UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
LES REPRÉSENTATIONS DU « DEVOIR DE
MÉMOIRE »
EN CONTEXTE DE DÉMOCRATIE PLURIELLE :
ANALYSE DE DISCOURS DES LEADERS AFRICAINS ET
AFRO-DESCENDANTS DE MONTRÉAL
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN SOCIOLOGIE
Par
BRICE ARMAND DAVAKAN
FÉVRIER 2005
REMERCIEMENTS
Je voudrais exprimer mes sincères gratitudes à
plusieurs personnes qui ont bien voulu, avec beaucoup de
générosité, m'apporter conseils et soutiens de tous ordres
pour la réalisation de cette recherche.
Je tiens à adresser mes remerciements à Madame
Micheline Labelle, professeure au département de Sociologie à
l'Uqàm et directrice du Centre de recherche sur l'immigration,
l'ethnicité et la citoyenneté (CRIEC), pour m'avoir fait
confiance et honneur en dirigeant mes recherches. Je voudrais ensuite souligner
le rôle de Madame Jocelyne Lamoureux, professeure au département
de sociologie à l'Uqàm, qui a été pour beaucoup
quant à mon intérêt pour les mouvements sociaux : elle
est l'inspiratrice de mon cadre d'analyse. Je remercie également
Messieurs Jean-Claude Icart, chargé de cours et chercheur au CRIEC, et
Franklin Midy, professeur au département de Sociologie, pour leurs
précieux conseils.
Sur un registre biographique, je tiens à saluer un
être cher, Sophie Lavigne, pour avoir été à mes
côtés, dans ce mémoire comme dans ma vie.
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ.................................................................................VI
INTRODUCTION........................................................................1
CHAPITRE I
CONTEXTE, PROBLÉMATIQUE ET RECENSION DES
ÉCRITS............6
1.1. Contexte historique et
social.......................................................6
1.2. Le «devoir de mémoire» : quelques
études de cas.............................10
1.2.1. Au plan
international....................................................11
1.2.2. En Afrique et chez les Afro-descendants des
Amériques..........15
1.2.3. La mémoire collective dans le contexte
québécois..................20
1.3. Problématique du «devoir de
mémoire»..........................................24
1.3.1. La «traite négrière» et les
Amériques..................................26
1.3.2. Du mouvement noir au «mouvement pour
l'histoire noire» ?.......27
CHAPITRE II
CADRE D'ANALYSE ET
MÉTHODOLOGIE.....................................32
2.1. Cadre
d'analyse......................................................................32
2.1.1. «Devoir de mémoire» et théories
sociologiques de la mémoire
collective. .........................................................................33
2.1.2. Sujet et nouveaux mouvements
sociaux...............................44
2.1.3. Questions de
recherche...................................................51
2.2.
Méthodologie..........................................................................51
2.2.1. Pré-enquête et
échantillonnage...........................................52
2.2.2. Dimensions de la recherche et grille
d'entrevue......................57
2.2.3. La méthode d'analyse de
données.......................................59
2.2.4. Le profile des leaders
interrogés.........................................63
CHAPITRE III
IDENTITÉ ET
COMMUNAUTÉ.......................................................66
3.1. Les variations des discours
identitaires............................................66
3.1.1. L'auto définition et la gestion de la
complexité identitaire..........67
3.1.2. L'altéro définition ou la construction de
l'identité «noire»..........72
3.2. La réification identitaire et ses
défis.................................................75
3.2.1. Le sujet et son
autonomie.................................................75
3.2.2. Manipulation politique et querelles inter
linguistiques.............. .79
CHAPITRE IV
LA MÉMOIRE COLLECTIVE ET SA
TRANSMISSION.........................84
4.1. Le procès de la mémoire collective :
différence et contribution...............85
4.1.1. La revendication de la
différence.......................................86
4.1.2. La contribution à l'histoire du
Québec.................................88
4.2. L'objet de la mémoire
collective...................................................90
4.3. Problèmes de la transmission de la
mémoire......................................91
4.3.1. Les obstacles internes : méconnaissance et
insensibilité.............92
4.3.2. Les obstacles externes : la mémoire comme
objet de lutte sociale..96
CHAPITRE V
POLITISATION DE LA MÉMOIRE
COLLECTIVE..............................101
5.1. Le discours de
légitimation........................................................102
5.1.1. Les
arguments...............................................................102
5.1.2. Face à la pluralité de mémoires au
Québec..............................106
5.2. L'action collective et ses
défis.....................................................107
5.2.1. La
mobilisation..............................................................107
5.2.2. Devoir de mémoire et réparation :
une variété de nuances............113
5.3. Les stratégies de revendication dans le contexte
québécois...................119
5.3.1. Changer
l'image .........................................................120
5.3.2. Changer les conditions de vie des immigrants africains
et
afro-descendants................................................................................122
CONCLUSION...........................................................................124
BIBLIOGRAPHIE........................................................................130
ANNEXES 1
GRILLE
D'ENTREVUE................................................................143
ANNEXES 2
GRILLE D'ENTREVUE (version
anglaise)..........................................158Résumé
Cette analyse de discours de leaders africains et
afro-descendants, sur la thématique du «devoir de
mémoire», visait à recomposer la représentation que
ceux-ci se font de l'histoire de leurs peuples en général, et en
particulier de l'histoire de l'esclavage et de la colonisation. Cette tranche
de l'histoire africaine et de ses ramifications américaines, est
aujourd'hui objet d'un «Nouveau mouvement noir» qui s'observe et se
développe à travers la planète, tel qu'illustré par
l'aventure de la Conférence de Durban en 2001. Le but de cette
recherche était donc, à l'échelle microcosmique de
Montréal, d'étudier la rhétorique derrière cette
revendication de l'histoire, ainsi que la logique derrière les
démarches de sa revendication politique à l'échelle
québécoise. Malgré son cadre géographique
limité, le contexte montréalais et québécois de
cette enquête présente une originalité certaine : le
Québec est une des rares nations d'Occident à avoir vécu
la colonisation ; et encore sous domination politique du Canada majoritairement
anglophone, cette province francophone d'Amérique du Nord a connu
l'esclavage des Africains dans une proportion très limitée.
Dès lors, le discours des afro-descendants québécois sur
le devoir de mémoire a exigé plus de rigueur dans sa
formulation et plus de perspicacité dans sa revendication politique.
Pour le démontrer, nous avions adopté la méthode
qualitative qu'est l'analyse de discours, et comme cadre théorique, la
Sociologie de l'action dont Touraine et Wieviorka sont les
références les plus connues, ayant réfléchi sur
l'action collective. Par cette technique de recherche, nous avons pu
déterminer et mesurer trois facteurs clés dans la revendication
de mémoire : l'identité, les contenus factuels et
sémantiques de la mémoire collective, et enfin la démarche
de la revendication politique. Cette enquête révèle alors
que les leaders afro-descendants de Montréal assument l'identité
«Noire» autant qu'ils revendiquent des identités nationales ou
ethniques. Cette attitude est justifiée par l'histoire de la traite
négrière et les stigmates qu'elle a laissés sur les
populations africaines et afro-descendantes. Mais en fin de compte, même
si elles évoquent la nécessité d'une «certaine forme
de réparation», les représentations du devoir de
mémoire chez ces leaders sont polarisées, et nous renvoient
à la typologie des leaderships proposée par Gunnar Myrdal
dès 1962. Nous avons identifié, comme Myrdal, la
représentation activiste du devoir de mémoire
(protest leadership) des leaders radicaux, se distinguant par leur
idéalisme et leur militantisme, et la représentation conciliante
(accommodation leadership) où les leaders se veulent
pragmatiques et négociateurs.
Mots clés (par ordre de pertinence):
DEVOIR DE MÉMOIRE, HISTOIRE,
REPRÉSENTATION, AFRICAIN, AFRO-DESCENDANT, NOIR, MONTRÉAL,
QUÉBEC.
INTRODUCTION
Si l'année 2004 fut déclarée par l'UNESCO
«Année internationale de commémoration de la lutte contre
l'esclavage et de son abolition», c'est qu'elle revêt une
signification particulière pour tous les chercheurs et acteurs
sociaux de tous les continents. C'est aussi le bicentenaire de la
Révolution haïtienne de 1804, qui fut, par sa
portée historique, un tournant décisif dans l'histoire de
l'humanité en général, et de celle des Droits de l'Homme
en particulier. En effet, dans toutes les sociétés et à
travers les millénaires, le souvenir des malheurs et des exploits
passés a souvent donné lieu à des formes diverses de
rituels, de célébrations et de commémorations. De nombreux
chercheurs s'intéressent aussi au rôle joué par ces
souvenirs et ces commémorations dans les consciences collectives. Mais
dans le cas particulier de l'esclavage et de son abolition,
l'intérêt de leur commémoration pour les sciences humaines
réside dans le fait qu'elle est la conjonction de plusieurs
phénomènes distincts et aussi vieux les uns que les autres :
les mécanismes de domination entre les peuples, les migrations et
brassages volontaires ou forcés entre les peuples, la mémoire des
violences passées et la gestion politique de ces mémoires
traumatiques... Tous ces phénomènes impliquent des champs de
recherches aussi variés que l'histoire, l'économie, la
sociologie, la psychosociologie et les sciences politiques ou juridiques. En ce
qui concerne les sociologues, et hormis les débats
généraux sur l'immigration et les brassages culturels, la
question posée est de savoir comment mettre la mémoire d'un
«crime contre l'humanité» tel que l'esclavage, au service de
l'humanité, de l'intelligence et de la justice sociale?
Pour ancrer ce débat dans des espaces
géographiques concrets, l'Amérique du Nord et le Québec
constituent un terrain particulièrement favorable à l'observation
des «mémoires collectives» comme phénomène
sociologique. D'un côté, l'espace politique au Québec est
marqué depuis plusieurs décennies par la question
nationale, qui a aussi sur certains aspects des allures de revendications
mémorielles ou historiques, comme l'ont clairement montré Jacques
Beauchemin et Jocelyn Létourneau : colonisation anglaise,
mépris de la culture Canadienne-française, long contrôle
des anglophones sur l'économie franco-canadienne, «minorisation
politique» du Québec dans l'espace canadien... D'un autre
côté, depuis plusieurs décennies, voire même des
siècles, la question noire a dominé les débats
sociaux politiques en Amérique du Nord, en raison de l'intime collusion
entre l'esclavage et l'histoire nord-américaine, et ces débats
ont même pris une nouvelle dimension depuis «La conférence
mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la
xénophobie et l'intolérance qui y est associée»
(CMRC) ou Sommet de Durban, qui eu lieu en 2001. Alors, si l'on ajoute
à cette problématique celle de l'immigration contemporaine qui a
accru considérablement la présence afro-descendante au
Québec, on peut se demander comment l'on réussit, comme immigrant
africain ou afro-descendant, à articuler une revendication
mémorielle dans les conditions politiques qui sont celles du
Québec contemporain?
Plusieurs pistes de recherche s'offrent pour répondre
à cette question : les revendications de mémoire peuvent
être d'ordre politique ou juridique, social ou économique,
culturel ou symbolique. Mais si l'on considère que l'objectif ultime des
immigrants africains et afro-descendants au Québec est de réussir
leur insertion socioprofessionnelle dans la société
québécoise, l'on assistera nécessairement au
déploiement de plusieurs stratégies, soutenues et observables,
pour atteindre cet objectif. Parmi ces stratégies, et comme nous le
verrons à travers notre cadre d'analyse, les appels au «devoir de
mémoire» pour l'esclavage, la colonisation et pour les injustices
qui les ont suivies, peuvent devenir opérants dans la perspective de
cette insertion socioprofessionnelle. Le contexte international de
globalisation des droits humains s'y prête bien et ne fera
qu'accroître cette tendance. Comprendre les représentations du
«devoir de mémoire» parmi ce groupe d'immigrants, c'est donc
anticiper sur l'un des débats politiques importants du Québec.
Notre présente recherche s'inscrit dans ce courant de
préoccupations : les représentations, qu'ont les
leaders africains et afro-descendants de Montréal, de leur trajectoire
historique, de la nécessité ou non, d'entretenir et de
pérenniser une mémoire collective - et laquelle? -,
à l'intérieur de leurs communautés, de même que le
procès de cette mémoire collective dans l'arène politique.
En bref, quelle image les leaders africains et afro-descendants de
Montréal se sont-ils faite, dans le contexte québécois, au
sujet de ce nouveau problème historique international qu'on
désigne communément par «devoir de mémoire»?
Il semble que la mémoire ne peut être maintenue
et promue sans une certaine définition identitaire de celui ou
de ceux qui se souviennent. Nous allons donc analyser en un premier
temps, les fondements et structures de cette identité dans le
discours des leaders, puis en un second, l'articulation entre cette
identité et sa «mémoire collective», soit la
représentation qu'ont les leaders de la mémoire collective dans
l'espace intérieur du groupe identitaire «racisé». La
troisième étape portera sur les représentations du
«devoir de mémoire» dans les rapports entre ce groupe et le
reste de la société québécoise, surtout avec les
pouvoirs dirigeants du Québec.
Pour y parvenir, nous avons d'abord exploré les
nombreux écrits scientifiques portant sur le devoir de
mémoire dans le but de mieux problématiser le sujet. Le
premier chapitre de ce mémoire concerne donc la problématique et
la recension des écrits. Le second, dans l'optique de saisir
scientifiquement les enjeux de revendication de mémoire, sera
constitué du «cadre d'analyse» de notre matériel,
c'est-à-dire une sélection d'outils théoriques permettant
de comprendre à la fois la mémoire collective comme
objet sociologique et la revendication comme processus et
comme phénomène social. Toujours dans le cadre des exigences de
la recherche scientifique, ce chapitre élucide notre méthode de
recherche ainsi que la démarche ayant abouti à la constitution de
notre corpus. Dans son aspect général, ce mémoire est une
recherche sur la production (création, construction identitaire) et la
reproduction (continuité) de la mémoire collective dans ou, au
sein de «groupes racisés» en 2004. L'espace sociopolitique se
limite au Québec, et la population d'enquête est strictement
composée des leaders africains et afro-descendants menant des
actions sociales en faveur de leurs communautés, nationales ou
«racisées». Il faut donc remarquer que le corpus sera
constitué des discours des leaders de certaines organisations
«noires» de Montréal et non pas du discours social de
tous les membres de leurs communautés à Montréal.
Tout au long de cette recherche, le qualificatif
«noir» sera entre guillemets pour marquer notre neutralité
axiologique lorsqu'il évoque l'appropriation subjective par des
acteurs sociaux de cette identité «racisée», mais nous
le remplacerons par le terme «Africains et Afro-descendants» chaque
fois qu'il désignera l'ensemble objectif que forment les
populations issues des émigrations africaines forcées (esclavage)
ou volontaires (immigration contemporaine), sans distinction des trajectoires
historiques ou nationales particulières. Nous rejoignons ainsi l'analyse
de Mensah lorsqu'il écrit :
« ... the term «Blacks»
will be used to denote people of African descent in Canada. This category is
made up of three sub-groups: Canadian-born descendants of Blacks who came from
Africa during the trade; the descendants of Black Loyalists, refugees,
fugitives, and settlers who immigrated during the American Civil War; and those
who immigrated mostly from the Caribbeans and Africa after the Second World War
in search of a better socio-economic and political environment. »
(MENSAH, 2002, p.20-21)
Les termes et les expressions empruntés à tiers
ou employés dans des sens autres que ceux de la langue officielle seront
signalés en italique.
CHAPITRE I
CONTEXTE,
PROBLÉMATIQUE ET RECENSION DES ÉCRITS
Ce premier chapitre
évoque d'abord le contexte historique et les conditions sociales qui ont
inspiré notre recherche. Il montre comment et pourquoi la notion de
«devoir de mémoire» a fait irruption dans les champs de
recherches en sociologie. Il sera ensuite question de présenter la
problématique du «devoir de mémoire», les liens qui
relient les différentes questions suscitées par l'usage politique
de la mémoire collective. Enfin, ce chapitre propose une recension des
écrits publiés comme appels de mémoire, d'une part pour
les différents crimes collectifs commis à travers le monde, et
d'autre part pour la trajectoire historique propre aux Africains
déportés ou émigrés dans les Amériques. Il
n'aborde pas les écrits théoriques sur la mémoire
collective ; cette catégorie sera abordée dans le cadre
d'analyse, au second chapitre.
1.1. Contexte historique et social.
Un vaste débat s'est amorcé à
l'échelle internationale depuis la «Conférence mondiale des
Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la
xénophobie et l'intolérance qui y est associée»,
conférence tenue à Durban, en Afrique du Sud, du 31 août au
8 septembre 2001. La singularité de cet événement est que,
pour la première fois, et en l'espace d'une semaine, les opinions
publiques à l'échelle mondiale ont eu la sensation d'une soudaine
résurgence en chasse-croisée, de plusieurs mémoires
collectives sur la scène politique internationale. La
Conférence de Durban apparut comme un «concert» mondial et
médiatisé des «revendications de mémoire» qui,
au fond, avaient cours depuis la fin de la seconde Guerre. En particulier, la
dernière décennie du XXe siècle fut féconde en
écrits, sur la mémoire collective, sur son processus de
reproduction, et surtout sur sa sollicitation dans les constructions
identitaires, les revendications sociales et politiques qui en
découlent.
En effet, la fin du siècle et du millénaire
passé avait suscité un foisonnement d'interrogations et
d'analyses rétrospectives dans toutes les disciplines, une mobilisation
intellectuelle probablement due au besoin partout ressenti de «faire le
point». Or, si le siècle et le millénaire sont
passés, les «passés», eux, n'ont fait que ressurgir.
C'est que, le bilan du XXe siècle montre qu'il fut
particulièrement marqué par des horreurs : deux guerres
mondiales, Hiroshima, la Shoah, Staline, le Vietnam, les génocides
arménien, cambodgien, et rwandais, pour ne citer que les mieux connues.
Le besoin de penser un nouvel ordre dans l'après guerre froide et la
«fin des idéologies», et cependant celui de bâtir une
éthique durable dans les relations internationales ou
inter-identitaires, celui de faire une histoire nouvelle sur les leçons
des horreurs passées... vont donner lieu à des débats
où s'affrontent des principes philosophiques et éthiques
apparemment inconciliables. D'aucuns parlent de «Globalisation de la
mémoire», et les demandes de mémoires vont même
déborder le cadre du XXe siècle, pour toucher désormais
des crimes plus anciens comme l'esclavage des populations africaines,
l'extermination des Amérindiens et bien d'autres. Huglo et
Méchoulan (2000) ont fait de ce phénomène la critique
suivante :
On protège la mémoire comme une
espèce en voie de disparition, alors même que, aujourd'hui, ce que
l'on se plaît à nommer « devoir de mémoire »
sonne parfois comme une publicité pour brocanteurs. L'État trouve
son compte à investir dans les commémorations et le patrimoine au
moment où les plans quinquennaux et les projets de société
font faillite. Avec le passage d'un siècle à l'autre,
l'appétit pour le passé rassure plus qu'il n'inquiète. On
a de temps en temps l'impression que l'on veut se souvenir du passé pour
mieux oublier l'avenir. Pourtant, le devoir de mémoire signale aussi
l'enjeu profondément éthique de notre relation au temps, par
delà les événements de notre siècle que nul ne
saurait oublier. En un sens, cet enjeu éthique métamorphose le
temps en mémoire - c'est à dire en mémoire collective
(p. 8).
Ainsi, la notion de «devoir de mémoire»,
originellement évoquée pour désigner la prescription
morale de se souvenir des préjudices subis par certains groupes dans le
passé, va entraîner des significations politiques et sociales qui
sont encore objets de débats dans plusieurs disciplines dont notamment
la sociologie, les sciences historiques, et les sciences politiques. Par
exemple, en sociologie, de nombreux chercheurs s'interrogent maintenant sur la
mémoire collective, son processus de reproduction, et surtout
sa sollicitation dans les constructions identitaires ainsi que dans les
revendications sociales et politiques qui en découlent.
Parlant de «mémoire collective», celle de la
société canadienne, comme celle des États-Unis, est
directement issue de la conquête des Amériques par les colons
français et anglais, conquête menée avec ses effets de
violences, de déportation, d'esclavage et d'extermination. Or l'histoire
du Canada se démarque de celle de son voisin du sud à maints
égards : la loyauté à la couronne britannique, la
moindre envergure de son système esclavagiste, le refuge accordé
aux esclaves fugitifs, mais aussi la domination politique de sa minorité
francophone...
Aujourd'hui au Canada, et comme l'a constaté Foster
(1996), on croit communément qu'«on ne claque pas la porte au nez
de personne pour sa couleur de peau», car le Canada est potentiellement la
plus grande terre de prospérité pour tous les peuples à
l'intérieur de ses frontières. On précise que le Canada
n'a jamais pratiqué un racisme battant et ouvert comme aux
États-Unis, en Europe et même dans certaines parties de l'Afrique
ou des Caraïbes. Le Canada est perçu comme une douce et tendre
terre d'accueil pour les minorités, un pays où les droits humains
ont eu le dessus par la persuasion plutôt que la confrontation. Mais en
réalité ...
« Unfortunately, the prevailing view provides no real
answers to the questions associated with what it is really like to be black in
Canada, to be a young boy or girl walking in the streets of major Canadian
city, who live by the credo that despite their place of birth, they are really
transplanted Africans first and Canadians second. Sometimes even Blacks
unwittingly buy into this perception and can be shocked by the truth. We tend
to forget how Canadian we have become, but that, alas, we might never be
considered as fully Canadian » (Foster, 1996, p. 32).
Ce constat s'est avéré exact selon le rapport de
l'enquête de la Commission ontarienne des droits de la personne
(2003) qui établit qu'il existe encore dans plusieurs institutions
ontariennes, y compris le système judiciaire, la pratique de
profilage racial, qui est «une forme de
stéréotypage sous l'angle de la race» (p. 11), avec son
effet débilitant et traumatisant pour les victimes, appartenant souvent
à la communauté des minorités dites «visibles».
En conséquence,
L'enquête de la Commission sur le profilage racial
révèle que les membres de ces communautés ne se sentent
pas citoyens à part entière de notre société. Et ce
sentiment existe non seulement chez des immigrants de fraîche date, mais
encore chez des personnes dont la famille est établie ici depuis de
nombreuses générations. Une foule de participants ont
déclaré se sentir inférieurs ou dévalorisés
sur le plan de l'appartenance à la société depuis qu'ils
ont été victimes de profilage. C'est un sentiment humiliant,
déshumanisant (p. 36).
Cette conclusion de la Commission crée le contexte
social de notre recherche. Celle-ci est initiée dans un contexte
historique où, la vague de revendications de mémoires
déclenchée depuis la Shoah, et qui a connu son paroxysme à
Durban en 2001, va soulever chez les Africains et Afro-descendants du monde
entier, tantôt le problème du racisme qui persiste, tantôt
le problème de la pauvreté et de l'endettement de l'Afrique, avec
autant de représentations du « devoir de mémoire».
Les lignes qui suivent présentent le débat sur
le « devoir de mémoire », à travers les
réflexions et les études qui y sont menées. Nous y
proposons d'abord un tour d'horizon des principaux appels de mémoire
menés à travers des écrits scientifiques dans le monde.
Ensuite, nous déboucherons sur le cadre précis du Québec
où est menée cette recherche.
1.2. Le « devoir de
mémoire » : quelques études de cas.
Les recherches majeures sur le devoir de
mémoire se sont plutôt intéressées soit
à son aspect phénoménologique (philosophique) soit
à son aspect sociologique et politique. En conséquence, les
écrits portant sur le devoir de mémoire ont rarement
été ancrés dans des espaces historiques ou
géographiques particuliers. Cependant, la dimension planétaire
des revendications de mémoire est remarquable quand on considère
la variété des écrits et des opinions émises sur
l'histoire et les préjudices subis par certains peuples. Nous proposons
dans cette partie une revue de la littérature à l'échelle
internationale, à l'échelle africaine et afro-américaine
et à l'échelle québécoise. À chacun de ces
niveaux, les modes d'analyse des revendications de mémoire sont
infiniment différents d'un auteur à l'autre, selon que ceux-ci
privilégient l'aspect philosophique ou sociologique, l'aspect historique
ou historiographique ou simplement l'aspect politique des cas abordés.
Mais nous réserverons pour le cadre d'analyse les écrits
théoriques et généraux où, très souvent, le
souci d'efficacité analytique donne lieu à des analyses
pluridisciplinaires très complexes, empruntant à la fois à
la philosophie, à l'histoire, ou aux sciences politiques.
1.2.1. Au plan international.
Dans la catégorie des écrits thématiques,
l'un des plus récents et des plus complets des ouvrages manifestant le
« devoir de mémoire » fut publié en 2003. Sous la
direction de Marc Ferro, plusieurs auteurs ont travaillé à la
réalisation du Livre noir du colonialisme, ouvrage de
référence sur les pages sanglantes, les excès, les
exterminations, mais aussi les discours de légitimation de ces
conquêtes coloniales. Ils y proposent une analyse des étapes et
mécanismes du colonialisme dans toutes les régions du monde
où il s'est imposé, de l'esclave et du colonialisme qui n'ont pas
seulement laissé des blessures encore ouvertes, mais qui se
perpétuent encore aujourd'hui sous de nouvelles formes.
L'ouvrage part d'un postulat formulé par Hannah Arendt
( selon lequel nazisme, communisme et colonialisme seraient également
parties prenantes au totalitarisme, quelle que soit l'antériorité
du dernier par rapport aux deux premiers), et réunit une vingtaine de
spécialistes, historiens pour la plupart, qui ont analysé ces
questions sous l'angle géographique (Amériques, Afrique, Asie...)
et thématique (le sort des femmes, l'anticolonialisme, le colonialisme
à travers la chanson française...). L'ouvrage est ainsi
divisé en 5 parties : 1. l'extermination des Indiens des
Caraïbes et des Aborigènes d'Australie, 2. la traite et l'esclavage
des Africains, 3. une analyse des convergences et spécificités
locales des différents systèmes de colonisation, 4. le sort des
femmes colonisées encore plus humiliées que leurs hommes, et
enfin 5. « Représentations et discours », démontrant
les représentations de l'autre dans la littérature, les
discours politiques, le cinéma, les chansons... qui sont autant de
façons de déshumaniser les colonisés pour mieux les
exploiter. Dans l'épilogue "Qui demande des réparations et
pour quels crimes ?" Nadja Vuckovic résume les actuelles demandes
de réparations venant aussi bien de l'Amérique «noire»
que des Indiens d'Amérique ou des Polynésiens.
Au total, cet ouvrage très documenté sur
certaines réalités coloniales lointaines, (hollandaises,
japonaises ou russes), se penche aussi sur le massacre des Aborigènes
d'Australie, sur la violence des politiques coloniales, anglaise en Inde, belge
au Congo, française en Indochine... ou encore sur le traitement
infligé par les nazis aux métis noirs, ces Allemands nés
de la présence militaire française en Rhénanie au
début des années vingt. Les chapitres relatifs à la traite
et à l'esclavage avec et sur le continent américain sont encore
plus approfondis. Mais on y découvre aussi que les excès de la
colonisation n'émanent pas seulement de l'Occident et qu'ils
existèrent chez les Arabes, à Zanzibar notamment ; que
l'idéologie raciste qui a servi à légitimer l'entreprise
coloniale a inspiré après coup un racisme des « Noirs »
à l'égard des Arabes, en Mauritanie par exemple, qui a conduit
à des violences comparables à celles perpétrées
ailleurs par des colons blancs.
Ainsi, conquêtes, puis luttes pour l'indépendance
ont été à l'origine de graves crimes contre
l'humanité : aux Caraïbes, en Australie, en Amérique du
Nord, les conquérants ont perpétré de véritables
exterminations ; en Algérie, au Vietnam, entre autres, les luttes de
libération sont devenues des guerres destructrices. Pis encore, du XVe
au XXe siècle, les nations conquérantes produisirent un discours
qui, loin de cacher les crimes commis, viserait à les justifier. En
Australie, la prise de conscience du massacre des Aborigènes a eu lieu,
mais sans bénéficier d'aucune suite officielle.
Mais ces revendications sont, semble-t-il, inspirées
par la forte mobilisation politique et médiatique, et même de la
compensation dont auraient bénéficié les Juifs au
lendemain de l'Holocauste nazi.
En effet, l'«Holocauste» des Juifs, aussi
appelé la Shoah, est incontestablement le «devoir de
mémoire» le plus revendiqué de l'histoire humaine
contemporaine. Il a connu des écrits célèbres avec Isabel
Wollatson (1996), Élie Wiesel (1993), Rachel Baum (1997), pour l'analyse
sociopolitique, avec Yehuda Bauer (1978) et Primo Levi (1995) un survivant
d'Auschwitz, qui ont essayé de retracer les perspectives historiques de
l'Holocauste ; avec Marc H. Ellis (1990), très critique sur
l'holocauste et la politique actuelle de l'État d'Israël, et Allan.
S. Rosenbaum (1996) pour ne citer que quelques-uns, le débat portera
plutôt sur l'unicité de l'Holocauste. Jean-Michel Chaumont (1997)
montrera à ce propos, comment l'Holocauste juif aura-même
réussi pour la première fois à sortir la victimité
de la honte pour lui conférer un genre de mérite : auparavant,
les victimes niaient une partie d'eux-mêmes pour être «bien
reçus» dans la société globale ; mais en
découvrant qu'il ne pouvait jouer le même rôle que le
dominant ou le bourreau, la quête nouvelle de l'identité adopte la
revendication de son statut de victime.
C'est là précisément le renversement
opéré en 1967: la honte d'être victime est retournée
contre le monde qui l'inflige, et la tare de jadis est activement
transformée en un emblème fièrement arboré. Du
coup, le souci de s'identifier au modèle dominant disparaît et
fait place à la revendication de la singularité...
(p.95).
Chaumont a démontré dans ce livre comment le
débat sur l'unicité ou non de la Shoah, mais aussi la
«querelle de victimité» entre les Afro-américains et
les Juifs d'Amérique, révèlent cette logique victimisante,
logique de ce qu'il appelle «la concurrence des victimes». Ainsi,
après la Shoah, le traitement qu'on en a fait en Europe et dans les
Amériques va devenir la boîte de Pandore des revendications de
mémoire. Par exemple, Paloma Aguilar (1997) a publié plusieurs
articles sur la mémoire du franquisme, de la guerre civile espagnole et
des Basques ; l'histoire des crimes politiques en Pologne communiste est
rappelée et analysée par Leszek Koczanowicz (1997), les formes de
la mémoire collective chez les Irlandais par Joep Leersen (1997),
etc.
Ailleurs, au Moyen Orient, Richard G. Hovannisan (1999) s'est
fait l'apôtre du «devoir de mémoire» pour le
génocide arménien. Dans un article publié au Critical
Asian Studies en 2002, Ben Kiernan est revenu sur le «déni du
génocide» des Aborigènes d'Australie. Kiernan est aussi
auteur de plusieurs livres sur le génocide cambodgien (1998).
Chez les Japonais, même si ce peuple n'a jamais été
agressé de toute son histoire, Lane Ryo Hirabayashi et Richard S.
Nishimoto (1995) se sont intéressés à la question des
Japonais - Américains internés pendant la seconde Guerre aux
États-unis. Dans ce même pays, et plus récemment, Ward
Churchill (1997) s'est fait très critique envers les discours de
dénégation de l'extermination des Amérindiens en
Amérique. Enfin, dans le Maghreb, il faut mentionner les écrits
de Benjamin Stora (2003) sur la guerre d'Algérie contre les
Français.
Tous ces auteurs ont en commun le désir de fixer dans
les mémoires, les crimes collectifs du passé et leurs
traumatismes. Mais ceux qui évoquent l'histoire de l'esclavage des
peuples africains peuvent être étudiés de façon
arborescente : cette trajectoire historique s'étend sur plusieurs
siècles ; elle a ouvert la voie à la colonisation de l'Afrique, a
donné lieu à une afro-descendance plus ou moins
éparpillée dans les Amériques et a créé
ainsi de nouveaux peuples avec toutes sortes de structures anthropologiques et
politiques (États-nations, nations métissées, hybridation
culturelle, etc.). Les appels de mémoires dans ces espaces
géographiques suivent les mêmes logiques.
1.2.2. En Afrique et chez les Afro-descendants des
Amériques.
La question du «devoir de mémoire» se pose
différemment chez les Africains, les Afro-descendants de la Caraïbe
et les Afro-américains des États-Unis. Selon la trajectoire
historique particulière de ces ensembles anthropologiques et
géographiques, l'accent est mis plutôt sur la colonisation, sur
l'esclavage, ou encore sur l'apartheid, le racisme et les discriminations.
En Afrique, les tentatives d'obtention de réparations
pour l'esclavage et la colonisation sont relativement récentes. Marc
Ferro signale qu'
à la reconnaissance de l'esclavage comme crime
contre l'humanité - devoir de mémoire - s'ajoute la demande
d'excuses et de réparations - dette morale et financière ;
c'est ce qui ressort des proclamations de la Conférence mondiale sur les
réparations à l'Afrique et aux Africains de la diaspora,
organisée en décembre 1990 à Lagos (Nigeria), et de la
Conférence panafricaine de l'Organisation de l'Unité Africaine
(OUA) qui s'est tenue à Abuja (Nigeria) en 1993 (Ferro, 2003, p.
763).
Cependant, comme dira Théophile Kouamouo, si les
pays occidentaux et les États-Unis font front commun contre les
réparations,
Le front des pays africains quant à lui n'est pas
uni. Les anglophones, comme le Ghana et le Nigeria, défendent une
position maximaliste (le versement intégral d'indemnités sous la
forme de transfert de capitaux et/ou d'annulation de la dette) tandis que les
francophones se contenteraient d'une reconnaissance morale et de regrets.
(cité par Ferro, 2003, p. 765-766)
En effet, le cas de crime collectif qui a gagné
l'unanimité sur le «continent noir» est celui de
l'Apartheid en Afrique du Sud, où on a d'ailleurs trouvé
pour surmonter la haine raciale, une idée originale de
«Vérité et réconciliation»; une formule qui peut
être comprise comme une politique officielle de l'oubli. C'est pourquoi
ce processus de pardon, à l'instar de l'admiration qu'il suscite, a
été l'objet de plusieurs écrits à travers le monde.
Lyn S. Greybill (2002) a essayé de déterminer ce qui fait
l'originalité de ce processus ainsi que les conditions de son
succès ; Deborah Posel et Graeme Simpson (2003) traitent à l'aide
de cas précis vécus par la Commission Vérité et
réconciliation, la philosophie et les défis de cette
politique de l'oubli. Tina Rosemberg et Martin Meredith (1999) ont
analysé cette expérience sud-africaine dans l'angle d'une
stratégie de sortie d'une histoire traumatique. Les recherches
scientifiques sur ses aspects juridique, politique, anthropologique et
même théologique, etc. sont innombrables.
Mais il existe en Afrique un mouvement plus vaste, regroupant
des intellectuels ou des hommes politiques francophones et anglophones qui
demandent la reconnaissance et la réparation, pour la colonisation de
l'Afrique et sa paupérisation engendrée par la
«saignée» du continent vidé de ses forces productives
par l'esclavage. C'est la revendication du Africa Reparation
Movement1(*)
basé en Angleterre. En marge des Mouvements, il faut mentionner
aussi que des auteurs et penseurs indépendants militent en faveur de la
réparation pour la colonisation.
Sur l'esclavage des «Noirs» dans les
Amériques, c'est aux États-Unis qu'on observe les controverses
les plus virulentes où s'affrontent, sans distinction de «couleur
de peau», partisans et opposants de la réparation pour les dommages
causés par l'esclavage.
Beaucoup d'intellectuels afro-américains
interprètent l'«Affirmative action» comme une forme de
compensation pour l'esclavage et les discriminations subies par les populations
«noires» des États-Unis. Cette politique connaît de
nombreux opposants comme Terry Eastland (1997). L'une des meilleures recherches
sur le sujet vient de John David Skrentny (1996) qui a rendu compte de
l'Affirmative action dans toute sa complexité, notamment en
expliquant pourquoi cette politique ne peut que perdurer malgré
l'opposition d'une majorité d'Américains. Il est
précédé dans cette logique par Gertrude Ezorsky (1991),
Cornel West (1996) et autres, qui croient que cette politique est susceptible
d'améliorer à plus ou moins long terme, le sort des
Afro-américains.
Mais la question du «devoir de mémoire» aux
États-Unis se pose surtout en des termes symboliques ou
juridiques : certains parlent de « reconnaissance » et d'autres
de «compensation». Orlando Patterson (1997), se penchant sur les
ressentiments qui motivent actuellement les demandes de réparation,
reconnaît l'actualité de l'inégalité et des
préjudices subis par les « Noirs » aux États-Unis,
notamment sous forme de discriminations rencontrées dans l'emploi et le
logement, situation qui justifierait le taux élevé de
criminalité dans la communauté. Cependant, dit-il, on ne peut
nier les progrès accomplis par l'ensemble des Américains sur la
question raciale depuis plusieurs décennies et qui rendent
indéniable la contribution afro-américaine à la culture et
à la pensée des États-Unis (pp.17-18). Il suggère
que l'«Affirmative action» est un pis-aller et qu'il faudra à
terme, le dépasser au nom de la dignité des «Noirs».
D'autres intellectuels afro-américains soutiennent plutôt
fermement qu'une réparation est nécessaire pour rendre justice
à l'histoire et améliorer la situation des
Afro-américains. Robert Westley2(*) de Dayton University Law School
considère que la réparation est la pré condition
même de l'égalité sociale aux États-Unis, que des
arguments juridiques militent pour ce but et qu'un régime
d'indemnisation doit être conçu. Vincence
Verdun, Lee A. Harris, ainsi que la députée de
Géorgie Cynthia McKinney... pour ne citer que les plus connus, sont de
cet avis. De même, dans un colloque tenu au Queen's
University de Kingston (Ontario, Canada) sur le thème
«Reparations : An Interdisciplinary Examination of Some Philosophical
Issues» du 6 au 8 février 2004, Andrew Valls d'Oregon State
University défendra fermement la réparation pour l'esclavage des
«Noirs». Il a démontré comment de précieux
acquis ont été réalisés ces cinq dernières
années, notamment par la stratégie des revendications locales
(auprès des compagnies ayant un passé esclavagiste, auprès
des États et municipalités ayant profité de l'exploitation
des «Noirs» etc.). Ces succès sont selon lui le début
prometteur d'un processus de réparation dont la nécessité
et la congruence se justifient plus que jamais :
« These developments in the state, local, and civil
society arenas should, I think, be viewed positively by advocates of black
reparations. They hold out the possibility of specific victories in attempting
to achieve justice for particular crimes. They also may play an important role
in raising the consciousness of Americans about the brutality of racial past,
and may therefore be steps in the direction of more comprehensive, national
approach to black reparations» (p.23)3(*).
Mais, selon lui, c'est du gouvernement fédéral
que devra venir l'ultime et la plus complète réparation pour
l'esclavage des «Noirs».
Par ailleurs, ajoute Valls, il ne faut pas entendre par
réparation, ni mesure symbolique, ni compensation financière
à des individus de « race noire ». Il suggère
explicitement que «la notion de compensation, ou de réparation,
soit ramenée à des mesures concrètes visant à
améliorer le bien-être matériel» (p.15) de chacun
des Afro-américains. Car au fond, les polémiques autour de cette
question des réparations sont essentiellement dues à la forte
tendance de certains acteurs, à évacuer, par une amnésie
volontaire, la perspective historique de tout le débat et
préconiser de simples politiques sociales «racialement
neutres» (colour blinded). Or, au fond, la dimension historique
de toute politique sociale serait irrécusable. Michael Brown (2003) de
l'Université de Californie aux États Unis, ira plus loin en
démontrant, la nature vaine de l'idée de neutralité
raciale - Color-Blindness. Pour lui, il s'agit ni plus ni moins d'un
mythe qui, a contrario, offre les conditions de perpétuation du
racisme dans les institutions américaines. En effet, démontre
t-il avec à la clé des statistiques récentes, on constate
encore aujourd'hui aux États Unis que, même dans les domaines
majoritairement occupés par les « Noirs » le leadership reste
dans les mains des «Blancs».
Au Canada, on peut citer dans ce débat Paul E. Lovejoy
(2000), connu pour ses analyses du lien entre identité «noire»
et histoire de l'esclavage. Il faut noter aussi les études de Atsuko
Matsouka et John Sorenson (2001), de James Walker (1979, 1985) qui se sont
déjà intéressés à la construction de
l'identité chez les «Noirs» du Canada.
En résumé, au Canada comme aux
États-Unis, les revendications sociales des Africains et
Afro-descendants sont très souvent rattachées à leur
histoire. Mensah (2002) dira par exemple au sujet de la politique
canadienne de l'équité en emploi:
« Employment equity was necessitated by the
historical exclusion of Blacks and other minorities from the Canadian labour
market, not by any perceived or real inability of minorities to compete on a
level playing field. To the extent that these critics have chosen to ignore
this fact by casting their attacks in an ahistorical fashion, their position is
suspicious if not seriously flawed » (P. 255).
Comme nous le voyons, la complexité du «devoir de
mémoire» a généré une littérature
abondante à travers le monde, et la question se complexifie lorsqu'elle
glisse vers le débat racial. Mais dans l'espace sociopolitique du
Québec, la situation est encore plus singulière par rapport au
contexte états-unien et canadien, parce qu'au débat ethnique ou
linguistique va s'ajouter celui national, chacun des problèmes
étant rattaché à une lecture particulière de la
mémoire historique.
1.2.3. La mémoire collective dans le contexte
québécois.
Lacorne (1997) se demandait déjà au sujet de
l'identité américaine :
... comment enseigner l'histoire d'une nation qui est,
d'abord et avant tout, une communauté imaginaire instable et sans cesse
contestée de l'intérieur, soumise à de multiples
interprétations qui allient les meilleurs principes politiques - la
liberté, l'égalité, le progrès social - aux pires
exclusions raciales. Difficile dans ce contexte de satisfaire les
héritiers des vainqueurs et ceux des vaincus, même si ces derniers
partagent, au fond, les mêmes valeurs libératrices
(p.267).
La même question est pertinente pour le cadre
québécois de notre recherche, où la minorité
franco-québécoise constitue depuis deux siècles le
principal problème politique de la fédération canadienne.
Le Québec est donc, à l'échelle mondiale, un excellent
laboratoire du devoir de mémoire. Son histoire est en effet
celle de la colonisation et de la domination d'un peuple francophone par un
peuple anglophone ; c'est une province francophone dans une
fédération majoritairement anglophone ; c'est ensuite un espace
politico-géographique partagé par des non-autochtones et des
Amérindiens revendiquant des droits ancestraux, en tant que
«premières Nations» ; c'est enfin, et ce, depuis plusieurs
décennies, l'une des plus importantes terres de l'immigration
contemporaine, avec tout le phénomène de diversité
culturelle et des trajectoires historiques qu'elle entraîne. Au milieu de
ce dédale de «mémoires collectives», le Québec
reste un État de droit et une démocratie libérale.
De nombreux auteurs, Fernand Dumont, Gérard Bouchard,
Marc Angenot, Régine Robin, etc. se sont penchés sur les usages
de la mémoire collective dans le contexte politique
québécois. La mémoire sociale au Québec est en
effet le produit de la colonisation anglaise, articulée à la
construction de l'identité francophone, pour servir de base à des
revendications politiques toujours en cours. Cependant, aucune publication
québécoise n'aborde spécifiquement la mémoire
collective chez les Africains et Afro-descendants. Évidemment, il existe
quelques recherches sur l'histoire des «Noirs» au Canada ou au
Québec, -- et même à Montréal comme en
témoigne l'oeuvre de Dorothy Williams intitulée The Road to
Now : A History of the Blacks in Montreal (1997) -, mais là encore
nous ne connaissons aucune recherche montréalaise sur le «devoir de
mémoire» dans le discours des leaders «noirs». Nous
pourrions mentionner le livre de Cécile Marotte (1997), qui a
traité de la mémoire traumatique du peuple haïtien, ce
peuple d'Afro-descendants qui dû subir coup sur coup, toute une
série de dictatures et d'oppressions depuis son indépendance. Il
faut mentionner aussi les articles de Régine Robin (1996) qui a fait une
critique de «la fascination de la souche» chez certains intellectuels
du Québec.
Les analyses les plus approfondies de la mémoire
collective dans le cadre québécois proviennent de Jocelyn
Létourneau et de Jacques Beauchemin, qui ont ramené à
l'échelle provinciale la problématique du « devoir de
mémoire » : le premier (Létourneau, 2000) propose
une analyse progressiste alors que le second, (Beauchemin, 2002), prône
la reconnaissance de la légitimité d'une revendication
particulariste franco-québécoise. Jocelyn Létourneau et
Jacques Beauchemin adoptent donc des vues exactement contraires quant à
la façon de gérer l'héritage historique du Canada
français devant la fédération canadienne : le premier
veut passer à l'avenir alors que le second veut affirmer dans
une subjectivité assumée, le sujet politique
québécois comme héritier de l'histoire
canadienne-française enrichie par la diversité culturelle.
Dans cette polémique, la mémoire de l'esclavage
des «Noirs», la trajectoire historique singulière des
Africains et Afro-descendants du Québec ne tombe-t-elle pas comme
«un cheveu dans la soupe»? Si non, comment articuler la revendication
d'une identité et d'une mémoire raciale dans l'arène
politique du Québec? Nous débouchons ici progressivement sur le
cadre social précis de notre recherche.
Sur le plan de la recherche historique, l'histoire des
«Noirs» apparaît amplement développée dans des
livres comme celui de Daniel Hill paru en 1992. Winks lui emboîtera le
pas en 1997. Au fait, plusieurs années plus tôt, J. W. Walker
(1980) publiait un précis d'histoire sur «les canadiens de race
noire» et en 1985, il y était revenu dans une étude des
discriminations subies par cette catégorie de citoyens. Linteau et
Durocher (1989) décrivaient aussi dans les deux tomes de leur
Histoire du Québec contemporain, les conditions de la fuite des
esclaves noirs vers le Canada. Mais, Sooknanan (2000) remet en doute ces
tentatives de réification et d'essentialisation des Africains et
Afro-descendants, et propose de repenser cette dite communauté dans sa
diversité et les variations de ses préoccupations. Cependant le
débat persiste et en 2002 encore, Joseph Mensah, publiait sous le titre
Black Canadians : History, Experiences, Social Conditions, une
étude des problèmes communs aux Africains et Afro descendants du
Canada.
Au plan social, culturel et politique, des actions collectives
furent entreprises et sont encore en cours pour accéder à une
certaine reconnaissance de l'histoire noire à Montréal. Il existe
sous forme de festival, une «Table ronde du mois de l'histoire des
Noirs». Certaines enquêtes récemment commanditées par
le gouvernement canadien ont montré l'existence des
«barrières invisibles» auxquelles se heurtent les
«communautés visibles». Le Québec n'échappe pas
à cette réalité comme l'illustre
d'ailleurs le film Le Nèg', du réalisateur Robert Morin,
sorti 2001. La même année était
publiée à l'Université McGill, une enquête
réalisée par James Torczyner (2001) sur une période de
trois ans, avec la conclusion que la communauté la plus
touchée de discrimination et d'exclusion sociale est «la
communauté noire» de Montréal. En 2002, Myrlande Pierre
publiait une recherche pour le compte du Conseil des Relations interculturelles
avec sensiblement les mêmes conclusions. Encore en février 2003,
dans une enquête réalisée pour la Commission des droits
de la personne et des droits de la jeunesse du Québec sur la
discrimination dans le logement à Montréal, Alberte Ledoyen
constatait qu'on retrouve encore à Montréal les deux formes de
discours d'exclusion raciste : la forme pseudo-universaliste et la forme
différentialiste. Elle tira la conclusion que :
Stigmatisés par l'esclavage et le colonialisme,
puis étiquetés en vue de leur ségrégation, les
Noirs d'aujourd'hui, dans des pays pourtant démocratiques et bien
pensants, semblent porter encore la trace d'un passé qui les a
jugés «incapables» d'égalité (esclavagisme et
colonialisme) ou comme «dangereux pour la race blanche»
(ségrégationnisme). Bien entendu, les États
démocratiques actuels n'évoquent plus ce type d'aberrations, mais
le courant souterrain qui atteint les individus par le biais de
représentations pathologiques du rapport à l'autre continue de
les charrier et elles continuent de s'exprimer sous forme de
préjugés ou d'exclusion (p. 15).
Mais aucun ouvrage scientifique n'a étudié
à ce jour la mémoire collective des communautés africaines
et afro-descendantes de Montréal.
Notre présente étude vise à montrer
comment cette mémoire est structurée et, si elle est vraiment
«collective» (sensibilise effectivement les acteurs
concernés), si elle est pour autant socialement opérante ; mais
aussi comment est appréhendée l'application politique de cet
appel de mémoire par les leaders qui s'en sentent héritiers.
Comme nous le verrons plus tard, c'est par rapport à cet objectif que
s'est posée la question ayant déterminé le choix de notre
cadre d'analyse à savoir : comment naissent, s'organisent et se
développent des actions collectives en société? Mais pour
mieux y répondre, nous nous sommes demandé au bout de cette revue
de littérature, comment se présente de façon
synthétique, le problème du devoir de mémoire.
1.3. Problématique du
« devoir de mémoire ».
«Dans la vie politique, la mémoire a des fonctions
inévitablement politiques», disait Dominique Schnapper (1999, p.
96.). Or, le fait est que la pluralité des mémoires
collectives induit nécessairement une situation de
concurrence et de rapports de pouvoir. Les discours de mémoire rendent
compte des rapports de force se structurant d'une part entre des groupes
occupant des positions similaires, et d'autre part avec des groupes dont
l'hégémonie est contestée.
La mémoire collective d'un groupe particulier n'est
saisissable qu'au travers de la compréhension de l'articulation entre
elles des différentes mémoires relatives à un même
objet, en les référençant au principe de leur
constitution, c'est à dire non seulement des positions de ces groupes,
mais de l'état des relations existant entre ces groupes lorsque la
mémoire est constituée ou évoquée (Laurens et
Roussiau, 2002, p.29).
Selon cette logique, la rhétorique mémorielle
chez les Afro-descendants du Québec s'articule selon le contexte
politique du Québec, et celui du Canada, selon le contexte canadien.
Mais partout, le problème que pose la mémoire collective
instrumentalisée dans l'arène politique est celui de la
multiplicité des mémoires collectives et de leur
diversité narrative, amenant au houleux débat des formes de
reconnaissance politique qu'on devrait accorder aux groupes culturels : le
«devoir de mémoire» peut-il s'accomplir au prix d'une
déstabilisation sociale ou faut-il interpréter cette
épreuve comme une catharsis, une délivrance ou une
abréaction collective ? Sinon, d'un point de vue axiologique, peut-on
juger les crimes d'hier avec des valeurs d'aujourd'hui, et dans le cas
particulier des «Noirs» du Canada, du Québec et de
Montréal, y a-t-il des précédents historiques qui
autorisent d'en appeler à un «devoir de mémoire»?
Lorsqu'on sait que les paradigmes de la modernité que sont
l'égalité et la justice sociale ont servi de cheval de bataille
à un puissant «mouvement noir» en Amérique du Nord
jusque dans les années 70, comment interpréter aujourd'hui, dans
une société «égalitaire» comme celle du Canada
et du Québec, la mobilisation d'une identité «noire»,
«afro-américaine», «afro-québécoise»,
etc. cette fois-ci autour de l'histoire ou de la mémoire collective?
Dans ce débat, et en un autre volet, on ne peut ne pas
prendre en compte le sujet, en tant qu'acteur autonome et subjectif,
capable de - et recherchant à - faire une lecture individuelle de son
existence, de « bricoler » sa propre structure identitaire.
L'importance de ce volet apparaît clairement quand on saisit les
revendications identitaires dans la dynamique interne de ces
« groupes racisés ».
Toutes ces questions nous amènent à saisir la
problématique du devoir de mémoire dans notre recherche
comme se déployant autour de trois thèmes :
- Production ou création de l'identité,
- Reproduction ou transmission de la mémoire
collective, et
- Instrumentalisation ou politisation de la mémoire.
Au fond, la politisation est présente dans
chacun des trois thèmes : l'identité se définit selon
le contexte politique qui, à son tour, définit la
rhétorique de la reproduction de la mémoire (second
thème). Mais dans le troisième thème - instrumentalisation
de la mémoire - c'est précisément de la sollicitation de
la mémoire dans les revendications sociales qu'il s'agit. La
«politisation de la mémoire» ici fait appel au
politique par interpellation des instances politiques de la
société globale. C'est donc là les trois grands axes qui
structurent notre problématique et correspondent chacun à une
dimension dans notre recherche.
Mais par rapport à ces trois thèmes, qu'est-ce
qui distingue les Africains et Afro-descendants dans le débat du
«devoir de mémoire» ?
La «traite négrière» et les
Amériques
La signification ou la symbolique portée par la notion
de «mouvement noir» ne peut être saisie qu'en lien direct avec
l'histoire des «Noirs» en Amérique du Nord depuis plus d'un
siècle. En effet, les deux révolutions (américaine et
française) du XIXe siècle qui vont institutionnaliser
l'idéal des droits de l'Homme, sont nées à un moment
où l'esclavage et la colonisation, institutions sociales et politiques
qui consistent dans la domination et l'exploitation sans limites d'autres
peuples, étaient encore sur ces deux continents, les principaux moteurs
de l'économie. Dès cet instant, la question de
l'émancipation des «Noirs» va devenir à chacun des
siècles suivants, un des baromètres du progrès social,
politique, juridique et même économique du monde occidental :
l'abolition de l'esclavage, l'éradication des systèmes de
ségrégation et de l'apartheid, les droits civiques et de vote des
«Noirs» et, récemment, la pauvreté massive et la
ghettoïsation des «Noirs» aux États-Unis... ont
été tour à tour des enjeux politiques
déterminants.
Au début du XXIe siècle et ce,
malgré les progrès sociaux fulgurants ayant suivi les
revendications des «Noirs», l'intégration sociale et
l'émancipation économique de ces derniers (notamment en
Amérique du Nord) posent encore de nombreux problèmes. Ces
problèmes sont d'autant plus complexes qu'ils ne peuvent ignorer la
multiplicité des «appels de mémoires»; le racisme,
partout combattu après la seconde Guerre mondiale, banni des
institutions sociales visibles, s'est complètement transformé et
est rendu difficile à invoquer dans l'explication de la condition
actuelle des «Noirs». Il ne reste, pour justifier une telle
situation, que l'histoire et/ou une nouvelle forme de racisme. En
effet, comment articuler aujourd'hui les revendications visant à
améliorer les conditions de vie des Africains et Afro-descendants dans
des systèmes politiques qui postulent que tous les individus sont
naturellement égaux et donc égaux en droit?
1.3.1. Du mouvement noir au « mouvement pour
l'histoire noire » ?
La rhétorique anti ségrégation construite
sur la base des principes politiques modernes que sont l'égalité,
la justice, et l'impartialité raciale (ou color-blindness)
s'est épuisée avec l'effondrement de ces systèmes de
ségrégation aux États-Unis dans les années 60 et en
Afrique du Sud dans les années 90. Mais le changement de système
n'a pas toujours entraîné le mieux-être visé par ces
populations jadis discriminées. Il faut réintroduire une nouvelle
rhétorique adaptée aux nouvelles politiques, mais pour poursuivre
les mêmes objectifs :
La vérité que les groupes prétendent
délivrer au travers des mémoires revendiquées devient
alors plus explicitement compréhensible : il s'agit d'introduire,
par la médiation d'un discours thématisé sur un
passé donné, un autre ordre de discours qui dépasse
l'objet. Si la mémoire collective sert à établir
l'identité des groupes, elle se présente également comme
un instrument politique de reconnaissance permettant d'introduire un rapport de
pouvoir entre les groupes sociaux (Laurens, 2002, p.29).
Ce principe énoncé par Stéphane Laurens
vise à démontrer que les revendications de mémoire
dépassent leur objet, à savoir le seul cadre du crime historique,
et concernent, au fond, la situation sociale et politique que vivent encore
aujourd'hui les Afro-descendants dans les Amériques. L'auteur explique
que
Lorsque les Noirs américains revendiquent la
mémoire de leur peuple et demandent réparation pour l'esclavage
subi, ce n'est pas tant qu'ils cherchent à obtenir une compensation qui,
en nature comme en importance, ne pourra pas effacer l'outrage, mais parce que
la mémoire assoit les revendications actuelles face aux
inégalités dont ils sont encore les victimes (Laurens et
Roussiau, 2002, p.29).
Le Mouvement noir des années 60 avait abouti,
aux États-Unis, non pas seulement à l'égalité
sociale, mais à des politiques de
«rééquilibrage» social en faveur des
Afro-américains, des formes de «discrimination positive»
(Affirmative action), initiées par Lyndon Johnson et
concrétisée par Richard Nixon. Mais comment s'est
opéré historiquement ce virage discursif?
Alain Touraine et Michel Wieviorka situent aux années
70 un changement radical dans la nature des mouvements sociaux en
même temps que du racisme partout en occident. Ce changement fut induit
par les bouleversements économiques de cette période : mise
en cause du taylorisme, suppression massive d'emplois en raison de la
délocalisation d'usines vers les nouvelles puissances émergentes,
ralentissement de l'économie et précarité de l'emploi,
perte de la centralité du mouvement ouvrier.
Dans ce paysage social renouvelé, le racisme se
construit contre les immigrés et leur descendance de façon elle
aussi nouvelle. Jusque-là, il participait de l'exploitation de
travailleurs inclus dans les rapports de production, il va maintenant surtout
contribuer à exclure leurs enfants de l'emploi, et à les
discriminer ou à les tenir à distance dans l'espace urbain
(Wieviorka, 1998, p.96).
C'est désormais une conjoncture sociale actuelle (ou
présente), nommément la pauvreté, les discriminations, les
préjugés, le racisme ambiant... qui détermine le discours
sur l'histoire (ou sur le passé). Dans cette situation, et dans le cas
précis des Africains et Afro-descendants, l'identité
«noire», catégorie historiquement construite par les
phénomènes de l'esclavage, du colonialisme et du racisme devient
éventuellement le lieu de repli stratégique pour certains acteurs
sociaux. L'adversaire de classe est la classe politique ou économique
dominante (en bref, le «pouvoir») ; les acteurs cherchent alors
à changer, non plus historiquement la société
(comme dans les années 60) mais à changer socialement leur
histoire «collective», à faire réviser sa
signification sociale (prénotions d'infériorité raciale)
aujourd'hui dans l'espace politique où ils se trouvent, et ceci, en
changeant la situation socio-économique de leur groupe. C'est pourquoi,
Canadien d'origine ghanéenne, J. Mensah a décrit ce sentiment
dans son ouvrage publié en 2002. Il n'y a pas à rougir de
l'expression «noir», dit-il, puisqu'il est socialement fonctionnel et
constitue la description sociale du groupe africain et
afro-descendant :
« The term is certainly distasteful, and even a
misnomer, given that no human being is actually black in colour (or White, for
that matter). Yet, for most of Blacks, the term has a real meaning in their
daily activities in Canadian society. Irrespective of their place of birth,
Canadian Blacks share the common prejudicial experience that their presumed
blackness engenders in their association with White Canada. While most White
Canadians tolerate individual Blacks, there is no denying that some Whites look
down upon Blacks, as a group, and treat Blacks with fear - and, sometimes,
envy-coated condescension. «Race» and «Black» have such an
overwhelming impact on people of African descent in Canada that we gain nothing
at all by attempting to ignore these concepts in our analytical endeavours
» (Mensah, 2002, P.21-22).
Au Québec aussi, cette logique est implicite dans
l'action des «communautés noires» de Montréal qui ont
récemment entrepris, par delà les diversités d'origines
nationales, de demander auprès du gouvernement du
Québec :
- «l'érection d'un monument à la
mémoire de Marie Josèphe Angelique, esclave noire,
torturée et exécutée sur la place publique à
Montréal en 1724
- la reconnaissance du site officiel Rocher Nigger,
à titre historique du patrimoine commun québécois. Sur ce
site furent enterrés des esclaves entre 1794 et 1833.» (Labelle,
2003, p.24)
Ces demandes générales, affirme Micheline
Labelle, exigent une politique globale de la mémoire, la levée
des interdits, une créativité institutionnelle et certaines
formes d'échanges culturels. Ainsi, face à sa configuration
socio-politique particulière, le Québec s'est récemment
engagé dans une expérience originale de conciliation des espaces
identitaires et des parcours historiques qui le composent. Labelle dira
que :
La paix des Braves conclue entre le gouvernement du
Québec et le Grand Conseil des Cris a joué à cet
égard un rôle symbolique profond : une reconnaissance de
nation à nation. Le projet d'entente avec les Innus se situe dans ce
prolongement à effets multiples : recomposer et subvertir
l'imaginaire culturel, refonder le politique et l'éducation populaire,
débusquer la discrimination systémique héritée du
colonialisme et son corollaire, le racisme, dans l'espace
québécois (idem, p 25).
Nous essayerons d'élucider cette action collective
à travers les nombreux écrits théoriques que nous avons
parcourus, sur la mémoire collective, sur le «devoir de
mémoire», ainsi que sur les cas particuliers de revendication
mémorielle. Le second chapitre de ce mémoire explore
différentes explications sociologiques ou théoriques qui sont
proposées sur le phénomène du «devoir de
mémoire».
CHAPITRE II
CADRE D'ANALYSE ET
MÉTHODOLOGIE
À travers la
problématique élucidée dans le premier chapitre, un cadre
d'analyse s'est imposé, pour saisir sociologiquement le «devoir de
mémoire» chez les leaders africains et afro-descendants de
Montréal : celui qui devrait permettre de comprendre les
revendications mémorielles de ces derniers, comme une forme nouvelle
d'action collective, un nouveau «mouvement» social, nouveau par sa
charge symbolique, nouveau dans sa stratégie, mais directement
rattaché à la quête identitaire et luttant, non plus pour
changer historiquement la société, mais pour changer
socialement l'histoire, obtenir la restauration de leur position
socio-historique dans le regard du reste de la société, obtenir
le «redressement de la marche de l'histoire» (Beauchemin, 2003).
Parmi les sociologues contemporains, le Français Alain Touraine fait
partie des références pour l'analyse de l'action collective. Sa
sociologie de l'action a connu aussi une application efficace avec
Michel Wieviorka, notamment sur le racisme et les mouvements
socio-communautaires.
2.1. Cadre d'analyse
Avant d'aborder le cadre d'analyse de ce type d'action sociale
qu'est l'appel au «devoir de mémoire», il s'avère
nécessaire d'en explorer les enjeux philosophiques tels que
discutés par différents auteurs sur le sujet. En effet, comment
cerner sociologiquement ce nouveau phénomène qu'est la
«globalisation de la mémoire» et comment est-on passé
de l'étude de la mémoire individuelle en psychologie à
l'étude de la mémoire collective en sociologie? Comment les
différents auteurs ont-ils relié conceptuellement les
différents thèmes de notre recherche à savoir,
l'identité, la transmission de la mémoire et la politisation de
la mémoire?
2.1.1. « Devoir de
mémoire » et théories sociologiques de la mémoire
collective.
- De la phénoménologie à la
sociologie de la mémoire collective.
Différents penseurs ont essayé depuis Holbwachs,
d'éclairer le passage entre mémoire individuelle et
mémoire collective. Par exemple, pour Paul Ricoeur (2000), la
problématique de la mémoire peut se ramener à trois
apories fondamentales :
- La mémoire serait-elle une expérience
fondamentalement individuelle, telle que l'a soutenu Saint Augustin
à travers sa théorie du triple présent ou
est-elle un phénomène d'emblée social, collectif,
public ? -
- Comment se prémunir de la colonisation de la
mémoire par l'imagination (l'une et l'autre ayant la fonction
de rendre présente une chose absente) et quel accord faut-il faire
entre la simple absence de l'irréel et la distance temporelle de ce qui
n'est plus et a été ?
- Enfin, la troisième aporie est celle des
considérations quasi pathologiques, de la mémoire en lien avec
l'identité personnelle ou collective, de la
«mémoire blessée», de la «mémoire
traumatique». Pourquoi en effet, chez certains peuples, il y a la
mélancolie au lieu du deuil ?
À ces apories, Toshiaki Kozakaï (dans Laurens,
2002) a proposé une solution inusitée en sollicitant
l'allégorie du bateau de Thésée. Il y
démontre comment un bateau, hérité de père en fils
sur plusieurs générations et qui, même devenu
différent avec toutes les pièces rechangées, restera
toujours le bateau de Thésée. En effet, on croît
souvent que, évoquer l'«évolution» de
l'«identité» comporte en soi un certain paradoxe, un objet ne
pouvant logiquement être à la fois identique et différent
de lui-même : s'il change, il n'est plus le même ; mais s'il
reste le même, il ne peut évoluer. Or il s'agit selon Kozakaï
(pp.77-78) d'une fausse aporie ou d'un paradoxe illusoire dû au
déplacement de la logique d'identité vers celle
d'identification, à une illusion substantialiste.
L'identité collective ne doit pas être réifiée ou
érigée en identité réelle. L'identité est
construite à chaque instant par le sujet. Si l'on se heurte à des
difficultés épistémologiques en tentant d'expliquer son
évolution, c'est parce qu'on s'imagine qu'elle existe au sens
substantialiste. Une race (sic), une Nation une ethnie n'est jamais
identique à elle-même : elle évolue continuellement.
Selon Kozakaï, il faut élargir la perspective de l'identité
à son rapport au sujet, sans que ni le sujet ni l'objet
(l'identité) ne soient conçus de manière figée.
«L'identité doit être appréhendée comme un
phénomène ou un événement intersubjectif produit
dans la relation entre trois termes : sujet, objet et autrui.»
(p.77). En d'autres termes, individuelle ou collective, l'identité se
construit toujours par rapport à l'environnement social dans lequel l'on
interagit :
L'identité collective doit être
pensée, non pas comme une représentation uniforme, mais comme une
configuration dominante qui émerge des interactions des membres de la
communauté et se maintient seulement pour une certaine durée.
Dès lors, que l'identité collective est ainsi conçue, non
pas comme un individu collectif, mais comme une représentation dominante
véhiculée provisoirement dans la communauté, sa
modification ne signifie pas plus que le déplacement du centre de
gravité, en quelque sorte, de la configuration globale des
représentations individuelles (dans Laurens, 2002, p.79).
Laurens Stéphane et Nicolas Roussiau abondent dans ce
sens et se sont attachés à démontrer que, si le
passé apparaît bien thématisé dans la mémoire
collective, la mémoire des groupes sociaux déborde largement
l'antériorité des faits qu'elle évoque. Il faut se
référer d'une part à la conception du temps tel que se le
représentent les groupes sociaux, traduction d'un état affectif,
et, d'autre part, au contenu symbolique que révèlent leurs
discours sur le passé. Pour Jean Viaud, et dans le même ouvrage
collectif, les discours de mémoire s'inscrivent dans le cadre des
rapports concrets entre des groupes sociaux ; les revendications
mémorielles ne font que refléter ce rapport et acquièrent
leur efficacité grâce à la légitimité que
procurent l'Histoire et la justice.
La mémoire collective, pour peu qu'elle concerne un
fait du passé - proche ou lointain - peut ressortir aussi bien du
témoignage que de l'histoire, du récit, des coutumes, des
archives, des traces matérielles, de la commémoration, voire de
la langue elle-même. [...] La mémoire collective est certes
omniprésente, mais elle apparaît insaisissable se dérobant
dans les méandres du langage. Cela étant, son apparente
plasticité phénoménale pourrait être un indicateur
de son efficacité sociale puisque sa polyvalence atteste d'une certaine
façon de sa capacité à produire des effets (p.22).
Joël Candau (1998) quant à lui va établir
un lien beaucoup plus formel entre mémoire et identité. Il
écrira que,
en fait, mémoire et identité se
compénétrent. Indissociables, elles se renforcent mutuellement.
Depuis le moment de leur émergence jusqu'à leur
inéluctable dissolution. Il n'y a pas de quête identitaire sans
mémoire et, inversement, la quête mémorielle est toujours
accompagnée d'un sentiment d'identité, au moins
individuelle (p.10).
Cet auteur a aussi essayé de démontrer pourquoi
les «mémoires fortes», puissantes hiérarchisées,
unificatrices, omniprésentes, voire totales, s'effondrent aujourd'hui
devant des mémoires plus faibles ou moins étendues. Cet
effondrement interdisant du coup, la construction d'identités puissantes
et stables, celles-ci s'effaçant à leur tour devant des
identités plurielles, éclatées, mouvantes.
Dans les sociétés modernes, l'appartenance
de chaque individu à une pluralité de groupes rend impossible la
construction d'une mémoire unifiée et provoque une fragmentation
des mémoires. Ceci favorise évidemment les affrontements
mémoriels. Parfois, le conflit reste intérieur au sujet,
habité par des mémoires plurielles ou se battant avec sa propre
mémoire... (1996, p. 72).
Ce constat selon lui, est valable aussi bien pour les
représentations de l'identité que pour «l'identité
situationnelle», contextuelle démontrée par les auteurs
cités plus haut. Ainsi, les rhétoriques holistes voient leur
degré de pertinence s'affaiblir ou se restreindre à une
application très localisée, en regard de mémoires et
d'identités locales, particulières, limitées à des
groupes de plus en plus morcelés. C'est cette analyse qui nous
amène à nous intéresser à la place de la
subjectivité individuelle dans l'action sociale de revendication de
mémoire collective.
Pierre Nora fait partie des tenants de cette thèse de
la «mémoire éclatée». Il a abordé (1997)
l'analyse de la mémoire collective dans l'angle de son rapport à
la science historique, pour montrer la différence ontologique entre
mémoire et histoire, ainsi que la fonction psychosociologique qu'elles
accomplissent à travers les lieux de mémoire. «On
ne parle tant de mémoire que parce qu'il n'y en a plus.» Cet
achèvement correspond à la disparition «d'un principe
explicatif unique» et à la régression des mémoires
unitaires.
La curiosité où se cristallise et se
réfugie la mémoire, pense-t-il, est liée à
ce moment particulier de notre histoire. Moment charnière, où la
conscience de la rupture avec le passé se confond avec le sentiment
d'une mémoire déchirée ; (...) Le sentiment de la
continuité devient résiduel à des lieux. Il y a des lieux
de mémoire parce qu'il n'y a plus de milieux de mémoire. (...)
Habiterions -nous encore notre mémoire que nous n'aurions pas besoin d'y
consacrer des lieux ( 1997, pp. 23-24).
Pour Nora, mémoire et histoire s'opposent à tous
points de vue. La mémoire est la vie, toujours portée par des
groupes vivants et à ce titre, elle est en évolution permanente,
ouverte à la dialectique du souvenir et de l'amnésie,
inconsciente de ses déformations successives. La mémoire est
vulnérable à toutes les utilisations et manipulations ; elle est
susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. Ce
caractère mouvant de la mémoire collective va exacerber le besoin
d'identité (de stabilité) et explique, pour une large part, les
nombreux appels de mémoire et l'obsession des commémorations
à notre époque. Car «le passage de la mémoire
à l'histoire a fait à chaque groupe l'obligation de
redéfinir son identité par la revitalisation de sa propre
histoire. Le devoir de mémoire fait de chacun l'historien de soi»
(idem, p. 32).
Dans le cadre d'un processus général
d'individualisation de la mémoire, on observe donc la multiplication des
mémoires particulières qui réclament leur propre histoire.
Ordre est donné de se souvenir, mais c'est à moi de me souvenir
et c'est moi qui me souviens. La métamorphose historique de la
mémoire, s'opère alors au prix d'une récupération
par la psychologie individuelle. Aujourd'hui, du fait de l'atomisation d'une
mémoire générale en mémoire privée, c'est
sur l'individu seul que pèse de manière insistante et
indifférenciée la contrainte de mémoire. Chaque homme
particulier se considère dépositaire d'une
mémoire-devoir qui fait à chacun l'obligation de se
souvenir, et du recouvrement d'appartenance, le principe et le secret de
l'identité.
Nous verrons que, dans le cadre de la sociologie de
l'action, cette dialectique de la mémoire et de l'identité,
du collectif et de l'individuel, aura une incidence fondamentale sur la
production du sujet (Touraine) et influencera énormément la
transmission de la mémoire collective de même que
l'efficacité de la politisation de la mémoire. Ainsi, toutes les
analyses proposées ci-dessus se complètent et offrent un cadre
théorique adéquat pour saisir les représentations du
devoir de mémoire chez les Africains, les Afro-descendants
caraïbéens, américains, canadiens et
québécois, de même que les nuances et les similitudes dans
ces représentations. Mais la mémoire collective comme objet de
recherche y reste suspendue entre identité et évolution et alors,
l'autre débat théorique du «devoir de mémoire»,
c'est comment trouver l'équilibre entre le besoin d'oublier comme
exigence du «vivre ensemble» et celui de se souvenir comme exigence
d'identité par rapport à autrui.
- La « mémoire juste » en
société.
«Il doit y avoir un acte d'oubli de toutes les
horreurs du passé» déclarait Winston Churchill en 1945.
«Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le
répéter» dira le philosophe américain George
Santayana. Laquelle de ces deux injonctions serait plus profitable pour les
peuples marqués par une histoire traumatique?
Selon Tzvetan Todorov (1995), les deux formules ne se
contredisent qu'en apparence. La mémoire ne s'oppose pas à
l'oubli. La mémoire sélectionne dans le passé ce qui est
jugé important pour l'individu ou pour la collectivité ; de plus,
elle l'organise et l'oriente selon un système de valeurs qui lui est
propre. Il en est ainsi parce que le refoulement est porteur de
dangers. Pour Todorov, on a besoin de se souvenir parce que le
passé constitue le fond même de notre identité,
individuelle ou collective. Or, «sans un sentiment d'identité
à soi, sans la confirmation que celle-ci donne à notre existence,
nous nous sentons menacés et paralysés» (1999, pp. 18-19).
Ainsi, exigence légitime d'identité, j'ai besoin de savoir
qui je suis et à quel groupe j'appartiens. Mais encore faut-il
que je sache quelles sont les modalités et les conditions dans
lesquelles mon existence et celle des autres ont interagi, individuellement et
collectivement, jusqu'à moi. Todorov soutient alors que le mal subi doit
s'inscrire dans la mémoire collective pour nous permettre de mieux nous
tourner vers l'avenir. Car, avant de tourner une page il faut l'avoir
lue ; c'est là le sens du pardon ou l'amnistie : « ils se
justifient une fois que l'offense a été reconnue publiquement,
non pour imposer l'oubli, mais pour laisser le passé au passé et
donner une nouvelle chance au présent » (idem, p 19). Paul Ricoeur
rejoint parfaitement cette conception lorsqu'il énonce :
... n'inversons pas en devoir d'oubli le devoir moral de
mémoire en tant que devoir de vérité et de justice. Le
passé, frappé d'interdit de séjour au plan pénal,
poursuit son chemin dans les ténèbres de la mémoire
collective ; ce déni de mémoire prive celle-ci de la
salutaire crise d'identité qui permettrait seule une
réappropriation lucide du passé et de sa charge traumatique
(dans Ferenczi, 2002, p.28).
Le problème cependant, c'est qu'il ne suffit pas de se
souvenir du passé pour éviter qu'il ne se répète.
Au contraire, c'est dans un passé d'anciennes victimes que l'agresseur
actuel trouve ses meilleures justifications. Ceux qui n'oublient pas le
passé risquent de le répéter aussi, en changeant de
rôle : souvent, ce sont des victimes du passé qui deviennent
agresseurs du présent.
Finalement, le grand mérite serait de pouvoir
dépasser son propre malheur, ou celui de ses proches, pour s'ouvrir au
malheur des autres, au lieu de réclamer pour soi le statut exclusif
d'ancienne victime. Ensuite, il faut pouvoir reconnaître le mal que
nous-mêmes avons commis dans le passé, même s'il n'est pas
aussi grave que celui dont nous avons souffert, et changer pour le mieux.
Au fait, d'autres auteurs comme Benjamin Stora et
Régine Robin (2003) expliquent que c'est la « fin des
idéologies » et le morose triomphe de la démocratie qui
ont donné l'impression que ni le présent ni l'avenir ne peuvent
plus être interprétés autrement que comme les
manifestations des horreurs du passé. Alors, on recherche plus de
mémoire pour créer plus de sens. Nous assistons ainsi à
une «flambée de mémoires». Dans le même ordre
d'idées, on peut ainsi résumer la pensée de
François Bédarida (dans Michel Verlhac, 1988) sur la
mémoire collective : ce que révèle surtout la controverse
autour du devoir de mémoire, c'est la difficulté de mise
en histoire de la mémoire ; il faut conférer à la
mémoire savante, une fonction de médiation et un
rôle de passeur afin que la mémoire collective soit efficacement
gérée.
Beaucoup d'autres auteurs ont proposé leur analyse avec
plus ou moins de nuances ou de complexité, mais par rapport à la
cohésion sociale, tous sont liés par le questionnement sur
le « bon usage de la mémoire collective » : Françoise
Barret-Ducrocq (1999) Michel Pollak (1993) Thomas Buttler (1989), Martine
Verlhac (1998) etc. L'une des plus récentes publications dans ce
débat provient d'Emmanuel Kattan (2002). Celui-ci entreprend son analyse
par l'angle des raisons d'être même du devoir de
mémoire, ses conditions de légitimité à un
niveau général. Pour lui, c'est la perte, avec l'avènement
de la modernité, du lien intime qui nous unissait avec le passé,
qui a introduit une distance entre le passé et nous : celui-ci
cessa d'être «revécu» sur un mode rituel et on se mit
à l'archiver, l'étudier, l'analyser comme un territoire
étranger et, du coup, on cessa de le vivre au quotidien. Dans ces
conditions, faire de la mémoire l'objet d'un devoir
naîtra, entre autres, de la volonté de restaurer un lien de
proximité avec le passé. Ainsi saisi, le devoir de mémoire
répond à une exigence particulière certes, mais non
à un devoir universel, et la notion de «devoir» s'y trouve non
pas évacuée, mais restreinte dans sa signification ; il y devient
une exigence particulière s'imposant aux membres d'un groupe
déterminé et renvoyant au maintien et à la transmission
d'une identité collective. Or, en cherchant à définir le
devoir de mémoire d'abord à partir de la notion de
«devoir», le terme renvoie à une vocation universelle
où la dimension mémorielle se trouve écartée.
La notion de devoir de mémoire se
révèle donc être insuffisamment
déterminée : ou bien elle implique avant tout un effet de
mémoire, mais alors la dimension de devoir devient
périphérique, ou bien elle est conçue comme un devoir
d'engagement et, dans ce cas, c'est le renvoi au passé qui devient
secondaire. Le devoir de mémoire est sans cesse en défaut par
rapport à lui-même : tantôt volonté de
transmission du passé liée à une identité
collective (la mémoire sans le devoir), tantôt devoir d'engagement
à l'égard duquel le passé ne joue qu'un rôle
accessoire (le devoir sans la mémoire), le devoir de mémoire
n'est jamais l'un et l'autre à la fois (Kattan, 2003, p.171).
Ainsi, pour l'auteur, l'histoire n'est pas
l'Histoire, certes, mais l'histoire n'est pas la mémoire non
plus. « La mémoire renvoie à un héritage commun et
fixe les règles et les modalités de sa transmission, alors que
l'histoire dénote une entreprise critique, obéissant à des
principes méthodologiques, à des critères de
vérité qu'ignore la mémoire.» (p.175) L'important est
donc de reconnaître que les exigences que nous projetons sur la
mémoire - exigence d'identité, d'une part, exigence de
transparence critique de l'autre - ne sont pas toujours compatibles. La
mémoire collective comporte souvent une dimension mythique, et lorsqu'on
la démythologise, elle perd nécessairement une part de sa
fonction identitaire, de son potentiel d'unifier et de galvaniser une
identité collective. Entre les deux exigences - d'identité et de
critique -, Kattan propose l'exigence d'intégrité, celle
du récit entier, transparent et autocritique à la fois, sans
désir d'occultation ni de falsification, mais dans la reconnaissance de
l'existence d'une multiplicité de points de vue sur le passé et
le déploiement d'un effort critique par rapport à sa propre
histoire.
Reste alors un dilemme irrésolu : comment sortir
de la violence? Comment rompre avec le cycle des ressentiments et des crimes
collectifs?
Martha Minow (2002) aux États-Unis et Sandrine Lefranc
(2002) en France ont proposé des analyses complexes de
l'ambiguïté du pardon en politique, voire de
l'incompatibilité du pardon avec la justice, situation imputable aux
exigences de légitimité et au besoin de stabilité sociale
et politique dans les démocraties nouvellement restaurées. En
effet, c'est en partant des expériences de ces nouveaux gouvernements
démocratiques, en Afrique du Sud et en Amérique latine, que
Lefranc va analyser tour à tour les bases de légitimité et
les fondements philosophiques de ces rhétoriques du pardon, de
l'amnistie, des réparations ou de la «vérité et
réconciliation» prônées par ces justices dites
«de transition». Ces expériences révèlent, selon
l'auteure française, la réalité suivante :
Si le pardon est un motif prégnant des
débats sur la justice de transition, c'est parce que les acteurs, comme
les philosophes, sont confrontés à l'impardonnable. Les victimes
sont mortes, souvent. Les crimes semblent inexpiables puisqu'ils sont
imputables à des hommes qui agissaient en tant qu'agents de
l'État. Qui devrait alors demander le pardon, et qui pourrait l'octroyer
? Victimes directes et indirectes, coupables et indifférents vivent dans
des mondes distincts, et ne sont que rarement en mesure de
délibérer ensemble sur la justice.[...] La question du pardon est
ainsi placée au coeur du politique (Lefranc, 2002, p.17-18).
La question reste donc entière à savoir :
comment des sociétés qui ont vu s'affronter en leurs seins des
ennemis, et qui ont gardé la mémoire de ces affrontements,
peuvent-elles se réconcilier ? Et serait-ce possible lorsque la justice
n'est pas faite, et qu'il n'est même pas certain que la justice y suffise
? L'Américaine Martha Minow (2002) de Harvard a dirigé un ouvrage
collectif où des spécialistes comme Frederic Harris et Marc
Galanter essayeront de répondre à ces questions. La plupart
montrent les similitudes entre tous les mécanismes de violence, des
échelles individuelles les plus simples aux échelles sociales les
plus complexes. En particulier, Minow montre les liens entre mémoire et
violence ou politique et droit, en soutenant par des exemples concrets comme le
procès de Nuremberg, les compensations aux Japonais-Américains de
la seconde Guerre, les politiques de mémoire de l'holocauste... que les
commémorations aussi bien que les réparations sont partie
intégrante du processus de guérison collective. Or, chez Sandrine
Lefranc, un constat moins optimiste est que, partout les politiques du
pardon se sont soldées par des échecs ; que l'impasse
du pardon est devenue tangible, et pour cause :
Les stratégies gouvernementales ont
été subverties de l'intérieur par les tactiques des
tenants de l'ancien régime et des associations de victimes. [...] En
invitant les victimes à octroyer leur pardon, les concepteurs des
politiques du pardon leur offraient la possibilité de rappeler que seul
l'offensé est en mesure d'accorder son pardon : qu'un tiers ne
pouvait prendre sa place, que les victimes, « disparus » ou
assassinés, n'étaient plus en mesure de le faire (idem,
pp. 346-347).
Il faut néanmoins relativiser l'analyse proposée
par l'auteure : celle-ci se limite à la violence d'État ; et
la justice supra-étatique qu'elle propose amène au constat
d'ambivalence - irrémédiable - du pardon, en raison des
origines religieuses (ou carrément «divines») de cette notion
qui reste presque exclusivement confinée au domaine du moral, de
l'intersubjectif et de l'interpersonnel. Or, le cas de l'esclavage des
populations africaines déborde largement ces structures politiques
contemporaines que sont les États. Et justement, selon Andrew Valls
(2004) c'est l'apparence d'impunité que prennent ces «justices
transitoires», qui est à la base de l'échec des
politiques de pardon ; ceci vaut pour les violations contemporaines des droits
de l'homme, mais encore plus pour le cas des injustices infligées
à des groupes ethniques ou «racisés» dans l'histoire
:
« The case for transitional reparations is, often,
very obvious. Where serious human rights violations have taken place, victims
are, by general norms, of the rule of law, presumptively entitled to
compensation for those violations. This is the case, for example, where the
state has engaged in the torture or in the «disappearance» of
political dissidents. However, the case is even stronger where the abuses of
the past involved not just the violation of human rights, but the creation of a
whole system that involves the subordination of certain racialized or ethnic
groups » ( p.4).
Au-delà de toute cette controverse, nous faisons le
constat que, des théories sociologiques de la mémoire collective
aux théories du pardon, les auteurs expliquent amplement l'objet de
l'action collective, mais sans rendre suffisamment compte de l'action
elle-même, dans sa forme procédurale. Ils expliquent les liens
théoriques entre mémoire et identité et proposent
plusieurs pistes pour trouver l'équilibre dans les conflits de
mémoires. Mais il faut encore comprendre les champs d'action et la
logique implicite dans les démarches de ces groupes revendicateurs, leur
dynamique interne, les rapports entre les acteurs (sujets) et leurs groupes
d'appartenance. Nous allons alors solliciter, afin de compléter notre
cadre d'analyse, les théories de la sociologie de l'action, qui
sont les mieux indiquées pour élucider les actions
sociales menées autour de la «mémoire collective».
2.1.2. Sujet et nouveaux
mouvements sociaux
- Les nouveaux mouvements
sociaux :
Selon Touraine4(*), pour exister en tant qu'organisation revendicatrice,
tout mouvement social doit résoudre certains problèmes de
définition de lui-même ; il doit réunir certains
principes d'existence. C'est la réponse qu'il apporte à ces
problèmes, c'est-à-dire la façon dont il résout les
principes d'existence, qui confère à un mouvement social, son
caractère spécifique et qui oriente son action. Il y a, selon
Touraine, trois principes qu'on doit trouver réunis en tout mouvement
social : le principe d'identité, le principe d'opposition et le
principe de totalité.
§ Identité : Un mouvement social
doit d'abord se donner une identité en disant qui il
représente, au nom de qui il parle, quel intérêt il
protège et défend. Le problème à résoudre
ici est celui de la définition du groupe revendicateur, d'une
manière qui soit socialement identifiable et significative.
§ Opposition : Un mouvement social existe
parce que certaines idées ne sont pas reconnues, ou parce que des
intérêts particuliers sont brimés. Il lutte donc toujours
contre une résistance, un blocage ou une force d'inertie ; il cherche
à briser une opposition, une apathie, ou une indifférence ; il a
nécessairement des adversaires. Sans opposition, il cesse d'exister en
tant que mouvement social, c'est-à-dire que sa nature est
changée : il devient un parti, une institution établie ; il
n'est plus un mouvement social, car il a perdu l'élément
essentiel qui le caractérise : son prosélytisme.
§ Totalité : Un mouvement social
agit au nom de certaines valeurs supérieures, de grands idéaux,
d'une certaine philosophie ou d'une théologie. Son action
«s'inspire d'une pensée» qui se veut la plus
«élevée» possible. Même quand il
représente ou défend les intérêts d'un groupe
particulier, un mouvement social dit le faire au nom de valeurs et de
réalités universelles, qui sont reconnues, ou qui devraient
l'être, par tous les hommes et par la collectivité tout
entière. Ainsi, les raisons qu'invoque un mouvement social pour motiver
son action peuvent être : l'intérêt national, le bien
commun, la liberté humaine, les droits de l'Homme...
Cependant, chez Alain Touraine, l'individu
« subjectif » est non seulement le dernier socle de la
démocratie plurielle, son maillon central, mais encore son enjeu direct.
- Le sujet
En se construisant comme acteur capable de modifier son
environnement et de faire de ses expériences de vie, des preuves de sa
liberté, le Sujet tourainnien apparaît comme la combinaison de
l'identité, de la volonté et de l'action. Le sujet n'est pas la
conscience de soi, et encore moins l'identification de l'individu à un
principe universel comme la raison ou Dieu. Il est un travail, jamais
achevé, jamais réussi, pour unir ce qui tend à se
séparer. Dans la mesure où le sujet se crée, l'acteur
social est centré sur lui-même, et non plus sur la
société ; il est défini par sa liberté et non plus
par ses rôles. Le sujet est un principe moral en rupture avec la
morale du devoir qui associe la vertu à l'accomplissement d'un
rôle social. L'individu devient sujet, non quand il s'identifie à
la volonté générale, mais en se donnant pour objectif un
«projet de vie» (différent d'idéal de vie,
c'est un projet de prendre contrôle de sa vie). «Le projet
de vie est au contraire un idéal d'indépendance et de
responsabilité qui se définit plus par la lutte contre
l'hétéronomie, l'imitation et l'idéologie que par un
contenu» (Touraine, 1994, p.178). L'idée de sujet combine
finalement trois éléments :
- la résistance à la domination (d'où
qu'elle vienne, y compris de son propre groupe identitaire)
- l'amour de soi (dignité et estime de soi comme
condition du bonheur, comme objectif central)
- et reconnaissance des autres comme sujets.
De ce point de vue des sociologues de l'action, même la
démocratie reposerait directement sur le sujet. Car le rapport de
l'individu à lui-même, par lequel se constitue le sujet, est plus
fondamental que les rapports des individus entre eux, parce qu'il se heurte
à la dépendance vécue. En même temps, il est
appartenance à des identités collectives autant que
dégagement et libération. Il est à la fois raison,
liberté et mémoire, trois dimensions qui correspondent
à celles de la démocratie comme citoyenneté
(confiance et raison), droit naturel (libertés individuelles)
et intérêts des groupes sociaux (identité
collective ou mémoire).
Dès lors, en reliant sujet et
mémoire collective, Alain Touraine conclura :
Si on admet que la mémoire est une force de
résistance et un agent de construction de l'acteur comme sujet, il faut
franchir un pas de plus et dire que la mémoire est plus tournée
vers l'avenir que vers le passé. Le fil tendu du passé à
l'avenir protège l'acteur contre les forces qui tendent à le
conformer aux normes et aux hiérarchies dominantes ( dans
Françoise Barret-Ducrocq, 1999. p. 258-259 ).
Abondant dans le sens de la rupture des années 70
proposée par Touraine, Wieviorka (2001, pp. 30-33) déterminera
deux vagues dans les mouvements sociaux : celle de l'identité de
«genre» (femmes, homosexuels...) puis celle de l'identité
culturelle ou religieuse, fortement teintée par le symbolisme et les
revendications d'histoire. Il y aurait aussi deux logiques distinctes dans les
types de différence culturelle : celle de la différence
culturelle comme «première», avec une certaine
épaisseur historique et ses membres cherchant à la maintenir,
à la reproduire, à la défendre. « Ceci ne signifie
pas, précise Wieviorka, qu'elle cette identité constitue un
ensemble d'éléments figés, une essence, une nature, mais
que le point de départ de l'analyse repose sur son existence à un
moment donné, telle que l'incarnent des acteurs qui se revendiquent d'un
passé, d'une mémoire» (2001, p.107); la deuxième
logique est celle où la différence est construite, inédite
ou renouvelée, «seconde», et, dès lors, de
l'ordre de l'invention.
Lorsque les acteurs qui incarnent ces identités -
clercs, élites, intellectuels - ne se résignent pas à leur
disparition ou à leur réduction à un folklore devenu
lui-même marchand, deux principales orientations politiques leur sont
offertes. La première, c'est la révolte, la rupture, et par
conséquent la sécession, laquelle a besoin, pour faire sens,
d'une idéologie nationaliste. [...] La seconde consiste à exercer
des pressions afin d'obtenir des droits collectifs et une certaine
reconnaissance à l'intérieur de l'État concerné,
sans toutefois remettre en cause cette appartenance étatique (2001,
p. 108).
Wieviorka construit ensuite la catégorie des
minorités involontaires, «fruit d'une histoire
extrêmement violente, d'un arrachement brutal qui a détruit les
personnes et les groupes dans leur culture d'origine, transplantés
ensuite loin de leurs foyers, dans des conditions terribles que leur imposait
un nouvel environnement.» (2001, p.112). Ils furent racialisés en
même temps qu'on attendait d'eux qu'ils se comportent en fonction des
images stéréotypées que la société dominante
souhaitait en avoir. Alors, le passage à une culture est indissociable
d'un retour à l'histoire, de la référence
revendiquée à une mémoire. Autrement dit, leur projection
dans le futur appelle de leur part certaines capacités à rompre
avec une définition d'elles-mêmes qui les réduit à
l'image d'une nature ou d'une race.
Elle implique qu'il leur soit possible de se constituer en
acteurs sur un mode bien particulier. Il s'agit en effet, pour renouer avec un
passé douloureux, d'accepter de se définir par la privation,
voire la destruction, par une perte dont on ignore l'essentiel du contenu. Il
s'agit donc de mettre en avant une histoire négative. L'héritage
historique renvoie à des ancêtres qui furent des non-acteurs et
des non-sujets, des personnes ayant été privées de culture
et d'histoire - mais de quelle culture et de quelle histoire? - par ceux qui
les ont soumis à l'esclavage puis par des dominants qui les ont
exploités (2001, p.113).
Ainsi, sur la question du sujet, Wieviorka l'aborde
dans l'angle du débat qui a longtemps opposé les
«communautariens» et les «libéraux». Pour les
communautariens, la formation du sujet implique que toute personne
puisse se référer, dès la prime enfance, à une
culture où elle puise les ressources nécessaires au sentiment de
sa dignité et à l'estime de soi. «Cette vision demande donc
que les cultures minoritaires soient reconnues, et non pas ignorées ou
dépréciées, cette prise en considération permettant
à l'individu qui en relève de faire l'apprentissage de sa
liberté et se constituer en sujet.» (2001, p.56). La
défense, et même la promotion des identités collectives
dans cette perspective n'est pas nécessairement associée à
un point de vue communautaire dans lequel la subjectivité des individus
est sinon niée, du moins subordonnée à la loi de la
communauté.
Les liberals rejettent catégoriquement cette
analyse. Pour eux, l'apprentissage de la raison et la constitution des
individus en sujet n'ont pas besoin de s'étayer sur des cultures de
types particuliers, qui risquent au contraire de devenir un facteur
d'enfermement pour les personnes singulières. Les individus sont en
effet formés par leurs préférences établies en
dehors de leur appartenance à la société :
s'ils sont sujets, ce n'est pas en tant qu'ils nourrissent
un certain nombre d'objectifs partagés par une communauté, mais
dans la mesure où ils pourront se comporter librement, comme
consommateurs sur le marché ou comme citoyens dans la vie politique
(idem, 2001, p.57).
Mais pour Michel Wieviorka, il s'agit au fond d'un
débat épuisé puisque les deux groupes d'acteurs sont tous
d'accord sur la nécessité de la production du sujet et
qu'ils se posent finalement la même question : quelles sont les
conditions optimales pour la production sociale du sujet?
Wieviorka propose 5 voies pour sortir de cette
impasse :
1. le retour au social, en recentrant le débat
moins sur les problèmes culturels et plus sur les formes fondamentales
de l'injustice sociale et de l'exclusion.
2. le renouvellement de la question
démocratique par dépassement du «juridisme» dans
le politique et en surmontant la tentation des règles
préétablies pour la gestion des revendications des
minorités.
3. remettre le sujet au coeur de l'analyse de la
production et de la reproduction des différences culturelles, prenant
ainsi en compte la demande d'ouverture de l'espace public à l'espace
privé dont témoignent les demandes de reconnaissance des
« genres », des filiations et des violences faites aux
femmes, aux enfants, etc.
4. prendre en compte les mélanges et
métissages, car l'expérience des minorités n'est pas
représentative de l'ensemble des phénomènes de
différence culturelle.
5. faire face aux enjeux culturels et sociaux du
multiculturalisme au-delà du conflit entre libéraux et
communautariens, vers une perspective réconciliant mouvement
des idées et mouvements sociaux à travers des politiques
actives.
Nous apercevons ici une perspective théorique
exceptionnelle pour la compréhension des revendications de
mémoire chez les Africains et Afro-descendants de Montréal. En
effet, ce cadre d'analyse nous permet de comprendre théoriquement
comment fonctionnent ces «communautés de sujets» ainsi que les
conditions de légitimité de leurs actions sociales. Reste
à confronter de façon concrète, notre population
d'enquête définie à nos questions de recherches.
2.1.3. Questions de
recherche.
Les questions de recherche correspondent aux trois
thèmes définis dans la problématique :
- Quelles sont les variations du discours identitaire produit
par les leaders africains et afro-descendants de Montréal et quel que
soit ce discours, comment l'articulent-il à la question du «devoir
de mémoire» ?
- Comment se représente-t-on le «devoir de
mémoire» au sein de ce «groupe racisé», ou comment
envisage-t-on la transmission et le maintien de son histoire en tant
que groupe en lien avec la montée du « sujet » observée
dans les démocraties plurielles contemporaines?
- Comment ces leaders se représentent-ils le «
devoir de mémoire » dans leur rapport aux autres groupes sociaux
dans le contexte de la démocratie plurielle qu'est celui du
Québec contemporain?
En bref, dans le cadre social
montréalais pluriethnique et pluri-mémoriel, comment
sont articulées les revendications identitaires à la
mémoire collective chez les leaders africains et afro-descendants?
2.2. Méthodologie
Pour cerner la complexité d'une problématique
aussi pluridisciplinaire que celle du «devoir de mémoire»,
nous avons adopté la méthode qualitative, c'est-à-dire la
tradition plutôt «compréhensive» que positiviste. Dans
cette méthode de recherche, l'analyse de discours permet
particulièrement de déterminer les différentes
représentations des objets identité, production et
transmission de la mémoire collective, et politisation de la
mémoire chez les enquêtés dans le contexte
québécois. Mais avant, en raison de la complexité
structurelle du groupe cible, nous avons dû entreprendre une
pré-enquête pour identifier et évaluer en nombre, les
personnes ressources dans ce groupe social que nous avons appelé
«Africains et Afro-descendants de Montréal».
2.2.1. Pré-enquête
et échantillonnage.
La quête de personnes ressources capable de
«représenter» les communautés africaines et
afro-descendantes de Montréal, soit dans leurs opinions majoritaires,
soit dans leurs intérêts politiques et économiques, nous
oblige à nous pencher sur la question de savoir ce qu'est un
«leader».
- Qu'est-ce
qu'un « leader» ?
Dans le contexte nord-américain où le
débat sur la justice sociale est très «racisé»
et jonché de polémiques, de nombreuses études portant sur
les groupes sociaux ou ethniques se sont vues confrontées à cette
même question et ce, dès les années 1930-1940,
c'est-à-dire en fait, dès la naissance de la sociologie
elle-même comme discipline scientifique. Mais les différentes
définitions que ces auteurs proposent de la notion de «leader»
sont encore très problématiques au point où, encore en
1992, Martiniello dira que «la plupart des chercheurs, conscients de la
difficulté de cette question, ont préféré y
répondre en l'évitant» (p.62). Or, une étude
impliquant des «leaders» doit répondre à 3 questions
méthodologiques fondamentales que suggère Linton Freeman (p.
13) :
- Qu'est-ce qu'un leader ethnique ou communautaire?
- Quel est le degré de pertinence de ce
leadership ?
- Quels sont les facteurs affectant la répartition des
champs de forces du leadership au sein de la communauté ?
Nous avons commencé par écarter certaines
typologies et définitions proposées en Sociologie des
organisations et qui portent sur le leadership de groupes en fait trop
restreints (clubs de jeux, clubs culturels, groupes d'intérêts) ou
trop éloignés de la problématique identitaire. Aux
États-Unis cependant, certaines analyses sociologiques du leadership
communautaire ou ethnique sont rendues célèbres
comme celles de William Foote Whyte, de Gunnar Myrdal, de John Higham, de
Norman Miller. Le premier a proposé, dans Street Corner Society
(1943) une analyse de groupes où le leadership serait fondamentalement
motivé par l'intérêt personnel. En 1962, Gunnar Myrdal
(An American Dilemna : The Negro Problem and Modern Democracy)
proposera une typologie dualiste des leaders ethniques : l'accommodation
leadership et le protest leadership, soit les leaders
contestataires, d'humeur combattant, et les leaders négociateurs, plus
conciliants, et plus «approchés» par les leaders politiques du
groupe dominant. Plus tard, en 1978, c'est au tour de John Higham (Ethnic
Leadership in America) de proposer une classification du leadership
ethnique en trois types :
- le leadership reçu, présentant le leader comme
«naturel», fort d'une certaine légitimité basée
sur l'histoire du groupe qui l'accepte comme héritier d'un certain
pouvoir,
- le leadership interne, qui «s'enracine dans le
groupe ethnique et s'adresse au monde extérieur comme ses
représentants et/ou ses avocats et défenseurs»5(*). Ce type de leadership se
justifie par le service rendu à la communauté.
- Enfin, «le leadership projectif désigne des
individus issus du groupe ethnique qui acquièrent une audience
au-delà du groupe auquel ils sont identifiés. Ils gagnent leur
reconnaissance en dehors du groupe avec lequel leur identification est du reste
parfois bien faible. Cela ne les empêche pas de devenir les symboles du
groupe, sa fierté.»6(*)
De toutes ces classifications proposées, le second type
identifié par Higham est le plus proéminent et le plus à
même de constituer l'échantillon idéal de personnes
ressources pour notre enquête, et ce en raison du contexte
québécois très différent de celui des
États-unis, mais aussi et surtout de données empiriques fournies
par notre pré-enquête. Celle-ci confirme que les leaders africains
et afro-descendants à Montréal, représentant directement
les intérêts de ces communautés autour des enjeux sociaux
et politiques, ne sont ni ceux «naturels» ni ceux
«projectifs». Ils sont simplement ceux qui se sont volontairement mis
au service de leurs communautés nationales ou
«racisée», en créant ou en dirigeant des organismes
rendant divers services fort appréciés par la communauté.
C'est pourquoi nous souscrivons, dans cette recherche, à la
définition de Martiniello (1992) lorsque celui-ci présente le
leader ethnique comme :
... un membre d'une communauté ethnique,
appartenant donc aussi à la catégorie ethnique correspondante,
qui a la capacité d'exercer intentionnellement un degré variable
d'influence sur les comportements et/ou les préférences des
membres de la communauté ethnique, dans le sens de la satisfaction de
leurs intérêts objectifs tels qu'il les perçoit. Cette
influence, lorsqu'elle est effectivement exercée, l'est à travers
l'activité du leader dans une ou plusieurs des institutions et
organisations qui forment la communauté ethnique, à la faveur de
laquelle se développent les relations avec ses suiveurs,
c'est-à-dire les autres membres de la communauté ethnique
(1992, p.98).
Ainsi, poursuit Martiniello, le leader jouit toujours d'une
certaine reconnaissance de la part de sa communauté et cette
reconnaissance, même relative, est à la base de sa
légitimité. Dans le contexte québécois, en 1993, M.
Labelle va mener une enquête sur l'ethnicité et le pluralisme
à Montréal, où elle définit les «leaders»
interrogés comme «des hommes et des femmes, définisseurs de
situation et d'opinion, oeuvrant comme membres actifs et influents au sein des
conseils d'administration d'associations à caractère ethnique
(p.45)».
- Pré-enquête
Bien que la représentativité - qui est une
valeur quantitative - ne soit pas un critère fondamental dans l'analyse
qualitative, nous avons voulu adopter une démarche qui nous permettra de
recouvrir la plus grande diversité possible de leaders africains et
afro-descendants. Or, par rapport à l'objet de notre recherche, le
critère fondamental de sélection est l'implication du leader dans
des actions collectives pour la reconnaissance publique ou pour l'histoire
des Africains et Afro-descendants à Montréal. En
effet, à côté des «leaders formels» des
communautés africaines et afro-descendantes, il y a des «leaders
informels» qui, n'ayant pas un rôle officiel au sein de leur
communauté nationale ou culturelle, ont cependant une influence, un
pouvoir symbolique ou une connaissance considérable de la situation des
Africains et Afro-descendants de Montréal. Le défi a
été alors de cerner ces champs de forces et ces personnes
ressources en dépit de la diversité linguistique, nationale,
culturelle, etc. qui caractérise les communautés africaines et
afro-descendantes à Montréal.
Nous avons donc procédé à une
pré-enquête dont nous dirons qu'elle est «en boule de
neige». En effet, nous avions premièrement recherché les
leaders africains ou afro-descendants de Montréal qui furent
impliqués au Québec, dans les préparatifs ainsi que la
participation à la Conférence de Durban. En second lieu,
et à partir des informations obtenues, nous avons contacté des
leaders actifs pour la cause des Africains et Afro-descendants du
Québec, par exemple ceux de Montréal qui ont rencontré le
Premier ministre du Québec le 13 juin 2002 dans le cadre des cycles de
rencontre entre le gouvernement péquiste et les communautés
culturelles. Ladite rencontre avait été préparée
par le Conseil des relations interculturelles, qui a éminemment
contribué après une recherche poussée, à choisir
les leaders représentatifs. Le Conseil a classé ceux-ci
en trois catégories : les Communautés africaines, la
Communauté haïtienne, et les anglophones.
Notre pré-enquête a consisté à
rencontrer et interroger quelques leaders qui ont été
impliqués directement ou indirectement dans la préparation du
«Sommet de Durban». À chacun des leaders contactés,
nous avons posé deux types de questions :
- les principaux faits ou événements
ayant mobilisé toutes les communautés africaines ou
afro-descendantes de Montréal au cours des quatre dernières
années.
- Les principaux leaders impliqués dans ces
actions collectives.
- Échantillonnage
La technique de «boule de neige» consiste à
poser les mêmes questions aux leaders suggérés par les
leaders précédents, à obtenir une liste plus
allongée de leaders et enfin à faire constamment valider la liste
par tous les leaders rencontrés et inscrits, jusqu'à saturation.
Sur la liste finale, et par souci de refléter la diversité du
« groupe racisé », nous avons tenu compte des trois
catégories construites par le Conseil des relations interculturelles et
qui furent maintenues par la Ville de Montréal pour ses consultations.
Nous retiendrons un échantillon de 12 leaders à raison de 4 par
catégorie.
Cette pré-enquête nous a permis de faire des
observations utiles non seulement pour le repérage des leaders formels
et informels, mais aussi pour cerner les réalités sociologiques
des Africains et Afro-descendants de Montréal comme «groupe
racisé». Ainsi, nous avons pu observer :
- qu'il existe un réseau d'«Africains et
Afro-descendants» (communément appelés «les
Noirs») à Montréal,
- que ce réseau est traversé par de profondes
dissensions idéologiques, notamment sur la rhétorique pouvant
qualifier cet ensemble de communautés : rhétorique holiste
(«les Noirs», la communauté Noire, les Noirs
anglophones...) ou «nationalitaires» (les Haïtiens, les
Africains, les Jamaïcains...),
- que des actions collectives furent menées et sont
encore en cours, à la fois au niveau du gouvernement du Québec et
au niveau de la ville de Montréal pour obtenir la reconnaissance et
l'appui de ces instances politiques au sujet de projets et revendications
divers.
La méthode d'échantillonnage par
«pré-enquête en boule de neige» a
révélé un aspect inattendu de la recherche : la
concurrence en cours et les rapports de force entre et au sein des
«communautés noires» de Montréal, rapports qui
structurent les différentes orientations idéologiques de l'action
collective. Une analyse approfondie de ces rapports et compétitions
internes serait en dehors de notre objet de recherche ; mais on ne peut nier
que ces rapports intersubjectifs aient influencé les recommandations qui
nous ont été faites par les différents leaders :
chaque personne ressource proposa des leaders qui lui paraissent pertinents au
regard de sa propre conception de l'action collective des
«communautés noires». Mais ce biais fut facilement
surmonté en demandant aux personnes ressources d'expliquer les raisons
de leur choix et en donnant la parole à toutes les composantes rivales
dans ces champs de forces.
2.2.2. Dimensions de la recherche et grille d'entrevue
- Dimensions de l'enquête
· Production ou création de
l'identité : comme l'a montré Alain Touraine, la
définition de l'identité est une étape fondamentale
lorsqu'un acteur social revendique le «devoir de mémoire». Il
s'agit de définir de qui ou de quel groupe défini, la
mémoire est-elle en jeu. La première dimension à analyser
dans les discours sera celle de l'identité «noire» comme sujet
de la mémoire collective (hypothétique) des Africains et
Afro-descendants de Montréal.
· Reproduction ou transmission de la mémoire
collective : Touraine démontre ensuite que, depuis mai 68 et les
années 70, le sujet comme acteur revendiquant son autonomie
dans la définition du sens social est devenu le principal
paramètre dans l'action collective. Ceci pose un problème aux
rhétoriques «holistes» ou «racialistes» où la
revendication se fait au nom de grands ensembles, mais il pose surtout un
problème dans la transmission de la mémoire, condition
primordiale pour en appeler à un «devoir de
mémoire».
· Instrumentalisation ou politisation de la
mémoire : Touraine, et à sa suite Michel Wieviorka montrent
que l'acceptation de l'autre comme sujet au même titre que
soi-même, la revendication au nom de valeurs plutôt universelles
que «communautaristes», sont des conditions déterminantes pour
le «vivre ensemble» et pour la reconnaissance du mouvement social. La
troisième dimension est donc celle qui portera sur les conditions
d'opérationnalisation du «devoir de mémoire» dans le
contexte québécois de démocratie plurielle.
- Grille d'entrevue
Les entrevues furent semi-directives et conçues autour
des trois dimensions ci-dessus définies : l'espace identitaire, la
production et la transmission de la mémoire (comme impératif
participant de la mémoire collective) à l'intérieur de
l'espace identitaire et, le devoir de mémoire («à
l'externe», c'est-à-dire en rapport avec les autres composantes de
la société québécoise).
Le débat autour de chacun de ces trois thèmes a
été dynamique, sous forme de confrontation entre deux faces du
même sujet. Mais nous avions commencé par une phase introductive
(articulée autour du parcours personnel du leader interviewé) et,
à la fin, une «réflexion libre» en guise de conclusion.
Cette démarche va donner lieu à la grille d'entrevue
publiée en Annexe. Enfin, avant de finir la grille d'entrevue, il serait
aussi intéressant de s'interroger sur l'effet qu'à eu
l'identité de l'intervieweur sur les réponses des
interviewés, surtout quant à la problématique de
l'identité et ce, par souci d'objectivité dans l'analyse. En
effet, comme nous le verrons dans le chapitre suivant (le premier de l'analyse
des résultats) plusieurs facteurs, politiques, culturels, et sociaux
donnent lieu à la mobilité et l'instrumentalité de
l'identité chez les Africains et Afro-descendants du Québec,
identité qui change donc selon l'interlocuteur en présence et
l'objet de la discussion. Nous avons été conscient de cet aspect
de la recherche dès le début, et avions prévu à
même le questionnaire des relances qui permettent, par la demande de
justification, d'analyser la nature de l'identité
déclarée.
2.2.3. La méthode d'analyse des données
Notre méthode d'analyse s'inscrit dans la plus simple
tradition des méthodes qualitatives. Elle est
hypothético-déductive parce que pilotée par notre cadre
d'analyse, et les considérations quantitatives ou lexicométriques
y sont négligeables. Cette approche méthodologique fut choisie en
tenant compte de l'objet de notre recherche : l'étude de
représentations.
- La notion de « représentation
»
Tous les auteurs qui s'y sont penchés ont dû
reconnaître le caractère éminemment polysémique et
pluridisciplinaire de la notion de «représentation».
D'ailleurs, selon Denise Jodelet (1991), c'est parce que la
représentation sociale est située à l'interface du
psychologique et du social, qu'elle présente une valeur heuristique pour
toutes les sciences humaines. Chacune de ces sciences, y compris la sociologie,
apporte un éclairage spécifique sur ce concept complexe. Mais
tous les aspects des représentations sociales doivent être pris en
compte : psychologiques, sociaux, cognitifs, communicationnels. Il n'est ni
possible, ni même souhaitable pour l'instant, estime Jodelet, de chercher
à établir un modèle unitaire des phénomènes
représentatifs. Il paraît préférable que chaque
discipline contribue à approfondir la connaissance de ce concept afin
d'enrichir une recherche d'intérêt commun.
En effet, la notion de représentation
proviendrait du latin repraesentatio qui signifie «tableau»,
ou «action de mettre sous les yeux»7(*). Aussi allons-nous, dans le cadre de ce
mémoire, désigner par «représentations» les
modèles ou figures conceptuels par lesquels les interviewés
rendent sensibles, intelligibles et légitimes leurs opinions sur les
thèmes abordés. Le but est donc de cerner les contours ou les
formes que prend la problématique du devoir de mémoire dans la
pensée ou la vision de leaders africains et afro-descendants. Il s'agit
concrètement de reconstruire un ensemble signifiant, à
partir du corpus de leurs discours, par la mise en évidence de liens
entre des raisonnements apparemment distincts.
Ainsi, plus qu'un simple sondage d'opinion, l'objectif de
notre analyse est de découvrir le sens des discours dans une perspective
globale et à travers la logique qui les motive. Au regard de notre
problématique, il s'agira concrètement de reconstruire à
travers les discours produits, les diverses représentations que les
leaders africains et afro-descendants ont de leur identité, de la
question de la mémoire collective et enfin de l'instrumentalisation
ou politisation de la mémoire. Alors, expliquons les principales
démarches techniques.
- Traitement des données
En élaborant notre méthode de recherche, nous
avions opté pour la technique de codification initiale,
c'est-à-dire que les discours furent recueillis dès le
départ (dans une Grille d'entrevue ) à travers une
structure prédéterminée selon nos trois questions de
recherche. Cet outil de cueillette des données avait donc
été préparé et structuré en fonction de
notre problématique, et ceci va énormément faciliter le
traitement du corpus qui fut lui-même constitué par les
transcriptions fidèles des entrevues («verbatim»). Ainsi
standardisé et homogénéisé, le corpus fut
importé dans un logiciel d'analyse qualitative, NVIVO (du groupe
QSR).
La démarche de traitement des données a
été essentiellement thématique. L'analyse
thématique consiste dans la «transposition d'un corpus
donné en un certain nombre de thèmes représentatifs du
contenu analysé et ce, en rapport avec l'orientation de la recherche (la
problématique)» (Paillé et Mucchielli, 2003, p.
123-124). Il s'agissait pour nous de repérer dans les discours les
différentes façons (expressions, termes...) personnelles de
rendre compte de la même réalité : c'est la
convergence ; ou au contraire, de trouver dans ces discours les thèmes
précis autour desquels les représentations de la
réalité s'opposent : la divergence. Ensuite nous avons
essayé d'agencer ces «réalités» en de grands
groupes (ex : auto définition et altéro
définition) et d'en faire émerger un sens, par
interprétation, dans une perspective globale.
De façon technique, NVIVO offre la possibilité
d'un codage «In Vivo», c'est-à-dire de découper au
moment de la lecture, chacun des discours en unités de sens
(déclarations, extraits, énoncés significatifs...), de
rattacher des mémos ou descriptions à ces unités
qui deviendront plus tard, lors de la rédaction, des extraits
illustratifs. Ces codes sont constitués, lorsque cela est possible, par
les termes centraux qui structurent la portion analysée ; sinon, ils ont
été attribués sur la base du contexte
d'énonciation, par des qualificatifs externes qui nous paraissaient
pertinents.
Par la suite, l'interprétation des résultats
passe par la catégorisation, où nous avons regroupé les
codes tantôt repérés en de grands groupes qui
permettent de caractériser ou de décrire l'attitude globale qui
se dégage de chaque discours. Le but de cet exercice est de
dégager les différentes positions et argumentaires.
Positions et argumentaires
Dans cette partie qui succéda au codage, l'objectif fut
d'ordonner les discours, de décrire leurs positions pour chacun des
thèmes abordés, identité, mémoire collective,
revendication du devoir de mémoire (correspondant aux sections
dans la grille d'entrevue). Le codage avait permis de retracer dans les
discours, les lexiques ou terminologies adoptés par chaque leader en
abordant chacune des trois dimensions de l'entrevue. Il s'agit maintenant de
caractériser les discours selon leurs modes et méthodes
explicatifs, de déterminer les différentes positions qui se
dégagent et de reconstituer les argumentaires qui les sous-tendent. Pour
cette dernière étape, NVIVO offre une fonctionnalité (la
modélisation) permettant de visualiser l'arborescence de
l'analyse de façon globale et/ou séquentielle.
Convergences et divergences des discours
L'ensemble des positions et argumentaires de chaque discours
donne lieu à une nébuleuse d'idées et d'opinions dans
laquelle il convient de mettre de l'ordre. Ordonner les discours à ce
stade consiste à construire les différentes postures ou
représentations ; c'est aussi analyser les différents arguments
par la nature de leurs convergences («noyau central») et de
leurs divergences («polarisations») sur l'ensemble des thèmes,
depuis l'identité jusqu'à la politisation de la mémoire,
en passant par la transmission mémorielle au sein du groupe. Cette
description se fait par la comparaison entre les représentations
repérées : mise en évidence des différences,
analyse des nuances, des similitudes et paradoxes, etc. par rapport aux
stratégies de discours, aux modes de légitimation et aux figures
style... bref, tous les outils d'analyse permettant de reproduire l'attitude
qu'ont eu ces leaders vis-à-vis du «devoir de mémoire».
Pour finir, il conviendrait de préciser que dans la
rédaction de l'analyse, les extraits d'entrevues seront
sollicités pour illustrer chaque étape de la
démonstration. Le choix de ces extraits s'est fait selon leur pertinence
pour notre argumentation, selon la clarté et le degré
d'articulation de la pensée exprimée, et non pas
nécessairement selon la récurrence dans l'univers de discours.
Néanmoins, nous évaluerons en termes quantitatifs, chaque fois
que cela s'avérera nécessaire, le degré de partage (de
convergence ou de divergence) de ces pensées et de ces attitudes
à l'intérieur de notre échantillon.
2.2.4. Le profil des leaders interrogés
Les leaders rencontrés dans le cadre de cette
enquête furent au nombre de douze, à raison de 4 par groupe. Les
trois groupes sont, conformément à l'échantillonnage, le
groupe des Africains, le groupe haïtien, et le groupe anglophone.
Même si méthodologiquement elle est quelque peu
hétéroclite, cette combinaison de catégories
géographique, linguistique et nationale, a le grand mérite de
refléter non seulement le poids démographique par «ensemble
culturel» des Africains et Afro-descendants sur l'île de
Montréal, mais aussi de tenir compte d'un enjeu politique fondamental
dans le contexte québécois : la langue. De même,
à l'intérieur de chaque groupe, la diversité a
été maximisée. Par exemple, dans le groupe africain, les 4
leaders venaient de deux régions d'Afrique les plus impliquées
dans la traite négrière, et ils venaient de 4 pays
différents. Dans le groupe haïtien, ils venaient de plusieurs
secteurs d'activité : action communautaire, activités
culturelles, actions syndicales. Chez les anglophones, ils venaient pour 4
leaders, de trois pays différents et d'autant d'héritages
culturels. Leurs domaines de formation professionnelle y vont aussi du
religieux au socio-communautaire en passant par l'art, la littérature et
la politique.
Les femmes étaient représentées dans cet
échantillon pour le quart du total, soit 3 femmes sur douze leaders,
à raison d'une par groupe. La moyenne d'âge était
située autour de la cinquantaine et la plus jeune avait entre 35 et 40.
Cette moyenne élevée s'explique par le fait que ces leaders sont
presque tous nés à l'étranger, ont eu des
expériences diverses dans l'action collective,
généralement contre les dictatures dans leurs pays, avant de
choisir d'émigrer :
Ayant grandi sous la dictature de Duvalier, je pense que
beaucoup d'entre nous qui étions adolescents, nous pensions qu'il
fallait faire quelque chose ; donc, beaucoup d'entre nous se sont
engagés très tôt dans l'action sociale et l'action
politique. Évidemment, cela nous a amenés en exil et donc
à se retrouver engagés, à la fois dans une contestation,
justement par devoir de mémoire, pour ceux à qui on avait
interdit le départ ou ceux qui ont été tués, donc
qui ne pouvaient plus parler. Donc nous étions un peu des
réchappés, nous devions intervenir pour ceux qui n'avaient plus
de voix. Puisque c'était devenu des moments où on ne pouvait plus
parler en Haïti, et donc à l'étranger, on devenait un peu la
voix de ceux qui [étaient bâillonnés] (HTI03)8(*).
Mais ils sont tous citoyens canadiens à l'exception
d'une seule personne, même si cette dernière vit au Québec
depuis plus de 10 ans. Sur le plan de l'engagement politique en effet, les
trois principales formations politiques du Québec étaient
représentées dans notre échantillon, à peu
près dans une proportion égale à celle de l'ensemble de la
population québécoise : le Parti libéral (du Canada
sans précision des rapports avec celui du Québec), le Parti
québécois, et le Parti conservateur du Canada. Presque tous les
leaders étaient engagés politiquement, pour diverses raisons,
comme membres actifs ou sympathisants. Ils disent tous être très
attachés aux valeurs sociales du partage des richesses, de la justice et
de l'équité sociale. Ils ont d'ailleurs pour la plupart
étudié en sciences humaines, mais aussi en art, en sciences de la
gestion, et ils ont tous au moins un baccalauréat. Une
remarque cependant : aucune profession libérale n'a
été mentionnée, sinon un docteur en mathématiques
et ingénieur en télécommunications. Sur le plan de
l'activité sociale, même s'ils avouent tous avoir influencé
d'une certaine façon la vie de leurs communautés respectives, ils
refusent de se désigner comme «leader» probablement par
prudence ou par modestie. Les motifs de leur engagement social sont aussi
très variés, même si la plupart se sont dits militants
«par tempérament» : le motif le plus évoqué
est la lutte contre le racisme et la discrimination ; ils sont «
promoteurs » des droits des minorités. Mais nous avons
rencontré aussi, comme motif, l'action syndicale ou politique en faveur
des droits sociaux du groupe immigré. Dans ce cas, ils se sont dits
«sensibilisateurs» sur leurs droits, ou «conseillers»
auprès des membres de leurs communautés.
Au plan religieux, ils sont rarement croyants
pratiquants : un s'est dit athée, la plupart étaient
chrétiens non-pratiquants. Mais un leader était ministre de culte
et deux, musulmans.
CHAPITRE III
IDENTITÉ ET COMMUNAUTÉ
Quels liens peut-il y avoir entre, d'une part, Mathieu da
Costa, jeune interprète africain venu dès 1604 au Canada avec le
conquérant français Samuel Champlain, et d'autre part, Samba X,
jeune immigrant africain venu à Montréal en 2004? Comment ce lien
a-t-il été construit et comment est-il articulé de
façon discursive par les Africains et Afro-descendants aujourd'hui au
Québec? Ces questionnements ont été le fil conducteur dans
notre analyse de l'identité afro-descendante au Québec, objet de
ce troisième chapitre. L'identité est en effet le premier
défi de tout mouvement social, comme nous l'avons montré dans le
cadre d'analyse, et Alain Touraine précisera que la définition de
l'identité est une étape fondamentale lorsqu'un acteur social
revendique le «devoir de mémoire». Celui-ci est
nécessairement confronté à la définition de
qui, de quel groupe précis, la mémoire est-elle
en jeu. Ainsi, la première dimension analysée dans les discours
fut celle de l'identité des Africains et Afro-descendants de
Montréal.
3.1. Les variations des discours identitaires
L'analyse des entrevues avec les leaders africains et
afro-descendants de Montréal a révélé de nombreuses
difficultés dans leurs tentatives d'affirmation identitaire. En effet,
deux types d'affirmations identitaires s'observent selon qu'ils se basent sur
leurs propres sentiments (d'appartenance ou de filiation) pour se
définir eux-même, ou selon que ces leaders se
réfèrent au reste de la société, au jugement
«des autres», pour cerner les contours de leurs propres
identités. À la suite de Micheline Labelle (2001, p. 300), nous
appellerons, le premier cas l'auto-définition et le second
l'altero-définition. L'importance de cette distinction
réside dans le fait que l'un ou l'autre de ces «moments»
identitaires est mis de l'avant (très souvent à
l'intérieur d'un même discours) selon qu'il justifie l'action
sociale ou qu'elle serve le besoin de clarification ou de classification
personnelle, disons-même existentielle : l'auto-définition
s'articule chaque fois qu'il permet de s'affirmer ontologiquement, de se situer
dans la pluralité sociale, tandis que l'altero-définition est
sollicitée pour relater un contexte social difficile, perçu et
présenté tantôt comme un résultat de l'esclavage,
tantôt comme effet de l'immigration. C'est cette dernière forme
qui s'est révélée être la plus importante dans
l'action collective pour le «devoir de mémoire», action
qu'elle va d'ailleurs permettre de justifier ; elle se caractérise
par une certaine uniformité rhétorique des discours, alors que la
première forme est surtout caractérisée par la
complexité, voire même dans certains cas, l'impossibilité
de formulation.
3.1.1. L'auto définition et la gestion de la
complexité identitaire.
Dans la seconde section de la grille d'entrevue, 4 questions
avaient été conçues pour comprendre l'identité
revendiquée par les leaders, la façon dont ils se
définissent eux-mêmes avec pour objectif de délimiter
l'espace identitaire auquel le leader se réfère et pour lequel il
s'implique socialement. Au début de chaque section, les
interviewés sont prévenus de l'objectif de la section ainsi que
de la motivation des questions. Des questions indirectes portaient sur la cible
de leur action sociale, le réseau dans lequel ils évoluent, la
croyance ou non à une «cause» des Africains ou
Afro-descendants à Montréal, et une question directe portait sur
le lexique précis d'auto identification. L'analyse des réponses a
révélé une sorte de « Babel » identitaire chez
ces immigrants afro-descendants.
En effet les leaders ont, dans leur grande majorité,
clairement expliqué que leurs identités varient selon le lieu, le
contexte et l'interlocuteur de l'identification :
Je suis peut-être Québécois le jour,
Haïtien la nuit, ou encore Montréalais le jour, Haïtien la
nuit. Donc ça dépend du champ d'activité dans lequel on
est inséré. L'histoire a fait de nous un peu des nomades, mais
enracinés ; j'aime bien cette notion: je suis un peu enraciné au
Québec, mais avec des racines multiples. Nous sommes un peu comme le
banian ; le banian, c'est cet arbre qui grandit dans l'océan indien
et qui a des racines multiples. Alors il y a des racines haïtiennes, il y
a maintenant des nouvelles racines québécoises comme j'ai eu
aussi des racines chiliennes. Alors je suis un homme aux multiples racines
(HTI03).
Cette métaphore laisse comprendre que les racines
multiples qui proviennent du passé convergent dans le présent
vers un tronc unique, même si celui-ci, comme le banian, reste encore
mobile et insaisissable. Mais chez d'autres leaders, la vision de leur
identité est loin d'être aussi évolutive ou
linéaire, et l'identité d'origine reste primordiale («
avant tout je suis Haïtien. J'ai la citoyenneté canadienne,
mais je suis Haïtien avant tout» HTI02). Ainsi, ces leaders,
sans rejeter leur appartenance à la société d'accueil,
considèrent leurs origines comme premières.
Pourquoi je dis que je me présenterai comme
Haïtien? c'est là que j'ai grandi, c'est en Haïti. Je n'ai pas
connu d'autres pays quand je suis né. J'ai passé les 25
premières années dans mon pays: c'est là que j'ai
formé mon caractère, c'est là qu'on a fait mon
éducation, c'est là que j'ai fais mes premières
études universitaires, tout et tout. Donc, ma première
identité, c'est haïtienne. Ça, c'est clair. Moi je ne veux
pas le changer. Je dis toujours aux gens, moi je suis Haïtien
(HTI01).
Entre la vision linéaire et la vision statique de
l'identité, on note aussi une vision que nous dirons
«stratégique», caractérisée par un discours
«opportuniste» ou contextuel, mais surtout déterminé
par le lieu - et l'interlocuteur - où l'auto définition
identitaire est formulée. Ainsi,
Moi je me présente toujours comme
Québécois issu de l'immigration haïtienne. Quand il s'agit
de défendre des droits, je pense que je suis un Québécois
issu de l'immigration haïtienne. C'est sûr ; tout en étant
fier d'être haïtien. Et dans les dossiers internationaux,
probablement, je me présente comme Haïtien, ça c'est normal.
Mais quand il s'agit de défendre mes droits ici, je suis
Québécois issu de l'immigration haïtienne (HTI04).
Cette indécision n'est pas toujours stratégique,
mais peut apparaître parfois sous forme de contrainte subie par le leader
à cause du contexte politique et historique du Canada, notamment par
rapport à la question québécoise.
Moi quand on me demande, je dis je suis Canadien. Je suis
Canadien : c'est tout ; parce que c'est difficile, ça fait
beaucoup. Moi en partant de chez moi, bien sûr, j'ai choisi le
Québec. Mais je ne savais pas qu'il y avait un conflit politique ici.
Donc quand on arrive ici on est confronté à la
souveraineté, je ne savais pas. Je suis venu ici comme Canadien. Pour le
moment, je me sens canadien. Quand le Québec serait souverain, je
deviendrai québécois, si je vis ici. Si je peux dire que j'habite
dans la province québécoise, donc je peux être
considéré comme un Québécois ; quand je vais par
exemple dans les autres provinces et qu'on me demande, je dis non je suis
québécois. Parce qu'il faut que je m'identifie dans le reste du
Canada. (...) Mais quand je suis au Québec, si tu me demandes je suis
Canadien. Donc, c'est tout: un Canadien à la peau noire
(AFR03).
Cette flexibilité du sentiment d'appartenance prend
souvent la forme d'un «opportunisme identitaire», par exemple
lorsqu'un autre leader affirmera :
...pour les besoins de la cause, je suis
Canado-haïtien quand je parle au Canada, je suis...
Afro-québécois quand je parle aux Québécois.
Ça c'est clair, parce que c'est un pays dualiste. Le Canada c'est un
pays dualiste même si les gens ne le disent pas c'est un pays dualiste
au niveau des lois...(HTI01).
La difficulté à s'auto définir ne tient
pas seulement au contexte de l'immigration ou au contexte sociopolitique du
milieu d'accueil ; d'autres facteurs y concourent aussi. Par exemple, si
l'origine nationale est relativement plus précise chez les
Haïtiens, elle est par contre beaucoup plus complexe chez les leaders
africains qui souvent, en plus de l'appartenance ethnique, doivent se
définir à d'autres niveaux d'identités ethniques,
nationales et continentale. En effet, le panafricanisme semble avoir une
certaine ascendance sur l'identité des leaders d'origine africaine. Nous
avons trouvé des discours identitaires partant de l'ethnique au
panafricain :
Je suis un Africain. Je ne m'identifie pas [comme
originaire de tel pays] simplement, moi je suis Africain. Je connais 12 pays
africains. Je connais 12 systèmes de valeur différents. Et je
dirais même plus au-delà, parce que... prenons seulement l'exemple
du Gabon, il y a au moins 90 ethnies qui vivent là. Donc c'est des
systèmes de valeur différents, c'est des modes de vie
différents, c'est des cultures différentes. Alors de
côtoyer tous ces gens là, disons qu'on ne peut pas se
réclamer seulement d'un endroit... (AFR01).
... ou encore partant de l'universel au panafricain :
Je me sens Africain... À un moment donné, je
me sentais citoyen de l'univers ; vu que j'ai voyagé toujours, je ne
voulais pas mettre des limites. Mais les limites, elles sont là tout le
temps. Ça fait que je me sens mieux Africain. Parce que je me dis, c'est
sûr, l'Afrique, il y a beaucoup de pays, mais on va se perdre en allant
par (des détails)... déjà il y a des conflits entre les
pays puis... Moi je mets le continent au-dessus de tout. Oui, c'est vrai, je
suis [de tel pays] mais je suis Africain, qui vient du pays [X], je me sens
mieux, et ça favorise plus le dialogue, plus l'unité aussi, que
de dire ah, je suis congolais, je suis camerounais... Sans renier d'où
je viens, même à travers [mon pays], il y a des tribus et tout. Je
sais d'où je viens. Mais je pense, quand on est dans une
société comme celle-ci, il faut vraiment viser ce qui nous
réunit (AFR04).
Ainsi, comme nous le verrons plus tard, la
«société comme celle-ci», évoquée par ce
leader, comporte des contrariétés qui détermineront et
justifieront l'action collective. Ce contexte donne lieu à une
identité «accessoire», instrumentale, nécessaire ; une
identité voulue et activement créée par rapport au
contexte social. Mais avant de finir l'auto définition, il faut
mentionner, comme nous l'avions annoncé, que l'origine africaine a
joué un rôle plus que social ou politique dans les discours des
leaders ; elle a été sollicitée dans certains cas
pour jouer un rôle existentiel ou même psychoaffectif. Par exemple,
à la question «comment vous identifiez-vous socialement ?
», un leader non africain et non haïtien a répondu :
African-Canadian. Because for me, African means... that's
my root. My root as a person, as a person of the Black race, my roots are
African. But I'm living in Canada. And so it's a combination of understanding
who I am based upon my roots... and I think that that probably holds true even
within the North American context, be it African-Americans, African-Canadians,
we want to identify with our ancestors in Africa. Exactly, we have to make that
link. And it is important to us, from the standpoint of self-esteem,
self-awareness, self-determination, self-respect... you need to know where you
came from. We need to understand that we don't begin as African-canadians four
hundred years ago. But what we begin, at the beginning of time (ANG03).
La complexité identitaire chez les Africains et
Afro-descendants de Montréal se caractérise donc par les
références (et des préférences) à une
multitude de paliers, de milieux ou de lieux identitaires, allant de l'ethnique
au national, du continental au racial ou encore de l'ethnolinguistique à
l'universel. Le contraire, c'est à dire une éventuelle
homogénéité identitaire, aurait été
difficilement compréhensible, si ce n'était le contexte social
où évoluent ces Afro-descendants, contexte où le racisme
et les discriminations ont l'effet de les renvoyer à l'histoire de
l'esclavage et aux difficultés sociales et économiques de leurs
pays d'origine.
Au fait, comme l'affirmait Castells,
L'élaboration d'une identité emprunte ses
matériaux à l'histoire, à la géographie, à
la biologie, aux structures de production et de reproduction, à la
mémoire collective et aux fantasmes personnels, aux appareils de pouvoir
et aux révélations religieuses. Mais les individus, les groupes
sociaux, les sociétés transforment tous ces matériaux et
redéfinissent leur sens en fonction de déterminations sociales et
dans leur cadre d'espace-temps (1999, p.18).
Cette assertion a trouvé un écho particulier
dans le cadre de notre enquête qui a révélé que le
regard et les jugements ou préjugés émanant des non
Africains et non-Afro-descendants du Québec, a favorisé la
naissance d'une autre forme identitaire qui est la récupération
et l'appropriation de la catégorie raciale «noire».
3.1.2. L'altéro définition ou la construction
de l'identité «noire»
Dans Mémoire et identité, Candau disait
que :
Dans le cadre d'un rapport au passé qui est
toujours électif, un groupe peut fonder son identité sur une
mémoire historique nourrie des souvenirs d'un passé prestigieux,
mais il l'enracine souvent dans un lacrymatoire ou dans la mémoire de la
souffrance partagée. L'identité historisée se construit
pour une bonne part en s'appuyant sur la mémoire des tragédies
collectives (1998, Pp.147-148).
La tragédie collective qu'a été dans le
passé l'esclavage et qu'est dans le présent le racisme, a
forgé un sentiment d'appartenance qui a été
retrouvé sous des formes diverses dans tous les discours des leaders
africains et afro-descendants interrogés. Les leaders ont donc
essayé de montrer au moyen de statistiques ou d'anecdotes que la
situation défavorable vécue par les Québécois
«de peau noire» n'est pas assimilable à une conjoncture
sociale généralisée, mais est plutôt l'effet
conjugué de pratiques historiques et sociales qui leur ont
été (et leur sont encore) préjudiciables. Évoquant
pêle-mêle le taux de chômage élevé par rapport
à la moyenne canadienne, contre un taux de scolarisation plus
élevée que la moyenne canadienne ; évoquant la
surreprésentation en milieu carcéral et la sous- (ou la non-)
représentation politique, les leaders expliquent cette situation en ces
termes :
On ne peut pas dire que c'est un problème social
seulement. Parce qu'il y a une spécificité qu'on retrouve chez
les communautés noires que pour le moment, elles sont les seules
à subir, c'est-à-dire les conséquences conjuguées,
donc de retombées directes ou indirectes de l'esclavage, du colonialisme
et du racisme que tous les peuples noirs ont subi à des degrés
variables, dans l'espace et dans le temps (AFR02).
Nous avions ainsi découvert qu'une autre forme
identitaire apparaissait en soubassement de tous les autres paliers
identitaires relatifs que sont les identités tribales ou ethniques,
nationales ou géopolitiques. Cette autre forme identitaire s'articule et
se développe chaque fois que le problème d'intégration
sociale ou l'insertion professionnelle se pose, même dans les discours de
leaders opposés à toute mobilisation sociale sur une base
«raciale». Les leaders diront par exemple :
Nous sommes encore une société où les
gens sont discriminés sur leur apparence physique, sur la couleur de
leur peau, et les Noirs le savent très bien. Et donc, quelque part, le
regard de l'autre nous renvoie à une identité africaine
canadienne. Donc, quelque part, Sénégalais, Jamaïcains,
Noirs anglophones, Noirs américains, Haïtiens... se retrouvent tous
dans une identité qui est, je dirais, définie comme noire. Et
donc, évidemment, quand ils font face à des discriminations dans
le logement, ce n'est pas comme Haïtiens, c'est comme Noirs. Quand ils ont
des discriminations dans l'emploi, ce n'est pas seulement comme Haïtiens,
c'est comme Noirs. Donc, quelque part, se donnent aussi une identité,
une autre forme d'identité, c'est-à-dire en fait nous sommes
tous... mais même comme Haïtiens, nous sommes des descendants
d'Africains (HTI02).
L'autre indicateur de cette identité de base est
l'identification quasi systématique des leaders à Mathieu Da
Costa ; identification fortement articulée aussi bien chez les leaders
d'origines haïtienne, africaine, que chez les Afro-canadiens anglophones
ou de vieille souche. Ils affirment travailler à la reconnaissance de sa
contribution en tant qu'interprète aux côtés de Samuel de
Champlain. De même, les leaders ont tous affiché leur
fierté d'avoir revendiqué et obtenu la réhabilitation de
Marie Angélique - esclave noire appartenant au montréalais
François Poulin - qui fut amputée et pendue au printemps
17349(*). Nous reviendrons
sur cet aspect dans le prochain chapitre, qui porte sur le contenu de la
mémoire collective des Africains et Afro-descendants de Montréal.
Mais on peut déjà établir l'existence d'une
identité «noire», identité racisée et plus ou
moins accentuée selon la revendication sociale formulée ou encore
selon la trajectoire historique du leader ou celle de son pays d'origine. Cette
identité est activée chaque fois qu'une revendication vise un
certain redressement de la situation sociale due aux préjudices de
l'histoire. Ainsi, tel leader haïtien, foncièrement hostile
à toute référence à l'identité
«noire» va pourtant affirmer : « Je crois que ce sont
des choses qu'il faut dire, et qu'il faut prendre le temps de les exprimer
clairement. Parce qu'être Noir de la région de Montréal
demeure toujours une grande difficulté.» (HTI01) Mais ce
consensus autour d'une communauté d'action ou de défi (par
opposition à une communauté sociale réelle) se heurte
à l'émergence actuelle du sujet et de sa vocation
autonomiste. En effet, les communautés dites «noires»
n'échappent pas au phénomène de l'individualisme et au
besoin des individus de se démarquer et de se soustraire à
l'emprise du communautarisme. Ce phénomène bien expliqué
par la sociologie de l'action s'est illustré parfaitement chez les
Afro-descendants du Québec.
3.2. La réification identitaire et ses
défis
L'affirmation d'une identité collective afin de
légitimer les revendications sociales se trouve confrontée
à une sorte d'«implosion des causes», elle-même due
à l'implosion des identités observée depuis les
années 60. C'est que la logique de rejet de la domination, logique
d'affirmation identitaire initiée par le mouvement noir des
années 50 s'applique aujourd'hui à l'intérieur du
mouvement lui-même (pour peu qu'on puisse encore l'appeler
«mouvement»), où les subjectivités individuelles ne
peuvent plus être endiguées au profit d'une cause collective.
3.2.1. Le sujet et son autonomie
Le principal défi à la mobilisation sociale en
tant qu'Afro-descendants à Montréal, c'est la pluralité,
la différentiation ou la polarisation interne de ce groupe. Un leader
affirme par exemple que
Être noir, dans un premier temps, ça ne veut
pas dire que je dois épouser toutes les causes des Noirs. Parce qu'il y
a une tendance aussi non négligeable, c'est que tous les Noirs devraient
se connaître, tous les Noirs devraient s'aimer. C'est ça dans la
croyance populaire. Parce qu'étant donné que nous avons subi les
mêmes choses, nous avons mené les mêmes luttes, mais nous
avons oublié que nous avons grandi dans des pays différents ;
quels que soient les sévices que nos arrière-arrière
grands-parents ont subis, on ne méprise pas cette
situation-là ; c'est un certain corollaire qui va nous permettre de
nous entendre davantage. Mais je n'ai pas l'obligation de soutenir quelqu'un
parce qu'il est Noir (HTI01).
Cette démarcation, cette dissociation vis-à-vis
de certaines causes «raciales», ou cette relativisation de
l'intérêt collectif, est justifiée de plusieurs
manières :
- par la particularité des besoins (Noire, oui,
mais surtout Femme noire ; Noirs oui, mais aussi Anglophones dans un
pays francophone...),
- par une volonté d'autonomie,
- par un pragmatisme intéressé, semble-t-il, en
raison des avantages financiers (subventions) accordés en
préférence aux acteurs sociaux communautaires par les instances
municipales, provinciales ou fédérales, plutôt qu'aux
mouvements sociaux «racisés», qui sont moins soutenus par ces
paliers de gouvernement.
Alors, ces auto-démarcations sont tantôt
légitimées :
Quand on vient me dire que la communauté Noire est
divisée, je dis aux gens: mais regardez-vous, par exemple: est-ce que le
Québec est uni? Je dis il y a 50% des Québécois qui
veulent l'indépendance et 50% qui ne veulent pas: est-ce que vous
êtes divisés?. Je dis pourquoi en serait-il autrement de la
communauté haïtienne? Ou bien dans les communautés noires?
Pourquoi en serait-il autrement? Vous voulez que nous soyons unanimes tandis
que vous, vous ne l'êtes pas. Et puis ce qui est difficile à
accepter, c'est que nous le croyons. Ou bien la majorité d'entre nous
le croient. Mais moi je ne le crois pas. J'ai droit à mes dissidences
(HTI01).
Mais aussitôt, et à l'intérieur du
même discours, ces dissociations sont déplorées :
Dans la communauté noire, il y a un grand travail.
Ce travail là, malheureusement, il ne sera pas fait parce qu'il va
toujours y avoir des gens qui sont d'opinion différente, tant et aussi
longtemps que les gens n'admettront pas qu'il y a une réalité
première, qui dit que nous sommes Noirs et nous sommes
différents, et que nous avons le droit de discuter des choses qui nous
concernent de manière différente, pas pour plaire, mais juste
pour revendiquer (HTI01).
Cette apparente contradiction pourrait s'expliquer par une
volonté de pragmatisme qu'illustre bien le raisonnement de cet autre
leader :
Force commune, mobilisation... Pour faire quoi? Ça
dépend pour faire quoi, ça dépend des objectifs. Il y a
certains dossiers qui probablement vont nécessiter que les Africains et
Afro-descendants se mettent ensemble, pour faire avancer, comme il y a d'autres
dossiers qui sont carrément spécifiques. [...] il y a certains
sujets qui ne sont pas d'un côté ou de l'autre, des
préoccupations qui ne sont pas des préoccupations communes.
[...]. Donc il va falloir se mettre ensemble pour faire quoi? Ça peut
être important qu'on se mette ensemble sur des dossiers qui concernent
tous... parce que les besoins des communautés sont très
différents (HTI04).
Par endroits aussi, comme la logique de différenciation
ou de pragmatisme, le rejet de la rhétorique holiste se fonde aussi sur
le réalisme :
Je n'ai pas cherché à assumer un rôle
spécifique concernant les communautés ; parce qu'il faut partir
du raisonnement logique: quand on part de chez nous, on est déjà
divisé. En Afrique, il n'y a pas d'unité là-bas. Chacun,
finalement se reconnaît dans son ethnie propre. Donc il n'y a que
peut-être le Français et le gouvernement qui nous regroupent, mais
quand on rentre spécifiquement dans certains détails, c'est fini:
chacun se retrouve dans son ethnie. Donc je ne crois pas à cette
histoire de regroupement là. Moi je trouve que c'est utopique de penser
qu'ici au Canada, on pourra parler de regroupement (AFR03).
D'autres raisons sont avancées, comme
l'objectivité :
Je rentre dans une concertation pas parce que je suis
noir, je rentre dans une concertation parce qu'il y a une problématique,
il y a un problème qu'on veut résoudre... C'est arrivé que
je suis Noir: c'est correct. Vous aussi vous êtes Noirs, mais vous venez
du Congo, comprenez-vous? Ce que vous avez vécu au Congo, c'est pas
ça que j'ai vécu en Haïti. Vous êtes né
à Montréal. Ce que vous avez vécu à
Montréal. Ce n'est pas ça que j'ai vécu (HTI01).
Finalement, ce rejet de l'unanimisme communautaire pose un
réel défi à l'action collective, notamment celle de
l'alliance tripartite Anglophones, Haïtiens et Africains qui mène
des négociations politiques en faveur des Afro-descendants du
Québec. Les leaders semblent avoir fait le constat de n'être unis
que par la couleur de peau, l'histoire de l'esclavage et son corollaire qu'est
le racisme, et enfin par la discrimination et les préjugés
raciaux. Et l'on peut alors se demander si ces réalités
constituent une cause assez forte pour susciter l'action collective. Pour toute
réponse, on peut mentionner que la totalité des leaders
interrogés souhaitaient la formation d'un lobby d'Afro-descendants pour
l'action collective.
En effet, pour surmonter la polarisation interne, les
mêmes leaders cités plus haut, qui sont ouvertement autonomistes,
vont évoquer les vertus de l'unité et de la cohésion, que
sont la conciliation et la concertation:
... moi j'aurais aimé par exemple qu'il y ait plus
de concertation. Je comprends que pour faire de la concertation, il faut en
prendre et il faut en laisser, parce que concerter signifie laisser votre
stratégie principale et adopter la stratégie du groupe
d'ensemble (HTI01).
Mais lorsque les vertus de la conciliation ne sont plus
suffisantes, d'autres leaders y ajouteront l'efficacité de l'action
collective et concertée :
Sans renier d'où je viens, même à
travers [mon pays], il y a des tribus et tout. Je sais d'où je viens.
Mais je pense, quand on est dans une société comme celle-ci, il
faut vraiment viser ce qui nous réunit. [...] Y a plusieurs
communautés africaines. Mais il faudrait qu'on quitte ce
cercle-là... mono-ethnique: Sénégal, Guinée, Congo,
Cameroun,... Ça n'empêche pas que tu aies tes appartenances
nationales, ou de pays, ou tribales, mais je pense, à un niveau
supérieur... comment tu vas faire un lobbying avec juste des
Sénégalais? Ça fausse les données. Alors que si on
fait un lobbying des Africains, il y a de tout, on accepte tout le monde...
tout le monde se sent interpellé. Et même au niveau du
gouvernement, c'est plus facile pour gérer et même pour les
revendications. Sinon chaque pays va faire ses revendications: où est-ce
qu'on va s'en sortir? (AFR04).
La cause semble être plus entendue chez les Anglophones
que chez les francophones. Les leaders anglophones interrogés dans cette
enquête, ont surtout affiché une tendance à minimiser
l'origine nationale au profit d'une identité «noire». Alors,
la quête de l'homogénéité est plus prononcée
dans leur groupe :
I think that as Black people, regardless of where our
country of origin is... I think what we've come to realize in our dialogue with
our brothers and sisters from Africa or Haiti, is that as Black people, be it
French, English, or African, we all have, for the most part, the same issues.
The issues of racism and discrimination, the issues of the lack of equal access
to opportunities, to resources, to jobs,... we have similar issues, and we meet
to discuss those common issues (ANG02).
3.2.2. Manipulation politique et querelles inter
linguistiques
Hormis la cause interne de polarisation qu'est le besoin
d'affirmation de soi (sujet), notre recherche a révélé
l'existence d'une cause externe de division qu'est la manipulation politique.
En effet, dans le contexte politique du Québec marqué par des
conflits politiques autour de la langue ou de la nationalité, certains
leaders dénoncent la stratégie des hommes politiques canadiens ou
québécois, qui essaient d'entraver l'action collective des
Afro-descendants en les opposant entre eux, en faisant croire aux uns qu'ils
sont meilleurs que leurs congénères ou «plus proches»
de la société d'accueil.
Les Occidentaux ont une façon de voir les choses:
ils mettent des liens. Ce sont des gens qui ont une mémoire
phénoménale. Ils ont les moyens, ils ont le pouvoir de faire, ils
mettent des nuances. Ils peuvent dire bon, écoute : vous vous
êtes Haïtiens, c'est probable, c'est propice, on peut travailler
avec vous, vous nous ressemblez davantage. Mais dans votre communauté
peut-être vous, vous êtes mieux: y en a d'autres de votre
communauté qui ne sont pas corrects (HTI01).
Les leaders qui l'évoquent précisent que cette
situation remonte au colonialisme, et est encore la cause de division chez de
nombreux Afro-descendants y compris en Afrique même.
Nous sommes conditionnés comme ça... vous
comprenez, nous sommes conditionnés comme ça. Et même en
Afrique, entre les tribus, c'est «moi je suis mieux que toi.» Vous
comprenez: ces gens-là vivent avec cette mentalité là. Et
c'est devenu très dangereux pour eux-mêmes, entre eux comme
frères et soeurs. C'est horrible! . Parce qu'ils sont
conditionnés comme ça : les blancs vont leur dire:
«vous êtes mieux que lui ; je vais vous donner ça, mais je ne
vais pas donner ça à lui.» Et partout c'est comme ça:
c'est une façon de créer des divisions, et dominer la situation
(ANG01).
Ces facteurs de division semblent avoir eu un certain effet
sur le discours des leaders. Par exemple, certains n'hésiteront pas
à évoquer des points qui valorisent leurs communautés
nationales par rapport aux autres communautés afro-descendantes, ou
encore des traits identitaires qui les rapprochent ou les rendent plus
semblables à la société d'accueil. Un leader qui affirme
être conscient de cette manipulation avouera même avoir
«joué le jeu». Les autres mentionneront entre autres,
l'appartenance linguistique, le niveau de scolarité, ou encore la
trajectoire ou l'expérience historique commune à leurs deux pays,
d'origine et d'accueil. Finalement, on note une certaine compétition
pour la ressemblance ou l'identification à la société
d'accueil. Et dans cette course, les Afro-descendants anglophones du
Québec partent avec un double handicap :
I'm seen as one of these people who advocate for change,
change in the way the White society see the Black people. In Quebec, change as
how the French sees the English ; so, in that capacity I am always advocating
for change (ANG02).
Ils ont en effet très peu de ressources identitaires
à mettre en commun avec leur société d'accueil :
People from African descent living in Quebec and Canada,
but I would say particularly Quebec, have a very difficult time. The reason is
very simple. The French Canadians since 1976 have suddenly find themselves in
the political arena, and they have passed Bill 101 to ensure that they are the
managers of Quebec. Nothing wrong with that. The only thing happens is that
while they are making sure that they are fighting the English so to speak and
making sure that they take hold of the government, then they have no time for
the Afro-canadian people. And no time is left. By the time they get around to
us, all the programs are finished, all the jobs are finished, everything is
finished, and they say, Oh I'm sorry, I didn't realize you were here! Because
we were never there anyway [rire] (ANG02).
Ce clivage n'est pas nécessairement admis par les
leaders francophones, mais il est nécessairement source de discordes. Un
leader haïtien dira d'ailleurs :
Lorsque nous rencontrons des groupes, moi, mes
interlocuteurs de la communauté noire anglophone, c'est Dan Philip,
c'est Noël Alexander, et tout récemment...le Révérend
Gray. Mais je suis toujours en totale contradiction ; parfaite et totale
contradiction, - je pèse mes mots quand-même - avec eux. Parce que
nous n'avons pas la même façon de voir les choses. Dans leurs
têtes, même s'ils ne le disent pas, « you french, you have an
advantage». Ça veut dire quand vous parlez français, vous
êtes Noir vous avez un avantage au Québec (HTI01).
Au total, cette étude nous a permis de vérifier
que l'identité n'est pas toujours une donnée anthropologique ou
ontologique préétablie et figée ; elle est souvent
tributaire du contexte social global où le groupe évolue.
La définition identitaire des Québécois
d'origine africaine et afro-descendante se retrouve aléatoire,
contingente et conjecturale : l'auto définition comme groupe
racisé est confrontée à la pluralité des origines
nationales et à la diversité des réalités
vécues, des besoins et préoccupations des groupes communautaires
qui les composent, rendant impossible toute définition
réifiée ou essentialisée. Or, en même temps,
l'histoire de l'esclavage, du colonialisme ainsi que la réalité
des discriminations sociales, n'ont fait aucun cas de ces nuances et
diversités internes des peuples afro-descendants : ils sont
contraints par le contexte social à agir, - ou plus exactement
réagir -, contre les préjugés et jugements
négatifs du reste de la société. Ainsi, la
représentation qu'ils ont d'eux-mêmes, entre l'impossible
«auto-racisation» et la racisation imposée (ou
supposée) par le reste de la société, se définit
par une autre forme d'identité mise en chantier, qui sera consciemment
élaborée, volontairement instrumentale, et va puiser dans tous
les matériaux historiques et culturels disponibles pour l'affirmation en
tant que groupe, pour répondre à la réalité du
racisme et des discriminations. Un leader haïtien l'explique :
J'espère qu'à long terme, nous vivrons dans
des sociétés où, les gens ne seront plus jugés sur
la couleur de leur peau, pour reprendre la vieille phrase de Marin Luther King,
mais nous sommes encore une société où les gens sont
discriminés sur leur apparence physique, sur la couleur de leur peau, et
les Noirs le savent très bien. Et donc, quelque part, le regard de
l'autre nous renvoie à une identité africaine canadienne. Donc,
quelque part, Sénégalais, Jamaïcains, Noirs anglophones,
Noirs américains, Haïtiens... se retrouvent tous dans une
identité qui est, je dirais, définie comme noire (HTI03).
Et un autre conclura :
La première des choses, c'est de se mettre
ensemble, qu'il n'y ait pas de Noirs africains, de Noirs jamaïcains, de
Noirs ceci de Noirs cela ; qu'on se mette ensemble. Chacun peut travailler de
son côté dans la communauté, mais, qu'il y ait un endroit
[pour se mettre ensemble] (HTI02).
En répondant ainsi à la question identitaire et
en se définissant négativement par la victimité, les
Africains et Afro-descendants du Québec se mettent dans la posture
nécessaire pour mener des revendications en tant que groupe et pour
tenter d'obtenir «le redressement de l'histoire», d'obtenir un
traitement différencié, voire même plus avantageux, de la
part de la société d'accueil. Mais pour cela, il faudra articuler
ces revendications en donnant à la mémoire un contenu
précis : c'est l'objet du prochain chapitre portant sur la
mémoire et sa transmission.
CHAPITRE IV
LA MÉMOIRE COLLECTIVE
ET SA TRANSMISSION
La revendication sociale et
politique de la mémoire requiert une deuxième étape
après celle de l'identité : c'est celle de la
détermination de l'objet de cette mémoire. C'est dire que
l'identité circonstancielle et instrumentale que se donnent les
Africains et Afro-descendants dans le contexte québécois,
à travers différentes tentatives d'action collective, requiert
pour être crédible, la détermination d'un contenu propre.
En effet, présentée tantôt comme un projet à
réaliser par l'unité entre communautés afro-descendantes,
tantôt comme une réalité sociale imposée par le
reste de la société, l'identité «noire» semble
assumée comme un contrecoup du racisme, phénomène
étroitement lié à l'histoire de l'esclavage, à la
domination et à l'infériorisation.
Ce quatrième chapitre du mémoire vise à
comprendre le rapport des leaders interrogés avec leur histoire, ainsi
que le processus d'harmonisation ou d'intégration de leurs trajectoires
historiques très différentes, et parfois même
opposées. C'est que identité et mémoire
sont intimement liées comme nous l'avions montré dans le cadre
théorique. Chez les individus comme chez les groupes en effet, la
mémoire est le premier facteur d'identité. « Un peuple
qui n'a pas de conscience historique n'est qu'une population, a
déclaré un des leaders. Une population, c'est un attroupement
d'individus, conscients ou inconscients ; ça peut être un
troupeau» (AFR02). Et mieux qu'une simple volonté de figurer
dans le récit de l'histoire québécoise ou de s'affirmer
comme groupe social, cette rhétorique fait partie des stratégies
pour contrer le complexe d'infériorité :
... quand on a la conscience de ce qu'on est, même
si on ne sait pas exactement d'où on vient mais si on en connaît
une partie, quand on connaît le plus de facettes possibles de son
histoire, c'est-à-dire les parties qui sont valorisantes comme les
parties qui sont négatives, on se rend compte qu'on est un être
humain parmi les autres, avec les mêmes qualités et les
mêmes défauts (AFR02).
Nous reviendrons dans le cinquième chapitre sur le
discours et les stratégies de revendication de la mémoire. Pour
l'instant, il faut remarquer que dans cette recherche, le glissement entre
mémoire et histoire et été sciemment
permis, dans le but de faciliter les entrevues, de favoriser l'articulation
entre langage commun et langage académique en réduisant les
subtilités conceptuelles. Trois questions ont été donc
posées aux interviewés sur leur conception de l'histoire, sur
leur rapport à l'esclavage des populations africaines et la colonisation
des Africains et Afro-descendants, ainsi que sur les problèmes
liés à la transmission de cette mémoire.
4.1. Le procès de la mémoire
collective : différence et contribution
Pour comprendre et analyser les réponses données
à nos questions par les leaders, il s'est avéré
nécessaire d'examiner de plus près les groupes sociaux auxquels
ils se sont identifiés, puis de faire certaines observations. D'abord,
la quasi-totalité des interrogés sont de la première
génération d'immigrants. Ceci signifie qu'éventuellement,
l'immigration serait un facteur essentiel dans le regard sur l'histoire de leur
groupe à Montréal. Or, les leaders se sont parfaitement
identifiés aux membres de leurs communautés qui sont nés
au Québec, et même aux Afro-descendants québécois de
vielle souche. Cette posture de discours peut s'expliquer par le
caractère relativement récent des immigrations africaines et
caribéennes ; récentes en effet, ces immigrations ont cependant
été massives au point où la première
génération semble être représentative de l'ensemble
des communautés immigrantes. C'est pourquoi, d'abord identitaire, la
différence revendiquée s'est avérée logiquement
mémorielle. C'est dire que la variation du lexique identitaire telle
qu'élucidée dans le chapitre précédent donne
nécessairement lieu à une variation des lieux (ou limites
historiques et géographiques ) de la mémoire :
mémoires ethniques, mémoires nationales, mémoires
d'immigration, etc.
4.1.1. La revendication de la différence
La revendication de trajectoires historiques perçues
comme marginales ou secondaires, différentes de celle de la
société québécoise, vécues en tant que
peuple à l'origine, puis en tant qu'immigrants aujourd'hui, a
été évidente et clairement formulée dans le
discours des leaders. Un leader haïtien dira par exemple que
...la communauté haïtienne, comme
communauté, est issue d'une autre histoire, que l'histoire des
Québécois. Nous avons notre propre histoire, dans le peuple
aussi, et nous avons notre histoire aussi, comme immigrants, qui n'est pas le
vécu d'une personne qui vit ici (HTI04).
Ce sentiment de différence est si profond qu'un autre
leader, né en Amérique du Nord, et de parents américains,
dira au sujet de ses racines africaines:
...it is important to us, from the standpoint of
self-esteem, self awareness, self determination, self-respect... you need to
know where you came from. We need to understand that we don't begin as
African-Canadians four hundred years ago (ANG03).
Du côté des Africains, un des leaders a
déclaré:
...je n'ai pas grandi au Québec; quand je suis
arrivé au Québec, j'avais déjà 40 ans. J'avais tout
un passé. J'avais ma propre histoire et j'avais l'histoire dont je suis
issu, ma trajectoire politique, ma vision de monde (AFR02).
Mais la «vision du monde» portée par les
leaders africains et afro-descendants ne se distingue pas seulement d'avec la
société québécoise ; elle est aussi marquée,
non seulement par l'histoire de domination de leur pays d'origine par
l'Occident, mais aussi par l'actualité des conflits ethniques ou de
classe qui déstabilisent encore ces pays. Ainsi, un leader d'origine
africaine va se distancer de la mémoire globale du peuple
québécois, mais aussi de la mémoire nationale de son
propre pays d'origine :
... parce qu'il faut partir du raisonnement logique: quand
on part de chez nous, on est déjà divisé. En Afrique il
n'y a pas d'unité là-bas. Chacun, finalement se reconnaît
dans son ethnie propre. Donc il n'y a que peut-être le Français et
le gouvernement qui nous regroupent, mais quand on rentre spécifiquement
dans certains détails, c'est fini: chacun se retrouve dans son ethnie.
[...] Je porte une mémoire [de mon ethnie en Afrique]. Ici je porte une
mémoire [de mon ethnie en Afrique] parce que dans mon raisonnement, dans
mon comportement, tout ça, c'est vraiment [celle de mon ethnie en
Afrique] (AFR03).
L'ethnie est le cadre de référence primaire pour
ce leader africain, comme la race («nègre» en l'occurrence) et
l'histoire qui lui est rattachée, devient le cadre de
référence pour un autre, haïtien, qui dira sans
détour :
C'est sûr que je suis relié à une
histoire différente. Je suis né dans un pays de nègres
comme on dit ; un pays qui a subi l'esclavage, un pays qui est dominé
par une lutte qu'on peut dire lutte de classe en Haïti, entre les Noirs et
les Mulâtres (HTI01).
Or, en approfondissant le débat, on découvre que
pour ces mêmes leaders, l'histoire se poursuit dans le présent et
ce n'est plus seulement la différence qui est
revendiquée, mais aussi la reconnaissance d'histoires nouvelles qui se
prolongent dans l'histoire globale du Québec.
4.1.2. La contribution à l'histoire du
Québec
Si l'on met en perspective le facteur «immigration»,
on comprend que la différence revendiquée est un marqueur
d'identification, mais pas nécessairement un marqueur
d'identité. L'extériorité par rapport à
l'histoire du Québec est à peine assumée qu'on cherche
à la dépasser. En effet, comme nous l'avons vu dans le cadre
d'analyse (allégorie du bateau de Thésée), la
différence en matière d'identité n'est pas
toujours un état statique et figé ou définitif. Les
leaders n'ont semblé voir aucun paradoxe dans le fait de revendiquer
à la fois leur particularité historique et leur statut de
«partie intégrante» de l'histoire du Québec. Dans ce
cadre, même si la nuance entre histoire et
mémoire fut éludée lors des entrevues pour les
besoins de l'enquête, elle s'impose à nouveau : ce qui est
apparemment revendiqué par les leaders africains et afro-descendants,
c'est la mémoire, avec toute sa charge affective et subjective, mais pas
nécessairement - ou exclusivement - l'histoire, leurs
histoires, nationales, ethniques ou raciales, diverses et variées. L'un
d'eux dira par exemple :
I think I have played different roles in Quebec. I feel I
am part of the reforming, I'm feeling part of the development of the history,
the progressive history of Quebec. So yes, I feel that part of me, because part
of, most of my life has been in Quebec, so I feel a sense of belonging, I feel
a sense of, I'm part of that history, I'm part of that formation
(ANG04).
Dans cette logique, la durée de leur expérience
québécoise devient un paramètre fondamental quant au
sentiment de participation à l'histoire globale du Québec. Nous
le verrons, dans les lignes qui suivent, à travers la variation de
discours entre Haïtiens et Africains. Nous avons constaté que le
temps prolonge la mémoire vers un sentiment nouveau, celui de la
participation (active), de la contribution, pour dépasser la
différence (statique) ; ce sentiment grandit avec le nombre des
années et des expériences vécues au
Québec :
Maintenant, notre histoire aussi est liée à
l'histoire contemporaine du Québec. C'est-à-dire ce qui a
marqué les Québécois nous a tout aussi bien
marqués : que ce soit l'Expo, que ce soit... l'arrivée du PQ
au pouvoir, que ce soit le référendum, nous sommes tous
marqués par cette histoire contemporaine. Nous, nous nous sentons
peut-être beaucoup moins liés, tout en comprenant aussi que les
Québécois se souviennent de cette histoire de 350 ans, si notre
histoire ne s'enracine pas aussi loin ici, donc quelque part pour moi, nous
sommes en train de participer à la construction d'un Québec de
demain (HTI03).
En dépit de cette logique, les leaders africains,
immigrés bien plus récemment et n'ayant participé à
aucun des grands moments de l'histoire québécoise, affichent
pourtant la même volonté d'identification, au prix de se doter
d'un symbole identitaire, d'un point d'ancrage historique plus
éloigné et plus large encore, mais profondément
québécois :
...je commence à sentir après toutes ces
années que le Québec m'appartient aussi. On dit que quand Samuel
de Champlain était venu, Mathieu Da Costa était là avec
d'autres, qui étaient des interprètes ; nous avons conquis aussi
le territoire à travers ces Noirs là. Et vu que moi je sais que
je n'irais plus vivre en Afrique, mon nouveau pays, c'est ici. Donc, j'ai
besoin de racines. Sinon, je vais fonctionner à moitié. Et en
connaissant mieux l'histoire, je me dis que, à quelque part, nous avons
une histoire commune (AFR04).
On observe dans ce discours un appel de reconnaissance de la
contribution de ce «nous» africain et afro-descendant à
l'histoire québécoise. Reste désormais à
déterminer concrètement le contenu de cette contribution. Quels
sont les faits et événements qui sont objets de cet appel
à la reconnaissance?
4.2. L'objet de la mémoire collective
Nous avions vu plus haut que les représentations des
lieux de mémoire étaient à géographies variables
parmi les Africains et Afro-descendants. Or, tout comme l'identité et
ces lieux de mémoire, le contenu même de la mémoire
collective est aussi à dimensions variables ; il se traduit tantôt
par des éléments culturels :
The reason I did it, because I wanted Jamaicans in
Montreal to tell the rest, in particular, the French-Canadians that we are also
a people with a history. And Jamaica Day, it's like an Open House. We bring our
crafts, crafts like that, we bring our music, we bring our food, and we ask
people, Come and eat with us, in a park, so you'll see we have a history
(ANG02).
... tantôt par des faits historiques :
...nous savons tous, il y a eu un moment d'esclavage au
Québec, c'est aussi important de le rappeler. Faut bien se souvenir que
celui qui a été le principal historien n'était pas noir ;
c'est Marcel Trudel, le grand historien de l'esclavage au Québec qui a
tenu à rappeler l'existence de l'esclavage au Québec. Donc nous
rappelons la présence de Noirs au Québec et de communautés
dès les débuts de la conquête...(HTI03).
Mais au-delà de toutes ces divergences, la
volonté de trouver des bases communes aux différentes
trajectoires historiques des Africains, des Caribéens, et des
Afro-descendants était aussi perceptible. Cette rhétorique
opère en retraçant l'histoire à gros traits, en
réduisant la place des histoires nationales, en aplanissant les conflits
et les polémiques internes, et en mettant l'accent sur les aspects
unificateurs et glorieux. Cette logique permet de constituer une
histoire des Noirs et de la mieux articuler dans la revendication :
Where is the African history, where is the Black history?
A great people are the African people, who were building the pyramids, and who
understand geography, who understand science, who understand medicine, who
understand architecture. Where is that for their kid to read? I have a problem
for that in the schools there, and I fight for that. To put in the schools
books and photographs of great leaders, and photographs of great things that
have been done in Africa. You don't see that in the schools in Montreal and in
Quebec and in Canada (ANG02).
La volonté d'être et de se maintenir comme groupe
passe donc par le maintien d'une mémoire, d'une partie de l'histoire que
l'on s'approprie, que l'on entretient et que l'on essaie de rendre visible et
vivante, à travers des manifestations culturelles, artistiques, etc.,
mais surtout à travers l'éducation des générations
suivantes. Ce sentiment de responsabilité devant l'avenir est un facteur
d'identité, de perpétuation du groupe, et la mémoire
collective en est le support. Mais les obstacles qui se présentent dans
l'accomplissement de cette responsabilité sont nombreux, et ont fait
l'objet de réflexion chez les leaders africains et afro-descendants.
4.3. Problèmes de la transmission de la
mémoire.
Le sentiment de marginalité de «l'histoire des
Noirs» au Québec a été partout vivement
exprimé dans les discours, et l'appel de reconnaissance de la
participation à l'histoire du Québec était manifeste. Mais
en même temps, comme le démontrent les nombreuses identifications
à Mathieu Da Costa, la reconnaissance de cette contribution requiert
comme préalable, l'affirmation d'un statut de «groupe»
historiquement distinct au sein de la société. Ceci donne lieu
à un conflit de mémoires, induit par la rupture provoquée
par l'immigration, donc à une crise de sens dans l'histoire
vécue au Québec ; d'où le besoin ressenti de
«colmater la brèche» historique, dont la seconde
génération d'Africains et Afro-descendants est le symbole. Ce
besoin est évoqué en ces termes :
C'est la mémoire ; un peuple qui n'a pas de
mémoire, ce n'est pas un peuple. Il faut qu'on se rappelle. Et notre
rôle, c'est de dire à nos enfants: il y a eu ça! [...]
ils sont entre la culture d'ici et la culture de là-bas. C'est pour
cela qu'il y a beaucoup de problèmes. Il y a une tendance à la
drogue. Alors, il faut expliquer à ces gens-là l'origine.
L'histoire c'est très important! Ça. Ça ne doit pas
disparaître comme ça. C'est notre rôle à tous de le
faire (AFR01).
Dans tous les discours en effet, les troubles identitaires
sont directement inférés au déficit de mémoire. Il
existe donc un réel problème de transmission de la mémoire
dans ces communautés. Selon nos analyses, ces obstacles à la
transmission de la mémoire au sein des groupes africains et
afro-descendants sont de deux ordres : les obstacles internes et les
obstacles externes. Les obstacles internes sont essentiellement liés
à la connaissance de l'histoire au sein du groupe en soi, mais aussi
à la sensibilité vis-à-vis de cette histoire, et les
obstacles externes touchent au cadre institutionnel ou éducationnel du
pays d'accueil, et aux médias comme lieu d'éducation
populaire.
4.3.1. Les obstacles internes : méconnaissance
et insensibilité
La maxime la plus répandue chez les leaders africains
et afro-descendants, chaque fois qu'il est question de la seconde
génération, c'est qu'il faut savoir d'où l'on vient pour
savoir où l'on va.
They should inherit, in a way that they should know where
their ancestors came from. It's important for them to know where my mother, my
grandmother and everything came from. It's important to know it, to internalize
it, to know where you're going (ANG04).
Seulement, dans cet effort de transmission de la
mémoire, un défi de taille se dresse : les
aînés sont supposés connaître cette
«histoire» avant de pouvoir la communiquer, et c'est loin
d'être le cas.
Le problème, c'est que dans le passé, et
même encore maintenant, [notre histoire] n'était pas bien
écrite, comme telle. Parce que c'est un peu vague..., il y a de grands
vides; il y a des choses qui ne sont pas écrites et nous avons des
difficultés à rétablir notre histoire comme telle. C'est
différent avec l'Afrique, mais nous dans ce domaine-là, les
Antilles, l'Amérique... toute cette région, nous avons cette
difficulté-là (ANG01).
Même chez certains leaders africains, on avoue ne pas
être assez outillé pour assumer cette
responsabilité :
Parce que à chaque fois qu'on fait des colloques ou
des conférences ici, je me rends compte que même nous-mêmes
Africains, nous ne connaissons pas notre histoire en Afrique, et nous ne
connaissons pas notre histoire ici au Québec, à travers ces
Noirs-là qui sont venus, qui sont des Africains...(AFR04).
Mais d'autres l'ont déjà assumé de
diverses manières, notamment à travers des conférences
dans des écoles. Allant plus loin, d'autres leaders encore ont
carrément blâmé leurs «frères» africains
ou afro-descendants de ne pas s'intéresser à leur propre
histoire.
L'enjeu de la survie de la mémoire devient alors objet
de militantisme, lorsque les obstacles à sa construction et à sa
promotion se multiplient ; «militantisme» parce l'action ici vise,
dans la ligne des nouveaux mouvements sociaux, à sensibiliser les
groupes sur leurs propres intérêts (mobiliser) et à tenter
de susciter une réaction précise. Le défi peut se
résumer dans cette réflexion d'un des leaders haïtiens sur
les difficultés de la transmission de l'histoire (haïtienne) dans
une situation d'indécision et de crise identitaire :
... le jeune Haïtien qui est né au
Québec, maintenant il n'est plus Haïtien. Il est
d'«origine» haïtienne. Il est Québécois. Parce que
la crise identitaire maintenant est présente. Pour transmettre
maintenant la mémoire à un jeune Haïtien, est-ce qu'ils
veulent accepter ou ils n'acceptent pas? Parce que qu'est-ce qui l'oblige
à accepter ce que je lui dis? Qu'est-ce qui l'oblige aussi à
aller faire une recherche, quand il est adolescent, est-ce que c'est important
pour lui de savoir ça? Voyez? Le blanc lui dit qu'il n'est pas
Québécois; sa mère à la maison lui dit qu'il est
Haïtien, dans la rue on lui dit qu'il est Noir, qu'il n'est pas
Québécois qu'il n'est pas Canadien (HTI01).
L'immigration est un facteur de rupture mémorielle
entre première et seconde générations des Africains et
Afro-descendants, et la rupture introduit nécessairement une distance
temporelle et spatiale. Ces distances associées à
l'expérience québécoise vécue comme étant
plus réelle et plus proche, par les Afro-descendants de seconde
génération, tend inévitablement à éloigner
ces derniers d'une histoire trop vague, souvent douloureuse, et parfois peu
utile à l'insertion sociale, du moins selon un des leaders ; et
dans cette logique, au sujet de la distance spatiale ressentie
vis-à-vis de cette histoire, un autre leader dira aussi :
First of all, geographically, you're not in the same place
where. I'm trying to teach you your history. You're not physically there,
you're not in the surroundings there, you don't feel it. So, there would be
some hindrance, yes. And it's difficult for somebody who was born in Quebec,
knows Quebec, this that, this is your home, and then you're telling them,
you're part of Jamaica, like, where? So yes, I would say, geographically, yes,
it's a hindrance (ANG04).
Après l'éloignement et la méconnaissance,
l'insensibilité est l'autre obstacle à la transmission de la
mémoire des Afro-descendants. Un autre leader, qui a essayé sans
grand succès d'intéresser la seconde génération
d'Afro-descendants à leur histoire à travers des
conférences dans des écoles secondaires du Québec, a pu
faire le constat de cette insensibilité :
Nous ne sommes pas sensibles à notre histoire...;
c'est la réalité parce que notre histoire, ce n'est pas quelque
chose qui est très riche, comme telle. Comme je l'ai dis, il y a
beaucoup de vides ; il y a une grande majorité de nous autres, nous
avons même honte de notre histoire. OK ? On ne peut pas avoir une
histoire, si nous avons honte pour faire cette histoire riche comme telle
(ANG01).
Ce leader a témoigné que dans certaines
écoles où est enseignée l'histoire des communautés
noires, dans beaucoup de cas, «les Noirs, les gens de notre
communauté », ne sont pas intéressés ; les plus
intéressés et les plus curieux au sujet de cette histoire, «
c'est des gens de la communauté blanche dit-il, parce que,
dans notre façon de penser, c'est que notre histoire, ça ne vaut
pas grand-chose.» Selon ce leader, les jeunes ont
intériorisé ce jugement d'infériorité et aspirent
naturellement à s'identifier à une histoire différente,
plus facile à assumer. Ce «conditionnement» amène les
jeunes générations d'Africains et d'Afro-descendants à
percevoir leur histoire comme un accident de parcours. Au total, voici le
portrait psychosociologique qu'a esquissé ce leader :
...nous avons toujours eu envie d'être quelqu'un
d'autre que d'être Noirs, au sein la communauté noire. Parce que,
pour être membre de la communauté noire, quand nous vivons dans
des sociétés semblables, on a beaucoup de désavantages. Et
ensuite il n'y pas des gens qui vont être très favorables à
s'associer avec des choses qui ne sont pas avantageuses pour eux. C'est pour
cette raison que nous avons été conditionnés dans cette
situation : quand nous regardons l'esclavage, les conditions qui ont suivi
l'esclavage et jusqu'à présent les discriminations, les
profilages raciaux, et tout ça, ça impose certaines conditions
sur notre façon de voir les choses (ANG01).
Effectivement, il semble que cette observation ne concerne pas
seulement les plus jeunes : les parents aussi, pour diverses raisons -
notamment, la lutte pour la survie au quotidien, pour l'emploi et le logement,
selon certains leaders - ne semblent pas non plus trop préoccupés
par l'enjeu historique. C'est ainsi, qu'un autre leader oeuvrant dans le
secteur de l'intervention en milieu communautaire, fera la même
remarque au niveau des parents :
L'affaire, c'est que les demandes ne viennent même
pas des Africains comme tels. C'est qu'on a eu des demandes des femmes
blanches, qui ont épousé des Africains, et elles aimeraient que
nous, on instaure des séances comme les samedis, où on parle de
la culture africaine, ou même des langues africaines pour leurs enfants,
pour qu'ils connaissent d'où viennent leurs pères, la culture de
leurs pères. Tu vois, ça c'est une demande qui est venue :
il y a des femmes d'origine européenne, des Québécoises...
C'est comme elles ont formé un groupe là, puis elles aimeraient
ça, pour leurs enfants (AFR04).
Face à cette réalité, les leaders, par
leurs caractères de militants - tel que nous l'avons montré dans
le profil des leaders - ne se contentent pas de ce constat d'apathie ;
ils vont plutôt déployer des stratégies à
différents niveaux (social, culturel et politique) pour essayer de
surmonter ces obstacles par des efforts de sensibilisation et de mobilisation,
dans une ligne d'action qui ressemble à cette déclaration d'un
leader haïtien :
[l'histoire haïtienne] est une source que
fierté pour les jeunes Haïtiens. Les jeunes Haïtiens sont
très fiers de leur origine. Donc, il va falloir les alimenter, les
outiller, les informer mieux, sur la réalité de leur pays, de
leurs ancêtres tout en leur rappelant qu'ils sont d'ici, et qu'ils ont
une place à occuper ici, et que ce n'est pas des cadeaux qu'on leur
fait, c'est des droits. Parce que c'est important qu'ils sachent d'où
ils viennent (HTI04).
4.3.2. Les obstacles externes : la mémoire
comme objet de lutte sociale
Ces obstacles émergent dans différentes
structures de la société d'accueil et sous différentes
formes : les manipulations des médias, l'apathie ou
l'indifférence institutionnelle et politique, etc. Mais comme pour
l'identité, les raisons évoquées pour ce refus de la
fatalité, pour cette option de promotion de la mémoire
sont : la crise d'identité prégnante parmi les jeunes de la
seconde génération et, cependant, le racisme et la discrimination
qui les assignent à une identité socialement construite :
Mais oui... Il faut qu'ils aient des repères. [...]
Et je me dis, l'assimilation, si nous étions Blancs, on pourrait parler
d'assimilation d'ici quelques années. Mais le Noir ne sera jamais
assimilé. Parce que ça là (montrant sa peau),
c'est toujours là pour te rappeler que tu es «vu» Noir, tu
viens d'ailleurs. Et nos enfants vont vivre ça. Mais comment
récupérer? Ils ne peuvent plus aller en Afrique pour revivre,
parler avec la grand-mère, parler avec le grand-père,
connaître les histoires. Mais c'est un point de repère: il faut
qu'ils s'approprient cet espace. Car la discrimination, ils vont la vivre,
comme Noirs. Mais il faut qu'ils aient des arguments, que non, nous sommes
aussi de ce pays. Parce qu'ils vont se reconnaître à travers les
aïeux des Québécois, mais eux aussi ont leurs aïeux qui
étaient ici (AFR04).
C'est donc parce qu'«il faut qu'ils aient des
arguments» pour survivre à ce conflit entre un passé
infériorisant et un avenir discriminant, que la mobilisation pour la
mémoire s'est avérée nécessaire. Et pour leur
fournir ces arguments et susciter l'intérêt, les leaders vont
penser à plusieurs options. D'abord, l'option institutionnelle permet de
forger la légitimité de l'histoire afro-descendante en la sortant
de la marginalité, en la faisant partager par l'ensemble la
société :
One of the biggest obstacles is that it doesn't exist
in the educational system. And so sometimes, if it doesn't exist within the
establishment, people don't see it as being as relevant, or as important.
Because if the mainstream doesn't talk about it, it couldn't be significant. We
challenge that. We say it is significant. That is why it's not being
transmitted. And that is the controversy that we have, and one of the issues
that we've always had, that the absence of Black history does not benefit
society. It's a hindrance (ANG03).
Dans cet effort de participation au «mainstream»
québécois, une deuxième option est celle des
médias, où est forgée l'opinion de la majorité
canadienne et québécoise, où se joue l'image des
communautés :
Le premier de ces obstacles, c'est que nous n'avons pas
accès aux grands médias, écrits et audio-visuels qui
touchent la majorité de la population canadienne et
québécoise, la majorité que nous sommes venus trouver, ou
bien dans laquelle se trouvaient déjà certains des nôtres
en tant que minorité depuis longtemps. N'ayant pas la possibilité
d'accéder à ces médias - et je suis bien placé
pour le savoir - [...] chaque fois que nous répondons, nous n'avons
jamais, jamais gain de cause (AFR02).
Dans la même logique, un leader haïtien a
directement pointé les médias comme une des causes de cette
mauvaise image forgée en société et
intériorisée par les jeunes de la seconde
génération :
Les obstacles [à la transmission de la
mémoire] pour moi, c'est surtout ce que les médias peuvent
faire de l'information qu'on donne à nos jeunes ; c'est sûr qu'on
peut outiller nos jeunes à un niveau de la documentation, au niveau
d'échanges avec les enfants, mais il demeure vrai que, quand les
médias relatent les faits qui se passent en Haïti et en Afrique,
c'est jamais les succès qu'on relate ; c'est surtout : «ça
va mal dans ce pays là». Peut-être même aussi que,
quand les médias relatent un incident, les gangs de rue par exemple, on
va mettre le focus: c'est un jeune Haïtien (HTI04).
Les leaders ont insisté sur le fait que la
volonté de soigner l'image de leurs communautés dans les
médias et de diffuser d'autres versions de l'histoire africaine et
afro-descendante, est pour la cohésion sociale et donc, est dans
l'intérêt de la société québécoise en
général. Dans ce cadre l'option prônée consiste
à rechercher l'accès aux médias :
... il s'agit là d'un problème vital, pour
nous, d'un problème vital, à la fois pour nos communautés
et encore une fois pour la communauté majoritaire. Mais pour que la
communauté majoritaire puisse être touchée, il faut que
nous nous battions pour avoir accès aux grands médias, pour qu'on
arrête de mentir sur notre compte (AFR02).
Mais il existe aussi ce que nous pourrions appeler ici
l'«option communautaire», où les communautés
s'organisent, à travers lieux de cultes et groupes culturels, pour
transmettre l'histoire par discussions et célébrations diverses
:
...we make sure that, every year...we have a Heritage
Committee that is part of our structure, and that Heritage Committee has a
responsibility of making sure that during our Black History Month celebration,
that we make sure that we continue to share the history, and that we pass the
history on to our children.[...] Because our history is not being told by
mainstream society. It's not being told by the educational systems of this
province. So it has to be told by the community (ANG03).
Tout le long de ce chapitre, ce qui s'est
révélé est la facette régressive de la
mémoire collective, c'est-à-dire sa décomposition
à l'infini, défiant toute tentative de délimitation ;
à l'ère du sujet, où l'accent est mis sur
l'individu et ses droits, sur le soi plutôt que sur le groupe,
sur la pensée personnelle plutôt que sur la conscience
collective... toute rhétorique holiste, toute essentialisation de
mémoire collective devient insoutenable. L'histoire revendiquée,
longue de 400 ans, trop éclatée et trop diversifiée,
devient difficile à articuler. Nous dirons avec Candau que « le
degré de pertinence des rhétoriques holistes supposées
décrire le partage des représentations sera toujours impossible
à évaluer» (1998, p. 32). C'est pourquoi, chez les
Africains et Afro-descendants de Montréal,
l'altéro-définition devient le repère essentiel : les
faits reliés à l'histoire générale de l'esclavage,
puis à l'histoire des «Noirs» à Montréal, au
Québec et au Canada, deviennent plus essentiels dans la revendication de
mémoire. Ils sont plus légitimes dans le discours du devoir
de mémoire au Québec, tandis que les histoires nationales,
celles des pays d'origine entrent dans le champ du culturel ou du folklorique.
Là encore, dans les discours des leaders interrogés, on observe
un certain flou au niveau de la nature et de l'étendue du degré
de partage de la représentation de cette réalité
sociologique, qu'est la définition de soi par l'histoire négative
et les préjugés qui en émergent. Il est impossible
d'élucider totalement cette réalité dans le cadre d'un
mémoire de maîtrise en sociologie, compte tenu de sa portée
psychosociologique. Mais on peut progresser en faisant une distinction entre
représentations factuelles (relatives à l'existence de
certains faits, comme la présence de Mathieu da Costa et l'histoire de
Marie-Angélique) et représentations sémantiques,
(qui sont relatives au sens attribué à ces mêmes faits,
notamment dans les compensations morales espérées). À ce
sujet, Candau dira que
Lorsqu'une rhétorique holiste renvoie à des
représentations factuelles supposées être partagées
par un groupe d'individus, il y a une forte probabilité que son
degré de pertinence soit élevé. Lorsqu'une
rhétorique holiste renvoie à des représentations
sémantiques supposées être partagées par un groupe
d'individus (...) il y a une forte probabilité pour que son degré
de pertinence soit faible, voire nul (1998, p. 34).
Nous comprenons donc, selon cette logique, pourquoi les
leaders africains et afro-descendants s'entendent facilement sur les faits
relatifs à l'histoire des peuples africains à travers l'esclavage
et la colonisation, du moins chaque fois qu'ils seront datés et
vérifiés. Mais le grand défi, c'est le sens qu'il
faut donner à cette histoire et par là même, l'action
sociale ou politique qu'elle doit entraîner. Ce débat fera l'objet
de notre prochain chapitre.
CHAPITRE V
POLITISATION DE LA
MÉMOIRE COLLECTIVE
Un mouvement social existe parce
que certaines idées ne sont pas reconnues, ou parce que des
intérêts particuliers sont brimés. Il lutte toujours contre
une pression, un blocage ou une force d'inertie ; il cherche à briser
une opposition, une apathie, ou une indifférence ; il a
nécessairement des adversaires. Sans opposition, il cesse d'exister en
tant que mouvement social, c'est-à-dire que sa nature est
changée : il devient un parti, une institution établie ; il
n'est plus un mouvement social, car il a perdu l'élément
essentiel qui le caractérise, c'est-à-dire son
prosélytisme. Prosélytisme ici signifie l'effort d'un ou de
plusieurs leaders pour susciter l'adhésion d'une catégorie
d'individus sensés d'être visés ou concernés par une
problématique sociale précise. Dans la revendication politique de
la mémoire, Touraine, et à sa suite Michel Wieviorka montrent que
l'acceptation de l'autre comme sujet au même titre que
soi-même, la revendication au nom de valeurs plutôt universelles
que «communautaristes», sont des conditions déterminantes pour
le «vivre ensemble» et pour la reconnaissance du mouvement social. Ce
cinquième chapitre portera donc sur les conditions
d'opérationnalisation du «devoir de mémoire» dans le
contexte québécois de démocratie plurielle.
Le discours de légitimation
Dans le champ politique, le propre de toute action en
générale, et de toute action collective en particulier, c'est de
rechercher la reconnaissance et l'acceptation publique, c'est-à-dire la
légitimité capable de susciter l'adhésion ou la faveur des
différents leviers politiques.
5.1.1. Les arguments
Nous avions établi que les Africains et
Afro-descendants du Québec se représentent comme un
«groupe», qui est exprimé au plan discursif par le
«nous» (les Noirs) et au plan symbolique par l'identification
à Mathieu Da Costa, Marie Angélique, ou aux nombreux inventeurs
«Noirs» de l'histoire canadienne. Sur cette base, le devoir de
mémoire comme revendication politique de faits et de symboles
historiques, ira solliciter plusieurs arguments pour être légitime
:
- l'ancienneté ou même
l'antériorité du groupe revendicateur par rapport au groupe
dominant,
- la gravité ou l'unicité du dommage
causé et subi dans l'histoire,
- la nécessité de la reconnaissance officielle
et publique des dommages, au nom de la justice sociale pour l'histoire d'abord,
mais a posteriori pour le présent et le futur,
- la référence à des cas similaires
où la gestion politique de la revendication était plus
avantageuse.
Un leader haïtien, «souverainiste»
déclaré, affirmait que «Oui, le peuple
québécois a un devoir de mémoire ; l'histoire du
Québec ne commence pas avec la Révolution tranquille, ça
il faut le leur rappeler tout le temps.» (HTI04) En effet, le premier
argument, celui de l'ancienneté vise à contester la
marginalité supposée ou la secondarité de l'histoire des
Noirs dans l'histoire générale du Québec, car cette vision
de l'histoire confinerait le groupe dans un statut d'éternels
«étrangers» :
Yes, because there was a lot of Blacks here in Canada, in
Quebec too, you know. But it was as if we were never here. It almost seems
like, it was just White men who came here, and then we came afterwards, and
that's just not true, you know. In the 1800s, we were right here, but it's not
seen, it's not seen in the history books at all (ANG04).
Allant plus loin, un autre leader va même
suggérer que les «Noirs» furent participants de la
conquête du Canada, sinon même qu'ils lui sont
antérieurs :
Exactly, before the French explorers, because [Mathieu da
Costa] was an interpreter for the French explorers, so he had to be here before
the French explorers in order to interpret the language of the Natives. So who
came first, was it the interpreter, or was it the explorer? It was the
interpreter? Yeah, right. Common sense (ANG03).
Le deuxième argument évoqué pour
justifier la revendication de la mémoire des peuples «noirs»,
c'est l'unicité du crime d'esclavage, la gravité des excès
de la colonisation, de l'exploitation de la main d'oeuvre africaine et
afro-descendante partout sur la planète.
Pour nous, je pense que c'est un peu comme l'Holocauste.
C'est-à-dire c'est un des plus gros crimes commis par l'Occident, cette
traite négrière, la traite atlantique, c'est-à-dire la
déportation de millions d'hommes et de femmes vers l'Amérique
pour être soumis et putes, et assimilés à des biens et
meubles. Donc il y a eu une volonté délibérée de
destruction de ce qui formait leur identité ; et c'est pourquoi le
devoir de mémoire est important (HTI03).
Le devoir de mémoire est aussi important parce que la
violence du crime fut à nulle autre pareille. Ainsi, dans un contexte
social marqué par la pluralité, légitimité
rime avec singularité :
...l'autre chose qui me dérange
énormément, c'est quand les gens parlent de «l'esclavage des
temps modernes» ; c'est une tendance qui risque de minimiser le vrai
esclavage que nos ancêtres ont connu. C'est sûr je ne dis pas qu'il
n'y a pas d'esclavage, mais quand on parle d'esclavage de personnes... comme on
dit l'esclavage sexuel, l'esclavage de ceci, etc., etc., moi je dis cette
chose-là embête : c'est minimiser le vrai esclavage
(HTI04).
L'objectif est donc de rendre justice à un fait
historique singulier et qui, par le fait de la banalisation et souvent
même de la négation, a laissé une impression d'injustice.
Mais le lien avec les injustices du présent est formellement
établi : les leaders ont tous souligné, chacun selon sa
trajectoire historique et selon les références dont il dispose,
l'importance de reconnaître la contribution des «Noirs»
à l'histoire du Québec, pour rétablir une fierté et
une estime de soi sapées par l'esclavage et l'exploitation. Ainsi, les
Africains avancent que :
... il y a un problème d'éducation, pour que
les gens, aient les bases minimales pour pouvoir avoir une conscience claire de
ce qu'ils sont, une conscience claire de ce que les autres sont, une conscience
claire de ce que les autres ont apporté pour la construction de
l'humanité, et une conscience claire de ce que les leurs ont
apporté à la construction de l'histoire de l'humanité. Il
s'agit, pour être plus clair, en 2004 quand on parle à Radio
Canada du 400ème anniversaire de l'arrivée de Champlain ici au
Québec, il s'agit d'ajouter que 2004 est le 400ème anniversaire
de l'arrivée de Mathieu Da Costa au Québec...(AFR02).
Les Haïtiens renchérissent en disant :
... absolument oui, ils devaient tenir compte de
l'histoire de ces peuples parce que nous avons apporté beaucoup à
la société québécoise. Si je regarde la
communauté haïtienne par exemple, dans les années 60, quand
les premiers Haïtiens arrivaient ici, c'était la Révolution
tranquille au Québec. Donc, les professionnels haïtiens ont
beaucoup contribué à la Révolution tranquille ; ils ont
aidé le Québec à former leurs cadres. Donc c'est quelque
chose qu'il faut reconnaître envers, je dirai les Noirs (HTI02).
Et un répondant anglophone appuie :
Sure : Quebec was built also with slave labour, and also
the labour of free Blacks as well. Black people have been a part of Quebec
society since the beginning of Quebec society (ANG03).
La reconnaissance demandée n'est cependant pas celle
d'un droit exclusif. Elle est inclusive, au contraire, et la
légitimité se fonde sur l'intérêt de l'ensemble de
la société. L'insistance sur cet aspect a été
remarquée chez plusieurs leaders, pointant l'absence de l'«histoire
des Noirs» dans les manuels scolaires comme une situation qui ne profite
ni aux «Noirs», ni au reste de la société.
Because, «A» it does not give, promote
self-esteem among Black people, but «B», it does not allow for good
race relations and cross-cultural understanding for the majority community. And
so the majority community does not have any information in which to identify
with people of African descent, so it's a hindrance. So, if they don't have the
adequate and accurate history, then what they use to interact is stereotypes,
and myths, and misconceptions, and generalizing, and ... misinformation
(ANG03).
La notion d'égalité aussi est
évoquée pour justifier la revendication de mémoire, et
elle se réfère au traitement politique des problèmes
liés aux groupes socioculturels. Ce débat fut incontournable, vu
l'histoire du Québec comme peuple francophone dominé par un
peuple anglophone, vu la question autochtone qui est commune à ces deux
«peuples fondateurs» et enfin, vu la diversité culturelle - et
historique - qui caractérise le Québec contemporain. Ici, dans le
contexte de la pluralité, la légitimité du devoir
de mémoire « Noire» adopte une rhétorique
marquée par l'égalité.
5.1.2. Face à la pluralité de mémoires
au Québec
Contrairement à nos attentes, la pluralité des
mémoires revendiquées au Québec n'est aucunement
perçue chez les leaders africains et afro-descendants comme un obstacle,
ni même comme un facteur de complexification. Loin de là, ils se
représentent leur revendication comme étant parfaitement
alignée sur la logique de toutes les autres revendications :
certains le perçoivent comme faisant partie intégrante des
droits des minorités, le comparant même aux droits des
autochtones, et d'autres le perçoivent comme un simple
rétablissement de la vérité des faits historiques. Ils ne
revendiquent pas un statut particulier comme les autochtones - qu'ils ne
perçoivent d'ailleurs pas comme privilégiés et ne prennent
pas ombrage de leurs «réserves». Les requêtes des
Africains et Afro-descendants sont fondamentalement
différentes :
Pour les Noirs c'est autre chose: on ne demande pas des
positions privilégiées, on demande qu'on nous reconnaisse des
choses qui ont été faites. D'ailleurs tout le monde pense que
tous les Noirs sont des imbéciles ; on n'entend pas parler des Noirs qui
sont des inventeurs. Les Blancs, les Occidentaux apparaissent comme si ce sont
eux qui sont les maîtres du monde, comme si ce sont eux qui ont tout
inventé. Ce n'est pas vrai: ils ont récupéré
beaucoup de choses (HTI01).
Pour d'autres leaders, la pluralité n'annule pas la
singularité, et l'égalité des droits qui est
évoquée pour demander un traitement égal aux autres
groupes composant la société, n'est pas à être
interprétée comme une similarité : la comparaison aux
autres cas exclut le mélange des cas.
À mon avis, c'est difficile d'essayer de faire des
groupements, c'est-à-dire grouper ça d'un coup et dire «oui:
les Chinois, les Indiens et les noirs vont se regrouper», non. Chaque
communauté a eu ses problèmes de façon différente,
a été discriminée de façon différente, a
été traitée de façon différente. Il revient
à chaque communauté de revendiquer (AFR01).
On retient comme fond commun à tous ces discours que la
multiplicité des revendications de mémoires qui ont cours au
Québec et au Canada n'hypothèque en rien la démarche des
Afro-Québécois. Ils se représentent comme un groupe
minoritaire ayant des revendications historiques légitimes et même
nécessaires pour leurs communautés, revendications qui sont
elles-mêmes représentées comme utile à l'harmonie
dans le reste de la société. Elles demandent donc à
être formulées et portées sur les lieux de pouvoir,
là où elles auront réponse, c'est-à-dire le terrain
politique, mais pas sans défis.
5.2. L'action collective et ses défis
Notre analyse de l'action collective des Afro-descendants
s'est faite à deux niveaux directement interconnectés :
d'une part la démarche de la revendication passant par la constitution
d'une présence sociale et politique, la mobilisation pour un statut de
lobby, et d'autre part, l'objet de la revendication et les variations
d'attitude vis-à-vis de cet objet.
5.2.1. La mobilisation
Le passage du discours à l'action collective a pour
premier défi celui de la mobilisation, c'est-à-dire le ralliement
de tous les leaders des communautés africaines et afro-descendantes de
la municipalité et même de la province. Ce passage à
l'action peut se traduire par ces mots d'un leader africain :
On est toujours là à contempler. Mais moi je
pense qu'il est temps que l'Africain cesse d'être contemplateur. C'est
pour ça on dit il faut qu'il cesse de quêter: il faut exiger. Il
faut exiger des choses. Mais seul, on ne pourra pas exiger. Il faut qu'on se
mette ensemble. Et ça, j'espère qu'on va arriver à
ça (AFR04).
En effet, «seul, on ne peut pas exiger», et
le nombre de leaders impliqués dans la revendication, le taux de
partage des représentations du devoir de mémoire, le
degré d'harmonie des points de vues..., participent de la
crédibilité de la revendication et prédéterminent
les résultats de l'action collective. Convaincre ses pairs, de se
rallier à la cause fait alors partie de la démarche de
mobilisation :
Alors moi je crois que la bataille de la mémoire,
doit s'orienter vers ce côté là aussi. Éduquer les
gens, leur faire comprendre leur vécu, leur histoire, les valoriser. Il
y en a qui leur racontent n'importe quoi, des préjugés :
«oui vous êtes des «Nouaires»10(*) ». Ça fait partie
de la bataille: que les gens sachent qui ils sont, c'est quoi leur origine, qui
sont leurs ancêtres, qu'est-ce qui les a amenés ici, pourquoi ils
sont là. Tout cela fait partie de la problématique
(AFR01).
Cependant, une telle ambition doit s'affranchir de certaines
contraintes organisationnelles dont les premières sont d'ordre financier
; les leaders sont, pour la plupart dirigeants d'organismes communautaires
fonctionnant avec des subventions municipales, provinciales ou
fédérales, attribuées selon les priorités
définies par ces différents paliers de pouvoir. Cette
dépendance vis-à-vis de l'interlocuteur même de la
revendication est due à l'absence de support à la base -
c'est-à-dire des membres des communautés - et au déficit
de confiance vis-à-vis des leaders : « Quand vous
êtes dans la communauté noire, vous parlez d'argent, tout le monde
devient suspect «ha, il va prendre l'argent et il va mettre ça dans
ses poches.» » (HTI01) D'autres leaders ont évoqué
le caractère quasi tabou de l'esclavage dans la société
québécoise. Les Québécois auraient
«beaucoup de misères avec cette histoire
d'esclavage», compte tenu de leur statut de victimes au sein de la
Confédération canadienne, et dans ce contexte, ils supportent
moins bien l'habit du bourreau, et on ressent une certaine gêne à
formuler des doléances culpabilisantes.
Mais un autre obstacle, apparemment le plus déterminant
de tous, est ce que nous appellerons ici l'intra nationalisme ou l'intra
communautarisme des Africains et Afro-descendants. En effet un des leaders, qui
dirige depuis plusieurs décennies une organisation ayant vocation de
chapeauter tous les «Noirs du Québec», a observé la
tendance des communautés à se regrouper exclusivement dans des
cercles de proximité ethnique ou par pays d'origine. Un autre leader
anglophone reprend ces remarques en ces termes :
One of the problems, what I find within the Black
community you know, across North America... there's a situation here that I
feel we need ourselves, to organize ourselves. We're not very organized. We
have bits and pieces. You know, in the United States, you have the NAACP, which
is not bad. In Quebec and Canada, what do you have? You know, we have a lot of
little organizations, but you need to have an overall organization that, if we
going to speak on this, then we start to talk (ANG02).
Après ce problème d'émiettement des
forces, la mobilisation fait face à un autre défi non moins
important : celui de l'harmonisation des visions de l'action collective.
Ainsi, exprimées sous diverses formes selon les tempéraments des
leaders, on note néanmoins deux grandes tendances ou deux pôles
d'attitude parmi les leaders interrogés :
- les uns, ayant un discours plus «holiste»
(tendance à minimiser les différenciations internes) optent
directement pour une posture militante vis-à-vis des pouvoirs politiques
dans la revendication de mémoire ;
- les autres, plus pragmatiques - sinon même
calculateurs, de leur propre aveu - optent pour la conciliation, la
négociation «douce», mais au prix de minimiser les
problèmes soulevés, comme le racisme et les discriminations.
Dans la première attitude, la représentation du
devoir de mémoire est celle d'un combat, d'une lutte pas
nécessairement radicale, mais au moins quotidienne, où il faut
«exiger» plutôt que de «démarcher», imposer le
respect et la reconnaissance de soi face au reste de la société.
Pour cette catégorie de leaders,
... lorsqu'on lutte pour l'égalité, la
question n'est pas de convaincre l'autre qu'on est comme lui. Parce que dire
à quelqu'un qu'on est comme lui, c'est encore le prendre comme
référence. Il s'agit de dire à l'autre qu'il est ce qu'il
est et que nous, nous sommes ce que nous sommes, et que nous traitons
d'égal à égal : parce que le respect mutuel implique
d'abord la reconnaissance mutuelle (AFR02).
Mais, l'autre catégorie se défie de cette
posture et situe le conflit, non pas entre «eux» et «nous»,
mais plutôt entre des gagnants et des perdants d'une cause, toute
«race» confondue. Ainsi, à titre de comparaison, on peut
mettre en contraste les propos précédents avec ceux de cet autre
leader :
[Le problème], c'est peut-être la
manière dont les Noirs mêmes se définissent.
[...]L'abolition de l'esclavage, c'est bien la combinaison des Noirs et des
Blancs. Sans l'appui des Blancs, les Noirs n'auraient pas eu cette
liberté. C'est comme ça. Même Haïti qui a
été le premier État à prendre son
indépendance, ils ont été complètement exclus, les
autres pays blancs les ont exclus. Ils les ont isolés. Voilà
pourquoi depuis, les conséquences, on le connaît (AFR03).
L'intérêt de cette déclaration pour notre
recherche tient surtout, non pas à l'idée exprimée, mais
plutôt à l'attitude de démarcation qu'elle
reflète : un dépit, une exaspération devant la
tendance de certains Africains à l'extrémisme. Cette
polarité dans les visions de l'action ne semble pas coïncider avec
des groupes prédéfinis dans notre échantillon de leaders,
à savoir : les Haïtiens, les Africains ou les Anglophones.
Elle ne reflète pas non plus, comme nous l'aurions supposé,
l'influence de la «question québécoise» sur les
immigrants. Bien plutôt, on retrouve ces deux pôles d'attitude
(lutte versus conciliation) aussi bien parmi les
Haïtiens, les Africains que parmi les Anglophones, quitte à
préciser que ces discours des leaders ne laissent rien prédire en
termes quantitatifs, de la tendance générale au sein de leurs
communautés respectives.
L'autre défi qui émerge dans l'effort de
mobilisation, porte sur les polémiques autour du commerce qu'a
été la Traite négrière, et
précisément autour du rôle et du degré de
responsabilité des Africains. À cet égard, les analyses
faites dans notre cadre théorique se sont révélées
très exactes.
We tried to talk about it three... four years ago. And the
meeting almost ended in violence! Between Africans! Because the question was
raised! We're talking about the responsibility of the European master, but what
about the responsibility of the African, who also participated in the slave
trade? And when that discussion came up, it almost went to blows
(ANG03).
Selon ce leader anglophone, les Africains ne prennent pas leur
part de responsabilité quant à la participation à la
Traite négrière alors que, si l'on veut demander des comptes aux
anciens «maîtres esclavagistes», il va falloir
reconnaître «notre» part de responsabilité. Apparemment,
on porte plus facilement la culpabilité sur autrui qu'on ne veuille la
porter soi-même.
Au registre de la culpabilité et des
inconséquences de ses compatriotes, un leader africain va même
faire un jugement qui responsabilise principalement les groupes revendicateurs,
les «Noirs». Ceux-ci, contrairement à d'autres groupes
ethniques ou immigrés qui font preuve d'ingéniosité dans
la création d'emploi, optent plutôt par égoïsme,
sentiment de culpabilité ou manque d'initiative, pour un repli
individualiste sur eux-mêmes, paralysant l'émergence de leurs
communautés comme force ou lobby économique à
l'échelle de la société. Pour lui...
Les Noirs ont détourné partout des fonds,
ils ont de l'argent dans les banques, mais ils n'investissent pas parce que
l'argent est mal acquis. Donc, comme l'argent est mal acquis, il ne faudrait
pas qu'on sache qu'ils investissent quelque part. Donc il y a ce
problème-là déjà à l'intérieur de la
communauté : [...] on ne crée pas d'emploi. Mais nous
voulons aller prendre ce que les Québécois mêmes ont
créé. Un Québécois crée une entreprise, on
lui dit «Non, embauche les Noirs» ; mais qu'est-ce que nous les Noirs
nous créons comme entreprises? Et ce n'est pas qu'on manque
d'argent...(AFR03).
Au-delà de son acuité et de son
objectivité, ce genre de jugement, par la remise en cause qu'elle
professe, susciterait des sentiments de trahison chez d'autres leaders. Et
justement, ceux-ci jugent cette démarcation comme étant un
défaut de solidarité ou une flagornerie :
Sometimes our own people, our own Black people, aren't
sometimes the best people, if you understand. Some people want to put
themselves in front, but they shouldn't be leading anything. But you know, they
are the lackey to the White guy, still is. They go... «Oh please sir,
bring me, I am the best» (ANG02).
Beaucoup d'autres défis à la mobilisation des
«Noirs» ont été évoqués par les leaders
ou constatés après analyse de leurs discours : on peut citer
pêle-mêle le défaut de loyauté de certains leaders,
voire même de communautés entières à
vis-à-vis du groupe «racisé», mais aussi, à
l'opposé, le zèle de certains membres, souvent de la seconde
génération qui ont tendance à la radicalisation, la
vulnérabilité du groupe devant les divisions et manipulations
occasionnées par le politique et ses aléas dans le
contexte québécois, etc.
Mais nous allons porter une attention particulière aux
effets de ces divergences sur l'objet même de la mobilisation : le
devoir de mémoire.
5.2.2. Devoir de mémoire et réparation :
une variété de nuances
La nécessité d'«une certaine forme» de
réparation pour l'esclavage et l'exploitation des populations africaines
fut, en terme de prépondérance, l'opinion la mieux
partagée de toute cette recherche. Elle a fait l'unanimité chez
tous les leaders, qu'ils soient Africains, Haïtiens ou Anglophones.
Cependant, en analysant la logique interne de chaque discours, nous voyons
qu'il y a des nuances dans la représentation que se fait chacun des
leaders sur le sujet.
- La question de la
réparation
Le traitement privilégié qui fut
réservé - et qu'a encore - l'Holocauste des Juifs a
été un argument très fréquent dans la
rhétorique pro-réparation. La majorité des leaders
interrogés ont souligné que le dédommagement des Africains
et Afro-descendants au Québec ou ailleurs est une question
d'équité par rapport au privilège dont
bénéficient les Juifs partout en occident :
Il faudrait que le monde occidental le reconnaisse, et
comme ils ont dédommagé [les Juifs], que nous aussi on soit
dédommagés. Les Juifs, on ne peut rien dire des Juifs. Dès
qu'on parle un petit « I », ils sont là, et puis
tout le monde met des gants de velours, pour essayer de ne pas les [offenser],
mais nous on ne se gêne pas de nous faire n'importe quoi. On ne se
gêne pas de nous humilier. Mais il faut que nous-mêmes, on
revendique ça, il faut qu'on soit une force, il faut qu'on ait une
cohésion (AFR04).
D'autres communautés aussi, à part celle des
Juifs, ont obtenu des formes de réparation qui sont aujourd'hui
visées par les Afro-descendants, et ces dédommagements pour
des crimes encore plus récents que la Traite négrière,
motivent aussi les revendications des «Noirs». La pluralité de
mémoires n'est donc pas perçue comme un obstacle, bien au
contraire :
On ne peut pas dire parce que les Chinois veulent des
revendications, que nous nous ne pouvons pas revendiquer notre droit comme tel
; et ensuite nous avons les Juifs: il n'y a personne qui dit des Juifs qu'ils
ne doivent pas revendiquer des choses. Et vous voyez que l'ensemble de la
société se plie pour donner des revendications (sic) à des
Juifs. Vous comprenez ? Nous devons avoir la même situation. Et ils
mettent pour les Juifs des milliers et des milliers de dollars ; l'Allemagne a
donné des milliers et des milliers de dollars ; d'autres pays... la
Suisse: des milliers et des milliers de dollars. Pourquoi pas la
communauté noire?(ANG01).
L'autre argument justifiant la nécessité d'une
forme de réparation, c'est le caractère étatique et
officiel qu'avaient l'esclavage et toutes les formes de discrimination, de
domination et d'infériorisation qui ont suivi : domination et
blocage des communautés Noires dans les Amériques, colonisation
et pseudo-indépendance des pays africains :
...c'est là tout le problème de la
réparation. C'est-à-dire qui est venu oblitérer le
développement de ces pays? [...] Ce sont des États qui ont mis en
place ces pratiques. C'est ça aussi, le problème de la
réparation. Le problème de la réparation, c'est pas
simplement un individu qui a eu des esclaves ; le problème,
c'était une politique des États. Donc on a soumis des êtres
humains ; on les a définis comme des biens et meubles (HTI03).
C'est donc en créant des cadres juridiques comme le
célèbre «Code noir», qui définissait les
esclaves comme des biens et meubles, que l'on permit à des
individus de commettre leurs prévarications, de construire un
mécanisme psychosocial d'infériorisation des Africains et
Afro-descendants, mécanisme qui a encore des effets de nos jours. En
conséquence, la réparation doit prendre une forme
étatique : «pour le reste, des individus peuvent demander
pardon, mais c'est à l'État de réparer. Et ce sont les
États occidentaux qui ont mis en place cette politique, c'est à
eux de réparer» (HTI03). Reste à définir
maintenant comment obtenir des États concernés cette
réparation et sous quelle forme précise, surtout dans le contexte
canadien ou québécois.
À ce stade, les opinions divergent, allant des
propositions les plus pragmatiques aux moins réalistes. Pour certains,
«dans le contexte québécois de toute façon...
l'esclavage n'a pas eu l'ampleur qu'il eut aux États-Unis ou qu'il a eue
ailleurs. Donc dans le contexte québécois, la question qui se
pose, naturellement, c'est une question symbolique» (AFR02). Mais
pour d'autres leaders, surtout africains, il y a la possibilité d'une
compensation chiffrée, d'un plan de réparation matérielle,
«sonnante et trébuchante» :
Mais bien sûr qu'on peut tracer un plan, puisqu'il
subsiste encore comme des sociétés, des compagnies qui sont
encore en activité, qui en ont bénéficié
directement. Ça, c'est un. Deuxièmement, les communautés,
qui en ont été victimes, ont le droit, comme toutes les
communautés, comme ça a été le cas dans d'autres
cas, d'exiger des réparations (AFR02).
Mais le noeud de la complexité, c'est comment
identifier les Africains ayant profité du trafic d'esclaves.
... c'est simple, dit un autre leader africain :
on est divisés en ethnies en Nations... qu'on demande à chaque
ethnie d'évaluer un peu ses pertes. Aujourd'hui en Afrique, dans chaque
ethnie vous avez des intellectuels. Vous avez des historiens, des philosophes,
des scientifiques et tout. On peut demander à chaque ethnie donc, en
fonction de ses pertes, d'évaluer. Donc chaque ethnie va évaluer,
et chaque pays, nation va mettre en groupe ces évaluations-là, et
les chefs d'États vont se retrouver: chacun va présenter son
tableau (AFR03).
Cette dernière proposition paraît peu
réaliste pour plusieurs raisons : d'abord, ces «ethnies»
en Afrique correspondaient au moment des faits à des royaumes, comme
celui du Dahomey dans l'actuelle République du Bénin, royaumes
à l'intérieur desquels il y avait de complexes
hiérarchisations sociales ; ceci signifie que certains descendants
de ces ethnies avaient eux aussi le statut d'esclaves sur lesquels les
souverains avaient droit de vie et de mort. Ensuite, ces
différentiations sociales - qui ont été d'ailleurs
brouillées par la colonisation -, avec les complexes
d'infériorité et les conflits interethniques qu'ils engendrent,
sont aujourd'hui devenues un facteur de précarité et
d'instabilité politique pour ces jeunes États africains. Ceci
expliquerait que ces derniers - surtout avec l'épouvante du
génocide rwandais - ne veuillent aucunement ressusciter des vieux
clivages sociaux ou des rapports de domination interethnique.
Or, la situation est différente dans le cas des
États esclavagistes occidentaux : premièrement, ces derniers
étaient pour la plupart des États unitaires au moment des faits,
c'est-à-dire que leurs institutions politiques étaient
centralisées et réglementées par des
lois écrites et précises ; deuxièmement, ils en ont
tiré des profits qui en font encore aujourd'hui des puissances
économiques ; enfin troisièmement, ils ont encore des
compagnies enrichies par l'esclavage, transformées, mais toujours en
activité. Seulement, cette information ne résout pas le
problème des modalités de compensation des Africains et
Afro-descendants :
If you ask for money, all right. For argument's sake,
let's say the United States say Yes, we going to pay reparation. And Canada say
Yes, we're going to put some money, who's going to get the money? How you're
going to do it?(ANG02).
Et un autre de répondre :
We're not going to be able to do it. Then there is another
group, a third group [après les Africains esclavagistes et les
non-esclavagistes], of those of us who were the victims of that because of
the psychological damage that has been done. Which is huge. How do you put a
price tag on that? (ANG03).
En effet, comment évaluer les dommages psychologiques
causés, les torts et les discriminations subis par les
Afro-américains, et comment chiffrer ces humiliations sans tomber dans
le piège de la «marchandisation» de la souffrance humaine, ce
qui, justement, était la logique esclavagiste ?
Moi la réparation, j'y crois pas, tranche un
leader haïtien. Je suis de ceux qui ne sont pas d'accord avec le
principe de réparation. Je crois qu'il y a eu un crime face à
l'humanité qui était l'esclavage, et que nos ancêtres se
sont battus pour sortir de l'esclavage, je ne vois pas pourquoi, en termes de
réparation, on voit cette réparation comme étant
monnayable. C'est ça qui me dérange. Moi je pense que ce qui est
important, c'est que la société admette qu'il y a eu un crime
contre l'humanité, et par le fait qu'il y aura d'esclaves ensuite, que
la société en général s'engage à ce qu'il
n'y aura plus de conditions infra humaines (HTI04).
Pour ce leader, la réparation, si elle est autre que
symbolique, ne fera que galvauder la souffrance des vraies victimes de
l'esclavage, et il vaut mieux garder le bénéfice de la
victimité : «C'est comme si j'aurais plus à dire
finalement qu'on a été esclaves, parce que j'ai été
payé pour ne pas le dire» (HTI04). Il va alors
préférer à la réparation matérielle ou
à la compensation, la «reconnaissance» officielle qui est
déjà une réparation symbolique.
Finalement, l'option symbolique s'impose et les propositions
sont nombreuses :
- en faveur de l'éducation populaire :
C'est tout à fait simple. Ne serait-ce que dans les
manières scolaires, dans l'éducation, etc.... faire en sorte que
les gens en soient avisés. C'est comme ça... faire en sorte que
ça fasse partie du patrimoine, rappeler aux jeunes que le traducteur qui
accompagnait Champlain, c'était un Noir ; il s'appelait Mathieu Da
Costa. Tu vois c'est purement et simplement leur apprendre aussi que le chemin
de fer qui traverse le pont Victoria, ça a été construit
avec beaucoup d'ouvriers noirs, etc., etc., que la communauté noire est
pratiquement un peuple fondateur ; ils sont là longtemps, les Noirs
(HTI04).
- en faveur de l'emploi et de la formation des
communautés «noires»
Je pense que ça peut être appliqué en
une façon de donner un coup de pouce aux gens de la communauté
noire. On peut parler de l'éducation, pour mettre certains montants
à part pour aider à l'éducation des gens de la
communauté noire. On peut parler d'emploi, pour mettre certains montants
à côté, pour aider dans l'emploi des gens de la
communauté noire. Je pense que tout ça peut aider
(ANG01).
- en faveur de l'aide internationale aux pays
d'origine :
Elle peut prendre aussi des formes en terme d'un plan
spécial d'aide aux pays africains, aux peuples de la Caraïbe, elle
peut prendre des formes de mise en place de politiques d'aide massive... il y a
toutes sortes de mécanismes qu'on peut envisager. Le problème,
c'est d'abord de reconnaître la faute, de reconnaître qu'il y a un
devoir de réparation (HTI03).
Pour mieux comprendre le réalisme et l'articulation de
la revendication, il nous paraît utile de prendre en compte un
développement important survenu 2001 : la Conférence de
Durban mentionnée en introduction et dans le premier chapitre.
- Les leçons de Durban
La conférence de Durban a servi de muse pour cette
recherche, mais aussi de baromètre pour les personnes
interrogées. Les leçons qu'elle nous a inspirées - nous,
interviewer et interviewés - permettent de mieux comprendre les
positions adoptées par les leaders interrogés. Les plus
optimistes ont refusé d'en faire un constat d'échec (
«...it was a success from the standpoint that the dialogue took
place... (ANG03)), mais l'opinion majoritaire est qu'elle fut un naufrage.
Selon l'analyse des leaders, cette débâcle est attribuable
à un concours de circonstances qui sont :
- la déflexion de la conférence par la cause
palestinienne qui était perçue comme incongrue à ce stade
et en ce moment.
- La mauvaise articulation de la cause par les premiers
concernés, les Afro-descendants des Amériques.
- La déresponsabilisation des uns et
l'extrémisme des autres pays africains quant à la formulation de
la demande de réparation.
- Le défaut de conciliation et d'objectivité (
«It failed because maybe, the aspiration was too high.»
(ANG02)) par rapport aux objectifs de la conférence.
- Enfin, et en lien avec la cause précédente, la
faiblesse politique, économique et militaire de toutes les nations
africaines et afro-descendantes à travers la planète.
Toutes ces positions sont résumées dans cette
analyse d'un leader anglophone :
...in my opinion, over the years, if you want something,
you either, you've go to have force, physical force ; you have to have finance,
lots of money. And the third way, you've got to be very articulate. OK? That's
the three way. The first, Black people across the world do not have power. What
you gonna use, a slingshot and stones? The guy have guns. [...] Once
you can articulate your needs, and you have right minds of people talking on
behalf of the Black community across the globe, then you will begin to go
somewhere. Don't talk about violence, because you have no way to do that. Don't
talk about finance, you don't have it. So that's my point. I think, my opinion,
from when I listen to them, I thought: «You go to Durban, you make a big
story, you're not going to go nowhere» (ANG02).
Ainsi, on peut supposer que les leçons de la
Conférence de Durban ont influencé les démarches de
revendication dans le contexte québécois.
5.3. Les stratégies de revendication dans le
contexte québécois
Comme nous l'avions démontré dans les chapitres
précédents, les rhétoriques identitaires et
mémorielles des Africains et Afro-descendants du Québec sont
essentiellement ancrées sur le racisme, hic et nunc, ainsi que
les formes contemporaines de discrimination rencontrées ici même
au Canada. Dès lors, la finalité de la revendication de
mémoire est de «changer l'image» laissée par
l'histoire, à la fois à propos des Afro-descendants et
dans leurs consciences. Un leader africain témoigne par
exemple :
J'ai eu à donner une conférence à la
prison de Laval devant des prisonniers noirs, des jeunes ; quand je leur ai
révélé ce jour-là, toutes ces informations, il y en
a beaucoup qui ont pleuré et qui m'ont dit qu'ils n'auraient jamais pu
s'imaginer qu'un Noir puisse être autre chose qu'un criminel ou un
trafiquant de drogue (AFR02).
5.3.1. Changer l'image
Parmi les solutions proposées par les leaders pour
changer l'image reçue par la société à propos des
«Noirs», on peut citer par ordre d'importance ou de
prépondérance dans les discours :
- L'accès aux médias :
Ce n'est pas un problème que les gens mentent sur
nous, dans les grands médias, mais qu'on ait le droit, la
possibilité de rectifier ces mensonges. Et ça, c'est un
problème fondamental. Et tant que ce problème-là ne sera
pas résolu, la perception catastrophique que l'individu moyen aura de
nos communautés, cette perception perdurera, même si les gens sont
de bonne foi. Parce que seule une image peut détruire une autre
image (AFR02).
On évoque à cet effet les chartes du
Québec et du Canada qui interdisent «de donner une image
dénigrante d'un individu ou d'un groupe d'individus. »
- Marquer la présence des «Noirs» dans les
symboles authentiquement québécois ;
... ici on va voir par exemple des rues qui portent des
noms de grands hommes politiques français, d'hommes politiques
américains, John Kennedy...etc., mais des héros africains, il y a
des héros haïtiens qui sont absents. Peut-être que dans les
prochaines décennies, c'est ces genres de choses qu'on doit revendiquer
au Québec, comme pour marquer une certaine présence des
communautés noires et afro-descendantes de la société
(HTI04).
- L'introduction de l'«Histoire des Noirs» dans le
système éducatif :
I have a problem for that in the schools there, and I
fight for that. To put in the schools books, photographs of great leaders, and
photographs of great things that have been done in Africa. You don't see that
in the schools in Montreal and in Quebec and in Canada. So I have a problem
that we need to, historically, to begin to teach both the White kids and the
Black kids that Black people are very important people, and that Black people
are very inventive people (ANG02).
- L'accroissement de l'influence culturelle des Africains et
Afro-descendants au Québec, par exemple par la création d'un
Musée de l'Histoire des Noirs :
I think from the standpoint of initiating the development
of a Black museum, because I think that in the creation of a Black museum in
this province - and we've made a request to the government for resources to do
that - I think what it will do in effect is kind of give, allow us to create an
avenue in which to seek out, not just the resources to archive our history, but
also the resources to present our history back to society. So I would have to
say, yes, we've initiated it through the development of a Black Museum and
Cultural Centre (ANG03).
Pour beaucoup de ces initiatives, des démarches ont
déjà été initiées et sont en cours. Mais les
leaders les plus pragmatiques, ne veulent pas se contenter du symbolique ;
s'ils s'opposent à toute logique conflictuelle, les résultats
qu'ils attendent de leur action collective sont matériels et
concrets.
5.3.2. Changer les conditions de vie des immigrants africains
et afro-descendants
Toujours dans la logique pragmatique de cette catégorie
de leaders, les solutions proposées sont très
matérielles :
- La «solution, c'est l'argent»
... c'est vrai qu'un peuple qui domine a toujours des
préjugés envers les dominés. Et ça a toujours
été comme ça et ça serait toujours comme ça.
Et le moyen, c'est l'argent. Quand vous avez l'argent, c'est fini :
ça règle tout le problème. Un Noir qui est riche, il ne
connaît pas le problème de la discrimination raciale puisqu'il est
accueilli partout. Mais un Noir qui est pauvre, lui il va connaître
ça parce qu'à certains endroits, il va être
refusé (AFR03).
- Favoriser l'éducation et la formation des
«Noirs»
I think that the only way, as I said before, the only way
we're going to make a real change into the perception of the Black and White is
through education. The more educated you people get, then you're at the same
level with your counterparts in the White society. So they don't talk down at
you, they'll be talking to you (ANG02).
Comme conclusion à ce chapitre, on peut
récapituler en dressant la représentation suivante : ceux
qui ont subi les humiliations du passé (esclavage, colonisation,
ségrégation) l'ont subi fondamentalement parce qu'ils
étaient d'abord différents, ensuite pauvres et militairement
faibles, donc pour les mêmes raisons auxquelles les Africains et
Afro-descendants d'aujourd'hui sont identifiés. Or, par le biais de
la tradition ou de la transmission de la mémoire collective, l'histoire
confère au passé une autorité transcendante.
L'évacuation chez soi-même de la conscience de victime passe par
la construction et la validation de la culpabilité d'autrui (de l'ancien
bourreau, ses héritiers, ses symboles ou ses substituts). C'est pour
quoi, comme le montre Candau, la réactivation et l'adaptation des
souvenirs au contexte sociopolitique présent, permettent à la
mémoire collective, nécessairement sélective, de remplir
parfaitement son rôle qui est
... d'assurer une continuité fictive ou
réelle entre le passé et le présent, mais aussi de
satisfaire une logique identificatrice au sein du groupe en mobilisant à
bon escient la mémoire autorisée d'une tradition. L'acte de
mémoire qui se manifeste dans l'appel à la tradition consiste par
conséquent à exhiber, en l'inventant si nécessaire,
un morceau de passé taillé aux mesures du
présent11(*),
de telle sorte qu'il puisse être une pièce du jeu identitaire
(1998, P. 117).
La tradition ici chez les Africains et
Afro-descendants du Québec, c'est celle de la justice sociale telle que
léguée par le Mouvement noir des États-Unis des
années 60. La lutte se poursuit et l'objectif est le même, mais le
discours se transforme et s'adapte au contexte de progrès social et
politique où évolue le groupe «racisé», à
l'échelle locale.
CONCLUSION
Les discours sur le devoir de mémoire parmi
les leaders africains et afro-descendants de Montréal sont nettement
tributaires, non pas seulement du contexte politique du Québec, mais
aussi et surtout du sentiment d'intégration, à la fois
socioprofessionnelle et symbolique des membres de leurs communautés :
«...nous travaillons à rappeler l'existence de ce qui fonde ce
racisme moderne, de ce qui fonde la discrimination des communautés
afro-américaines, et c'est la traite négrière et
l'esclavage. » (HTI03), a dit un leader. L'accent sera alors mis sur
l'«image» qu'autrui a de soi, et le sentiment d'exclusion sociale est
vécu comme une conséquence de l'histoire générale
des peuples africains et afro-descendants. Cette conclusion s'est
imposée à la suite de trois observations répondant
à nos trois questions de recherches :
- les discours identitaires opèrent sur deux paliers
distincts et clairement identifiables que sont l'auto-définition,
donnant lieu à une identité régressive, à la
«poupée russe» (Noir, mais aussi Africain, mais aussi
Ivoirien, mais aussi du groupe Baoulé) et
l'altéro-définition, plutôt progressive, se résumant
à la gestion du jugement d'autrui, du regard des «autres» sur
son groupe d'appartenance. Le premier palier est régressif parce que se
décomposant en des origines nationales ou ethniques et perdant tout son
sens dans le contexte québécois, utile à la quête
existentielle, mais inopérant dans la revendication de mémoire ;
mais le second palier identitaire, même flou et aux contours incertains,
paraît plus efficace comme réponse à la négation de
droits humains, subie par les peuples africains et afro-descendants,
négation initiée par l'esclavage et perpétuée par
le racisme et les politiques de ségrégation.
- La mémoire étant directement liée
à l'identité, tel que démontré dans le cadre
d'analyse, la mémoire que l'on peut dire «collective» chez les
Africains et Afro-descendants de Montréal est essentiellement
rivée sur le second palier identitaire, palier de l'identité
artificielle, circonstancielle, en perpétuel
réaménagement, et qui s'appuie sur l'histoire
générale de l'esclavage complétée par des
découvertes plus récentes sur l'histoire des «Noirs» au
Québec ; le premier palier donne lieu en effet à des
mémoires plus précises, mais éclatées,
dispersées et non utiles à la revendication politique dans le
contexte québécois. Or ce premier palier s'avère plus
approprié que le second, quand il s'agit la transmission aux secondes
générations d'immigrants pour surmonter la crise identitaire.
- Les représentations du devoir de mémoire se
polarisent en deux tendances qui ne correspondent - en tout cas pour le cadre
et l'envergure de cette recherche - ni aux groupes culturels afro-descendants
(Haïtiens, Africains, Anglophones) ni aux orientations politiques des
leaders (souverainistes ou fédéralistes), mais semblent
plutôt dépendre des visions que ces derniers ont, comme individus,
de la justice sociale et des méthodes de gestion des rapports de force.
Sinon, en termes d'unanimité, ils considèrent tous que le
Québec a un devoir de mémoire envers les Africains et
Afro-descendants ; que malgré la moindre ampleur de l'esclavage et
son statut de dominé, le pouvoir politique au Québec doit aux
Afro-descendants de développer à la fois des initiatives
symboliques et des politiques sociales pour les aider à renverser
l'image déshumanisée laissée par l'esclave et
aggravée par les médias imprudents ou sensationnalistes.
Cependant, les deux pôles de différentiation portent sur
l'attitude à adopter dans ces revendications et sont :
· d'une part les partisans de la conciliation, refusant
la logique processive ou chicanière, avec un discours plutôt
moraliste, mais opportuniste et «jouant le jeu» des influences
politiques.
· d'autre part, nous avons distingué les leaders
«militants», beaucoup plus actifs, au discours plus légaliste,
souvent «réparationistes», mais se heurtant au défaut
de réalisme et à la réalité de leur impuissance
face aux pouvoirs politiques qu'ils interpellent.
À titre illustratif, on peut évaluer que les
deux extrêmes se retrouvent dans les trois groupes de notre
échantillon, dont ils représentent environ 40%, la grande
majorité des leaders restant fermes, articulés, mais relativement
modérés. Deux leaders se sont déclarés
opposés à toute logique militante et se sont dissociés de
toute rhétorique «raciale», contre trois qui en appellent
à la lutte engagée pour la réparation ou la
reconnaissance. Cette polarisation des attitudes rappelle les études
faites par Gunnar Myrdal dès 1962, où le sociologue
suédois identifie deux types de leaders ethniques : les
«accommodation leaders» et les «protest leaders».
Les accommodation leaders ne remettent pas en
cause le système de caste dont ils n'ont pas pour objectif le
renversement. Dans ce sens, il s'agit d'un leadership statique. Toutefois, ils
ont pour but d'arriver à la meilleure adaptation possible du groupe
à la société. Ils s'efforcent ainsi d'arracher par la
négociation et le compromis, les meilleurs aménagements possibles
pour le groupe. Quant aux protest leaders, ils refusent l'ordre
établi. Leur principal objectif est la destruction de la
société divisée en caste. Ils se situent donc clairement
dans une optique dynamique. Ils risquent en outre de développer des
stratégies d'opposition pouvant aller jusqu'à l'emploi de la
force physique (dans Martiniello, 1992, p.53).
Il est intéressant de remarquer que les
accommodation leaders sont les préférés des
classes politiques dirigeantes de la société d'accueil ou
société dominante, qui trouvent ainsi dans cette polarisation, la
faille permettant le maintien des rapports de force. Mais une question cruciale
reste posée à savoir : pourquoi, face aux mêmes
enjeux, dans les mêmes contextes, des leaders d'un même groupe
«racisé», voire d'un même groupe ethnique prennent des
options diamétralement opposées, ou adoptent des attitudes
contraires?
À cette question, nous ne pouvons que constater que
nous touchons ici aux frontières entre le sociologique et le
psychologique, frontières que nos compétences ne nous permettent
pas de franchir. Si par ailleurs, les trois constats exposés plus haut
répondent à nos questions de recherches, notre cadre d'analyse a
permis encore plus de comprendre le procès de l'histoire qu'intentent
les Montréalais d'origine africaine ou afro-descendante.
En effet, Touraine avait souligné l'importance du
symbolique dans les revendications des «nouveaux mouvements sociaux».
Et justement ce qui est nouveau dans ce mouvement social, par rapport au
Mouvement noir des années 60, c'est l'accent mis désormais sur
l'«image» et l'«estime de soi» plutôt que - ou mieux
que - sur les droits et la justice sociale. Ces derniers arguments ne sont pas
totalement évacués, mais leur rôle dans les discours de
revendication est devenu secondaire et ils sont de moins en moins bien
articulés. Le racisme et les discriminations envers les
«Noirs» sont devenus difficiles à pointer parce que justement
combattus et sanctionnés sur tous les fronts juridiques et
éthiques, et ce, dans toutes les sociétés modernes. Ils se
sont cependant réfugiés dans les sphères privées,
ceux de la liberté et des comportements individuels, devenus
difficilement contrôlables : ils sont entrés dans le domaine
des «goûts» et des préjugés, des symboles et des
subjectivités individuelles ; c'est là,
précisément, que la mémoire est sollicitée, avec
ses interprétations sélectives et subjectives, pour combattre ces
racismes et discriminations désormais ancrés dans
l'image reçue, et donc devenus insaisissables. Finalement, le
but de l'action collective n'est plus de changer historiquement la
société - en tout cas, plus au point de vue légal -
mais de changer socialement l'histoire, c'est-à-dire inverser
l'image laissée par l'histoire dans le regard du reste de la
société.
Seulement, cette démarche se heurte
nécessairement à de nombreux défis parmi lesquels, le
désintérêt des membres des communautés africaines et
afro-descendantes vis-à-vis des débats ou enjeux d'histoire, le
manque de moyens financiers et aussi d'organisation, les replis identitaires
sur les nationalités d'origine ou sur l'affirmation des
individualités, etc. La volonté des Africains et Afro-descendants
d'affirmer leurs identités propres, leurs qualités de
sujets, de maîtres de leurs volontés et de leurs choix
sociaux et politiques, - cette exigence d'indépendance - a
été une donnée fondamentale dans la rhétorique
identitaire : elle oblige les leaders ayant une tendance holistique
à plus de modération, de calculs, de nuances, de concessions,
mais aussi de rigueur dans la formulation de leurs revendications et dans la
négociation de la mobilisation. Ainsi, l'opposition, qui est le
second principe des mouvements sociaux après l'identité,
devient plus modérée et plus raisonnée. Le
troisième principe énoncé par Touraine, celui de
totalité a aussi pris dans cette recherche tout son sens.
En effet, l'autre constat important qui est issu de cette
analyse est le caractère universaliste des revendications de
mémoire ; les leaders ont, pour la plupart, insisté sur
l'intérêt de leurs revendications pour l'ensemble de la
société québécoise ; il transparaissait
à travers les discours une volonté de faire partie
intégrante des symboles et de l'histoire du Québec, y compris
chez les leaders anglophones. Si tous ont, de différentes
manières, mis l'accent sur ce caractère universaliste de leur
requête, deux leaders vont expressément rappeler la
célèbre «I have a dream» de Martin Luther King,
où celui-ci dit rêver d'une société où l'on
ne jugera plus les humains par leur couleur de peau. Le lien historique avec le
mouvement noir est tout aussi explicite.
Néanmoins, les leaders reconnaissent que beaucoup de
progrès ont été accomplis au niveau provincial, où
leurs doléances collectives sont de plus en plus prises en compte. Ils
sont donc optimistes pour la satisfaction de leur revendication. Au total, le
devoir de mémoire signifie pour la plupart des leaders
africains et afro-descendants à Montréal, des actions politiques
concrètes qui facilitent la vie quotidienne de leurs communautés
en leur permettant de relever le défi des préjugés
racistes qui présument l'infériorité intellectuelle et
culturelle des «Noirs».
Ce qu'il serait intéressant de mesurer à travers
des recherches plus étendues, c'est le degré de partage de ces
représentations parmi les communautés elle-mêmes,
c'est-à-dire parmi les populations afro-québécoises ;
nous prédisons sur la base de notre expérience à travers
cette recherche, que les résultats seront sensiblement les mêmes.
Mais pour l'instant, au-delà des intérêts partisans ou de
groupes, il faut remarquer qu'à travers notre recherche c'est surtout la
problématique du «vivre ensemble» qui était en jeu, de
vivre en harmonie entre Québécois de toutes origines. Dominique
Schnapper l'atteste, et illustre pertinemment notre position en la
matière :
Les débats collectifs sur le passé,
dit-elle, fondent une démocratie, qui devrait accepter de
reconnaître ses erreurs, ses fautes ou ses crimes. La politique a aussi
une dimension morale. Assumer son passé - non pas tout son passé,
ce qui est impossible, mais celui qui a encore du sens aujourd'hui - fait
partie des conditions de la pratique démocratique. Le débat
collectif sur le passé, la reconnaissance des fautes collectives, sont
nécessaires pour fonder une démocratie véritable
(1999, p. 100.).
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BARSOTTI, B. (2001). La représentation dans la
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DURKHEIM, E. (1991). Les formes élémentaires
de la vie religieuse, Paris : Le livre de poche.
FREEMAN, C. L. (1968). Patterns of Local Community
Leadership. New York: Irvington Publisher (p. 13)
GRIZE, J.-B. (1990). «Représentation et
schématisation», «L'omniprésence de
l'argumentation» et «Structure d'ensemble», dans Logique et
Langage. Gap, Ophrys
JODELET, D. (1997). «Représentation sociale :
phénomènes, concept et théorie», dans S. Moscovici
(dir.) Psychologie sociale, Paris : PUF (Le psychologue).
JODELET, D. (1991). Les représentations
sociales, Paris : PUF
LABELLE M. (1993). « Problématique
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Le discours des leaders d'associations ethniques de la région de
Montréal », Les cahiers du Centre de recherche sur les
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MARTINIELLO, M. (1992). Leadership et pouvoir dans les
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MENDENHALL, V. (1990). Une introduction à l'analyse
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MOSCOVICI, S. (1976). La psychanalyse, son image et
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PAILLÉ, Pierre, Alex Mucchielli (2003).
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ROUQUETTE, M-L et Patrick RATEAU (1998). Introduction
à l'étude des représentations sociales, Presses
Universitaires de Grenoble
WOOD, L. et Rolf O. KROGER. (2000). Doing Discourse
Analysis : Methods for Studying Action in Talk and Text, London : Sage
Publications
ANNEXE 1 :
Grille d'entrevue
Entrevue auprès des leaders africains et
afro-descendants, formels et informels de Montréal
Thème :
Les représentations du « devoir de
mémoire » en contexte de démocratie plurielle
(Grille d'entrevue)
Par
Brice Armand Davakan
PRÉAMBULE
Bonjour.
Mon nom, c'est Brice Armand DAVAKAN. Je suis étudiant
en sociologie à l'UQÀM.
Le motif de ma rencontre avec vous est ma recherche portant
sur le « devoir de mémoire » dans les communautés
africaines et afro-descendantes de Montréal. Mon objectif de recherche
est de déterminer votre position en tant que leader formel ou informel
de votre communauté, sur le thème actuel de « devoir de
mémoire », c'est-à-dire la série des appels pour une
prise en compte dans la vie et dans les actions sociales,
d'événements historiques donnés. Cette
problématique est la même que celle soulevée par «
La conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est
associée », conférence tenue à Durban en
Afrique du Sud, du 31 août au 8 septembre 2001. Dans le cas des Africains
et Afro-descendants, ce « devoir de mémoire » toucherait
précisément à l'esclavage des populations africaines,
à la colonisation et la survivance du racisme sous diverses formes.
Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de
participer à cet entretien.
Votre participation est volontaire et j'aimerais
préciser que vous pouvez interrompre l'entretien à tout moment.
Vous pouvez aussi choisir de ne pas répondre à certaines
questions. Soyez assuré que cette entrevue est strictement
confidentielle, et que les propos rapportés dans le mémoire
seront absolument anonymes. Cependant, pour l'exactitude des informations qui
seront recueillies, nous aimerions, si vous le permettez, enregistrer
l'entrevue. Les disques compacts (CD) seront conservés à des
fins d'archivage sous tiroir sellé, et vous pourrez y avoir accès
en tout temps, sur demande.
L'entrevue prendra entre 60 et 90 minutes, et comporte CINQ
sections.
Avant de débuter, j'aimerais savoir si vous avez des
questions à me poser.
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
J'accepte de participer aux recherches de l'étudiant
Brice A. Davakan sur le thème « Les représentations du
devoir de mémoire en contexte de démocratie plurielle »,
recherches menées dans le cadre de sa Maîtrise en Sociologie
à l'Université du Québec à Montréal
(UQÀM).
J'accepte de lui accorder une entrevue individuelle, et je
suis informé que je peux à tout moment mettre fin à ma
participation ou refuser de répondre à certaines questions.
J'accepte que l'entrevue soit enregistrée et
gravée su des disques compacts (CD), en sachant qu'il me sera possible
de l'écouter si je le désire. Seuls l'étudiant-chercheur
et Mme Micheline Labelle, sa directrice de mémoire, auront accès
à ce disque audio et à sa retranscription. Le contenu de
l'entrevue ne devra servir qu'aux fins de ce mémoire de maîtrise,
dont le dépôt final pourra utiliser les résultats ou des
extraits d'entrevue à condition qu'il soit impossible
d'identifier qui que ce soit.
Clause additionnelle :
-----------------------------------------------------------------------
-----------------------------------------
-----------------------------------------
Nom de l'interviewé (e)
Nom de l'interviewer
------------------------------------------
------------------------------------------
Signature de l'interviewé (e)
Signature de l'interviewer
--------------------------------------------
Date de l'entrevue.Section 1 :
PROFIL DU RÉPONDANT
Sous-section 1 : Les caractéristiques
socio-démographiques du répondant
D'abord, j'aimerais vous poser quelques questions
personnelles. Ces renseignements vont nous aider à identifier notre
échantillon de répondant(e)s.
1. Sexe
Féminin
Masculin FORMCHECKBOX
2. À quelle tranche d'âge appartenez-vous?
Moins de 24 ans
De 25 à 34 ans
De 35 à 44 ans
De 45 à 54 ans
55 et plus
Refus de répondre
3. Êtes-vous né au Canada?
Oui
Sinon, où ?
................................................
Refus de répondre
4. Êtes-vous citoyen(ne) canadien (ne)?
Oui Refus de répondre
Préciser si plusieurs :
5. Quelle est votre langue maternelle et votre langue d'usage
à la maison ?
Français
Anglais
Autre(s)
Refus de répondre
Préciser si autre ou plusieurs:
............................................
6. Quel est votre secteur professionnel et quel (s)
diplôme (s) avez-vous complété et dans quel (s) domaine
(s)?
Domaine :
...............................................
Aucun FORMCHECKBOX
Diplôme d'études secondaires FORMCHECKBOX
Diplôme d'études collégiales FORMCHECKBOX
Baccalauréat
FORMCHECKBOX
Maîtrise
Doctorat FORMCHECKBOX
Autre (s)
Préciser
....................................................
Ne s'applique pas
7. Avez-vous une appartenance religieuse? Laquelle?
Refus de répondre
Ne s'applique pas
.......................................
Sous-section 2 : Cheminement de la personne
interrogée
Objet de la section : Dégager l'histoire et le
cheminement du leader à l'intérieur ou à
l'extérieur de sa communauté.
Nous allons maintenant aborder des questions qui
concernent votre engagement au sein de votre communauté ou en dehors.
Ces renseignements vont nous permettre de mieux comprendre votre cheminement
personnel.
8. Quel (s) rôle (s) avez-vous assumé jusqu'ici
dans votre communauté ?
Refus de répondre
Ne s'applique pas
Détails :
........................
9. Depuis quand vous êtes-vous engagé
auprès de cette communauté ?
Plus de 15 ans
Entre 11 et 15 ans
Entre 6 et 10 ans
Entre 1 et 5 ans
Moins d'un an
Refus de répondre
Ne s'applique pas
10. Qu'est-ce qui a motivé votre engagement
dans cette association ?
Refus de répondre
Ne s'applique pas
Détails
11. Êtes-vous actuellement engagé dans d'autres
associations, mouvements, organismes ou partis politiques ?
Oui
Non
Refus de répondre
Ne s'applique pas
Si oui, énumérer et préciser s'il s'agit
du pays d'origine ou du Canada:
Associations, organisme:
Partis politiques (municipal, provincial,
fédéral):
12. Comment vous situez-vous idéologiquement
?
Au besoin, suggérer (droite/gauche ;
libéral/socialiste; altermondialiste.... )
Oui
Non
Refus de répondre
Ne s'applique pas
Détails:
..............................................................................
13. Pouvez-vous décrire le fonctionnement de votre
association et les sources de son financement (par exemple les
mécanismes de travail) ?
Oui
Non
Ne s'applique pas
Décrire :
Section 2 :
IDENTITÉ REVENDIQUÉE
Objectif de cette section: Définir l'espace
identitaire auquel le leader se réfère et pour lequel il
s'implique socialement.
Nous allons maintenant aborder des questions qui portent
sur le groupe, les femmes et les hommes à qui vous comptez faire
profiter votre engagement social au Québec.
14. Votre action est-elle en faveur d'un groupe ou d'une
communauté particulière à Montréal?
Oui
Non
Refus de répondre
Si oui, Comment désignez-vous se groupe et pourquoi?
...........................................................................
15. Avez-vous des liens avec d'autres groupes ou
organisations africaines ou afro-descendantes ?
Oui
Non
Refus de répondre
Ne sait pas
Ne s'applique pas
Précisez : .................
16. Y a-t-il selon vous un motif d'action collective unissant
les Africains et Afro-descendants vivant au Québec et à
Montréal?
Oui
Non
Refus de répondre
Précisez : .....................
17. Les Africains et Afro-descendants de Montréal ont
plusieurs façon de s'identifier : comme Haïtien,
Jamaïcain, Sénégalais, Africain, Caraïbéen,
Haïtiano-Québécois, Canado-jamaïcain, Afro-canadien,
Noir, Noir-canadien, etc. Dans votre cas personnel et celui de votre
communauté (si les deux diffèrent), comment vous
identifiez-vous?
Refus de répondre
Justifiez votre réponse :
................................
18. Comment décririez-vous la situation sociale et
politique des africains et afro-descendants du Québec aujourd'hui?
Section 3 :
LE « DEVOIR DE MÉMOIRE » AU SEIN DES
COMMUNAUTÉS
Objectif de la section : Déterminer la conception
qu'a le leader de la « mémoire collective », notamment celle
qui touche à l'esclavage des populations africaines et à la
colonisation des africains et afro-descendants, ainsi que des problèmes
liés à la transmission de cette mémoire.(note : le
terme histoire et préféré ici à
mémoire, non pas comme substitut, mais pour garder l'avantage
de l'objectivité, qu'il a sur la notion de mémoire,
notion nécessairement « subjectivante »).
Parlons maintenant des trajectoires historiques des
peuples africains et des afro-descendants....
19. Vous sentez-vous relié à une histoire
différente de l'histoire générale du Québec
où vous habitez ?
Oui
Non
Refus de répondre
Pourquoi ?: ..................
20. Est-il important selon vous que vos successeurs ou vos
descendants l'histoire des peuples africains et afro-descendants ?
Oui
Non
Refus de répondre
Comment (par quels moyens) et pourquoi ? :
.........
21. Y-aurait-il selon vous des obstacles ou des
difficultés à la transmission de votre histoire (mémoire)
personnelle ou collective à vos successeurs ou descendants? Si oui quels
sont ces obstacles ou difficultés et pourquoi le sont-ils ?
Oui Non
Refus de répondre
Ne sait pas
Ne s'applique pas
......
Section 4 :
LA REVENDICATION DE MÉMOIRE ET LA
POLITIQUE.
Objectif de cette section : Comprendre comment le leader
envisage la prise en compte de la mémoire collective sur la scène
politique, et comment la pluralité des « revendications de
mémoire » peut-être gérée.
La quatrième section de notre entrevue porte sur
le processus de revendication de votre histoire ou « devoir de
mémoire ».
22. Votre association, communauté ou vous-même
avez participé à la Conférence de Durban?
Oui Non
Refus de répondre
Si oui, indiquer avec quel support (soutien financier
fédéral, provincial, etc.) et de quelle manière:
...............
Sinon, pourquoi:
............
23. Quel fût selon vous l'impact de la
Conférence de Durban sur les débats au sein de votre
communauté?
Ne s'applique pas
Détails
24. Quelle est votre position ou la position de votre
communauté (ou association) face à la Conférence de
Durban?
Refus de répondre
Ne s'applique pas
...............
25. Par vous-même ou votre communauté avez-vous
déjà initié des démarches pour la reconnaissance
officielle d'un ou de plusieurs faits dans l'histoire de votre
communauté au Québec?
Refus de répondre
Ne s'applique pas
Pourquoi et comment avez-vous procédé ?
26. Que pensez-vous (ou votre association) du thème de
la réparation à l'égard des
minorités d'ascendance africaine?
Refus de répondre
Ne sait pas
Ne s'applique pas
27. Pensez-vous que l'ensemble de la
société québécoise a un « devoir de
mémoire » envers les africains, envers les afro-descendants ou les
deux à la fois?
Oui
Non
Refus de répondre
Ne sait pas
Pourquoi ?:
28. Comment devrait-on organiser selon vous la gestion de
toutes les revendications de mémoire au Québec dans le domaine
politique?
Refus de répondre
Ne sait pas
Réponse : .....................
39. Estimez-vous que les stratégies et les actions
entreprises par votre association, votre communauté ou des associations
amies aient eu de l'impact au niveau municipal, provincial,
fédéral ou international?
Oui Non
Refus de répondre
Ne s'applique pas
Si oui, décrire les changements :
........................
Section 5 :
EN GUISE DE CONCLUSION
Objectif de la section : Prendre en compte les
préoccupations du leader qui ne sont pas abordées dans cette
recherche, dans le cadre des trois thèmes abordés.
Cette section est prévue pour que vous puissiez
parler des aspects qui vous intéressent personnellement dans notre
recherche...
30. Y a-t-il sur l'identité, la mémoire
collective ou le « devoir de mémoire » des aspects sur
lesquels vous aimeriez revenir?
Oui
Non
Si oui le (s) quel (s), et pourquoi cela vous paraît
important?
...........................
31. Pour terminer, comment voyez-vous l'avenir des africains
et des afro-descendants du Québec : êtes-vous optimiste ou
pessimiste?
Optimiste Pessimiste
Pourquoi?
..................................................................
Je vous remercie de m'avoir accordé cette
entrevue
Avez-vous des suggestions pour améliorer notre
schéma d'entretien?
OBSERVATIONS DE L'INTERVIEWEUR
Durée de l'entretien : heure:
________minutes_________
Date de
l'entretien_____________________________________________
Langue de
l'entrevue____________________________________________
Commentaires de l'intervieweur qui aideraient à mieux
comprendre les réponses du répondant.....
Quelles questions ont créé des
difficultés particulières ou n'ont pas été
comprises par le répondant?
Annexe 2 :
Grille d'entrevue (version anglaise)
Entrevue auprès des leaders africains et
Afro-descendants, formels et informels de Montréal
Thème:
Les représentations du « devoir de
mémoire » en contexte de démocratie plurielle
(Grille d'entrevue, version anglaise)
Par
Brice Armand Davakan
PRELIMINARIES
Hello.
My name is Brice Davakan. I am a master's student in Sociology
at Uqam.
My reason for meeting with you is my
research on «the duty of remembrance» among Africans and
Afro-descendants living in Montreal. My purpose is to establish your
position--as a leader of your community--on the duty of remembrance. By that I
mean your position regarding the diverse claims that some specific historical
events should be taken into account in social life and acts. This issue is
similar to issues at the « United Nations' conference on racism,
racial discrimination, xenophobia and related intolerance », that
took place in Durban, South Africa, from August 31st to September
8th, 2001. In the case of Africans and Afro-descendants, that
«duty of remembrance» is specifically linked to slavery, to
colonisation, and to the on-going and varied forms of racism.
I appreciate very much your accepting to participate in my
research.
This participation is voluntary and you will be able to end it
at any time. You can also choose not to answer some questions. Please be
assured that what you say will be kept strictly confidential, and that
the WORDS reported in the thesis will be absolutely anonymous. for the purpose
of the exactness of the words, I would like, with your permission, to record
the interview. The interview will be transferred to Compact Disc, and the
CDs will be kept as archives in a sealed drawer at the Department of Sociology
of Uqam, and you will be able to access them at any time.
The interview will take from 60 to 90 minutes, and is divided
into five sections.
Before we begin, I would like to know if you have any
questions.
CONSENT FORM
I agree to participate in the research of
Brice Davakan on «Representations of duty of remembrance in a context of
plural democracy», which research is being done as part of his Master's
Degree in Sociology at UQÀM.
I agree to be interviewed by him, and I have
been informed that I MAY end my participation at anytime, AND refuse to answer
some questions.
I agree that the interview will be recorded
on a Compact disc (CD), and I understand that I will be able to listen it at
anytime on request. Only the student researcher and professor Micheline
Labelle, his thesis advisor, will have access to the CD or to its transcript.
The content of the interview will be used exclusively for the thesis, which
final report will run the results or extracts under the condition that it
will be impossible to identify any interview subject.
Additional
clause::-----------------------------------------------------------------------
-----------------------------------------
-----------------------------------------
Name of LEADER interviewed Name of the interviewer
------------------------------------------
------------------------------------------
Signature of the leader
Signature of he interviewer
--------------------------------------------
Date and place of the interview
Section 1:
PROFIL DU RÉPONDANT
Sous-section 1: Les caractéristiques
socio-démographiques du répondant
First of all), I'd like to ask you some personal
questions. This information will help us construct the profile of the leader we
interview.
7. Sex
Female
Male
8. What is your age bracket?
under 24
25 to 34
35 to 44
45 to 54
OVER 55
Answer refusal
9. Were you born in Canada?
Yes
No ....................................
Answer refusal
10. Are you a Canadian citizen?
Yes Answer refusal
Other citizenship?..............................
........................
11. What is your main language at home?
French
English
Other
................................................
Answer refusal
12. What is your professional field and what level of study did
you complete in that field?
.................................
None
Secondary school
High school
Bachelor degree
Master's degree
Doctoral degree
Other
7. Do you belong to a religious group? Which one?
Answer refusal
..........................................
Sous-section 2: Cheminement de la personne
interrogée
Objet de la section : Dégager l'histoire et le cheminement
du leader à l'intérieur ou à l'extérieur de sa
communauté.
We will now go on to some questions about your involvement
within or outside your community. This information will allow us to
understand your personal journey.
8. What kind of role have you played up until now in your
community?
Answer refusal
Details::...............
................................................
9. How long does your commitment to a project in your community
usually last?
more than 15 years ago
from 11 to 15
from 6 to 10
from 1 to 5
less than one year
Refus de répondre
Ne s'applique pas
10. What event decided you to become involved in, your
association or community?
Answer refusal
Details:...............
11. Are you involved now in other movements, organisations or
political parties?
Yes
No
Answer refusal
Please give us some details about this group--is it based in your
country of birth (if that is not in Canada), or is it a Canadian group, local,
provincial or federal?
..................
12. Where would you pace yourself politically : on the
left or right? conservative or progressive ? anti-globalization or
pro-globalization?
Details:
...............................................................
14. Please describe how your association works, and how it gets
its funding.
Answer refusal
Details:
............................................................
Section 2:
IDENTITÉ REVENDIQUÉE
Objectif de cette section: Définir l'espace
identitaire auquel le leader se réfère et pour lequel il
s'implique socialement.
Let's move on to the questions about group identity; and by
that, I mean the women and the men that your social commitment should favour in
Quebec.
15. Are you acting for the benefit of a particular group or
community in Quebec?
Answer refusal
How would you describe that group or community?
...........................
16. Are you linked with some other African or Afro-descendant
group or community?
Answer refusal
Details:
......
17. In your opinion, is there a particular case of collective
action that should involve Africans and Afro-descendants living in Quebec or
Montreal?
Yes
No
Answer refusal
Details:
......
18. Africans and Afro-descendants living in Montreal use
different terms to describe themselves, such as Haitian, Jamaican, Senegalese,
African, Caribbean, Haitian-Quebecer, Canadian-Jamaican, African-Canadian,
Black, Canadian Black, etc. In your personal case, or in the case of your
community (if different), how do you identify yourself?
Answer refusal
Why do you identify yourself in this way?
......
19. How would you describe the social and political situation of
Africans and Afro-descendants living in Quebec today?
.........
Section 3:
LE « DEVOIR DE MÉMOIRE » AU SEIN DES
COMMUNAUTÉS
Objectif de la section: Déterminer la conception qu'a le
leader de la « mémoire collective », notamment celle qui
touche à l'esclavage des populations africaines et à la
colonisation des africains et Afro-descendants, ainsi que des problèmes
liés à la transmission de cette mémoire.(note: le terme
histoire et préféré ici à
mémoire, non pas comme substitut, mais pour garder l'avantage
de l'objectivité, qu'il a sur la notion de mémoire,
notion nécessairement « subjectivante »).
This third section is about the historical journey of African
and Afro descendant people...
20. Do you feel you have a relationship to a history that is
different from the overall history of Quebec, where you live?
Yes No
Answer refusal
Why or why not?:
21. Is it very important that your successors or descendants
should preserve the memory of that history?
Yes No
Answer refusal
Why and by what means?:
..................
22. In your opinion, are there any obstacles or difficulties that
hinder the transmission of your history (or memory) to those successors or
descendants? if so, what are those obstacles or difficulties and why do they
exist ?
Yes No
Answer refusal
Don't know
Section 4:
LA REVENDICATION DE MÉMOIRE ET LA
POLITIQUE.
Objectif de cette section: Comprendre comment le leader envisage
la prise en compte de la mémoire collective sur la scène
politique, et comment la pluralité des « revendications de
mémoire » peut-être gérée.
The fourth section of this interview is about the process of
claiming your history or the « duty of remembrance».
23. Did your association, community or yourself participate in
the Conference Durban?
Yes No
Answer refusal
If so, with what support (federal, provincial, etc. financial
support ), and in what way did you participate ?:
If not, can you explain why not?
24. In your opinion, what has been the impact of the Durban
Conference on the discussions within your community or association?
Doesn't know
Details..................
25. What is your opinion (or that of your association ) about the
Conference in Durban, South Africa?
Doesn't know
Answer refusal
Details...............
26. Alone, or through your community, have you ever initiated any
action to request official acknowledgement of any specific facts from the
history of your community in Quebec?
Answer refusal
Why and how did you proceed?
................................................................
27. What is your opinion (or that of your community ) about the
issue of reparation to African and Afro-descendant
minorities?
Answer refusal
........................
28. In your opinion, does all of Quebec society
have a «duty of remembrance» to Africans, or to Afro-descendants, or
to both?
Yes
No
Answer refusal
Why?:
..................
29. In your opinion, how should memory claims be managed in
political terms in Quebec?
Answer refusal
Don't know
Answer: ..................
30. Do you consider that the strategies and actions undertaken by
your community or association have had an impact at the local, provincial,
federal or international levels?
Yes No
Answer refusal
Please describe those changes:
.......................................
Section 5:
EN GUISE DE CONCLUSION
Objectif de la section: Prendre en compte les
préoccupations du leader qui ne sont pas abordées dans cette
recherche, dans le cadre des trois thèmes abordés.
This section is reserved for you to talk about any aspects of
this issue which are important to you...
31. Are there any aspects of Identity, collective memory, or the
«duty of remembrance» that you would like to talk more about?
Yes
No
If yes, can you explain why that aspect is important to you?
...........................
32. An finally, how do you foresee the future of Africans and
Afro-descendants in Quebec? Are you personally pessimistic or optimistic?
Optimistic Pessimistic
Why?
Thank you very much
Do you have any suggestions for improving this interview?
OBSERVATIONS DE L'INTERVIEWEUR
Durée de l'entretien: heure:
________minutes_________
Date de
l'entretien_____________________________________________
Langue de
l'entrevue____________________________________________
Commentaires de l'intervieweur qui aideraient à mieux
comprendre les réponses du répondant.....
.................................................
Quelles questions ont créé des difficultés
particulières ou n'ont pas été comprises par le
répondant?
................
* 1 Site internet de cette
association disponible au : http://www.arm.arc.co.uk/
* 2 Sa pensée est
largement exposée sur le site de l'université au :
http://academic.udayton.edu/race/02rights/repara02.htm
* 3 la pagination est celle de
l'article en format pdf, disponible sur le site :
http://www.queensu.ca/conferences/reparations/papers/Valls%20paper.pdf
(Février 2004)
* 4 Il s'agit ici du
résumé de la pensée tourainienne, proposé par Guy
Rocher, dans Introduction à la sociologie
générale, (1992), pp.506-508.
* 5 voir Martiniello, 1992, p.55
* 6 idem.
* 7 Voir Dictionnaire de
sociologie, le Robert, Seuil, P.450
* 8 Les entrevues ont
été enregistrées sous engagement formel de
préserver l'anonymat des personnes interrogées. Cependant, pour
les besoins de la recherche, et dans l'éventualité de devoir
retracer les auteurs des déclarations citées, nous avons
adopté une codification alphanumérique que nous ne pouvons
malheureusement pas dévoiler. De même, le masculin-singulier est
adopté systématiquement pour tous les extraits d'entrevue, afin
de protéger l'identité des femmes interrogées.
* 9 Lire, The freedom
seekers: Blacks in Early Canada de Daniel Hill (1992), p.91.
* 10Imitation de l'accent
québécois pour dire «des Noirs»
* 11 Passage en italique dans
le texte original.
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