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Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

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par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

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2. Analyse stylistique des Premiers ministres : un style très proche.

Si les termes employés sont en grande partie les mêmes, c'est peut-être par leur emploi, la manière de les agencer dans le texte que nous pouvons différencier les types de discours. Lors d'une lecture intuitive, au-delà du cadre institutionnel, d'autres éléments entrent en jeu dans le sentiment de proximité entre les déclarations. Nous allons étudier dans une seconde partie les traits stylistiques de ces discours afin de saisir si des similarités pourraient être à l'origine de ce flou dans la différenciation. Certes, les études déjà effectuées tendent à conclure que chaque rhéteur a son style propre, mais nous allons démontrer qu'il existe un format de référence dans lequel s'inscrivent tous les locuteurs.

Le style relève du fait propre d'un auteur ; il peut être défini comme « un écart individuel par rapport à la norme linguistique94(*) » efficacement mesurable grâce à l'outil statistique. Bourdieu rajoute que « le style est en ces cas un élément de l'appareil, au sens de Pascal, par lequel le langage vise à produire et à imposer la représentation de sa propre importance et contribue ainsi à assurer sa propre crédibilité ». Grâce à la statistique textuelle, nous disposons d'un grand nombre d'indicateurs de comportements lexicaux. Nous mobiliserons ces outils heuristiques dans une optique de comparaison afin de calculer la richesse du vocabulaire. Nous étudierons ensuite l'accroissement du vocabulaire, l'usage de la ponctuation, la rhétorique du chiffre, et la négativité du propos. Les travaux pionniers de Jean-Marie Cotteret et René Moreau95(*) ainsi que les publications plus récentes de Dominique Labbé96(*) et Denis Monière97(*) favoriseront l'utilisation des outils méthodologiques à notre disposition.

La richesse du vocabulaire

Le concept de vocabulaire est appliqué au locuteur. Il le puise dans le lexique, c'est-à-dire dans la totalité des mots d'une langue. Comme nous l'avons souligné plus haut, le vocabulaire se compose seulement de quelques milliers de mots, et les individus se distinguent entre eux par son étendue. Or les hommes politiques cherchent à user d'un vocabulaire abondant car il subsiste dans nos sociétés une mythologie valorisant cela. L'autre facette du discours, sa réception, rajoute une contrainte dans la mesure où un vocabulaire trop alambiqué, trop savant, repousse l'auditoire.

Afin de calculer la richesse du vocabulaire de chacun des discours nous utiliserons le taux de répétition, le nombre de vocables de fréquence unique (hapax) ainsi que la diversité du vocabulaire98(*). Nous avons procédé à des calculs manuels pour toutes les mesures.

Le nombre de hapax permet de mesurer si le lexique est plus ou moins grand. Mais les chiffres apparents sont trompeurs, nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur cette valeur car les discours ne sont pas tous de la même longueur. L'indice du taux de répétition d'un mot dans chaque discours permet alors de disposer de mesures comparables. Il est obtenu par le rapport entre le nombre d'occurrences et le nombre de formes graphiques différentes. Les mots sont en moyenne répétés 4,28 fois dans les discours québécois et 3,83 fois dans les discours français. Cet écart de 45 centièmes est très faible et la comparaison entre les deux pays nous conduit à avancer une forte proximité. Ce discours politique spécifique se distingue des propos polémiques, nous rejoignons ici les résultats précédemment établis par l'analyse factorielle des correspondances. Nous avons effectué les mêmes mesures sur les répliques officielles au Québec, et les taux de répétition dépassent alors 6, révélant de réelles stratégies de martèlement. Nos résultats relativement faibles doivent être reliés à l'aspect programmatique du discours dont l'effet est d'aborder des sujets divers en assurant le peuple de ses aptitudes à gérer le pays.

Nous pouvons alors mettre ces résultats en parallèle avec le taux de hapax par discours. Il varie entre 18% et 10%, mais dans l'ensemble la moyenne se situe à 14% pour les discours français comme pour les discours québécois. Il apparaît une fois de plus une caractéristique commune aux deux pays. Le discours, de part sa forme, présente les particularités d'un discours très développé, non redondant. Il ne fait pas passer avec acharnement un message de persuasion mais laisse apparaître dans un ton littéraire une grande maîtrise de l'objet. Les taux de hapax renvoient à un vocabulaire riche qui, de part les statistiques, se situe entre l'oral et l'écrit. C'est précisément à cet endroit que nous ressentons qu'il s'agit davantage d'une lecture que d'une performance oratoire.

La répétition est un peu plus forte au Québec, mais il faut noter aussi que les discours sont légèrement plus longs. Cela nous conduit à examiner les caractéristiques statistiques de la langue. Il convient de relativiser les précédents résultats car il faut tenir compte de la loi de Zipf selon laquelle plus un discours est long plus la tendance à la répétition s'accroît car le locuteur n'utilise pas un vocabulaire illimité99(*). Cependant cette loi, généralisée par Mandelbrot, fait encore aujourd'hui l'objet de débats. Afin de neutraliser les différences de longueur des discours, nous avons calculé la diversité du vocabulaire. Cette mesure, effectuée manuellement, est très longue et fastidieuse : nous avons séparé le corpus en 86 parties de 1 000 mots puis il a fallu effectuer une analyse lexicométrique distincte pour chaque partie afin de faire ressortir le nombre de formes différentes. Le tableau ci-dessous fait état des moyennes.

Tableau n°2 : Diversité moyenne du vocabulaire pour 1000 mots100(*)

Discours

Bouchard 1996

Bouchard 1999

Landry 2001

Charest 2003

Charest 2003

Diversité

433

445

460

391,75

411,91

Discours

Juppé 1 1995

Juppé 2

1995

Jospin 1997

Raffarin 2002

Raffarin 2004

De Villepin 2005

Diversité

441,7

420,2

447,2

422,7

418,3

436,8

Le vocabulaire apparaît extrêmement riche et divers. Bourdieu dit d'ailleurs de ce signe de richesse qu'il devient alors « signe d'autorité » et permet d'être « cru et obéis ». Au Québec comme en France, la diversité est extrêmement élevée, et les résultats présentent une homogénéité impressionnante entre tous les discours. L'objectif des discours d'ouverture est de transmettre un message volontaire de compétence, et même d'expertise. Le travail effectué sur le choix des mots correspond clairement à cette exigence.

La diversité souligne vraiment que notre corpus est un ensemble qui se caractérise par « l'oralisation » d'un discours écrit. Pour mettre en relief cet aspect, nous avons placé nos résultats en comparaison avec des discours politiques purement oraux de type conférences de presse, petits discours sur notes, et débats télévisés.

Graphique n°5 : Diversité du vocabulaire de quelques grands corpus101(*)

Comme nous pouvons le voir dans le graphique réalisé ci-dessus, les discours d'ouverture se détachent nettement. Alors que Mitterrand est réputé pour son art de la parole et la finesse avec laquelle il pesait chaque mot102(*), les Premiers ministres dont nous étudions les propos se positionnent bien au-delà. Seul le « parler d'assemblée »103(*) et la forme du discours permettent de différencier notre corpus des autres prestations. Ce sont donc les éléments que nous retenons pour rapprocher les discours français et québécois.

* 94 Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, L'économie des échanges linguistiques, Paris, Édition Fayard, 1982, 239 pages.

* 95 Jean-Marie Cotteret et René Moreau, Recherches sur le vocabulaire du Général de Gaulle, Analyse statistique des allocutions radiodiffusées 1958-1965, Paris, Éditions Armand Colin et Fondation nationale des Sciences Politiques, collection Travaux et recherches de science politique, 1969, pages 27 à 51.

Jean-Marie Cotteret et René Moreau, et all. Giscard d'Estaing/ Mitterand, 54774 mots pour convaincre, Paris, Presses Universitaires de France, 1976, Chapitre 2 : les caractères statistiques des discours, pages 42 à 60.

* 96 Dominique Labbé, Le vocabulaire de François Mitterrand, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1990, 326 pages.

* 97 Dominique Labbé et Denis Monière, « Essai de stylistique quantitative. Duplessis, Bourassa et Lévesque », Saint-Malo, Actes des 6ème journées internationales d'analyse statistique des données textuelles, 2002, 9 pages.

* 98 Cf. Annexes, Tableaux n°9 et n°10 pages 10 et 11

* 99 Ludovic Lebart, André Salem, Analyse statistique des données textuelles, Questions ouvertes de lexicométrie, Paris, Bordas, Dunot, 1988, page 34.

* 100 Pour plus de détails, voir le dépouillement en annexe n°10, page 11.

* 101 Les valeurs sont issues des ouvrages suivants : Jean-Marie Cotteret, René Moreau, Recherches sur le vocabulaire du Général de Gaulle, Analyse statistique des allocutions radiodiffusées 1958-1965, Paris, Éditions Armand Colin et Fondation nationale des Sciences Politiques, collection Travaux et recherches de science politique, 1969 ; Jean-Marie Cotteret, et al., Giscard d'Estaing/ Mitterand, 54774 mots pour convaincre, Paris, Presses Universitaires de France, 1976 ; et Denis Monière, « Analyse lexicographique du débat des chefs en français dans l'élection fédérale de 1988 », Revue canadienne de science politique, mars 1991.

* 102 Dominique Labbé, Le vocabulaire de François Mitterrand, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1990, 326 pages.

* 103 Expression mobilisée par Bernard Cohen dans « Un cas de situation de discours : le parler d'assemblée », in École Nationale Supérieure de Saint-Cloud, Actes du 2ème colloque de lexicologie politique, Colloque organisé à Saint-Cloud du 15 au 20 septembre 1980, Paris, Librairie Klincksieck, 1982, pages 377 à 389.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery