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La Convergence Régionale dans l'Union Européenne. Le Rôle des Fonds Structurels.

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par François Defourny
Université de Liège - Maîtrise en Sciences Economiques 2003
  

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B. Les effets pervers de la Politique de Cohésion

Venons-en à présent aux complications qui peuvent surgir lors de la mise en oeuvre de la Politique de Cohésion. Ces "imprévus" dont les modèles macroéconomiques ne peuvent tenir compte et ont pourtant un certain pouvoir explicatif quant à l'impact des Fonds européens sur la convergence.

Selon Puga (2001), Cour & Nayman (1999) ou Dall'erba & Le Gallo (2003), l'une des principales complications résultant de la Politique de Cohésion est le spillover effect. Près d'un tiers des Fonds Structurels et deux tiers des Fonds de Cohésion sont consacrés aux infrastructures de transport considérées par la Commission Européenne comme un input majeur de la fonction de production et donc comme un outil de développement. Mais Vickerman et al. (1999) montrent que le réseau de transport européen est de plus en plus composé de connexions de type hub-and-spoke (centre et rayons). Autrement dit, les principaux projets de transport visent à relier entre eux les grands pôles économiques110. Pour la nouvelle géographie économique, en présence d'une main d'oeuvre peu mobile et en l'absence de fortes variations de salaires, une telle évolution peut avoir des effets néfastes pour les régions pauvres proches du réseau. Martin (2000), notamment, a montré que ce type

110 Particulièrement dans le cadre du "Trans-European Transport Network" (TEN-T) comprenant 14 projets prioritaires et un grand nombre de plus petits projets visant à faire disparaître les principaux goulots d'étranglement du continent.

de réseau favorise les gros pôles vers lesquels l'activité économique a tendance à migrer. Ces concentrations deviennent de véritables centres stratégiques incontournables. Les firmes qui s'y localisent profitent des externalités positives de l'agglomération tout en faisant face à moins de coûts de transaction. Il est, en effet, plus facile d'atteindre n'importe quel endroit lorsque qu'on se trouve au carrefour de plusieurs axes plutôt que simplement le long d'un de ceux-ci.

Le désenclavement des régions les plus déshéritées peut donc avoir d'importants effets pervers s'il se fait sans étoffer leur tissu industriel. Par exemple, Faini (1983) a démontré que la réduction des coûts de transport entre l'Italie du Nord et du Sud durant les années cinquante avait accéléré la désindustrialisation du Mezzogiorno qui avait ainsi perdu la protection dont il jouissait auparavant. Pour l'ensemble de l'Union Européenne, Vickerman et al. (1999) et Martin (2000) s'accordent pour affirmer que la promotion de la croissance globale par des réseaux de transport interrégionaux peut ne bénéficier qu'aux régions déjà favorisées, principalement du centre de l'Europe. Soulignons tout de même que si les infrastructures de transport entre régions peuvent léser les régions les plus vulnérables, ce n'est pas le cas des infrastructures locales intra-régionales.

Dans un autre registre, pointons aussi le principe d'additionalité sur lequel s'appuient les Fonds Structurels : les Fonds européens ne peuvent, en aucun cas, entraîner une diminution des aides nationales aux régions concernées. Les exigences de cofinancement n'empêchent pourtant pas toujours, dans la pratique, un phénomène de crowding out111. Il arrive inévitablement que des aides européennes se substituent aux financements nationaux. La tentation peut en effet être grande de réorienter des fonds nationaux initialement alloués aux régions déshéritées puisque l'Union Européenne "se charge" du développement régional. Vu la diversité des taux de cofinancement, il est tout à fait possible qu'une des conséquences du soutien européen au développement d'une région retardataire soit le retrait partiel des aides nationales à cette région. Bachtler & Taylor (1996) prétendent même que le cofinancement exigé par la Commission n'est qu'un pur exercice administratif, non respecté dans les faits. Ederveen et al. (2002) ont tenté d'estimer l'ampleur de ce phénomène de crowding out, c'està-dire de voir si les régions défavorisées auraient reçu plus d'aides de la part de leurs autorités nationales en l'absence de Fonds européens. D'après cette étude, dans les 31 régions liées à l'Objectif 1, un euro d'aide européenne diminue en moyenne les transferts nationaux de 17 centimes.

111 Voir notamment Dignan (1995), Bachtler & Taylor (1996), Ederveen & Gorter (2002), Ederveen et al. (2002) ou encore Stoianov (2002)

Le principe d'additionalité peut être la source d'un autre souci. Comme le souligne Stoianov (2002), les régions les plus nécessiteuses peuvent parfois rencontrer de sérieuses difficultés pour rassembler les sommes nécessaires au cofinancement des projets. Devant l'attrait des Fonds européens, les pouvoirs publics locaux peuvent être tentés de fournir un effort budgétaire considérable pour parvenir au cofinancement requis. Ces efforts, uniquement destinés à décrocher les aides européennes, peuvent relever davantage de raisonnements opportunistes et nuire en fin de compte à la croissance de la région.

Les critères de sélection établis par la Commission Européenne pour décider de la participation à un projet peuvent avoir certains effets pervers assez proches du problème précédent. Les autorités régionales peuvent, en effet, être davantage animées par le souci d'obtenir des Fonds plutôt que par la croissance et le développement régional proprement dit. Ce comportement de rent seeking évoqué par Ederveen & Gorter (2002) consiste à proposer des projets susceptibles d'attirer des aides extérieures plutôt que les projets les plus porteurs pour une région. C'est alors une sorte de jeu de séduction dont l'objectif ultime est d'attirer un maximum de fonds extérieurs. Cette pratique, courante et bien connue dans les pays en développement, est évidemment la hantise de tous les bailleurs de fonds.

Dans un autre registre, selon Boldrin & Canova (2001), la Politique de Cohésion aurait pour principal effet de retarder la convergence en réduisant encore davantage la mobilité de la main d'oeuvre européenne. Les Fonds Structurels encourageraient la main d'oeuvre des régions les plus pauvres à y rester plutôt que de migrer vers les régions les plus développées. Le processus d'égalisation des salaires s'en verrait sérieusement affaibli de même que la convergence qui en découle.

Pour d'autres auteurs, l'absence de résultats tangibles s'expliquerait davantage par la modestie des moyens mis en oeuvre et par l'éparpillement des efforts consentis. Ainsi, selon Buzelay (1996), la faiblesse des résultats peut s'expliquer par l'insuffisance des moyens financiers octroyés aux régions couvertes par l'Objectif 1. Il faut reconnaître que si la politique régionale européenne représente une part importante du budget de l'Union Européenne, les Fonds Structurels restent souvent bien modestes relativement aux transferts observés dans le cadre de politiques régionales menées au niveau national. Stoianov (2002) va dans le même sens et rend le faible niveau général de financement responsable des piètres résultats enregistrés.

Beaucoup pensent que le saupoudrage des ressources et le manque de concentration des énergies observé lors des deux premières périodes de programmation112 ont conduit à d'importants gaspillages. Ce n'est qu'en 2000 que la Commission a entrepris de mieux cibler ses efforts en diminuant le nombre d'Objectifs au profit des régions les plus nécessiteuses. Cependant, pour Vanhove (2000), l'éparpillement demeure trop grand. Selon Bachtler & Turok (1997), les Initiatives Communautaires que nous avons déjà évoquées incarnent véritablement ce gaspillage. Ils les estiment totalement superflues : s'attaquant aux mêmes problèmes que les programmes régionaux et sectoriels, elles seraient de tailles trop modestes pour espérer avoir le moindre impact significatif et surtout elles créeraient un surcroît de bureaucratie inutile.

Plusieurs des remarques ci-avant renvoient au débat entre équité et efficience introduit par la nouvelle géographie économique. "D'un point de vue global, même si l'apport des Fonds Structurels est profitable aux régions pauvres, il peut être économiquement plus efficace d'investir ces ressources dans des régions plus riches oil les taux de rendements sont supérieurs." (Cour & Nayman, 1999, p. 3). La question est donc la suivante : les Fonds Structurels doivent-ils, dans l'espoir d'un futur effet de propagation, accentuer le rôle de locomotives de certains pôles ou bien est-il préférable de réduire les inégalités régionales le plus rapidement possible au risque d'obtenir un taux de rendement social nettement plus faible? La Politique de Cohésion renforce-t-elle la tendance spontanée à la polarisation intra pays ou bien, dans un souci d'équité (immédiate), s'obstine-elle à contrecarrer cette évolution?

Le degré de redistributivité élevé que nous avons constaté plus haut laisse penser que la Commission, dans le cadre de sa politique régionale, a résolument pris le parti de l'équité plutôt que de l'efficience. Pour De la Fuente & Vives (1995), les efforts de redistribution ont un véritable coût d'efficience. Pour illustrer cela, ils présentent le cas espagnol : si tout l'investissement public espagnol avait été alloué aux régions selon les principes redistributifs des Fonds Structurels, la réduction des inégalités aurait été deux fois supérieure, mais le PIB aurait été inférieur de 1,2%. Pissarides & Wasmer (1996) arrivent aux mêmes conclusions en se penchant sur le cas du Portugal, où l'effet des infrastructures de transport sur l'investissement privé y apparaît beaucoup plus important dans les régions relativement plus riches.

112 De 1989 à 1993 et de 1994 à 1999.

Pour Martin (1998), le taux de rendement social113 des projets financés par l'Union Européenne est en général relativement faible. Cela s'explique, entre autres, par des distorsions dans l'analyse coûts-bénéfices : les régions observeraient le bénéfice total d'un projet, mais ne tiendraient pas compte des aides européennes lors de l'évaluation des coûts. D'autre part, il faut bien admettre, dans une certaine mesure, que cela correspond à la philosophie de la Politique de Cohésion : permettre la réalisation de projets qui, autrement, n'auraient pas été entrepris.

Si le degré de redistributivité des Fonds Structurels est important, il ne signifie pas pour autant l'abandon du souci d'efficience. "Des considérations d'efficience peuvent inciter à limiter la redistribution primaire associée aux Fonds Structurels. " (Fayolle & Lecuyer, 2000, p. 192). Ainsi certaines régions, relativement riches, sont parfois assez bien dotées en Fonds Structurels, car on nourrit l'espoir d'en faire des leaders économiques capables d'entraîner la croissance nationale et celle des régions déshéritées environnantes. Cette option a, par exemple, été préconisée pour l'Irlande et l'Espagne114. Une répartition plus redistributive des Fonds Structurels réduirait sans doute certaines inégalités régionales, mais pourrait, par la même occasion, freiner la croissance collective.

113 Pour rappel: taux de rendement total pour la société en général.

114 De la Fuente & Vives (1995).

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle