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L'homosexualité et sa mise en scène: la construction sociale d'une culture


par Estelle Couture
Université de Provence - Maà®trise Sociologie 2003
  

Disponible en mode multipage

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Notre objectif général est de mettre au jour et de comprendre les mécanismes de la construction sociale de l'idée d'une culture homosexuelle selon une de ses dimensions : la construction médiatique, à travers notamment l'étude d'une presse qui prétend s'adresser aux gays et aux lesbiennes. Il s'agit alors de mettre en relief les éléments, les attributs pouvant dessiner les prémisses d'une culture spécifique, en les mettant systématiquement en parallèle avec l'évolution et les changements historiques ainsi que les discours d'acteurs concernés que nous avons interrogés.

La question est donc de vérifier si la presse gay1(*) actuelle, avec ses représentations de l'homosexualité, se fait l'écho ou le porte-parole de cette volonté de construction culturelle. Ce travail n'aborde pas le thème de l'homosexualité selon la perspective d'une sociologie de la sexualité. Nous ne nous intéresserons pas aux pratiques sexuelles des individus mais plutôt à tout ce qui renvoie à l'homosexualité d'un point de vue social essentiellement sous l `angle de ses représentations.

Notre recherche part d'un constat : l'expression culture gay est couramment employée dans les médias mais aussi dans les ouvrages issus du récent courant d'études importé des Etats-Unis baptisé les Gay and Lesbian Studies. Cette notion n'est jamais remise en question, comme si la culture gay était une évidence qui découlerait automatiquement de la construction communautaire à l'oeuvre dans la société française. Or, cette façon de voir les choses étant empruntée au modèle américain, où toute communauté peut prétendre donner lieu à une culture propre, cette volonté n'est peut-être pas aussi transposable en France que certains le prétendent.

Depuis quelques années, la presse homosexuelle française, constitue un élan de militantisme important. Aujourd'hui, seul un mensuel subsiste aux côtés d'une nombreuse presse érotique masculine gay, au niveau national. Ce dernier se ressent moins comme étant le vecteur d'une population opprimée, comme cela pouvait être le cas des revues d'il y a une vingtaine d'années. Bien que toujours guidé par le symbolisme militant régissant les membres du mouvement homosexuel, Têtu dessine une image de l'homosexualité, masculine essentiellement, en accord avec l'évolution de la société. Apparaissent ainsi sur la devanture des kiosques à journaux, des couvertures affichant et exhibant des torses nus, lisses et bronzés de jeunes hommes véhiculant un nouvel esthétisme gay, qui pourrait s'assimiler à la nouvelle presse masculine, tout en revendiquant une « identité gay ».

Nous avons choisi de nous pencher sur cette presse magazine pour différentes raisons. Tout d'abord, parce qu'elle semble être un des principaux vecteurs de « ralliement » de la population homosexuelle française, même si tous les homosexuels ne lisent pas forcément Têtu. Ensuite, parce qu'elle semble assez représentative de l'évolution de la population homosexuelle, que ce soit en matière de modèle esthétique, de mode, de productions artistiques ou encore des différents problèmes auxquels se trouvent confrontés les gays et les lesbiennes en France. De plus, cette presse que l'on pourrait qualifier de spécialisée, comme d'ailleurs tous les sites destinés aux gays et aux lesbiennes disponibles en grand nombre sur le web, proposent, consciemment ou inconsciemment, des styles de vie, notamment par les consommations qu'ils invitent à réaliser, nous parlons ici notamment des consommations culturelles et vestimentaires, mais aussi déterminent des attitudes, des représentations. Et cela d'autant plus que la population qu'ils ciblent est en manque de reconnaissance et recherche constamment des modèles de référence. Ces médias véhiculent sans nul doute des images idéologiques, des représentations de l'homosexualité, susceptibles d'influencer les représentations et les pratiques des lecteurs.

A travers, l'étude de cette presse gay et lesbienne, mais aussi à travers les notions d'identité, de communauté, de représentations, de patrimoine, de socialisation, l'éventualité d'une construction sociale d'une culture homosexuelle sera étudiée. Nous ne prétendons pas affirmer ou nier l'existence de cette culture mais donner des pistes sur son éventuel fondement. Ce travail exploratoire s'inscrit donc dans divers champs sociologiques, celui de la socialisation, des mouvements sociaux et celui de la culture.

Après avoir défini et construit l'objet de recherche et les protocoles d'analyse, nous nous sommes intéressés à l'image de l'homosexualité, essentiellement masculine, véhiculée par les médias spécialisés en essayant d'observer les éléments proprement homosexuels constitutifs d'une idéologie commune. Après le constat d'une quasi-absence des couvertures et même des articles destinés directement aux lesbiennes, nous avons consacré un chapitre aux rapports hommes / femmes à l'oeuvre dans les rapports gays / lesbiennes. Ceci nous a conduit à nous interroger sur la notion de communauté homosexuelle qui nous paraissait problématique, notamment par rapport à la définition même de la communauté qui fait disparaître les différentes frontières entre les individus. Enfin, nous nous sommes penchés sur les conditions de constitution d'une culture gay.

CHAP. I ) LA CONSTRUCTION DE L'OBJET

I) L'homosexualité en question

Pour commencer, nous allons évoquer les différentes recherches en sciences sociales qui ont déjà été réalisées sur l'homosexualité tout en insistant sur les points susceptibles de nous intéresser dans notre processus de construction.

1. Les apports des travaux constructivistes de Michel Foucault

Depuis une vingtaine d'années, des recherches, que l'on range sous l'étiquette générale de Gay and Lesbian Studies2(*), se sont développées dans l'université américaine et ont essaimé à travers le monde anglo-saxon et dans presque toute l'Europe. Elles commencent à être reconnues en France. L'influence du philosophe et surtout penseur militant Michel Foucault fait l'unanimité chez de nombreux sociologues travaillant dans ce domaine. C'est en suivant la voie qu'il avait tracée que les Gay and Lesbian Studies, dés le moment de leur émergence, ont tourné le dos à toute perspective identitaire et se sont intéressées, non pas à la seule « homosexualité » mais à la sexualité en général et aux catégories selon lesquelles elle est historiquement construite3(*). Le contexte des analyses de l'homosexualité par la psychiatrie de l'époque va conduire Foucault à montrer à quel point l'expérience des interdits (de la sodomie par exemple) et des équivoques amoureuses de l'homosexualité vont être liés et former une unité morale. La sexualité va devoir obéir à des normes familiales et va être surveillée par l'Etat. Foucault va ainsi faire apparaître des personnages « anormaux » définis par les normes qui les rejettent, comme c'est le cas du personnage homosexuel. Son oeuvre s'inscrit dans l'espace théorique et biensûr politique défini par l'irruption au début des années 70 des mouvements de libération sexuelles et par l'inflation des discours psychanalytiques qu'il va remettre en question. Il va montrer par quels mécanismes le sexe va devenir un enjeu de pouvoir qu'il va falloir contrôler et surveiller. Ce pouvoir opère par incorporation, par implantation des perversions et par spécification nouvelle des individus. La chasse de la médecine contre les « sexualités hérétiques » consiste à leur donner un nom et à ranger les individus dans ces catégories d'actes de nomination. Nous avons donc là, un système de pouvoir dont les procédés reposent sur la norme et la  normalisation. Les individus s'approprient les catégories sous lesquelles ils sont désignés, que ce soit pour se soumettre aux normes, prendre plaisir à parler de ce qu'ils sont ou résister à la police du sexe. Ainsi avec ces discours psychiatriques, les individus qui, jusqu'alors ne pratiquaient que des « actes homosexuels » se seraient désormais considérés comme des « personnes homosexuelles » et auraient perçu la totalité de leur être comme façonnée par leurs désirs sexuels. Cette médicalisation et cette nomination de l'homosexualité avait pour but de protéger l'individu contre les effets dangereux d'une sexualité déréglée. Cependant, pour M.Foucault, ce qui fait peur ce n'est pas l'acte sexuel en lui-même, mais toute la perception sociale de l'homosexualité, les modes de vie rattachés à l'homosexualité, tout ce qui est visible. Ce n'est pas la sexualité mais « l'économie des plaisirs », le style de vie gay. C'est l'établissement de nouveaux modes de vie, de nouvelles relations entre les individus qui posent problème dans l'ordre établi de la société. M.Foucault explique que c'est dans ce nouveau système relationnel qu'il faut chercher la possibilité de se réinventer soi-même et d'échapper à l'assujettissement par les normes sociales. : « La conscience de l'homosexualité va certainement au delà de l'expérience individuelle et comprend le sentiment d'appartenir à un groupe social particulier. C'est un fait incontestable qui remonte à des temps très anciens4(*). »

Ainsi les choix sexuels que l'on fait auraient-ils des effets sur l'ensemble de notre vie ? Ces choix seraient alors créateurs de modes de vie. Le choix de se reconnaître en tant qu'homosexuel, serait refuser les modes de vie proposés, serait un opérateur de changement d'existence. Selon la pensée de M.Foucault, il ne s'agirait pas d'essayer d'introduire l'homosexualité dans la normalité comme l'hétérosexualité mais de tenter d'échapper aux types de relations sociales proposées par la société en créant de nouvelles possibilités relationnelles. Son militantisme parle de créer une culture propre aux homosexuels plus par de nouveaux modes de vie que par une littérature spécifique, « qui inventerait des modalités de relation, de mode d'existence, des types de valeur, des formes d'échange entre individus qui soient réellement nouveaux, qui ne seraient pas homogènes ni superposables aux formes culturelles générales »5(*). Dans ce cadre, il propose une réflexion sur l'amitié qui serait constitutive de l'émergence sociale de l'homosexualité en évoquant la relation amicale qui pouvait exister entre deux hommes dans l'Antiquité grecque et romaine. L'hypothèse est que ces liens affectifs entre hommes, souvent intenses, vont commencer à changer dés le XVIIème siècle6(*) : «  C'est la mise en place de nouvelles structures politiques qui ont empêché l'amitié de continuer à avoir les fonctions sociales et politiques qui étaient les leurs [...] l'amitié entrant en conflit avec un ensemble d'institutions, elle devient alors problématique ». Ce serait alors dans le cadre de la transformation ou plutôt de la problématisation de l'amitié comme des types de relations sociales acceptables entre hommes que l'on commence à interroger certaines conduites sexuelles et à désigner les individus qui les pratiquent comme homosexuels. Ce phénomène s'inscrit dans le processus d'émergence de ce que M.Foucault a nommé le bio-pouvoir, c'est-à-dire ce type de pouvoir politique qui fait de la vie l'objet principal de ses préoccupations. C'est donc à partir de la problématisation de l'amitié que le bio-pouvoir contribue à l'émergence de l'homosexualité et des homosexuels. Ainsi le « mode de vie gay » devient un écart, une « espèce autre »7(*) dans lequel les individus, sur la base d'une sexualité commune, se produiraient comme groupe social. Les réflexions de M.Foucault s'inspirent des « communautés » gay américaines (New-York et San Francisco), il s'interroge sur la façon de parvenir , à travers les pratiques sexuelles, à un système relationnel, sur la possibilité de créer un mode de vie homosexuel. Ainsi, on pourrait ajouter à la diversification des classes sociales ou encore des niveaux culturels, celles des modes de vie. Un mode de vie peut regrouper des individus d'âge ou même de statut social différents et selon M.Foucault ces modes de vie peuvent donner lieu à une « culture ». La création de la « culture gay » ferait passer les individus de la sujétion à la subjectivation et façonnerait leur existence spécifique en cultivant leurs différences.

L'arrivée des Gay and Lesbian Studies a déplacé l'objet d'étude de l'histoire et des sciences sociales vers le terrain des études littéraires et culturelles et de la recherche des siècles oubliés de l'homosexualité vers une interrogation plus générale sur les catégories de la sexualité et la place de la sexualité dans la culture. S'il est vrai que le discours médical a joué un rôle de premier plan dans l'émergence de l'homosexualité, il a perdu, aujourd'hui, une partie de son importance au profit d'autres types de savoir. Il semble que le discours sociologique soit devenu l'un des éléments clés du mode de gestion politique de l'homosexualité.

2. Retour sur un mouvement commun

L'acte de naissance du mouvement homosexuel porte un nom et une date : Stonewall, le 27 juin 1969. Cet événement majeur est commémoré chaque année à travers le monde (occidental) lors du défilé de la Lesbian & Gay Pride. Durant la nuit du 27 juin 1969, six officiers du New-York Police Department pénètrent à l'intérieur d'un bar homosexuel de Manhattan, le Stonewall Inn. Ces contrôles de routine anti-homosexuels étaient fréquents, ils consistaient à des vérifications d'identité, des personnes passées à tabac et quelquefois à une fermeture administrative du club. La nuit du 27 juin 1969, les clients se rebellent. Endeuillés par la mort d'une grande icône gay de l'époque (c'est ce que dit la légende), Judy Garland, ils vont réagir pour la première fois. Les militants et les historiens racontent que la première à avoir lancé l'offensive serait un travesti. Trois nuits d'émeute vont suivre, les homosexuels ne resteront plus dans le silence. Cette libération sexuelle va peu à peu atteindre les capitales européennes. En Mai 68, un petit mouvement se forme en France mais il passe inaperçu. Le mouvement prend véritablement naissance le 10 mars 1971 à l'antenne de RTL durant une émission intitulée : « L'homosexualité, ce douloureux problème » où abbé, psychiatre et juge vont débattre sur la souffrance des homosexuels. Un groupe de gays et de lesbiennes fait alors irruption dans les studios pour boycotter l'émission. Cette opération fut menée par des lesbiennes qui agissaient au sein du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). Les homosexuels les côtoient et au printemps 71 naît le premier groupe radical gay : le Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire (FHAR). Cette collaboration des gays et des lesbiennes s'est accompagnée de tensions multiples. Les gays se sont donc émancipés du mouvement des femmes. Mais cette association initiale a eu le mérite de mettre l'accent sur les différentes formes de discriminations sexuelles et montre les similitudes dans les mobilisations « antipatriarcales » de l'époque. A cette époque là, l'homosexuel est un marginal, c'est la période que les historiens nomment « l'homosexualité noire », décrite notamment par Genet dans « Journal du voleur », dans des films de Fassbinder, de Chéreau (« L'homme blessé »)...A la fin des années 70, cette image s'efface peu à peu. Le besoin de reconnaissance, la lutte contre les discriminations homophobes, le souci d' « intégration », tout contribue à gommer la nature subversive de l'homosexualité. Les arts se mettent au service de la cause : le cinéma, « Mort à Venise » de Visconti pour ne citer qu'un exemple, les photographies de Mapplethorpe, les chorégraphies de Maurice Béjart, les hymnes bisexuels de David Bowie ou militants de Village People ou encore les dessins de Keith Haring ou les photographies de Pierre et Gilles. Evoluant de la nuit vers le jour, les lieux gays se démocratisent vers la fin des années 70 : nouveaux modes de vie, constitution de quartiers gays aux Etats-Unis et dans les grandes capitales européennes, nouveau marché. Certains auteurs préconisent alors l'apparition d'une communauté homosexuelle8(*).

Cet historique fonde la mémoire collective homosexuelle dont on ne peut nier l'existence. Les homosexuels ont connu de nombreuses années de répression, d'où l'idée de l'existence d'une communauté solidaire. En effet, quand un groupe se sent menacé, son premier réflexe n'est-il pas de se regrouper ?

Après avoir lutter pour des droits, pour une visibilité croissante, pour l'obtention d'un statut normal, le mouvement homosexuel va se retrouver de nouveau en ligne de mire avec l'apparition du sida qui dés le départ va être assimiler aux modes de vie des homosexuels.

Mais sous les prétextes d'impératifs de santé publique, la lutte contre l'épidémie risque de réactualiser des mesures coercitives à l'égard des homosexuels. En effet, le front national en la personne de Jean-Marie Le Pen réclame avec virulence le dépistage systématique des populations « à risques ». Pour son conseiller scientifique, le docteur Bachelot « le sida a ruiné les fantasmes sexuels des soixante-huitards attardés...Les sodomites distingués ricanaient de l'archaïsme des demeurés qui eux continuaient à faire l'amour par les voies naturelles et, qui plus est, avec une seule partenaire : une femme. Beaucoup d'entre eux, aujourd'hui, sur leur lit de mort, doivent méditer... ». Le sida est donc exploité comme un thème majeur dans le répertoire du Front National durant l'année 1987 et cette désinformation homophobe va brouiller pour un temps les messages de prévention. Le sida est associé à la faute. Une pratique présente un risque si elle est jugée anormale ou déviante. Dans l'opinion publique, une idéologie va s'articuler pour mettre en relation l'épidémie et le déclin des liens communautaires ou va la considérer comme une des conséquences de la modernité.

Le lien entre séropositivité et homosexualité domine dans les esprits, conséquence notamment d'un engagement majoritaire d'homosexuels masculins qui se savent touchés par la maladie. En effet, l'épidémie ne cesse de progresser au sein de ce groupe social. La maladie devient plus visible avec l'intensification des tests de dépistage, et en 1989, le sida est devenu à Paris la première cause de décès chez les hommes de 25 à 44 ans (Schiltz, 1998 ; Filleule et Broqua, 2000).

3. L'arrivée du sida comme facteur de développement des travaux français sur l'homosexualité

En effet, les sciences sociales en France ne se sont intéressées de prés à l'homosexualité qu'au milieu des années 80 avec l'arrivée du sida. Nous l'avons vu les premiers cas de la maladie vont être recensés chez de jeunes homosexuels masculins. Ainsi, aux Etats-Unis puis en France, le sida va devenir « le cancer gay » malgré le fait qu'il va progressivement s'étendre dans des groupes moins restreints.

Au début des années 80, les quartiers gays se constituent, les lieux de sociabilité se multiplient, la bisexualité est à la mode, le nouveau président de la république, François Mitterrand vient de « dépénaliser » l'homosexualité, les homosexuels s'apprêtaient enfin à une amélioration de leur considération. Mais la maladie va frapper de plein fouet cette progressive libération. Toute la presse s'empare de ce phénomène, il n'est plus uniquement traité dans le registre médical, mais devient un véritable sujet de société. On peut alors lire dans la presse des titres tels que :

« L'épidémie du cancer gay » (Libération, 19 mars 1983)

« Cancer gay : la contagion par le sang » (Libération, 17 mai 1983)

« Panique chez les gays » ( Le nouvel observateur, 17 juin 1983)

« La peste rose : le sida » (Le parisien libéré, 31 août 1983)

En France, la recherche a débuté avec de jeunes médecins, notamment avec le docteur W.Rozenbaum sans aucun intérêt de la part des politiques. De plus, ces recherches étaient mal vues car elles s'intéressaient à des sujets homosexuels. Les médecins formant ce groupe de recherche étaient considérés comme des marginaux dans la profession médicale. L'opinion publique a rapidement établi dans le sens commun l'idée que le sida était lié à « la vie de débauche que menaient les homosexuels ». Le sida apparaît alors comme l'épidémie de la faute, de la honte. La perspective du sida comme fléau social va apparaître quand la maladie va dépasser les groupes à risque.

C'est Michael Pollack qui est le premier à s'intéresser à la dimension sociale de l'épidémie du sida. Ses enquêtes commencent vers 1985 dans le magazine Gai Pied Hebdo et portent sur « Les attitudes et comportement des homosexuels, sur leur sens d'identité » pour mesurer l'impact des messages du corps médical et des médias sur le comportement des homosexuels. Il en résulte que la réaction face au sida, au niveau individuel, va dépendre du degré d'intégration et d'identification des individus avec ce qu'il appelle alors la communauté homosexuelle , sa fréquentation des lieux de rencontres exclusivement masculins, de son style de vie et des moyens de communication qu'elle engendre. Ainsi, le sida va remettre en cause le sens de l'identité individuelle et collective des homosexuels9(*). Tout d'abord, le fait de désigner les homosexuels comme le « groupe à risque » va accroître leur marginalité, d'autant plus que c'est l'image qui est véhiculée par les médias : aujourd'hui, n'est-il pas courant de retrouver dans certains esprits l'amalgame sida / homo ? Dés lors, le sida va faire partie intégrante des préoccupations du groupe des homosexuels et va être intégré dans la construction identitaire gay dans le cadre de la prévention. M.Pollack parle alors d'une socialisation conditionnant l'attitude des individus face à la maladie. Avec le sida, on assiste à un changement des représentations sociales des homosexualités dans la société et au sein même de la sphère homosexuelle. Le silence sur l'homosexualité et sa dissimulation vont ainsi répondre à l'anticipation d'un rejet ou jugement moralisateur10(*). Le sida va multiplier les préjugés à l'égard des homosexuels les désignant comme « le groupe à risque », on va retrouver là une stigmatisation, un étiquetage.

Les années 70 ont donc vu l'émergence de courants qui prônaient une déconstruction des savoirs médicaux et psychiatriques sur l'homosexualité et un développement du constructivisme avec notamment les travaux de Michel Foucault. Mais en France, à l'Université, aucune structure n'était spécialisée sur la sexualité ou l'homosexualité. Dans la recherche sur le sida, se sont engagés des personnes ayant travaillé sur la notion de risque, de maladie et d'identité, comme Michael Pollack mais pas sur la notion de sexualité même. Ceux ayant travaillé sur la sexualité ont souvent été marginalisés et voués à un engagement militant. Cependant cela a permis de renforcer la zone d'échange entre le champ scientifique et le mouvement homosexuel, les chercheurs ayant influencé la mise en place d'actions par la Santé publique, comme la prévention11(*). En 1989 est créé le Comité en Sciences Humaines et sociales de l'Agence Nationale de recherche sur le Sida (ANRS). L'Etat va s'engager de plus en plus et reconnaître certaines associations homosexuelles.

Après 15 ans d'épidémie du sida, la mobilisation croissante des homosexuels lors des traditionnelles Gay Pride témoigne d'un besoin accru de reconnaissance. Les luttes ne font que s'enchaîner, hier pour la dépénalisation de l'homosexualité12(*) obtenue en 1981 avec l'élection de François Mitterrand, aujourd'hui pour une égalisation des droits, en 1999, la loi sur le PACS va permettre la reconnaissance des couples homosexuels.

II) La communauté gay comme construction sociale 

1. La notion de communauté

Nous l'avons vu, l'homosexualité fait désormais partie du discours sociologique. Dés lors, l'homosexuel n'est plus perçu comme un pervers, mais comme un individu qui appartient, du seul fait de son orientation sexuelle, à une minorité stigmatisée. Le discours sociologique va interroger la société sur son incapacité à considérer l'homosexualité comme une réalité équivalente à celle de l'hétérosexualité. L'analyse sociologique s'inscrit dans une critique des normes sociales et envisage l'homosexualité à travers un souci éthique de tolérance sociale13(*). La tolérance désigne moins une attitude qu'un système de valeurs à partir duquel se gèrent la différence et l'altérité. Pour le sociologue, c'est l'intolérance qui fait de l'homosexuel un être à part. Les enquêtes sociologiques portant sur l'homosexualité visent à remettre en cause les préjugés envers les homosexuels et à promouvoir une société plus tolérante. Pour ce faire, nous pouvons nous demander si l'analyse sociologique ne devrait pas s'intéresser d'abord au groupe et à la communauté plutôt qu'à l'individu. Le terme de communauté revêt d'abord une définition statistique. Il désigne un groupe d'individus ayant certaines caractéristiques communes et dont les comportements différent de ceux d'autres individus ou groupes sociaux. Nous pourrions la définir comme un ensemble social dont les membres partagent des valeurs et se reconnaissent des liens forts d'appartenance de chacun avec chacun et avec le tout communautaire. D'après Tonnies14(*), les membres tirent leur identité propre du seul fait de leur participation communautaire, consciente ou inconsciente. Elle déterminerait donc une manière d'être ou d'exister comme homosexuel. L'homosexualité ne se définit plus seulement à partir de l'aveu individuel. Il reste encore aujourd'hui une étape individuelle importante de la reconnaissance et de l'acceptation de soi, mais il ne prend son véritable sens que dans l'aveu social d'une appartenance à un groupe, voire à une communauté. Cette étape ne serait-elle pas alors une des conditions sociales d'émergence de l'homosexualité ?

2. De l'idée d'un groupe marginalisé...

Nous allons pouvoir revenir sur les conditions de l'élaboration d'une communauté spécifique au mouvement homosexuel : n'y aurait-il pas avant tout une recherche de reconnaissance de l'homosexualité par rapport à l'hétérosexualité ? Sans s'attarder sur la relation homosexualité / hétérosexualité, nous pourrions rappeler en citant P.Bourdieu15(*) les contraintes des structures qui sont représentées par tout le système de normes, de valeurs et même des lois que véhicule la société. Ainsi, nous pouvons parler d'une violence symbolique qui agirait sur les homosexuels, de façon même à ce qu'ils la légitiment c'est-à-dire, vont s'en accoutumer et la trouver « normale ». Nous pouvons parler également d'une violence symbolique qui s'exerce sur le groupe des homosexuels, du fait de la reconnaissance par tous, de la suprématie de l'hétérosexualité et du schéma familial dans la société française dans les mentalités et les lois. Dans ce sens, l'auto proclamation d'une culture spécifique serait une réaction à une certaine domination sociale ? Il va donc y avoir une marginalisation, d'une part venant de la société, puisqu'elle stigmatise et désigne les individus hors normes à partir d'un ordre culturel normatif et va faire apparaître ce groupe en marge de la normalité16(*) et d'autre part, des homosexuels eux-mêmes qui vont suivre de manière consciente ou inconsciente, cette marginalisation. Nous retrouvons ici la théorie de l'étiquetage de Becker.

De plus, cette marginalisation ne risque-elle pas d'être ponctuée par l'emploi de stéréotypes ? Dans nos sociétés contemporaines, les constructions imaginaires dont l'adéquation au réel est douteuse sinon inexistante sont favorisées par les médias, la presse et la littérature de masse. Souvent le public se forge par la télévision ou la publicité une idée d'un groupe avec lequel il n'a aucun contact. L'origine des stéréotypes dévalorisants attribués à l'autre est souvent conçue en termes de tensions sociales. Ainsi la théorie des conflits sociaux introduite par Muzafer Sherif17(*) voit dans les situations compétitives le principal levier du stéréotypage et du préjugé. Dans le même esprit, le stéréotype dévalorisant apparaît comme un instrument de légitimation dans diverses situations de domination. Le stéréotype va remplir des fonctions importantes aussi dans le cas de subordination d'un groupe à un autre. En effet, la « promulgation d'images de supériorité- infériorité dans une société est [...] l'un des moyens qu'utilise le groupe dominant pour maintenir sa position »18(*).Ce sont alors les intérêts du groupe au pouvoir qui suscitent une image des dominés propres à justifier leur subordination. C'est ce que nous pouvons constater pour les homosexuels qui pendant longtemps ont vu véhiculer une certaine image d'eux par le groupe dominant, par la norme. Ces images, bien que désuètes, persistent encore aujourd'hui, la relation à l'autre étant toujours médiatisée par une image préexistante.

L'impact de ces représentations s'avère puissant dans le cas, non seulement des groupes dont on n'a pas une connaissance effective, mais aussi de ceux qu'on côtoient quotidiennement ou auxquels on appartient19(*). Les homosexuels, en intériorisant le stéréotype discriminant, pourraient être amenés à l'activer dans leur propre comportement. Pour certains, le stéréotype serait facteur de construction d'identité sociale. Par exemple, quelqu'un qui va se découvrir homosexuel peut adhérer aux stéréotypes pour pouvoir faire parti de ce groupe et être reconnu comme tel. Dans ce sens, le stéréotype favorise l'intégration sociale de l'individu. Sans s'interroger sur la véracité du stéréotype, les individus vont en faire l'usage.

3. ...à la socialisation homosexuelle

Ce besoin d'identification nécessite-t-elle un certain nombre de références qui vont permettre à l'individu de se construire ? Cette construction va s'apparenter à une « homosocialisation » . Il y aurait donc tout un processus d'apprentissage. Becker20(*) parlait de carrière à laquelle les individus considérés comme déviants devaient parvenir en passant par différentes étapes. Etant en marge de la normalité, ces individus vont s'inventer de nouvelles normes, de nouveaux rites, et adhérer à de nouvelles valeurs. Ce processus pouvait selon lui aboutir à une culture spécifique. Pour M.Pollack, qui s'intéressait plus précisément au cas des homosexuels masculins, cette socialisation commence par la reconnaissance de désirs sexuels spécifiques puis par l'apprentissage des lieux et des façons de rencontrer des partenaires, des codes de la drague homosexuelle qu'il assimile à un marché où régnerait la maximisation du rendement quantitativement exprimée et la minimisation du coût exprimée par la rapidité et le non-engagement mais aussi certaines contraintes esthétiques comme par exemple, le mythe de la jeunesse. Mais cette socialisation risque de s'effectuer en rupture avec la socialisation primaire de l'individu21(*). La socialisation est alors caractérisée par un double processus de conservation et de transformation, des éléments sont abandonnés et ajoutés, affaiblissant certains secteurs de la réalité et en renforçant d'autres. Cette théorie pourrait s'appliquer à la socialisation homosexuelle, qui s'effectuerait en rupture avec la socialisation primaire intériorisée par chaque individu sur la base de la normalité, c'est-à-dire de l'hétérosexualité et du schéma familial traditionnel le plus souvent. Il est intéressant de se demander par quelles étapes peut passer ce processus, effectuées de manière consciente ou inconsciente par les gays et les lesbiennes. On peut se demander par exemple si l'attrait pour des oeuvres littéraires ou cinématographiques évoquant une histoire entre deux personnes du même sexe, ou encore un besoin de reconnaissance, de repères, d'identification est une étape de ce mécanisme. En effet, la société n'offre a priori pas de modèles auxquels les homosexuels peuvent s'identifier et se reconnaître...Mais peut-on dire que cette socialisation passe par l'apprentissage de codes, de valeurs, de « normes » spécifiques au groupe des homosexuels, de façon à acquérir une certaine compétence au sens ethnométhodologique du terme, c'est-à-dire un stock de connaissances disponibles fonctionnant comme des schèmes de référence, qui serviront à être reconnu comme membre ? Nous pourrions peut-être parler ici de l'existence d'un habitus gay ou d'un ethos gay selon les termes respectifs de P.Bourdieu et de M.Weber. L'habitus correspond à un « système de dispositions durables et transposables »22(*) qui guident nos actions dans différentes circonstances, qui nous donnent un répertoire d'action. L'ethos23(*) désigne tout à la fois le système de valeurs intériorisé, la conduite de vie et la morale pratique propres à un groupe social. M.Pollack parle ici de traits caractéristiques communs aux homosexuels qui sont selon lui, un langage et un humour spécifiques. Il parle aussi de « communauté de destin » (surtout avec l'arrivée du sida) ou encore de « communauté d'expériences ». A propos d'expériences, le sociologue Didier Eribon, grand spécialiste de la question gay de ces dernières années a étudié le processus d'assujettissement notamment à travers le problème de l'injure qui, selon lui, va façonner les identités, mais aussi de la constitution d'un « monde gay » contre les oppressions24(*). L'injure constituerait certains traumatismes qui s'inscriraient dans la mémoire et dans le corps et viendraient façonner la personnalité , la subjectivité des individus. La nomination par l'injure fait prendre conscience de leur « anormalité », de leur différence par rapport aux autres. Celui qui lance l'injure montre alors qu'il a le pouvoir sur celui qu'il injure et de ce fait les homosexuels savent qu'ils peuvent être insultés et que cela lui assigne une place infériorisée. Il n'est pas rare que nous entendions des injures homophobes avant même de connaître notre propre sexualité, cela peut avoir des conséquences. Ainsi un individu se découvrant homosexuel va d'emblée savoir qu'il est différent et qu'il doit cultiver le secret sur sa sexualité pour ne pas subir de discriminations. L'injure n'est pas forcément personnelle, il n'est pas besoin d'être discrédité ; le seul fait d'être discréditable agit sur la conscience et l'inconscience des individus comme une force d'assujettissement et de domination intériorisée. Pour fuir en quelque sorte ces injures, les homosexuels vont intérioriser tout un savoir pratique, comme par exemple savoir ils peuvent se tenir par la main. C'est pour fuir que certains se dissimulent ou émigrent vers des lieux plus tolérants comme par exemple les lieux de sociabilité homosexuelle qu'offre la grande ville. Le milieu urbain offre une plus grande possibilité de construction d'une identité homosexuelle car elle va favoriser la constitution d'un réseau de sociabilité. Selon D.Eribon, c'est à travers la création de ce « monde gay » que la socialisation homosexuelle s'effectue, la communauté homosexuelle entendue au sens d'un regroupement de lieux de sociabilité, aurait une fonction de lien identitaire. Cette création va passer également par l'invention d'une « parole gay » au cours de l'histoire notamment dans la littérature. Cependant, pouvons-nous dire qu'au travers de ces expériences plus ou moins communes, les homosexuels et les lesbiennes vont développer une subjectivité commune et prétendre à l'idée de communauté ?

III) La culture : enjeu d'une communauté ?

1. Des différents usages du terme...

Cette notion de culture est une évidence pour les travaux des Gay and Lesbian Studies, elle n'est jamais remise en question. La sociologie offre une pluralité de définitions. Prenons-en une qui nous semble assez pertinente : « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte »25(*). Une typologie des différents usages du terme, proposée par Michel de Certeau26(*), permet d'ordonner les différents sens du mot :

· Les traits de l'homme cultivé, c'est-à-dire conforme au modèle élaboré dans les sociétés stratifiées par une catégorie imposant ses normes et son pouvoir.

· Un patrimoine des oeuvres à préserver ou par rapport auquel se situer.

· L'image, la perception ou la compréhension du monde propre à un milieu, un groupe ou à un temps.

· Des comportements, institutions, idéologies et mythes qui composent des cadres de référence et dont l'ensemble, cohérent ou non, caractérise une société à la différence des autres.

· La culture est un acquis en ce qu'il se distingue de l'inné.

· Un système de communication, proche du langage verbal.

Depuis quelques décennies, la notion de culture connaît un succès croissant. Le mot tend à supplanter d'autres termes qui étaient davantage utilisés auparavant, comme mentalité, esprit, tradition voire idéologie. Ce succès est dû en partie à une certaine vulgarisation de l'anthropologie culturelle. La polysémie du mot culture permet de jouer à la fois sur le sens noble, cultivé, du terme et sur son sens ethnologique particulariste. Mais ce terme pose un problème de catégories langagières. En effet, nous allons trouver la catégorie du sens commun, la catégorie sociologique ou anthropologique et à l'intermédiaire des 2 premières, la catégorie issue des médias. Aujourd'hui, n'importe quel groupe social peut revendiquer une culture propre. Toute forme d'expression collective devient culture27(*). On évoque ainsi, essentiellement dans les médias, la culture hip-hop ou encore la culture footbalistique... Or ces pratiques et ce qu'elles impliquent ne peuvent pas être assimilés à ces systèmes globaux d'interprétation du monde et de structuration des comportements correspondant à ce que l'anthropologie entend par culture.

2. ...aux différentes fonctions qu'il remplit

Le courant culturaliste permet de revenir sur les fonctions de la culture, essentiellement avec la théorie issue de l'école de « la culture de la personnalité ». La question est de savoir comment la culture est présente dans les individus, comment elle les fait agir, quelles conduites elle suscite, l'hypothèse étant précisément que chaque culture détermine un style de comportement commun à l'ensemble des individus participant à une culture donnée. Là résiderait ce qui fait l'unité d'une culture et ce qui la rend spécifique par rapport aux autres. La question fondamentale de cette école est celle de la personnalité. Ne remettant pas en cause l'unité de l'humanité, tant sur le plan biologique que sur le plan psychique, ces auteurs se demandent par quel mécanisme de transformation, des individus, à la nature identique au départ, finissent par acquérir différents types de personnalité spécifiques de groupes particuliers. On citera R.Benedict28(*) qui développe l'idée selon laquelle chaque culture serait caractérisée par son pattern, c'est-à-dire une certaine configuration, un certain style, un certain modèle. Ainsi chaque culture offre, en quelque sorte, aux individus, un schéma inconscient pour toutes les activités de la vie. M.Mead s'intéresse pour sa part, à la construction de la personnalité, à la façon dont un individu reçoit sa culture et les conséquences que cela entraîne sur la formation de sa personnalité, de son identité. Nous pourrions-nous demander ce qu'il en est pour le groupe des homosexuels.

Aujourd'hui, les grandes interrogations sur l'identité renvoient fréquemment à la question de la culture. Les crises culturelles sont dénoncées comme des crises d'identité. La culture serait le fondement de la recherche identitaire des individus.

L'identité n'est ni une réalité totalement objective ni totalement subjective, elle se définit essentiellement dans un cadre relationnel, elle est un construit qui s'élabore dans une relation qui oppose un groupe aux autres groupes avec lesquels il est en contact29(*). Cette conception de l'identité comme manifestation relationnelle permet de dépasser l'alternative objectivisme / subjectivisme. C'est dans l'ordre des relations entre les groupes sociaux qu'il faut chercher à saisir le phénomène identitaire. Selon F.Barth, l'identité est un mode de catégorisation utilisé par les groupes sociaux pour organiser leurs échanges. Ainsi, pour définir, l'identité d'un groupe, ce qui importe, ce n'est pas d'inventorier l'ensemble de ses traits culturels distinctifs, mais de repérer parmi ces traits ceux qui sont utilisés par les membres du groupe pour affirmer et maintenir une distinction culturelle. En ce sens, l'identité est toujours un rapport à l'autre, elle est résultante d'un processus d'identification au sein d'une situation relationnelle, elle est relative car elle peut évoluer si la situation change ; certains préfèreront parler de concept d'identification plutôt que celui d'identité30(*). L'identification peut alors fonctionner comme affirmation ou comme assignation identitaire et l'identité serait toujours un compromis entre une auto-identité définie par soi, et une exo-identité définie par les autres. Cette exo-identité, dans une situation de domination, se traduit par la stigmatisation des groupes minoritaires et va aboutir dans ces cas là à une identité négative. Ainsi, nous pouvons voir apparaître chez les dominés des sentiments de mépris de soi, liés à l'acceptation et à l'intériorisation de l'image de soi construite par les autres.

Cependant, un changement de situation ne pourrait-il pas modifier l'image d'un groupe ? L'identité deviendrait donc l'enjeu de luttes sociales. Tous les groupes n'ont pas la même autorité pour nommer et se nommer, seuls ceux qui disposent de l'autorité légitime peuvent imposer leurs propres définitions d'eux-mêmes et des autres31(*). L'ensemble des définitions identitaires fonctionne comme un système de classement qui fixe les positions respectives de chaque groupe. Il va s'agir pour le groupe qui se voit assigné une identité négative, de transformer cette exo-identité en identité positive. Cela pourra se traduire par exemple, par le retournement du stigmate, comme dans le cas de la Gay Pride. Le sentiment d'une injustice collectivement subie ne va-t-il pas entraîner chez les membres d'un groupe victime d'une discrimination un sentiment fort d'appartenance à la collectivité ?

Le terme de culture connaît ces dernières années un emploi abusif qui lui fait perdre un peu de son sens. A tel point qu'aujourd'hui, certaines catégories, comme par exemple l'emploi de l'expression culture gay peut paraître évidente, naturelle. Les médias ayant largement contribué à ce phénomène, il est possible de se demander si cette diffusion provient d'une revendication identitaire, d'un simple « usage marketing » de la part des médias ou d'une américanisation culturelle ?

IV) Les médias comme vecteur d'une culture gay 

1. Pour une sociologie empirique des médias

La recherche sur les communications de masse s'est centrée sur le trajet des messages, de l'agent émetteur au sujet-récepteur, et sur la réponse de ce sujet. Le modèle se traduira par le paradigme de Lasswell32(*). Il fait une analyse en 3 questions : qui dit quoi ? par quel canal ? avec quels effets ? que l'on peut découper en plusieurs analyses : analyse de régulation (pour l'émetteur), analyse de contenu (pour le message), analyse des médias (pour le vecteur), analyse de l'audience (pour le lectorat) et analyse des effets (pour les effets sur le lectorat). Ce paradigme domine la sociologie des mass média durant des décennies. On privilégie l'émetteur et on ne verra dans le récepteur qu'un sujet passif. Les premières enquêtes intéressantes qui sortiront de ces approches et qui détermineront la suite des études sociologiques furent celles menées par Lazarsfeld en 1940 à l'occasion d'une campagne présidentielle ainsi que celles de Berelson en 1955 sur le même sujet. Ces enquêtes révèlent l'influence d'opinion leader, des guides d'opinion. En effet, les personnes ayant changé d'intention de vote déclarent l'avoir fait sous l'influence directe des médias. Cependant, de recherches en recherches, la sociologie d'enquête découvrira qu'il n'y a pas un public massif mais des publics différenciés, que les messages sont polysémiques et soumis à interprétation.

2. Le rôle et l'influence des médias

Dans ce travail, la question sera de savoir quel rôle va jouer la presse homosexuelle dans la constitution d'une culture mais aussi dans la construction identitaire des individus. La presse gay et lesbienne n'a qu'un seul représentant en France, le magazine Têtu. Il est donc la seule voix écrite par et pour des homosexuels. Les médias ont un certain pouvoir, mais ce magazine en étant seul sur le marché de la presse gay peut en avoir encore plus. Il est donc très important de se demander si l'image qu'il offre est un reflet ou une construction des représentations sociales de l'homosexualité ? La question du stéréotype se pose alors immédiatement surtout lorsqu'il s'agit d'un récepteur facilement « stéréotypable », en effet, l'homosexualité n'est-elle pas très souvent stéréotypée ? On l'a vu les stéréotypes peuvent venir des homosexuels eux-mêmes, notamment pour renforcer leur appartenance à un groupe spécifique et marginalisé, il ne serait donc pas impossible de les retrouver dans les pages de la presse gay et lesbienne. Selon Riesman33(*), le lectorat, le public des médias aurait une volonté de garder le « contact » avec les autres par le biais de la presse ou de la télévision, et cela entraînerait une conformité de comportement. La notion de conformisme est importante est peut être révélatrice d'un certain nombre d'éléments mais elle peut aussi être un risque. Stoetzel en 1951 donne à peu près les mêmes explications en insistant sur le fait que la fonction de la presse, mis à part l'information, serait de favoriser l'insertion d'un individu dans un groupe, celui auquel il appartient ou auquel il se réfère, en lui donnant les moyens d' « être dans le coup ». On pourrait, à ce propos, émettre l'hypothèse que Têtu permet de rompre avec l'isolement de certains individus, de les mettre en relation avec le groupe des homosexuels à laquelle ils n'ont pas directement accès.

Il faut donc souligner les nouveaux mécanismes de production d'identités, tant individuelle que collective, que nos sociétés mettent en oeuvre, des identités que diffusent et que confirment les médias et la publicité, avec leurs classifications souvent stéréotypées.

3. Une mise en vitrine de référents gays 

Il est important de citer les éléments sur lesquels va s'appuyer notre réflexion, notamment la mise en valeur du corps beau et de la jeunesse, bien que ce n'est pas une caractéristique spécifique de ce type de presse, il est intéressant de s'y pencher. Têtu étant le seul vecteur de la presse gay, il véhicule un certain nombre d'idéologies qui doivent correspondre au public homosexuel et auxquelles ce dernier peut adhérer mais ne risque-t-il pas d'y avoir là un effet discriminant à l'encontre de ceux qui n'adhèrent pas à ce modèle, c'est la même chose en ce qui concerne la mode vestimentaire. A côté de cela, nous trouvons des articles à la fois revendicatifs et informatifs. Le journaliste qui écrit ces articles emploie le pronom personnel « nous » lorsqu'il parle de l'ensemble des gays et lesbiennes. Cette inclusion permet peut-être de renforcer le sentiment d'appartenance et donne un sentiment de solidarité, d'unification. Pour une large part, les revendications et les dénonciations de ces articles concernent l'homophobie. A ce propos les rubriques du courrier des lecteurs reflètent largement ce constat (beaucoup parlent des problèmes qu'ils ont rencontré sur leur lieu de travail, dans leur famille ou dans leur établissement scolaire...). Il y a une autre lutte qui est largement abordée, celle de la lutte contre le sida, qui est toujours un point important dans le mouvement homosexuel.

Au travers de ces différents articles, on voit se dessiner une sorte de langage spécifiquement gay ou du moins qui renvoie à des éléments que les gays ont assimilé. Ne pourrions-nous pas alors évoquer l'existence d'un patrimoine gay et lesbien dont Têtu s'emploierait à en construire les références tant au niveau des grands personnages historiques, littéraires, des personnages de cinéma, des créateurs-couturiers, ou encore de ce qu'on appelle des icônes gays. Par rapport à ce patrimoine socio-culturel, on trouve aussi des rubriques critiques et guides en ce qui concerne le cinéma, la littérature, la musique et la télévision. Il donne des points de repères sur ce qui serait susceptibles d'intéresser les homosexuels dans ces domaines.

Ce travail va tenter d'entrevoir les fondements d'une éventuelle culture spécifiquement homosexuelle à travers les différents éléments présents dans la revue de notre corpus ainsi qu'à travers les discours d'acteurs concernés que nous avons recueilli.

CHAP.II ) LES CHOIX METHODOLOGIQUES

Après avoir déterminé et délimité le terrain de la recherche, ce chapitre décrit les techniques de recueil et les principes d'analyse des données choisis. Tentons de préciser quelques éléments de la pré-enquête qui a permis la mise en place du protocole empirique de cette étude.

Nous nous sommes rendus à plusieurs reprises dans des lieux de sociabilité gays et lesbiens, tantôt dans des établissements mixtes, tantôt dans des établissements lesbiens - les établissements exclusivement masculins étant peu accessibles lorsqu l'on est une fille, il s'agit, sur Marseille en tout cas, de bars ou de clubs privés (avec un juda à l'entrée) peu enclins à une intrusion féminine. Ici il ne s'agit pas d'émettre un jugement, mais juste de faire un constat, de la même façon que le fait d'être un homme rend l'accès à des lieux lesbiens difficile. Cette méthode de pré-enquête n'a pas été choisi pour privilégier une approche inductive mais pour nous donner des pistes, des idées d'hypothèses dans notre démarche hypothético-déductive. Notre observation a pu se faire facilement puisque ce sont des établissements ouverts à tous. Pour trouver ces établissements, nous avons fait appel à des guides spécialisés, à des sites internet mais aussi à nos connaissances personnelles.

Dans le cadre de cette étude, nous nous étions proposés d'observer certains traits qui pourraient être caractéristiques d'une  communauté  spécifique. Au départ, nous nous étions fixés d'observer les comportements physiques que ce soit les gestes, les différents signaux et codes que les individus peuvent se renvoyer, ainsi que les éventuelles caractéristiques vestimentaires qui auraient pu donner des indications. Nous ne nous sommes pas rendus dans ces lieux avec une grille d'observation mais simplement avec des questions, par exemple, qu'est ce qu'il peut y avoir de commun dans leur façon de s'habiller et qui pourrait être constitutif d'une  culture.

D'après nos observations, nous avons dégagé un certain nombre d'éléments. Tout d'abord, nous avons constaté que les lieux que l'on disait mixtes sont à 90% masculins, et qu'il existe très peu d'établissements lesbiens ou à dominante féminine. Dans le département, nous n'avons recensé qu'un bar associatif exclusivement réservé aux femmes et que tout le reste était des lieux mixtes investis majoritairement par les gays. Une des premières interrogations qui surgit est celle des significations de ce constat : la non-mixité des établissements lesbiens s'opère-t-elle dans une optique de  préservation , étant donné que les lieux mixtes tendent à ne plus l'être, en faveur des gays et au détriment des lesbiennes ? Ainsi, au lieu de partir d'une communauté homosexuelle, nous devrions peut être penser en terme de communauté lesbienne  différente de la communauté gay  puisqu'apparamment l'idée de la mixité n'est pas tellement vérifiée dans la réalité sociale. Nous avons pu également constater ce phénomène en nous promenant dans les rues du Marais, quartier gay de Paris où les femmes sont relativement absentes.

En ce qui concerne l'attitude vestimentaire, il y a également une différence constatable, il y a une plus grande hétérogénéité chez les lesbiennes que chez les gays. Sans généraliser, il y effectivement des traits communs dans l'apparence, que l'on peut peut-être rattacher au phénomène de mode et pas forcément à un phénomène culturel propre aux homosexuels. Il vaudrait donc approfondir sur ce point pour pouvoir le clarifier et voir s'il peut s'intégrer dans une construction sociale d'une culture spécifique.

I ) Axes de recherche

La fonction de « vitrine » des référents gays que nous avons abordé dans le chapitre précédent conduit à l'énoncé des pistes de réflexion exploratoires qui ont guidé cette recherche.

1) Quelle image de l'homosexualité et de l'homosexuel renvoie ce magazine, notamment à travers les photographies ? Cette vision plus ou moins homogène est-elle le reflet de la réalité ou une image stéréotypée ? Et finalement est-ce que les stéréotypes ne peuvent-ils pas apparaître comme réels ? La sexualité et le corps sont-ils les canaux privilégiés de l'expression de l'homosexualité masculine ? Le magazine véhicule-t-il des modèles ? A-t-il une quelconque influence sur ces lecteurs ? Véhicule-t-il des référents identitaires, des codes ? Erige-t-il le culte du corps beau et de la jeunesse en idéologie culturelle ?

2) Quelle est la place des lesbiennes dans cette revue ? Les différences de genre se retrouvent-elles à l'oeuvre chez les gays et les lesbiennes ? Y'a-t-il eu une abolition du genre au profit de l'existence d'une communauté homosexuelle ?

3) Comment se constitue la communauté homosexuelle ? Que nous raconte l'histoire ? Qu'est-ce qui est significatif à travers les articles de la revue ? La revendication commune permet-elle de fonder une communauté ? Comment y accède-t-on ? Y-a -t-il un apprentissage spécifique ? En quoi le magazine y participe ? Peut-on parler d'une identité homosexuelle collective ? Et à partir de quels indicateurs peut-elle être appréhendée ?

4) Comment en arrive-t-on à l'idée d'une culture homosexuelle spécifique ? La culture étant normative, n'y a t il pas un danger d'enfermer les gays et les lesbiennes dans un conformisme ghettoisé ? En trouve-t-on les indices dans la revue ?

II ) Le terrain

1. Le corpus

Nous avons choisi de porter notre analyse sur la presse gay et lesbienne actuelle et de la compléter par une série de quelques entretiens auprès des lecteurs potentiels.

La presse française n'offre pas un éventail très large de magazines destinés spécifiquement aux gays et aux lesbiennes, en excluant les magazines dits pornographiques masculins. En kiosque, on dénombre seulement deux revues dont une est exclusivement destinée aux femmes : Lesbia. Nous n'avons pas retenu ce titre car, d'une part c'est un magazine associatif34(*) dont les membres sont totalement bénévole, et qu'il ne se trouve pas facilement (15 000 exemplaires tirés en 199735(*)), d'autre part, nous souhaitions nous intéresser aux gays et aux lesbiennes. Nous avons donc choisi de porter notre attention sur le magazine Têtu qui semble être le vecteur le plus reconnu de la presse homosexuelle, depuis sa création en juillet 1995. D'après une enquête de l'OJD36(*) pour l'année 2001 (voir tableau et graphique ci-dessous), il a un tirage d'environ 70 000 exemplaires en augmentation constante et une diffusion payée de 35 000 exemplaires , dont 7000 abonnés avec un taux de reprise en main de 4.05 personnes différentes par exemplaire, soit une audience totale de 172 000 lecteurs chaque mois selon une étude du lectorat dirigée par HEC. Depuis le mois de novembre 2000, le magazine contient chaque mois un supplément détachable de proximité « L'agenda de Têtu ». Ce carnet d'environ 64 pages est encarté dans le magazine tous les mois et développe l'actualité culturelle, évènementielle, des rencontres, et des sorties ainsi qu'un répertoire pratique des adresses pour chaque région de France.

Période Diffusion totale Diffusion payée Tirage

2001 34 622 34 152 69 536 2002 44 019 43 499 81 518

Source : Diffusion contrôle

Source : Diffusion contrôle

Il existe également un certain nombre de mensuels gratuits que l'on peut trouver dans différents établissements homosexuels (bars, restaurants, associations...). Mais ils sont généralement une portée régionale.

Ce magazine sera étudié sur une période d'un an pour tenir compte des fluctuations saisonnières. Nous avons sélectionné l'année 2001 pour réaliser cette étude, au total 11 numéros (du n°52 au n°62). Le magazine est mensuel mais le numéro d'été est double (juillet / août).

Le corpus s'étend également à une série de huit entretiens que nous avons réalisé auprès de personnes concernées. Nous avons ainsi interrogé quatre garçons homosexuels et quatre filles lesbiennes. Le guide d'entretien, leur présentation ainsi que certaines retranscriptions sont présentés en annexe de ce travail. Nos interrogations portaient principalement sur leurs habitudes en matière de loisirs, de consommation, de mode, de presse...ainsi que sur leur perception de l'homosexualité en général. Ces entretiens ont permis de saisir quelque peu la réalité de ce qui est visible à la lecture du magazine mais aussi d'en soulever les points les plus pertinents. Ces enquêtés ont été sélectionné d'une part dans notre entourage mais aussi par le biais de différents contacts associatifs. La fonction de ces entretiens est donc d'éclairer le sujet du point de vue des acteurs eux-mêmes qu'ils soient lecteurs de la revue ou non.

2. Les lecteurs

L'audience de ce magazine est sexuellement, sociologiquement et idéologiquement située (cf. annexe à propos du lectorat). Les profils des lecteurs sont connus des magazines, qui commandent à ce sujet des études ou des enquêtes, à des fins d'ajustements rédactionnel et publicitaire. Nous n'avons trouvé qu'un sondage marketing qui a pu nous fournir des chiffres. Les profils sont connus mais ils ne sont que de profils supposés, c'est-à-dire que les rédacteurs, supposent ce que le lectorat gay attend. Nous trouons une sorte d'homogénéisation des thèmes qui doivent renvoyer aux mode de vie homosexuels. La question sera de voir si effectivement ils reflètent la réalité ou s'ils ne font que la représenter.

D'après les chiffres que nous avons pu obtenir d'après des études de lectorat37(*), nous voyons que le lectorat est essentiellement homosexuel : 85% (gays et lesbiennes) et surtout masculin : 85% d'hommes. Les lecteurs sont plutôt fidèles, 50% le sont depuis le premier numéro et 88% des ventes en kiosque sont effectuées par les mêmes lecteurs d'un mois sur l'autre. Les 25/34 ans rassemblent quasiment la moitié du lectorat (46%) suivis par les 35/44 ans qui en représentent presque un quart (24%). Le lectorat est plutôt majoritairement actif avec une prédominance des employés et des ouvriers (43%) mais aussi des professions libérales et cadres (37%). Le lecteur moyen est plutôt urbain, 70% résident dans une agglomération de plus de 100 000 habitants et pour plus de la moitié (55%) en Province. Ici, nous pourrions faire l'hypothèse d'un besoin de reconnaissance identitaire plus important que pour les lecteurs vivant à Paris (37%) où l'homosexualité a son « fief », le Marais et où se multiplient les lieux de sociabilité gays et lesbiens.

La question de la réception pose de nombreuses difficultés. L'audience de la presse est délicate, chacun ayant un rapport singulier au contenu et il serait trop ambitieux de vouloir le contrôler. Nous avons certes, récolté un certain nombre d'informations par le biais de nos entretiens mais elles restent très largement insuffisantes. P.Albert soutient, à propos de la presse spécialisée, comme c'est le cas pour les magazines gays et lesbiens, qu'elle est davantage « l'écho des idées et des goûts de ses lecteurs que des opinions et des choix de ses rédacteurs »38(*), c'est pour cela que les magazines font des sondages, des enquêtes, des questionnaires, des études marketing afin de bien connaître leur audience et s'ajuster ainsi à sa demande. Sans souscrire au fait que les représentations véhiculées sont celles des lecteurs uniquement, que les images vues dans la presse ne seraient que le reflet de la société, nous pouvons considérer que ces représentations et images contribuent à façonner, influencer le discours et les représentations des lecteurs. Il faut donc se placer dans une problématique de transmission de l'information, c'est-à-dire, que le lecteur ne va pas être passif, il ne va pas recevoir le message de façon autoritaire. Le sens du message est construit, négocié au niveau de la réception et pas imposé et seulement transmis aux récepteurs. « Les opérations de décodage vont faire appel à des capacités symboliques et cognitives des individus. Ceux-ci ne sont pas des réceptacles prêts à accueillir des contenus de culture. Ils sont actifs quand ils créent le sens ».39(*)

Cependant, nous avons pu constaté que le sujet de la presse présentait des réponses assez unanimes auprès de nos huit enquêtés. Nous avons pu remarqué que la plupart du temps, ils ont un regard critique vis-à-vis de cette presse.

Dans l'analyse du magazine pour interroger le terme de culture gay et de sa construction, nous ne pouvions pas nous placer du point de vue du lectorat, le décodage de l'information étant propre à chacun. En effet, les signes, les mots, les images peuvent donner lieu à des nombreuses et hétérogènes évocations pour chacun des lecteurs, selon leur sexe, leurs références sociales, leurs expériences personnelles...Cette question de la réception ne nous a pas paru pertinente dans ce sens là. Nous avons préféré effectuer quelques entretiens avec des personnes homosexuelles pour confronter les données que nous avons pu obtenir avec l'analyse des revues et la réalité, même objectivée. Nous n'avons pas choisi non plus de nous intéresser de prés à la conception du magazine, bien que les choix qui peuvent y être fait ont une signification certaine. Mais, étant donné qu'un magazine est destiné à être lu par le plus grand nombre, il est difficile de dire si ces choix sont réellement culturels ou s'ils ne sont que marketing.

III) Le traitement des données

Nous interprétons tous en fonction de schèmes de lecture, d'appréhension du monde qui nous appartiennent. C'est pourquoi, nous devons mettre au jour les grilles d'observation du matériau et d'analyse à des fins d'objectivation, de distanciation.

Le traitement des données pose le problème de l'objectivité, le discours analysé est naturel, donc beaucoup plus accessible donc plus facilement interprétable. Il faut mettre en place des « techniques de rupture » pour ne pas se laisser tenter par une simple « lecture du réel ». Ce qui est visé, c'est le dépassement de l'incertitude c'est-à-dire, si ce que nous croyons voir est effectivement contenu dans le discours, et l'enrichissement de la lecture, par la découverte de contenus et de structures confirmant ou infirmant ce que nous cherchons à démontrer.

1. Une analyse quantitative

L'analyse de contenu quantitative est une technique de recherche qui permet d'évaluer le contenu des textes de communication. Elle consiste à observer le message par le biais de grandes rubriques de classement qui forment les catégories thématiques de l'analyse. Le contenu est donc classé et éventuellement quantifié par des calculs de fréquences, ou de surfaces qui va donner lieu à une grille de catégorisation thématique. Cela va permettre de sélectionner ce qui est le plus pertinent pour la suite de l'analyse.

Pour cela, il faut choisir un mode d'enregistrement et de numérotation (la manière de dénombrer les messages) des données. L'unité d'enregistrement que nous avons retenue est celui du calcul de surfaces avec la page comme unité de numérotation. Par exemple, dire qu'il y a x pages de publicité sur x pages du magazine. Cela nous a permis de voir quels thèmes privilégier, ceux qui sont le plus significatifs, les plus récurrents pour pouvoir construire la grille de catégorisation.

Cette grille (cf. annexe) d'analyse de contenu est quantitative puisqu'elle permet de découper le corpus en surfaces, et thématiques puisqu'elle divise le corpus des rubriques pour l'organiser en différents thèmes. La grille, ainsi organisée (en 4 thèmes principaux) prend en compte la totalité des contenus et permet de dresser un portrait général du contenu du magazine. Nous n'avons pas soumis les entretiens à une analyse quantitative rigoureuse. Ce matériau nous a principalement fourni des appuis ainsi qu'une mise en perspective de ce que nous avons pu trouvé pertinents dans l'analyse des revues.

Cette analyse quantitative a été administrée sur le corpus que nous avons précédemment défini, c'est-à-dire sur les 11 numéros de l'année 2001 du magazine Têtu. Pour chaque page, les images et les textes ont été pris en compte comme formant une entité. Nous avons distingué entre les surfaces publicitaires et les surfaces proprement rédactionnelle, une surface que nous nommons auto promotionnelle où l'on range les éditoriaux, les sommaires, les publicités pour le magazine ou son site internet, les coupons d'abonnement et les concours lancés par le magazine. Dans l'analyse qualitative qui va suivre, nous n'avons pas pris en compte les surfaces publicitaires ni les surfaces auto promotionnelles. Nous n'avons également pas traité le supplément vendu avec le magazine L'agenda de Têtu.

La grille de catégorisation se divise en 4 grands thèmes :

1. Le rapport à la mode, l'esthétisme et la sexualité

2. L'actualité gay et lesbienne en France et dans le monde

3. Les informations socio-culturelles

4. Autres (rassemble des éléments hétérogènes)

Le rapport à la mode, l'esthétisme et la sexualité

Dans cette rubrique thématique, nous avons rangé tout ce qui réfère aux soins du corps, de l'homme uniquement (rubrique récurrente : Beau). Les articles sont consacrés aux différentes parties du corps qu'il faut entretenir, de la tête aux pieds, en passant par des articles sur la forme, les produits de beauté masculins ou encore sur des instituts de beauté. Cette partie pourrait très bien se retrouver dans des magazines typiquement masculins comme FHM ou Men's Health. Nous avons également regroupé dans cette rubrique thématique, tout ce qui concerne la mode vestimentaire. Là aussi, tous les mois le magazine offre une rubrique qui y est spécialement consacrée (Garçonnière) aux accessoires, aux vêtements qualifiés de tendance. Là encore, ces pages sont exclusivement destinées aux hommes. On trouve aussi pour une large part des photographies de style pour présenter différents modèles, différentes collections de créateurs ainsi que des photographies que nous avons nommé photographies artistiques, de photographes plus ou moins célèbres, qui ont capturé l'esthétique homosexuelle, masculine uniquement. Enfin, nous y avons classé tout se ce qui se rapporte à la sexualité des gays, et pour une faible part, des lesbiennes, comme par exemple des enquêtes et reportages entièrement consacrés au sujet. En ce qui concerne les rubriques de vidéos et DVD pornographiques se trouvent dans la rubrique thématique des informations socio-culturelles et le courrier qui aborde les problèmes liés à la sexualité dans la catégorie « Autres ».

L'actualité gay et lesbienne en France et dans le monde

Cette rubrique concerne toute l'actualité qui va toucher de prés ou de loin les homosexuels aussi bien en France que dans le reste du monde (affaires pénales, juridiques, lois, associations, mobilisations, sport, show-biz...). Tous les mois, un certain nombre de pages est consacré aux brèves qui sont classées par pays, mais aussi une revue de presse internationale. On classe ici, également tous les reportages, enquêtes et dossiers spéciaux, comme par exemple : « L'état des lieux des droits des homosexuels dans le monde », « Le suicide des jeunes homosexuels » ou encore  « La vie gay en Argentine ». Nous avons classé aussi dans cette rubrique, toutes les informations relatives au virus du sida, auquel est consacré chaque mois une rubrique (Têtu +) dans le magazine. Notons également que depuis l'année 2000, Têtu publie un supplément par an entièrement dédié au sida.

Les information socio-culturelles

Cette rubrique rassemble les articles et les critiques sur le cinéma, la littérature, la musique et la télévision, ainsi que des interviews de personnalités gays ou non. Le magazine peut servir de guide dans ces domaines. Nous avons classé ici aussi les dossiers plus complets sur la télévision, le cinéma homosexuel ainsi que sur la pornographie masculine. Tous les mois, le magazine rend hommage à une personnalité homosexuelle disparue, c'est dans cette rubrique thématique que nous avons rangé ces articles.

Autres

Cette rubrique rassemble des éléments hétérogènes, comme par exemple, le courrier des lecteurs (courrier en général et courrier spécifiques aux 15-20 ans), les différents billets d'humeur que l'on peut trouver : La chronique d'Axelle, Chatting with la chocha, Une folle à sa fenêtre... et depuis le mois de septembre 2001, l'horoscope.

Les résultats seront intégrés à l'analyse qualitative, et commentés dans les différents chapitres. Cette analyse quantitative nous a permis de dresser le contenu du magazine et de nous diriger vers les espaces intéressants à étudier en fonction de nos axes de recherche.

2. L'analyse qualitative

L'analyse de contenu appliquée qualitativement se découpe en 3 étapes40(*) : la pré-analyse, l'exploitation du matériel avec le traitement des résultats, l'inférence et l'interprétation...C'est une méthode sûre pour dégager le sens, formuler et classer tout ce que contient un document41(*). Tout document, parlé, écrit ou sensoriel contient potentiellement une quantité d'informations sur la personne qui en est l'auteur, sur le groupe auquel elle appartient, sur les faits et évènements qui y sont relatés, sur les effets recherchés par la présentation de l'information, sur le monde ou le secteur du réel dont il est question. L'analyse de contenu se veut une méthode capable d'effectuer l'exploitation totale et objective des données informationnelles. Elle doit permettre, a priori, d'éliminer la subjectivité du chercheur, le recours à l'intuition et aux impressions personnelles.

La pré-analyse est la phase d'organisation, elle a pour but l'opérationnalisation et la systématisation des idées de départ permettant d'aboutir à un plan d'analyse. Ceci implique le choix des documents à soumettre à l'analyse, dans notre cas, un corpus de 11 numéros de la revue Têtu d'une année, la formulation des hypothèses et des objectifs. Il faut d'abord procéder à une lecture flottante, une lecture intuitive, très ouverte à toutes idées, réflexions, hypothèses ou guidées par certaines hypothèses provisoires. La revue est destinée aux gays et aux lesbiennes, les personnes qui la lisent se considèrent donc a priori comme tels. On pourrait se dire que l'acheter, c'est déjà s'inscrire dans un groupe spécifique. La revue serait même pour certains, notamment aux individus vivant en province isolés de tout rapport avec l'homosexualité, un soutien et un trait d'union avec la vie gay.

Au fur et à mesure, la lecture devient plus précise en fonction d'hypothèses émergentes, de la projection sur le document de théories adaptées...Pour en savoir plus sur le message que l'on analyse, il faut mettre une distance avec ce que l'on lit et bien se rendre compte que la communication suggère un émetteur et un récepteur. Dans le cas présent, l'émetteur est le journaliste et le récepteur est, a priori, un public de gays et lesbiennes. Il serait intéressant de voir, par exemple, si certains articles ont une fonction d'identification, s'ils incorporent le lecteur dans son discours. Cela peut se voir en observant les marques de l'énonciation qu'emploie le journaliste c'est-à-dire s'il emploie un « nous » pour parler des gays et des lesbiennes, laissant ainsi suggérer l'idée d'appartenance à une même communauté.

L'analyse de contenu thématique consiste à découper le corpus selon les thèmes choisis (cf. grille d'analyse en annexe).

L'analyse de l'énonciation participe également à l'analyse qualitative des données. Les travaux autour de l'énonciation s'organisent sur des principes issus de la linguistique. Ils partent du principe que tout message implique une interaction, car la parole s'adresse toujours plus ou moins explicitement à un interlocuteur. La revue est constituée de locuteurs qui s'adressent à des lecteurs. Le message véhiculé par la revue est destiné aux lecteurs. Ici, le lectorat est majoritairement voire uniquement gay et lesbien (les études sur le lectorat montrent qu'il est réparti de manière inégale selon le sexe, en faveur des gays et au détriment des lesbiennes). Il s'agit de trouver dans les messages les marques de l'interaction, dans les textes ainsi que dans les images. L'analyse de l'énonciation se fait à travers l'analyse des formes rhétoriques. Elle s'attache à relever les marques, les indices d'opinion, de jugement, ce qui peut manifester une sollicitation. De plus, il me semble que le ton (ironique, revendicatif, moqueur...), la façon de représenter et d'évoquer les sujets sont aussi très importants. C'est pourquoi, il faut procéder à une analyse formelle du contenu de ces revues.

L'analyse sémiotique

L'analyse sémiologique peut s'appliquer notamment à des couvertures, des publicités ou mêmes des articles. Cette méthode a été décrite par Roland Barthes dans l'article « la rhétorique de l'image »42(*). Il la décrit comme adaptée particulièrement aux images publicitaires qui sont construites à partir d'une intention (comme la couverture de la revue étudiée ici). L'analyse des différentes couvertures du magazine est intéressante car elles constituent la première surface visualisée par le lecteur potentiel : elle est donc vue et éventuellement regardée avec attention par un grand nombre de personnes grâce notamment aux nombreuses campagnes d'affichage urbaine (métro, gare, devanture de kiosque...). Il faut noter au passage que le fait qu'un magazine destiné à un public homosexuel figure dans ces campagnes d'affichage peut être significatif d'une réelle évolution. Les couvertures sont construites comme la vitrine du magazine et révèlent ainsi par leur graphisme, le choix de l'image et des titres accrocheurs, le positionnement, l'identité revendiquée du journal. Elles peuvent être l'objet d'une analyse sémiologique de R.Barthes, car comme les publicités, elles sont le fruit d'une intention de construction du sens de l'image, dans la mesure où elles doivent être la vitrine du magazine.

CHAPITRE III ) L'IMAGE DE L'HOMOSEXUALITE

Sans revenir sur l'historique complète de ce qu'ont pu être les différentes représentations de l'homosexualité à travers les époques, nous en évoquerons dans cette introduction les grands traits allant d'un imaginaire en construction à une émancipation esthétique43(*). En effet, les représentations vont influencer les acteurs c'est-à-dire, dans le cas présent, les homosexuels. Ces représentations, ces images peuvent venir de l'opinion publique mais aussi des homosexuels eux-mêmes. C'est à partir de la Renaissance que se développe dans la littérature et dans les arts l'imagerie homo-érotique qui se caractérisait alors par une exaltation de la beauté masculine ou par la mise en scène des genres avec le travestissement (la confusion des genres aussi bien pour les femmes que pour les hommes). Le XVIIIiéme siècle voit apparaître l'image du bel efféminé pour les homosexuels et celle de l'androgyne pour les homosexuelles (le terme de lesbienne n'existait pas encore). De plus en plus, les homosexuels vont faire évoluer leur propre représentation jusqu'à rejeter l'image de l'efféminement car trop rattaché au monde des femmes, le texte de Platon « Le banquet »44(*) devint le texte fondateur de l'imagerie homosexuelle avec une mise en avant du culte de la virilité et du rejet de la femme. Cependant, l'intérêt croissant de la médecine et des psychiatres pour l'homosexualité va lier ce phénomène à celui de la décadence. Mais ce terme d'avant-garde fut associé à la modernité artistique et littéraire et devint le symbole d'une sensibilité exacerbée et d'un esthétisme raffiné, d'un goût prononcé pour la provocation, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, notons les apports importants du saphisme dans la production artistique. Cela va se traduire par l'émergence de modèle tel que celui du dandy véhiculé par Oscar Wilde ; la provocation devint un moyen de s'affirmer. En Europe, le contexte de la guerre va favoriser le thème de l'amitié virile. Beaucoup d'homosexuels ont construit leur identité sur le culte de la masculinité, le refus de l'efféminement et le mythe de la communauté d'hommes inspiré de la Grèce Antique. Cette amitié virile va s'exprimer également par le culte du corps et le culte de la jeunesse qui vont constituer un idéal homo-érotique. Il va donc s'opérer une rupture dans les représentations : le désir homosexuel ne passe plus forcément par la négation du sexe et le recours au néo-platonisme comme le voulaient les représentations antérieures. La célébration du corps androgyne symbolisait, pour la jeunesse des années 20, apolitique, américanisée, la rupture avec la génération qui avait entraîné le monde dans la guerre. Derrière cet effort d'indifférenciation, on pouvait lire la volonté d'effacer la distance entre les sexes, et de créer une beauté nouvelle, dégagée des stéréotypes. Petit à petit va se dessiner l'émancipation esthétique. Malgré la censure des médias, l'homosexualité est portée à l'écran ou en image avec des films ou des photographies dont il fallait décrypter les codes. Puis vont apparaître des magazines spécifiquement homosexuels avec l'émergence d'une iconographie propre (dessins, photographies, bandes-dessinées...). Aujourd'hui, l'homosexualité est présente dans tous les médias, la représentation a évolué mais de nouveaux stéréotypes demeurent.

Nous allons voir, à travers les images véhiculées par le magazine Têtu, quelles sont les images actuelles de l'homosexualité, si ces représentations correspondent à la réalité et quel rôle vont jouer ces images sur les acteurs.

I ) Une mise en vitrine de l'imagerie homosexuelle ?

Les images photographiques constituent un peu plus de 20% de la surface totale du magazine pour la période étudiée (cf. tableau en annexe). A la vue de ces pages, nous constatons l'absence totale des femmes, nous pouvons donc dire que Têtu véhicule une image de l'homosexualité masculine uniquement. Ici, nous entendons images par tous ce qui est photographies de mode ou photographies artistiques. Ce chapitre va donc être consacré à l'image de l'homosexualité masculine dans la presse.

Une analyse systématique des couvertures45(*)

Les couvertures de magazine se prêtent particulièrement bien au modèle d'analyse sémiologique décrit par Roland Barthes (cf. chapitre II). En effet, comme les publicités, elles sont le fruit d'une intention de construction du sens de l'image, dans la mesure où elles doivent être la vitrine du magazine. C'est d'ailleurs le cas des surfaces que nous appellons  autopromotionnelles  comme les offres d'abonnement, car elles font de la publicité en quelque sorte pour le magazine.

Nous avons effectué l'analyse des images des couvertures (voir exemple en annexe) suivant l'article « La rhétorique de l'image » de Roland Barthes46(*). Selon lui, l'image comporte 3 messages :

§ Le message linguistique

§ Le message symbolique ou connoté

§ Le message littéral ou dénoté

La première remarque que l'on peut faire à la vue de ces 11 couvertures, c'est, qu'aucune ne s'adresse directement aux lesbiennes. Toutes, sauf 2, s'adressent aux gays, en y affichant un homme plutôt jeune et plutôt beau, selon les modèles valorisés actuellement. Si l'on regarde l'ensemble des couvertures depuis que le magazine existe, sur un total de 75 numéros, on dénombre seulement 6 couvertures s'adressant directement aux lesbiennes. Il faut noter également que cela fait 3 années de suite que le magazine sort un numéro d'été « spécial plage » et que celui-ci s'adresse exclusivement aux hommes et est très spécialement orienté vers le sexe.

Il y a donc une mise en avant de l'homosexualité masculine dans les images. Si l'on regarde les chiffres concernant le lectorat47(*), on retrouve la même tendance : 85% des lecteurs sont des hommes homosexuels. Il faut donc se demander s'il n'y aurait pas là dessous qu'une simple logique marketing ? Nous pouvons nous demander en effet, si les lecteurs homosexuels masculins liraient autant le magazine si les couvertures étaient un peu plus mixtes ou si seul le fait de mettre un beau jeune homme en couverture les influence ?

Au travers de ces 10 couvertures - nous excluons volontairement celle du mois de Février avec Charlotte Rampling - nous voyons se dessiner une certaine récurrence. Tout d'abord, il est question dans tous les cas, de jeunes hommes peu vêtus. La composition en âge du lectorat, montre qu'il se situe pour une large part entre 25 et 34 ans (46%) mais nous ne pensons pas que ce chiffre soit significatif pour expliquer la récurrence de la jeunesse à travers les couvertures. En effet, il semblerait que l'une des « valeurs » véhiculée par la communauté gay soit celle de la jeunesse, le « culte » de la jeunesse. Les couvertures de Têtu répondent bien à ce schéma. Les gays semblent être liés au culte du corps et plus principalement celui du corps jeune.

Avec une analyse systématique de ces couvertures, nous pouvons remarquer que le message linguistique, c'est-à-dire, les différents titres portés à la une, n'ont rien à voir avec l'image qui est généralement tirée des pages mode48(*) du magazine (7 fois sur 11 sur notre corpus). Cependant, au vue des différents clichés, on est en droit de se demander si le but de ces photographies est réellement de promouvoir tel ou tel vêtement, ou si ce n'est pas un genre de prétexte à la mise en scène des corps. Les modèles qui sont mis en avant sur ces couvertures répondent tous au critère de la jeunesse, de la beauté et de l'érotisation. Ils ciblent un lectorat qui est majoritairement homosexuel et masculin mais les images, nous le verrons, ne sont pas toujours spécifiquement gay.

1. Le culte du corps et de la jeunesse

Si on en croit ce que nous dit et ce que nous montre le magazine, le culte du corps est au coeur de l'imaginaire et du mode de vie des gays. Le corps doit être sculpté, épilé, décoré, parfumé...Il y a là un certain effort d'homogénéisation mais tous les homosexuels ne se comporte pas forcément ainsi. Le souci esthétique semble donc être extrêmement important : « C'est l'horreur, si tu n'es pas hyper bien goalé, crâne rasé, sein percé et bien sûr monté comme un âne, tu n'existe pas, et de surcroît tu as passé les 30 ans, tu n'as plus qu `à te ranger des voitures. Ta vie sexuelle est quasi terminée. »49(*). Ce témoignage montre la « loi » qui peut exister au sein de la communauté gay. Certains entretiens que nous avons réalisé insistent sur ces valeurs qui sont défendues par les homosexuels entre eux, à savoir la beauté, la jeunesse et la tendance : « Y'a une norme de la beauté », « on peut mal imaginer Têtu faire un pamphlet sur la mocheté », « ils disent [...] si t'es moche arrange-toi ! » (Laurent, 22 ans, étudiant). Cependant, les discours que nous avons recueilli semblent portés un regard critique sur cette singularité présente dans les pages du magazine, que ce soient les garçons ou les filles :

« Un peu superficiel dans l'ensemble » (Benoît, 28 ans, ingénieur)

« Mon avis, c'est que toutes ces images sont des provocations...elles renvoient une image qui n'est pas forcément réelle... » (Sophie, 23 ans, étudiante)

« Pourquoi les couvertures des magazines gays sont-elles toujours plus ou moins orientées cul...Pour moi c'est que du négatif » (Pascale, 39 ans, enseignante)

« [...] ça c'est des photos pour mettre en valeur le magazine mais pour moi, y'a aucune valeur qui est représentée vraiment dans ce magazine » (A., 27 ans, artiste)

« Il est temps de passer à autre chose que la provoc' pour continuer de faire avancer nos droits » (E., 23 ans, cadre).

Les individus que nous avons interrogé ont donc, a priori, conscience de ce qu'il leur ait proposé dans cette revue. Ils dénoncent certaines directives suivies par le magazine. Pourtant, malgré le fait de critiquer le côté superficiel et singulier de Têtu pour ce qui est des modèles, les garçons interviewés montrent une certaine distinction entre eux et ceux qu'ils considèrent comme trop féminin. Cela peut se lire dans la linéarité de leur discours.

La beauté mais aussi la virilité serait alors une exigence. Dans de nombreuses petites annonces, on peut lire : « Folles s'abstenir », il y a donc bien une stigmatisation des homosexuels entre eux. On pourrait appeler cela une norme homosexuelle, la dictature du corps beau, jeune et masculin. Cette masculinité va s'exprimer uniquement à travers les images, les textes n'ont pas cette vocation.

Depuis, les années 60, on note un renouveau de la thématique corporelle50(*). L'apparence devient un souci croissant même si elle ne concerne d'abord que les femmes et les groupes sociaux les plus favorisés. La montée de l'individualisme va venir renforcer le rapport des individus avec leur propre corps. De plus, ce dernier devient une valeur en soi. Ainsi, de nouvelles pratiques corporelles apparaissent à des fins de santé ou de conformation à un modèle esthétique. On connaît l'importance du paraître, de l'apparence dans la société actuelle. Le thème du rapport au corps a peu été abordé durant les entretiens.

Les couvertures montrent toutes un rapport au corps ou à l'apparence évident, comme s'il s'agissait de montrer un certain modèle d'esthétisme, un idéal-type. Cependant, on ne retrouve pas dans cette presse gay énormément de conseils de bien-être, de santé que l'on trouve dans la nouvelle presse masculine. Seule une rubrique dévoile un véritable marché de la beauté masculine (Rubrique « Beau ») qui ne représente que 3% de la surface rédactionnelle totale sur l'ensemble du corpus. L'imaginaire homosexuel semble véhiculer un certain idéal de beauté. D'après l'analyse des couvertures, l'homme considéré comme beau doit avoir l'air viril et ne doit pas forcément « avoir l'air » d'être gay. C'est en effet ce que l'on constate. D'ailleurs si l'on regarde l'ensemble des supports gays comme les vidéo pornographiques, les publicités de messagerie téléphoniques, les flyers de soirée... on retrouve la même image de ce corps sublimé, plutôt viril.

2. Une apparence vestimentaire, corporelle et esthétique typiquement homosexuelle ?

On l'a vu, les valeurs qui semblent être défendues par les couvertures sont celles de la masculinité, de la virilité, de l'esthétisme mais aussi celle de l'érotisation des corps, et il n'y a pas forcément de référents, de codes ou de symboles homosexuels évidents (comme par exemple la casquette militaire de la 1ère couverture ou Doc Gynéco en train de se mettre du rouge à lèvres). L'image pourrait très bien servir pour un magazine féminin ou masculin. On a donc là une image de la masculinité et de la virilité universelle, il n'y a pas (ou plus) de masculinité typiquement homosexuelle. Même si les corps ne sont pas extrêmement musclés, les muscles étant une des plus grandes affirmations de la virilité, le corps est magnifié.

On pourrait comparer cette constatation aux vestiges de l'Antiquité où l'éphèbe encore imberbe était le canon de beauté. Le torse épilé est très répandu à travers les couvertures de Têtu. L'imberbe symbolise une sorte d'éternelle jeunesse. Pourtant le poil reste l'expression même de la virilité. Les photographies sont très présentes dans la revue, les plus nombreuses sont celles qui présentent des modèles portant les dernières nouveautés de créateurs. Rappelons que ces images représentent 17% de la surface rédactionnelle totale sur l'ensemble du corpus, c'est d'ailleurs la part la plus importante comparée à toutes les autres rubriques. Cependant, pour vanter ces différentes tenues, les photographies mettent en scène des thèmes que l'on pourrait qualifier de ciblés et même de stéréotypés (cf. annexe des illustrations).

Prenons quelques exemples :

· « 69 » (n°52) : ce thème met en scène un univers très kitch avec 2 garçons à la beauté lisse et juvénile. Il y a donc ici un rappel à la jeunesse.

· « Les garçons d'Agadir » (n°53) : ces clichés mettent en scène une bande de jeunes copains au Maroc. C'est l'été, ils sont bronzés, ils sont très masculins, en maillot de bain moulant, ils se regardent, se prennent par le cou...rien ne laisse supposer un seul instant qu'ils sont homosexuels mais on peut évoquer à la vue de ces images, l'idée d'une amitié virile entre hommes qui répondrait à une certaine représentation de l'homosexualité que nous avons rappelée en introduisant ce chapitre.

· « Alone togheter » (n°54) : ces pages évoquent clairement l'androgynie avec des modèles asiatiques jouant sur la confusion des genres.

· « Goodnight princess » (n°55) : c'est le nom d'un tour classique (gud'nait prin'ses) dont se servent les gigolos brésiliens pour dérober la garde-robe des vacanciers étrangers. Ce thème évoque donc ces gigolos avec des plumes, des strass, des paillettes, un peu à la façon du carnaval de Rio.

· « Glad you game » (n°56) : ce thème met en scène des hommes de différents styles en pleine jouissance. Le message n'est pas toujours clairement homosexuel, mais certains éléments viennent cibler ce message.

· « Splash » (n°57) : ici, on retrouve deux garçons selon le thème de l'amitié également mais plutôt dans le genre dandy que nous avons évoqué en introduction, dans le genre publics schools des années 50 favorisant les amitiés particulières.

· « Camping zone »(n°58) : ces photographies montrent un seul modèle avec une évocation de virilité tantôt avec des attributs militaires, tantôt avec des attributs de bad boys à la limite casseur de pédé, selon l'avis d'un lecteur dans la rubrique Courrier.

· « Garçons coiffeurs »(n°58) : le titre même du thème évoque tout de suite l'homosexualité d'un point de vue stéréotypé. Les images montrent des garçons à l'allure très efféminés dans un style rétro (photographies en noir&blanc, chaussettes jacquard, veste en pied de poule, béret, mocassins...).

· « Rod & Johnny » (n°60) : les images sont en noir&blanc, les hommes sont vêtus de cuir et chevauchent une grosse cylindrée. On est ici dans une esthétique renvoyant à l'image de l'homosexualité d'une certaine époque.

· « Xmas from Transylvania » (n°62) : dans ce thème règne la confusion des genres (travestissement) et de nombreux référents sado-masochistes.

On voit donc que si les couvertures ne sont pas toujours clairement homosexuelles, l'imagerie véhiculée par les pages mode semble être plus ciblée, elles mettent en avant une certaine érotisation des corps plus poussée que celle que l'on peut voir sur les couvertures (certaines pourraient presque tomber dans la pornographie), un certain modèle d'esthétisme (la virilité, l'androgynie, la confusion des genres...), une certaine référence homosexuelle (coiffeurs, cuir...) mais aussi une certaine fantaisie dans le vêtement.

En effet, selon la structure thématique que nous avons suivie, on peut constater que le thème du rapport à la mode représente presque un quart de la surface rédactionnelle totale sur l'ensemble du corpus. L'apparence reste donc un thème privilégié et le mot d'ordre est celui de la tendance. Au départ, il y avait de véritables codes vestimentaires chez les homosexuels : cuir, militaire, moustache, piercings...tout ces codes ont existé à un moment donné. Bien sûr, aujourd'hui, ils n'ont plus une signification si claire, ils correspondent à des époques, et certainement aussi à un besoin de se constituer une identité collective dans une société plutôt hostile à l'homosexualité. Cette démarche pouvait ainsi fonder un sentiment d'appartenance. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus concrètement parler d'une mode homosexuelle spécifique, les garçons que nous avons interrogé disent ne pas suivre ce qui est tendance chez les gays : « La mode vestimentaire...des gays...non je pense pas que je la suive en ce moment...en plus est-ce qu'il y a une mode exclusive aux gays...je pense pas...avant oui sûrement...[...] Bon c'est sûr que les boutiques de fringue du Marais...t'as des trucs de fou...des bodys et tout...c'est sûr que c'est pas des trucs que je mettrais mais bon...mais je pense pas que tous les homos aujourd'hui...du moins dans la jeunesse gay, je pense qu'i y a plus une indépendance vestimentaire que ce qui avait à l'époque » (Laurent, 22 ans, étudiant) « Maintenant même les hétéros s'y mettent » (Florent, 21 ans, travaille dans la radiothérapie)

« Pour la mode par exemple, je préfère me calquer sur les bonnes idées des beaux garçons dans la rue que sur ce qui est proposé dans les magazines » (Benoît, 28 ans, ingénieur).

II ) Une remise en question des modèles reçus

1. L'omniprésence du sexe

Il est clair que les couvertures de Têtu sont aguicheuses, d'une part parce qu'elles mettent en scène de beaux jeunes hommes et que le lectorat est fortement majoritaire chez les homosexuels masculins et d'autre part, parce qu'elles dégagent souvent un rapport à la sexualité, et qu'il est bien connu, que le sexe fait vendre. C'est pourquoi, Têtu attire l'oeil avec de telles images mais aussi avec des titres qui accrochent :

· « Sexe : le porno vintage », « Saunas gay : vapeurs au banc d'essai » (n°52)

· « Sexe : made in France » (n°54)

· « Backrooms : sex-clubs à l'essai » (n°56)

· « Photo : le nouveau nu masculin » (n°57)

· « Le goût du sexe » (n°58)

· « Sexe : drague sur le net » (n°61)

Cette fonction est bien perçue par les lecteurs interrogés :

« Une couverture est faite pour attirer le regard. Je suis donc attirée par ce qui m'intéresse le plus [...] à cause des mecs et du mot SEXE... » (Benoît, 28 ans, ingénieur)

« Bon c'est sûr que les couvertures t'attirent l'oeil...moi quand je passe devant le kiosque, je bloque 2 heures... » (Florent, 21 ans, travaille dans la radiothérapie)

On ne trouve pas beaucoup d'articles consacrés directement au sexe (mis à part la rubrique sur les films pornographiques masculins gays qui ne représente même pas 1% de la surface rédactionnelle totale mais qui n'hésite pas à montrer des extraits photographiques plutôt choisis et plutôt crus des films), mais l'illusion y est omniprésente. Un seul numéro était réellement tourné vers le sexe (n°58). Le titre en couverture : « Le goût du sexe », l'image montre en jeune homme en train de manger une glace avec de la crème glacée qui coule, est donc fortement connotée, une connotation qui n'échappe aux lecteurs: « [...] le mec qui mange une glace avec le truc qui coule...bon...on peut pas tellement dire qu'il y a un message hétérosexuel derrière... » (Laurent, 22 ans, étudiant)). Ce dossier constituait plus de 30% de la surface rédactionnel du numéro :

« Bêtes de sexe ? »

« Je baise donc je suis pourrait être la devise du mouvement gay »

« Comment baise en 2001 ? »

« 7 mecs parlent librement et naturellement de leurs coups en backrooms, de la fidélité dans le couple et de leurs fantasmes »

« Ne croyez pas ceux qui affirment que la capote n'est plus à la mode » (présentation de différents modèles de préservatifs)

« La jeune génération lesbienne ne diabolise plus le godemiché et invente de nouveaux jeux amoureux »

« Où trouver un gode ? »

« Trop de sexe tue le sexe ? » (Interview d'un homme qui n'a pas fait l'amour depuis 6 ans)

« [...] plongée dans le monde underground de la partouze »

« Revue en détail de la batterie d'ustensiles sexuels à l'usage de la femme moderne »

« Le porno est-il la vraie vie ? »

Notons aussi que les photographies, que nous avons désignées comme artistiques, peuvent soit mettre en valeur un certain esthétisme masculin (« L'oeil du ring », le photographe britannique James A. Fox a capté l'univers des boxeurs. Extrait dans le n°59, ou encore les clichés d'Alair Gomes dédiés aux corps des hommes sur les plages de Rio dans le n°54. Cf. annexe d'illustration), soit, quelquefois être à la limite de la pornographie, et cela explique peut-être le fait que la plupart du temps Têtu est rangé sur les étagères du haut aux côtés des magazines de charme dans les librairies.

De plus, nous constatons, d'après une analyse des articles, que le sexe y est fréquemment abordé, et cela dans n'importe quelle rubrique :

· Dans un billet d'humeur, le journalisme évoque le fantasme de l'hétérosexuel : « Le mec qui laisse des annonces sur le 36 15 Mon Q comme hétéro cherche 1ère expérience avec TTBM [...] » (n°52)

· Dans une rubrique, un auteur gay doit tenir un journal pendant un mois : « [...] lui avec qui j'ai baisé chaque jour, seulement devant des vidéos de porno hétérosexuel. » (n°52)

· Dans un billet d'humeur : « Vous pouvez toujours faire confiance aux homosexuels pour inventer de nouvelles façons de trouver du sexe à toute heure. Après tout, ce sont bien eux qui ont inventé le concept du backroom » (n°53)

· Dans un billet d'humeur : « Et si les homos cessaient de se rendre dans les backrooms et se mettaient tous à leur fenêtre pour draguer[...] si ce mec se faisaient payer 10 balles pour [...], il pourrait rouler en porsche. » (n°53)

· Dans la rubrique Tendances, présentation d'un objet permettant d'augmenter la taille du pénis : « La solitude du pompeur de fond » (n°58)

Nous pouvons également remarquer que le magazine contient de nombreuses publicités pour des messageries téléphoniques ou des sites internet de rencontres pour hommes et que le but de ces réseaux est fortement orienté vers le sexe : sur la surface publicitaires du corpus de l'année 2001, cela représente 16% (cf. annexe d'illustration).

Le sexe est donc omniprésent dans la revue et est souvent désigné, que ce soit en images ou en textes, de façon crue. De cette façon, Têtu maintient en vigueur un certain nombre de stéréotypes, comme celui de la promiscuité sexuelle. Ce constat est assez critiqué dans les entretiens. Les filles dénoncent cette mise en avant du sexe masculin dans une revue destinée a priori aux gays et aux lesbiennes. Les garçons font la même chose, cependant on s'aperçoit, dans l'énoncé que certains font de leurs pratiques que cette promiscuité sexuelle est plus ou moins présente.

2. Le stéréotype à l'épreuve

Nous pouvons dire que les images que véhiculent le magazine sont des stéréotypes du mode de vie des homosexuels : excentrique (on l'a vu notamment à travers les pages mode du magazine), narcissique, très porté sur le sexe (bien que ceci puisse être vérifié dans le discours de certains interviewés)...alors on peut se demander d'une part, comment sont nés ces stéréotypes et d'autre part, pourquoi un magazine gay les véhicule encore ?

Comme nous venons de le voir, le magazine fait souvent référence à la promiscuité sexuelle homosexuelle. Cependant, d'où vient cette conception de promiscuité, si généralisé dans notre société ? Avant la libération gay des années 70, l'homosexuel était vu comme un malade pervers et représentait un danger à cause de son goût pour la promiscuité prédatrice51(*). Pendant la période de révolution sexuelle, homosexuels et hétérosexuels se sont livrés à différentes expériences comme l'amour libre, le couple ouvert...et autres. Cependant, alors que ces divertissements sexuels ont été considérés comme une phase passagère dans l'évolution des moeurs, chez les homosexuels, ils ont été perçus comme un attribut essentiel. Là où les hétérosexuels ont été rebelles, contestataires et bohèmes, les homosexuels ont acquis une nouvelle série d'étiquettes permanentes : frivoles, impulsifs, incapables de contrôler leurs désirs ou de maintenir une relation amoureuse durable. Puis est arrivée la tragédie du sida, identifiée dés le départ comme une maladie homosexuelle, il était alors perçu par la société bien-pensante comme un châtiment divin ou biologique de la promiscuité et de l'immoralité des homosexuels. Cette étiquette est restée et s'est superposée aux stéréotypes déjà existants. Cependant, les chiffres mesurant les contacts sexuels entre hommes homosexuels ne contredisent pas cette promiscuité. Nous pourrions ainsi parler d'une hypothétique nécessité chez l'homme, hétérosexuels ou homosexuels, d'accumuler les conquêtes sexuelles. Cela ne serait donc pas l'apanage des hommes homosexuels mais des hommes en général.

Comme nous l'avons évoqué dans le premier chapitre, les individus stigmatisés, comme le sont les homosexuels vont avoir tendance, consciemment ou inconsciemment, à s'accommoder des stéréotypes en vigueur. Ainsi, les homosexuels assimilent des formes socialisées pour exprimer leur orientation sexuelle, ils intériorisent des stéréotypes. Ils assimilent les images de l'homosexualité qui font partie d'une culture globalisée, comprenant certaines modes et un langage corporel particulier. Ils apprennent les stéréotypes en vigueur dans leurs propres pays. Par exemple, si la société locale considère que les homosexuels sont efféminés, les homosexuels adopteront des gestes et des manières efféminés. Voilà pourquoi les homosexuels sont plus stéréotypés, ou plus reconnaissables a priori comme tels, dans les pays où les rôles masculins et féminins sont plus différenciés et stéréotypés, c'est-à-dire les sociétés machistes. Mais les homosexuels vont apprendre aussi qu'ils sont, selon le schéma véhiculé dans l'opinion publique, inconstants, instables, impulsifs...ainsi, certains peuvent s'orienter vers l'apprentissage du jeu de la conquête sexuelle, de la promiscuité, du couple infidèle...On pourrait dire qu'ils intériorisent et jouent les rôles et les conduites que la société attend d'eux. La création d'une identité propre, c'est-à-dire l'individuation dans quelque domaine que ce soit, implique toujours un questionnement des stéréotypes.

3. La confrontation avec la réalité

Sans avoir une vision trop binaire des choses, il faudrait se demander si les images véhiculées par Têtu sont en quelque sorte le reflet de la réalité. On l'a vu, la réalité est construite par toute une série de modèles reçus par le stéréotype, par l'opinion publique...Ainsi, Têtu ne serait qu'un vecteur de plus pour affirmer ces modèles, au risque même de les valoriser et de les homogénéiser à l'ensemble des homosexuels. Il est bien évident que Têtu a un lectorat très large au sein de ce groupe, étant donné qu'il est le seul magazine fait par et pour les homosexuels au niveau national. Cependant, on voit qu'il ne cible qu'une partie de la population gay. Nous avons déjà vu qu'il était destiné principalement aux hommes alors que le sous-titre précise qu'il est un mensuel gay et lesbien. Cette orientation a été perçue par les personnes interrogées et dénoncée :

« Têtu, c'est beaucoup plus mec...c'est très mec », « Ils ne mettent pas en valeur les choses importantes...je lis pas Playboy, je vais pas lire Têtu ! » (A. 27 ans, artiste)

« Je pense que les homos parisiens se retrouvent tout à fait là de dans : fringues, sexe, bavardages... » (E., 23 ans, cadre dans le management)

« [...] on est très loin de la mixité gay / lesbienne ! » (Sophie, 23 ans, étudiante)

De plus, étant le seul magazine représentant de la presse gay en France, il est loin de prendre en compte tous les aspects de l'homosexualité, comme par exemple, le fait de vieillir. Certains, dans la rubrique du courrier des lecteurs, s'en plaignent et parlent même d'une gérontophobie, d'un « racisme anti-vieux » de la part du magazine :

« « N'y a-t-il pas de-ci de-là un peu d'anti-vieux ? Par exemple, dans le testing des saunas, on peut lire : « des physiques improbables, des âges incertains... » » (n°54)

« Vous récidivez dans votre dossier sur les backrooms en vous gaussant des gérontophiles et en ne reculant pas devant un ignoble « ça sent l'hospice ! » » (n°57)

« J'avais envie de vous dire mon regret que votre revue n'aborde pas (ou si peu) cette problématique de l'âge » (n°59)

A l'évidence, un magazine est fait pour satisfaire ses lecteurs, et on voit que seulement 12% du lectorat a 45 ans ou plus. Cela pourrait donc expliquer le manque d'intérêt du magazine pour cette tranche d'âge.

Enfin on pourrait citer un troisième exemple, celui du critère géographique. En effet, on voit que toutes les boutiques, les instituts de beauté, ou encore les soirées cités dans Têtu (ici je ne prends pas en compte l'Agenda, supplément de Têtu) sont situés à Paris. Or, sur ce point, on remarque que plus de la moitié du lectorat (55%) réside en province, nous pourrions voir là un défaut de représentation ou comme nous le verrons plus loin, une homogénéisation basée sur la population gay parisienne majoritairement.

En ce qui concerne la promiscuité sexuelle que Têtu semble ériger en valeur évidente de l'homosexualité masculine, à travers un certain nombre d'éléments, on pourrait démontrer que la réalité se construit autour de cette idée même si, on a pu remarquer, essentiellement avec l'arrivée du sida et les manifestations pour le PACS52(*), que les homosexuels exploraient de plus en plus des alternatives à la promiscuité et cherchaient à former des couples stables, et ce malgré ce que peuvent nous en montrer certains médias.

Extrait de la rubrique du courrier des lecteurs :

« Je me dis qu'à mon âge (22ans) ce serait normal d'avoir quelqu'un avec qui je puisse partager autre chose qu'une histoire de cul » (n°52)

« C'est pas parce qu'on est rentré dans le moule qu'on est heureux » (n°53)

« Beaucoup de mecs sur internet me disent « Moi je me suis fait tant de mecs...tu veux baiser ? », c'est toujours la même chose ». (n°58)

De plus, la réalité des entretiens que nous avons recueillis, bien qu'il faille tenir comptes des biais qu'ils comportent surtout en évoquant un sujet comme le sexe, montre que les garçons avouent plus ou moins fréquenter les sites internet de rencontres gays essentiellement pour des rencontres furtives :

« Internet [...] pour les plans cul un peu spécifiques, c'est un bon moyen de trouver plus facilement...[...] et puis même si je suis en couple, je fréquente des établissements gays de sexe, je suis pas du genre à ne plus sortir sous prétexte que je suis avec quelqu'un » (Benoît, 28 ans, ingénieur)

« Rencontres sexuelles...oui beaucoup [par internet] et en boîtes aussi...sexuellement, ouais en boîte ça peut arriver...De toutes façons, la plupart du temps, c'est de l'occasionnel...très peu de petit copain stable...le stable, c'est l'aspiration quand même...[...] De toutes façons, un mec qu'il soit hétéro ou homo... » (Laurent, 22 ans, étudiant)

« Moi c'est pareil [...] c'est surtout occasionnel...contrairement aux lesbiennes je pense...c'est le super côté qu'il y a chez les filles... » (Florent, 21 ans, travaille dans la radiothérapie).

La notion de promiscuité sexuelle n'est pas foncièrement recherchée mais elle est pourtant présente dans la linéarité du discours des interviewés. Une grande enquête au sein d'une population gay diversifiée et nombreuse permettrait peut-être de nous dire si Têtu offre une représentation acceptable de cette promiscuité ou si le trait est grossi du fait qu'ils se basent beaucoup, semble-t-il, sur une partie de la population homosexuelle assez ciblée et finalement minoritaire.

III ) Le rôle des représentations

1. Se conforter à la fois dans sa masculinité et dans sa « féminisation » ?

Cette entreprise n'est évidemment pas limitée aux homosexuels : les hétérosexuels aussi remettent en question tous les modèles reçus. Nous pourrions dire dans ce sens que la mode androgyne des années 90 représente un effort pour se libérer des rôles et des apparences traditionnels de la masculinité et de la féminité, pour créer un style de vie plus libre.

On l'a montré, Têtu véhicule une certaine valeur de la masculinité, de la virilité mais aussi, accentue une « féminisation » de l'homosexualité, que l'on va retrouver, d'une part dans les images (certains thèmes des pages de mode comme on a pu le voir) mais aussi d'autre part, dans les textes avec, par exemple, l'emploi de termes féminins pour se désigner soi et les autres :

« Moi, je dis, cette folle n'a donc rien d'autres à faire de ses journée ? » (n°53)

« Vous n'êtes que des folles libidineuses ! » (n°53)

« Il faudrait être folle pour dépenser plus » (n°53)

« Parfum de folle » (n°54)

« Mais qu'est-ce qu'elle est vaporeuse ! »

« Ce morceau va finir sur le répondeur de millions de folles sexuellement insatisfaites ! » (n°54)

« On rechute. On redevient conne » (n°56)

« Quand les copines ricanent... » (n°56)

« Que demandent les folles ? » (n°57)

« Moi quand je couche, je suis une vraie salope » (n°58)

« L'idée de la chienne passive, ça m'énerve » (n°58)

« Pour réveiller la coiffeuse qui est en chacun de nous » (n°61)

Comme on le constate, le terme de folle est souvent employé pour désigner les homosexuels, le magazine oscillerait donc entre une image de plus en plus formatée de l'homosexuel masculin et un renforcement du stéréotype. On retrouve cette tendance essentiellement dans les pages mode mais aussi dans les pages shopping dont on pourrait qualifier les textes de commentaire de précieux (cf. articles en annexe d'illustration) avec des petits conseils sur la façon de porter vêtements et accessoires. Ce constat est souvent critiqué dans les courriers des lecteurs :

« Les mecs ne sont pas bandants, la mode proposée est trop folasse. » (n°53)

« Je considère qu'être homosexuel est une chose et qu'enfiler un petit haut moulant à paillettes en est une autre. Je trouve que faire sa folle c'est alimenter les moqueries des homophobes . » (n°56)

« Trouvez-moi une seule représentation d'un jeune homo sans vêtements techno ni cheveux platine et qui écoute du hard-rock...Be (more) open-minded ». (n°62)

Il y aurait donc un cloisonnement entre les différents looks homosexuels, qui se fait essentiellement ressentir dans les critiques de ceux qui veulent débarrasser l'homosexualité des stéréotypes et des clichés qu'elle véhicule, et principalement celui de l'efféminement.

2. Un modèle d'identification ?

Les médias ont un certain pouvoir d'influence évident, Têtu est le seul représentant de la presse gay en France, il est le seul porte-parole d'un groupe social minoritaire. Son influence ne peut qu'en être encore plus importante, d'autant plus qu'il peut constituer pour certains individus plutôt isolés de tout référents homosexuels, le seul lien avec ce monde auquel il pense appartenir, le seul contact53(*) possible. Etant la seule image à laquelle ils ont accès, l'identification se fera en fonction d'elle pour favoriser leur insertion dans ce groupe auquel ils se réfèrent. Le risque qu'il peut y avoir, serait de créer un conformisme dû au modèle normatif et peu hétérogène offert par ce vecteur de la presse homosexuelle. Les personnes que nous avons interrogées semblent avoir conscience de cette homogénéité :

« Il faudrait qu'il y ait une contre-pensée...Têtu ont sur le dos le poids de la communauté gay... » (Florent, 21 ans, travaille dans la radiothérapie)

« Je pense qu'ils sont conscients de véhiculer une image qui est...euh...même pas communautaire...qui est une image parisienne déjà ça c'est certain...finalement l'image d'une homosexualité qui est une minorité...[...] nous, on a été assez « intelligents » pour faire la part des choses mais il y a des garçons ou des filles qui commencent très tôt à lire Têtu parce qu'ils enfermés au fin fond de l'Auvergne par exemple et ils vont avoir une vision de l'homosexualité qui va être que ça... » (Laurent, 22 ans, étudiant)

Longtemps perçus comme des marginaux ou des anormaux, les homosexuels ne seraient-ils pas, au bout du compte, producteurs de normes, dans leurs discours (véhiculé notamment par la presse) et leurs modes de vie ? N'existe-t-il pas au sein du groupe des homosexuels un conformisme d'attitudes et de pensées auxquelles il est de bon ton de souscrire, par superficialité, par confort ou simplement par désir de cohésion avec le groupe ? Evoquer les normes serait aussi voir en quoi elles peuvent être porteuses d'exclusion ou inadaptées pour certains homosexuels.

Têtu crée et diffuse un imaginaire corporel, esthétique par son discours, essentiellement à travers les images :

« Les images sur papier glacé sont magnifiques, mais hélas, elles ne reflètent pas véritablement notre vie quotidienne, faites de stress, d'exclusion et de mal être. » (Extrait du courrier des lecteurs du n°52). Ce témoignage montre bien que Têtu se base sur une homogénéisation des homosexuels qui se référencerait à une certaine vision de l'homosexualité, c'est-à-dire qu'elle risque de correspondre à une minorité au sein de la minorité. Malgré les témoignages en ce qui concerne la mode que nous avons recueillis, à savoir qu'aujourd'hui, il n'est plus vraiment question d'une mode typiquement homosexuelle mais plutôt d'une relative indépendance vestimentaire, nous constatons que le modèle que diffuse Têtu est la plupart du temps peu représentatif de ces lecteurs (uniquement d'après le courrier des lecteurs et des entretiens que nous avons réalisé).

Aujourd'hui, l'esthétique homo-érotique dépasse largement la sphère homosexuelle. On assisterait même à une « normalisation » de l'image de l'homosexualité. En effet, cette image gagne en visibilité dans les médias, que ce soit dans les productions audiovisuelles, comme le cinéma ou la télévision, mais aussi dans les publicités, les publicitaires étant conscients du pouvoir d'achat des gays mais aussi de leur influence en matière de mode. Ainsi, les habitudes vestimentaires des gays, mais aussi des lesbiennes auraient constitué une histoire parallèle dans l'évolution de la communauté homosexuelle. Si chez les gays, le look identitaire a d'abord été une manière de se distinguer des hétérosexuels, son évolution récente brouille de plus en plus les pistes. Ni le tatouage, ni la boucle d'oreille, ni les cheveux décolorés n'est plus l'apanage des homosexuels comme à une certaine époque.

Pour clôturer ce chapitre, nous pourrions dire que Têtu veut réhabiliter une nouvelle image de l'homosexualité, proche de l'image de l'homme véhiculé par la presse masculine actuelle54(*), tout en conservant un recours aux stéréotypes soit par souci de reconnaissance, soit par désir de provocation, soit réellement par idéologie. Là encore, il est difficile de donner les intentions exactes du magazine.

CHAP. IV ) LES RAPPORTS DE SEXE ET DE GENRE AU SEIN DE LA SPHERE HOMOSEXUELLE

Nous avons souhaité traiter ce thème au vue de la quasi-absence des lesbiennes dans un magazine se disant « un mensuel gay et lesbien » mais aussi du fait que les représentations de l'homosexualité sont quasi-exclusivement masculines. On dénombre à peu prés 2,2% de la surface totale (c'est-à-dire, même en comptant les publicités et les surfaces autopromotionnelles) du corpus, destinée exclusivement aux lesbiennes, ce qui équivaut à une trentaine de pages sur les 1388 du corpus (cf. résultats quantitatifs en annexe). La rédaction de Têtu étant constituée à 85% d'hommes et le lectorat à 85% d'homosexuels masculins, on aurait là un facteur d'explications de l'absence de sujets lesbiens. Mais cette constatation ne se vérifie pas seulement dans la presse spécialisée mais aussi dans de nombreux autres médias. Lorsque l'on évoque l'homosexualité, c'est toujours en référence à l'homosexualité masculine. Le vocabulaire nous montre également qu'il y a beaucoup plus de termes qui permet de désigner les gays (de façon neutre ou péjorative) que les lesbiennes.

Ce thème n'est pas représenté dans la revue que nous avons choisi d'analyser, c'est pourquoi, il nous a semblé pertinent de le mentionner. Il existe en France, une revue destinée uniquement aux lesbiennes mais elle ne nous a pas paru révélatrice d'éléments de construction culturelle. Le magazine Têtu a lui-même publié une seule et unique fois un numéro spécial filles en supplément : Têtu madame, mais étant donné que l'opération ne s'est pas renouvelée, il était difficile de l'analyser comme données pertinentes.

Dans ce sujet qui souhaite aborder l'idée d'une culture homosexuelle, il nous a semblé nécessaire de s'interroger sur cette question de la mixité au sein de ce qu'il est de bon ton d'appeler la communauté homosexuelle quand on sait que la notion de communauté a tout de même pour but de transcender différentes frontières.

I ) La confusion des genres ?

1. Le sexe comme donnée biologique qui dichotomise le genre humain

Les attributs psychologiques et sociaux de l'homme et de la femme découlent naturellement de la différence biologique. Ces attributs sont également dichotomisés dans le but de délimiter les sphères du masculin et du féminin. La hiérarchie sociale implique un rapport de domination des hommes sur les femmes. Il a été montré que ce rapport est à l'oeuvre dans des structures et des fonctionnements asymétriques à tous les niveaux.

La sexualité humaine implique nécessairement la coordination d'une activité mentale et d'une activité corporelle, qui doivent toutes deux être culturellement apprise55(*). Le genre va structurer la sexualité, en inscrivant les actes et les significations de la sexualité dans une logique de rapport inégaux. Ainsi, il y aurait à la base, une différence d'attitude fille / garçon dans le domaine de la sexualité. La socialisation sexuelle va donc s'effectuer de manière différente chez les garçons et chez les filles. Prenons le cas de l'homosexualité dans nos sociétés. Les jeux sexuels sont plus fréquents chez les jeunes garçons que chez les jeunes filles : regarder, comparer, toucher les organes génitaux sont des activités communes chez les garçons et ne sont pas considérées comme des signes d'homosexualité. Au contraire, elles font partie de leur initiation à la masculinité56(*). En revanche, les élans affectifs, les baisers, les sentiments d'amour entre garçons sont mal perçus car considérés comme des signes d'homosexualité. C'est tout le contraire pour les jeunes filles qui pendant leur adolescence peuvent développer des liens affectifs très forts. Deux filles peuvent ainsi passer tout leur temps ensemble, dormir ensemble, et se téléphoner quand elles sont séparées. Mais dans ce cas, elles et les autres, considèrent cet attachement comme normal et n'est pas considéré comme un signe d'homosexualité.

Cette différence entre l'adolescence des hommes et celle des femmes a des conséquences importantes pour leur vie amoureuse et érotique ultérieure. C'est une des raisons pour lesquels, les hommes (hétérosexuels ou homosexuels) cherchent davantage la relation sexuelle, et les femmes, la relation affective. (cf. en annexe, certains résultats de l'enquête ASF). Ceci pourrait expliquer le fait que les gays soient plus tentés par la promiscuité sexuelle que les lesbiennes comme nous l'avons développé dans le chapitre précédent. A titre d'exemple, rappelons que la démocratisation du commerce gay qui s'est doublée d'un phénomène sexuel a donné naissance aux backrooms (espaces sombres à forte rentabilité sexuelle, symbolisent la drague organisée et systématique) et aux sex-clubs, et que ces concepts importés des Etats-Unis sont exclusivement réservés aux seuls hommes voulant avoir des relations sexuelles avec d'autres hommes dans un lieu où règnent les lois de l'anonymat, du silence et du sexe sans loi.

De même lorsque l'on regarde les petites annonces, notamment dans le supplément de Têtu, on constate, d'une part que les annonces de femmes sont très peu nombreuses à côté de celles des garçons, et d'autre part que l'annonce en elle-même diffère, les unes axant plus leur description d'un point de vue spirituel et les autres d'un point physique et sexuel :

« JF 23a, mignonne, curieuse, passionnée, ch. JF, pas de critères précis, ni préjugés, pour amitié voire plus, qui sait ? »

« JF 26a, câline, tendre, romantique, ch. JF 25 / 35a, avec charme de coeur et d'esprit. »

« Phil 32 a, brun, très court, sympa, mignon, 17 cm, naturiste, cho, b...et cul rasés, passif / actif, ch. H. et JH pour plans Q »

« Couples mecs 35a et 37a,B foutu, rech. Ami-amant de 30 / 40a, B foutu, Bo cul, passif, imberbe, disponible. »

( Agenda Têtu n°76, Mars 2003)

2. La notion de genre

La notion de genre émerge à la fin des années 60 dans les travaux féministes et se distingue de la notion de sexe. A la notion de genre, s'associent les attributs psychologiques, les activités, et les rôles et statuts sociaux culturellement assignés à chacune des catégorie de sexe et constituant un système de croyances, dont le principe d'une détermination biologique est le pivot. Le genre est censé traduire le sexe, il est une construction sociale du masculin et du féminin. La définition des rôles masculins et féminins est une des structures les plus fondamentales de toutes les sociétés. La bipartition du genre doit se calquer sur la bipartition du sexe qui elle-même se réalise sous forme normale et normée dans l'hétérosexualité. L'homosexualité aurait, selon cette hypothèse, un mauvais genre57(*). Le sexe et donc le genre servirait de premier organisateur de notre perception d'autrui58(*).

Les hommes et les femmes sont constitués comme des groupes « naturels », leur attraction réciproque est donc une loi « naturelle ». Or les homosexuels, a priori, dérogent à cette loi. Mais si on leur applique les mécanismes de l'inversion, possédants des traits qui sont l'apanage de l'autre sexe, ils réintègrent l'ordre régulier. M.Hirschfeld invente le terme de « troisième sexe » qui regrouperait les individus qui se reconnaissent dans un mélange des deux sexes, et les homosexuels en feraient partis.

Bien avant que puissent se développer l'orientation et l'identités sexuelles, il y a d'abord la conscience du genre. En effet, l'enfant sait, depuis sa deuxième année, qu'il est d'un sexe et pas de l'autre, et que cela implique une série de conduites. Ainsi, l'enfant va peu à peu s'identifier comme un garçon, soit comme une fille, et va apprendre à se conduire en tant que tel. Or, ce processus n'est pas aussi évident. Il y a des garçons, qui, depuis leur plus petite enfance se sentent plus identifiés avec les filles. Ces garçons peuvent développer des conduites, des attitudes et des goûts qui sont généralement associés à l'autre sexe, selon l'ordre normatif des choses. Cette confusion des genres, n'est pas, en elle-même, un signe précurseur de l'homosexualité.

Après avoir évoqué les différentes facettes de la socialisation sexuelle chez les garçons et chez les filles ainsi qu'être revenue sur la hiérarchie sociale des sexes, les discriminations contre l'homosexualité étant un combat commun, aussi bien pour les gays que pour les lesbiennes, nous avons souhaité interroger la notion de mixité au en son sein.

II ) L'homosexualité comme facteur d'égalité homme / femme ?

1. La partie visible de l'homosexualité

Ce thème est apparu dans tous les entretiens que nous avons réalisés avec les filles. Toutes nous ont montré qu'il y avait bien une dichotomie entre eux les gays et nous les lesbiennes. Les entretiens de garçons que nous avons effectués ne soulèvent pas ce genre de problème. Le courrier des lecteurs de Têtu publie quelques lettres qui dénoncent ce manque de visibilité lesbienne dans les sujets :

« C'est magazine gay et lesbien paraît-il... » (n°53)

« Quand vous parlez mode, c'est mode pour hommes, quand vous parlez cul, c'est baise entre hommes, quand vous parlez stars, c'est boystars, quand vous parlez bouquins, c'est presque exclusivement des bouquins de mecs... » (n°53)

« Les lesbiennes ne sont citées que dans les nouvelles et les pages politiques » (n°53)

« Votre esthétique, vos photos, votre ton s'adressent directement aux garçons » (n°53)

« Jamais je ne tombe sur une belle nana dans vos pages » (n°53)

« Têtu est un journal pédé à part entière » (n°53)

« On ne peut pas dire que vous respectez votre engagement de magazine des gays et des lesbiennes ! » (n°53)

On retrouve bien sûr des sujets touchant à la fois l'homosexualité masculine et l'homosexualité féminine comme par exemple :

« Les droits des gays et des lesbiennes dans le monde » (n°52)

« Le FHAR59(*), 30 ans après » (n°54)

« Mitterand et les homos » (n°56)

Mais très peu d'articles directement destinés aux femmes, mis à part dans les brèves d'informations, les rubriques livres et cinéma et les billets d'humeur mensuels de deux chroniqueuses issues du milieu lesbien. Sur l'ensemble du corpus, on dénombre seulement trois sujets, que l'on pourrait qualifier comme étant d'actualité :

«Faut-il brûler le gode ou changer la gouine ? » (n°58, spécial sexe)

« Les G-Girls attaquent » (n°60)

« Ciné filles » (n°61, un récapitulatif de tous les films lesbiens)

Notons à ce propos que les sujets que l'on pourraient qualifier de graves, comme par exemple, le suicide des jeunes homosexuels (n°53) ou l'homosexualité en prison (n°55), n'évoquent pas les lesbiennes.

Bien sûr, le fait que l'on parle plus souvent de l'homosexualité masculine également engendre un surplus de problèmes liés à l'homophobie. Ce qui va expliquer le fait que peut-être, il va être plus compréhensible d'accorder plus de place à cette homosexualité masculine qui se trouve plus confrontée que les lesbiennes à de telles situations. Cela peut se constater également par le courrier des 15-20 ans auquel Têtu consacre une rubrique. En effet, cette rubrique est faite pour permettre aux jeunes gays et lesbiennes de parler des difficultés qu'ils rencontrent sur différents plans. Ici, on va compter sur un total de 76 courriers, seulement 8 écrits par des jeunes lesbiennes. L'association SOS Homophobie60(*) nous donne des chiffres qui vont dans ce sens : en 2001 sur les 458 appels reçus, 353 étaient des témoignages d'hommes. L'homophobie signifie peur ou rejet de l'homosexualité. Elle constitue un phénomène culturel. En ce qui concerne le fait qu'elle touche plus les gays que les lesbiennes, nous pourrions penser que, comme on l'a vu, pour une femme, avoir des relations avec une autre femme, est une chose passagère et qui n'inquiète pas l'opinion publique. Il en est autrement de l'homosexualité masculine qui vient gêner l'ordre établi. On le voit la peur de l'homosexualité en recouvre une autre, celle de la confusion des genres, qui fait que lorsqu'un homme est homosexuel et qui de plus est passif dans ses relations sexuelles, il va être assimilé à une femme.

2. La domination masculine toujours à l'oeuvre

Les conséquences de ce manque de représentation pour les lesbiennes seraient donc que très peu de modèles d'identification leur sont présentés, pourtant très importants lorsque l'on se sent faire partie d'une minorité et que l'on ressent le besoin de se reconnaître. Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, le processus de construction de l'identité et de la personnalité nécessite un certain nombre de modèles. Or, les images qu'offrent les médias homosexuels, on l'a vu, ne concernent pas directement voire pas du tout, l'homosexualité féminine. Les seules représentations auxquelles l'adolescente attirée par le même sexe peut avoir accès ne sont pas spécifiquement lesbiennes. Il n'est pas rare de voir dans un film dit lesbien, une femme prise entre l'amour pour un homme et le désir pour une autre femme, comme si les lesbiennes étaient plutôt des bisexuelles. La figure de la bisexualité est moins représentée chez les hommes, l'homosexualité masculine est bien définie et considérée comme exclusive. De plus, les lesbiennes peuvent être perçues comme n'ayant pas de sexualité véritable et n'alimentant que les fantasmes hétérosexuels dans les films pornographiques. L'inverse est, au contraire, tout à fait improbable étant donné que les films à caractère pornographique sont principalement destinés aux hommes.

Ces remarques peuvent expliquer l'engouement plus fort que nous avons trouvé lors des entretiens chez les lesbiennes que chez les gays pour les films, les livres...qui évoquent des histoires entre femmes. La recherche de modèles positifs est l'une des expériences les mieux partagées par les homosexuels de tous les âges et de tous les pays, qui, à l'adolescence, se trouvent tous confrontés à la peur d'être seuls au monde. En effet, les médias ne renvoient que très peu d'images de lesbiennes (sauf dans le cinéma récent que nous évoquerons dans le paragraphe suivant) ; il suffit pour cela de comptabiliser le nombre de personnalités féminines ayant fait leur coming-out en rapport avec ce même nombre au masculin. En France, à notre connaissance, il n'y en a eu seulement deux : Amélie Mauresmo, la joueuse de tennis et Anne-Laure, participante à l'émission Star Academy (2ème saison). Il est évident que leur choix de rendre visible leur homosexualité a suscité une identification de la part des jeunes, et peut-être des moins jeunes, filles lesbiennes, même si elles évoquent une image plutôt commerciale de la lesbienne. Les filles que nous avons interviewées, à l'acception d'une seule, disent aimer Mauresmo d'un point de vue sportif et Anne-Laure parce qu'elle chante bien. Une seule nous a clairement dit que le déclencheur de sa fascination pour la championne de tennis et la staracadémicienne était avant tout leur homosexualité et le fait qu'elle puisse s'y identifier :

« Moi quand j'ai su qu'il y avait une lesbienne dans Star Academy et qu'en plus elle chantait pas trop mal et qu'elle était mignonne...et ben...euh...je me suis mise à le regarder [...] » (Sophie, 23 ans, étudiante)

Le fait de chercher des repères quels qu'ils soient dans un premier temps, puis des repères positifs dans un deuxième temps, va être plus le fait des lesbiennes du fait de leur manque de visibilité dans la société actuelle. Ce constat n'est biensûr pas homogéisable du fait du peu d'entretiens que nous avons réalisé.

Nous avons pu voir, à travers les quelques entretiens que nous avons réalisés que la variable qui dichotomise les positions et les attitudes est pour une large part, celle du sexe. Que ce soit, comme nous venons de le voir pour le besoin de reconnaissance dont les garçons vont avoir tendance à se détacher en avançant dans le temps et dans leur homosexualité, c'est-à-dire lorsqu'ils l'assument pleinement, une des explications que l'on peut donner est que l'homosexualité masculine a acquis un certaine autonomie et un certain réseau de visibilité auxquels ils vont adhérer consciemment ou non. Nous voulons dire par là qu'il existe pour eux une multitude de possibilités pour accéder plus rapidement à une légitimité sociale. La société aura plus tendance à légitimer l'homosexualité masculine, à lui donner un statut. Nous pouvons alors parler d'un « phénomène de normalisation du modèle masculin dans le mouvement gay qui a réussi à institutionnaliser le couple homosexuel sans avoir à prendre position sur l'égalité entre les sexes » 61(*).

La dichotomie s'observe également mais de façon compréhensive, au niveau de l'image générale de l'homosexualité. Alors que les garçons vont évoquer l'idée d'une communauté soudée dans la marginalisation par des goûts et des habitudes communes, les filles vont employer des termes tels que milieu malsain, stéréotypes, de sexe rapide...qu'elles considèrent comme les attributs du milieu gay. D'une façon générale, les garçons ont le sentiment de partager quelque chose de commun avec les autres gays et d'appartenir à une communauté que les filles , qui dénigrent un peu leur appartenance car cette communauté ne leur correspond pas, pour la simple raison que les filles y sont très peu, voire pas du tout, représentées :

« Oui quand on appartient à la même communauté...gay...y'a tout un tas de choses...c'est vrai qu'il y a une histoire du mouvement homosexuel...euh...dans le temps. Et puis la mode, la culture, le fait de lire Têtu...et puis il y a le sida aussi...les homo sont été les premiers touchés...ils sont très actifs dans la lutte contre le sida. Quand je dis culture...euh...je veux dire fraternité entre gays...entre nous...la communauté fait que je vais agir de telle manière...en fonction de mon adhésion à ce groupe... » (Eric, 26 ans, employé libre service)

« Avec les autres homos, on a des façons de voir communes, des histoires vécues semblables, des façons de s'habiller, de faire l'amour, d'être sensible plus à certaines stars de la musique, du cinéma... » (Benoît, 28 ans, ingénieur)

« [la communauté]...euh...disons qu'elle est utile, qu'elle permet de s'identifier, un certain temps, mais après...les gens sont tellement différents...oui biensûr il y a des choses en commun, mais à mon avis c'est plus symbolique qu'autre chose ! » (Sophie, 23 ans, étudiante)

« [la communauté]...moi en tout cas je ne m'y identifie pas du tout...j'agis en mon âme et conscience...euh...pas forcément en tant que lesbiennes...Aujourd'hui, je trouve que le Marais ressemble à un ghetto homo où il est de bon ton d'afficher les dernières tenues à la mode et de dépenser de l'argent » (Pascale, 39 ans , enseignante)

« [le milieu] je l'ai vécu...euh...j'ai trouvé ça, hyper malsain [...] les boîtes de nuit, je les appelais les boîtes à sida...Moi je suis en dehors de ça ! » (A., 27 ans, artiste)

« Je n'ai pas le sentiment d'appartenir à qui ce soit, à quoi que ce soit. » (E., 23 ans, cadre)

L'emploi des termes forts comme boîtes à sida ou ghetto montre une certaine mise à distance des filles avec ce que tout le mode appelle la communauté homosexuelle.

Nous constatons ainsi que l'homosexualité n'abolit pas la domination masculine dont parlait P.Bourdieu62(*). Cette domination n'est pas visible au sein du couple mais dans l'espace public, les gays sont plus visibles que les lesbiennes. Au niveau de la représentation des genres, nous voyons que les gays se sont appropriés le masculin et le féminin, que les différences des genres tend à s'estomper, mais seulement au sein du groupe des homosexuels. Les défilés annuels de la Lesbian & Gay Pride nous le montrent bien. Il sont le lieu d'une masculinisation à outrance63(*)où les hommes arborent une « efféminisation » plus visible que l'éventuelle masculinisation de certaines lesbiennes qui est considérée comme neutre, à la différence de l'homme que l'on remarque, qui s'approprient à la fois le féminin et le masculin.

De même, les recherches se sont essentiellement centrées sur l'homosexualité masculine et rarement sur l'homosexualité féminine. En effet, lorsque nous regardons les premières études réalisées, notamment, en terme de mesure de l'homosexualité : en 1903, pour le première fois, Magnus Hirschfeld, médecin allemand, cofondateur en 1886 du premier mouvement homosexuel64(*), commence une enquête quantitative qui vise à connaître le pourcentages d'hommes homosexuels en Allemagne. Pour M.Hirschfeld, il existe, quel que soit le pays, la culture et l'époque, un nombre constant d'homosexuels ; cette position est liée à sa définition de l'homosexualité comme catégorie naturelle que nous avons déjà cité. Un autre facteur rend nécessaire, pour lui, de « donner un chiffre » : la lutte pour l `abrogation du paragraphe 175 qui criminalise, en Allemagne, les relations sexuelles entre hommes. Mais comme la loi allemande, ces enquêtes de s'intéressent pas aux femmes homosexuelles. Alors que la théorie de M.Hirschfeld des types intermédiaires s'applique aux deux sexes, alors que le WHK est un mouvement mixte, les chiffres sont donnés pour les seuls hommes. Pression des conditions légales qui ne criminalisent que l'homosexualité masculine, désintérêt scientifique et politique pour un groupe peu visible et peu puissant, effet de la domination des hommes sur les femmes, toutes ces explications peuvent être avancées et ne s'excluent pas65(*).

3. Tentatives d'explication

Nous pouvons légitimement nous demander pourquoi l'immense majorité des études sur l'homosexualité se réfère presque exclusivement aux hommes. Il peut y avoir plusieurs possibilités d'explications66(*).

Tout d'abord, il faut noter que tous les textes qui mentionnent la sodomie ou l'homosexualité, qu'ils soient littéraires, historiques, philosophiques ou scientifiques, depuis le Moyen-Age ont été écrits par des hommes, la parole écrite étant le domaine exclusif des hommes.

En deuxième lieu, presque toutes les prohibitions ecclésiastiques et les lois pénales contre l'homosexualité ont eu pour objet les hommes, étant donné que jusqu'à une certaine époque, les femmes n'étaient pas censées avoir une sexualité propre, c'est-à-dire indépendante des hommes. Ce n'est que vers la fin des années 60, que l'on a reconnu la réalité du plaisir féminin dégagé de la tutelle masculine. Cela a permis d'ouvrir un champ de recherche sur la sexualité spécifiquement féminine, et donc sur le lesbianisme en tant que catégorie à part entière. Bien entendu, beaucoup dans l'opinion publique, voient toujours le lesbianisme comme quelque chose que les femmes font quand elles n'ont pas d'autre alternative, ou lorsqu'elles n'ont pas encore trouvé un vrai homme. Donc, si l'homosexualité a toujours été plus condamnée chez les hommes que chez les femmes, c'est en bonne partie parce que l'on considérait que la sexualité dans son ensemble était une affaire d'hommes.

En troisième lieu, pendant tout le XIXème siècle, l'amitié entre femmes a été vue comme une forme de relation normale entre des êtres fragiles et innocents possédant une grande sensibilité, mais dépourvus de sexualité67(*). Ainsi, personne ne s'étonnait des relations amoureuses entre femmes, car personne n'imaginait qu'elles puissent être sexuelles. Ces relations n'étaient donc perçues comme charnelles et elles ne l'étaient peut-être pas, dans la mesure où les femmes n'avaient pas forcément conscience de leur sexualité propre.

En quatrième lieu, le féminisme a gardé ses distances avec le lesbianisme pendant très longtemps. Certaines figures du féminismes considéraient que leurs revendications seraient disqualifiées si on les associait au lesbianisme. Cela peut expliquer que peu d'auteurs féministes ont écrit sur l'homosexualité féminine.

Enfin, la crise du sida a conduit beaucoup de chercheurs en matière d'homosexualité, comme par exemple Michael Pollack, à donner la priorité aux hommes et à la dynamique du couple masculin, au détriment de la femme et de la relation lesbienne. La nécessité de mieux comprendre et connaître les comportements des homosexuels masculins à des fins épidémiologiques a relégué au second plan les études sur le lesbianisme (rappelons que les lesbiennes constituent la population la moins affectée par le sida du fait que la nature de leur relation physique rend plus difficile, mais pas impossible, la transmission du virus par voie sexuelle).

Tout cela peut expliquer pourquoi il existe une énorme disproportion entre les recherches sur l'homosexualité masculine et féminine.

III ) La relative croissance de la visibilité lesbienne

1. Les enjeux d'une visibilité

C'est l'histoire de l'art qui est apparu en premier lieu comme vecteur privilégié de la visibilité du couple de femmes. Depuis la Renaissance, on dénombre plus de 300 tableaux et sculptures représentants une idylle saphique68(*), l'art étant un vecteur de la vie symbolique permettant à ce qui est caché ou non toléré d'apparaître tout en déjouant les mécanismes de refoulement à l'oeuvre dans tout système de domination.

Dans le second chapitre, nous évoquions les images que les homosexuels renvoient d'eux-mêmes à travers la presse spécialisée. Les images de l'homosexualité féminine se font plus rares et il faut les chercher ailleurs que dans la presse gay dite mixte. Même si elles restent toujours très discrètes par rapport à l'image de l'homosexualité masculine, à laquelle se consacre presque exclusivement le mensuel Têtu, on assiste depuis quelques années, à une circulation et une consommation croissante des images lesbiennes, autres que celles des films à caractère pornographique, dans l'espace public, notamment dans le cinéma ( de plus en plus, on voit se développer différents festivals de films lesbiens comme par exemple celui du collectif Cineffable « Quand les lesbiennes se font du cinéma » ).

Mais cette prolifération des images lesbiennes dans les médias, essentiellement depuis une dizaine d'année, va soulever un ensemble de questions quant aux conditions de visibilité des prétendues sexualités marginales69(*). La visibilité va se trouver au coeur même des enjeux liés à la reconnaissance des droits des minorités dans l'espace public. La visibilité est donc soumise tant par les groupes gays que par la majorité hétérosexuelle à un processus de négociation serré. Ce qui est en jeu, ce que l'on contrôle (pour reprendre les termes de Foucault) , régule, marque, forme, modèle, c'est une représentation des gays et des lesbiennes qui puissent s'inscrire dans un espace social et culturel imprégné par les valeurs hétérosexuelles ; les discours publics ayant droit à l'audience publique étant ceux qui promeuvent un ordre social déjà existant, c'est-à-dire celui du marché hétérosexuel, bien qu'il soit évident que sous la poussée des discours postmodernistes, postféministes et même queer70(*)s, le modèle hégémonique perd quelque peu sa valeur.

De plus en plus, les lesbiennes (et même les gays) produisent leur propre image dans les médias et le discours public. Dés lors, il ne s'agit plus uniquement d'être filmés par la caméra comme un objet de regard, mais aussi d'intervenir directement sur l'image de soi que les médias et les discours publics reproduisent et font circuler. Dans cette logique de marché, le droit d'être vu et entendu, d'être visible, devient un part essentielle d'une « économie identitaire dans laquelle la marchandisation du corps lesbien est une valeur à la hausse dans la mesure où sont respectés les préceptes capitalistes de la saine compétition pour le maintien de l'ordre social71(*) ». Il en découle des conséquences sur la façon de s'auto présenter comme lesbienne. Cette économie identitaire va avoir une influence sur la perception de l'identité lesbienne. Ce que l'on voit à l'écran va immanquablement se ressentir dans l'espace public. A partir du moment où les gays et les lesbiennes ont acquis des droits, les médias se sont emparés du phénomène, et le cinéma ne fut pas en reste.

Dans les années 90 on a assisté à une véritable prolifération cinématographique : When night is falling, Bound, Mullholland drive...Sans oublier toute la production dite parallèle de la vidéo et du court métrage. Il suffit de constater la création de festivals de films lesbiens et de voir à quel point les productions sont nombreuses et diversifiées. Ainsi, en marge du marché usuel de l'érotisme et de la pornographie hétérosexuels friands de pseudo-scénarios lesbiens, s'est imposée une production allant de la sexualité la plus explicite aux images ludiques et de plus en plus « intégrées » des amitiés particulières entre femmes. La représentation homosexuelle au cinéma est indissociable d'une approche qui rend compte des formes culturelles et sociales constitutives de l'identité sexuelle.

2. Les représentations de la lesbienne

La répression contre les homosexuels au cours de la première moitié du siècle n'a guère favorisé l'apparition tant des gays que des lesbiennes, la censure72(*) étayant sa phobie de toute pratique qui ne favoriserait pas la procréation. Ce n'est que dans les années 60, que progressivement, le personnage lesbien en tant que tel fit son apparition au cinéma.

Si la présence de lesbiennes au cinéma ne date pas d'hier, force est de constater que leur représentation contemporaine est moins ambiguë et davantage visible. Alors que l'histoire du cinéma présentait des lesbiennes psychopathes, perverses et suicidaires et foncièrement contre-nature pendant prés de 100 ans, limitant le corps lesbien a une erreur pathologique, les dernières années ont vu défiler une myriade de lesbiennes à la personnalité beaucoup plus sympathique voire attirante, comme c'est le cas de la lesbian chic. C'est une expression inventée par les médias en 93 pour qualifier la représentation de plus en plus sexy de la lesbiennes dans la culture populaire (cinéma, télévision...). C'est un évènement mondain, un phénomène de mode et une stratégie de visibilité qui a été, dés le début, largement associé aux personnalités publiques (vedettes de cinéma, de la musique...essentiellement aux Etats-Unis) qui affichent leur lesbianisme. S'inscrivant dans un mouvement de négociation des sexualités marginales, le cinéma populaire s'est donc ouvert au marché de la visibilité saphique mais toujours en contribuant à faire d l'espace du visible un espace de normalisation des rapports entre les sexes.

Aujourd'hui, le films qui représentent les multiples facettes de l'homosexualité féminine sous un angle réaliste sont désormais plus visibles, même si peu sont vus par le grand public. Le personnage lesbien n'est plus victime de lui-même et de son passé mais d'une société contre laquelle il se rebelle, s'affirme et tente de triompher. Aux seconds rôles fatalistes et mal installés dans l'existence succèdent donc des héroïnes qui font voler en éclat les schémas et les archétypes, démontant les mécanismes qui régissent l'ordre social et plaidant pour une sexualité libre de toute entrave, dans la mesure du politiquement correct, comme on l'a déjà vu. Le cinéma a dépassé le stade de l'expression d'une visibilité rassurante73(*). L'héroïne lesbienne existe en tant que telle, nommément et surtout sexuellement.

Ainsi, de la même façon que pour les femmes hétérosexuelles, les images auxquelles s'identifier se sont multipliés pour les lesbiennes.

Malgré ce que nous venons de voir, tout porte à croire au vue de des tentatives d'explication sur le fait que l'homosexualité est avant tout une affaire d'hommes qu'il serait possible d'envisager une éventuelle communauté qui serait divisée : la communauté gay et la communauté lesbienne. Il semble cependant que cette rupture soit un peu trop systématique et facile pour aborder un tel groupe.

Il y a un autre point que nous pouvons évoquer pour interroger cette question de la mixité. Divisés sur le principe même de parité, les associations gays et lesbiennes s'accordent pour dire que si la mixité reste un objectif, le partage à égalité des postes de responsabilités n'est pas à l'ordre du jour74(*).

De façon générale, la notion d'égalité entre hommes et femmes, et sa mise en oeuvre au sein du groupe homosexuel, entre gays et lesbiennes, est défendue par nombre d'associations, sans que cela se traduise véritablement dans les faits. Si les associations affichent, dans leur dénomination même ou dans leurs statuts, une intention de mixité, celle ci ne se concrétise pratiquement jamais par une égale représentation aux postes de responsabilité. De plus, il est vrai que cette mixité masque à peine une large sur-réprésentation des hommes par rapport aux femmes parmi les adhérents.

CHAP. V ) POUR UNE REVENDICATION D'APPARTENANCE A UNE COMMUNAUTE

Etre homosexuel, c'est reconnaître que l'on partage avec d'autres un même désir, et de constater, en même temps, qu'il est nié socialement. La communauté devient dans le discours sociologique le sujet politique. Elle a une consistance sociologique déterminée par l'ensemble des individus partageant un style de vie commun, et une fonction historique. L'aveu individuel de son homosexualité peut permettre la libération personnelle, mais ne remet pas en cause l'intolérance d'une société. Seule, ce que l'on appelle couramment, la communauté homosexuelle est libératrice, c'est-à-dire capable de transformer la société. Elle est porteuse du projet social d'émancipation. L'individu homosexuel n'a de réalité dans le discours sociologique qu'à travers une problématique de prise de parole. Cette dernière est considérée à la fois comme moyen d'être et d'exister et comme instrument de revendications et de luttes pour la reconnaissance de droits légaux, sociaux. Il s'agit ici d'une prise de parole collective, celle d'une communauté opprimée.

L'importance actuelle du discours sociologique sur l'homosexualité s'expliquerait par une certaine efficacité sociale, il rejoindrait quelquefois la pratique militante. Tous les deux se donnent le même objectif et s'articulent autour de l'idée de communauté. Le discours militant repose également sur cette notion de communauté. Cette représentation des homosexuels comme communauté militante donnerait au discours sociologique son efficacité sociale. Effectivement, depuis les début des années 60, on note une mobilisation des gays et des lesbiennes pour l'action politique.

I )Vers une socialisation homosexuelle

Michael Pollack disait : « on ne naît pas homosexuel, on apprend à l'être 75(*)». En effet, l'homosexualité n'est pas donnée, elle est construite. De plus, elle n'est pas figée, elle change selon la société et l'individu. Elle englobe tous les aspects de la vie. Comme le pensait M.Foucault, c'est une façon d'être et pas seulement une sexualité.

1. Une socialisation en rupture avec la socialisation primaire

Chaque individu reçoit une socialisation dés son plus jeune âge. Cette dernière forme, la plupart du temps, à l'hétérosexualité, l'hétérophilie et peut-être même quelquefois voire souvent, à l'hétérolâtrie et à l'homophobie. L'homosexualité est souvent un sujet tabou dans les familles. En effet, personne ne va prévoir un fils ou une fille homosexuel. Les individus n'ont donc pas de repères de ce côté là, ils doivent s'en créer eux-mêmes ou en rechercher, par exemple dans une littérature, un cinéma, un magazine qui leur correspondent (plus ou moins). Notons que sur ce point Têtu se fait guide pour conseiller à ses lecteurs avec ses rubriques sur l'actualité socio-culturelles. Certains entretiens que nous avons mené vont dans ce sens. La recherche d'identification va passer par des lectures, des histoires, des films...

« [à propos des films gays] plus jeune...pour la reconnaissance...tout ça » (Laurent, 22 ans, étudiant)

« Je choisis en fonction des critères de goût sur les auteurs, les réalisateurs, les acteurs ou bien de relation avec ce qui m'est proche par exemple...euh...sujet gay... », « J'aime les modèles positifs » (Benoît, 28 ans, ingénieur)

« [...] ça fait du bien de pouvoir de temps en temps voir l'homosexualité à l'écran » (E. , 23 ans, cadre)

« En ce moment, [je lis] beaucoup de romans lesbiens...oui parce que ça me plait...je préfère ces histoires là que des histoires de romans normaux quoi...enfin hétéros...c'est ce qui me correspond le mieux...j'ai envie de lire des histoires d'amour qui me ressemblent » (A., 27 ans, artiste)

« Moi je n'ai pas honte de dire que je vais voir un film parce qu'il fait référence à l'homosexualité féminine et que je vais lire un livre parce qu'il s'agit d'une histoire d'amour entre deux femmes... », « Dés qu'il passe un film lesbien à la télé, je l'enregistre [...] avant j'achetais même des CD en fonction de la chanteuse » (Sophie, 23 ans,étudiante)

Au fil des lectures des différents entretiens, nous remarquons que le besoin de reconnaissance et d'identification recherchés dans un film évoquant l'homosexualité est plus présent chez les lesbiennes que chez les gays. Cela est peut être dû, comme nous l'avons vu dans le chapitre précèdent, à la visibilité récente d'images de l'homosexualité féminine.

La majorité des homosexuels dans la société actuelle, même s'ils s'acceptent comme tels, portent en eux un conflit existentiel permanent. L'homophobie intériorisée n'a pas de fin : elle ressurgit, sous différentes formes, tout au long du cycle vital. Elle complique la perception que l'homosexuel a de lui-même et des autres ; elle régit plus ou moins ses relations interpersonnelles ainsi que son projet de vie et sa vision du monde. Elle constitue probablement la différence subjective la plus importante entre homosexuels et hétérosexuels. De cela, il peut dériver une image de soi dévalorisée, du moins durant la période de l'adolescence. Cette sensation diffuse d'être désavantagé est rarement verbalisée comme telle, et n'est pas nécessairement consciente.

Quand une personne découvre ou accepte en elle même une identité minoritaire, elle le fait généralement dans un esprit d'appartenance76(*). Ils peuvent se sentir marginalisés, incompris, ou même exclus de la société dans son ensemble, mais ils s'intègrent également à une collectivité et acquièrent un sentiment d'appartenance. L'identité minoritaire peut impliquer, la plupart du temps un sens de la communauté et peut être un motif de fierté.

Les homosexuels vont donc tenter de se socialiser en tant que tels en suivant les repères que peuvent lui proposer par exemple les médias, en rupture avec la socialisation antérieure qu'ils ont reçue.

Dans cette optique, le rôle de la presse gay va jouer un rôle important du fait de sa croissante accessibilité et du fait également que la circulation de la parole va se faire pour une grande part par ce biais là. Même si les chiffres sur le lectorat de Têtu montre que la tranche d'âge des moins de 25 ans ne représente que 18%, il est tout de même intéressant de constater que le magazine offre des références, des repères et présentent des expériences sur des problèmes liés à l'homosexualité avant tout. Dans un certains sens, il peut être représentatif des enjeux que vivent les gays et les lesbiennes, en tout cas, Têtu semble vouloir s'ériger en porte-parole. En effet, les articles emploient régulièrement le pronom « nous » pour désigner l'ensemble des lecteurs. Cette inclusion donne un sentiment de solidarité, de groupement, d'unification : cela signifie que ce qui est dit est censé concerner toute la population homosexuelle. On a bien là l'idée d'un groupe dont les membres ont, à un niveau plus ou moins conscient, un but, un cadre de référence et un vécu commun.

Le « nous » va permettre à l'individu de revendiquer de l'appartenance à un collectif ou dans une autre mesure, il permet de renforcer le sentiment de solidarité devant certaines oppressions c'est-à-dire qu'il va donner du poids aux revendications dont le magazine parle. Il va être comme un appel :

« Allons-nous assister, parmi les gouines et les pédés, à un nouveau clivage ? » (Editorial, n°52)

« La jurisprudence actuelle, qui nous exclut de l'adoption au nom de notre choix vie... » (Editorial, n°57)

« Si chaque lecteur de Têtu a signé et fait signer la pétition de l'APGL, nous y serons plus forts » (Mobilisation pour le droit à l'adoption, n°57)

« Qu'on le veuille ou non, le sexe fait partie intégrante de notre existence » (Dossier spécial sexe, n°58)

« On revient de loin » (Dossier sur l'homosexualité à la télévision, n°60)

Rappelons tout de même que le fait d'employer le pronom « nous » pour s'adresser aux lecteurs n'est sûrement pas spécifique de la presse homosexuelle mais qu'il doit se retrouver essentiellement dans une presse ciblant un lectorat spécifique, comme par exemple la presse féminine ou la presse masculine.

2. Un apprentissage gay ?

A travers les entretiens mais aussi à travers certains articles que l'on trouve dans Têtu, on peut constater l'existence d'expériences communes à l'ensemble des gays et des lesbiennes. Nous avons déjà évoqué celle de l'homophobie intériorisée par tous qui conduit les individus qui se sentent attirés par les personnes du même sexe qu'eux à ce que l'on pourrait appeler, une auto-stigmatisation. L'aboutissement de ce processus est l'aveu de l'homosexualité aux proches, aux amis, à l'entourage...Le coming-out comme on le nomme, peut, en effet être stigmatisant, mais il est encore une étape nécessaire dans la société actuelle. Même si la sexualité des individus est censée faire partie des territoires de l'intime, le coming-out est une manière de s'affirmer, de s'identifier. Cette étape est primordiale dans la vie d'un gay ou d'une lesbienne, c'est une expérience qui permet l'identification et la confrontation. Aujourd'hui, le « placard 77(*)» fait partie intégrante d'un moment dans la vie des gays et des lesbiennes. Il y aura toujours des personnes ou des situations nouvelles et dans lesquelles ils seront considérés comme hétérosexuel jusqu'à preuve du contraire, cela parce que la société présuppose automatiquement, que tout le monde est hétérosexuel.

Le terme anglais closet a eu beaucoup de significations avant de se référer à l'homosexualité clandestine. Ainsi, il a dénoté un endroit fermé, privé, dans lequel on a des conversations secrètes, ou un lieu pour garder des objets précieux. Il représente donc le privé en opposition avec le public, l'intime en opposition avec le social, ce qui est caché en opposition avec ce qui est découvert.

Le coming-out a pris toute son ampleur avec l'épidémie du sida. En effet, nous pouvons supposer que beaucoup d'homosexuels victimes de la maladie ont été forcés à se révéler du fait de la désignation du sida comme maladie des homosexuels. Dans un certain sens, nous pourrions dire que le sida a arraché du placard toute une génération d'homosexuels, il a rendu public un mode de vie qui avant était invisible. Selon certains auteurs, c'est lui qui aurait donné naissance à une communauté entière : « L'homosexualité était une aventure individuelle. Pour la première fois, le sida a donné une histoire collective aux homosexuels78(*) ». Cela dit, la grande majorité des homosexuels ne sont pas obligés, contraints de sortir du placard. Une des raison que l'on pourrait évoquer pour expliquer la nécessité de sortir du placard, serait celle du désir d'intégrer une communauté gay ou du moins un collectif gay. Il y a un besoin d'appartenance évident. Alors, on pourrait penser que quand un homosexuel assume publiquement son homosexualité et commence à fréquenter des endroits ou des groupes gays, c'est à la fois pour connaître d'autres homosexuels et pour faire partie d'une collectivité. Mais se joindre à la communauté gay peut aussi avoir une signification politique et militante, c'est-à-dire que cela va montrer l'importance d'augmenter la visibilité de l'homosexualité pour pouvoir revendiquer un certains nombre de droits par exemple. Le fait de se dire homosexuel, c'est rejoindre un groupe et récupérer une identité propre et non plus imposée, se classer pour ne plus être classé. Cependant, le fait de sortir du placard et de revendiquer une identité homosexuelle va étiqueter les individus. Le refus de la clandestinité va déboucher sur une nouvelle étiquette.

Le magazine de notre corpus propose chaque mois une rubrique intitulée 15-20 ans. Elle donne la parole aux lecteurs de cette tranche d'âge, leur permettant de demander des conseils, de raconter leur propre expérience... et le thème le plus récurrent est sans doute celui du coming-out ou de la difficulté d'assumer son homosexualité, cela représente plus d'un tiers des lettres.

L'apprentissage gay va donc passer par cette étape que nous considérons comme étant une étape dans la construction de soi. Pour ce faire, l'individu va se chercher des modèles d'homosexualités, de sorte que l'identification puisse s'y référer.

Avant que les individus connaissent leur propre sexualité, ils ont pu entendre des injures homophobes, la conséquence que ceux qui se découvrent homosexuels sera de savoir, dés le départ qu'il est différent des autres voire même développer un sentiment d'anormalité, du fait de cette stigmatisation par le langage qui l'a pré-existé et qui s'est imposée à lui. Un homosexuel va donc savoir qu'il peut être insulté et cela va l'obliger, dans un premier temps à se cacher et à utiliser un répertoire de comportement différent selon le public. Il va donc effectuer un apprentissage pour paraître « normal » car l'injure va instaurer une coupure dans la tête des gens entre les « normaux » et les stigmatisés79(*). Ainsi un des principes structurants des subjectivités gays et lesbiennes80(*) consiste à trouver des moyens de fuir l'injure et l'éventuelle violence qui peut l'accompagner, notamment l'intériorisation d'un savoir pratique, comme par exemple, savoir où le fait de se tenir par la main ou d'avoir des élans de tendresse ne risque pas de donner lieu à des insultes ou des agressions.

L'injure « pédé » a une portée universelle pour désigner même ceux qui ne le sont pas. Cependant elle reste un rappel à l'ordre sexuel et des genres, elle rappelle ce qu'il ne faut pas être. Têtu emploie très souvent ce terme :

« [...] parmi les gouines et les pédés [...] » (Editorial, n°52), « Je trouve très banal de fantasmer sur un hétéro quand on est pédé. » ( Billet d'humeur, n°52), « Il y a deux sortes de pédés... » (Billet d'humeur, n°52), « Elle laisse à travers le monde des milliers de pédés orphelins... » ( à propos d'une chanteuse, n°52), « [...] une sitcom pédé gore [...] » (Rubrique télévision, n°55), « [...] les pédés qui posent à merveille dans le rôle de la victime [...] » (Dossier sur le rap et les homosexuels, n°55) , « On ne va pas en plus se retaper les problèmes des pédés [...] » (Editorial, n°56), « [...] le pédé aime Mylène Farmer » (Billet d'humeur, n°57), « La télé casse du pédé » (Dossier sur l'homosexualité à la télévision, n°60), « [...] cette fille à pédé parisienne [...] » (Sommaire, n°61)...

De plus, le ton employé relève très souvent de l'ironie, surtout dans les éditoriaux et les billets d'humeur. Nous pourrions dire alors que c'est un pied de nez à l'insulte, une sorte d'auto-dérision. Nous pourrions même dire que certaines fois, le trait est poussé à l'extrême, les journalistes se servent d'un ton provocateur pour dénoncer certaines choses. Sur ce point, deux des enquêtés ont affirmés employer le terme pédé pour se désigner plutôt que celui de gay ou d'homosexuel : « ...un homosexuel c'est un homosexuel au niveau biologique, pour moi un gay c'est quelqu'un qui appartient à une communauté en fait...pour le gay c'est le gay reconnu...Mais moi, il m'arrive de dire pédé...je suis pédé [...] pour moi c'est vraiment pas un mot péjoratif » (Laurent, 22 ans, étudiant)

Nous assimilerons tout cela à une sorte de compétence que les gays et les lesbiennes acquièrent durant, ce que nous avons qualifié de processus d'homosocialisation. Comme nous allons le voir, cet apprentissage peut également se teinter de militantisme.

II ) Des revendications communes 

A partir des années 60, la politisation de l'intimité et de la sexualité a été mise à l'ordre du jour. Il s'agissait de faire débattre publiquement de questions jusque-là dissimulées dans le non-dit du fonctionnement de la famille patriarcale81(*). Dans ce contexte, le mouvement gay, à l'instar du mouvement féministe, a lui aussi fait sienne l'idée d'une politisation de la sexualité. La divulgation d'expériences vécues jusque-là clandestinement à un double sens politique : favoriser une prise de conscience et une croissance du mouvement, lutter contre les multiples discriminations dont souffrent les homosexuels.

Têtu propose chaque mois un tour du monde des informations concernant les gays et les lesbiennes, mais aussi des sujets, des enquêtes d'actualités, des reportages, et il est, le plus souvent question de prés ou de loin d'homophobie.

1. Une communauté pour se défendre

Avant tout la communauté doit être utile contre, ce qu'on pourrait nommer, l'adversité. Au début, le mouvement homosexuel a dû s'ériger en groupe autonome en se libérant du joug médical et psychiatrique, puis pour une plus grande visibilité, puis pour une reconnaissance de droits, ou encore contre l'homophobie. Le mouvement qui avait acquis un statut « normal » a dû, avec l'arrivée du sida au milieu des années 80, se battre contre une stigmatisation encore plus grande. Certains disent que le sida a défini et regroupé véritablement la communauté homosexuelle.

Les dossiers, reportages et enquêtes que l'on trouve dans Têtu au cours de l'année 2001 concernent pour une large part des dénonciations, des revendications essentiellement contre l'homophobie. Comme par exemple :

· Vers un monde meilleur ? La situation de l'homosexualité dans le monde (n°52). Ici, il est question de dénoncer les différents traitement réservés aux homosexuels dans certains pays.

· Le suicide des jeunes homosexuels (n°53). Ici, le magazine dénonce la faiblesse des études consacrées sur le sujet. L'article s'appuie sur des témoignages permettant de sensibiliser les lecteurs.

· Le rose et le rap (n°55). Ici, le magazine fait le point sur l'homophobie engagée de certains rappeurs.

· L'homosexualité en prison (n°55). Le magazine évoque l'homophobie du personnel pénitencier.

· L'homophobie, une tradition policière ? (n°56). De la même façon, ici est dénoncée l'homophobie régnant au sein de certains services de police.

· La résistance des gays new-yorkais (n°59). Ici, Têtu évoque la mise en place d'une résistance des homosexuels face au maire homophobe de New-York.

· Homos en cage (n°60). Ce reportage évoque l'affaire des homosexuels arrêtés en Egypte le 10 mai 2001 dans une discothèque gay du Caire.

A travers ces différents articles mais aussi à travers les brèves informatives que le magazine publie chaque mois, nous voyons que le but est de sensibiliser les individus, de montrer qu'aujourd'hui encore l'homophobie doit être une lutte constante. Les témoignages mais aussi le vocabulaire souvent difficiles permettent d'appuyer la recherche d'une solidarité communautaire. Il y a une volonté de montrer la réalité en contraste avec les pages beaucoup plus superficielles de la mode.

· A propos de l'enquête sur l'homophobie des policiers, le journaliste évoque des anecdotes à propos des certaines altercations ayant eu lieu entre des homosexuels et la police : « Encore des follasses qui s'enfilent au Père-Lachaise. Pourvu qu'une bande de racailles fasse le ménage à notre place... », « Tout est en règle...Une chance pour vous, car nous, les mecs qui se roulent des pelles en bagnole, on les soigne ! » (n°56)

· A propos du procès des homosexuels égyptiens : « Les voilà, ces sales pervers. De vrais monstres ! », « On nous battus, on nous a menacés. Puis il y a eu l'humiliant examen anal pour vérifier si l'on avait été utilisés » (n°60)

Malgré la nette évolution des moeurs et la reconnaissance de l'homosexualité, l'orientation sexuelle reste la cause empêchant officiellement l'accès à certains droits en France. De plus, il y a une absence de protection juridique dans les faits82(*), faisant que les gays et les lesbiennes considèrent cette violence comme légitime et normale. De même, l'adoption du PACS pour les unions de personnes de même sexe n'offre pas les mêmes conditions que les unions hétérosexuelles (mariage, concubinage, PACS). Dans une marche publique organisée par les adversaires du PACS, le 29 janvier 1999, des slogans tels que « Pas de neveux pour les tantouzes », « Les homosexuels d'aujourd'hui sont les pédophiles de demain ! », « PACS= Pratique de Contamination Sidaique » ou encore « Sales pédés, brûlez en enfer ! » furent affichés dans les rues de Paris sans que les homosexuels n'aient pu engager de poursuites judiciaires. Quelques mois plus tard, le 18 octobre, la première proposition de loi élargissant la provocation à la discrimination et à la violence homophobe a été présentée83(*) par le député libéral F. Léotard84(*).

SOS Homophobie est le seul observatoire de l'homophobie en France. Chaque année, cette association bénévole publie un rapport recensant tous les actes ou paroles que l'on peut trouver dans les médias, chez les politiques, sur internet, et également dans les témoignages recueillis par appels téléphoniques sur la ligne d'écoute. Au total, 458 appels ont été reçus au cours de l'année 2001 (diminution de 3% par rapport à l'année précédente). Le thème le plus répandu des appels est celui de l'homophobie vécue dans la vie quotidienne (33%), puis dans la vie professionnelle (21%) avec notamment des menaces, des insultes, des licenciements, des mutations. Les agressions physiques concernent tout de même 9% des appels, ce chiffre a augmenté de 78% par rapport à l'année dernière85(*).

2. Un sentiment de fierté : la Gay Pride

A partir des années 60 et plus spécialement à partir de 196986(*), le terme gay commence à se répandre au lieu du terme homosexuel. L'adoption de ce terme semble représenté un effort pour s'éloigner du modèle médical, et pour constituer une identité basée sur l'orgueil de la différence87(*).

On le sait, « la sexualité » aura pour une part été fabriquée par les avoirs sur la sexualité : ainsi , on le répète à l'envi depuis Michel Foucault, c'est « à la catégorie psychologique, psychiatrique, médicale de l'homosexualité » que nous devons l'invention de l'homosexuel moderne. Aujourd'hui mixte, le terme homosexuel, lui-même, n'apparaît qu'à la fin du XIXème siècle, vraisemblablement introduit en 1869 par Karoly Maria Kertbeny, pseudonyme de l'écrivain et médecin hongrois K.M. Benkert.

Cependant, plusieurs termes, correspondant à différentes époques et différents milieux sociaux, ont été utilisé pour désigner les homosexuels. Après l'apparition des mots comme « homophiles » (utilisé notamment par la première association homosexuelle française Arcadie, dans les années 50), on a vu surgir le terme « homosensuel » de l'écrivain Yves Navarre dans les années 70, puis celui de « folle » et surtout de « pédé », à l'origine de l'ordre de l'insulte mais renversé ensuite, autodénigrement salutaire, par les militants des années 70. Pour les femmes, le terme « lesbienne » se généralise, en dépit des critiques de certaines féministes plus égalitaristes. C'est aussi à cette époque que le terme d'origine américaine « gay » apparaît en Europe qui, pour certains, est un terme neutre et non péjoratif. Il se répand très fortement à la fin des années 70. Cette expression signifiait, dans l'Angleterre du XVIIème, une sorte de Don Juan aux moeurs légères ; deux siècles plus tard, il qualifie les prostituées et prend finalement en 1933 le sens de « garçon homosexuel ». Les termes « queen » (folle) et surtout « queer » (bizarre, construit en opposition à « straight », droit, régulier), s'ils ne sont pas encore très répandus en France, témoignent toutefois du souci des homosexuels de se nommer. Parallèlement, cela peut signifier également que le vent de la libération homosexuelle souffle d'Amérique depuis les années 60 (Stonewall, juin 1969).

Selon l'avis de certains88(*), l'acceptation du terme « gay » est plus large que celle d' « homosexuel » puisqu'il dépasserait très largement le seul concept d'homosexualité et englobe ce qu'on pourrait qualifier de culture et les modes de vie spécifiques du comportement homosexuel. Bien sûr, il faut être conscient qu'il n'y a pas un homosexuel mais des homosexuels, tous différents, et que la culture d'un individu ne tient pas obligatoirement à sa sexualité. Néanmoins, il serait peut-être naïf d'ignorer le lien qui unit le groupe des homosexuels. En effet, c'est le fait de toutes minorités réprimées, que de se regrouper pour faire poids, pour une reconnaissance et une plus grande visibilité. De plus, n'existe-t-il pas un ensemble d'acquis, de vécus et de codes communs ?

Il est intéressant de se poser la question de cette évolution de vocabulaire qui fait, qu'aujourd'hui, le terme d'homosexuel est le plus souvent remplacé par celui de « gay ». N'y aurait-il pas derrière cela une sorte d'euphémisation du langage, comme si ce terme était moins connoté. Or il s'agit bien de la même catégorie. Le statut de gay et de lesbienne est, selon Bourdieu89(*), une construction sociale qui donne au mouvement une visibilité et permet une inversion du stigmate. Ce statut va devenir un emblème (Gay Pride). Ce terme de « gay » aurait été choisi par les homosexuels eux-mêmes pour se désigner90(*) en reconnaissance de la légitimité et de la nécessité du mouvement d'affirmation de soi.

D'une façon générale, on peut se demander si ce terme est une réelle revendication identitaire, une influence des médias ou une américanisation culturelle ?

Ainsi, le groupe qui fut, dans le temps, opprimé et marginalisé au possible va prôner un sentiment de fierté, notamment par rapport aux différents combats qui ont été mené contre la discrimination, l'homophobie et la liberté. Certains parlent même de la fierté comme étant un « antibiotique de la honte91(*) ». C'est elle qui insufflerait au groupe foi en soi et force sociale. L'individu trouverait dans la fierté une appartenance qui contredirait sa solitude culpabilisée issue comme nous l'avons vu d'une homophobie intériorisée. Elle cimenterait le collectif -la communauté- en structurant son rapport de forces face à l'homophobie notamment. L'ancrage communautaire serait donc une étape d'autant plus nécessaire pour les gays et les lesbiennes que leur place dans la société est niée.

Selon Michel Wieviorka92(*), les homosexuels oscilleraient entre deux pôles : il y aurait d'un côté ceux plutôt tentés par le modèle républicain classique, et considèrent qu'ils sont homosexuels en privé, que c'est un problème qui ne regarde pas la vie collective ; et d'un autre côté, ceux qui disent que la seule façon de se constituer en acteur qui crée sa propre existence et qui a une estime de soi, c'est de vivre sur un mode communautaire.

III ) Retour sur la notion de communauté

1. Constitution de la communauté gay et lesbienne

Nous avons déjà signalé que le mouvement homosexuel avait pris naissance avec l'émeute ayant eu lieu en juin 1969 dans un bar gay de New-York, le Stonewall. Cependant, la naissance de ce qu'on nomme la communauté homosexuelle avec tout ce qu'elle implique, notamment en matière de solidarité serait, pour plusieurs auteurs, plus récente et aurait provoqué par l'ampleur qu'a pris l'épidémie du sida, notamment au sein de la population homosexuelle. Entre 1981 et 1984, le nombre de cas explose en France (11 en 1981, 48 en 1982, 140 en 1983 et 377 en 1984) mais le groupe des homosexuels refuse de céder à la panique. Au début, certains militants gays français vont jusqu'à nier la maladie qu'ils imputent à la droite homophobe américaine, le sida serait une invention du président Reagan. Peu à peu les cas se multiplient, les gays prennent acte de l'épidémie mais continue d'en minimiser les risques. Les militants ironisent sur le fait qu'il faut diminuer le nombre de partenaires pour moindre moins de risque. La revue française homosexuelle Masques ira jusqu'à écrire : « Mieux vaut mourir du sida que d'ennui » (Hiver1984-1985). On voit donc que les risques ne sont pas pris au sérieux, soit par peur d'une recrudescence de l'homophobie, soit par souci commercial de protection des intérêts économiques (cela pourrait être l'attitude des patrons gays), deux tendances profondes qui structurent la vie gay depuis la fin des années 70. Il faudra attendre l'arrivée d'un nouveau type de militants (Aides) puis d'une nouvelle génération (Act up) pour que le combat contre le sida s'engage en France93(*).

Têtu consacre tous les mois une rubrique intitulée Têtu + à la recherche contre le sida et donne la parole à un de ces acteurs. Les informations relatives au sida représentent 6,15% sur l'ensemble de notre corpus et chaque année, il publie un numéro spécial en supplément dédié uniquement aux différentes avancées dans la recherche.

Peu à peu, cette notion de communauté s'est étendue pour revêtir divers aspects de la vie homosexuelle. Sur quoi s'appuie cette communauté :

- un petit monde associatif, que ce soit pour un simple accueil convivial, un lieu de solidarité militante, pour une activité culturelle ou sportive, un loisir, un âge, une origine...(on peut citer en exemple : GARE ! l'association des travailleurs gays de la SNCF ; Les caramels fous, une association gay de troupe de comédies musicales ; David et Jonathan, association des gays catholiques ; Aqua Homo, association gay pour la natation ou encore Long Yang Club Paris, une association de gays asiatiques...la liste est encore très longue)94(*).

- un espace commercial, avec des établissements et entreprises plus ou moins ouvertes aux hétérosexuels comme des bars, des boîtes, des saunas, des restaurants, des sex-shops, des librairies, des médias de charme ou d'information...Ces établissements ont un but lucratif ou non, ils peuvent être guider uniquement par des intérêts vénaux, par une mission culturelle, de diffusion et de défense.

- Il existe aussi des initiatives ou des réseaux comme Act-Up, les Centre gay et Lesbien que l'on retrouve dans de nombreuses villes comme Paris, Rennes, Nantes ou Lille, ou les Universités Euroméditerranéennes d'été des homosexualités qui se déroulent chaque année à Marseille.

Les médias gays, et dans une moindre mesure, les médias lesbiens, ont joué un rôle important dans la constitution de cette communauté, notamment par leur pouvoir de dénonciation et leur pouvoir de « ralliement ».

Les médias comme un pouvoir de dénonciation 

Souvent issus de la scène militante, les médias homosexuels ont tenté de concilier presse d'information et presse d'opinion.

De 1952 à 1955 est édité une double feuille mensuelle rapidement interdite à la vente en kiosque Futur. Il s'agit d'un journal d'information pour l'égalité et la liberté sexuelles qui traite régulièrement de l'homosexualité masculine seulement. Le journal reste confidentiel et sera vite supplanté par Arcadie, édité par l'association éponyme dont elle diffuse fidèlement les travaux théoriques dés janvier 1954. Revue littéraire et scientifique, Arcadie a vite prés de 2500 abonnés mais est interdite à la vente en kiosque dés juin 54. L'interdiction ne sera levée qu'en mai 1975. Cette revue traite, elle aussi, spécifiquement de l'homosexualité masculine dans une approche plus compassionnelle que militante. Au début des années 70, les titres de presse qui abordent l'homosexualité et se font les portes-parole des revendications politiques de l'époque le font de façon épisodique ou sont issus des mouvements revendicatifs d'alors. C'est le cas du Fléau social, journal homosexuel étroitement lié avec le Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire. Au milieu des années 70, les titres de la presse homosexuelle restent limités dans leur influence, peu engagés politiquement et régulièrement censurés (Homo, Dialogues homophiles, Gaie presse, Olympe...). Il faut attendre la fin des années 70 pour connaître la vraie révolution, tant culturelle qu'économique, de la presse gay. Gai Pied naît en avril 1979 de la volonté de certains militants. Il est le résultat de la découverte par les homosexuels de l'impact de l'utilisation des médias. Le journal, diffusé en kiosque connaît un grand succès (15 000 exemplaires en vente chaque mois) et s'impose rapidement comme le leader dans son domaine malgré la concurrence d'Homophonies, le mensuel du Comité d'Urgence Anti-Répression Homosexuelle qui sera édité entre 1980 et 1986 et, dans une moindre mesure, celle de la revue Masques (1979-1986) qui réussit le pari de la mixité. Gai Pied devient un hebdomadaire en novembre 1982 avec 30 000 exemplaires vendus chaque semaine. Mais peu à peu, le titre phare de la presse homosexuelle (masculine) va être concurrencé sur tous les terrains. C'est la véritable apparition de la presse érotique. Le lancement de Samouraï en 1982, la création de Lesbia en décembre de la même année, sont les premiers coups de canif au monopole du titre. Une nouvelle donne économique, une évolution du contexte social et politique contraignent le journal à de dures adaptations qui donnent lieu à d'importantes scissions. En 1981, une fréquence est accordée à Fréquence Gaie, ce qui bouscule le paysage médiatique gay jusqu'alors cantonné à la presse écrite. En 1987, Gai Pied est l'objet d'une menace d'interdiction par le ministère de l'Intérieur rappelant qu'aucun titre gay n'est définitivement à l'abri de la censure. En 1988, c'est au tour de la presse gay gratuite (Illico) de faire son apparition. Indispensable phare de la communauté homosexuelle des années durant, Gai Pied voit inexorablement ses ventes chuter jusqu'à sa disparition en octobre 1992. Cette disparition semble mettre en deuil la presse d'information, et d'opinion homosexuelle même si elle suscite quelques vocations. De nombreuses initiatives éditoriales aux ambitions diverses échouent tandis que d'autres, peu nombreuses, trouvent leurs marques comme Idol en juillet 1994, Têtu en juillet 1995 ou Ex æquo en novembre 1996.

Aujourd'hui, de toutes ces revues, seuls Têtu et Lesbia ont perduré.

2. Une communauté divisée ?

Les premières associations qui voient le jour pour la lutte contre le sida sont le fait de militants homosexuels principalement. Leur organisation est rapide du fait de leur expérience de l'engagement. Mais la mobilisation prend véritablement naissance avec la création de l'association AIDES. C'est le sociologue et compagnon de Michel Foucault mort du sida le 25 juin 1984, Daniel Defert qui en prend l'initiative. Son projet intègre alors une révolte contre l'attitude des médecins face aux malades et la nécessité d'assumer la nouvelle réalité produite par le sida. : « Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d'identité, je propose un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation ». On crée alors une permanence téléphonique, des brochures sont diffusées dans les bars, ou encartées aux frais de l'association dans Gai pied hebdo. Bientôt seront distribués dans les bars, les saunas et back rooms, des préservatifs. Mais certains patrons d'établissements gays refusent en 1985-1987 que l'on effectue de la prévention dans leurs bars ou saunas, par crainte de perdre leur clientèle.

Les associations vont donc mener un rôle très important dans l'avancement quotidienne de la maladie. Elles sont des espaces de socialisation, d'expression et de mise en commun des angoisses, des interrogations, des difficultés matérielles et morales. Les activités sont des moments où les intérêts individuels deviennent des intérêts collectifs. La constitution de ces groupes est une condition nécessaire à la représentation publique de la lutte contre le sida dont le premier enjeu est de se faire reconnaître comme les porte-parole des victimes de la maladie. De sorte que la lutte contre le sida devient d'abord un enjeu d'identité, une lutte pour que les représentants de ces groupes constitués interviennent dans les instances qui consacrent cette légitimité et cette identité, tels que les médias, l'Etat, la médecine.... Au départ les associations se sont orientées vers une cause généralisée c'est-à-dire que, malgré le fait que les membres étaient principalement homosexuels, elles ne se revendiquaient pas comme telles par peur de la stigmatisation.

L'action militante va évoluer et se radicaliser. En 1989, Didier Lestade donne naissance à Act up de l'importation d'un modèle américain et d'une pensée communautaire qui n'a pas de véritable équivalent en France. Par là, il entend dépasser le nécessaire mais selon lui insuffisant travail social de Aides, il veut entrer dans le champ de la politique. Il va prôner la visibilité publique de l'homosexualité et de la maladie. Désobéissances civiles, jet de sang, personnes menottées, enterrements politiques, outing, die in, l'association Act-up Paris crée en 1989, se veut révolutionnaires et affiche, dés ses premières manifestations un slogan appelé à un grand avenir : « Silence = Mort ». A travers ce nouveau groupe, le mouvement homosexuel en tant que tel fait irruption dans le monde associatif de la lutte contre le sida. Il repose sur la volonté de construire une identité et une communauté homosexuelles. Act-up justifie son orientation par le fait que le sida ne touche pas tout le monde de la même façon et que ce sont les minorités les plus opprimées qui en furent les premières victimes. Le sida serait alors révélateur des multiples exclusions que connaît notre monde : « Dans les pays industrialisés, le sida n'a pas frappé en premier n'importe quel homme ou n'importe quelle femme, mais les homosexuels, les toxicomanes, les minorités ethniques, les prisonniers [...] oubliés par la recherche médicale [...]. En ce sens, le sida n'est pas seulement un drame humain ou collectif ; c'est encore aujourd'hui un drame ciblé sur des catégorie sociales précises, définies par leurs pratiques et leurs écarts par rapport au modèle dominant. »95(*) Pourtant au delà de toutes tentatives d'élargissement du discours sur les minorités à toutes les minorités placées en première ligne de l'épidémie, c'est bien la communauté homosexuelle qui est centrale, à tel point que l'association apparaît tout autant aux yeux du public comme une association de défense des homosexuels que de lutte contre le sida.(Cf. Tableau en annexe).

Les différentes associations montrent qu'il existe au sein même de la communauté homosexuelle, des micro groupes. Il peut y avoir parfois de vives tensions voire des oppositions entre ces groupes, dans ce sens nous pouvons citer l'apparition d'un groupe d'individus masculins qui prônent le barebacking, c'est-à-dire, le sexe sans protection même si l'un des partenaires est séropositif, et véhiculent un discours provocateur. Cela constitue le paradoxe de cette communauté. Il n'y aurait donc pas de communauté organique fermée mais une appartenance communautaire ouverte. Il n'y aurait pas une identité exclusive mais une référence identitaire.

On a vu également que la communauté n'abolit pas forcément le rapport de domination des hommes sur les femmes, dans ce cas, il faudrait peut-être penser une communauté lesbienne séparée d'une communauté gay.

Il faudrait se demander aussi si la communauté abolirait les frontières sociales ? Y-aurait-il une communauté qui transcenderait les différences sociales mais aussi générationnelles et donnerait lieu à une culture commune ?

3. La communauté, un ghetto ?

La notion de ghetto ou encore de milieu gay est le terme péjoratif employé par les homosexuels eux-mêmes pour désigner, dans certains cas, la communauté. Dans les entretiens que nous avons réalisés mais aussi dans les pages de Têtu, l'expression de milieu gay est très souvent employée tantôt comme une réalité familière et utile, tantôt comme quelque chose qu'il faut absolument fuir au risque de devoir se conformer à l'identité gay qui peut être aussi porteuse d'exclusion que la norme hétérosexuelle. On a pu le constater à travers les images que renvoient les pages de Têtu, qui se veut représentant de la presse gay en France et qui ne donne à voir qu'une image plutôt normée de la population homosexuelle masculine. La presse gay s'inscrit le plus souvent dans la continuité des images que les médias montrent du Marais notamment. Cela rejoint l'idée que la presse gay comme Têtu cible un lectorat plutôt communautaire et plutôt parisien. Le ghetto, comme certains le nomment, serait porteur de ses propres exclusions (anti-vieux, anti-moche...) et le terme de communauté ne serait que l'expression politique pour désigner ce ghetto.

Cependant, l'expression de ghetto peut signaler avant tout une perception subjective de la manière dont les homosexuels s'organisent pour vivre en société. Derrière ce vocable ce sont bien les notions d'identité, de visibilité et d'acceptation qui sont en jeu. Au sens littéral du mot, il désigne un lieu où l'on enferme les gens contre leur gré, où ils sont obligés de rester. La plupart du temps, les homosexuels qui parlent du ghetto sont ceux qui disent ne pas en faire partie. Dire « je suis hors-ghetto, hors-milieu », c'est affirmer une sorte de virginité en se démarquant de cette image négative, c'est ce que l'on peut trouver quelques fois dans les petites annonces ; être hors-milieu, c'est de pas fréquenter les lieux spécifiquement gays et en particulier les établissements dits de sexe, c'est la consommation à outrance des services proposés aux homosexuels au risque de s'y diluer par mimétisme.

A en croire ce que l'on peut voir dans le magazine (mis à part les pages mode) ainsi ce qui ressort des différents entretiens, la communauté, même assimilée à un ghetto, est un point de passage obligatoire au cours de l'homosocialisation. Elle offre des repères à des individus dans une société qui les stigmatise. Du fait de la ségrégation imposée, en quelque sorte, aux homosexuels, la communauté, le milieu serait un outil d'intégration, un espace d'insertion dont les individus vont progressivement se défaire. Le fait que les gays et les lesbiennes fréquentent les lieux de sociabilité qui leur sont destinés pourrait s'expliquer ainsi. Ils seraient un espace de liberté nécessaire à leur construction identitaire. Les enquêtés ont tous et toutes fréquentaient ou fréquentent encore des lieux, comme des discothèques, des bars, des restaurants spécifiquement homosexuels.

Pour clore ce chapitre, on pourrait se demander si, pour parvenir à une réelle égalité des droits, les homosexuels doivent s'inscrire dans un processus d'égalité universaliste au risque de nier leur identité ou s'ils doivent construire des structures et des représentations communautaires qui leur soient propres, sur un modèle américain, au risque de se couper du reste de la société.

Selon Alain Touraine96(*), les homosexuels doivent construire une identité collective qui leur permette d'être partie prenante de la réflexion générale de la société. Le terme de communauté serait une assimilation du terme américain community qui s'emploie pour désigner des collectivités de toutes sortes et a donc une acceptation très large, les habitants d'une ville, d'un quartier, les usagers de tel ou tel service forment une communauté, ce qui ne se dirait pas en France. Touraine préconise donc plutôt la notion d'identité collective dont l'expression et la reconnaissance passent par la formation d'acteurs sociaux. Il n'y aurait pas , selon lui, de pouvoir communautaire en France chez les homosexuels car il n'y a pas d'organisation représentative qui confèrerait une capacité de prise de conscience et d'action plus importante. Il encourage donc plutôt à insister sur la notion d'identité culturelle en plus de l'aspiration à l'égalité des droits où il s'agirait de reconnaître autrui dans son identité gay.

Mais faut-il nécessairement rattacher l'individu à un groupe dans lequel il soit inséré, sinon subordonné ? Ce groupe peut-il être une communauté homogène ? Est-il juste de valoriser la culture minoritaire au détriment du monde commun ? Ainsi, on peut se demander si ce débat que l'on retrouve plutôt aux Etats-Unis est transposable en France ?

CHAP. VI ) COMMENT LA COMMUNAUTE A-T-ELLE ENGENDRE LA NOTION DE CULTURE GAY ?

Le concept d'identité gay contemporaine va impliquer un certain nombre de choses, comme le choix d'un style de vie, le fait d'affronter les discriminations sociales, le fait de vivre publiquement plutôt que caché et un sentiment de fierté. Aujourd'hui, on pourrait dire que l' « on cultive son homosexualité ».

Nous l'avons vu dans le premier chapitre, le philosophe militant Michel Foucault voyait dans la sexualité une manière de façonner et de créer son existence, ce faisant, l'homosexuel pouvait multiplier, inventer de nouvelles formes de relations sociales, d'amour et d'affection. Ainsi, l'homosexualité contribuerait à l'émergence d'une culture en instituant de nouveaux rapports sociaux et de nouvelles formes d'amitié. Conséquemment, la pratique de la liberté contribuerait à modifier et transformer la réalité sociale. C'est pourquoi M.Foucault appelait à la création d'une culture gay en désignant par là l'invention de nouvelles formes de vie, c'est-à-dire de faire de l'homosexualité, une force créatrice.

Aujourd'hui, cette notion de culture gay est passée dans le vocabulaire courant et ne semble pas être remise en question dans les différents travaux que l'on pourrait qualifier comme issus des gays and lesbian studies à la française. Or si l'on interroge ce concept, nous nous retrouvons confronté à une multitude d'aspects dont nous ne pourrions pas affirmer qu'ils révèlent l'existence prouvée d'une culture spécifique aux gays et aux lesbiennes. Une définition simpliste serait de dire que la culture gay se retrouve dans tout un ensemble de productions socio-culturelles comme des journaux, des magazines, des revues ; des romans, nouvelles, recueils de poésie ou encore des bandes dessinées ; des essais sociologiques, historiques ; des peintures, photographies, sculptures ; des musiques, chansons ou des films. Bien sûr pour chacun de ces supports, il existe des productions dites homosexuelles c'est-à-dire faites par des homosexuels, ou pour des homosexuels ou qui font référence à l'homosexualité et dans lesquelles les gays et les lesbiennes pourraient se retrouver et se construire . Tous ces supports se retrouvent d'ailleurs au sein d'un Conservatoire des Archives et des Mémoires Homosexuelles créé en septembre 2002 en banlieue parisienne. Cependant, il importe de se demander si cette définition suffit à évoquer l'idée d'une culture homosexuelle.

1) Les arts comme terrain d'apparition de l'homosexualité

1. « Une histoire secrète » : le refuge de la culture

C'est dans la littérature et dans l'art en général que l'on trouve les traces d'une histoire collective de l'homosexualité. Souvent par messages codés, les homosexuels pouvaient se reconnaître. Les livres, la peinture, et plus tard le cinéma ont été des refuges, des sortes d'abri.

Durant la période de la Renaissance, certains peintres comme Michel-Ange jouaient avec les métaphores homo-érotiques en détournant subtilement la morale traditionnelle. Ce que l'on pourrait qualifier de subjectivité homosexuelle fut surtout exprimée en Italie mais aussi en Angleterre avec Shakespeare dans Edward II notamment97(*).

Comme mot et comme concept, l'homosexualité est une affaire récente. Confondue sous l'Antiquité avec l'amitié, la bisexualité, voire la pédérastie, elle n'est définie comme pratique que peu à peu avec le christianisme et finalement nommée à la fin du XIXème siècle. Pour tenter de retracer brièvement l'histoire de l'homosexualité, nous pouvons suivre l'histoire de l'art et de la littérature, la culture constituant un bon repère pour une histoire de la sexualité puisqu'elle a souvent permis de montrer et de dire ce que la société se refusait de voir. En recherchant, les traces de l'histoire collective des homosexuels, « histoire secrète » pour reprendre le mot de Marguerite Yourcenar, il apparaît que c'est bien dans l'art et la littérature, au moins jusqu'à la fin des années 60, que les sources sont les plus nombreuses et les matériaux les plus riches. Sous des formes diverses, c'est donc d'abord la littérature qui a hébergé le militantisme homosexuel. Elle permettait de tout dire : la marginalité, la solitude, la souffrance et la révolte. Elle a longtemps, et aujourd'hui encore à en croire certains de nos entretiens mais dans un tout autre contexte, offert à nombre d'homosexuels des repères, des modèles...Selon le sociologue Didier Eribon, « c'est souvent en fouillant les bibliothèques que les gays inventent leur vie »98(*). Cette affirmation montre combien, il est important pour les homosexuels de se constituer des références.

Têtu donne des pistes de lecture en présentant à son lectorat une série de critiques littéraires sur des nouveautés. Les livres présentés n'ont pas tous un rapport direct à l'homosexualité (cf. Annexe, Figure 5.1). Cependant, ils sont tous présentés en vue de satisfaire les subjectivités dites homosexuelles.

Cette définition de la culture homosexuelle prendrait donc sa source dans une tradition littéraire et artistique et entend répondre à la demande des gays et des lesbiennes en quête d'images positives.

2. Un patrimoine gay et lesbien ?

Le patrimoine est un ensemble de biens transmissibles propres à une personne ou, dans le cas de cette hypothèse, à une collectivité. Le patrimoine est extensible à l'infini et pourrait très bien correspondre à toutes ces oeuvres dites homosexuelles, sinon comment pourrait-on expliquer qu'il existe des guides relatant toutes ces oeuvres99(*). De plus, Têtu fait constamment référence à des personnages historiques, littéraires ou autres homosexuels en vantant leurs oeuvres, il y aurait là une mise en avant de références dont la reconnaissance est incontestable, reconnaissance qui participerait à la légitimation de leur orientation sexuelle . Têtu véhiculerait donc l'idée de cette volonté de construction d'une culture propre aux homosexuels au moins artificiellement.

Le magazine consacre tous les mois, depuis décembre 99, une rubrique intitulée : Notre Xxème siècle, avec chaque mois un hommage à un grand personnage aujourd'hui disparu. L'emploi du pronom possessif « notre » montre la volonté de rassembler les lecteurs dans un même tout. « Notre Xxème siècle » fait donc référence à des personnages homosexuels ou lesbiennes (dans une moindre part, 2/11). Il y a là une volonté de dire que ces gens là font parti du patrimoine culturel communautaire. Cela permet de légitimer une reconnaissance de l'homosexualité, une façon de dire que si ces grands personnages étaient homosexuels alors il n'y a pas de raison de qualifier l'homosexualité de « tare ». On le voit, l'article commence toujours par une éloge du personnage :

· André Gide : « a dominé la scène littéraire pendant un demi-siècle, ne cachant rien de son homosexualité » (n°54)

· Allen Ginsberg : « sans conteste, l'un des plus grands poètes américains du Xxème siècle » (n°55)

· Bernard-Marie Koltés : « grand dramaturge français de la fin du Xxème siècle » (n°57)

· Benjamin Britten : « le plus important compositeur anglais du Xxème siècle » (n°60)

Il semble avoir là une volonté de montrer la compatibilité de l'homosexualité avec le talent. Nous pourrions là encore évoquer un sentiment de fierté, sinon d'orgueil caché, à découvrir, par exemple, qu'André Gide, Jean Genet, Jean Cocteau, Colette, Marguerite Yourcenar, bref quelques-uns des grands écrivains de l'époque, étaient homosexuels.

Ces personnages vont donc s'inscrire dans un patrimoine gay et lesbien (Marlène Dietrich et Marguerite Yourcenar pour l'année 2001) qu'il serait bien vu de connaître si l'on souhaite adhérer à une « culture » homosexuelle, qu'elle soit réelle ou artificielle. Si l'on entend « culture »  dans son sens restreint, l'ensemble des productions artistiques, qu'elles soient littéraires, cinématographiques, musicales ou encore photographiques, on pourrait dire qu'il peut être question d'une culture homosexuelle. Cela va participer à la construction identitaire et culturelle des individus se découvrant homosexuels. C'est-à-dire que le fait de connaître un certain nombre d'éléments de ce « patrimoine gay », va conditionner la compétence, au sens ethnométhodologique100(*), des acteurs membres de la communauté ou qui souhaitent appartenir à cette communauté. Dans une interaction, l'essentiel c'est d'être reconnu en tant que membre par la communauté, pour cela, il faut montrer sa compétence, en exhiber les caractéristiques en manifestant qu'on appartient bien au groupe. Nous pourrions penser que le fait de défiler pour sa première gay pride marque une sorte d'entrée dans la communauté gay, le fait de faire son coming-out, également.

La compétence pour les ethnométhodologues, peut être de 3 sortes : il y a tout d'abord la compétence culturelle, c'est-à-dire l'aptitude qu'à un membre d'une communauté à interagir avec les membres déjà compétents, qui possèdent des croyances ; puis la compétence linguistique, qui est un pré-requis pour participer aux actions, c'est l'aptitude à communiquer, à interpréter, à connaître les stratégies d'emploi d'expressions et avoir la connaissance des contraintes sociales pesant sur les interactions dans lesquelles nous sommes émergés, c'est une compétence communicationnelle. Nous pourrions entendre par là tous ce qui est des codes, des symboles homosexuels, ce qui permet également de savoir à quel moment et dans quelle situation, il est possible de montrer son homosexualité, mais aussi toutes les expressions qui renvoient à des références connues des gays et lesbiennes. Selon des linguistes américains, il existerait un dialecte propre aux gays et aux lesbiennes. Ils se sont récemment réunis pour la 10ème édition afin de rendre compte de l'étude de l'étymologie du langage gay de la dernière décennie. Ce dialecte gay en question serait appelé « Lavender language », lavender étant le symbole gay employé avant l'apparition du drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel.101(*)Une des questions qu'ils se sont posés est celle de la façon dont on apprend à parler gay, et il a été convenu que plusieurs livres et émissions de télévision comme « Will&Grace » ou « Queer as folk » (séries diffusées en France) sont utilisés afin de jeter les bases du matériel de travail ; enfin il y a la compétence interactionnelle. En effet, la compétence n'est pas seulement la connaissance, si les individus doivent montrer ce qu'ils savent, il faut bien que d'autres membres reconnaissent cette connaissance.

Exemple de langage gay

Auto-reverse : qualificatif donné aux homosexuels qui sont indifféremment actifs et passifs dans leurs rapports sexuels.

Backroom : arrière salle d'un bar ou d'une discothèque où l'on peut consommer le sexe sur place entre hommes.

Butch : se dit d'un homosexuel très viril ou d'une lesbienne très masculine genre « camionneuse ».

Camp : en anglais « folle », implique la féminité de l'homosexuel.

Coiffeuse : surnom péjoratif donné par les gays aux gays trop efféminés.

Come-out : faire son coming-out signifie rendre publique son homosexualité.

Cruising : terme anglais désignant la drague. Dans les guides gays, on trouve souvent : « cruising bar ».

Goudou : nom familier et péjoratif donné aux lesbiennes.

Honteuse : nom donné par les gays à un gay qui ne s'assume pas et dissimule son homosexualité.

Outing : dénonciation publique de l'homosexualité d'une personnalité connue.

Queer : mot anglais désignant les homosexuels dans leur ensemble (hommes et femmes).

Rainbow flag : drapeau de la communauté gay et lesbienne aux couleurs de l'arc-en-ciel, sorte de signe de ralliement.

Relapse : nom donné à la tendance des homosexuels ces dernières années à se relâcher dans la prévention et la protection contre le sida.

Straight : opposé à gay, désigne les hétérosexuels.

Têtu emploie constamment des termes qui peuvent faire partis d'un langage gay. Chacun se doit donc de comprendre de quoi il s'agit. Prenons l'exemple de l'adjectif camp : ce mot désigne une manière d'être, une auto-dérision kitsh qui, serait propre aux homosexuels. Il se rattache notamment au phénomène des drag-queens, au culte des stars de la chanson comme Dalida, Chantal Goya, Amanda Lear ou Sheila, au culte d'une série d'actrices divines comme Judy Garland ou Marylin Monroe, rigolotes comme Valérie Lemercier ou Sylvie Joly, et trash comme les héroïnes de la série Absolutely fabulous102(*).

Le fait que l'homosexualité a été réprimée pendant une longue période (et qu'elle le soit encore dans de nombreux pays) a poussé les gays et les lesbiennes à s'approprier un certain nombre de choses et à les regrouper sous le terme de « culture ». Il est difficile d'imaginer aujourd'hui ce que furent sans doute les conversations des homosexuels entre eux se racontant le procès d'Oscar Wilde, leurs débats sur les moindres détails allusifs de Sodome et Gomorrhe de Proust ou leur émotion face au courage de Gide lorsqu'il écrivit Corydon, son petit traité sur l'homosexualité. De leur côté, les lesbiennes ont pu se familiariser avec la Claudine de Colette. Les traces de l'histoire des homosexuels se cachent sans doute dans cette profusion littéraire, quelque part entre Le banquet de Platon, les sonnets de Shakespeare et les Essais de Montaigne mais aussi autour des ouvrages de Gertrude Stein et de Virginia Woolf.

Le magazine Têtu fait chaque mois un tour d'horizon de l'actualités littéraires mais aussi cinématographiques et musicales. On l'a vu les livres ne font pas exclusivement référence à l'homosexualité, en ce qui concerne les films c'est la même chose. Il offre aussi une sorte de repères télévisuels, c'est-à-dire en gros ce qu'il ne faut pas manquer quand la télévision parle d'homosexualité ou de sujets qui peuvent intéresser les gays et les lesbiennes, cela peut aller du reportage sur Barbara, Dalida ou la retransmission d'un concert d'Elton John (n°52) à un documentaire sur les drogues ou encore sur les roux (n°56) ou Loft Story (n°56). Ces rubriques que j'ai regroupé sous le terme d' « informations socio-culturelles » ont pour fonction, à mon sens, de guider les gays et les lesbiennes vers des programmes repères qui vont dans le sens d'une adhésion à certaines valeurs, à certains styles de vie, à certains goûts. Ces points de repère montre la volonté de réunir les homosexuels autour d'une « idéologie » commune, autour de centres d'intérêt communs ou tout simplement permet de conseiller les lecteurs en évoquant ce qui existe en matière de productions culturelles et qui pourraient les intéresser.

Têtu évoque très souvent ou font référence au détour d'un article, ce que l'on appelle les icônes gays. Elles sont plus généralement des femmes, des artistes, des chanteuses. Aujourd'hui, ce terme est couramment employé, par exemple pour parler de Madonna, Mylène Farmer, Barbara ou encore Sheila, sans savoir réellement qu'est-ce qui fait qu'elles soient considérées comme telles. Certains vont mettre en avant le fait que ce qui attire les homosexuels, ce ne serait pas la femme qui attirerait leur attention, mais l'essence absolue de la femme, sa représentation fantasmée, son image parfaite103(*). Ainsi, les gays s'éprendraient des divas, qui sont le symbole même de la femme idéale et inaccessible. Cependant, on est en droit de se demander si des chanteuses comme Sheila ou plus actuellement Mariah Carey ou Kylie Minogue peuvent être considérées comme des divas. Cet amour sans désir trouverait même sa réalisation dans un fétichisme des plus fervents, certains vont jusqu'à dire que Mylène Farmer, Sheila et Sylvie Vartan sont les stars incontestées du panthéon gay et formeraient incontestablement une culture gay. Cette engouement ne concerne évidemment pas tous les homosexuels et nous pourrions même dire qu'il est surtout le fait des générations précédentes. A travers les entretiens, on s'aperçoit que cette image est désuète et même ridicule et ironisée : « Moi ça me ferait mal de me dire que la culture gay se fonde sur le dernier album de Mylène et sur la dernière collection de Jean-Paul Gaultier [...] » ( Laurent, 22 ans, étudiant). La rubrique Infos de Têtu traite chaque mois une partie people dans laquelle on peut suivre les actualités de ces icônes :

· Kylie Minogue fait de la publicité pour Coca (n°52)

· Sortie de la troisième saison d'Absolutely Fabulous (série apparemment culte) (n°52)

· Janet Jackson divorce (n°53)

· Le mariage de Madonna (n°53)

Cet engouement n'a pas non plus son équivalent chez les lesbiennes, qui elles, on l'a vu, vont plutôt s'intéresser à une personnalité publique du fait de son homosexualité (Amélie Mauresmo, Ellen Degeneres, KD Lang, Anne-Laure...).

Il y a cependant, une volonté de constituer une sorte de patrimoine musical homosexuel, malgré le fait que cela puisse être contesté et bien plus relatif qu'un patrimoine littéraire ou cinématographique.

Le conservatoire des archives et des mémoires homosexuelles

Ce conservatoire ouvert depuis septembre 2002 se propose de regrouper et d'archiver tous supports, tous documents ayant attrait à l'homosexualité, la bisexualité et la transexualité. On peut y trouver des journaux, des magazines, des revues, des fanzines, des bulletins associatifs, des ressources documentaires sur papier et sur internet, des musiques, des chansons, des émissions radio, des vidéos, des films, des programmes, des plans, des guides, des catalogues, des romans, des nouvelles, des recueils de poésies, des romans photos, des bandes dessinées, des photographie, des dessins, des peintures, des sculptures, des posters, des calendriers, des affiches, des tracts, des flyers et autres objets divers104(*). Tout ceci montre bien la volonté de construire et de rendre visible un véritable patrimoine gay et lesbien.

Si le patrimoine musical est contestable, le patrimoine littéraire, semble plus probable. Ainsi, dans une lignée qui va de Proust à Yourcenar et relie Gide, Genet ou plus récemment Bernard-Marie Koltés, on pourrait parler d'une certaine mémoire collective des homosexuels qui se serait gravée : le monde de Proust constituerait à lui seul un repère culturel essentiel de l'homosexualité, « il n'y avait pas d'anormaux quand l'homosexualité était la norme » reste le mot fameux de la Recherche du temps perdu105(*).

II ) Usages et enjeux sociaux d'une culture gay et/ou lesbienne

1. Pour un usage médiatique du terme

En France, à partir du XIXème siècle, le terme de culture prend une dimension collective et ne se rapporte plus seulement au développement intellectuel de l'individu. Il désigne aussi désormais un ensemble de caractères propres à une communauté, mais dans un sens souvent large et flou. Aujourd'hui, le problèmes des cultures connaît un renouveau d'actualité. La défense de l'autonomie culturelle serait très liée à la préservation de l'identité collective. Durkheim développait une théorie de la conscience collective qui serait une forme de théorie culturelle et qui serait faite de représentations collectives, d'idéaux, de valeurs et de sentiments communs à tous les individus. Cette conscience collective précède l'individu, s'impose à lui, lui est extérieure et le transcendante. Chaque culture offrirait un schéma inconscient aux individus pour toutes les activités de leur vie.

Les nouvelles générations de chercheurs de la seconde moitié des années 80, ont exploré, dans une lignée constructiviste, les significations culturelles de l'homosexualité106(*). La dimension culturelle devient alors l'axe central englobant les identités liées à la sexualité et au genre, mais aussi des représentations culturelles de toutes sortes (littéraires, cinématographiques...) ainsi que les pratiques, codes et modalités du discours qui les sous-tendent.

L'homosexualité est alors abordée comme un univers de signes, et l'homosexuel comme producteur et consommateur de signes. Exclu des codes dominants, il est à la recherche de sens, d'images, des significations cachées, implicites, potentielles, ambiguës, tout en étant confronté à une figure négative et fantomatique de l'homosexualité qui hante toute les représentations de la culture occidentale. Les médias vont conforter cette idée selon laquelle, il existerait bel et bien une culture propre aux homosexuels, notamment en la bardant de stéréotypes lus ou moins réels, comme par exemple : les gays adorent Madonna, les lesbiennes adorent Amélie Mauresmo, les homosexuels sont des « fashion victimes », ils sont toujours à la mode, le disco fait partie de la culture gay...etc...L'image médiatique qui est renvoyée de cette éventuelle culture spécifique reste très floue et indéfinie, c'est-à-dire qu'elle va regrouper un peu tout et n'importe quoi. On est alors en droit de se demander si cet usage ne serait-il pas un simple objet marketing exploitant la fierté homosexuelle ? Aujourd'hui, tout est américanisé, n'y aurait-il pas là un regard tourné outre-Atlantique de se dire que la communauté a automatiquement engendré une culture spécifique ?

En effet, les médias sont assez friands de ce genre d'américanisation. Tout y est catégorisé et étiqueté, les homosexuels sont comme ci, comme ça et c'est ce que reflète leur culture. On se perd alors dans ce qui est réel, ce qui est artificiel ou ce qui est inventée, et on en oublie de définir ce qu'est réellement une culture.

2. Pour un contre-pouvoir ?

Ne pourrait-on pas parler d'un groupe marginalisé un temps par la société et qui aujourd'hui réclame le droit autant à l'indifférence qu'à la différence (en revendiquant le fait d'être un groupe à part et d'en être fier ) et qui s'érigerait en contre-culture pour établir un contre-pouvoir face aux dominants hétérosexuels ?

Par rapport à ce qui vient d'être dit, l'auto-proclamation d'une culture parcellaire, comme l'est la culture gay, si elle existe, est souvent une réaction à une certaine domination sociale. L'affirmation « c'est ma culture » est censé anoblir et effacer en quelque sorte les signes de l'infériorité. En effet, c'est ce que les Gay and Lesbian Studies mettent en avant, la reconnaissance de la communauté homosexuelle passerait par l'établissement d'un contre-pouvoir agissant sur la société imposant des normes et des modèles de conduite hétérosexuelles par le biais d'une culture propre, d'une fierté propre. Autrement dit, ce serait l'oppression qu'ont connu les homosexuels pendant un grand nombre d'années qui a fait émerger cette notion de culture gay. A travers une approche constructiviste des groupes sociaux107(*), nous pourrions tenter de comprendre l'émergence d'un tel concept en retraçant les fondements historiques, le processus socio-historiques du mouvement homosexuel français. Nous précisons français parce que l'histoire et la tradition est tout autre aux Etats-Unis où chaque communauté a sa propre culture. A ce propos, nous pourrions envisager le fait que si l'on parle tant de culture gay en France, c'est pour suivre l'exemple des lobbies gays américain. L'emploi du terme gay pourrait nous le confirmer.

Cependant, à trop vouloir se démarquer, n'y a-t-il pas un risque de tomber dans une marginalisation ghettoisée, dans un ethnocentrisme hétérophobe ?

On pourrait alors se demander si au lieu de parler d'une culture propre aux homosexuels, il ne serait plus prudent de se référer à la notion de mémoire collective développée par Maurice Halbwachs108(*). En proposant une lecture en termes de mémoire de la classe ouvrière confrontée à la matière et exclue de la mémoire de la société, il élabore une sociologie de la mémoire qui part de l'hypothèse que chaque groupe est porteur d'une mémoire collective par rapport à laquelle la mémoire individuelle s'identifie. Se souvenir serait une réponse de l'individu à une question posée par la société. Les cadres sociaux sont le langage, l'espace et le temps ; ils sont le moyen dont le groupe se sert pour reconstruire « le passé en fonction de ses intérêts présents ». La mémoire collective d'un groupe implique la représentation de la société et du monde qui unifie la pratique du groupe : elle est à la fois savoir sur les faits et des hommes et leçon normative pour l'action future.

Une autre idée de la mémoire collective est celle centrée sur la culture et les valeurs. Le souvenir devient une actualisation individuelle, il était reconstruit du passé factuel du présent du groupe, il devient reconstitution pour l'individu, une valeur éternelle du passé pour la substituer au présent.

Il serait donc envisageable de parler d'une mémoire collective homosexuelle, qui serait basée sur un certain nombre d'éléments culturels mais pas seulement.

Ces derniers temps, la notion d'identité homosexuelle a été plus ou moins contestée pour élargir le champ des études dites gays et lesbiennes à toutes les sexualités qualifiées de « hors-normes » et donner naissance aux théories queer.

Notre objectif était de savoir si l'on peut évoquer l'existence de cultures gays et/ou lesbiennes aujourd'hui en France, selon un modèle très américanisé et de savoir sur quels critères elles peuvent être envisagées.

L'homosexualité n'est pas prise en compte dans la norme sociale. Nous l'avons vu, les homosexuels sont sujet à une violence symbolique malgré les évolutions tant sur le plan juridique que sur le plan quotidien. Dans une société qui n'offre de référents identitaires à l'homosexualité que par la voie, pas toujours juste, des médias, les jeunes gays et lesbiennes sont pourtant à la recherche d'une identité positive, banalisée.

H.Becker parlait à l'époque, de déviance et du processus d'étiquetage à propos des groupes d'individus marginalisés par la société qu'il qualifiait de stigmatisante109(*). Les déviants devaient passer par certaines étapes pour acquérir certaines valeurs, certains codes leur permettant de fonder un univers propre. L'homosexualité se prête à cette interprétation. Nous aurions pu alors parler d'une contre-culture homosexuelle définie par un ensemble de productions culturelles et de comportements ludiques s'opposant à la culture désignée comme dominante, ou encore de subculture homosexuelle désignant un ensemble de valeurs, de représentations et de comportement propres à un groupe social ou à une entité particulière, par opposition au système culturel de la société globale.

Nous avons vu que la notion de groupe homogène, de communauté n'était pas aussi évidente. Elle renferme un certain nombre d'éléments qui, certes, forment une unicité, notamment sur le plan de la défense de certains droits, mais aussi des divisions en son propre sein. La preuve en est qu'il n'y a pas une homosexualité mais bien des homosexualités et de multiples manières d'être homosexuel et de vivre son homosexualité. Il serait donc bien utopique qu'à l'heure actuelle, il y ait une communauté au sens lourd du terme qui transcenderait les différentes frontières, qu'elles soient sexuelles, sociales ou générationnelles. En effet, dans les années 80, des études ont questionné l'identité homosexuelle en rejetant l'idée d'une identité transcendant les autres différenciations sociales. Ainsi sont apparues de nouvelles théories dites théories queer qui élargissent le champ d'études à toutes les sexualités qui diffèrent du modèle sexuel normatif. Les études queer prennent en compte aussi bien l'homosexualité que la bisexualité, le travestisme, le transsexualisme...En ce sens certains préfèrent parler d'une nébuleuse de subcultures110(*) à l'intérieur du groupe des gays et des lesbiennes, certains cherchant à vivre en banalisant leur homosexualité et d'autres recherchant la provocation, la marginalité voire même l'anormalité. Nous pourrions peut-être parler d'une nouvelle forme de communauté par rapport à celle de Tonnies111(*) tout en gardant un aspect, celui d'une communauté fondée sur l'affectif. En effet, la communauté homosexuelle s'apparente à un symbole auquel on adhère par affectivité voire même par éthique.

La communauté serait donc plus un symbole qu'une réalité, un symbole permettant de faciliter l'insertion et l'acceptation des individus face à leur homosexualité. Elle est également essentielle dans la prise de parole des gays et des lesbiennes face à leurs différentes revendications. Ainsi, la notion de communauté serait indissociable de la notion de pouvoir. Cette interprétation en terme de contre pouvoir peut également s'appliquer à la notion de culture.

Au vue de ce travail exploratoire, nous pouvons affirmer qu'il y a une volonté d'engagement communautaire, volontaire ou non, conscient ou non, de la part des acteurs, que ce soit dans la presse écrite que nous avons tenté d'analyser, que ce soit les personnes que nous avons interrogées ou les acteurs en général. Ainsi, ne serait-ce que par principe, ou par éthique selon les termes d'un interviewé, la revendication d'appartenance à la communauté existe réellement. Il existerait donc une éthique homosexuelle (gay ou lesbienne) qui servirait de référence à ceux qui revendiquent cette appartenance. Cette éthique peut également offrir un cadre normatif aux individus. C'est dans ce sens que peut se penser l'idée d'une culture homosexuelle.

L'homosexualité, une nationalité ?

Le fait de proclamer l'existence d'un symbole tel que l'est le drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel n'est-il pas, quelque part synonyme d'une appartenance, certes communautaire, mais aussi nationaliste ? Le quartier gay du Marais à Paris, même s'il ne s'apparente pas encore à certains quartiers de San Francisco pourrait s'assimiler à une sorte de nationalisation homosexuelle où l'on peut manger gay, boire gay, danser gay, lire gay, écouter gay, dormir gay...On peut trouver notamment dans des guides spécialisés de longues listes de bars, de restaurants, d'agence de voyages, de cabinets d'avocats, de médecins...tous gays. De plus, nous l'avons vu précedemment, il existerait un langage spécifiquement connu des homosexuels et enfin ils proclament une véritable culture. Nous ne sommes pas en mesure de dire que le langage commun permet d'affirmer l'existence d'une culture homosexuelle mais en tous les cas, il permet de la revendiquer. Les médias jouent à ce titre un rôle croissant dans la prise de conscience individuelle et collective de la notion de culture homosexuelle.

Les individus se sentent membres d'un groupe en étant conscients qu'ils ne forment pas une unité évidente à tous les niveaux. Le terme de membre désigne toute personne reconnue comme faisant partie d'un groupe par opposition aux individus extérieurs. S'enfermer au sein d'une communauté, ce serait alors se cloisonner, et mettre de la distance avec les autres. Mais cependant, vouloir réduire chaque identité culturelle à une définition pure et simple, oblige à ne pas tenir compte de l'hétérogénéité de tout groupe social. Aucun groupe, aucun individu n'est enfermé a priori dans une identité unidimensionnelle. Les homosexuels ne se définissent pas uniquement par leur homosexualité, ils ont également une autre identité, celle de femme ou d'homme, celle relevant de la religion, celle relevant de leur milieu social...

Nous avons pu constater, que la communauté homosexuelle, si tenté que l'on puisse être apte à la nommer ainsi, n'abolit pas les frontières entre les sexes. Il y a bien une volonté de le faire mais la réalité montre bien qu'il existe un cloisonnement entre les gays et les lesbiennes. Il conviendrait ainsi mieux de parler d'une communauté gay et d'une communauté lesbienne, fondées sur une mémoire collective plus ou moins commune, sur un patrimoine plus ou moins commun mais ayant toujours été représentées de manière radicalement différente.

La culture homosexuelle ne va pas de soi, elle est une construction sociale, au même titre que la communauté. Elle regroupe un certain nombre d'enjeux dont nous avons tenté de saisir les contours et elle est sans cesse plébiscitée par les partisans d'un communautarisme gay. En France, nous ne pouvons prétendre qu'il existe une réelle culture homosexuelle au sens concret et lourd du terme. Il y a simplement une multitude d'éléments qui peuvent favoriser sa construction. La revendication d'une culture fait partie d'un mouvement de libération. L'homosexualité s'est rendue visible dans tous les arts selon une volonté de la part des gays et des lesbiennes de montrer qu'ils font partie de l'Histoire. Une culture minoritaire naît en réponse à une culture dominante, une réponse à une forme d'oppression. La notion de culture gay et/ ou lesbienne fonctionnerait donc par rapport à la norme hétérosexuelle. Ce cadre normatif va construire des individus plus ou moins en marge qui vont s'attacher à cette forme culturelle. On pourra alors parler de sensibilité gay ou lesbienne qui se retrouve dans toutes une série d'oeuvres artistiques. Cependant, en suivant ce point de vue, on homogénéise la sensibilité. Or, il est bien évident qu'il n'y a pas une sensibilité mais des sensibilités. De la même façon, et même si on peut dénoncer le relativisme du propos, que l'on ne pourrait pas parler d'une Culture mais bien des cultures.

Ainsi, la culture homosexuelle serait avant tout une construction en reconnaissance de l'homosexualité par rapport à l'hétérosexualité, une façon d'affirmer son existence de manière positive. L'expression « cultiver son homosexualité » passerait par ce processus d'appropriation de certains éléments culturels - entendons par là des oeuvres artistiques mais aussi, la mise en avant d'une certaine fierté, de certains symboles. Les notions de communauté et de culture seraient les symboles les plus aptes et légitimes pour représenter les gays et les lesbiennes.

Pour conclure, nous pensions soulever un point qui semble pertinent, surtout au vu des pages du magazine de notre corpus. Ce qui est qualifié de culture gay ne serait-elle pas finalement un mode de consommation particulier. Des études ont en effet montré que le pouvoir d'achat gay est considérable. Ainsi être gay passerait quasi-obligatoirement par le fait d'être un consommateur de produits « labellisés ga y » qui revendiqueraient une étiquette culturelle spécifique. Ces interrogations servent parfois à dénoncer le quartier du Marais à Paris que certains qualifient de ghetto mercantile. Notons ici l'existence d'un Syndicat National des Entreprises Gays (SNEG) dont l'axe est celui du « pouvoir économique homosexuel », c'est-à-dire un business gay.

Enfin, tout au long de ce travail, nous avons insisté sur le niveau représentatif de ce qui pourrait constituer une culture propre aux homosexuels. Cependant, le cadre administratif constituant l'organisation même de l'homosexualité, notamment avec le niveau associatif pourrait éclairer le sujet d'un autre point de vue. En effet, les associations homosexuelles sont très nombreuses en France et c'est principalement elles qui sont au centre des décisions de prises de position et de parole malgré les nombreuses divisions qui existent comme nous l'avons vu précédemment. Malgré la volonté de représenter une image d'unicité, les diverses organisations homosexuelles se sont heurtées à une autre logique qui est celle de la pluralité des conceptions de l'homosexualité et de la diversité des intérêts. Il n'y a pas, a priori, de leader au sein du mouvement homosexuel. Cependant, c'est à partir d'un certain nombre de personnalités, responsables de structures ou non, que se constituent certaines des délégations qui sollicitent les pouvoirs publics. Depuis longtemps, certaines structures homosexuelles ou celles investies dans la lutte contre le sida ont tenté de faire reconnaître leur représentativité par le biais de leur intégration à des structures décisionnelles ou par une reconnaissance financière de la part des pouvoirs publics ou privés ; c'est le cas notamment de l'Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL).

Le groupe des gays et des lesbiennes a cherché à de nombreuses reprises à présenter un visage unifié. En 1992, le SNEG a lancé plusieurs réunions inter-associatives dont l'objet était l'élaboration d'une Coordination Homosexuelle Nationale qui n'a pas pu voir le jour. En revanche, une vingtaine d'associations lesbiennes non-mixtes et des participantes individuelles ont créé la Coordination Lesbienne Nationale en mai 1996 dont un des objectifs est de constituer nationalement une force capable d'obtenir des droits et une représentativité en tant que groupe culturel et politique. Enfin, il ne faut pas oublier que le mouvement homosexuel français s'est constitué dans une logique de confrontation et jamais dans une logique d'intégration. Chaque nouveau mouvement détruisant ou reniant le précédent contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays, ce qui ne permet nullement d'assurer la pérennité d'une structure au point de la rendre incontournable112(*).

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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· MOSSUZ-LAVAU « La vie sexuelle en France », Ed. La martinière, Paris, 2002

· MUCCHIELLI R. (Séminaires) « L'analyse de contenu des documents et des communications », Ed. ESF, Paris, 1974

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· PHILBERT B. « L'homosexualité à l'écran », Ed. Henri Veynier, 1984

· POLLACK M. « Une identité blessée », Ed. Métailié, Paris, 1993

· SPIRA (dir.), GIAMI, FERRAND, BOZON et BAJOS « La sexualité au temps du sida », PUF, Paris, 1998

· SPIRA (dir.), BAJOS et le groupe ACSF « Les comportements sexuels en France », La documentation française, Coll. des rapports officiels, Paris, 1993

· TAMAGNE F. « Mauvais genre : une histoire des représentations de l'homosexualité », Ed. LM, Coll. Les reflets du savoir, Paris, 2001

· THIAUDIERE C. « Sociologie du sida », La découverte, Coll. Repères, Paris,2002

· TIN L.G. (avec G.PASTRE) « Homosexualités : expression/répression », Stock, Paris, 2000

Articles

· BARTHES R. « La rhétorique de l'image » in Communication n°04 (pp40-51), 1964 et in « L'obvie et l'obtus. Essais critiques III », Seuil, Paris, 1982

· BARTHES R. « Le message photographique » in « L'obvie et l'obtus. Essais critiques III », Seuil, Paris, 1982

· BOZON M & LERIDON H. « Les constructions sociales de la sexualité » in Population n°5, pp 1173-1196, 1993

· BOZON M. « Orientations intimes et construction de soi. Pluralité et divergences dans les expressions de la sexualité » in Société contemporaine, n°41/42, 2001

· BOZON M. « Sexualité et genre » in « Masculin-féminin : questions sur les sciences de l'homme » (dir. Laufer J., Marry C. et Maruani M.), PUF, Paris, 2001

· CHAMBERLAND L. « Présentation du fléau social au fait social : l'étude des homosexualités » in Sociologie et sociétés, vol. XXIX, n°1, printemps 1997

· BUSSCHER P.O. (de) « Les enjeux entre champ scientifique et mouvement homosexuel en France au temps du sida » in Sociologie et sociétés, vol. XXIX, n°1 , printemps 1997

· NAHOUM-GRAPPE V. « Le cortège des sexualités » in Esprit, Mars-Avril 2001

· OLIVIER L. (avec NOEL R.) « Michel Foucault : problématique pour une histoire de l'homosexualité »

· POLLACK M., DAB W. et MOATTI JP « Sociétés à l'épreuve du sida » in Sciences sociales et santé, vol. VII, n°1, Fév. 1989

· POLLACK & SCHILTZ MA « Identité sociale et gestion d'un risque de santé » in Actes de la recherche en sciences sociales, n°68, pp 77-102, Juin 1987

· POLLACK M « L'homosexualité masculine ou le bonheur dans le ghetto ? » in Communications, n°35, pp 37-55, 1982

INDEX DES ANNEXES

ANNEXES METHODOLOGIQUES

Annexe I : Le lectorat

Les représentations de cette annexe ont été réalisées à partir de deux enquêtes marketing effectuées par l'agence Marketing Méditerranée en novembre 1999 et par HEC en juin 2001.

Figure 1 : Composition sexuée du lectorat

Figure 1.1 : Sexualité du lectorat

Figure 2 : Composition en âge du lectorat

Figure 2.1 : Répartition géographique du lectorat

Figure 3 : Pouvoir d'achat du lectorat

Figure 3.1 : Composition sociale du lectorat

Figure 4 : Autres revues lues par les lecteurs de Têtu

Annexe II : L'analyse quantitative

Figure 1 : Tableaux quantitatifs de la structure interne du magazine

Figure 1.1 : Présentation graphique des résultats

Regroupement thématique : la grille de catégorisation

Figure 2 : Présentation graphique du regroupement thématique

Figure 3 : Tableau détaillé sur le thème du rapport à la mode, l'esthétisme et à la sexualité

Figure 4 : Tableau détaillé sur le thème de l'actualité gay et lesbienne

Figure 5 : Tableau détaillé sur le thème des informations socio-culturelles

Figure 5.1 : Tableau détaillé des informations socio-culturelles

Figure 6 : Tableau détaillé sur le thème Autres

Annexe III : Exemple d'analyse

Analyse détaillée de la première couverture du corpus

Annexe IV : Les entretiens

Le guide d'entretien et la présentation des entretiens

Retranscription complète de certains entretiens

ANNEXE D'ILLUSTRATION

Présentation des différentes photographies évoquées essentiellement dans le premier chapitre.

AUTRES ANNEXES

Résultats de l'enquête ACSF

Tableau comparatif sur la fréquentation des associations de lutte contre le sida

* 1 Nous allons employer dans cette étude aussi bien le terme gay que le terme homosexuel. C'est à partir des années 60 que le terme gay commence à se répandre au lieu du terme homosexuel. Il semblerait que l'adoption de ce terme représente un effort pour s `éloigner du modèle médical, et constitue une identité basée sur l'orgueil de la différence (in CASTANEDA M. « Comprendre l'homosexualité », Ed. Robert Laffont, Paris, 1999). Nous reviendrons plus loin sur ce point de vocabulaire.

* 2 ERIBON D. (Dir.) « Les études gay et lesbiennes », Editions du Centre Pompidou, Paris, 1998

* 3 FOUCAULT M. « Histoire de la sexualité, Vol 1 : La volonté de savoir » , Gallimard, Paris, 1976

* 4 ERIBON D. « Réflexions sur la question gay », Fayard, Paris, 1999

* 5 Idem

* 6 Interview de Michel Foucault dans Masques n°13, Septembre 1982

* 7 ERIBON D. « Réflexions sur la question gay », Fayard, Paris, 1999

* 8 MARTEL F. « La longue marche des gays », Gallimard, Paris, 2002

* 9 POLLACK M. « L'homosexualité masculine ou le bonheur dans le ghetto ? » in Communication n°35, 1982

* 10 POLLACK M. & SCHILTZ M.A. « Identité sociale et gestion d'un risqué de santé » in Actes de la recherche en sciences sociales, Juin 1987

* 11 BUSSCHER (de) P.O. « Les enjeux entre champ scientifique et mouvement homosexuel en France au temps du sida » in Sociologie et sociétés, Vol XXIX, n°1, Printemps 97

* 12 Le 12 juin 1982, le Ministre de la Santé annonce que l'homosexualité ne figure plus sur les listes des « maladies mentales » et le 4 août 1982, l'égalité de la majorité sexuelle entre hétérosexuels et homosexuels est établie.

* 13 OLIVIER L. avec la collaboration de NOEL R. « Michel Foucault : problématique pour une histoire de l'homosexualité » in Sociologie et sociétés Vol. XXIX n°1, 1997

* 14 TONNIES F. « Communauté et société : catégories fondamentales de la sociologie pure », Retz-CEPL, 1977 (1887)

* 15 BOURDIEU P. « La domination masculine », Seuil, Paris, 1998

* 16 BECKER H.S. «Outsiders», Ed. Métailié, Paris, 1985 (1963)

* 17 AMOSSY R.& HERSCHBERG-PIERROT H. « Stéréotypes et clichés », Nathan Université, Paris, 1997

* 18 SHERIF M. & SHERIF C.W. « Social Psychology », Harper-Inter Ed., New-York, 1969

* 19 AMOSSY R. & HERSCHBERG-PIERROT A. « Stéréotypes et clichés », Nathan Université, Paris, 1997

* 20 BECKER H.S « Outsiders », Esd. Métailié, Paris, 1985 (1963)

* 21 BERGER P. & LUCKMAN T. « La construction sociale de la réalité », trad. Française, Méridiens-Klincksiek, Paris, 1986 (1966)

* 22 BOURDIEU P. « Le sens pratique », Minuit, Paris, 1980

* 23 WEBER M. « L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme », Plon, Paris, 1964 (1920)

* 24 ERIBON D. « Réflexions sur la question gay », Fayard, Paris, 1999

* 25 ROCHER G. « Introduction à la sociologie générale, Tome 1 : l'action sociale », Seuil , Paris, 1968

* 26 CERTEAU M. (de) « La culture au pluriel », Essais Seuil, Paris, 1980

* 27 CUCHE D. « La notion de culture dans les sciences sociales », La découverte, Paris, 2001

* 28 BENEDICT R. F. « Echantillons de civilisation », Gallimard, Paris, 1950 (1943)

* 29 BARTH F. « Les groupes ethniques et leurs frontières » (trad. Française, 1ère éd. En anglais, 1969) in POUTIGNAT P.&STREIFF-FENART J. « Théories de l'ethnicité », PUF, Paris, 1995

* 30 GALLISSOT R. « Sous l'identité, le procès d'identification » in L'homme et la société n°83, 1987

* 31 BOURDIEU P. « L'identité de la représentation » in Actes de la recherche en sciences sociales n°35, 1980, pp 63-72

* 32 LASSWELL H. « Structure et fonction de la communication dans la société » in BRYSON L. « The communication of ideas », Harper, New-York, 1948

* 33 RIES MAN D. « La foule solitaire », Arthaud, Paris, 1964 (1950)

* 34 Lesbia est une revue lesbienne d'expression, d'information et d'opinion, membre de l'ILGA (International Lesbian & Gay Association) et de la Coordination lesbienne nationale distribuée en kiosque depuis une vingtaine d'années. Les couvertures sont imprimées en couleur seulement depuis 1995.

* 35 In Ex æquo n°13, décembre 1997

* 36 Office de Justification de la Diffusion dont les chiffres sont consultables sur le site internet www.ojd.com

* 37 Etudes Marketing Méditerranée en novembre 1999 et études HEC en juin 2001 sur le lectorat.

* 38 Cité dans PESSON D. « L'image de l'homme dans la presse masculine française : Lui, Playboy, Il » Thèse de troisième cycle de psychologie sociale, sous la direction de Mr G. Dujardin, 1984

* 39 RIBOUD E. « L'image de la masculinité dans la nouvelle presse pour hommes (FHM, M Magazine et Men's Health) » Mémoire de maîtrise de sociologie sous la direction de Mme M. Pagès

* 40 BARDIN L. « L'analyse de contenu », PUF, Paris, 1977

* 41 MUCCHIELLI R. « L'analyse de contenu des documents et des communications », Séminaires, Ed. ESF, Paris, 1974

* 42 in Communications, n°4, 1964

* 43 TAMAGNE F. « Mauvais genres : une histoire des représentations de l'homosexualité » , Ed. LM, Paris, 2001

* 44 PLATON « Le banquet », Flammarion, Paris, 1998 (385-370 av. J.C.)

* 45 Cf. analyse détaillée de la première couverture de notre corpus en annexe

* 46 BARTHES R. « La rhétorique de l'image » in Communications N°04 (pp 40-51), 1964

* 47 Cf. chiffres en annexe

* 48 Nous entendons par pages mode, les surfaces destinés à la promotion de différents vêtements de créateurs.

* 49 Témoignage de Pierre, 41 ans de Lille recueilli par David Lelait pour « Gayculture », Ed Anne Carrière, Paris, 1998

* 50 TRAVAILLOT Y. « Sociologie des pratiques d'entretien du corps », PUF, Paris, 1998

* 51 CASTANEDA M. « Comprendre l'homosexualité », Ed. Robert Laffont, Paris, 1999

* 52 Le Pacte Civil de Solidarité

* 53 RIESMAN D. « La foule solitaire », Arthaud, Paris, 1964 (1950)

* 54 Sur ce point, notons que 23% des lecteurs de Têtu lisent également la revue Men's Health.

* 55 BOZON M. « Sexualités et genres » in « Masculin-féminin : questions sur les sciences de l'homme » (dir. LAUFER J., MARRY C. & MARUANI M.), PUF, Paris, 2000

* 56 CASTANEDA M. « Comprendre l'homosexualité » ; Ed. Robert Laffont, Paris, 1999

* 57 LHOMOND B. « `Mélange des genres et troisième sexe » in « Sexe et genre. De la hiérarchie entre les sexes » de HURTIG MC, KAIL M. & ROUCH H. , éditions du CNRS, Paris, 1991

* 58 HURTIG M.C.& PICHEVIN M.F. « Catégorisation de sexe et perception d'autrui » in HURTIG MC, KAIL M.& ROUCH H. « Sexe et genre. De la hiérarchie entre les sexes », éditions du CNRS, Paris, 1991

* 59 Front Homosexuel d'Actions Révolutionnaires

* 60 SOS Homophobie est ligne d'écoute téléphonique pour les victimes d'homophobie quelle qu'elle soit, elle publie chaque année un rapport statistique.

* 61 BONNET M. J. « La relation entre femmes: un lien impensable? » in Esprit, Mars-Avril 2001, pp 237-253

* 62 BOURDIEU P. « La domination masculine », Seuil, Paris, 1998

* 63 NANOUM-GRAPPE V. « Le cortège des sexualités » in Esprit, Mars-Avril 2001, pp 254-260

* 64 Le Wissenschaftlich Humanitares Komitee (WHK)

* 65 LHOMOND B. « Le sens de la mesure: le nombre d'homosexuel/les dans les enquêtes sur les comportements sexuels et le statut de groupe minoritaires » in Sociologie et Sociétés, Vol. XXIX, n°1, printemps 1997

* 66 CASTANEDA M. op.cit.

* 67 in CASTANEDA M. op.cit.

* 68 BONNET M. J. « Les deux amies. Essai sur le couple de femmes dans l'art », Ed. Blanche, Paris, 2000

* 69 NADEAU C. « Sexualité et espace public : visibilité lesbienne dans le cinéma récent » in Sociologie et sociétés, vol. XXIX, n°1, printemps 1997

* 70 Queer signifie bizarre et s'oppose à straight (normal). Nous reviendrons sur les théories queer qui abordent d'un nouveau point de vue les questions de genre et d'homosexualité.

* 71 NADEAU C. op.cit

* 72 On peut évoquer par exemple le Code Hays aux Etats-Unis (1934) qui listait toutes les figures immorales à ne pas montrer à l'écran : adultère, amour entre « races » différentes, viol, scènes d'exhibition et perversions sexuelles entre autres. Cependant, il n'était pas rare que les cinéastes emploient des images et des codes peu équivoques trompant ainsi la censure. On citera pour exemple l'image de Mrs Danvers dans Rebecca d'Alfred Hitchcock (1940).

* 73 On peut ici citer des films comme High Art de Lisa Cholodenko (1999) ou Butterfly kiss de Michael Winterbottom (1994)où la relation entre femmes n'est pas forcément idéalisée.

* 74 in Ex æquo n°13, décembre 1997

* 75 POLLACK M. « L'homosexualité masculine ou le bonheur dans le ghetto ? » in Communications n°35, 1982

* 76 CASTANEDA M. « Comprendre l'homosexualité », Ed. Robert Laffont, Paris, 1999

* 77 Expression évoquant la période où l'homosexualité d'un individu est cachée.

* 78 MARTEL F. « Le rose et le noir », Seuil, Paris, 1996 (p. 355)

* 79 GOFFMAN E. « Stigmates. Les usages sociaux des handicaps », Ed. de Minuit, Paris, 1975 (1963)

* 80 ERIBON D. « Réflexions sur la question gay », Fayard, Paris, 1999

* 81 BOZON M. « Sociologie de la sexualité », Nathan Université, Coll. 128, Paris, 2002

* 82 Nous précisons dans les faits parce qu'il existe une loi depuis le 25 juillet 1985 relative aux discriminations fondées sur les moeurs, divers dispositifs juridiques ont été mis en place afin de contrer les éventuelles exclusions auxquelles s'exposent les individus en raison de leur orientation sexuelle.

* 83 Proposition de loi relative à la lutte contre la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard des personnes en raison de leurs pratiques sexuelles non réprimées par la loi.

* 84 BORILLO D. « L'homophobie », PUF, Coll. Que sais-je, 2000

* 85 SOS Homophobie « Rapport sur l'homophobie 2002 », KTM éditions, Paris, 2002

* 86 1969 : date des événements de Stonewall qui marquent l'acte de naissance du mouvement homosexuel.

* 87 CASTANEDA M. op.cit.

* 88 LELAIT D. « Gayculture », Ed. Anne Carrière, Paris, 1998

* 89 « Quelques questions sur le mouvement gay et lesbien » in « La domination masculine », Seuil, Paris, 1998

* 90  ERIBON D. « Réflexions sur la question gay », Fayard, Paris, 1999

* 91 FORTIN J. « Homosexualités : l'adieu aux normes », Textuel, Paris, 2000

* 92 in ExAequo n°16, Mars 1998

* 93 MARTEL F. « La longue marche des gays », Gallimard, Paris, 2002

* 94 On retrouve toutes ces informations sur les associations dans le supplément de Têtu avec toutes les coordonnées.

* 95 Act-up Paris, « Le sida : combien de divisions ? », 1994, PP11-12

* 96 in ExAequo n°8, Juin 1997

* 97 TAMAGNE F. « Mauvais genre ? Une histoire des représentations de l'homosexualité », Ed. LM, Paris, 2001

* 98 in Têtu n°62, décembre 2001

* 99 Citons le guide Diablesses, vente par correspondance de livres et vidéos à thématique lesbienne ou encore le catalogue de la librairie gay du Marais à Paris, Les mots à la bouche.

* 100 CORCUFF P. « Les nouvelles sociologies », Nathan Université, Coll. 128, Paris, 1995

* 101 Information prise sur Gaybek.com, site gay québécois

* 102 in le Nouvel Observateur n°2012, Mai 2003

* 103 LELAIT D. « Gay Culture », Ed. Anne Carrière, Paris, 1998

* 104 Informations disponibles sur internet.

* 105Cité in MARTEL F. « La longue marche des gays », Ed. Gallimard, Paris, 2002

* 106 CHAMBERLAND L. « Présentation du fléau social au fait social : l'étude des homosexualités » in Sociologie et sociétés, Vol. XXIX, n°1, avril 1997

* 107 BOLTANSKI L. « Les cadres, la formation d'un groupe social », Minuit, Paris, 1982

* 108 HALBWACHS M. « Les cadres sociaux de la mémoire », Albin Michel, Paris, 1994 (1925)

* 109 BECKER H.S. « Outsiders », Ed. Métailié, Paris, 1985 (1963)

* 110 ERIBON D. dans le Nouvel Observateur n°2012, mai 2003

* 111 TONNIES F. « Communauté et société : catégories fondamentales de la sociologie pure », Retz-CEPL, 1977 (1887)

* 112 Ex æquo n°16, Mars 1998






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