assume pas. Il prend la décision de partir à 7 mois de grossesse. La voix off présente alors Nissiam, un homme de 46 ans, père d'une petite fille de 3 ans. « Nissiam a déjà eu deux fils d'un premier mariage. Jade est sa petite dernière. Ses premières expériences de la paternité ne l'ont pas empêché à un moment de choisir la fuite en avant. » Nissiam s'explique. Quand Jade est née, il a eu peur. Effectivement (effectivement laisse

93 ALLONNEAU Sylvie (2007), « Paroles d'hommes, Paroles de pères », février 2007, épisode 2 : « Le blues du futur père » [vidéo en ligne], URL : http://www.vodeo.tv/4-34-4550-le-blues-du-futur-pere-2-8.html, Consultée le 03 octobre 2009.

94 IAD dans la suite du texte.

supposer que la réponse lui a été soufflée par la question de l'intervieweuse), malgré son âge avancé, il s'est retrouvé dans une phase où il se posait beaucoup de questions, ça l'a emmené effectivement, à avoir un moment de « pétage de plomb ». Il fuit un peu cette paternité et il se retrouve dans un premier temps à ne pas l'assumer. Il faut alors une dispute avec sa compagne au point d'une séparation qui dure plusieurs mois pour qu'il prenne conscience qu'il faut selon lui qu'il grandisse et qu'il devienne réellement un père. On revient sur Greg qui continue son récit. Il pense que c'est aussi une question de maturité, qu'il n'était peut-être pas prêt à avoir un enfant. D'ailleurs, s'il n'avait pas d'enfant, il ne serait toujours pas prêt à en avoir un.

L'émission qui met en scène ces deux récits, associe « père » et « entrée dans l'âge adulte ». D'ailleurs, le verbe « assumer » est un verbe qui revient dans les deux interviews et qui fait échos à une notion de responsabilité adulte.

Idéologiquement, une femme devient pleinement femme - et donc adulte - en étant mère, quelque soit son âge (à aucun moment, l'émission n'évoque l'âge des mères à la naissance de leurs enfants). Un homme devient homme adulte par la vie professionnelle. Etre père semble alors la confirmation, la preuve d'une vie publique stable, en place pour les hommes. Cela signifie qu'il peut assurer la vie matérielle de la famille. S'ils ne sont pas pères, c'est qu'il y a quelque chose qui n'est pas achevé-e pour entrer dans la sphère publique et donc, dans l'âge adulte au masculin.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault