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Récit lovecraftien et cinéma - de la transposition à l'enrichissement du mythe

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par Fabien Legeron
Université Paris est - Master 1 2007
  

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AU-DELA DES FILMS LOVECRAFTIENS : UNE MYTHOLOGIE EN EXPANSION

Bien entendu, l'influence du lovecraftien au cinéma ne se limite pas aux seuls films qui s'y attachent aussi ouvertement que ceux que nous venons de traiter. Ainsi que le remarque Stuart Gordon1, Lovecraft n'a jamais été aussi populaire. Nous avons déjà évoqué certaines causes à cela : le jeu de rôles Call of Cthulhu, l'énorme succès de Re-animator (doublé d'un sérieux statut de film culte en regard de sa mémorable scène entre la tête du docteur Hill et une Barbara Crampton attachée et non consentante2) qui a en quelque sorte ouvert le grand public au rêveur de Providence, la facilité accrue de produire des adaptations de Lovecraft ou d'utiliser son nom à des fins de crédibilisation (les écrits de Lovecraft sont dans le domaine public, ce qui élimine la nécessité de l'achat des droits, et le nom de Lovecraft agit comme un label de qualité.).

Ce dernier point se montre particulièrement crucial dans le monde de la série B, où un sou est un sou et le roulement thématique et économique très important (les délais et les budgets de production dans des firmes telles que Full Moon Entertainment, Franchise ou The Asylum sont en moyenne 5 à 10 fois plus serrés que ceux d'une production équivalente chez New Line ou Fox). Ainsi il serait illusoire de seulement vouloir dresser ici une liste3 des films qui se parent d'un titre emprunté à Lovecraft, d'une mention HP Lovecraft's en exergue d'un titre, ou encore reprennent des concepts d'histoires ou des éléments "porteurs" en termes commerciaux : on a déjà évoqué Bleeders (Peter Svatek, 1997), Castle Freak (Stuart Gordon, 1995), ou Necronomicon (Brian Yuzna, 1993), mais l'on pourrait tout aussi bien évoquer le Maléfique d'Eric Valette (2002), qui emploie un grimoire et des formules magiques tirées du Necronomicon, ou encore le diptyque des morts-vivants de Lucio Fulci : L'aldilà (1981) voit l'enfer s'ouvrir suite à l'utilisation du Livre d'Eibon et Paura nella città dei morti viventi (1980) conte l'invasion de Dunwich par des hordes de zombies. L'on y ajoutera la grande vitalité des vidéastes amateurs et semi-professionnels qui tiennent vitrine sur Internet, ou les productions qui flirtent avec les concepts soulevés ou créés par les auteurs littéraires du lovecraftien : on citera le Event Horizon de Paul Anderson (1997) qui fait le parallèle entre trous noirs, passages interdimensionnels et portes vers un au-delà maléfique, The descent de Neil Marshall (2005) dont les crawlers font plus qu'évoquer les goules de Lovecraft, ou encore Atomik Circus des frères Poiraud (2004) dont les monstres volants sont les rejetons de Shub-Niggurath). Enfin, des films qui ne sont pas rattachés au mythe peuvent ouvrir des voies conceptuelles et esthétiques aux bâtisseurs du

1 Dans le commentaire audio du DVD Le cauchemar de la sorcière, Fisrt international pictures, 2006

2 Cette séquence est même mentionnée dans le pourtant très auteuriste et "indépendant" (dans le sens usité au Sundance festival) American Beauty de Sam Mendes (1999) !

3 Une liste d'une exhaustivité impressionnante est visible sur http://www.unfilmable.com/reviews.html (dernière consultation Septembre)

lovecraftien : les visions chamaniques du Blueberry : l'expérience secrète de Jan Kounen 1(2004), par exemple, montrent des directions intéressantes quant à la distorsion spatio-temporelle ou l'estompage entre matériel et immatériel, vivant et inanimé.

L'influence de la mythologie lovecraftienne se fait en fait sentir dans un grand nombre de domaines : jeux de rôle, webrings2, comic books et bandes dessinées (On citera Nyarlathotep, de Julien Noirel et Rotomago), et même une comédie musicale intitulée A shoggoth on the roof 3. On ne compte d'ailleurs plus les références plus ou moins explicites à la mythologie lovecraftienne dans le domaine musical4 (Un groupe de rock progressif des années 60/70 se nommait d'ailleurs HP Lovecraft). De plus c'est sans doute du côté du jeu vidéo que la recherche pourra s'attarder de la manière la plus productive : nombre de jeux citent ouvertement la mythologie (Quake, Blood, et bien entendu Alone in the dark) quand d'autres en récupèrent des éléments d'imagerie ou de narration à leur compte : on citera bien entendu la saga Legacy of Kain - Soul reaver, dont le Dieu Ancien est un gigantesque et omnipotent agglomérat d'yeux et de tentacules qui maîtrise plusieurs plans dimensionnels de la réalité (la sphère "matérielle"et la sphère "spectrale"), et qui emprunte directement au Lovecraft de Kadath et de La tombe l'aspect déclamatoire et empathique de son héros Raziel, notamment en faisant souvent s'exprimer ce dernier en voix off du fond d'une temporalité seconde indéterminée. Enfin, certains jeux tirent encore plus loin la mythologie en poussant l'immersion du spectateur/joueur dans une subjectivité exacerbée : c'est le cas du relativement récent Call of Cthulhu - dark corners of the earth, de Bethesda softworks, qui adapte littéralement Le cauchemar d'Innsmouth et Dans l'abime du temps au sein d'une dialectique de First person shooter 5. Il faut se voir courir dans l'hôtel en bloquant les portes de chambres successives, poursuivi par les habitants d'Innsmouth (la séquence est l'un des moments forts de la nouvelle originale), ou gérer sa propre santé mentale afin de ne pas voir son avatar se suicider face à des statues de Cthulhu ou des scènes traumatisantes, pour réaliser l'intérêt mythologique qu'apporte le jeu vidéo à un système de récits qui, désormais, s'étend dans tous les domaines de l'écriture, et se développe selon un schéma ouvertement mythologique et multimédia.

1 les effets de la société Mac Guff Ligne, supervisés par Kounen, montrent notamment des fractales s'entremêlant avec diverses figures organiques réalistes ou fantaisistes, plus ou moins stylisées.

2 Le terme désigne les conglomérats de sites Internet, liés entre eux par un sujet commun.

3 http://www.cthulhulives.org/Shoggoth/index.html (dernière consultation Septembre 2007)

4 Le site HPLovecraft-fr.com recense un grand nombre de citations musicales : http://www.hplovecraftfr.com/index.php?MusiQue (dernière consultation Septembre 2007)

5 Genre vidéoludique né avec Wolfenstein 3D, longtemps nommé Doom-like, qui consiste en une occularisation directe de l'action dans un environnement en trois dimensions.

CAUCHEMAR ET CATACLYSME : EN GUISE DE CONCLUSION

On le voit, faire exister les univers lovecraftiens au cinéma équivaut à remettre en question sans cesse à la fois le médium cinéma dans l'optique de l'enrichir ; en soulevant des questions de fond : comment traduire l'indicible en images et en sons, comment transposer une écriture néoimpressionniste en film, comment gérer les phénomènes de persistance et de temporalités fluctuantes, etc... A faire investir de nouveaux domaines à une mythologie dont la versatilité constitue paradoxalement la cohérence. Ainsi c'est tout un champ de possibles qui s'ouvre pour une construction narrative déjà très riche en soi.

Si les problèmes conceptuels se posent, certes, avec prégnance, le lovecraftien en soi porte en germe des éléments de compatibilité avec les caractéristiques techniques et narratives du cinéma : le hors-champ en constitue le meilleur exemple, en ce sens qu'il se pose comme refuge et un démultiplicateur des menaces occultes et de l'innommable au coeur de la mythologie lovecraftienne. Les problèmes les plus importants se situent finalement plus dans les moyens que l'on veut bien mettre en oeuvre pour concrétiser des visions lovecraftiennes, qu'en termes de visualisation conceptuelle. Un grand nombre d'illustrateurs de talent se sont penchés et se penchent sur le lovecraftien et ses avatars, et le médium cinéma se prête tout à fait à des visions étranges, floutant la limite entre matériel et immatériel et imaginant des rapports temporels affranchis de la continuité.

Tout porte à constater que la mythologie lovecraftienne prend un essor nouveau avec l'action conjuguée des apports de l'audiovisuel (cinéma, vidéo, et maintenant jeu vidéo) et des narrations communautaires et persistantes (cercles de fans sur Internet, jeux de rôle). L'écueil le plus à craindre, l'obstacle le plus important à la conduite de la mythologie lovecraftienne vers des domaines plus exotiques n'est peut-être pas structurel (problèmes conceptuels et plastiques) mais conjoncturel (d'ordre critique). Il semble en effet, pour tout un pan de la critique, de bon ton de considérer Lovecraft comme l'horizon indépassable de la création en ce qui concerne la construction mythologique qu'il a jadis amorcée. Les auteurs "suivants", qu'ils soient littéraires ou cinématographiques d'ailleurs, sont alors considérés comme guère mieux que des tâcherons, sympathiques tout au plus dans leur espoir naïf d'amender une mythologie qui n'appartient en propre qu'à son instigateur. C'est une vision bien romantique de l'artiste avec un grand A, qui se dresse seul dans un néant conceptuel pour créer ex nihilo une oeuvre ne devant rien à personne et qui, à l'instar des fruits au marché du bourg, se déprécie à mesure que d'autres personnes la manipulent. On ne saurait trop se départir de ce type de visée assez simpliste et condescendante : non seulement il s'agit d'une vision binaire de la création qui n'envisage, virtuellement, que des précurseurs opposés à des plagiaires, mais de plus qui s'avère un contre-sens dans un système de construction

mythologique qui doit tant à des précurseurs illustres (Lovecraft ne cachait pas, c'est le moins qu'on puisse dire, son admiration et ses emprunts à Lord Dunsany, Edgar Poe ou Arthur Machen) qu'à une richesse du corpus basée partie sur l'émulation et les ajouts de nouveaux venus, qui d'ailleurs n'ont jamais eu une mince part à la reconnaissance du maître de providence dans des cercles de plus en plus larges.

A ce titre, qu'il nous soit permis de citer in extenso la légitime remise en perspective que fit Jacques Goimard lors de la table ronde du colloque de Cérisy ayant trait à Lovecraft en 2002 : « Que les continuateurs ne soient de grands écrivains, je veux bien, mais dire qu'un continuateur, un imitateur, un pasticheur, que sais-je encore, est forcément quelqu'un qui fait de la fausse monnaie, tout cela ressortit quand même à un cliché et j'espère que l'on échappera un jour à cette vision romantique de l'auteur titanesque qui est lui-même et rien d'autre. Personnellement, je suggère qu'on en revienne à une vision, disons, plus médiévale du texte, qui peut être repris, qui laisse à chacun la liberté de rêver avec, c'est-à-dire pas seulement de le lire, mais éventuellement de le récrire ou de l'écrire autrement. (...) Admirer Lovecraft, ce n'est pas forcément écrire des thèses sur lui ; ça peutêtre terminer ses manuscrits inachevés, re-rêver à sa manière. »

A n'en point douter, ajouter des traductions audiovisuelles ou vidéo-ludiques participe d'une telle entreprise. Avec une construction par adjonctions successives, qui à la fois étoffe et solidifie l'édifice mythologique global, on retrouve un schéma proche des mythologies gréco-romaines ou des mythes arthuriens. Le seul critère, alors, devrait être la postérité du récit adjoint, et la qualité intrinsèque de ce dernier, loin des querelles des diverses factions de l'exégèse critique...

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci