WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Récit lovecraftien et cinéma - de la transposition à l'enrichissement du mythe

( Télécharger le fichier original )
par Fabien Legeron
Université Paris est - Master 1 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

L'ECRITURE "NEO-IMPRESSIONNISTE" : UN POINT D'ENTREE POUR LE CINEASTE

John Carpenter qui justement déclare en 2006 : .x Lovecraft (...) What I like about him as a writer, is that his stories lead up to the last sentence being a shock >> (Ce que j'aime chez Lovecraft du

1 Rouyer, Philippe, Hommages et Pillages -sur quelques adaptations récentes de Lovecraft au cinéma, in H.P. Lovecraft, fantastique, mythe et modernité, p.407, Dervy 2002

2 Op.cit., p.407

3 Lovecraft, Howard Philips, The thing on the doorstep, 1933, Le monstre sur le seuil , in LOVECRAFT tome 1, collection Bouquins, ed. Robert Laffont, sous la direction de Francis Lacassin

4 Wade, James, Ceux des profondeurs, in LOVECRAFT tome 1, collection Bouquins, ed. Robert Laffont, sous la direction de Francis Lacassin

5 King, Stephen, Celui qui garde le ver, in Danse Macabre, J'ai lu, 1986

6 King, Stephen, Crouch End, in Rêves et cauchemars, tome 2, J'ai lu, 1996

7 Matessino, Michael, John Carpenter's The thing : the terror takes shape, in The thing, DVD distribué par Universal pictures

point de vue de l'écriture, c'est que ses récits mènent vers une dernière phrase qui constitue un choc)1. En effet, on peut dégager, dans le récit lovecraftien, un procédé qui revient souvent : celui que l'on nommera écriture néo-impressionniste2. Aurélien Portelli, dans son analyse du film de Stuart Gordon, Dagon, déclare d'ailleurs: « Le style de Lovecraft repose sur une sorte d'impressionnisme cauchemardesque. » 3

Le néo-impressionnisme, en peinture, consiste en une série de touches très divisées qui, à mesure que l'on prend une vue d'ensemble de la composition, dévoilent une image figurative, grâce au principe du cercle de confusion : c'est la distance d'observation à partir de laquelle une image basée sur une structure en grain (image photographique, ou ici, néo-impressionniste) présente une netteté.

Ce procédé, dans le récit lovecraftien, prend la forme d'une distillation de détails tout au long du récit, qui à l'instar des pièces d'un puzzle s'assemblant sous nos yeux, finissent par dessiner une image dont l'effet choquant (pour le personnage, et par extension pour le lecteur) vient précisément du fait qu'il est révélé progressivement, ce qui produit un effet "d'épiphanie gnoséologique induite"4. Lovecraft l'exprime ainsi au début de L'appel de Cthulhu : « Ce qu'il y a de plus pitoyable au monde, c'est je crois l'incapacité de l'être humain à relier tout ce qu'il renferme. (...) Un jour, cependant, la coordination des connaissances éparses nous ouvrira des perspectives si terrifiantes (...) qu'il ne nous restera plus qu'à sombrer dans la folie ou à fuir cette lumière mortelle (...). »

Prenons exemple sur un récit du cycle de Cthulhu, L'abomination de Dunwich5 : Dans un trou de campagne glauque de la Nouvelle Angleterre, Wilbur Whateley, nabot contrefait, est engendré par une famille d'occultistes. Les circonstances de sa conception (sa mère s'est retrouvée enceinte après avoir couru sur un tertre par temps orageux), sa croissance physique et intellectuelle extrêmement rapide, les détails de son apparence qui l'éloignent de l'humain, la haine qu'en ont les animaux et plus particulièrement les chiens à son encontre, ainsi qu'un trafic étrange de bétail auquel il se livre dans une dépendance de la ferme familiale, tous ces éléments inquiètent.

1 Carpenter, John, L'antre de la folie, interview du DVD distribué par Seven 7, 2006

2 Le terme d'écriture impressionniste est déjà usité pour désigner une thématique de description de paysages lumineux par petites touches (ex. : Enfances de N. Sarraute). Si nous employons le terme ici, nous ne le faisons pas dans cette acception. Cependant, la notion de subjectivité est au coeur des deux démarches, et est donc commune à l'acception d'écriture néo-impressionniste qu'on se propose d'utiliser. En effet, c'est d'un point de vue subjectif - celui du personnage ou du narrateur, et de fait du lecteur - que ce type de construction est effectif.

3 in La revue du cinéma, n°4, octobre - décembre 2006, p. 132-141

4 Si l'on nous passe cette expression un peu leste qui accole la dimension gnoséologique du récit selon Todorov (voir p.6), à l'induction de mécanismes mentaux chez Pavlov - l'inducteur étant ici l'auteur même.

5 Lovecraft, Howard Philips, The Dunwich horror, 1928, L'abomination de Dunwich , in LOVECRAFT tome 1, collection Bouquins, ed. Robert Laffont, sous la direction de Francis Lacassin

On en découvre plus, sur sa famille, ses habitudes occultes et la nature de ses activités domestiques, à ses pérégrinations dans diverses bibliothèques dans le but de consulter la littérature maudite. Tentant de voler le Necronomicon (livre occulte effroyable entre tous) dans la bibliothèque de l'université d'Arkham, il est tué par le chien de garde. On découvre un cadavre mi-homme miautre chose (son "Père" qui n'est autre que Yog-Sothoth, Dieu ancien et terrible), ainsi que ses notes, faisant état d'une créature qu'il nourrissait dans la ferme en vue d'une extermination de la race humaine. La créature invisible, affamée, finit par s'enfuir et semer la désolation, pour enfin s'écrier

.x YOG-SOTHOTH ! FATHER ! >> avant de s'annihiler dans une explosion putride. Armitage, l'enquêteur par les yeux de qui nous avons vécu l'histoire, termine sur l'inéluctable conclusion :

.x C'était son frère jumeau, mais il ressemblait plus au père. >>1

Les éléments, ici, se divulguent sur le mode de l'enquête, enquête dont le lecteur est promu participant, par le fait même de progresser dans la lecture du récit. A mesure que ces éléments se mettent en place, l'image globale se dévoile dans l'horreur cosmique de ses implications. C'est de la prise de conscience de ce qu'il a lu, plus que des situations et péripéties2, que naît le trouble du lecteur. On peut rapprocher cela de la définition du récit anxiogène faite par Stephen King dans l'indispensable avant-propos de son recueil de nouvelles Night Shift 3 : .x Une vieille légende conte l'histoire de sept aveugles qui agrippent différentes parties d'un éléphant. Le premier pense tenir un serpent, le second une gigantesque feuille de palme, le troisième une colonne de pierre... Enfin, quand ils se sont tous consultés, ils décident qu'il s'agit d'un éléphant. (...) La peur nous rend aveugles et nous examinons chaque expérience qu'elle nous fait vivre avec une intense curiosité (...). Nous en percevons la forme. (...) Elle a l'apparence d'un corps sous un drap. Toutes nos peurs s'additionnent pour n'en plus faire qu'une, qu'on pourrait détailler ainsi : un bras, une jambe, un doigt, une oreille. >>

Au cinéma, la suggestion horrifique peut fonctionner selon le même schéma. Dans le Alien de Ridley Scott, la créature, à ses divers stades d'évolution et de prédation, n'est jamais montrée en entier, mais toujours de manière lacunaire. Ce morcellement, en empêchant une objectivation de la menace, objectivation trop rassurante pour assurer la tension (selon le principe que le diable que l'on connaît est préférable à celui qu'on ne connaît pas4), crée la peur. Figé dans l'impossibilité de circonscrire, conceptuellement parlant, la menace que représente l'alien, le spectateur est en

1 Lovecraft, Howard Philips, L'abomination de Dunwich, in LOVECRAFT tome 1, p.263, collection Bouquins, ed. Robert Laffont, sous la direction de Francis Lacas sin

2 Même si l'art de ficeler une histoire captivante et tonique n'est pas incompatible du tout avec cette dimension épistémique : voir à ce titre Le cauchemar d'Innsmouth ou la seconde partie d'A travers les portes de la clé d'argent.

3 King, Stephen, Danse Macabre, Williams - Alta, 1980 (édition J'ai lu, 1986, p. 16 et suivantes)

4 On se situe bien entendu dans l'optique d'un spectateur de 1980, qui découvre le film et n'a alors aucun moyen, préalable au visionnage, de connaître l'aspect général du monstre...

situation, le temps du film, d'anxiété permanente1. Une fois l'épouvante consommée (l'équipage est déjà décimé et Ripley prend le dessus), l'on peut montrer le monstre en pied lors de son anéantissement (la séquence du réacteur de la navette). La menace est doublement annulée : dans l'espace de la narration et pour le spectateur.2

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo