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Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

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par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

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Nous contre je : des pronoms pour un système politique

Nous allons analyser les pronoms personnels en tant que révélateurs de la conception du pouvoir. Les pronoms personnels se présentent-t-ils comme un outil commun aux différents Premiers ministres ? Ceux-ci seraient probablement tentés de différencier leur discours de celui de leur prédécesseur en le personnalisant à outrance. À l'inverse, ils pourraient s'inscrire dans le même type de rapport au destinataire, soit proche (je) soit plus globalisant (nous). L'étude des pronoms de la première personne va nous permettre de dresser un parallèle entre leur emploi et le système politique.

Graphique n°14 : Fréquences relatives de l'utilisation de la première personne du singulier et du pluriel par les Premiers ministres.

Le graphique ci-dessus fait état de l'emploi des pronoms de la première personne en associant les discours québécois et français. Nous pouvons ainsi comprendre comment le locuteur se situe dans chaque pays. Le premier constat à établir relève presque de l'évidence : le discours d'ouverture au Québec mobilise la première personne du pluriel alors que la déclaration de politique générale fait une sur-utilisation de la première personne du singulier.

Le premier lien que nous effectuons tient au système politique. Au Québec, le Premier ministre n'est pas un gouvernant solitaire imposant ses vues à tous ses confrères députés. Dans le système parlementaire, c'est un parti politique et son idéologie qui sont plébiscités et non un homme. La gouvernance s'effectue dans le cadre d'un Cabinet avec une solidarité ministérielle forte, les membres du Conseil des ministres ne sont pas constitutionnellement séparés les uns des autres144(*). Nous conviendrons pour l'instant que c'est la collégialité du pouvoir qui place la première personne du pluriel à la base du discours.

À l'inverse, le discours en France est très marqué par la personnalité du Premier ministre avec une sur-utilisation de la première personne du singulier. Dans le système politique français, le Premier ministre n'est pas un membre à part entière du gouvernement mais il en est son unique moteur. « Dans l'ordre normatif, la suprématie constitutionnelle du Premier Ministre est écrasante. Il domine la procédure législative. L'article 21 lui attribue le pouvoir règlementaire en annonçant qu' « il assure l'exécution des lois » et « exerce le pouvoir règlementaire145(*) ». Par ailleurs, il travaille sous la coupe du Président de la République ; ainsi cette personnalisation de la gouvernance peut dans certaines circonstances s'analyser comme un contrepoids face à la domination du chef de l'État.

Au Québec, c'est Jean Charest qui utilise le plus la première personne du pluriel. En 2003, nouvellement élu, il se trouve dans une situation où il doit légitimer sa position et affirmer son leadership (je veux, j'aimerais, je cite, j'assume ce nouveau rôle...). Le pronom personnel je est d'ailleurs renforcé par le suremploi de moi et me. À l'inverse, en 2001, Bernard Landry doit maintenir son hégémonie au sein du PQ malgré de fortes dissensions. C'est lui-même qui a poussé Bouchard à démissionner par une bataille interne, alors il doit s'imposer en tant que rassembleur, c'est pourquoi son propos n'est pas très éloigné des caractéristiques françaises car il produit une alchimie entre les deux pronoms.

Corinne Gobin146(*) souligne que nous est un élément intéressant car « cette forme lexicale joue un rôle essentiel en politique : le nous rassembleur de l'union ou le nous qui distingue soit des autres ». La première personne du pluriel est en effet polyréférentielle : nous les députés libéraux, nous les députés péquistes, nous l'Assemblée nationale, nous les Québécoises, nous les Canadiens, ou encore un nous de majesté. Ce pronom offre une vision plus collégiale de la gouverne, et va au-delà de l'Assemblée. De plus, il permet d'inclure le peuple dans les propos. Ainsi le Premier ministre libéral utilise principalement le nous les libéraux qui « se montreront digne de la confiance », qui « seront à l'écoute » de la population. Les propositions gouvernementales ne sont pas personnalisées mais attribuées à nous le gouvernement libéral.

Nous pouvons émettre un second raisonnement, car il ne faut pas oublier que le discours québécois relève quelque peu de la polémique par son inscription dans un contexte d'opposition parlementaire directe. On peut estimer que le recours à nous permet de présenter une majorité forte et unie, sans dissension aucune et qui avance dans un seul sens. Nous considérons qu'il s'agit d'un moyen de se protéger de la réplique qui a tendance à fustiger uniquement le symbole institutionnel du Premier ministre.

Afin d'apporter un panorama complet de l'utilisation des pronoms, nous tenons à souligner les caractéristiques des répliques officielles. Il s'agit cette fois des pronoms on et vous147(*). Les propos des chefs de l'opposition ont toujours tendance à être polémiques, et cela ressort par le pronom personnel vous désignant le gouvernement nouvellement institué. Il est ici notable que la critique ne s'adresse pas personnellement au Premier ministre mais à son discours ; nous rejoignons ici la thèse de Bernard Cohen148(*) selon laquelle les discours d'assemblée sont des « métadiscours », « on discourt sur le discours ». Ce pronom sert également à s'adresser à l'auditoire ou au Président de l'Assemblée. Le pronom impersonnel on est majoritairement utilisé dans les répliques. Il représente 23,24% du total des pronoms en 1999, 24,87% en 2001, et 18,97% en 2003. Il s'agit du second pronom le plus utilisé après nous. Son utilisation permet d'avancer un argument sans en définir le locuteur, et il est un outil puissant dans une situation polémique afin de renforcer son discours comme si l'on parlait à partir de lieux communs.

Les spécificités sont très instructives à cet égard, et il existe une réelle situation de miroir entre les vocables français et québécois. L'emploi du singulier dans le discours français présente un écart de +12 par rapport à l'ensemble du corpus, et le pluriel québécois un écart de +40 (voir graphique page suivante).

Graphique n°15 : Spécificités des vocables je, j' et nous pas pays.

En France, comme dans le discours gouvernemental italien149(*), le je « prédomine au détriment de l'impersonnel «le gouvernement» ». Mais il n'est pas toujours employé plus fréquemment que son pluriel. Prenons comme point de départ la situation personnelle des locuteurs. Alain Juppé, dauphin légitime du Président, bénéficie déjà d'une aura au sein de la droite française qui ne demande qu'à se confirmer. Lionel Jospin, leader de la gauche plurielle doit imposer son style dans la perspective des présidentielles de 2002. Jean-Pierre Raffarin, président de région jusqu'à sa nomination, est un réel serviteur de l'État ayant appliqué la ligne politique de son supérieur hiérarchique. Par contre Dominique de Villepin doit s'imposer comme homme de terrain avant l'échéance présidentielle de 2007. On peut remarquer que les Premiers ministres dont l'avenir personnel va se jouer autour d'une échéance électorale vont personnaliser énormément leurs propos, mais ne négligent pas pour autant le pluriel car ils doivent rassembler leurs partisans. À l'inverse, Jean-Pierre Raffarin va utiliser davantage un nous la droite, et un nous englobant sa propre personne et le Président de la République, duquel il tire sa réelle légitimité. Sa fonction d'exécution des principaux engagements de Jacques Chirac va le conduire à adopter un style qui apparaît non conformiste face à la tradition de la Ve République.

À l'issue de ce dernier chapitre, nous bénéficions de nouveaux éléments qui nous permettent de prendre de la distance avec la thèse de la proximité des discours. Nous venons de démontrer que c'est du point de vue du contenu que se différencient nos corpus. Par ailleurs, l'usage des pronoms a apporté un élément majeur dans l'analyse de la perception de la gouvernance.

* 144 Sharon L. Sutherland et G. Bruce Doern, La bureaucratie au Canada : contrôle et réforme, Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement au Canada, 1986, pages 1 à 59.

* 145 Stéphane Rials, Le Premier Ministre, Paris, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, 2ème édition, 1985, page 73.

* 146 Corinne Gobin, « Un survol des discours de présentation de l'exécutif européen (1958-1993) » in Le « programme de gouvernement », un genre discursif, Lexicométrica - Mots n°62, mars 2000, 7 pages.

* 147 Cf. annexes, graphique n°6, page 21.

* 148 Bernard Cohen, « Un cas de situation de discours : le parlé d'assemblée », in École Nationale Supérieure de Saint-Cloud, Actes du 2ème colloque de lexicologie politique, Colloque organisé à Saint-Cloud du 15 au 20 septembre 1980, Paris, Librairie Klincksieck, Institut national de la langue française, Volume 2, 1982, pages 377 à 389.

* 149 Sergio Bolasco, Déclarations et répliques gouvernementales dans le discours parlementaire italien, deux genres discursifs, in Le « programme de gouvernement », un genre discursif, Lexicométrica - Mots n°62, mars 2000, 18 pages.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry