WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Récit lovecraftien et cinéma - de la transposition à l'enrichissement du mythe

( Télécharger le fichier original )
par Fabien Legeron
Université Paris est - Master 1 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

ANTECEDENT ET ABOMINATION : LE RECIT LOVECRAFTIEN - UNE DEFINITION

RECIT ET FICTION

Il convient, avant toute réflexion sur les apports et limitations d'une telle construction mythologique multimédia1 (englobant, dans le cas qui nous occupe ici, littérature, cinéma, mais aussi arts plastiques et jeu vidéo), de s'entendre sur les termes que l'on emploiera le plus souvent : nous définirons ici, donc, les concepts de récit, de fiction et de mythologie, et la différence entre fantastique et fantasy, pour mieux montrer dans quelle position se trouvent les cycles instigués par Lovecraft et continués par ses zélateurs.

Nous nous situons ici dans une définition du récit héritée principalement de Barthes et Todorov. En effet les deux théoriciens s'accordent sur une définition de base du récit voulant qu'il ne se limite pas au seul domaine littéraire. Barthes avance ainsi que le récit est la forme d'expression de base de l'humanité : << Il n'y a pas, il n'y a jamais eu nulle part un peuple sans récit >>2 . En ce sens on rejoindra Todorov lorsqu'il considère que l'analyse du récit ne change pas, sur ses données de base, en fonction du medium3.

Considérons de fait le récit comme une manière d'organiser entre elles un grand nombre d'informations complexes. Encore selon Barthes, le récit s'apparente à un système qui utilise l'articulation, ou segmentation, qui produit des unités, et l'intégration, qui recueille lesdites unités dans des unités d'un rang supérieur (c'est le sens) 4. Ainsi, << la complexité d'un récit peut se comparer à celle d'un organigramme (...). C'est l'intégration sous des formes variées qui permet de compenser la complexité, apparemment immaîtrisable, des unités d'un niveau. C'est elle qui permet d'orienter la compréhension d'éléments discontinus, contigus et hétéroclites >>.5C'est ce qui empêche le sens de "baller"6 et crée ce que Greimas nomme l'isotopie7. En somme, le récit est un tout plus important que la somme de ses parties, qui sont les fonctions, actions, personnages et indices.

1 Le terme << multimédia >> sera employé dans cet ouvrage, sauf mention contraire, dans son acception la plus terre-àterre de construction sur plusieurs média ou plates-formes.

2 Barthes, Roland, Introduction à l'analyse structurale des récits, in Poétique du récit, sous la direction de T. Todorov et G. Genette, p.7, Seuil, 1977

3 Todorov, Tzvetan, La notion de littérature, p.64/65, Seuil, 1987. Genette, que nous évoquons plus bas, s'en tient quant à lui à l'écrit mais sa somme théorique est valide dans cette acception Todorovienne.

4 Barthes, Roland, Introduction à l'analyse structurale des récits, in Poétique du récit, sous la direction de T. Todorov et G. Genette, p.45, Seuil, 1977

5 Barthes, Roland, Introduction à l'analyse structurale des récits, in Poétique du récit, sous la direction de T. Todorov et G. Genette, p.50, Seuil, 1977

6 Op.cit.

7 Op.cit.

Dans cette acception, cependant, la créativité du locuteur (de l'"auteur") est bornée par les conventions et se retrouve dans le "comment" et non dans le "quoi". Le récit est de fait basé sur le jeu avec les codes1. Il remplit alors deux fonctions : affichage2 (le récit est appréhensible comme objet se suffisant à lui-même) et communication : << Le récit, comme objet, est l'enjeu d'une communication. Il y a un donateur et un destinataire du récit >>3. L'affichage même est inscrit dans des codes sociétaux, et participe d'un pacte de communication cher aux sociologues des media, notamment Stuart Hall et sa théorie du Codage/Décodage4, ou encore P. Charaudeau et D. Maingueneau dans leurs Dictionnaire d'analyse de discours5 avec la notion de co-construction du sens par le locuteur et l'interlocuteur (ici "placés" de part et d'autre du récit lui-même).

Selon Todorov il ne suffit cependant pas de faire un tas avec des unités pour construire un récit. Le récit ne se contente pas de la simple description : << Il exige le déroulement d'une action, (...) le changement, la différence. >> Il réclame qu'une action s'enclenche, il réclame une temporalité active6. On y trouve une temporalité continue (la description, le contexte) et une temporalité discontinue (le temps événementiel, l'action), qui ensemble forment le récit, notamment fictionnel. Ce qui rejoint G. Genette, qui s'intéresse à la fiction dans sa dichotomie avec le réel, ce qu'on peut qualifier comme une forme plus "pure" du récit, puisque subordonnée à la seule imagination de l'auteur, a priori sans avoir à entretenir de lien avec des événements réels7. << On définira sans difficulté le récit comme la représentation (...) d'une suite d'événements (...) par le moyen du langage >>8 .

Cette définition est celle que nous retiendrons le plus volontiers, car elle a le mérite de poser la question du logos et de la mimesis dans un sens très aristotélicien. Nous nous situons, ainsi, dans un contexte de conventions locutives (la syntaxe, la grammaire, le medium employé) et d'imitation (reconnaissance, moyens conceptuels mis en oeuvre, pacte communicatif, propos), mis en forme par le récit.

1 Barthes, Roland, Introduction à l'analyse structurale des récits, in Poétique du récit, sous la direction de T. Todorov et G. Genette, p.51, Seuil, 1977

2 Barthes, Roland, Introduction à l'analyse structurale des récits, in Poétique du récit, sous la direction de T. Todorov et G. Genette, p.43, Seuil, 1977

3 Barthes, Roland, Introduction à l'analyse structurale des récits, in Poétique du récit, sous la direction de T. Todorov et G. Genette, p.38, Seuil, 1977

4 In Réseaux n°68 CNET, 1994 pour la version française, CCCS pour la version originale

5 p. 138, Seuil, Paris 2002

6 Todorov, Tzvetan, La notion de littérature, p.49, Seuil, 1987

7 Bien entendu il s'agit d'une définition purement théorique dans un but de définition : in vivo, si l'on me passe la métaphore, rien n'est totalement indépendant du contexte de locution.

8 Genette, Gérard, Figures - II, p.49, Seuil, 1969

C'est le second principe du récit selon Todorov1 qui nous intéressera plus particulièrement ici, celui de la transformation, par négation, par réalisation, etc.. On peut notamment dégager deux grands types d'organisation du récit :

_La logique (qu'on pourrait à la rigueur qualifier de platonicienne) de succession, qui implique des transformations "de premier type", celle de changement de statut du prédicat. C'est la base du récit mythologique et/ou épique.

_L'organisation gnoséologique (ou épistémique) dans laquelle les événements sont finalement moins importants que l'accession à une connaissance.

D'où deux intérêts certains pour le lecteur : le suspense et le sens. Le jeu entre ces deux organisations permet de trouver des voies mythologiques plus ou moins signifiantes, encore assorties d'un jeu constant sur les codes et les imageries convoqués.

FANTASTIQUE ET FANTASY

Dans le sujet qui nous intéresse, la notion de genre est cruciale. La question est de déterminer la tradition dans laquelle s'inscrit le récit lovecraftien. En effet, dans ses aspects cosmiques et sa convocation constante d'éléments surnaturels et/ou science-fictionnels, le protéiforme, changeant et ophidien système de récits lovecraftiens oscille constamment, en apparence, entre fantastique et fantasy.

L'une des références pour la définition du fantastique en tant que genre est Tzvetan Todorov2 : Selon lui, le fantastique réside dans l'incertitude vis-à-vis du statut du surnaturel et par extension de ses manifestation. Le diable existe-t-il ou non ? Si oui, nous sommes dans le merveilleux, si non, dans l'étrange. Ce faisant il critique implicitement la définition que donne H.P. Lovecraft du fantastique, à savoir que le fantastique se situe dans « l'expérience particulière du lecteur, et cette expérience doit être la peur »3 : Le fantastique y serait, touj ours selon Todorov, soluble dans le sang-froid de l'interlocuteur. D'un côté comme de l'autre, il convient de chercher une définition plus large des récits impliquant le surnaturel ou le supranaturel.

Ce "pas de côté" de Todorov implique principalement de se positionner par rapport à une réalité qui, si elle n'est pas nécessairement celle du locuteur (l'auteur) ou de l'interlocuteur (le lecteur/spectateur/joueur), est du moins potentiellement familière à ces derniers, et où l'on introduit l'élément ou les éléments surnaturels et/ou exogènes. Dans son travail de référence sur le genre

1 Todorov, Tzvetan, La notion de littérature, p.51 et suivantes, Seuil, 1987

2 Todorov, Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, p.29 et suivantes, Seuil, 1970 3 Todorov, Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, p.39, Seuil, 1970

fantasy en France, Estelle Faye souligne : « Par rapport au roman fantastique, la fantasy renverse les perspectives >>1. Dans un univers qui n'a de cohérence à entretenir qu'avec lui-même, c'est l'intervention d'un élément de notre réalité qui serait déplacée, exotique. « Le roman de fantasy, quand il commence, ne part de rien, d'aucune réalité préexistante. Il doit tout construire par luimême. >>2 La fantasy propose des mondes "clef en main", n'ayant a priori pas besoin d'entretenir des relations avec la "réalité". On peut rapprocher la fantasy, terme anglo-saxon, du merveilleux, son ancêtre et quasi-équivalent français.

Dans cette acception, l'anticipation science fictionnelle, le sword and sorcery, l'heroic fantasy, ou ce que Lovecraft lui-même nommait weird fantasy 3 pour désigner son art4, participent de la fantasy. Que les univers soient indépendants de notre expérience quotidienne ne veut cependant pas dire qu'ils n'ont aucun point commun avec notre monde : La terre du Milieu est peuplée d'Hommes aussi bien que d'Elfes ou de Nains5, le Meilleur des Mondes6 résulte de notre histoire, etc.

De même, notre monde est pris comme point de référence dans le récit lovecraftien, comme "marqueur d'espace"7 : un héros (souvent le narrateur) découvre que l'univers est, littéralement, infiniment plus vaste et plus étrange que ce que nous en connaissons, par l'intervention de manuscrits anciens, de fossiles divers, de personnages instruits et inquiétants ou de manifestations des Grands Anciens, et cette révélation est généralement bouleversante d'un point de vue psychique.

1 Faye, Estelle, La fantasy héroïque française - Théorie du genre, mémoire de DEA sous la direction de M. Tadié, p.1 1, Paris IV - Sorbonne, 2004

2 Faye, Estelle, La fantasy héroïque française - Théorie du genre, mémoire de DEA sous la direction de M. Tadié, p.12, Paris IV - Sorbonne, 2004

3 Littéralement "merveilleux étrange", une expression au confluent du fantastique selon Todorov et de la fantasy.

4 Comme on le verra plus bas, le terme de récit lovecraftien désigne principalement les deux grands cycles instigués par le reclus de Providence, que nous nommerons ici "cycle de Cthulhu" (l'ensemble des récits se passant dans notre monde physique et se rattachant à la mythologie dépeinte p.21 et suivantes) et "cycle de Sarnath" (les récits prenant place dans ce que Lovecraft nommait les Contrées du rêve, et qu'explore notamment Randolph Carter (voir note 4 page suivante). Ces contrées ne sont pas indépendantes de notre monde, elles en constituent un autre plan. En effet, les Grands Anciens y agissent et des hommes peuvent y demeurer). En effet, En admirateur de gothique, de Poe à Shelley, Lovecraft s'est penché plus d'une fois sur l'épouvante (The Tomb, La tombe, 1917), le fantastique (The unnamable, L'indicible, 1923). Il a donné dans la métaphore sociale (The sreet, La rue, 1920) et même écrit une nouvelle de pure science-fiction (In the walls of Eryx, Dans les murs d'Eryx, 1935). Dans un même ordre d'idée, le fait que le Dripping soit une technique attribuée à Jackson Pollock ne veut pas dire que Pollock n'a fait que du Dripping dans sa carrière.

5 Dans l'univers développé par J.R.R. Tolkien dans The Hobbit or There and Back again (Bilbo le Hobbit), première publication 1937, dans la traduction française de Ledoux, Christian Bourgeois 1971 ;

dans The Lord of The Rings (Le Seigneur et des Anneaux), première publication entre 1954 et 1955, Christian Bourgeois 1972; et cycle afférent .

6 Huxley, Aldous, Brave New World, 1932

7 Notion empruntée à la photo de paysage : il est en effet recommandé, pour rendre les échelles de grandeur sur un paysage qu'on propose de traduire en deux dimensions, d'intégrer à sa composition une personne, une maison, ou tout élément aisément identifiable qui, par comparaison, permet d'appréhender les proportions globales du panorama.

Pour mieux cerner cette question de point de vue vis-à-vis du surnaturel, nous convoquerons Jean Fabre, qui en livre une définition plus globale et complète1. En effet il propose une typologie tout à fait éclairante sur ce que nous nous proposons d'expliciter : selon son étude, le point de vue est prévalent, ce qui rejoint Todorov, mais il ne se contente pas d'un jugement de valeurs par soustraction, comme le montre le schéma qui suit :

FOI

Ne pas avoir peur Ne pas croire

Croire Avoir peur

SUPERSTITION

POSITIVISME

FANTASTIQUE

Figure 1 2

Pour Fabre, on distingue clairement quatre positions possibles, qui définissent le placement non seulement des personnages, mais également du narrateur, de l'auteur, du lecteur ou spectateur. L'attitude intellectuelle adoptée face aux éléments constitutifs du récit est prévalente à ces éléments.

Cette notion de point de vue nous permet d'avancer que le récit lovecraftien est bel et bien un récit de fantasy, qui peut être exploré par le prisme du fantastique selon le point de vue qu'on veut adopter : notre réalité, qui nous sert, faute de mieux, de point de référence quant à notre rapport au tangible, est un infime constituant de l'univers dans son ampleur et son étrangeté : « Bien que les hommes saluent leur terre du nom de réalité et flétrissent de celui d'irréalité la pensée d'un univers originel aux dimensions multiples, c'est, en vérité, exactement l'inverse. Ce que nous appelons substance et réalité est ombre et illusion et ce que nous appelons ombre et illusion est substance et réalité. »3 C'est une partie de la prise de conscience de Randolph Carter4, personnage de fantasy dans un univers de fantasy. Qu'un autre protagoniste arpente ce même monde avec des yeux de cartésien

1 Fabre, Jean, Le miroir de sorcière - essai sur la littérature fantastique, José Corti, 1992

2 Fabre, Jean, Le miroir de sorcière - essai sur la littérature fantastique, p.90, José Corti, 1992

3 H.P. Lovecraft, A travers les portes de la clef d'argent, in Démons et merveilles, p.97, 10/18, 1973

4 Héros de quatre récits de Lovecraft faisant le lien entre cycle de Sarnath et cycle de Cthulhu, Le témoignage de Randolph Carter, La clé d'argent, A travers les portes de la clé d'argent et La quête onirique de Kadath l'inconnue, première publication entre 1919 et 1927, et réunis dans le recueil Démons et Merveilles.

choqué par une remise en cause de la manière classique de voir le monde, et son expérience sera de l'ordre du fantastique (par exemple dans la nouvelle L'appel de Cthulhu1).

Etant donné la structure narrative particulière de la plupart des récits lovecraftiens, la dimension gnoséologique est, on le voit, extrêmement importante, les événements s'enchaînant de manière à mener lecteur et protagoniste à une connaissance qui se révèle le plus souvent être un choc.

Le récit lovecraftien se révèle donc comme une mythologie épistémique qui, dans le cadre de son déroulement, cherche rien moins que le renversement de la perspective positivisme/superstition, voire positivisme/foi. Un monde de fantasy que l'on peut librement choisir d'arpenter avec le bâton de pèlerin du fantastique.

1 H.P. Lovecraft, Call of Cthulu, 1926, Christian Bougeois 1975 pour la version française

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein