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La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines;lecture et reprise de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale

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par Barnabé Milala Lungala Katshiela
Université de Kinshasa et université catholique de Louvain - Thèse de doctorat 2009
  

Disponible en mode multipage

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République Démocratique du Congo et Royaume de Belgique

Université de Kinshasa

Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Département de Philosophie

et

Université Catholique de Louvain (UCL)

Institut Supérieur de Philosophie

Faculté des Sciences Philosophiques

Centre de Recherche en Philosophie du Droit (CPDR)

La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines :

lecture et reprise critique de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale

Thèse de Doctorat

présentée par le Chef de Travaux et Doctorant en Philosophie

Jean- Barnabé Milala Lungala Wu Katshiela

Promoteur :

Professeur  Pierre MUTUNDA MWEMBO (Unikin)

Co- promoteur:

Professeur  Marc MAESSCHALCK (UCL)

2008 - 2009

Dédicace

A vous mes parents je dédie cette thèse

A mon très cher Père, l'Honorable Député Jean -René Katshiela Lungala Shambuyi qui incarne la dignité de ma famille

A ma Maman Régine Katshiyi Lughanda Muambuyi

Qui m'appelle si affectueusement Mukulu wa Bantu

(Entendez Ainé)

et me rappelle constamment : Buendedi ka bujimini

(Entendez ne jamais perdre l'ultime but que l'on s'est assigné)

Remerciements

J'aimerais remercier particulièrement tous Mes Promoteurs pour cette recherche doctorale :

Le Professeur Pierre Mutunda Mwembo qui a dirigé tous mes travaux de fin de cycle en philosophie à l'Université de Kinshasa et pour tous ses bienfaits.

Le Professeur Marc Measschalck de l'Université Catholique de Louvain pour son érudition et son orientation, qu'il trouve ici l'expression de ma parfaite considération.

J'ajoute à eux mes encadreurs qui ont formé ma commission d'encadrement :

Le Professeur Abbé Joseph N'kwasa Bupele pour ses conseils et ses remarques pertinentes.

Le Professeur Charles Mbadu pour sa rigueur.

Et enfin les ainés des Philosophes congolais dont nous gardons des nombreux souvenirs:

Le Professeur Jean Kinyongo Jeki pour le concept de kheper qu'il m`a enseigné et qui traverse de part en part cette étude pour son dépassement.

Le Professeur Raymond Mutuza Kabe pour tant d' « amitié ».

Le Professeur Abbé Marcel Tshiamalenga Ntumba pour son irremplaçable héritage qu'il a légué à la première promotion de Philosophie de l'Université de Kinshasa et à moi-même, l'Héritage de la philosophie analytique d'où a émergé le titre de cette thèse de Doctorat. Je m'associe à ses voeux à travers lesquels il a si bien formulé une prière-programme que j'ai retenue depuis : « Père Céleste, Père de Jésus-Christ, ... nous te cherchons dans le savoir philosophique pour te servir ».

Le Professeur Elungu Pene Elungu qui m'a appris à penser les Temps Modernes Européens.

Le Professeur Gambembo Mfumu Wa Utadi qui m'a plus que quiconque fait admirer la Métaphysique.

Bref, que tous mes formateurs trouvent ici l'expression de ma profonde gratitude.

0. Introduction générale

0.1. Etat de la question

Les scientifiques et philosophes sociaux « tiers-mondistes », ceux de la diaspora africaine aux Etats Unis comme Théophile Obenga, et Yves Valentin Mudimbe, des africanistes comme Jan Vansina, les latino-américains, les chercheurs de l'école sociale de Kinshasa, et bien d'autres se penchent aujourd'hui sur la question de la rénovation des sciences sociales sous sa triple dimension, celle des techniques et des méthode d'analyse, celle des concepts et des théories paradigmatiques ,et enfin celle liée à l'effondrement et à la dévaluation de la « réalité sociale », ainsi qu' à la définition de celle-ci. Du point de vue du « tiers-monde », la question de la rénovation des sciences sociales rejoint le débat de la décolonisation épistémologique qui s'est par ailleurs spécialisée en cristallisant les conditions de maintien des sciences sociales comme entreprise académique mondiale, leur ouverture aux formes de connaissances traditionnelles, et leur refondation. Pour les plus exigeants, la rénovation va au-delà de la seconde modernité eurocentrique, représentée notamment par l'approche néo-moderne des sciences sociales de Jürgen Habermas, sous-tendue par l'intention de la philosophie de contribuer à la libération sociale, et à sa propre libération.

Jean Copans, dans ce contexte, réfléchissant sur les rapports dialectiques, dit-il, indépassables entre les sciences sociales et la philosophie, et prenant appui sur Paulin Hountondji ,notamment sur sa définition de la philosophie africaine qui ne peut être une ethnophilosophie, c'est-à-dire une vision du monde collective, irréfléchie, implicite,mais plutôt un discours explicite et critique des philosophes africains, pose la question suivante : les sciences sociales africaines peuvent -elles se constituer de manière autonome sans besoin de référents philosophiques proprement africains ? Cette importante question s'est trouvée intégrée dans celle de la renaissance africaine qui est revenue au devant de la scène scientifique à la fin du deuxième millénaire et au début de ce troisième millénaire sur le continent africain et dans la diaspora africaine. Le débat a opposé ceux qu'on appellent les africanistes eurocentristes et non eurocentristes. Notre réflexion ,disons le d'emblée ,se propose de répondre points pour points à une foule des questions qui nous semblent bien présentées par Jean Copans ,qui pour Théophile Obenga par exemple, serait plutôt un africaniste eurocentriste pointilleux ,sociologue et anthropologue d'origine française.

Le champ d'application de cette discussion est la formulation des questions dites d' « émancipation » des sciences sociales. Bernard Mouralis pense à cette suite que la décolonisation en ce qui concerne l'Afrique est encore à faire et qu'elle appelle un vaste programme du devenir du continent africain, programme correspondant à ce que Yves Valentin Mudimbe appelle l'invention de l'Afrique, ou la construction d'une nouvelle Afrique, qui consiste à élaborer un discours total pour parler de l'Afrique.

Pour Jan Vansina, toujours dans l'ordre du discours, par rapport au système mondial dans lequel nous sommes embarqués, la période précoloniale permet de reconstruire une histoire autonome de l'Afrique avec des techniques, des objets, des voix et des territoires qui échappent au cadre historique européen, tout en produisant justement un discours historique qui respecte les règles de l'écriture historique. L'enjeu, dans tous les cas, est que les africains doivent construire des discours ou des institutions sur des conceptions et sur des expériences africaines socio- culturelles, traditionnelles ou présentes. 

Pour nombre des penseurs qui se situent dans la mouvance de la Faculté des Sciences sociales et administratives de l'Université de Kinshasa, le constat général est que les sciences sociales s'agrippent encore aux démarches, techniques et méthodes qui fonctionnent comme des dispositifs problématiques de production des connaissances, tout en pérennisant une situation théorique et conceptuelle critique de plus de cinquante ans de recherche, et des présuppositions non réfléchies du concept de « réalité sociale » qui sont appelées à être réévaluées.

Ainsi Bongeli Yeikelo Ya Ato stigmatise-t-il la situation persistante d'une crise sociale cyclique  comme le signe évident d'un blocage actuel en sciences sociales sur l'Afrique en général et le Congo en particulier, blocage qui nécessite que l'on s'interroge sur la validité des méthodes, des approches classiques et des a priori du concept de la réalité sociale ou des phénomènes sociaux. En ce qui concerne les réalités sociales africaines, Bongeli affirme simplement qu'elles sont ,par rapport au moyen de ces instruments conceptuels et de ces approches, peu ou mal étudiées et donc difficiles à reconstituer.

Ce qui préoccupe en général ou, pour être plus concret, ce que la « réalité sociale » aussi bien en Européen qu'en Afrique ailleurs, change profondément  et continuellement : en Afrique , la nature du travail précaire favorise plutôt la construction sociale de soi et des itinéraires de réussite individuelle à partir des ressources propres sur fond d'un besoin accru de reconnaissance ; l'Afrique c'est Autre de l'Humanité autrefois singularisé comme « société sans écriture », demeure un monde de manque substantiel ; ces sociétés sont qualifiées aujourd'hui de sociétés « sans démocratie » où la vie familiale moderne s'identifie aux souffrances structurelles et à des constructions identitaires transactionnelles précaires ayant des impacts différents sur les tendances démographiques ,sur la place de la femme dans la société, etc. La mobilité sociale ne semble plus en Afrique dépendre de la réussite scolaire ; d'où de nouvelles formes d'inégalités, de changement drastique des valeurs et l'émergence de la violence des jeunes laissés à eux mêmes1(*) ; des villes africaines constituent un univers où l' « Autre » est ressortissant d'une autre tribu dont il faut comprendre le ressort profond de comportement, etc. La dynamique sociale lance chaque fois de nouveaux défis.

Dans les grandes cités africaines, la réalité de la société africaine présente une sorte de généralisation d'une vie cantonnée dans des espaces discriminés qui fait émerger des prises de risques inédites face à l'inexistence des politiques sociales. La spécificité est l'émergence des nouveaux types d'hommes et de femmes qui vivent sur le fil et de nouveaux espaces publics où se construisent de nouvelles identités urbaines, en milieux pauvres des bidonvilles où s'expriment la violence sociale. Il ne serait pas superflu de présenter le cas général des citadins kinois des milieux populaires devenus gravement méfiants les uns vis-à-vis des autres, et parmi lesquels les vertus d'amour et de solidarité se sont émoussées.

Etudier la réalité sociale exige une prise en compte des changements qui agitent la société. La théorisation dite constructiviste s'effectue dans un esprit d'innovation complexe. Elle présente plusieurs registres d'analyses où s'imbriquent aussi bien le niveau de constructions sociales attributives (des attributs langagiers ) consécutives aux « mondes vécus» ,c'est-à-dire des formes de vie et des espaces à risque (tels que les enfants de la rue qui passent leurs nuits à la belle étoile) que des constructions abstraites à l'instar des modèles classiques construits à partir du modèle de Tout et de ses parties. Le paradigme constructiviste se cristallise dans les approches interprétatives qui visent à expliquer les significations subjectives qui font consensus sur l'interprétation de la réalité sociale. En ce sens, ce paradigme considère la société comme une construction théorique constituée des expériences subjectives de ses membres et du chercheur. Ce paradigme est un ensemble des diverses traditions philosophiques incrustées dans les sciences sociales notamment dans la sociologie classique. Le paradigme interprétatif est inspiré de plusieurs traditions et alimente deux approches : naturaliste et symbolique ou langagière. 2(*)

Tout cela parce que qu'il y a la nécessité de comprendre la réalité sociale au moyen des instruments scientifiques adéquats. Autant de « mondes vécus » africains, par exemple, deviennent des lieux des transactions illicites, en marge de pouvoirs officiels, d'un espace public inféodé caractérisé par l'absence de crédit des animateurs et l'amoralisme portés par les membres du groupe ; telles apparaissent les pratiques de la prostitution, de la drogue, sous le mode de la régulation de la violence des identités inédites, de nouvelles figures de paternité, etc.

Pour Ibrahima Amadou Dia , les constructions théoriques des tenants de l'approche quantitative apparaissent aussi comme des prismes déformant de la réalité sociale gommant les singularités dans des sociétés à classes et des espaces structurés par les poids d'une société industrielle périphérique.  Les réalités sociales relèvent des contextes autres que celles où et pour lesquels ont été élaborés ces concepts méthodologiques qui ont évolué en même temps que les champs d'application : les enquêtes par questionnaire et les société à classes, l'entretien semi-direct et les singularités sociales se trouvant en décalage avec leur destin social, l'observation participante et la découverte de l' « Autre », l'entretien compréhensif et le récit de vie ou la prise en charge individuelle, etc.

Le Professeur Ntumba Lukunga relève à la suite de la triple dimension et des problèmes que posent les sciences sociales en Afrique, le fait qu'il était déjà bien longtemps opportun de lancer un programme d'africanisation de la recherche.  Prendre la réalité africaine comme objet de recherche consisterait surtout à élaborer progressivement une méthodologie, des théories et concepts qui soient adaptés à cette réalité sociale. Ces travaux qui se trouvent aux confins de l'histoire, de l'anthropologie et de la sociologie et autre, doivent s'engager dans des voies nouvelles et se développer à l'instar des travaux d'élan novateur tels que la remise en question de Mabika Kalanda, l'histoire immédiate de Benoit Verheagen, le schéma sociologique de Front J.J.,la sociologie immédiate de Nyunda ya Kabange,l'anthropologie et la critique praxéologique de O. Longandjo, la praxio interdiscursive de Kambayi Wa K.,la psychanalyse sociologique de Ntumba Lusanga, etc.

Toutefois, ce qui semble à première vue relevant philosophiquement dans les sciences sociales comme approches communes et dichotomiques - récit/système, individualisme méthodologique/holisme méthodologique, etc.- ce sont justement les bases d'une part théoriques biologico- linguistiques et d'autre part historiques : la démarcation de la causalité par rapport à l'intentionnalité dans le fonctionnalisme, le structuralisme, la systémique et la dialectique.

D'aucuns préconisent, pour comprendre les réalités sociales africaines de remonter à la naissance des sciences sociales classiques et d'élaborer des Cours spécifiques comme des mathématiques, des statistiques, de la philosophie, de la logique des sciences sociales, etc.

En fait, en tant que telle cette recherche de rénovation a comme objectif de lutter contre l'infirmité des sciences sociales et humaines africaines due en majeure partie à l'esprit du conformisme et à la peur de l'innovation. Les chercheurs dénoncent finalement  l'exercice scientifique par procuration,  la production et la reproduction des discours aliénés et aliénants, et l'inhibition théorique, méthodologique et définitionnelle chez le scientifique africain.

Comme on peut le remarquer, l'ambition affichée est celle de pouvoir répondre à cette évolution des réalités sociales par des politiques scientifiques efficaces ; il faudrait logiquement avoir en premier lieu une compréhension approfondie : l' « ontologie sociale » en sociologie classique reconstruit les théories et concepts puisés dans les modèles anciens de la philosophie de la Nature des Temps modernes européens. Emile Durkheim recourt au « mécanisme » de René Descartes, d'autres recourent à la monadologie de Friedrich Leibniz avec ce que tout cela comporte en tant que présupposés onto-théologiques antiques : celui là plus proche de l'arithmétique privilégiant l'espace géométrique homogène, et celui-ci la monade, l'unité. La critique des modèles anciens (le Tout et ses parties) cristallise la recherche sur les conventions et les êtres abstraits d'une causalité avec les états mentaux pour l'explication des phénomènes sociaux.

Les modèles « constructivistes » qui rallient l'objectivité et la subjectivité des « faits sociaux » aujourd'hui font globalement prévaloir aussi bien l'unité ou les individus que le collectif. En fait, la recherche constructiviste tend vers des modèles nouveaux qui mettent en exergue la signification collective et la subjectivité pour cadrer la réalité sociale. Les fondateurs de la sociologie ont offert plusieurs modèles sur la primauté de la totalité. Emile Durkheim, tire de cela que c'est la psychologie collective qui façonne la mentalité individuelle, il n'y a pas de relation de continuité inverse entre les deux. Aujourd'hui ces vues sont reconstruites ; on ne traite plus exclusivement « les faits sociaux comme des choses moins encore comme des idées », parce que les faits sociaux n'existent pas en réalité sous le mode des choses de la physique, de la chimie ni de la biologie. Ils forment une réalité sui generis qui intègre la subjectivité humaine et la signification commune.

En somme, dans cette étude nous nous occupons à proprement parler de la « réalité sociale », de ses a priori représentationnels, et de sa fondation et de son renouvellement théorique et conceptuel. La question des techniques et des méthodes n'est pas proprement l'apanage de notre réflexion.

La philosophie pérenne, pour le cas de la redéfinition, de l'émergence et de l'effondrement de la « réalité sociale », doit en ce temps de la dévaluation de la « réalité sociale mondiale », pratiquer le modèle d'analyse, mettant la philosophie du Devenir au coeur de l' « ontologie sociale ». Signalons que la question des principes d'émergence de la réalité sociale intègre celle du maintien de la réalité sociale. Tous les fondateurs des sciences sociales partagent par ce fait une vision philosophique particulière des fondements, de mode de création, des propriétés et de l'existence sociale. Cet axe se développe de plus en plus en s'étendant en droit, où la loi est considérée comme fait social subjectif et objectif, en sociologie, en anthropologie culturelle, en ethnologie, en sciences économiques, en sciences politiques, en relations internationales, en sciences de la communication3(*), etc. Cette tendance a besoin plus que jamais, disons- le d'emblée, d'être étendue aux « sciences sociales africaines » pour répondre aux besoins de rénovation générale exprimée de manière pressante par des scientifiques et les philosophes sociaux de tout bord en Afrique.

0.2. Problématique

Les perspectives de réévaluation et de rénovation de la redéfinition de la « réalité sociale » africaine comme par ailleurs le projet de rénovation en général renvoient à une problématique philosophique pérenne de l'Etre et du Devenir. Elles concernent le conflit entre le réalisme et le constructivisme comme visions ontologique et épistémologique du réel social. Et comme les théories et les concepts opératoires en sciences sociales se réfèrent quant à elle à la philosophie de la Nature, la rénovation emprunte donc sur cette question les voies qui amènent au conflit théorique entre le réalisme et le constructivisme, et à la philosophie de la Nature.

En résumé , la reforme la reforme a de façon générale une triple dimension ; elle concerne premièrement les concepts et théories des sciences sociales qui sont des lunettes au travers desquels le chercheur rend compte des phénomènes sociaux ou de la réalité sociale ; elle table deuxièmement sur les démarches, les méthodes et les techniques en tant que dispositifs de production de connaissance ; et enfin elle s'occupe de la définition de la « réalité sociale » elle-même à laquelle est appliquée la dichotomie réalisme/constructivisme.

Les chercheurs partent du point de vue de la définition de la réalité sociale de deux visions différentes sur la nature ontologique de la « science sociale ». Les deux visions s'élaborant à partir des lois qui régissent la réalité sociale. La position réaliste défend le modèle classique de la science et postule plus ou moins explicitement l'existence d'un ensemble des lois immuables, c'est-à-dire un ordre sous-jacent en tant qu'a priori incontournable ayant un impact déterminant sur le fonctionnement de la réalité sociale. L'enjeu ici, c'est que cette option peut conduire au réalisme naïf.

A l'opposé, le conventionnalisme postule le fait que ce seraient les êtres humains et non les lois de la nature qui feraient que la réalité soit telle qu'elle est et qu'elle fonctionne comme elle fonctionne en se fondant notamment sur leur propre langage. Les structures symboliques composent la réalité, les individus contribuent à « construire » le monde dans lequel ils vivent, un monde en quelque sorte « négocié » collectivement de manière plus ou moins délibérée et ayant un sens pour eux.  La position conventionnaliste postule le fait que, ce que nous appelons  « réalité » est en fait toujours le produit d'une élaboration symbolique et n'a aucune existence indépendante des catégories et des conventions propres à un imaginaire ou un discours social donné, y compris le discours scientifique. C'est le constructivisme ontologique. L'enjeu ici est que, l'on applique au « discours » scientifique, le principe conventionnaliste ou constructiviste qui conduit tout droit au relativisme consistant à traiter l'activité scientifique essentiellement comme une « culture », c'est-à-dire un ensemble des conventions et de présupposés partagés par les chercheurs d'une société et d'une époque. Dans cette optique le thème de la « construction sociale de la réalité sociale »fait partie de l'a priori disciplinaire et peut donc dire que finalement, tout est construit, y compris les quarks en tant que constituants fondamentaux de la matière en micro physique, qui sont une convention admise par eux et qui ne renvoient à aucune « réalité » existante indépendamment des concepts scientifiques et de l'esprit humain. La question de la construction de la réalité sociale débouche finalement sur le débat de la relativité de la connaissance et sur le relativisme culturel.

La réalité sociale ou les phénomènes sociaux revêtent un certain nombre des caractéristiques : ils ne peuvent être saisis en eux-mêmes, sinon par l'entremise des représentations ; ainsi le savoir des sciences sociales n'est jamais totalement dégagé de son objet et l'évolution de la vision de la « réalité sociale » a accompagné l'édification des sciences sociales.

La construction de la réalité sociale est un programme qui reconstruit les sciences sociales et humaines classiques à partir de ces postulats. Cette reconstruction est menée sous les auspices de ce qu'il conviendrait d'appeler aujourd'hui l' « ontologie sociale », en tant qu'étude des principes d'émergence et du mode d'existence de la réalité sociale. L'ontologie sociale est aussi ce que l'on appellerait volontiers la « cosmogonie sociale » en tant que discours sur l'émergence de l'univers social. Cette activité scientifique est entrain d'envahir les sciences sociales. Le motif, ce qu'il s'agit de tenter de cadrer théoriquement plus adéquatement le changement continuel et profond de la réalité sociale. Il s'agit au demeurant, du point de vue de la philosophie, d'une préoccupation fondatrice et ancienne en philosophie.

Pour échapper au piège d'engluement soit à l'empirisme soit à l'idéalisme, il faut s'engager avec lucidité et discernement dans une démarche qui, tout en reconnaissant que le monde est donné, mesure à sa juste valeur l'autonomie et le pouvoir reconstructeur de la raison humaine. C'est la démarche que John Searle justement propose.

John Searle s'est emparé décidément aujourd'hui de la question principale de fondement de l'existence du monde social à travers la reconstruction des conditions de sa constitution. Il s'oppose à toute forme de constructivisme antiréaliste : il refuse les deux options ontologiques exclusives pour éviter selon le cas les conséquences désastreuses du relativisme et du réalisme naïf qui, en sciences sociales constitue une menace aux principes de la rationalité et à l'objectivité. Searle présente une approche particulière du réalisme à partir de la philosophie du langage qu'il prolonge entant que philosophie des états mentaux.

Pour Searle, l'ontologie des faits sociaux appelle l'ontologie objective de la réalité. Nous dirons en d'autres termes que la réalité extérieure perceptible est une réalité ontologique objective indépendante d'une réalité ontologique subjective et sociale.

John Searle nous en offre une conception « originale » dans notamment deux de ses livres : La construction de la réalité sociale et La redécouverte de l'esprit. Réfléchissant sur les Temps modernes, Searle se demande pourquoi   nous sommes terrorisés à l'idée de retomber dans le dualisme cartésien. Le problème, c'est que la conception cartésienne du physique, la conception de la réalité physique comme res extensa n'est tout simplement pas adéquate pour décrire les faits qui correspondent aux énoncés portant sur la réalité physique. John Searle donne à l'appui un exemple : si vous réfléchissez aux problèmes de la balance de paiement, à des phrases agrammaticales, à mon aptitude au ski, au gouvernement de l'Etat de Californie, vous avez moins envie de penser que tout doit entrer dans la catégorie soit mentale, soit physique.  La terminologie s'élaborerait autour d'une fausse opposition entre le « physique » et le « mental ». Nous pouvons le dire d'emblée, Searle développe ici l'autonomie des sciences sociales comme ayant une ontologie propre par rapport aux sciences physico-mathématiques.

Pour justifier sa position, Searle utilise une réflexion analytique en prenant les exemples de la compréhension du sens littéral des phrases. Le contenu sémantique des énoncés ne suffit pas en lui-même ; il faut un Arrière-plan, que Searle désigne spécifiquement comme des schèmes conceptuels pour donner tout leur sens aux choses. Nous disposons des phrases comme : le Président a ouvert la séance, l'artillerie a ouvert le feu, Pierre a ouvert un restaurant. Supposons qu'à l'ordre « Ouvrez la porte » je me mette à faire des incisions dans la porte avec un bistouri, ai-je ouvert a porte ? Autrement dit, ai-je obéi littéralement à l'ordre littéral « Ouvrez la porte » ? L'énonciation littérale de la phrase « Ouvrez la porte » exige, pour être comprise, quelque chose de plus que le contenu sémantique des expressions qui la composent et les règles de leur combinaison en phrase. Comprendre c'est autre chose que saisir un sens, ce que l'on comprend va au-delà du sens.

L'Arrière-plan est en définitive une pré-condition de la représentation linguistique ou mentale.  Searle s'autorise de passer des énoncés linguistiques aux états mentaux qui sont tout aussi représentationnels, tels que la croyance, le désir, l'intention, etc. Ceci est pour lui révolutionnaire parce qu'il redécouvre les états mentaux bannis par sa révolution pragmatique antérieure. Chaque phrase de la liste est comprise avec un réseau d'états intentionnels et sur fond d'un Arrière-plan des capacités et des pratiques sociales. Aussi, si la représentation requiert un Arrière-plan, n'est-il pas possible que l'Arrière-plan consiste lui-même en représentations sans engendrer une régression à l'infini.  Le réalisme et le concept d'Arrière-plan jouent justement un rôle important pour les fondements des sciences sociales et pour l'explication des phénomènes sociaux.

John Searle n'adhère que partiellement à la position conventionnaliste et constructiviste par sa théorie de la construction de la réalité sociale, il défend le point de vue d'un réalisme particulier au moyen du concept central de l'Arrière-plan comme un ordre sous-jacent qui est mis à jour à travers une analyse du langage ordinaire.

La question, au demeurant, porte sur le présupposé essentiel de toute activité scientifique. Pour Searle, justement,  le réalisme est un présupposé essentiel de toute philosophie sensée, pour ne pas dire de toute science. L'argument principal concerne justement le réalisme et le réalisme concerne l'Arrière-plan comme structure invisible de la réalité sociale et ayant un impact sur l'ontologie des faits sociaux et des instituions sociales.

La position du problème comme chez Ruwen Ogien4(*) loge le réalisme dans les phénomènes sociaux. Pour Searle c'est un présupposé essentiel, disons que c'est un présupposé de l'Arrière-plan. Searle aborde cette question qualifiée aussi de question de l'existence de la « réalité extérieure », pour montrer comment il serait tout simplement absurde que toute la réalité soit assujettie à nos représentations humaines, en dehors des conditions formelles d'intelligibilité.

Searle ne se contente pas de cette discussion ,il aborde les questions connexes de création, de maintien et de l'effondrement de la réalité sociale à partir des concepts centraux d'Arrière-plan, d'intentionnalité collective, les actes de la parole et de comportement régi par des règles et tente de nouer des liens théoriques avec des thèmes, des théories, des schèmes, des principes et des concepts des sciences sociales depuis les fondateurs des sciences sociales, philosophes et ,ou sociologues et autres spécialistes des sciences sociales.

La réalité sociale ne peut être saisie qu'à travers la représentation, soit linguistique soit mentale. Autrement dit, nous construisons le monde social au moyen des éléments minimaux qui commandent le mental, le langage et l'interaction. En fait, le concept de structures profondes désigne en général des systèmes de règles élémentaires qui justement commandent la connaissance, la parole et l'interaction. Ces règles sont des structures profondes auxquelles les individus dans leurs oeuvres culturelles observables obéissent intentionnellement ou pas. John Searle dans une visée intentionnaliste postule les règles constitutives (X compte comme Y dans un contexte : C par exemple ce papier compte pour de l'argent dans le contexte des transactions interbancaires autorisées par la Banque centrale congolaise), qu'il faut ajouter aux concepts d'Intentionnalité collective et celui de l'Arrière-plan. Searle joint donc à la question ontologique sus- nommée les phénomènes du langage et de la conscience.

La conception du fait social chez Searle se démarque de celle de plusieurs théoriciens en la matière, mais elle est plus proche de celle de Friedrich Hayek, en ce qu'elle postule l'imposition des fonctions sur la réalité physique (la réalité brute) au moyen des règles dites constitutives, de l'intentionnalité collective et de l'Arrière-plan. Nous pouvons dans certaines circonstances (dans la forêt par exemple) assigner des fonctions aux « chaises » par exemple à des morceaux d'arbres coupés et jetés à terre. Ces morceaux deviennent, par ce fait d'imposition de fonction, des phénomènes sociaux. John Searle développe donc une ontologie distincte.

Cependant, la vision de John Searle n'est pas exempte de contradictions. Vue de l'Afrique, la vision de John Searle étonne à plus d'un titre en ce qu'elle reconduit des présuppositions philosophiques et théoriques problématiques tout en postulant contradictoirement l'exigence de l'éthique comme base de toute construction sociale durable. Pourtant Searle viole sa propre éthique : sa théorie sociale apparait pour nous africains comme une « violence symbolique » et un retour à une sorte d'ethnologie passéiste ,une synthèse des descriptions ethnographiques reconduisant multiples concepts problématiques et aporétiques : « société sans écriture », société des « seigneurs de guerres » et donc des sociétés sans démocratie, études (sous-entendue) des primitifs, alors que le courant pragmatico -cognitiviste dans le quel il évolue regarde à l'avenir dans une perspective de correction.

Ses allusions à l'Afrique nous semblent plus un préjugé implicite et ethnologique passéiste plutôt qu'un regard prospectif scientifiquement soutenable. Ces prises de position différentes sont finalement, dans sa théorisation sociale, fort problématiques pour l'Afrique en ceci qu'elles reconduisent une grave violence symbolique. Nous prenons cette question des « sociétés sans écriture » qui ne dispense pas l'Afrique traditionnelle pour aborder les présupposés ontologiques et épistémologiques généraux des sciences sociales en Afrique.

Enfin, au point de vue théorique et conceptuel, une double question théorique peut résumer notre recherche :

- Que devient l'approche structuro-fonctionnaliste dans la pragmatique et le cognitivisme de John Searle ?

- Quel est le signe , le concept ou l'icône qui nous permet de lire et de re(contruire) le programme de John Searle et, en même temps ,de lire et de reconstruire l'Afrique , notre société et notre culture ?

0.3. Hypothèses

Sur la question de la définition de la « réalité sociale », les sciences sociales africaines doivent à juste titre être réévaluées et reformées. Une telle évolution épistémologique passe par une suppression dialectique opérationnelle de l'opposition ontologique simpliste et réductrice entre le réalisme et le constructivisme. C'est la grande leçon que l'on doit retenir de l'oeuvre grandiose de John Searle portant sur la construction de la réalité sociale, et dont le principe est considéré dans la philosophie sociale contemporaine comme un réflecteur opératoire de réévaluation et de rénovation des sciences sociales. Toutefois, en Afrique, une vigilance agissante doit être exercée contre les écueils subtils de la théorie de John Searle. Tel est l'objectif sous-jacent à notre investigation.

A la question théorique et conceptuelle de dépassement de la double approche structuro-fonctionnaliste, un des concepts centraux de notre propre hypothèse et de notre reconstruction est justement le concept africain de kheper, une notion familière en philosophie qui renvoie à des traditions africaines à la loi de la transformation du Devenir, notion que nous trouvons dans plusieurs traditions philosophiques. Dans le contexte de cette discussion, ce concept de Kheper est reconstruit en philosophie depuis les présocratiques en passant par René Descartes et Friedrich Leibniz jusqu'aux sciences sociales classiques avec Emile Durkheim et bien d'autres penseurs. Cette reconstruction théorique chez Emile Durkheim, un des fondateurs des sciences sociales ,se fait par exemple au moyen d'un concept qui lui est dérivé, celui de l'hylémorphisme du Stagirite, il fonctionne comme un dispositif central de son livre intitulé Les Règles de la méthode sociologique.

John Searle ne déconstruit pas ce programme, il le reconstruit ou l'enveloppe au point de vue de la double approche linguistico-pragmatique et cognitiviste. Ce qui est remarquable c'est que nous avons tout ensemble dans le programme de Searle, les états mentaux et les actes de langage comme support de la représentation de la réalité sociale ; ce qui ne manque pas de renvoyer à son projet actuel qui tend à mettre ensemble : le langage, l'action et l'esprit.

A la question théorique de l'icône, du concept ou du symbole qui nous permet de lire le projet de Searle, il faut dire que le naturalisme biologique dans lequel baigne John Searle est le type de philosophie où la Nature est celle que découvre la science positive et non la métaphysique. Tout est expliqué par la Nature et la théorie évolutionniste ; d'où la récurrence des questions liées au naturalisme biologique. L'icône ressemble au mode de reproduction de la symbolique de « scarabée égyptien » qui exprime le Devenir et le sacré. Le scarabée illustre le Devenir en ce que pour se reproduire, il dépose son larve dans une bouse qu'il enroule. Après une certaine période, sort un autre scarabée adulte. D'où, la conscience apparait suite à un processus physicaliste et connexionniste du processus neurobiologique des neurones et des relations synaptiques chez John Searle. L'esprit dans la Nature soit y oeuvre soit apparait à un certain niveau. Le dépassement se fait pour nous au moyen de la dimension de sacré qui est laissé de côté dans ce type de naturalisme.

Le constructivisme searlien doit être un programme a priori dans un contexte onto- théologique auquel on fait recours, qui prend en compte théoriquement  les concepts centraux suivants : la matière, la forme, le langage, la parole, les actes de langage pour être précis, les états mentaux tels que le désir, l'intention, la conscience, et enfin le divin.

0.4. Méthodologie

Notre effort quant à la méthodologie que nous utilisons, consiste à remonter l'approche de John Searle au sens de la démonter afin de la recomposer avec l'objectif unique d'atteindre, si cela est possible, le but que la théorie se serait assigné. Ceci permettrait, ipso facto, d'en donner l'explication au moyen d'une analyse des présupposés sous -jacents et une réflexion plus nourrie qui, pour nous, vise aussi le renouveau théorique des présupposés en sciences sociales et humaines, spécialement en Afrique. Avant même de procéder à une reconstruction de l'approche théorique à travers ses schèmes généraux, ses concepts principaux, il est logique de dire les problèmes que ces concepts centraux posent. Ils ne sont pas créés ex-nihilo.

0.5. Structure du travail

L'état de la question, la problématique et l'hypothèse dans l'introduction peuvent déjà laisser percevoir le plan ou les étapes de notre reconstruction. Celle-ci comporte cinq chapitres : le premier chapitre présente le débat sur les problèmes des sciences sociales dans le monde et en Afrique, et la demande de leur réévaluation et de leur reforme. Le deuxième chapitre met en exergue les promesses de la théorie de la construction sociale. Le chapitre troisième présente la contribution du constructivisme de John Searle. Le chapitre quatrième dégage la portée de l'oeuvre de John Searle tout en montrant ses limites. Le cinquième et dernier chapitre esquisse les perspectives de dépassement des écueils de la théorie constructiviste de John Searle.

Chapitre I :

Le débat sur la réévaluation et la reforme des sciences sociales dans le monde et en Afrique

1.0. Sommaire du chapitre

Ce chapitre s'élabore autour de deux grandes parties : la première partie analyse les mutations sociales et culturelles qui sont à la base de la mouvance constructiviste en Europe en l'illustrant dans une perspective historique et institutionnelle à travers les mutations de la réalité sociale juridique dans le saint Empire romain, les limites institutionnelles actuelles et le processus de la mondialisation ,et le principe de l'effondrement de l'acceptation collective. En tant que tel le chapitre touche les domaines des sciences sociales aussi divers en présentant les problèmes à la base de l'exigence de rénovation en Europe. A propos, nous donnerons plutôt un excursus sur la question européenne.

La deuxième partie examine les problèmes épistémologiques majeurs des sciences sociales en Afrique en l'illustrant par le présupposé de la « race » dans la construction des sciences sociales. En Afrique, les débats sur la réévaluation et la reforme des sciences sociales se font dans plusieurs milieux scientifiques. Ces débats sont aujourd'hui relayés par des universitaires africains dont certains d'entre eux ont immigré aux Etats -Unis d'Amérique. Nous pouvons citer à titre d'exemple l'opposition théorique actuelle entre Jan Vansina à Yves Valentin Mudimbe sur la question de la déconstruction de l'Histoire africaine en tant que conséquence logique de la « relativité de savoirs ». Ces auteurs qui sont à l'affût des sciences sociales en Afrique ont adapté les problématiques africaines au contexte des discussions théoriques en sciences sociales, qui sévissent en Amérique et en Europe. Au Congo Kinshasa, quelques philosophes ont rallié les positions pragmatistes avec des volets plutôt reconstructifs qui affirment la culture africaine et qui prennent en compte des apports de plusieurs cultures. Ce contexte rejoint les préoccupations des penseurs soucieux du futur social et culturel africain, qui en appellent déjà à la rénovation des sciences sociales, se situant malheureusement pour certains en plein dans une forme de relativisme à revers. A propos du futur social et culturel de la société africaine, la rénovation pourrait passer par l'exigence de reconstruction du discours dominant en se l'appropriant.

1.1. Mutations sociales et culturelles, et mouvance constructiviste en Europe

1.1.0. Mise en perspective historique et institutionnelle en Europe.

Plusieurs philosophes et scientifiques sociaux occidentaux se sont attelés à renouveler l'axe méthodologique pour articuler les bases théoriques  réflexives, communicationnelles, notamment celles liées à l'expérience.5(*) En sociologie par exemple, « à l'heure de la modernité avancée et du sujet réflexif, affirment Luc Van Campenhoudt et alii, il est nécessaire de contribuer au renouvellement de la démarche sociologique, non seulement dans ses concepts, mais également dans ses outils méthodologiques ».6(*) Il s'agit d'articuler plusieurs contradictions théoriques ci-dessous :

Savoirs locaux

Savoirs globaux

Enjeux de reconnaissance

Enjeux de connaissance

Pluralité des vérités

Une vérité scientifique

Mobilisation de la réflexion des individus

Limite de la subjectivité

Singularité des expériences

Constructions collectives des phénomènes sociaux

Procéduralisation des normes

Prégnance des normes substantielles

La rupture épistémologique

Continuité entre savoirs ordinaires et savoirs savants

Compétences pratiques

Compétences scolastiques

Les attentes d'égalité morale entre les individus

La prise en compte des rapports de force

L'engagement

La distanciation

Nous tenterons de montrer dans cette réflexion et dans la perspective dite constructiviste comment, à chaque ligne de ce tableau, il y a nécessité de combiner les éléments qui composent chaque colonne.

A la question de savoir : Pourquoi advient la nécessité de la remise à plat des approches théoriques et conceptuelles devenues contradictoires (ci-dessus), du réexamen du concept de la « réalité sociale » et de la révisitation de la méthodologie en sciences sociales  sous la mouvance constructiviste, la réponse pour Luc Van Campenhoudt, Jean-Michel Chaumont et Abraham Franssen, est que c'est parce que les sociétés européennes sont depuis un temps confrontées à des problèmes sociaux et culturels profonds.

Disons d'emblée que ce point de vue a posteriori qui postule un constructivisme consécutif aux mutations sociales et culturelles devrait être associé au point de vue a priori qui consiste à choisir des modèles théoriques anticipant sur les mutations socio- culturelles possibles. Le point de vue a postériori est aussi soutenu par le livre édité par l'Unesco, Les sciences sociales dans le monde, écrit sous la double direction d'Ali Kazancigil et de David Makinson.

Au cours de des années 1980 qui correspondent approximativement à la reprise économique après la crise pétrolière, le développement théorique principal qui s'y développe mise sur la relation entre l'individu et la société. En d'autres termes les théoriciens se focalisent sur la relation entre l'individu et la rationalité collective sous le postulat selon lequel « la société n'existe pas », et que les seules réalités étaient l' « individu et la famille » que les sciences sociales semblaient négliger. Les travaux de Raymond Boudon, Pierre Bourdieu, Norbert Elias, Anthony Giddens, Allesandro Pizzorno et Alain Touraine, parmi d'autres, se sont penchés sur ces problèmes. On a qualifié cet effort de « constructivisme ».

On considère que les faits sociaux sont des constructions des agents collectifs et individuels. La plupart des raisonnements subsumés sous ces termes ont été développés pendant une période assez longue par les intellectuels qui puisaient à la fois dans les sciences sociales de l'après guerre et celles, classiques, de l'Europe.7(*)

Quels sont les problèmes ? On assiste plus récemment en Europe occidentale, dans beaucoup de domaines, notamment dans le service public, au déplacement d'interventions des institutions vers de simples dispositions. En effet,  « alors que les politiques publiques « classiques » étaient mises en oeuvre au niveau central, s'appliquant généralement à l'ensemble du territoire national de manière homogène et standardisée, et selon un découpage disciplinaire (politique d'éducation, de santé, d'emploi, etc.), les nouveaux dispositifs se caractérisent généralement par des logiques d'actions spécifiques.... Alors que le déploiement des institutions et des interventions dans la société industrielle s'est caractérisée par un mouvement de différenciation des sphères d'activités et de spécialisation des fonctions, le travail en réseau répond davantage à une logique transversale, de dédifférenciation inter-champs et inter-institutions entraînant une hybridation des logiques d'interventions, par opposition au découpage disciplinaire classique. ... Les maîtres mots deviennent communication et négociation ».8(*) De ce qui précède, nous voyons s'amorcer une abondance d'études sur la nature des institutions.

Il y a surtout des mutations sociales et culturelles en termes de « recomposition des modes de régulation sociale (...), des dispositions de médiation et de gestion de normes (médiation, ombusdman, pratique du contrat) qui traduisent le passage d'un mode de socialisation ... fondée sur la participation des usagers à la définition des objectifs et à leurs évaluations (« autoévaluation ») ».9(*) Ceci donne lieu à un certain nombre d'études théoriques sur la normativité. C'est probablement dans ce contexte que les théories des normes feront l'objet des études approfondies au Centre de Philosophie du Droit de l'Université Catholique de Louvain. Ainsi, « le Centre de Philosophie du Droit offrait donc un milieu de travail universitaire tentant de prolonger et d'évaluer les hypothèses de la procéduralisation formulée à partir de Habermas et de son école grâce à une théorie générale de la normativité sociale dont l'originalité est de faire du rapport cognitif à la norme la clé du mouvement instituant toute forme d'ordre collectif ».10(*)

Au demeurant, la régulation se pose de plusieurs façons : « des nombreux problèmes de développement global ou de manipulation du vivant appellent de nouvelles formes de régulations. Mais c'est la capacité même de produire des règles ou de légiférer sur un nouveau mode de vie et de développement social qui fait défaut ».11(*) Ce qui est en jeu, c'est l'ajustement entre normes, jugements, expertises des scientifiques sociaux, et les contextes complexes d'effectuation de nos sociétés.

Par ailleurs, Jean Copans, sociologue et anthropologue d'origine française, réfléchissant sur les rapports entre les sciences sociales et la philosophie, entre les sciences sociales de tradition française et les sciences sociales africaines nous introduit dans la problématique de la rénovation de sciences sociales africaines en énonçant un certains nombres de postulats que voici :

- La philosophie (est) le lieu de la gestation des sciences sociales, en tout cas de la sociologie et de l'ethnologie12(*) ;

- Que nous prenions en considération les fondateurs, les modes de formation, le style, on constate que les sciences sociales en France (et par conséquent dans l'Afrique noire coloniale française et postcoloniale francophone) sont restés marquées (...) par le mode problématique de la philosophie ;

- Il n'est pas possible, dans la tradition qui est la nôtre, de penser les sciences sociales indépendamment de la philosophie ni même contre elle ;

- L'absence de médiation et d'épistémologie philosophique proprement africaine, dûment reconnues et admises, les sciences sociales africaines doivent au minimum s'appliquer à elles-mêmes les principes d'une sociologie (...) de la connaissance. (...) C'est sous une telle entrée que les chercheurs occidentaux pourraient collaborer à parité à la définition ou à la redéfinition des sciences africaines. Autrement dit,  la sociologie de connaissance est, à défaut de mieux, le lieu de dédouanement des sciences sociales africaines.

- Les sciences sociales africaines sont un produit de la modernité occidentale, etc.

Bref ,Jean Copans, pense au delà du fait que la sociologie et l'anthropologie sont dépendantes de la philosophie, ce que nous allons par ailleurs démontré à partir d'Emile Durkheim et de Claude Lévi-Strauss , que cette philosophie étant d'essence occidentale, il ne peut exister des sciences sociales africaines. Il prend en appui la critique de Paulin Hountoundji de la philosophie africaine ou de l'ethnophilosophie, c'est-à-dire de la philosophie en tant qu'une vision du monde collective, implicite et irréfléchie. En ce sens les sciences sociales africaines ne peuvent au minimum qu'avoir le statu de la sociologie de connaissance en tant qu'ensemble des croyances et cultures. Nous voulons soutenir les points de vues différents, l'approche structuro- fonctionnaliste en sciences sociales suppose un corpus théorique égytpto-africain à partir du concept de kheper et autres.

Les causes des mutations à la base de la rénovation des sciences sociales sont nombreuses, plusieurs questions sont déjà analysées à partir de la crise dite de la modernité et du modèle de Progrès et de la Raison. Nous commencerons ici à partir de trois modèles, celui de la désintégration de l'Empire romain, celui des cristallisations ou des limites de la mondialisation économique, et celui de l'émergence des problèmes institutionnels contemporains.

1.2.0.1. Les mutations de la réalité sociale juridique dans le saint Empire romain*

Nous allons maintenant donner une illustration de la mutation de la réalité juridique dans l'histoire européenne, en l'occurrence dans le saint Empire romain, pour voir le passage entre l'espace européen et l' « espace mondialisé » avant terme, et la nécessité de construire de nouvelles formes des normes. Nous analyserons par la suite les désajustements des institutions dans l'espace mondialisé lui-même.

Une des questions qui ont été à la base du changement des croyances européennes dominantes dans le saint Empire romain selon Manfred Lachs est la suivante : Etait -il juste, de combattre les infidèles ? Au point de départ, il y a la Cité universelle ou «  une civitas maxima à laquelle saint Thomas croyait, et elle était soumise à l'autorité du pape et de l'empereur, chacun étant muni d'un des « glaives » du Christ, le spirituel et le temporel ».13(*) Sa double tutelle séculière et ecclésiale gérait un monde supposé total et a décidé d'octroyer à ces divers peuples étrangers la reconnaissance juridique en tant que sujets de droit à travers la théorie du droit naturel.

L'expansion européenne va ruiner cette conception de civitas maxima  en tant que croyance en un ordre universel agissant pour le plus grand bien des hommes, qui prévalait à la fin du XVIIe siècle. L'expansion outre-mer des « Etats » européens précipita la désagrégation du Saint Empire romain. Cela va exiger de nouvelles réflexions sur le droit ; ce qui fera que plus tard les « contractualistes » et le droit naturel soient des doctrines qui se trouveront au centre de grands débats.

Deux facteurs principaux président à cette évolution : primo il y a l'évolution de la forme de l'Etat (de l'Empire aux Etats-nations en Europe) ;cette évolution a conféré aux autorités politiques (ou politico-religieuses selon le cas) un certain nombre des prérogatives. Secundo, il y a la dualité de traitement et des statuts des sujets de droit qui étaient supposés attribués aux populations sous leur juridiction (le jus civile pour les romains et le jus gentium, destinée à servir entre non -Romains ou entre les Civis romani et le reste).

La constitution du Saint Empire romain est entrée en désuétude en même temps que ses Maîtres penseurs. La Somme théologique de Saint Thomas d'Aquin, qui théorisait le double glaive,le droit canon et le droit temporel a été mise en difficulté avec le droit de gens (jus gentium) qui était buté à des questions liées à la gestion des infidèles d'outre-mer. Ainsi « dans son apologie de l'occupation espagnole de nouveaux territoires, Vitoria, abordant la répartition des pouvoirs et les droits des souverains, en eut appelé à un concept de jus gentium - qui, pour lui, était déjà un jus inter gentes et même un jus inter omnes gentes. Par ce concept, englobant la societas humana d'une manière que Gentilis (un autre auteur) allait bientôt soutenir, il se força de soutenir les revendications de l'Espagne à l'égard du Nouveau Monde, indépendamment de la volonté du Pape ».14(*)

Devant ces tas de questions pratiques aussi bien le positivisme juridique que le droit naturel ont apporté des solutions originales non sans difficultés. « Le positivisme juridique, tel que le dit Michel Virally, a permis l'essor, au XIXè siècle et au début du XXè siècle, du régime libéral dont bénéficient aujourd'hui encore les démocraties occidentales. Les théories positivistes ont excellemment servi les progrès de l' « Etat de droit », c'est-à-dire la subordination des autorités publiques à des règles protectrices des intérêts individuels. D'abord en facilitant la laïcisation du droit et la désacralisation du principe dynastique. Ensuite et surtout en systématisant la hiérarchie des normes juridiques, ce qui convenait admirablement à un mouvement s'efforçant de lier les gouvernants par une constitution de démocratiser le pouvoir législatif et de subordonner juges et administrateurs à la loi. Le rôle du positivisme juridique a surtout été d'engranger le formidable capital des valeurs issues de la Révolution française et dont le dynamisme a fini par triompher de toutes les résistances. ».15(*) Le droit naturel est venu à la rescousse pour définir le statut de ces sujets de droit autres que les citoyens du Saint Empire romain.

Mises à part ces avancées, la gravité de l'échec du jus naturalis tient à son incapacité de fonder solidement le droit international devant l'intensification des relations internationales et l'inexistence de la solidarité internationale, l'appui qu'il a accordé au volontarisme étatique et à la signification outrancière de l'idée de souveraineté. « Aujourd'hui, la contestation fondamentale et violente sur les valeurs applicables à la vie sociale qui marque notre époque ne parait plus pouvoir être arbitré par un droit construit dans les perspectives du positivisme juridique. Le formalisme dont ce droit est empreint est loin d'avoir perdu ses vertus et on aurait grand tort de le mépriser. Mais il est désormais tragiquement insuffisant. C'est à grand peine qu'il parvient à préserver l'état de droit là où les valeurs traditionnelles continuent à être respectées. Partout ailleurs, il n'en sauve que les apparences - et non pas toujours. A cela s'ajoute le fait que les bouleversements nationaux et leurs relations réciproques ne trouvent pas leur explication dans la doctrine positiviste, fondée sur les principes de hiérarchie et de continuité. Comment dès lors, ne pas s'interroger sur la valeur de ces principes et les limites de la théorie qui s'y appuie ? »16(*)

Un changement social du droit de la nature (idéologie du modèle juridique libéral) s'est produit, depuis le XIX siècle en Europe. La superposition et le remplacement, dans le droit privé, du modèle juridique libéral par celui de l'Etat providence sous la prémisse de la séparation de l'Etat et de la société.

Après la seconde guerre mondiale, lorsque ce processus (ajouter à cela l'intégration des droits fondamentaux dans l'élaboration de droit public, i.e. constitutionnel) fut accéléré, même les lamentations sur la désintégration de l'ordre juridique et les définitions proposées dans l'urgence ne suffisent point pour classer les nouvelles situations juridiques dans les catégories traditionnelles.

Cette situation est semblable à l'intégration encore difficile en Afrique du droit positif et de droits dits fondamentaux dans la transformation du droit coutumier en Afrique post- coloniale et de la mondialisation juridique. Le droit congolais par exemple, reste marqué par le dualisme, entre deux droits judiciaires, deux droits de la famille, l'un écrit et l'autre coutumier. C'est probablement dû au fait, ici nous recourons à Marx, que la transposition des rapports sociaux de production (droit positif de la famille juridique romano-germanique) d'une formation sociale étrangère se sont plaqués de force sur une formation sociale située encore au niveau ou au stade de production préindustrielle comme c'est le cas au Congo. Ceci ne peut fonctionner correctement en dépit du fait qu'une commission de reforme et d'unification fut institué (loi n° 71 /02 du 5 juin 1971). Des réformes ont été opérées dans ce sens en droit de la famille et en droit foncier(le droit traditionnel congolais est fondé sur le droit du sang). Nous avons développé cette hypothèse avec l'ethnologie juridique au Congo. Aux questions internes, il faut ajouter le fait que la RD Congo est engagée dans la mondialisation juridique, notamment dans l'organisation pour l'harmonisation du droit des affaires en Afrique.

Cette évolution, de façon générale, constitue le contexte dans lequel les hommes constatant le changement des faits les rapportent à des normes.  Les faits sont des  représentations implicites qui expriment la théorie sociale. D'où l'intérêt pour nous à examiner ce que nous entendons par les expériences fait social ou « réalité sociale ».

Partons de quelques postulations : dans le système institutionnel central, Droit et démocratie constituent deux faces d'une même réalité, la société démocratique se reproduit, au demeurant, au moyen du droit. Dès que les codes du droit et des pouvoirs s'établissent, les délibérations et les décisions prennent la forme différenciée d'une formation de l'opinion et de la volonté politiques ; car la formation de la volonté débouche sur des programmes, et les programmes traduits dans le langage du droit ayant une forme légale. La collectivité conçoit donc des programmes pour ce faire. Ces programmes doivent être élaborés sur base des principes du droit de partage équitable pour tous. En effet, « la dynamique de cette action réflexive se trouve encore accélérée par le droit de partage qui fonde les prétentions à la réalisation des conditions sociales, culturelles et écologiques pour bénéficier à chance égale aussi bien des droits de disposer de la liberté que de ceux qui permettent de participer à la vie politique ».17(*) L'histoire du droit moderne s'enracine dans les idées aussi bien morales que politiques. Sa conceptualisation doit répondre de l'expérience contemporaine, c'est-à-dire de la mondialisation. Au cours des trois siècles passés, le statut de la catégorie du droit a varié dans l'analyse de l'Etat et de la société, au gré des conjonctures scientifiques. De Hobbes à Hegel, le droit naturel moderne s'est servi de cette catégorie comme d'une clé médiatrice de tous les rapports sociaux. La société juste semblait devoir être instituée suivant un programme juridique rationnel. Plusieurs éminents auteurs seront à la base de ce changement, notamment à travers la théorie de l'économie politique et des lois économiques.

En effet, à la suite d'Adam Smith et de David Ricardo, on voit se développer une économie politique comme une sphère sociale, dominée par des lois anonymes de la circulation des marchandises et du travail social. La société civile est dominée par des lois anonymes de la circulation des marchandises et du travail social, où les individus sont privés de liberté réelle. Marx retient de tout cela, après que Hegel ait tiré cette même leçon, la privation de la liberté et le fait que la société est fondée sur les échanges, tout en maintenant paradoxalement le concept classique de la société comme une totalité. De ce modèle systémique fondé sur l'échange, on oppose le modèle issu du structuralisme génétique d'une société décentrée, éclatée en de nombreux systèmes et fonctionnellement différenciée.

Plusieurs critiques sont évoquées contre la théorie du droit, dans une perspective systémique : La différenciation du droit au cours de l'évolution peut se comprendre comme une autonomisation qui finit par conférer au droit devenu positif l'indépendance d'un système autopoïetique autoréférentiel. Devenu autonome, le système juridique n'a plus de relations d'échange directes avec les environnements qu'il rencontre à l'intérieur de la société et n'exerce plus sur eux d'effet régulateur. Toute fonction de régulation à l'échelle de la société dans son ensemble lui est interdite. D'où l'émergence des mécanismes économiques : C'est alors le mécanisme du marché, découvert et analysé par l'économie politique, qui prend les commandes, y compris dans la théorie sociale. En effet, l'analyse économique de la société civile, issue de la philosophie morale écossaise, a profondément ébranlé la tradition du droit rationnel.

La tradition (avec Rousseau et Hobbes comme ténors) place la catégorie du droit au centre de la théorie de la société. Les contractualistes des temps modernes en général, sauf Locke, Kant, et Thomas Paine, ont défini l'état de nature en termes d'une théorie du pouvoir (du droit rationnel) et non de l'analyse économique.

L'anatomie de la société bourgeoise, appréhendée par le biais des concepts de l'économie politique, produit un effet démystificateur ; selon cette critique, l'ossature qui assure la cohésion de l'organisme social est constituée non par des rapports juridiques mais par les rapports de production comme infrastructure. Le droit remplacé par l'analyse économique ne joue plus dès lors un rôle central dans la théorie sociale. Il y a changement de perspective et de paradigme.

Décrit en tant que système autopoïetique, ce Droit marginalisé ne peut réagir qu'à des problèmes qui lui sont propres, tout au plus occasionnés par des influences extérieures. C'est pourquoi il ne peut percevoir ni traiter les problèmes qui pèsent sur le système social dans son ensemble. En même temps, sa structure autopoïetique l'oblige à réaliser toutes ses opérations à partir des ressources qu'il a lui-même à produire.

La position du droit et son importance seront problématisées. Ramené à un système autopoïetique, le droit vu sous l'angle distanciant de la sociologie, est dépouillé de toute connotation normative, en dernière instance relative à l'auto- organisation d'une communauté juridique. De la sorte, le droit n'a pu jouer de tout temps un rôle central dans la théorie sociale, il a été supplanté par le paradigme qui met l'analyse économique au centre de la théorie sociale. Il y avait eu en ce sens changement de perspective et de paradigme. Pourtant, à penser à la crise de la modernité qui se manifeste aujourd'hui dans la crise du capital, le salariat devait en subir le coup et le droit privé subséquent.

Enfin, l'objectif consiste à prendre en compte les Biens de tous les individus de façon différenciée, de telle sorte qu'à la primauté du collectif et de l'Etat nous passions à l'espace public comme Humanité qui prend en compte l'opinion de chacun pour le Bien de chacun en créant un espace public mondial intégré. Ce n'est ni le Prolétariat ni la bourgeoisie qui peuvent réaliser ce Projet, c'est l'espace public international non inféodé par le politique.

Venons en maintenant au fait social. Les « faits » ou la réalité sociale sont des attentes et des motivations de comportement qui se rapportent les unes aux autres, des interactions humaines, des petites particules dans le grand flux des processus sociaux enchevêtrés. Ces « faits » ne sont pas ces processus eux mêmes, mais l'idée de ces processus. C'est -à- dire, la perception par exemple de (sa structure socio-économique, des modèles d'interaction sociale, des fins morales et des idéologies), des acteurs sociaux (de leurs caractères, de leur comportement et de leur capacité), et des accidents (de leurs causes, de leur ampleur et de leur coût !).

Or, les paradigmes du droit doivent en principe déterminer la conscience de tous les acteurs, celle des citoyens et celles des usagers tout autant que celle du Législateur, de la justice et de l'Administration. En effet, un paradigme du droit pour Jürgen Habermas est justement identifié à la conception implicite qu'on a de la société. Tous les acteurs impliqués doivent se faire une idée de la manière dont le contenu normatif peut être efficacement mis à profit dans l'horizon des structures sociales et des tendances de développement en présence.

La « construction sociale de la réalité » est sous-jacente, dans le discours juridique, aux jugements de fait, c'est-à-dire à la description et à l'évaluation des processus factuels et des modes de fonctionnement des systèmes d'actions sociales. Nous pouvons dire en termes de Talcott Parsons que c'est l'environnement symbolique et culturel qui propose des buts à atteindre et des moyens appropriés, établit les limites à l'action permise et des propriétés, suggère des choix. La fonction symbolique a priori dans l'action sociale est justement de médiatiser les règles de conduite, les normes, les valeurs culturelles qui servent à guider l'action dans l'organisation de l'action.

Mais ce système peut aussi s'effondrer. On peut dire que cet effondrement du système, comme l'effondrement de l'acceptation collective de cette réalité sociale, cela pourrait bien être une crise de confiance collective au couple salariat /capital, contrat / capital. Ce couple est à la base du développement du droit privé dont la désintégration va appeler l'Etat providence. Un tel système déficient amène à la défaillance de la confiance collective.

En effet, pour Benoit Frudman , « les juristes (ont toujours découvert) non sans inquiétude que l'idée qu'ils se faisaient de leur objet , pour dire vite un ordre juridique national et hiérarchisé , reposant sur la loi, ne permet plus de rendre compte de manière satisfaisante des réalités auxquelles ils sont confrontés et d'apporter des solutions aux problèmes nouveaux que leur pose la pratique ».18(*)

Quelle peut en être la cause ? Il y a eu l'affaiblissement du législatif devant la prééminence de l'exécutif lors du développement de l'Etat providence, et l'extension du pouvoir judiciaire lors de la crise de ce dernier constituant les principales transformations au niveau de l'évolution de la nature de l'Etat de droit. D'où la question suivante : n'est-il pas dangereux d'observer une délégation de responsabilités croissante laissée aux juges quant à l'interprétation de textes de plus en plus complexes et nombreux, une absence remarquée du législatif et un renforcement de la technocratie ?

Habermas confirme ces propos en présentant la crise du droit comme double: il s'agit du fait que la loi parlementaire perd de sa force d'obligation et que le principe de séparation des pouvoirs est mis en péril.19(*) Comme réponse, Jürgen Habermas ne restreint pas l'espace public à l'enceinte du Parlement, il propose  la restauration de l'espace public par le respect des conditions d'une discussion gouvernée par "la situation idéale de parole" qui semble essentiel afin de revitaliser les débats parlementaires qui, le plus souvent, restent rivés entre majorité et opposition. D'ailleurs, comment réveiller la conscience citoyenne et mobiliser les acteurs sociaux à s'engager dans le processus démocratique alors même que les assemblées du Peuple se caractérisent par une absence, voire une désertion de plus en plus flagrante de leurs représentants? Même si le Parlement ne représente qu'une strate de l'espace public, il n'en est pas pour autant le lieu le moins important du point de vue de l'effet des décisions qui y sont prises.

Il est aussi question des échanges à l'époque de la mondialisation. Au niveau de phénomène de la « globalisation des échanges », le problème réside précisément dans le fait qu'on veut faire comprendre (...) que les nations sont (...) exclues des échanges dont on parle.20(*) Ainsi, la mondialisation de l'ensemble des différents sous-systèmes et plus particulièrement, le système économique (l'impuissance à contrôler le marché en tant qu'instrument de régulation), le système politique (mutations d'échelle de la souveraineté21(*)) et celui des moyens de télécommunications (le développement impressionnant du réseau Internet par exemple) constitue-t-il également un des défis majeurs de gestion auquel le système social dans son ensemble est et sera confronté.

1.2.0.2. Les limites institutionnelles actuelles et la mondialisation

La question de manque de prise avec la « réalité sociale » devient une question centrale. La mondialisation est un processus complexe qui se manifeste par « l'extension croissante et l'intensification au-delà des frontières nationales à la fois des transports, des communications et des échanges ».22(*) Autant dire que ce processus aboutit à la montée de la sphère économique souvent non régulée au détriment du politique (contre le respect des frontières Etatiques). En effet, « l'éviction de la politique par le marché se traduit donc par le fait que l'Etat national faible perd progressivement sa capacité de protéger ses frontières, à recouvrer des impôts, à stimuler la croissance et à assurer par là la base de sa légitimité. Car on sait que, lorsque les Etats « sont abandonnés à la régulation par le marché, de nombreuses infrastructures de la vie publique et privée sont menacées de destruction et de dépravation ».23(*)

Un tel processus affecte plusieurs secteurs de la vie, notamment l'Etat. Ce phénomène est planétaire ; des centres, il se répercute aux régions périphériques. « Il va de soi que cela ne concerne pas seulement le noyau central de l'Etat social, à savoir la politique de redistribution, bien qu'elle soit de première importance pour la vie des citoyens. De la politique en matière de l'emploi et de celle qui est menée en faveur de la jeunesse jusqu'à la protection de la nature et à l'urbanisme, en passant par les politiques en matière de santé, de famille et de l'éducation, la « politique sociale » au sens large s'étend à tout l'éventail des prestations fournies par les organisations et les services qui apportent des biens collectifs et contribuent à la mise en oeuvre de conditions de vie d'ordre social, naturel et culturel ;il s'agit de ce point de vue de préserver du déclin l'urbanité et, d'une façon générale ,l'espace public d'une société civilisée ».24(*)

Finalement, « la cohésion des communautés nationales est mise à l'épreuve par la mondialisation. Les marchés mondiaux et la consommation de masse, les médias et le tourisme de masse assurent la diffusion mondiale - ou du moins la connaissance - des produits standardisés d'une culture de masse qui porte majoritairement l'empreinte des Etats -Unis ».25(*) Pour Habermas, «  dans les sociétés complexes, ni la productivité d'une économie organisée en fonction du marché, ni la capacité de régulation de l'administration publique ne sont les ressources les plus rares. Les ressources qui demandent à être traitées avec ménagement sont avant tout celles de la nature, aujourd'hui au bord de l'épuisement, et de la solidarité sociale, en voie de désagrégation ». 26(*) La question de régulation est plus remédiable que celle des ressources naturelles et de la solidarité internationale. Les droits fondamentaux, civiques et politiques, autorisent les citoyens démocratiquement unis à modifier par voie de législation leur propre statut. A longue échéance, seul un processus démocratique qui munit les citoyens de droits à la fois appropriés et équitablement répartis pourra être considéré comme légitime et engendrer la solidarité.

Produit de la centralisation monarchique et des révolutions modernes, l'Etat-Nation apparaît aujourd'hui bien mal adapté à l'intégration économique mondiale. Le contenu contrefactuel de l'autonomie républicaine, n'a pu s'affirmé que parce qu'il a trouvé son « assise » dans les sociétés ayant la structure d'Etat-Nation.27(*) Avec la tendance évolutive sous le nom de « mondialisation », les principes centraux de la démocratie libérale -l'autonomie politique, le demos, la condition de « commun accord », la représentation et la souveraineté populaire deviennent incontestablement problématiques.28(*) Au regard plus précisément de l'alternative « souverainisme/fédéralisme ».

Toutefois, pris positivement, il y a donc :

1° Le changement structurel de la nature du travail dû à l'émergence du secteur d'activité fondé sur la science. Il faut déplorer l'oubli total de cet important secteur des ressources en RD Congo. Ce qui caractérise aujourd'hui les sociétés post -industrielles, c'est la naissance d'un quatrième secteur d'activité fondée sur la science, hormis les trois secteurs traditionnels.29(*) Ce secteur dépend des flux d'informations nouvelles et, en dernière instance, de la recherche et de l'innovation. L'innovation dépend à son tour d'une « révolution de l'éducation », qui non seulement supprime l'analphabétisme, mais conduit à une extension drastique du système d'éducation secondaire et universitaire. A partir de cela, un pays comme la Corée a réussi à passer, en l'espace d'une génération, de la société préindustrielle à la société postindustrielle. Un tel processus a accéléré en général, la migration de la campagne, dépeuplée par la maigre productivité d'une agriculture mécanisée, à la ville. C'est une véritable rupture avec le passé.

2° Le développement démographique ou une croissance de la population, notamment grâce aux progrès de la médecine.

3° Finalement, l'appropriation du progrès scientifique et technique. « Les nouvelles matières plastiques et les nouvelles formes d'énergie, les nouvelles technologies industrielles, militaires et médicales, les nouveaux moyens de transport et de communication qui, au cours du XXe siècle, ont révolutionné à la fois l'économie, les rapports sociaux et les formes de vie, sont fondées sur les connaissances scientifiques et les développements techniques du passé ».30(*)

1.2.0.3. L'effondrement de l'acceptation collective comme principe de mutation

C'est ici, au demeurant, que gît un des concepts centraux pour comprendre l'enjeu de cette étude : l'effondrement de l'acceptation collective, c'est le déficit de confiance collective aux institutions dominantes. « L'une des caractéristiques les plus fascinantes- et terrifiantes - de ce domaine dans lequel j'écris ceci, affirme Searle, est l'érosion constante que connaît par-delà le monde l'acceptation de vaste structures institutionnelles ».31(*) Pour John Searle, le changement social s'accompagne d'un changement de l'acceptation collective.

Plusieurs exemples peuvent illustrer cet enjeu. En effet, il donne des exemples : « on assiste à l'effondrement de l'identification (identité) nationale en faveur du tribalisme ethnique en maints endroits tels que la Bosnie, le Canada, l'ex-Tchécoslovaquie, la Turquie, et dans bon nombre d'universités américaines ».32(*) Et : « On en trouve des exemples plus spectaculaires avec l'effondrement de l'Empire soviétique durant l'annus mirabilis 1989. Quiconque s'est rendu dans les pays de l'Empire soviétique au cours de la période qui a précédé celle de 1989 pouvait voir que tout cela ne tenait en place que grâce à un système de terreur. La plupart des gens ne pensaient pas que le système des fonctions (...) fût moralement acceptable et bien moins encore socialement désirable ».33(*)

Searle met en exergue le rôle éthique de la finalité normative de la réalité sociale et ses liens avec leur ébranlement. Finalement pour Searle, « s'il y a une leçon que l'on peut tirer (...), c'est bien celle-ci : que tout ce que nous valorisons dans la civilisation exige la création et le maintien (...) collectivement imposés. Celles-ci nécessitent la surveillance et des ajustements constants si l'on veut créer et préserver l'équité, l'efficacité, la flexibilité, et la créativité, pour ne rien dire de valeurs traditionnelles telles que la justice, la liberté, et la dignité ».34(*) Searle met ici en exergue l'instance éthique comme a priori en tant qu'antidote à l'effondrement de la réalité sociale. Nous rapprochons l'ébranlement de l'acceptation collective à une situation de déconstruction des idées moralement inacceptables et indésirables. L'effondrement de l'URSS est une crise de confiance du système.

Comment faire pour redresser la situation ? La plupart des scientifiques et philosophes sociaux proposent une perspective dite constructiviste en tant qu'elle tente de fédérer les approches existantes.

Comment se présente la situation en Afrique ?

1.2. Les problèmes des sciences sociales en Afrique

1.2.0. Une logique de la pratique et quelques écueils épistémologiques

Nous abordons ici des sciences sociales en Afrique à partir de plusieurs présupposés théoriques et conceptuels contradictoires (voir le tableau des contradictions théoriques ci-dessus). Nous allons donc pêle-mêle mettre en luminaire ce qu' Ian Hacking appelle dans l'acception du « monde vécu » la matrice de la construction sociale, entendez ici les idées dont émergent les sciences sociales coloniales, soient le référent social, et un certain type d'homme particulier. L'acception du « monde vécu » se distingue de l'acception classique plus rivée sur des modèles abstraits de la société.

Ian Hacking appelle matrice ce à l'intérieur de quoi une idée, un concept où une espèce se forme. Par exemple « la matrice à l'intérieur de laquelle l'idée (...) s'est formée est un ensemble complexe d'institutions, de législation, de travailleurs sociaux, de militants, d'articles de journaux, d'avocats, de décisions de justice, de procédures d'immigration et d'activités des femmes compliquées. Sans parler de l'infrastructure matérielle de barrières, de passe -ports, de comptoirs, d'aéroports, des centres de détention, des tribunaux, de camp de vacance pour enfants réfugiés ».35(*) Nous pouvons justement examiner le statut subséquent des sciences sociales, telles qu'elles se perpétuent aujourd'hui, dans leur rapport avec des institutions africaines et apparentées. Un tel point de départ nous fournit les moyens d'éclairer la raison même de l'approche dite de la construction sociale aujourd'hui paradigmatique en sciences sociales.

1.2.0. Du concept théorique de base : la « race » et des présupposés connexes

Une des hypothèses générales qui soutendent l'ensemble naissant des sciences sociales dans le contexte de domination est justement le concept de « race ». En effet, « bien que la race ait eu un succès considérable dans les tentatives d'explication de la diversité humaine, elle n'est pas toujours le paradigme explicatif des sciences humaines naissantes, elle en est plutôt l'hypothèse implicite et générale ».36(*) Toutefois, « l'impérialisme aurait dû inventer le racisme comme seule explication et seule excuse pour ses méfaits ».37(*) Nous pouvons affirmer qu'à ce moment le concept de « race »  est utilisé pour décrire des formations politiques, des groupes linguistiques, des caractères d'espèces animales, des formations politico- sociales. Au Congo (belge) on parle d'emblée de races différentes (grands groupes Nègres, Soudanais, Nains, Bantous et Hamites ».38(*)

Cette posture doit avoir miné l'Afrique jusqu'aujourd'hui notamment dans les conflits instrumentalisés des Grands Lacs africains qui s'exacerbent et s'exportent dangereusement au Congo-Kinshasa. En premier lieu, le paradigme de la race sera la logique occultée qui va orienter l'ethnologie « qui procède d'une curiosité pour l'Autre, qui s'est manifestée d'abord dans les récits de voyages et qui a vite associé - est-ce une raison de la double appellation de la discipline, ethnologie et/ou anthropologie ? -à la description de moeurs et coutumes insolites, une réflexion sur l'unité et la pluralité de l'Humain ».39(*)

Grosso modo, « la pensée raciale semble avoir dominé la culture savante du siècle qui s'achevait dans le triomphe impérial ».40(*)Et, s'explique ainsi :« la pensée raciale dut attendre la fin du siècle pour se voir célébrée comme l'une des plus importantes contributions à l'esprit occidental ».41(*) Et pour cause : « Au niveau de ses expressions savantes à vocation impériale ne tardera pas à faire recours (de ce concept) dans les conflits internationaux européens, cela se prolonge dans « l'exploitation du continent biologique »selon deux axes principaux, le darwinisme et le déchaînement des mesures anthropologiques ».42(*)

Par exemple Leclerc, de file en aiguille, « montre (...) combien ont été historiquement liés (à l'origine des sciences sociales modernes) les soucis de rationaliser l'observation des indigents (en Europe) et l'observation des indigènes »43(*)comme dans un laboratoire. Plus tard, « au début du XXe siècle, les méthode d'observation des indigènes seront transposées dans l'observation des ouvriers ou des « marginaux ».44(*)

En effet, l'American Anthrologist reconstruit la figure de l'Indien sauvage, ses institutions, sa différence, à partir d'observations réalisées dans les réserves où sont définitivement confinés les survivants. Les opérations mentales sur lesquelles repose cette démarche de réinvention « d'une primitivité marginale », qui n'aurait pu voir le jour avant cette réduction définitive, reposait sur un accord tacite de la profession « l'autorisation qu'elle se donnait de décrire comme primitives les situations non- conformes à sa quotidienneté ».45(*)

Pour Taylor, selon Maesschalck, « à l'époque, (en Occident en tout cas) le problème central des sciences humaines semble être leur capacité à expliquer le changement dans les sociétés humaines », 46(*)alors que, si paradoxal que cela puisse paraître les africanistes eurocentristes cherchent à expliquer le statu quo des sociétés dites primitives. En Occident, « les sciences humaines ne peuvent donc anticiper la formation d'un nouveau contexte culturel, mais elles ont la capacité d'infirmer les tentatives conduisant soit à la fermeture d'un ordre culturel sur lui-même soit à son éclatement pur et simple par auto -destruction (la révolution) ».47(*) Dans ce contexte, les sciences humaines ne peuvent maîtriser les conditions contextuelles d'émergence de nouvelles pratiques, elles peuvent néanmoins adopter une attitude différente de la simple mise entre parenthèse de ces conditions ».48(*)

Ainsi, tel que le dit Marc Maesschalck, « si l'enjeu des sciences humaines semble correspondre à l'avenir des sociétés industrielles tel qu'il était perçu par certains intellectuels « modérés »en 1968, je ne pense pas que ce soit simplement parce que la réflexion elle-même n'échappe pas à la règle qu'elle tente de mettre en évidence ».49(*)

Les coloniaux congolais recourent à l'Afrique du Sud et aux travaux ethnologiques britanniques et d'agronomes hollandais pour prendre le modèle de colonisation.50(*) Nous pouvons l'illustrer à travers « le rôle des institutions coloniales dans le développement de l'ethnologie » qui  procédait ,repentons-le, « d'une curiosité pour l'Autre ».51(*) Cette oeuvre issue des expéditions scientifiques du XVIII ème et du XIX ème siècle, inscrit la description de l'humain dans une sorte de zoologie physique et morale.52(*)  L'ethnologie transfert « à l'espèce humaine l'obsession classificatoire du zoologue ».53(*)

A la suite de Bourdieu, nous pouvons dire avec lui que «la genèse de la science coloniale nous offre ainsi l'occasion rare de saisir le processus de constitution d'un « champ », espace social distinct et propre à la production de biens symboliques »54(*)au sein même d'une visée de domination et d'aliénation. Nous pourrons voir à titre illustratif que la convergence de deux champs savant et impérialiste se conjugue différemment (tel que l'ethnologie catholique et celle des libres penseurs maçonniques au Congo).

Le Congo s'est aussi construit à partir de plusieurs sciences, notamment l'économie politique coloniale ; celle-ci est la logique qui dicte les tracés de routes et l'infrastructure routière, l'industrialisation, la politique agricole, l'émigration de la main d'oeuvre dans les centres extra -coutumiers, etc., dans un contexte de rivalité internationale des puissances occidentales et des Arabes. Ce sont là les conditions sociales et historiques de possibilités des sciences sociales au Congo Kinshasa.

Ces questions, nous nous les approprions d'abord du point de vue de l'Histoire des sciences sociales, même si nous opérons plus au niveau théorique, pour en faire nôtres d'autant plus qu'elles continuent à poser problèmes. Elles forment pour ainsi dire notre problème, celui justement de changement social.

Au demeurant, pour parler de l'Histoire des sciences sociales congolaises, les constructions savantes sont pour une même époque multiples : l'hégémonie de savants- missionnaires ne rimait pas toujours avec ces savoirs officiels et institutionnalisés de la colonisation qui étaient l'émanation de la noblesse politique coloniale - qui géraient au quotidien le pouvoir au sens strict- avec les libres penseurs rivalisant d'ardeur. Nous pouvons voir les acteurs majeurs de la science coloniale et leurs intérêts : le savant catholique missionnaire et le baron non confessionnel de la science coloniale officielle, pour autant que les savoirs codifiés pouvaient servir les intérêts officiels, ces savoirs pouvaient justement être institutionnalisés.

Il faut donc constater qu'une bonne partie des sciences sociales ont pris de l'essor décisif au sein d'une époque d'expansion européenne et donc de domination: « la transformation de l'expansionnisme occidental en un colonialisme suppose en quelques façons la constitution des « sciences sociales» ».55(*) A propos de l'origine de certaines ces sciences sociales modernes, Claudine Vital affirme que « c'est seulement durant le dernier quart du XIX siècle qu'apparaissent les institutions savantes anthropologiques. Chaque campagne militaire, chaque champ de bataille, chaque massacre qui rapporte une nouvelle victoire au colon blanc (contre les Indiens d'Amérique) marque en même temps une nouvelle étape de la pratique ethnologique qui se professionnalise et se répand. Elle devient une profession au moment où s'intensifie l'extermination des hommes ».56(*) L'ethnologie est déjà une synthèse théorique des descriptions monographiques et récits ethnographiques des voyageurs et autres explorateurs des peuples autres qu'Européens.

Elikia M'bokolo soutient à propos qu'en République Démocratique du Congo « pour le moment, les historiens sont largement tributaires de l'ethnographie coloniale pour leurs matériaux et ce que ceux -ci charrient de concepts, d'hypothèses et de théories ».57(*) Elikia se réfère ici à l'histoire coloniale du Katanga, la riche région minière du Congo, qui « reste à écrire et la tâche parait rude dans la mesure où »58(*) des concepts, des hypothèses et des théories y relatives sont sujets à caution par l'entreprise coloniale. Plusieurs aspects sont ici à prendre en compte comme le dit Gregory Quenet, ce sont « les différentes phases des processus de construction, les catégories d'acteurs et d'organisations impliquées, les stratégies et procédures mobilisées, les instrumentations mises en oeuvre, les modélisations effectuées, le rôle des représentations et des conceptualisations ... .»59(*)

Mabika Kalanda, tourmenté par l'impertinence des résultats des recherches coloniales des sciences sociales et humaines en Afrique et au Congo-Kinshasa, et soucieux de trouver une méthode appropriée à l'étude des sociétés africaines contemporaines, s'interpelle : « on peut faire oeuvre de sociologue selon les méthodes de cette science : élaborer, à la manière de M.G. Balandier, une sociologie objective (...) conclure que l'Afrique est ambiguë ».60(*)

A la base de cette situation ce sont par exemple des incertitudes conceptuelles qui fondent des classifications, telles celles qui classent en République Démocratique du Congo précoloniale des gens en « « peuplades », qui donne parfois « grandes peuplades » ; « tribu », qui se dégrade souvent en « petite tribu » et en « sous- tribu » ; « ethnie enfin. » »61(*) du Congo qui se matérialisent finalement par exemple en « séparatisme katangais » engendrant des effets inédits comme le refoulement de « Luba » du Katanga (alors Shaba) en 1992. Ces catégories qui posent problèmes remontent aux classements conceptuels et administratifs successifs de l'Etat colonial belge, tels ceux de 1933, et caractérisent par exemple le texte le plus significatif de la Carte ethnique du Congo publiée en 1961 mais fondée sur des informations datant de l'entre-deux -guerres et sur les enquêtes directes de l'immédiat après-guerre. », avec « sa parfaite coïncidence avec les préoccupations et les pratiques administratives de l'Etat colonial ».62(*)

La plus grande revue de réflexion et de doctrine ethno- coloniale ,le Bulletin des juridictions indigènes et du droit coutumier congolais dans sa rubrique ouverte en 1935 intitulée « Institutions politiques indigènes », décrit « l'organisation politique dans les différents groupements indigènes de la colonie »,reprenant purement et simplement ,comme cadre de référence des groupes qu'elle distingue ,les unités administratives coloniales ,chefferies et secteurs ,telles qu'elles existaient en 1948 -1949 ,période à laquelle elle a clos son enquête ».63(*) En effet, « les découpages successifs réalisés par les autorités coloniales, dans le sens de l'agrégation ou du morcellement des circonscriptions africaines, avaient fini par durcir les frontières entre celles-ci et par grossir leurs différences ».64(*) Ne peut-on pas dire que les effets de l'imagerie anthropologique de l'époque coloniale en tant que construction particulière débouchent aujourd'hui sur l'instabilité de certains pays africains sub-sahariens ?

C'est ici le lieu de mettre en exergue les difficultés que les chercheurs anthropologues ou historiens ont avec les concepts construits tels ceux d' « ethnie » ou de « tribu ». À ce propos Elikya Mbokolo  affirme pertinemment : « on a en effet le sentiment, en parcourant la littérature, que le traitement du problème de l'ethnie est considéré par les chercheurs de terrain comme une corvée dont il faut se débarrasser au plus vite. (...) Alors que la définition de l'ethnie étudiée devrait constituer l'interrogation épistémologique fondamentale de toute étude monographique et qu'en un sens tous les autres aspects devraient en découler, on s'aperçoit qu'il existe souvent un hiatus entre un chapitre liminaire qui, pour peu qu'on s'y attarde, montre le flou relatif de l'objet ».65(*) Pourtant « le concept d' « ethnie » est au coeur de l'anthropologie et elle est constitutive de sa démarche ».66(*) Nous y ajoutons les concepts des « peuples sans écriture », de civilisation, d'origine, d'émigration, d'immigration, conquête, etc., à la suite de remarques pertinentes de Jan Vansina que nous aborderons à propos de l'histoire de l'Afrique centrale.

« La civilisation du travail - celle de loisir- forme un bon exemple (justement) de (la réalité sociale construite). (De telle sorte que) les humains qui ont participé à son élan ont cru être enfin en mesure de bâtir un monde nouveau pour leurs enfants, maîtrisés par les forces de production. ( ...) Mais cette émancipation productiviste a été remise en question par ses héritiers qui ne sont pas parvenus à entrer dans cet univers préfabriqué. (C'est un blocage) ».67(*) Il en va de même de la colonisation qui transpose sur le terrain de la colonisation une civilisation industrielle qui, à son effondrement a emporté l'arrière-plan qui le fondait, le capitalisme industriel qui en a constitué la base. « L'arrière-plan d'une société permet d'invalider une pratique institutionnelle qui tenterait d'imposer un seul mode de légitimation des normes, c'est-à-dire qui serait incapable de reconnaître des droits collectifs à des `'sociétés distinctes'' ».68(*) De ce qui précède Marc Maesschalck stigmatise l'enjeu : ainsi « il ne s'agit pas de transformer une pratique institutionnelle donnée, mais de changer de civilisation ».69(*)

La construction de la réalité sociale appliquée à des sociétés colonisées est faite au moyen de l'anthropologie juridique appliquée à ces sociétés colonisées en opposition avec le droit naturel des temps modernes européens. Le droit de l'homme a été la poursuite de ce mouvement de la construction européenne : « le devoir de civiliser, l'argument du droit de civiliser portait sur le droit de mise en valeur de ressources incombant aux peuples capables de réaliser celle-ci de manière supérieure aux pratiques locales. Cet argument ne fut pas théorisé par l'ethnologie, mais par le droit naturel ».70(*)

Une telle situation qui apparait comme la projection théorique du constructeur devait déboucher sur l'exigence d'« une éthique de la construction sociale (qui doit considérer) toutes les activités comme intégrées à l'enjeu décisif de l'existence collective, c'est-à-dire l'institution de l'autonomie sociale qui implique directement la responsabilité de tous les acteurs de manière interne au processus social ».71(*) Justement « la solution dépend encore de l'application des structures de décision de la communauté politique ».72(*) Parce que « une chose est d'être une norme en principe acceptable, une autre d'être une norme en pratique valable. »73(*)  Pour nous, c'est ce que nous allons à moitié tenter de démontrer, du moins d'un point de vue de la philosophie du langage : une « société (doit être considérée d'abord) en tant que'' significations subjectives''».74(*)

Concrètement, partons des exemples sur le Congo et passons à l'ethnologie juridique. Celle-ci - à propos de la Carte ethnique du Congo -qui, depuis les enquêtes parlementaires belges de l'oeuvre léopoldienne, tentera de prendre les devants dans l'édification de la nouvelle société congolaise. Au point de vue de la mise en valeur de l'Etat Indépendant du Congo ; historiquement le travail forcé dépeuple la population au point de déboucher sur une crise sociale. Cette situation mettra le Roi Souverain devant le fait accompli, et il sera forcé d'accepter une commission d'enquête belge conduite par trois éminents juristes belges qui mettront à nu une oeuvre controversée, en défaveur des noirs. Depuis lors, le droit sera la science pilote qui donnera lieu à des reformes, et à la naissance d'une sorte des sciences de « développement » qui va succéder au paradigme de la science de contact depuis la conférence géographique de Bruxelles en 1876. Ce qui dicte en partie les limites mêmes du territoire congolais. Dans les milieux ruraux, l'organisation de la chefferie ne tient aucun compte des liens de vassalité qui existent ni de parenté, sa seule base est territoriale.

A propos, un auteur comme Sohier distingue ,dans ses publications de 1924 parues dans Revue de Jurisprudence du Katanga que nous évoquerons au sujet de la Carte ethnique du Congo et qui deviendra en 1933 le Bulletin des Juridictions indigènes et du droit coutumier ,l'empire du « droit sacré », magico -religieux (référence aux travaux d'un autre auteur du nom de Possos) ou de la « philosophie bantoue » (référence à l'onde de choc de Placide Tempels) par rapports aux pratiques juridiques bantoues qui, face aux nécessités de maintien de l'ordre, ont opéré de nettes distinctions et parfois de volte-face permettant de retrouver les fondements des conventions civiles. C'est principalement la destination de l'autorité politique que déplore Van Derkerken ; c'est là qu'il situe l'origine de l'effondrement des sociétés indigènes.75(*) Van Derkerken, essayait par exemple de démontrer qu'au Congo, la question essentielle portait sur les fondements de l'autorité dans des « dynasties de sang sacré » (chef de races ») ; et il établit les droits fonciers des indigènes sur la presque totalité des terres. Pour Van Derkerken, seule la connaissance et la reconnaissance des structures sociales bantoues peuvent s'opposer à une prolétarisation perçue comme une déchéance culturelle et un immense danger social.76(*)

Toutefois, signalons que l'église catholique au Congo a joué un grand rôle dans la reconnaissance de la culture autochtone. Pour Kadima Nzuji Mukala et Sémon Komlan Ghanou , « si Mudimbe s'était laissé embrigader, il aurait été au coeur de la recherche culturelle qui a abouti à la reconnaissance, en 1988, par Rome, du rituel zaïrois de la messe (Décret Zaïnsium Diocesium) ».77(*) Le mouvement de l'authenticité de Président Mobutu a mis aussi en place une industrie culturelle pour une telle rénovation dans le même sens mais diversement appréciée.

Au demeurant, l'évolution de la tentative disputée de la promotion de multiculturalisme juridique entamé dès les premières heures de la colonisation au Congo devait déboucher sur la promotion du droit indigène : « la règle de droit doit être comprise en considérant que « le droit nègre a été élaboré par des hommes raisonnables...pour remédier à une certaine difficulté de la vie... dans une démarche dont de nombreux fondements sont universels ».78(*) Pour Van Derkerken, il aurait fallu privilégier les juges et magistrats traditionnels bantous qui nous « apprendront à penser noir à propos du droit noir.79(*) C'est une recherche de la reconnaissance collective de la communauté des savants traditionnels.

La tendance inverse au multiculturalisme sera dominante, et elle va amener à « l'évolution et la disparition rapide des sociétés (dites) archaïques (qui vont) modifier non seulement le projet, mais le regard initial ».80(*) « Ces divers mouvements brisent, d'une certaine façon l'illusion de restitution et de pureté de l'objet (...), favorisant aussi bien une sorte de narcissisme descriptif ou ironique ».81(*)

« Les sciences sociales (ethnologie et économie) ne peuvent ou ne veulent définir un espace quelque peu autonome face au couple qui s'affirme hégémonique, le couple du juriste colonial, qui fait la loi et construit le Congo, et du « macro -ingénieur », qui étend ses compétences à tous les aspects de la mise en valeur ».82(*) Au Congo, selon Marc Poncelet, deux disciplines sont en avant plan dans la construction des colonies : l'économie et le généralisme (les macro- ingénieurs) face à l'ethnologie et au droit.

Cette situation va se perpétuer, plus tard, « les indépendances africaines ont vu apparaître des états -civils sur le modèle français (ou belge) ».83(*) « Le passage de l'ethnie à la nation, au début totalement artificiel a bouleversé les populations africaines de manière beaucoup plus profonde qu'on ne l'imagine habituellement ».84(*) Ce fait fait justement suite, au tout début du XIX è siècle, à la découverte des systèmes de parenté matrilinéaire vus comme un choc par l'Europe. Tout cela à travers le développement de la circumnavigation et la découverte ébahie d'autres mondes à la différence bien plus radicale que ceux connus jusqu'alors -les Noirs d'Afrique, les Indiens d'Amérique, les indigènes d'Océanie. C'est aussi la considération des systèmes matrilinéaires par la théorie anthropologique qui a posé à la psychanalyse sa question la plus embarrassante : si le complexe d' OEdipe est bien universel ,s'il est vrai que tous les garçons du monde présentent des désirs incestueux envers leur mère, agressifs envers leur père, comment un tel complexe peut-il se manifester dans un monde où le véritable chef de famille est l'oncle maternel et non le père ; un monde où la véritable tension se situe entre frère et soeur et non mère et fils ? C'est en substance le contenu d'un célèbre livre de Malinowski (La sexualité et la répression dans les sociétés primitives, Paris, Payot, 1971) dont la publication a contraint les psychanalystes à toute une série de réfutations, tant théoriques qu'anthropologiques.85(*)

L'analyse s'étend à plusieurs autres concepts : l'éthnie, le développement, le sous-développement, l'Etat, etc. Mutuza Kabe considère que cet axe de recherche est un courant à part entière pour son importance persistante dans la philosophie africaine : « le courant de la réévaluation des concepts résulte du problème de l'acculturation et de la nécessité de traduire les réalités africaines dans les langues étrangères. (...) Nous ne prenons tous pas garde et nous continuons à nous servir de ces mots, alors qu'ils ne correspondent plus aux réalités nouvelles, nous parlons aujourd'hui de culture et de civilisation et nous les appliquons indistinctement et univoquement des concepts nés dans un contexte culturel défini à des sociétés et à des civilisations différentes, alors que nous reconnaissons le rôle déterminant que jouent dans la formation des idées, des cadres socio- culturels ».86(*) Il renchérit, « on a plaqué, avouent, les auteurs de l'histoire de l'humanité, sur le passé africain afin de le réduire à des schémas connus tout un vocabulaire emprunté à l'histoire européenne : Etat, Empire, Royaume, etc.(...)Leur adaptation réelle aux situations africaines qu'ils sont censés expliquer n'a jamais été sérieusement examiné. Ils portent d'ailleurs en eux-mêmes un poids de prestige ou de jugement qui leur confère un caractère quasi sacré et pourtant ils n'expliquent réellement rien de cheminement propre à l'Afrique ».87(*)

Outre des préoccupations strictement internes, la construction des hypothèses nouvelles rebondit par exemple dans « la problématique constructiviste de l'ethnie ainsi que les concepts qui lui sont liés - métissage, créole - trouve une application en Europe et aux Etats-Unis dans le cadre de la lutte contre le racisme et de la mise en avant des politiques reposant sur le multiculturalisme ».88(*) Cette problématique touche, en effet, à la question des stratégies pour endiguer la « pauvreté » dans les pays riches en ce que « l'éventuelle introduction en France des critères ethniques dans les recensements- à l'image de ce qui se pratique déjà aux Etats-Unis - devraient permettre, selon ses partisans, de resserrer les mails du filet destiné à cerner et à traiter les poches de pauvreté et de handicap. Quoi que l'on puisse penser de son efficacité, ce nouveau dispositif s'inscrit dans le cadre de l'extension du domaine des « bio- pouvoirs » mis en place au XIXe Siècle dans le domaine de la démographie et de l'épidémiologie ».89(*) Ceci fait penser au projet de loi de l'ADN sur la question d'immigration en France.

En ce qui concerne l'histoire de l'Afrique Centrale en général, Jan Vansina souligne le fait que « d'un point de vue théorique les données ethnologiques peuvent être d'une grande valeur pour l'historien. Tout historien en effet, s'il veut faire oeuvre sensée, doit savoir comment se présente maintenant une culture donnée et comment elle se présentait juste avant la période coloniale. ( ...) La répartition des objets ou des complexes culturels et en particulier l'étude des « fossiles » culturels ou au contraire des « innovations » culturelles pourraient théoriquement fournir une mine d'informations historiques. Pourtant sur ce point les ethnologues manquent de méthodes appropriées ».90(*) Vansina émet l'hypothèse dès cette époque qu' « on ne pourra aboutir à des conclusions significatives que grâce à un usage conjoint et plus systématique des données linguistiques et des données culturelles ».91(*)

Il recommande l'étude de la source orale en histoire africaine. En ce qui concerne les traditions orales, « source essentielle pour l'histoire de l'Afrique Centrale (...) dans tous les Etats, il y avait à la cour des personnes chargées de conserver les traditions. C'était souvent des indigènes investis de prérogatives religieuses comme chez les Bemba, les Lozi, les Kazembe, les Luba, les Imbangala, les Ovimbundu, chez lesquels les gardiens des sépulcres royales étaient les préservateurs de la tradition. (...) en dehors de ces fonctionnaires politiques, les traditions étaient gardées par tous les groupes constitués, les groupes de parenté comme les clans ou les lignages porteurs d'un nom glorieux, par exemple le nom de ndumbulu au Kongo ou le nom kasala chez les Luba, tels aussi des groupes territoriaux comme les villages ou les sous- chefferies ».92(*)

Ses avis sont presque péremptoires, « En ce qui concerne la région qui fait l'objet de notre étude, dit-il, le travail anthropologique effectué jusqu'à présent est lacunaire. (...) Dans l'ensemble donc, il reste beaucoup à faire en anthropologie ».93(*) Outre les méthodes anthropologiques à améliorer, Jan Vansina évoque une fois de plus des concepts fondamentaux pour l'histoire de l'Afrique centrale, spécialement des Rayaumes de la Savane- Luba -Lunda.

Cette problématique, il nous semble, vaut bien pour la compréhension des questions aussi sanglantes que celles entre Israël et Palestine, la Serbie, le Tutshi, etc. Au Rwanda, Claudine Vidal, tente de montrer, « comment l'imaginaire (la Raison) anthropologique travaille à détemporaliser une formation sociale et, de ses déterminations présentes, fabrique un passé mythifié en figures idéales : elles se conjurent sans peine au présent ethnologique. (...) C'est ainsi que Tutsi et Hutu, transformés en substances, ne possèdent plus d'autres réalités que de manifester une structure de caste, ou un modèle féodal, cela dépend des auteurs. »94(*) Il y a confusion des unités cultuelles (Rwandais et Burundais parlent une même langue) des unités politiques (monarchie, modèle féodal, royaumes précoloniaux, etc.).

A ce sujet, « il semble difficile d'admettre qu'un tel mythe ait pu être construit par des chercheurs professionnels (...) pour autant qu'eux aussi, ils ont pratiqué le terrain, entendu des informateurs. Une attitude épistémologique d'époque- entraînant la conviction qu'une combinaison d'éléments simples produit la logique même du réel - semble insuffisante à inspirer d'aussi totales erreurs. Et, pourtant si, parce qu'elle autorise une distance telle à l'objet qu'elle engendre nécessairement - en déçà des sophistications propres au métier -une capacité de croyance assimilable à la foi du charbonnier. Du coup, toutes les discussions deviennent possibles et pensables, d'autant plus qu'elles trouvent, involontaires ou conscientes, de complications autochtones ».95(*)

Pour Vansina « le concept de tribu est rarement défini. Les historiens omettent, dit-il, de distinguer entre la communauté politiquement souveraine, qui est politique et la communauté culturelle, qui est l'unité culturelle. L'historien imagine que la communauté culturelle est perpétuelle. Elle ne disparaître pas, elle ne s'altère pas au cours du temps, quoiqu'elle émigre et que l'on puisse repérer géographiquement les routes de ses migrations. Cette conception est absurde. Il n'est pas difficile de démontrer que les tribus naissent et meurent, et cela même sans déplacement de populations, changements importants dans les cultures objectives des communautés qui les composante ».96(*)Par exemple : « La question de l'interprétation des données brutes , poursuit Vansisna, fait usage d'une série de concepts fondamentaux concernant à la fois les entités (...) et les types ou les genres de processus qu'elles comportent. Tels sont les concepts de « tribu » (...) des « origines », des « migrations », et de « conquête » ».97(*)

Dans le Congo précolonial, pour Vansina, « l'exemple le plus frappant est le cas des Lulua. Avant 1890, il n'y avait que les Luba du Kasaï. Mais vers 1959 les Lulua et les Luba étaient tellement différenciés qu'ils engagèrent dans de violents conflits. Comment cela se produit -il ? Les premiers commerçants, Angolais et Européens, qui entrèrent au Kasaï donnèrent des sobriquets à la population qu'ils trouvèrent. Un de ces sobriquets survit : celui de Lulua. Mais la population se donnait à elle-même le nom de Luba, comme groupe situé plus au Sud jusqu' au Sud- Est de la rivière Lulua dans la région de Dibaya vers 1890 les raids de Ngongo Luteta et de Lumpungu, deux trafiquants d'esclave qui opéraient pour le compte de Tippu Tib, chasserènt de chez eux des milliers de membres de ces groupes du Sud -Est, qui gagnèrent Luluabourg où ils cherchent refuge auprès de l'administration. Ils furent installés par les Européens et bénéficient des premiers avantages de la vie coloniale : missions, l'école et hôpitaux. Très vite ils commencèrent à se sentir différents des habitants du pays, et ce sentiment partagé par ces derniers se cristallisa dans l'usage des termes Luba et Lulua ».98(*)

A quoi Vansina veut -il en venir ? En effet, dans des nombreux cas dit-il « ce n'est pas la tribu qu'il convient d'étudier. Les historiens sous-entendent souvent que les tribus ont une histoire et que l'histoire de l'Afrique centrale précoloniale est une histoire tribale. C'est ici que prévalent certaines notions trompeuses ».99(*) En effet : « Culturellement les royaumes peuvent être hétérogènes (...) ou inversement des unités politiques différents peuvent appartenir à la même culture ».100(*) Il faut donc discerner l'histoire culturelle de l'histoire politique. Il est convenable en histoire politique de ne pas étudier l'histoire de la tribu qui n'est pas une entité perpétuelle, d'étudier plutôt l'unité politique : royaume, village ou lignage. Dans la région culturelle Lunda, selon la classification de Vansina d'alors, nous avons les Mbagani (Bindj),Lwalwa, Sala Mpasu ,Sud Kete ,Noyau Lunda, Cokwe, Lunda de l'Ouest ,etc., mais entre 1500 et 1900 l'histoire est étudiée par lui au point de vue des entités politiques de base ,royaume ,village ou lignage, chefferie, etc. Les cartes ethniques subséquentes qu'il utilise sont culturelles à proprement parler ou politiques. « Plusieurs « tribus » du Haut -Katanga par exemple sont tellement semblables culturellement que du point de vue de l'histoire de la culture, elles peuvent être considérés comme si elles formaient une seule entité. Du point de vue de l'histoire politique, ce sont les chefferies qu'il convient de distinguer les unes des autres ».101(*)

Il est plus que révélateur en somme de savoir qu'une tribu peut être une construction telle que nous le constatons avec la tribu Lulua. Beaucoup de conflits contemporains, tel celui le plus énigmatique des tribus du proche Orient , frisent à plusieurs égards et de plusieurs cotés des réalités construites artificiellement. Il faut toutefois, à ce moment là, assurer les droits y relatifs comme réalité désirable et moralement acceptable, susceptible de persister pour un ordre mondial durable.

Soulignons que pour Vansina, outre ce qui précède en ce qui concerne les royaumes de la Savane en Afrique centrale, « la plupart des documents écrits souffrent d'un défaut fondamental. Ils traitent d'événements vus par des yeux d'étrangers se trouvant souvent en conflit ou en compétition avec les peuples locaux ».102(*) A propos de l'histoire de l'Afrique centrale justement, Jan Vansina dans cet ouvrage qui est un des premiers en la matière, évoque entre 1963 et 1964 une seule difficulté principale mais fort importante : « il se pourrait en effet que la principale raison de notre ignorance présente soit l'absence générale d'intérêt pour l'histoire de l'Afrique, exception faite pour l'histoire des efforts européens accomplis sur le continent. Il en résulte, hélas, le sentiment tacite que, faute des sources, il est impossible d'écrire l'histoire de l'Afrique Centrale. Pareille impression est dénuée de tout fondement et l'objectif principal du présent ouvrage est de rompre avec toute une tradition de négligence, et de réfuter le sentiment aussi général que vague qu'en ce domaine il n'y a rien à faire ».103(*)

Outre cette difficulté qu'il tente de surmonter par ailleurs, l'auteur passe en revue « les sources sur lesquelles les historiens fondent leurs travaux, et (...) certaines des notions de base qu'ils utilisent dans leur interprétation ».104(*) En effet, « l'historien de l'Afrique centrale s'appuie essentiellement sur cinq espèces différentes de sources : les documents écrits, les traditions orales, les données archéologiques, les preuves linguistiques, et les données relevant de l'anthropologie culturelle ».105(*)

1.2.1. Du constructivisme d'Yves Valentin Mudimbe face à l'Histoire africaine et à la critique de Jan Vansina

Jan Vansina a longtemps travaillé sur l'histoire et l'anthropologie en Afrique Centrale, spécialement en République Démocratique du Congo. Vansina est un africaniste d'origine belge installé actuellement depuis de nombreuses années à Wisconsin aux Etats-Unis. A propos de Mudimbe, il dit ceci : « A ces lecteurs qui, jusqu'à présent n'avaient pas prêté attention à la philosophie de l'histoire, Mudimbe parut d'un seul coup démolir le fondement d'une science « objective » de l'histoire en général et du matérialisme historique,en particulier. En réalité, il ne contestait pas la possibilité d'atteindre l'objectivité mais simplement dénonçait les partis pris des sciences sociales et humaines. Plusieurs historiens de l'Afrique découvrirent soudainement, pour la première fois, que l'histoire n'est pas une « science » et que « la vérité » absolue n'existe pas (Vansina, 1994 :219) ».106(*)

Jan Vansina caractérise le constructivisme en histoire par cinq traits fondamentaux qui sont selon ses analyses, à divers degrés, présents dans l'ouvrage de Mudimbe : Le constructivisme en histoire affirme d'abord que toute conscience historique est un produit idéologique du présent et reflète les relations de pouvoir au présent : le « passé n'existe pas ». Secundo : Il soutient que même s'il existait, le passé ne peut pas être connu, parce que ses traces immédiates (textes écrits, données archéologiques) sont interprétés et, ainsi « inventées » par les lecteurs actuels (« déconstruction »). Tertio : il insiste sur le fait que l'objectivité n'est pas seulement impossible à atteindre mais qu'il est inutile de s'efforcer de l'atteindre, car l'interprétation subjective d'un acteur donné est ce qui importe le plus dans l'historiographie. Quarto : il n'y a pas de démarcation véritable entre fait et fiction. Enfin, il est hypocrite de rechercher un consensus parce que c'est une tentative d'imposer le point de vue relatif d'un individu ou d'une oligarchie à tous les autres.107(*)

Pour Jean Copans, bien entendu, « les théories élaborées en Europe et pour l'Europe peuvent être appliquées aux pays de la périphérie mais il ne faut pas oublier que les théories sont des élaborations sociales, culturelles, et par conséquent relatives, c'est-à-dire datées historiquement. C'est l'obstacle le plus puissant à l'évaluation du poids relatif des facteurs internes et externes ».108(*)

Nous allons nous référer à titre d'exemple à la critique actuelle de Jan Vansina contre le postmodernisme d'Yves Valentin Mudimbe ; ce dernier n'hésite pas à affirmer que « l'histoire est une légende, une invention du présent. Elle est à la fois une mémoire et une réflexion de notre présent. M.Bloch et Fernand Braudel disent la même chose quand ils présentent l'histoire comme une tentative d'établir une relation entre un cadre conceptuel, un modèle net, les rythmes multiples du passé ».109(*) Mudimbe partagerait le credo postmoderniste qui dit qu'il n'existe pas de discours strictement objectif à propos d'une société, du passé et du présent.

Bernard Mouralis souligne « La réflexion que Mudimbe a menée, antérieurement ou parallèlement, sur le discours tenu à propos de l'Afrique par les sciences humaines ».110(*)  Après avoir montré comment Mudimbe subvertit Foucault et Lévi-Strauss pour les mettre au service de son projet humaniste et adapter ses problématiques au contexte américain , surtout celui des Black (African) Studies et des théories postcoloniales , B. Mouralis  s'attache « à analyser la manière dont le sujet postcolonial , en l'occurrence Mudimbe , s'inscrit dans son milieu archéologique et existentiel pour faire l'objet d'un procès de dé/construction ,c'est-à-dire à la fois de démontage de l'ordre colonial et de construction d'un nouvel être -au -monde postimpérialiste et postnational ».111(*)

Aujourd'hui, des chercheurs  attirent l'attention sur les traditions et les structures de pensée française et en particulier sur la façon dont elles se sont adaptées au soutien du colonialisme et de l'empire. Plus particulièrement Valentin Yves Mudimbe, Chris Miller et Gary Wilder ont suggéré de nouvelles méthodes pour évaluer les défis intellectuels ; ils « montrent de façon convaincante que la vision française de l'Afrique /autre est étroitement liée aux conceptions que les Français ont d'eux-mêmes. (... ) Mudimbe en particulier souligne les difficultés que cette tradition a posées aux penseurs africains francophones et à leurs efforts pour se libérer des structures françaises de pensée coloniale et modernistes. »112(*) Il faut « un vaste programme du devenir du continent africain et de celui de la Diaspora, programme correspondant à ce que Mudimbe appelle l'invention de l'Afrique,et qui consiste à élaborer un discours total pour parler de l'Afrique à partir du point de vue africain. »113(*)

Le point de vue de Jan Vansina que nous avons présenté ressort d'un grand débat sur le thème : « comment sortir de la bibliothèque coloniale ». Nous l'avons déjà dit. Aujourd'hui c'est un des enjeux, affirme Mudimbe, « le passé (colonial) paraît encore dédoubler efficacement le présent zaïrois (congolais). Comment le clôturer ? Sous quel mode le nier à tout jamais ou le figer en éclats brillants sur un mur de musée ? Ou encore, pour quelles raisons et à quelles conditions vivre avec lui, en le rendant muet certes, mais tout en tirant les vérités utiles pour la domination de l'avenir qui s'annonce tumultueux ? Voilà les questions essentielles de la culture et de la science zaïroise aujourd'hui. Elles pourraient expliquer l'impudeur de leur projets, la naïveté de leurs tentatives et positivement banale : quelle expérience entreprendre pour cesser d'être le « fils »de son « père  »et à quel prix vivre sa propre histoire et devenir maître de son destin ».114(*)

L'enjeu pour aujourd'hui, ce que nous devons construire des discours ou des institutions sur d'autres conceptions et sur des expériences socio- culturelles traditionnelles ou présentes.  Aussi faut-il d'abord trouver cette culture. Une des questions essentielles est la suivante : où trouve-t-on cette culture (congolaise, alors) zaïroise ? « La bibliothèque ethnologique belge » est, paradoxalement, devenue le miroir culturel par excellence, dit Y-V Mudimbe. Elle parait être la régulatrice majeure, non seulement des quêtes sur le passé, mais aussi des compréhensions, sur la société actuelle. Des Zaïrois Bakongos récitent aujourd'hui leur culture traditionnelle en fonction des Etudes Bakongos de Van Wing ou des traces discrètes des apostilles de l'italien Luca de Catanisetta qui remontent à la deuxième moitié du XVII e siècle (voir l'édition établie par F.Bontinck, Diaire congolais, Louvain -Paris, 1970) ; les Luba, (...) lorsqu'il est question de leur culture, reconduisent aujourd'hui des prescriptions herméneutiques subrepticement apostillées par RR.P.P. Coble et Van Caeneghem. Il n'est pas jusqu'aux initiés potentiels Songye qui ne conçoivent et ne disent la grande voie initiatique de « Bukishi » qu'au travers des lumières et souillures nommées par un ancien colonial dans l'Esotérisme des Noirs dévoilé ».115(*)

La problématique spécifique, corollaire à la reconstruction théorique de la construction d'une nouvelle réalité sociale en Afrique, s'articule ici d'un point de vue de la connaissance et du langage. Pour Mudimbe, la culture congolaise « parait se réduire à un genre de connaissance. (Pourtant),il pourrait y avoir quelque paradoxe à le dire : c'est probablement à partir de cette forme de connaissance que « le musée zaïrois » s'ouvre et que le regard peut ,au détour d'une allée ,se figer face à la beauté des Arts au pays du fleuve Zaïre (voir : J.Cornet :L'Art de l'Afrique Noire au pays du Fleuve Zaïre,Bruxelles,1972 et Badi-Banga Ne-Mwine,Contribution à l'Etude historique de l'Art plastique Zaïrois des Beaux-arts )et,éventuellement à propos d'un symbole ,trouver le fil d'un récit foudroyant de l'expérience et de l'histoire des mille et une tribus du Zaïre »116(*).

Aux yeux de Mamadou Diouf, «  procéder à ce mouvement, c'est dans une très large mesure sortir des controverses entre Jan Vansina et Y.V.Mudimbe et les autres sur la période la plus déterminante de l'Afrique. La période précoloniale, pour le premier, permet de reconstruire une histoire autonome de l'Afrique avec des techniques, des objets, des voix et des territoires qui échappent au cadre historique européen, tout en produisant un discours historique qui respecte les règles de l'écriture historique ; la période coloniale, pour le second, révèle l'Afrique à elle-même et au monde. Ce qui importe donc pour ce dernier et pour d'autres, ce sont les textes à la marge desquels l'Afrique est inscrite. »117(*)  Pourtant, en croire encore Mamadou Diouf, « cette controverse ne prend en compte que les transactions pour lesquelles la présence de l'Europe devient un facteur organisateur. Ni les transactions arabes, sahariennes, de la côte orientale/swahili de l'Afrique, avec les multiples cultures échangées entre les îles et les rives de l'océan Indien, ni la difficulté d'identifier tous les échanges entre les colonies et les métropoles ne sont prises en compte ».118(*)

Au demeurant,« la culture zaïroise ,poursuit Mudimbe, peut aussi être désignée comme étant la transcendance de l'école, en un sens plus précis encore :d'abord parce que l'école coloniale hier,celle de l'indépendance aujourd'hui, délivrent mots, méthodes et pouvoirs conceptuels qui permettent à des Zaïrois(congolais aujourd'hui) ,- à l'instar de ce qu'ont fait Buakassa T.K.M. ,pour les Kongos, Mulago pour les Bashi ,Mwabila pour les travailleurs de Lubumbashi et Tshiamalenga pour les Balubas - de construire des langages ou des institutions sur des expériences socio -culturelles traditionnelles ou présentes ».119(*)

La question de l'apprentissage et celle de l'évolution sociale sont liées, et les deux questions peuvent être posées dans les termes de Mudimbe comme devant être le dépassement d'« une philosophie de l'éducation parfaitement enfermée dans les figures et facticités d'une politique d'acculturation et de ses symboles sociaux : ce sont des acculturés bien sélectionnés qui ont fait et se désignent pour le pouvoir ; ils incarnent au Zaïre (République Démocratique du Congo) la « culture ». La question centrale de changement au Congo se ramène encore à l'exigence de l'inculturation.

« Il s'agirait, pour nous Africains, dit Mudimbe, d'investir la science, en commençant par les sciences humaines et sociales, et de saisir les tensions, de re-analyser pour notre compte les appuis contingents et les lieux d'énonciation, de savoir quel nouveau sens et quelle voie proposer à nos quêtes pour que nos discours nous justifient comme existences singulières engagées dans une histoire, elle aussi singulière. En somme, il nous faudrait nous défaire de l'odeur d'un Père abusif : l'odeur d'un Ordre, d'une région essentielle, particulière à une culture, mais qui se donne et se vit paradoxalement comme fondamentale à toute l'humanité. Et par rapport à cette culture, afin de nous accomplir, nous mettre en état d'excommunication majeure, prendre la parole et produire différemment ».120(*) L'effort de notre dépassement à la suite de John Searle se situe là justement au niveau de la question complexe du constructivisme.

1.2.3. Le projet de l'épistémologie de la différence et l'épistémologie constructiviste de la continuité

Valentin Yves Mudimbe explicite son projet épistémologique comme suit : « nous nous interrogeons en vue de nous « libérer », sur les possibilités ou les conditions d'un discours scientifique qui serrait spécifiquement africain ».121(*) Et il constate qu' « il est devenu usuel de s'interroger sur le lieu d'où part la parole et sur l'archéologie qui assure ce qui est dit ».122(*) Il émet l'espoir d'aboutir à une science africaine au nom d'une épistémologie de la différence des connaissances considérées depuis comme la doxa ou la pré-histoire des connaissances occidentales.

Son projet fait suite au fait que « les sciences sociales et humaines en Afrique, poursuit-il avec sévérité, sont des « sciences folles » parce qu'elles opèrent dans un contexte singulier au moyen des instruments et des paramètres inappropriés ».123(*)Valentin Yves Mudimbe cristallise et fustige par conséquent « l'ambiguïté et les équivocités des sciences humaines qui se sont imposées chez nous comme des « sciences » sans dire dans quel sens elles méritaient ce titre ».124(*) Nous devons contourner la situation des « langages en folie », c'est-à-dire « la transposition et l'application non critique des théories produites, travaillées, soutenues par un ordre dans un contexte totalement différent où elles s'érigent en « dogmes », en « canons », en « vérités absolues ».

En effet, dira-t-il précisément, « il me parait probable, pour ne pas dire certain, que le propos d'une science « africaine » qui, régulièrement, depuis une vingtaine d'années, se profile agressivement derrière les paradigmes classiques d'une philosophie, d'une anthropologie ou d'une théologie, puisse un jour faire apparaître comme une constante des énoncés qui seraient parfaitement transcriptibles en dispositions concrètes et pratiques d'un savoir. Actuellement, « ces propos se réalisent dans des discours qui ont l'air subversifs et qui le sont peut être effectivement, mais dont la pertinence est souvent discutée du fait que leurs propositions ne ressortissent pas à l'espace normatif ».125(*) Pourquoi en est-il ainsi ? Ce serait sans doute parce que, à la suite de Foucault, « il se peut toujours qu'on dise le vrai dans une extériorité sauvage ; mais on n'est pas dans le vrai qu'en obéissant aux règles d'une « police » discursive qu'on doit réactiver dans ce discours. La discipline est un principe de contrôle de production du discours. Elle lui fixe des limites par le jeu d'une identité qui a la forme d'une réactualisation permanente des règles ».126(*)

Cette possibilité se justifie par l'épistémologie dite de la différence qui conduit aux modes successifs mais différents d'organiser la société. C'est la question dite de la différence coloniale. Mudimbe donne l'exemple à la suite de Michel Foucault, de transcendantaux épistémologiques qui sont justement les conditions d'une épistémologie de la différence dans la constitution de la science. Un type de savoir se crée parce qu'on privilégie un élément d'une paire, constituant en lui-même une perspective. Dans l'étude du corps ou en biologie, dans l'étude de la société (sciences économiques) et dans la langue (grammaire générale), deux perspectives sont envisageables : la fonction ou la norme, le conflit ou la règle, et enfin la signification ou le système. Chaque perspective crée un type de savoir justement. Disons que le constructivisme consiste à mettre les deux paires d'une même série ensemble.

Certains auteurs vont privilégier le conflit ; dans les études des langues nous aurons l'existence des prétendues langues civilisées et celle des langues anormales et sans culture.  Ferdinand de Saussure va privilégier la règle à la place du conflit ou en anthropologie, la mentalité normale ou mystique chez Lévi- Bruhl.

Notons aujourd'hui que le paradigme de domination à l'oeuvre dans les marxistes structuralistes, le paradigme de conflit développé dans les théories actionnistes, le paradigme d'intégration tel qu'il est à l'oeuvre dans les théories structuro-fonctionnalistes, et le paradigme de compétition dans les théories utilitaristes sont reconstruits ensemble dans la mouvance constructiviste.127(*)

1.2.4. La « mentalité mystique et prélogique» de Lucien Lévi Bruhl comme violence symbolique.

Un type de savoir se crée parce qu'on privilégie un élément théorique d'une paire, constituant en lui-même une perspective : la fonction ou la norme, le conflit ou la règle, et enfin la signification ou le système. Lucien Lévi Bruhl examine les mentalités normale et mystique, et débouche sur la « pensée sauvage » des Noirs et des Indiens. De ce point de point il débouche sur une violence que nous qualifierons sans réquisitoire de « symbolique » envers d'autres peuples : « la violence symbolique est cette coercition qui ne s'institue que par l'intermédiaire de l'adhésion que le dominé ne peut manquer d'accorder au dominant (donc à la domination) lorsqu'il ne dispose, pour le penser et pour se penser, ou, mieux, pour penser sa relation avec lui, que d'instruments de connaissance, qu'il a avec lui et qui, étant la forme incorporée de la structure de la relation de domination ».128(*)

En plus, « il y a violence symbolique dès que l'on « met des formes » pour enfouir la violence ouverte, dès qu'une censure autorise l'action déformée de la force, (forme) douce et larvée que prend la violence lorsque la violence ouverte est impossible. (...) Elle est cette violence qui s'exerce sans se faire sentir et qui exige le consentement de celui qui en est  la victime ».129(*)

Nous reformulons la question à partir de Lévi- Bruhl pour river vers les sciences sociales « esclavagistes et coloniales ».130(*) A la suite des explorations du Baron Von den Stein dans les années 1890, il rapporte un énoncé resté célèbre de la bouche des indigènes : « Les Bororo sont des Araras » ...en affirmant une identité essentielle entre les individus de la tribu des Bororo et les perroquets rouges qui leur servent de totem, (ceci) défie le principe de non-contradiction, selon lequel on ne peut pas dire « A est non-A ». (... ) Rien dans le concept de Bororo n'indique qu'ils puissent recevoir le prédicat « Arara ». (... ) Les Bororo donnent froidement à entendre qu'ils sont actuellement des Araras, exactement comme si une chenille disait qu'elle est papillon. Ce n'est pas un nom qu'ils donnent, ce n'est pas une parenté qu'ils proclament. Ce qu'ils veulent faire entendre, c'est une identité essentielle ».131(*) L'approche d'Ernest Cassirer sur la logique symbolique replace cette question dans la pensée mythique et totémique, comme pensée universelle.

Le thème de la violence symbolique est ici évoqué pour illustrer un schème de pensée qui violente l'humanité de l'Autre. Ce schème de pensée est rival à des schèmes interprétatifs des africains eux-mêmes d'eux-mêmes. Un schème de pensée peut être « pertinent »à une époque pour des buts avoués ou inavoués, en demeurant moralement inadmissible.

L'oeuvre comme celle de Pierre Bourdieu s'est érigée de plusieurs cotés comme antidote à ce colonialisme des sciences sociales, s'attaquant notamment à la théorie prélogique du « primitif »des aborigènes : « Lévy- Bruhl, qui était philosophe, avance dans La Mentalité primitive (1922) et L'Âme primitive (1927), que la mentalité primitive est prélogique et mystique parce qu'elle ignore les principes d'identité et de non-contradiction sur lesquels se fonde la pensée moderne ».132(*) La réponse de Pierre Bourdieu ,est ,en propres termes de Gaston Bachelard, que « le monde où l'on pense n'est pas celui où l'on vit » ; l'ethnologue enfermé dans son ethnocentrisme scolastique peut percevoir une différence entre deux « mentalités » ,deux natures , deux essences, comme Lévy -Bruhl - et d'autres, plus discrètement ,après lui- ,là où il a affaire en réalité à une différente entre deux modes , socialement construits, de construction et de compréhension du monde ; le second pratique ce qu'il a en commun avec des hommes ou des femmes en apparence très éloignés de lui dans le temps et l'espace social , et dans lequel il ne sait pas reconnaître le mode de connaissance pratique (souvent magique, syncrétique , en un mot prélogique) qui est aussi le sien dans les actes ordinaires de la vie. L'ethnocentrisme scolastique conduit à annuler la spécificité de la logique pratique, soit en l'assimilant à la logique scolastique, mais de manière fictive et purement théorique (c'est-à-dire sur le papier et sans conséquences pratiques), soit en la renvoyant à l'altérité radicale, à la non-existence et à la non-valeur du « barbare » ou du « vulgaire » ».133(*)Pierre Bourdieu évoque ici l'Habitus en tant que connaissance pratique.

Lévi- Brulh compare cet énoncé à d'autres énoncés qui lui ressemblent... (par exemple : « les Trumai sont des animaux aquatiques ») et rapporte ces énoncés aux pratiques dans lesquelles ils prennent sens (par exemple : lorsque un Bororo voit un Arara , il agit comme s'il avait affaire à un Bororo : il le craint ou le respecte, ou le salue). L'ensemble de ces énoncés et de ces pratiques semble alors régi par un principe logique qui leur est commun, et qui diffère radicalement du principe de non-contradiction. C'est ce principe que Lévy-Brulh appelle participation : « Les Bororo sont des Araras »signifie que le concept de Bororo « participe » du concept d'Arara, c'est-à-dire qu'un Bororo peut être à la fois tout ce qu'implique le concept de Bororo (homme, mortel, doté d'un coeur et de reins...) et tout ce qu'implique le concept d'Arara (rouge, volant, fier...) ; autrement dit, la logique de la participation tolère que A puisse être non-A ».134(*)

Finalement, il y a deux positions en présence : «la première consiste à étudier les conditions de possibilité d'une telle logique contradictoire, et d'en déduire a priori si une telle logique est possible ou non. C'est la démarche proprement philosophique ou logique, telle qu'elle a été adoptée par la philosophie analytique, en partant du problème posé par Lévy-Brulh. La deuxième solution consiste à poser que cette logique contradictoire est possible de fait qu'elle a été constatée empiriquement, et à chercher les conditions de possibilité de cette logique non a priori mais a posteriori, par enquête sur les pratiques humaines où ce type de logique prend sens. C'est la démarche proprement anthropologique ».135(*)

W .V.O. Quine a repris le fameux exemple de Lévy-Bruhl  qui s'interroge sur la signification de cet énoncé.136(*) La question que pose alors Quine est celle-ci : Pouvons -nous désigner une chose ou un état mental tel que « Bororo » et « Arara » qui seraient identiques pour les indigènes et pour l'anthropologue ? La réponse de Quine ( ... ) est négative : nous ne connaissons pas la signification d'un mot ou d'un énoncé indépendamment de l'ensemble des énoncés qui font sens dans un contexte donné, ce que Quine appelle aussi « schème conceptuel »permettant de connaître la réalité. C'est le fondement de la thèse de « l'opacité référentielle » et du « holisme conceptuel ».137(*)

En revenant au débat de départ, « par « Arara » : à la question de savoir, s'agit-il du perroquet rouge que l'on voit dans la forêt, ou de l'image de ce perroquet dans le totem planté au milieu du village, ou du bec de perroquet, ou l'essence du perroquet ? Pour résoudre ce problème, Von den Stein aurait étudié toutes les occasions où le mot « Arara » est énoncé, c'est -à- dire toutes les pratiques rituelles dans les quelles l'énoncé « les Bororo sont des Arara »prend sens ».138(*) L'argumentation peut ainsi se résumer :

« Il ne peut en effet y avoir traduction que s'il y a possibilité de s'accorder avec les indigènes sur ce que Quine appelle des « signification -stimuli », c'est-à-dire des sensations communes qui ne dépendent que de la réaction naturelle de l'homme aux stimuli de l'environnement extérieur, et non des différences de langue. Or, pour que cet accord sur les stimuli soit possible, il faut que l'indigène et l'anthropologue partagent une forme logique commune, la négation et l'affirmation - ce que Quine appelle les « connecteurs logiques ». Il faut donc que le principe de non -contradiction soit universellement partagé. (...) L'anthropologue ne peut traduire la langue des indigènes qu'en projetant sur elle sa propre logique, faute de quoi il ne pourrait même pas traduire. La thèse d'une « mentalité prélogique » qui donne sens à l'énoncé « Les Bororos sont des Araras »est donc fausse : elle est le produit d'une mauvaise traduction, qui ruine toute possibilité de traduction ».139(*)

Ce débat oppose les philosophes aux anthropologues. Lévy-Bruhl suppose une différence fondamentale entre pensée moderne et pensée primitive ou, plus exactement entre les représentations collectives de la pensée moderne et les représentations de la pensée primitive. Ainsi Lévy-Bruhl s'intéresse à ce qui lie les représentations et les catégories. Il mène une étude de la variation non plus des catégories ou des concepts mais des formes d'argumentation par rapport à la variation des formes sociales d'organisation et de la contrainte qu'exercent les secondes sur les premières.

Lévy -Brulh sera abondamment évoqué également dans la philosophie analytique à l'occasion du débat sur la rationalité et le relativisme qui a opposé les philosophes et anthropologues dans les années 1970. Deux points de vue sont mis en exergue : le premier discute « l'ouvrage de l'anthropologue P.Winch, The Idea of Social Science, qui défend dans l'inspiration de l'analyse des jeux de langage dans l'école d'Oxford issue des derniers enseignements de Wittgenstein, la thèse selon laquelle on ne peut comprendre le sens d'un énoncé en sciences sociales qu'en le replaçant dans le contexte de la société (ou, en termes wittgensteiniens : dans la forme de vie) où il apparaît. Cette thèse suscite un débat philosophique parce qu'elle implique qu'il n'y a pas de supériorité du savoir de l'anthropologue par rapport au savoir ordinaire des sociétés étudiées, c'est-à-dire que le but de l'anthropologue est de penser et agir « comme un primitif » et non de produire une description vraie de leurs énoncés et de leurs actions. Contre cette thèse, les philosophes participant à ce recueil défendent un principe de rationalité extérieur à la pratique ordinaire, qui permet de faire une description théorique vraie supérieure à la compréhension que les agents ont eux-mêmes de leurs pratiques. « Les sociologues qui interprètent mal la culture étrangère sont comme des philosophes qui tombent dans des difficultés d'usage de leurs propres concepts ».140(*)

Le second ouvrage discute les thèses de l'anthropologie des sciences de B. Barnes et D. Bloor, inspirée de la pensée de T.Kuhn, selon laquelle les différents paradigmes scientifiques qui se sont succédés au cours de l'histoire sont entre eux incommensurables comme des cultures différentes, en sorte qu'il n'y a aucune supériorité de la science actuelle sur les sciences considérées aujourd'hui comme fausses.141(*)

La figure de Lévy -Brulh revient à plusieurs reprises : c'est à travers les analyses ethnographiques d'Evans -Prichard, qui fut à la fois inspiré par la démarche de Lévy -Brulh et critique la doctrine de la « mentalité primitive » qu'illustre le fameux exemple « Les Bororo sont des Araras », revient à plusieurs reprises dans des discussions ». 142(*) En somme, à l'hypothèse théorique d'une mentalité prélogique qui semble résoudre le problème, Quine substitue donc celle de « l'indétermination de la traduction ».143(*)

A propos de la logique Raphaël Ntambue Tshimbulu ,dans son livre intitulé La logique formelle en Afrique noire, corrobore la position particulariste et souligne le fait que la base de la position favorable à l'existence de la « logique africaine » stipule ,pour reprendre l'expression de Bimuenyi ,que «  des catégories ,des concepts ,des images, opératoires à une époque, peuvent cesser de l'être à une autre époque ;opératoires pour un milieu ,ils peuvent ne pas l'être pour un autre milieu à la même époque ». Un discours sur les modes africains de pensée est donc justifié par l'expérience et les circonstances spacio-temporelles de l'Afrique. Il devient, dès lors, évident pour Hebga d'exorciser le discours africain de l'idée d'une « logique canon » dont la référence est l'Occident. Aux yeux de Hebga, la valeur des principes logiques dépend de la différence des systèmes de référence comme en témoigne d'ailleurs, au sein de la « civilisation occidentale modèle », la relativité de la vérité. « Il est donc permis, conclut Hebga, de rejeter en logique comme en esthétique, tout impérialisme prétentieux ».144(*) 

Au demeurant, la proposition de Donald Davidson, disciple de Quine, consiste à radicaliser la critique contre Lévy- Bruhl sur le fameux problème de la mentalité primitive.145(*) C'est la position de Davidson, davantage que celle de Quine, qui fait référence du côté des philosophes dans le débat sur la rationalité et le relativisme, notamment à travers son article « Sur l'idée même de schème conceptuel ». Dans cet article, Davidson critique en effet ceux qui ont tiré la philosophie de Quine dans un sens relativiste, notamment Kuhn et Feyerabend en s'inspirant de la notion de schème conceptuel pour en déduire l'idée de paradigmes scientifiques incommensurables entre eux comme des cultures étrangères les unes aux autres. Contre cette thèse, Davidson reprend un élément assez mineur dans la pensée de Quine en lui donnant plus d'importance : le principe selon lequel nous ne pouvons connaître la pensée d'un autre individu ou d'une autre société qu'en projetant sur elle les critères de notre propre logique, ce que Quine appelait un « principe de charité ». Davidson étend ce principe de charité du domaine des connecteurs logiques (oui, non, et,...), qui en constituait le seul champ d'application pour Quine, à l'ensemble des croyances » que nous pouvons partager avec un autre individu ou une autre société.146(*)

Donald Davidson s'approche d'une position proche de celle de Lévy -Brulh lorsqu'il décrit des paradoxes de l'action rationnelle. Il peut y avoir des cas, remarque-t-il, où un individu n'agit pas selon la croyance qui est la plus rationnelle mais selon une croyance contraire à celle-ci. Donald Davidson accepte de la psychanalyse un principe important : la psychologie ne vise pas à prédire déductivement l'action d'un individu à partir de ses représentations mentales , comme on peut prédire la chute d'une pierre à partir de la connaissance de la loi par laquelle elle tombe , mais on peut seulement interpréter inductivement les raisons pour lesquelles un individu a agi , en considérant cette raison comme la meilleure possible dans une situation , et en prenant en compte la possibilité de croyances contradictoires ».147(*)Dans notre dissertation nous reviendrons abondamment sur cette théorie de comportement.

Au demeurant, pour revenir à la discussion, « Davidson, refuse que l'énoncé qui constitue le point de départ de la réflexion de Lucien Lévy- Bruhl ait un sens : le problème qu'il a posé est un faux problème, et l'idée d'une mentalité prélogique est absurde ».148(*)

L'analyse de Lévi-Strauss (dans Problème de mentalité primitive en1962, dans Le Totémisme aujourd'hui, et dans La pensée sauvage) consiste en un sens à serrer au plus près l'énoncé des Bororo tel qu'il a été relevé par Von den Strein : « Les Trumai (tribu du Nord du Brésil) disent qu'ils sont des animaux aquatiques. Les Bororo (tribu voisine) se vantent d'être des Araras (perroquets rouges) ». Ce qui est important dans cet énoncé , pour Lévi-Strauss ,c'est moins l'identité entre les Trumai et les animaux aquatiques , ou entre les Bororo et les Araras , que le fait que les Bororro se vantent auprès des Trumai d'être des Araras , alors que ceux -ci ne sont que des animaux aquatiques. Autrement dit, l'énoncé en question ne comporte pas deux termes, mais quatre : « Les Bororo sont aux Araras, ce que les Trumai sont aux animaux aquatiques ». L'énoncé n'est pas analytique, mais analogique, il ne prend sens que dans une structure de réalité formelle.

Bourdieu montre alors que cette analogie ne régit pas seulement les énoncés étranges des sociétés sauvages, mais aussi les énoncés les plus familiers de (la société occidentale), et c'est en cela que, de l'anthropologie de Lévi-Strauss, il revient à une sociologie (de la société occidentale) dans le sens de Durkheim. On peut aussi comprendre toutes les analyses de La distinction comme une réévaluation de l'énoncé « Les Bororo sont des Araras », montrant une logique sauvage ou primitive dans nos jugements de goût les plus quotidiens ».149(*) Il systématise la logique pratique en dehors de la logique théorique.

1.2.5. L'Habitus et la logique pratique de Pierre Bourdieu

Pierre Bourdieu a reformulé l'énoncé constituant le point de départ de ces réflexions. Pour Bourdieu, de cette reformulation de l'énoncé de base, il faut tirer une conséquence importante : si l'énoncé «les Bororo sont des Araras » posait problème à Lucien Lévy-Bruhl, mais aussi à Quine et à Davidson, c'est parce que ceux -ci restaient soumis à la logique prédicative selon laquelle un énoncé doit prendre la forme « S est P », et par laquelle un prédicat est attribué à un sujet -ou, en termes aristotéliciens, un accident est attribué à une substance. Or ces énoncés ne forment qu'une partie de la vie mentale des sociétés humaines. (...) Il y a donc dans la vie sociale un ensemble de jugements qui ne suivent pas la logique prédicative, c'est-à-dire qui n'ont pas besoin qu'un sujet ne soit que ce qu'il peut être : les jugements sociaux posent le plus souvent qu'un sujet peut être autre que ce qu'il est ».150(*) D'où, en bon langage communicationnel : « Il faut donc montrer comment fonctionne cette logique qui tolère la contradiction : c'est ce que Bourdieu appelle « la logique de la pratique ». Bourdieu tente de montrer que, de façon paradoxale pour la philosophie, nous n'avons pas une logique mais deux, la logique théorique et la logique pratique, et que c'est cette dualité qui fait que nous sommes toujours en décalage par rapport à nous -mêmes et que nous tombons dans des problèmes insolubles sur notre pratique, que nous ne pouvons résoudre qu'en passant par l'autre, c'est-à-dire le « primitif »».151(*)

Le principe logique de la construction de la réalité (sociale) de Pierre Bourdieu s'oppose directement à celui d'Emmanuel Kant dans la Critique de la raison pure ; il s'agit non d'« un système de formes et de catégories universelles mais (d') un système de schèmes incorporés qui, constitués au cours de l'histoire collective, sont acquis au cours de l'histoire individuelle et fonctionnent à l'état pratique et pour la pratique (et non à des fins de pure connaissance) ».152(*) Les schèmes incorporés qui ne sont rien d'autre que l'habitus ne sont pas justement anhistoriques comme des formes a priori de la sensibilité et les catégories de l'entendement chez Kant ; ce qui emmène Bourdieu à mettre en question l'universalité de ces dispositions dites rationnelles. Ces notions dites « universaux » anhistoriques ne sont pour ce dernier que celles des actions rationnelles ou des préférences déterminées et façonnées socialement.

Ceci appelle naturellement des discussions à nouveau frais des études anthropologiques d'un Lévy-Bruhl sur la théorie de la mentalité pré -logique ou de l'universalité de la logique à la suite d'Emile Durkheim.

Lévy-Bruhl (1949) par son attribution des comportements irrationnels à autrui, a élaboré la théorie de la mentalité prélogique. Contre ce dernier nous dirons à la suite de la naturalisation de l'interprétation, que si un agent fait quelque chose c'est qu'il a une bonne raison de le faire, même si elle nous paraît bizarre. Amartia Sen stigmatise la différence entre la conception du comportement rationnel qui a cours en sciences économiques et le comportement réel : « on suppose que les êtres humains se comportent rationnellement ».153(*)

Dans la philosophie des sciences sociales, le principe de charité interprétative n'est rien d'autre qu'une sorte de justification théorique de la tendance à trouver des raisons à des comportements apparemment irrationnels. Cela veut dire qu'il faut toujours supposer que votre interlocuteur comprend ce qu'il dit, il respecte le principe de contradiction. L'hypothèse de la stupidité de toute une classe des interlocuteurs doit être exclue. W.V.Quine nous demande de ne pas attribuer à notre interlocuteur des énoncés illogiques et Donald Davidson nous demande de ne pas attribuer à notre interlocuteur trop de croyances irrationnelles, contradictoires, allant à l'encontre des évidences.

1.3. Conclusion partielle

Nous pouvons nous rendre compte que les sciences sociales qui ont fait l'objet de notre examen l'ont été du point de vue esclavagiste, colonial et néo-colonial. Nous les avions abordées au sens où elles partagent les mêmes approches, spécialement celles structuro-fonctionnaliste ou systémique, avec des résultats différents selon qu'il s'agit des sciences sociales pour l'Europe ou pour l'Afrique. Leurs concepts relèvent d'un paradigme substantialiste ou essentialiste. Cette pratique scientifique est gérée par la présupposition philosophique fondamentale de la modernité/colonialité, en dévoilant l'hétéro-structure de la modernité.

La question fondamentale est posée au niveau des approches de base en ethnologie, en Histoire africaine, en Sociologie, en Droit ; mais un tel examen peut s'étendre à d'autres sciences sociales telles que l'économie normative, la Théologie, etc. Une étude peut aussi être menée pour examiner le rôle des sciences sociales nouvelles : les sciences informatiques, les sciences de la décision, les sciences de l'information et de la communication, etc.

Nous allons maintenant examiner l'apport de l'approche dite constructiviste pour affronter avec plus de bonheur ce genre de problèmes ontologiques et épistémologiques.

Chapitre deuxième :

Les promesses du constructivisme social

2.0. Sommaire du chapitre

Les courants constructivistes sont variés, dans ce chapitre, nous nous proposons de présenter différentes approches théoriques et conceptuelles. Une telle préoccupation commence par la présentation de l'intérêt de l'approche de la construction sociale, de son objet, de son sujet et de son actualité. Le paradigme constructiviste englobe un ensemble d'approches dites interprétatives qui rallient les traditions philosophiques aux sciences sociales. Plus spécifiquement la démonstration est ici fait au moyen du retour aux sources philosophiques des sciences sociales que nous illustrons à partir de l'approche structuro- fonctionnaliste et dialectique. Nous ajoutons à cette reconstruction épistémologique et « ontologique » les approches langagières et phénoménologiques.

En effet, à l'heure où l'Afrique est confrontée au problème de sa survie, de sa libération politique, économique et culturelle, nous croyons qu'il est fondamental de répondre en priorité aux questions théoriques, notamment celles qui sont posées par les sciences sociales en Afrique. C'est pourquoi sans nullement mettre en veilleuse le retour aux sources de l'africanité, le philosophe africain devra, en collaboration avec les philosophes du monde entier, chercher les réponses théoriques aux questions reconnues universelles au sujet de sa société. Identifier les ressources théoriques et conceptuelles, se les réapproprier dans un esprit critique. Nous identifions la trame discontinue des traditions théoriques des sciences sociales telles qu'elles structurent et déstructurent nos sociétés. A ce moment là, il faudra aussi identifier les différentes conceptions théoriques à partir de quoi reconstruire philosophiquement.

La situation générale des sciences sociales et humaines en Afrique débouche sur le projet de la possibilité d'une science africaine chez Yves Valentin Mudimbe. Disons qu'il s'agit aussi bien d'une possibilité que de son antériorité évidente : l'histoire de la pensée africaine millénaire peut en faire foi.

Mudimbe affirme que la réalité sociale est une construction, que l'Afrique est une invention que c'est le langage qui créé la réalité socio-culturelle. Il nous plonge ainsi en pleine conception constructiviste de la réalité sociale. Mais quelles sont les promesses du constructivisme ? C'est à cette question que nous tentons de répondre dans le deuxième chapitre qui nous fait découvrir les assises théoriques de cette vision, avant de mettre en relief la contribution particulièrement constructiviste de John Searle. Nous allons donc découvrir les méandres du courant constructiviste.

2.1. Approches conceptuelles

2.1.1. Courants du constructivisme social

Nous dirons d'emblée que l'expression générale de « construction sociale » qui s'étend à toutes les sciences humaines aujourd'hui, a dans ses variantes plusieurs usages. A propos Linda Rouleau nous renseigne que « la construction sociale ne doit pas être envisagée comme une théorie ni comme un courant de pensée homogène ».154(*) Il y a en effet plusieurs conceptions de constructivisme aujourd'hui, « le constructivisme peut en effet prendre des connotations très différentes, allant du constructivisme radical au constructivisme social de Gergen en passant par le constructivisme écologique de Steier et bien d'autres.155(*)

D'ailleurs Ian Hacking, s'efforce de remettre de l'ordre nuancé dans le fracas des « constructions sociales, (...) allant de la folie ou du Japon jusqu'aux particules élémentaires ».156(*) La différence qu'il tente de démêler des termes comme constructionnisme, constructivisme, constitutionnalisme, etc. Son attitude globale, dans ce livre, est celle d'un sceptique à l'égard de la posture constructiviste social, quelque peu indisposé par l'usage incontrôlé du terme. Ian Hacking refuse dans la foulée le fait que le livre de John Searle intitulé La construction de la réalité sociale soit tout un livre de construction sociale.157(*) Searle lui-même utilise l'expression `construction de la réalité sociale' et non la `construction sociale de la réalité' comme chez Peter Berger et alii. En fait son étude est bien plus tentaculaire.

Pour Linda Rouleau , constructionnisme et constructivisme sont deux termes  généralement utilisés de manière interchangeable. Du point de vue de la reconstruction épistémologique, le terme « constructionnisme » suppose que l'unité d'analyse est l'interaction entre les individus ou les groupes, alors que le terme « constructivisme » suppose que l'on privilégie l'individu et sa capacité d'action ».158(*)

Au demeurant le constructivisme social va à l'encontre de la conception objectiviste qui prétend aborder la réalité sociale de façon objective et neutre. Le constructivisme au contraire, soutient que le sujet « invente » la réalité qu'il croit découvrir. Les différentes approches et théories sont considérées comme autant de discours, de points de vue, posés sur la réalité sociale ».159(*)Le « constructionnisme social » comme approche succède à d'autres approches en sciences sociales.

Dans cette étude nous utilisons le terme de constructivisme, parce qu'il est plus usité que les autres variantes dans la littérature.

2.1.2. Le constructivisme : de l'ontologie sociale

Le domaine de la construction sociale relève aussi de ce que nous appelons aujourd'hui l' « ontologie sociale » ; ici les arguments requièrent une enquête sur la signification et la justification de termes centraux en sciences sociales et humaines -`existence (-des -faits -sociaux'),'état de choses','mental','physique', `social', `fait', (agent- structure, le Tout et ses parties),...-, et sur la détermination de leurs relations. Une reprise de fameux dualisme cartésien en philosophie des sciences sociales. On peut justement appeler ` ontologie' les recherches relatives aux termes centraux des controverses sur le mode d'existence des objets sociaux. Une enquête ontologique, ouverte à l'imagination et à l'invention, peut en enrichissant l'ontologie mobilisée- contribuer à sortir la querelle sur 'la nature de la réalité sociale' de certaines impasses.160(*) Par exemple, « les critiques de concept de société mettent en lumière des présuppositions philosophiques et l'incorporation non réfléchie d'un certain nombre d'idées et de représentations ... »161(*) A propos, les sociologues n'ont jamais cessé d'exprimer leur intérêt pour le problème dit de  « la nature de la réalité sociale ».

Le « constructionnisme social » part en fait d'un certain nombre de constats d'inefficacité théorique. Par exemple dans le domaine de la gestion de la chose publique, « la décentralisation, qui avait été vue comme une possibilité de promouvoir la participation dans de nombreux pays en développement, a finalement déçu les attentes. (...) D'où, pour critiquer des approches dominantes, « le point de départ est le « constructivisme social » ».162(*)

L'ontologie sociale peut être reconstituée et remontée bien loin en philosophie. Selon Barry Smith, « le philosophie américain John Searle a exercé une influence sur les sciences de l'homme non seulement grâce à ses contributions séminales en philosophie du langage, notamment par les Actes de langage (1969), mais aussi au travers de sa récente analyse de l'ontologie de l'action collective et de l'ontologie des institutions, exposés dans la construction de la réalité sociale ».163(*) Dans la même ligne Georg Simmel, dans Etudes sur les formes de la socialisation,164(*) est parti de la question suivante : Comment une société est-elle possible ?

Plusieurs auteurs ont écrit sur l'ontologie sociale. Nous citerons à titre d'exemple : Carol Gould, Marx's social ontology,1978; Georg Lukacs,The ontology of social being ,1978 ; Paul E. Jr. Stroble, The Social Ontology of Karl Bath,Intl Scholars Pubns,1994 ; Jonathan E.Pike, From Aristote to Marx :Aristotelianism in Marxist Social Ontology (Averbury Series in Philosophy)-Ashgate Pub ltd,1999 ; Pierre Livet, « ontologie du social ,institution et explications sociologiques »dans L'enquête ontologique ,mode d'existence des objets sociaux, collection Raison pratique,éditions de l'école des hautes études en sciences sociales,2000 ; John Searle,l'ontologie de la réalité sociale ;Réponse à Barry Smith, dans Enquête ontologique, Du mode d'existence des objets sociaux,2000 ; Theunisser ,The other : Studies in the social ontology of Husserl, Heidegger, Sartre ,and Buber,1984 ;Jules Donzelot, Le concept d'ontologie sociale,Mémoire de Master,004/2005; etc.

L'ontologie sociale nous dit que si la thèse épistémologique est vraie, il n'en demeure pas moins que nous devons savoir de quelle nature sont les objets sociaux. Or, tout ce que nous dit la thèse épistémologique est qu'ils sont des entités sociales. Nous dirons que la dimension ontologique se préoccupe de la nature des objets intellectuels. Par exemple, en science sociale en général, « la dimension ontologique de la relation agent -structure ».165(*) Nous analyserons plus en détails par exemple le postulat de Tout et ses parties comme dimension théorique sous -jacente dans le fonctionnalisme d'Emile Durkheim ou dans le structuralisme d'un Claude Lévi-Strauss.

L'ontologie sociale contemporaine est une notion qui désigne une activité philosophique particulière. Chez John Searle l'ontologie sociale est la théorie qui s'occupe de la structure invisible des faits sociaux.166(*) En effet, la réalité sociale renvoie à une ontologie parce que, comme le remarque John Searle, « le monde se découpe de la manière dont nous le découpons ».167(*)

2.1.3. De l'intérêt de la construction sociale

L'expression « construction sociale » se répand en sciences sociales. Aujourd'hui, l'expression construction sociale de la réalité se trouve au coeur d'un ensemble impressionnant de recherches nouvelles et de travaux originaux sur les cultures, les sciences, les femmes, l'histoire, la nature ou la littérature, etc. Ainsi, il est certain que le maître -mot du discours des sciences sociales contemporaines est la construction sociale. Plusieurs choses peuvent être construites : les faits, les catégories de genre, les objets, les quarks, les maladies, les diagnostics, la pédophilie, l'identité, la délinquance juvénile, l'emploi, le corps féminin, la pénibilité, l'homosexualité, la technologie, l'équité, de vrais débats, des politiques internationales, etc. La question essentielle qui se pose est que ce concept est incontestablement utile, mais quel en est l'intérêt ?

Ce qui est important pour Ian Hacking, c'est lorsque « la démarche constructiviste est « stratégique », qu'elle n'a d'intérêt que dans certains cas ».168(*) Justement, « il n'y a en effet aucun intérêt à déployer une approche en termes de construction sociale (...) si tout le monde sait que X est le résultat contingent d'arrangements sociaux, il ne sert à rien à dire qu'il est socialement construit »169(*). Ainsi « l'auteur d'un livre sur la construction sociale des femmes réfugiées ne peut nier « la matrice des règles », de pratiques et d'infrastructures matérielles dans laquelle ce concept est incorporé ».170(*)

Autrement dit, « tous les objets sont contractuels ou institutionnels et personne ne doute que les contrats et les institutions sont le résultat d'événements historiques et de processus sociaux ».171(*) A propos Ian Haching nous donne un exemple: « si les femmes se retrouvent en fuite, ou devant la barrière de l'immigration, c'est en raison d'événements sociaux. Tout le monde sait cela, et il n'y a qu'un fou (ou quelqu'un qui aime suivre le mouvement) pour se préoccuper de dire qu'elles sont socialement construites ».172(*) « Le concept de femme réfugiée semble inévitable dès que vous avez une certaine pratique de la nationalité, de l'immigration, de la citoyenneté et des femmes en fuite qui sont arrivées dans un pays pour y demander asile ».173(*)

2.2. De l'objet et du sujet de la construction sociale ordinaire

Commençons par la question la plus simple : qu'est-ce qui peut être objet de la construction sociale ? « S'agit-il d'une réalité socio- symbolique, d'une idée ou d'une catégorie 'découpant' et faisant émerger un référent social (une personne par exemple), ou s'agit-il de ce référent social lui-même », c'est Ian Hacking qui pose la question.174(*) Sa réponse est clair : dans la plupart des cas où est mise en oeuvre une démarche de constructionnisme social, il s'agit de ces deux entités (dont la seconde, le référent social, est le produit d'interaction très complexe) qui ne sont pas liées par une relation à sens unique mais par un système de va -et-vient négociant les faits qui se déploient dans le temps ; catégories et référents sociaux sont interactifs et, pourrait -on dire, s'entre- construisent dynamiquement. 175(*)

Ian Hacking renvoie l'enjeu à deux choses : à la définition ou aux catégories et au référent. La première chose se manifeste comme la lutte pour la définition légitime et la lutte pour le classement (voir pour la dernière acception Pierre Bourdieu).176(*)

2.2.1. La mouvance « constructiviste »

Nous allons aborder l'approche constructivisme à partir de l'écriture sociologique d'Emile Durkheim et de l'anthropologie de Claude Lévi- Strauss parce que John Searle trouve là des points d'encrage. Ces deux auteurs donnent justement priorité aux faits sociaux au détriment des faits individuels.

Au demeurant, quand on se fixe sur l'opposition individu et société, que cherche-t-on ? A la suite de Monique Hirschhorn, nous dirons qu'il y a trois problèmes distincts : « Le premier problème est d'ordre ontologique. (Il s'agit de savoir): quelles sont les entités sociales qui existent ? (...) Les institutions n'existent manifestement pas sous le même mode d'être qu'un individu organique, comme Pierre et Paul ».177(*) Le deuxième problème, à la suite d'Emile Durkheim, est qu'« il parait difficile de ne pas admettre l'existence de telles institutions « sociales », même s'il ne s'agit pas de les assimiler à des individus organiques ».178(*) Enfin, et conformément à l'analyse durkheimienne qui refuse d'hypostasier ces entités, le monde d'existence correspond à un ensemble des règles localisées d'un côté dans les représentations des individus, et de l'autre dans les codes, des manuels, des registres, des bâtiments, etc., qui donnent matérialité à l'institution et l'inscrivent dans la stabilité et la séparabilité empirique sur un terme plus ou moins long ».179(*) Pour y voir plus clair nous allons illustrer cette réflexion en sociologie.

2.2.2. Une ontologie sociale en sociologie

En sciences sociales, le constructivisme vise à contrer l'éparpillement des théories,qui appelle un recentrage. C'est le travail auquel s'attelle Michel Freitag, qui essaie de « reconstruire l'ensemble du projet sociologique (partant d') un questionnement du niveau ontologique ».180(*) Il reprend pour cela à Durkheim quelques questions : « dès l'instant où l'on y réfléchit, il semble évident que toute théorie sociologique doit s'appuyer en amont sur une conception ontologique de son objet d'étude et de poser de questions telles que celles-ci : quelle est la nature de la réalité sociale ? Quel est le mode d'être de ce que l'on nomme « société » et celle-ci a-t-elle une réalité concrète ou n'est-elle qu'un mot ? Comment s'établit le lien entre pratiques individuelles et  « structures » collectives ? Etc. ».181(*)

Michel Freitag adopte une posture intermédiaire qui met en exergue la spécificité de la socialité humaine. Rappelons que la série des questions de portée ontologique n'est pas exhaustive, nous pouvons y ajouter celles qui veuillent savoir : « quelle est la spécificité de l'action et de la socialité humaines, (...) qu'est-ce qui structure et oriente l'action ? »182(*)

En guise de réponse, à propos de la question de la spécificité de la socialité humaine, on peut dire que la pratique significative marque la spécificité ontologique de la socialité proprement humaine. Cette dimension n'est pas suffisamment mise en exergue chez Durkheim, du moins dans son livre intitulé Les règles de la méthode sociologique.

En fait, de ce qui précède Michel Feitag construit une « théorie générale du symbolisme », (...) il montre combien l'adoption non réfléchit des modèles issus des sciences de la nature par les sciences humaines est problématique à plusieurs niveaux ».183(*) Ajoutons que pour Yves Bonny, Michel Freitag réinscrit la catégorie de la « pratique significative » dans la catégorie plus large de l' « activité » au travers de la quelle ce rapport s'établit en acte ».184(*) On peut percevoir ici une conception proche de la philosophie analytique qui bannit le dualisme du type kantien entre la critique de la raison pure et celle de la raison pratique.

Déjà il faut dire que ce questionnement touche à ce que l'on appelle l'essence des sciences sociales. Parce que leur portée ne saurait être limitée à un plan « épistémologique » compris en un sens restreint. Car elle véhicule avec elle des implications aussi bien en matière de théories sociologiques en général et de méthodologie qu'en ce qui concerne l'inscription du discours sociologique et plus généralement des sciences humaines dans la société ».185(*)

A propos Emile Durkheim s'inspire largement de la philosophie de la nature soit de la géométrie analytique de René Descartes. Le mode d'être des faits sociaux ne se calque pas sur les choses comme Durkheim l'affirme, mais ils comportent en eux-mêmes leur mode d'être propre.

L'ontologie sociale est une pratique qui est aujourd'hui largement acceptée par la communauté scientifique. Chaque science sociale a ses particularités. La science politique, par exemple, table ontologiquement, outre sur le statut de la réalité sociale (Etat, nation, société civile, mouvements des masses,...) sur les conditions de son écriture.

2.2.3. De la thèse épistémologique

Il faut souligner que « le point de vue de la construction sociale ...(est aussi) une théorie de la connaissance (...) Le point de vue de la construction sociale propose une nouvelle manière d'envisager la nature de la science et de la réalité ».186(*) Allons plus loin  « En tant que théorie de connaissance, on peut aussi remonter le point de vue de la construction sociale à Socrate qui enseignait à ses étudiants que la connaissance est une perception. De plus il faut souligner l'apport de Thomas Kuhn dans la diffusion de ce point de vue. En postulant que la recherche en physique évolue d'un paradigme (ensemble de croyances et de perception) à l'autre ».187(*) Selon Dominique David, « la thèse toute simple du constructivisme est que les idées et les normes amènent la réalité et non l'inverse, accordant ainsi une place prépondérante aux compréhensions et aux représentations que les agents sociaux se font du monde ».188(*)

La construction sociale est sous-tendue « par deux thèses, une thèse épistémologique d'abord et une thèse ontologique ensuite ».189(*) D'un point de vue épistémologique, le livre de Jean-Louis Le Moigne, donne des indications importantes à propos du passage des sciences cartésiano -pisitivistes aux sciences constructivistes. L'auteur décrit l'émergence des épistémologies constructivistes comme une révolution issue de la crise des sciences et de l'épistémologie cartésiano -positiviste. Selon lui les choses se présenteraient comme suit : « Les grandes sciences positives les mieux institutionnalisées, la physique et la biologie notamment, connaissent une crise paradigmatique au moins aussi considérable que celle provoquée par Galilée au XVII e siècle. Que l'on pense aux remises en cause suscitées par la physique quantique : (...) que la même particule puisse être en deux positions de l'espace au même instant bouleverse - de façon crédible - bien de référentiels familiers des sciences de la matière. Notre conception collective de la science se transforme, peut-être profondément, (...) rien n'est donné -« objet », tout est construit-« projet »».190(*) Dans cette perspective, même l'objet des sciences de la matière n'est donc pas donné ; il est construit. Ainsi pose -t-il la question de savoir s'il y a encore un sens à parler de la connaissance objective ? Selon notre auteur, le constructivisme regroupe plusieurs doctrines, courants et tendances épistémologiques gravitant en commun autour du concept de construction, et de préciser : « par construction, on ne pouvait ni ne voulait plus montrer un discours épistémologique fini, ou fermé, à la manière d'un code juridique énumérant les normes du jugement (objectivité, vérité, non-contradiction, etc.), comme pouvait le faire le Discours sur l'esprit positif d'Auguste Comte ».191(*)

A la suite de cette problématique nouvelle, il devient urgent de nous rendre plus compte d'un certain nombre des questions devenues pertinentes en épistémologies ou en Histoire des sciences, celui de leur scientificité ou degré suffisant d'objectivité en regard des exigences de positivité ou du réalisme de la connaissance.

Il nous semble pertinent de retenir le manque d'unanimité sur ces termes. Du point de vue des branches scientifiques dans lesquelles s'insère chaque courant, le « constructionnisme », de l'avis d'Ian Hacking, désigne le courant sociologique, historique et philosophique ; le « constructivisme » étant utilisé pour désigner un courant épistémologique des mathématiques et celui de « constructionnalisme » pour désigner un type d'opérations intellectuelles pratiquées en philosophie analytique.192(*) Il existe par ailleurs aussi un courant constructiviste en sociologie des sciences.

2.2.4. De l' « épistémologie sociale »

L'épistémologie sociale ou sinon sous une autre étiquette l'activité intellectuelle que nous étudions peut être définie comme « l'étude de la connaissance qui en souligne les dimensions sociales ».193(*) D'emblée en parcourant les principaux chercheurs qui travaillent dans le domaine, un consensus peut être dégagé sur le sens du mot connaissance :

1) Connaissance = croyance

2) Connaissance = croyance institutionnalisée

3) Connaissance = croyance vraie

4) Connaissance = croyance vraie et justifiée (et d'autres plus).194(*)

L'épistémologie ainsi entendue implique sans doute aussi une étude des causes de la croyance. Signalons déjà que, sous cet angle, il doit y avoir une partie de l'épistémologie qui n'est pas sociale. « Il existe après tout des mécanismes psychologiques qui sont causes de la croyance et qui n'impliquent aucun élément social ou interpersonnel, ce sont les équipements biologiques tels que les mécanismes perceptifs et mémoriels, ainsi que les mécanismes de calcul et d'inférence rudimentaire ».195(*)

En somme la question est complexe parce que l'épistémologie sociale est une analyse de la dimension sociale de la connaissance qui implique des aspects non sociaux. Ce paradoxe est au centre de mode explicatif des sciences sociales. Son point de départ est la constat que bien des phénomènes ne nous sont connus que par l'intermédiaire des autres et donc que la connaissance a non seulement des sources directes, celles auxquelles le sujet a accès, mais aussi des sources indirectes reposant sur la confiance ou sur l'autorité accordée à autrui. Ses préoccupations principales concernent tout ce qui a trait à la dimension sociale de la connaissance : sa construction, au cours d'interactions, de justifications recevables ou acceptables. De plus elle reprend des questions qui étaient au coeur de la théorie durkheimienne des croyances collectives, ou l'idée d'un sujet collectif du savoir, etc.

L'épistémologie sociale « est une branche de l'épistémologie naturalisée qui cherche à déterminer l'influence spécifique des facteurs sociaux sur la production de la connaissance ».196(*) Elle contient en son sein l'épistémologie féministe qui « peut être regardée comme branche de l'épistémologie sociale qui examine l'influence des conceptions et des normes socialement construites de sexes et les intérêts et expériences propres à chaque sexe sur la production de connaissance ».197(*) C'est dans cette ligne que nous proposons la critique des schèmes conceptuels des sciences sociales en Afrique, une sorte d' « épistémologie esclavagiste et coloniale »qui continue.

L'enjeu central repose sur la critique de la connaissance en tant que croyance justifiée et rationnelle : «  une habitude de connaissance est rationnelle pour autant qu'elle favorise (...) des réflexions critiques sur soi et qu'elle y répond en vérifiant ou en neutralisant les mécanismes de formation de croyances peu fiables, et en cautionnant ceux qui le sont ».198(*)

Quand nous classifions, « la sociologie de la connaissance, l'étude de la science et de la technologie, l'anthropologie culturelle, l'histoire intellectuelle et plusieurs disciplines font habituellement l'examen de la connaissance entendue au sens (1). Par contre « les philosophes épistémologues (...), en remontant jusqu'à Platon, soutiennent presqu' unanimement que la connaissance exige non seulement la vérité mais aussi que la croyance soit justifiée, garantie ou acquise d'une manière appropriée, par exemple grâce à l'usage de méthodes faibles ».199(*) Ici l'épistémologie de la connaissance met au centre la question de la vérité.

A quoi correspond le « social » dans l'épistémologie sociale ? « Dans les premières formulations de la sociologie de la connaissance, les « facteurs sociaux » désignaient principalement divers types d'intérêts : les intérêts de classe, les intérêts politiques ou les intérêts de tout autre chose ayant à voir avec le monde « réel » ou « existant » du pouvoir et de la politique »200(*).  Ainsi « des pionniers de la sociologie de connaissance et de la science tels que Karl Mannheim (1936) et Robert Merton (1973) niaient que la science (au moins la science physique) soit influencée par des facteurs sociaux »201(*). « L'école d'Edimbourg et le « programme fort » en sociologie des sciences de dire même que la science physique est contaminée par des facteurs sociaux. Dans les deux cas les « facteurs sociaux » désignent cependant des intérêts ou des tendances reliés aux classes sociales, à la politique ou (...) autres ».202(*)

Finalement, du point de vue philosophique « les facteurs sociaux produisent réellement de différences systématiques au niveau des valeurs de vérité des croyances produites ».203(*) 

Cette conception épistémologique est qualifiée d' « épistémologie sociale » en tant qu'elle s'oppose à une conception classique de l'épistémologie qui porte un présupposé individualiste. « L'épistémologie sociale devrait...insister sur les entités collectives conçues comme sujets connaissants. (Ainsi) un intérêt des sujets collectifs, y compris les entités et les croyances, s'est développé ces dernières années, comme le suggèrent les articles et les livres de Gilbert(1989), Nelson(1993), Tuomela (1998), Searle (1995) et Kusch(2002). Ils partagent tous l'idée que les états d'esprit collectifs sont philosophiquement légitimes et que, si cela est exact, ils devraient trouver une place au sein de l'épistémologie sociale ».204(*)

2.3. Actualité du constructivisme social

Le constructivisme social connaît actuellement un renouveau comme courant contemporain dans l'optique analytique de la philosophie du langage à travers le livre de John Searle, La construction de la réalité sociale ,qui traite aussi de l'ontologie sociale en tant qu'étude de la nature des théories sous-jacentes de la réalité sociale. La conception analytique du constructivisme est philosophique et donne la primauté aux formes a priori du langage.

Le livre de Searle reformule déjà la question qui nous occupe : « la question fondamentale est celle-ci : comment construisons -nous une réalité sociale objective ? »205(*) Dans le premier chapitre du livre intitulé : les pierres de construction de la réalité sociale, Searle va un peu plus loin dans l'explication de sa question principale : « il y a des choses qui n'existent que parce que nous y croyons. Je pense à des choses comme l'argent, les propriétés foncières, les gouvernements, et les mariages. Pourtant bien des faits relatifs à ces choses sont des faits « objectifs », au sens où ils n'ont rien à voir avec vos ou mes préférences, évaluations ou attitudes morales. (...) Des faits totalement indépendants de toute opinion humaine ».206(*) Nous tentons de relever ses questions principales du début du livre et avançons progressivement.

Dans ce livre justement, John Searle tente de répondre à la question principale suivante : « comment peut-il y avoir un monde objectif d'argent, de propriétés foncières,... »207(*) Cette question reprend en sourdine le rapport sujet-objet qui est au coeur de l'explication de la science sociale et fait partie d'un ensemble des questions qui ne sont pas nouvelles, elle est au centre des sciences sociales, du moins au point de départ des fondateurs des sciences sociales. Nous tenterons, pour montrer son grand intérêt, de la présenter du point de vue des auteurs tels qu'Emile Durkheim, Claude Lévi-Strauss, etc.

2.3.0. Langage et ontologie sociale

2.3. L'ontologie sociale.

2.3.1. Le retour et la reconstruction des sources philosophiques des sciences sociales

Beaucoup d'études innovatrices en Rd Congo sont souvent en prolongement critique avec les approches suivantes : le fonctionnalisme, le structuro -systémique et la dialectique qui, au demeurant, recèle une grande teneur philosophique. Pour nous, les innovations profondes ne sont possibles que si nous rentrons aux sources philosophiques antiques et au plus profond de leurs présupposés.

Reprenons brièvement, trois de ces exemples d'études qualifiées de novatrices reprises par Ntumba Lukunga pour illustrer ce prolongement. J.J.Fromont dans Le schéma sociologique ; essai de systématisation et de schématisation de la réalité sociale, Lubumbashi, éd., Locale, 1977, articule la continuité entre le biologique et le sociologique. En premier lieu, pour lui le schéma sociologique permet de « systématiser la réalité sociale dans le prolongement de l'écosystème, les conditions de systématisation étant fixées par les conditions de passage entre deux systèmes ».208(*) La réalité sociale apparaît ainsi fondamentalement comme un système que nous visualisons et verbalisons. Etre en situation c'est voir, et l'image constitue le fondement de la pensée sociologique. En deuxième lieu, le schéma sociologique constitue la transposition du système social, c'est-à-dire « construire un modèle général qui représente en profondeur, en étendue et en globalité par niveaux, par paliers et sur plans, les éléments constitutifs du système, leur arrangement structural, le fonctionnement de leur dynamique, l'ensemble devant constituer un tout cohérent et significatif ».209(*) Ce schéma permet ainsi « d'appréhender et de traiter dans l'espace et dans le temps sociologiques les problèmes de l'existence, de l'expérience et de la transcendance des individus vivant en communauté ».210(*) Il y a deux niveaux d'analyse essentiels : étude du langage et des systèmes. On peut y intégrer le niveau de conscience.

Nyunda Ya Rubango sur la sociolinguistique immédiate à travers son étude sur « le vocabulaire politique du Zaïre (1959-1965) » s'incruste dans un élan postmoderne à visée déconstructive à propos des discours politiques zaïrois portant les marques de la colonisation, de la tradition, du modernisme, de leur matrice occidentale belge et française - « j'ai montré comment ce langage enraciné dans une tradition et une culture déployait une rhétorique et un imaginaire spécifique et féconds et était remarquablement dominé par le christianisme.»211(*) En tant que telle la démarche a comme objectifs de lutter contre l'infirmité des sciences sociales et humaines africaines due en majeure partie à l'esprit du conformisme et à la peur de l'innovation et surtout celle de commettre le « meurtre du père », entendez de dépasser radicalement le colonisateur. Il dénonce finalement : l'exercice scientifique « par procuration » ; la production et la reproduction des discours aliénés et aliénants et l'inhibition théorique et méthodologique chez le scientifique africain ; etc.212(*)

En effet, il est possible, à la suite de ce qui précède, de constater les innovations à partir des débats repris aux fondateurs philosophes et spécialistes des sciences sociales qui ont permis des ruptures ou des continuités plus opératoires des notions.

Le contexte de l'approche dite de la « construction sociale » fait que cette étude participe, d'un point de vue théorique, à un retour aux sources en sciences sociales, comme le pensent par ailleurs Michel De Coster, Bernadette Bawin et Marc Poncelet, en particulier à propos de la sociologie, « le retour aux sources se révèle utile à bien asseoir les fondements de cette discipline et à préciser les ambitions ».213(*) C'est dans cette même veine que nous voulons examiner le projet philosophique de quelques fondateurs des sciences sociales, en l'occurrence Emile Durkheim, le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, l'évolutionnisme biologique, mais aussi des approches actuelles que Searle intègre (constructivisme radical, connexionnisme et cognitivisme). John Searle veut justement reconstruire ces approches et en déconstruire d'autres, tel que le marxisme.

L'objectif de la série de sections qui suivent immédiatement culmine dans la comparaison de quatre approches dominantes en Afrique (le fonctionnalisme, le structuro -systémique et la dialectique, Searle touche aussi à l'évolutionnisme et repousse le marxisme), à partir des sources philosophiques notamment avec l'approche intentionnalitico - langagière de John Searle. En somme, ici se situe l'importance de cette enquête, le « livre de Searle La construction de la réalité sociale tente de répondre à un ensemble de questions traditionnelles ».214(*)

Pour en saisir la portée, nous allons examiner ces approches. Nous commençons avec le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et nous posons la question de savoir : quels sont ses présupposés ?

2.3.1.1. Emile Durkheim et l'ontologie sociale du structuro-fonctionnaliste 

Dans le livre d'Alban Bouvier, La philosophie des sciences sociales, l'auteur affirme le fait que le projet de Durkheim est extrêmement ambitieux puisqu'il n'est pas seulement sociologique mais également philosophique. Alban Bouvier a entrepris de présenter une épistémologie de la sociologie qui, justement « repère dans l'histoire de la sociologie, trois grandes orientations, trouvant leurs racines dans la philosophie et mettant en place au tournant du siècle : la tradition durkheimienne, avec son arrière-plan comtien, la tradition wébérienne et simmelienne, rattachable à Kant et la tradition empiriste, courant de Locke, Hume, Mill à Tarde et Pareto. Ces traditions sont caractérisées par leurs « paradigmes » : culturaliste et holistique dans le premier cas, actionniste et interactionniste dans le deuxième, rationaliste et sceptique dans le troisième ».215(*) Il partage avec Auguste Comte son positivisme. Ainsi Alban Bouvier parle-t-il, également à juste titre « de l'arrière -fond philosophique de la tradition durkheimienne ou  de la référence de Durkheim et de Mauss à Kant dans leur programme de sociologie des catégories ».216(*)

Durkheim partage avec Descartes, le fondateur de la philosophie moderne, son « mécanisme » et essaie de résoudre le problème proprement philosophique du fondement de la connaissance analysé par Emmanuel Kant. Ses problèmes sont aussi ceux de Kant : si Durkheim a de l'intérêt pour les représentations, il n'en a aucun pour ainsi dire, pour les opérations cognitives ou cognitivo -linguistiques. Pourtant Emile Durkheim distingue au point de départ la sociologie de la philosophie, il voulait reconstructivement dépasser le fait de son temps : « jusqu'à présent, disait-il, la sociologie a plus ou moins exclusivement traité non de choses, mais de concepts »217(*). Il ajoute paradoxalement à propos de la sociologie qu'elle « n'implique donc aucune conception métaphysique, aucune spéculation sur le fond des êtres ».

Par rapport à la philosophie du langage Durkheim est antipsychologiste.  Selon Alban Boubier, « on n'est effectivement pas loin de retrouver certains des arguments de Durkheim contre la psychologie ».218(*) Durkheim est « externaliste »et il ne s'intéresse pas du tout ni aux actes mentaux (conscients et délibérés) ni aux opérations mentales.219(*) Pour John Searle, par contre, les opérations mentales présentent un grand intérêt. Pour Alban Bouvier, « ce qui intéresse Durkheim, c'est l' « anti-prédicatif », c'est-à-dire ce qui, dans le processus de socialisation, précède en quelque sorte toute mise en langage ; de toute façon, ce n'est pas le cognitif ».220(*) Searle reprend à son compte la dimension du langage. Nous ouvrons une parenthèse pour faire remarquer que Jürgen Habermas est, en fait, guidé par des préoccupations d'ordre beaucoup plus interactif qu'holiste ou culturaliste.

Cette question de l'héritage philosophique des sciences sociales dans la sociologie de la connaissance est reprise entre autre par Peter Berger dans une optique phénoménologique. Il s'agira d'étudier le processus interprétatif par lequel s'opère la projection du social dans le cognitif.221(*) Il s'agit à proprement parler d'articuler, question pendante, du dualisme cartésien entre ce qui est objectif et ce qui est subjectif.

Ainsi, partant des questions de modes explicatifs en sciences sociales, on se pose en philosophie des sciences sociales la double question ontologique des principes qui donnent aux sciences sociales une raison d'être, c'est-à-dire de mode d'existence des faits sociaux, de leur indépendance à notre égard et de leurs pouvoirs causaux.222(*) Ces questions débouchent sur l'engament ontologique relatif à la réalité des structures, à des réflexions sur les dichotomies collectif -individuel ,objectif -subjectif, structure -agent , système- acteur, etc., à l'attribution presque intolérable de propriétés physiques (en l'occurrence ,des pouvoirs causaux ) à des êtres non physiques (des concepts ou des instruments d'analyses tels que les « systèmes »,les « structures »,la « culture »,etc., au sens à donner à ce qui est « objectif »,c'est-à-dire « réel », « intrinsèque », « monadique », « non relationnel », « non anthropocentrique »,etc., ou « subjectif »,c'est-à-dire « relatif »,relationnel », « anthropocentrique »,etc. On peut aborder par ces biais la distinction la plus utile, celle qui oppose ce dont l'existence est indépendante de nous, c'est-à-dire de nos perceptions, croyances, désirs, préférences, émotions et actions et ce dont l'existence est relative à (dépendante de) ces perceptions, croyances, préférences, émotions, actions. Les phénomènes sociaux pourraient-ils être indépendants de nos perceptions, croyances, préférences, émotions, actions ? Est-il raisonnable de leur attribuer des pouvoirs causaux ?

A. Explication fonctionnelle et causale

Emile Durkheim est considéré comme « l'artisan de l'explication fonctionnelle en tant que méthode scientifique en sociologie et auquel (sic) (Malinowski) attribuait la paternité du fonctionnalisme ».223(*) Le cadre fonctionnaliste a servi à plusieurs chercheurs en sciences sociales sur le terrain africain : « l'anthropologie culturelle anglaise (B. Malinowski, A.R. Radcliffe-Brown) qui a (eu cour en Afrique et en Australie a) choisi un cadre fonctionnaliste pour des analyses empiriques ».224(*) L'école anglaise d'anthropologie sociale et culturelle a transformé ce type d'analyse en un véritable programme : entendons par là qu'elle en a défini les principes méthodologiques, et les orientations théoriques. Un phénomène bizarre, inattendu, dissonant sera dans un premier temps rattaché à l'institution ou à la structure sociale qui le supportent ; dans un deuxième temps, on déterminera la fonction sociale jouée par celles-ci et le rendant intelligible. Cette fonction enfin, est génériquement pensée comme réponse à un besoin (Malinowski, 1944) ».225(*)

Selon le compte rendu de Fabrice Clément et Laurence Kaufmann, « Searle (...) se rapproche d'une perspective fonctionnaliste ».226(*) Il évoque pour cela quelques exemples : « en affirmant, par exemple, que la réalité sociale est créée par nous pour nos propres besoins. Selon Malinowski, en effet, les institutions sont les moyens organisationnels que les sociétés se donnent pour satisfaire leurs besoins primaires (biologiques) ou leurs besoins dérivés (culturels).

Au demeurant, nous nous appesantissons ici sur le modèle fonctionnaliste d'Emile Durkheim, dont nous allons tenter de mettre en exergue les schèmes reconstructeurs et en retracer l'itinéraire philosophique. Dans ce cadre précis, nous analysons justement l'évolution du fonctionnalisme dans la philosophie analytique de telle sorte que la tâche centrale de notre enquête aboutit à la question suivante : que devient le fonctionnalisme dans la philosophie analytique et dans la philosophie de l'esprit de John Searle ?

Nous empruntons la présentation de fonctionnalisme traditionnel à Robert Franck tirés de deux de ses articles intitulés respectivement : « les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » publié dans l'ouvrage Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, en 1994 et « Histoire et structure », dans Jean-Michel Berthelot (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, en 2001.

Nous allons tenter de présenter la question en nous appesantissant, comme il procède lui-même, au point de départ sur le fonctionnalisme, spécialement à travers Emile Durkheim qui s'est fortement inspiré du fonctionnement de l'organisme biologique comme modèle. Nous présentons ici quelques notions fondamentales de la doctrine fonctionnaliste de Durkheim pour dégager les points d'encrages avec Searle. Nous reprendrons quelques notions importantes à partir d'Emile Durkheim comme un des philosophes - fondateurs des sciences sociales, spécialement de la sociologie.

Son point de vue se démarque d'abord de la pratique philosophique courante d'un Rousseau ou d'un Thomas Hobbes, etc. Il appelle à traiter les faits sociaux non comme des idées mais comme des choses : « est chose tout objet de connaissance ...ce dont nous ne pouvons nous faire une notion adéquate par un simple procédé d'analyse mentale, tout ce que l'esprit ne peut arriver à comprendre qu'à condition de sortir de lui-même, par voie d'observation et d'expérimentation ».227(*) Bien plus : « Les causes inconnues dont elles dépendent ne peuvent être découvertes par l'introspection même la plus attentive »228(*). Il se démarque aussi d'Auguste Comte au point de vue de l'objet et de la perspective : de l'Humanité comme objet, il substitue la société, et renverse les effets de Comte en cause, ce ne sont pas les consciences individuelles qui déterminent la conscience collective mais l'inverse. « On est habitué, dit-il, à se représenter la vie sociale comme le développement logique de concepts idéaux, on jugera peut-être grossière une méthode qui fait dépendre l'évolution collective de conditions objectives, définies dans l'espace ».229(*)Tout au contraire : « Notre principal objectif, affirme Durkheim, est d'étendre à la conduite humaine le rationalisme scientifique en faisant voir que, considérée dans le passé, elle est réductible à des rapports de cause à effet ».230(*) Ce postulat fonde le fonctionnalisme même.

Du point de vue de la philosophie, disons d'ores et déjà que cette théorie sus- évoquée de Durkheim est fort tributaire de la philosophie de la Nature de René Descartes et de son mécanisme. A la question de savoir si« les sciences sociales recourent effectivement au deux sortes d'explications caractéristiques des sciences de la Nature, Robert Franck répond à la suite de Durkheim par l'affirmative. Il prend en exemple la théorie de la « densité dynamique » de Durkheim. 231(*) A propos pour Durkheim, nous dit-il « l'effort principal du sociologue devra donc tendre à découvrir les différentes propriétés de ce milieu (le tout) qui sont susceptibles d'exercer une action sur le cours des phénomènes sociaux. Jusqu'à présent, nous avons trouvé deux séries de caractères qui répondent d'une manière éminente à cette condition ; c'est le nombre des unités sociales, et le degré de concentration de la masse, ou ce que nous avons appelé la densité dynamique ».232(*)

Pour Durkheim le programme philosophique de recherche qui s'en dégage par delà cette forme de cartésianisme part de fait que « la mentalité des groupes n'est pas celle des particuliers, elle a ses lois propres233(*). (...) Il y a des similitudes que l'abstraction pourra dégager entre la mentalité sociale et la pensée privée».234(*) Emile Durkheim dans son livre intitulé les Règles de la méthode sociologique ajoute qu'il n'y a pas de continuité entre les faits psychiques individuels et les faits sociaux. « Il faut laisser, va continuer Durkheim, à l'avenir le soin de rechercher dans quelle mesure (la mentalité social) ressemble à la pensée des particuliers. C'est même là un problème qui ressortit plutôt à la philosophie générale et à la logique abstraite qu'à l'étude scientifique des faits sociaux ».235(*)

En somme, la méthode de la sociologie positive d'Emile Durkheim s'établit autour d'une dualité ontologique entre la matérialisation des « faits sociaux » comme pratiques sociales et leurs effets particuliers sur les consciences individuelles.236(*) Ainsi, « en ne considérant les phénomènes qu'en tant que pratiques sociales, Durkheim cherche donc à évacuer les considérations subjectives, qui, dans une perspective positiviste, demeurent du domaine de l'incertain. En tant que réalités « en-soi », les « faits sociaux » sont quantifiables et ne peuvent ainsi être isolés - et définis- par la statistique de manière « objective » ; ceci en contraste avec les effets particuliers sur les individus ».237(*) Nous pouvons dire que Durkheim met ensemble deux conceptions qui « s'opposent d'abord sur leurs fondements ontologiques respectifs, c'est-à-dire dans leur façon particulière de concevoir le monde social (culturel) qui constitue par ailleurs l'objet d'analyse de chacun. Le contraste entre les conceptions de la culture comme réalité en- soi (positivisme) ou comme réalité dépendante de la perception des hommes (herméneutique) relev(ant) de l'opposition entre les ontologies réalistes et antiréalistes de la « réalité » du monde ».238(*)

B. La primauté de concept de totalité et du Tout

A propos du fonctionnalisme, Durkheim postule quelques principes ci -après : « c'est (...) dans la nature de la société elle-même qu'il faut aller chercher l'explication de la vie sociale. On conçoit, en effet que, puisqu'elle dépasse infiniment l'individu dans le temps comme dans l'espace, elle soit en état de lui imposer les manières d'agir et de penser qu'elle a consacrées de son autorité ».239(*) En fait Emile Durkheim part d'un postulat théorique biologique pour simuler cette maxime théorique : un organe assure telle ou telle fonction en raison du système biologique ; de même, c'est en raison du système social qu'un phénomène produit tel effet social 240(*). « Il y a donc des espèces sociales pour la même raison qui fait qu'il y a des espèces biologiques »241(*). C'est-à-dire« ce qui détermine le phénomène social de l'organe à exercer telle fonction plutôt que telle autre, selon Durkheim, ce n'est pas le phénomène ou l'organe lui-même, mais son environnement (interne), ce tout auquel il appartient ».242(*)

C. Le principe fondamental

Une des caractéristiques fondamentales de la causalité sur laquelle se rapporte le fonctionnalisme et le structuralisme est justement le rapport entre le Tout et les parties que le structuralisme dépasse bien sûr. « L'explication fonctionnelle nous apprend comment le Tout est déterminé par chacune de ses parties. Elle nous fait découvrir certaines déterminations causales des parties sur le tout ».243(*)

En nous référant aux rapports entre le Tout et ses parties, l'effort principal du sociologue devra tendre à découvrir les différentes propriétés du milieu (intérieur) ou du Tout, qui sont susceptibles d'exercer une action sur le cours des phénomènes sociaux. Si on rejette la primauté du tout, la sociologie est dans l'impossibilité d'établir aucun rapport de causalité.

Ainsi :

- Sans le Tout, l'effet « fonction » disparaitrait ;

- La société est la condition déterminante des phénomènes sociaux ;

- La société est le facteur déterminant de l'évolution collective.

Il y a donc nécessité de découvrir les actions causales suivantes :

- l'action causale que l'organe exerce sur le Tout dont elle est une composante ;

- la place et le rôle que l'organe joue dans l'explication ;

- la place de l'organe et la place du tout ;

- la fonction que le tout exerce sur les composantes ;

- « le tout explique l'existence de la chose qui assure la fonction ».244(*)

Pour Durkheim « l'explication sociologique consiste exclusivement à établir des rapports de causalité, qu'il s'assigne de rattacher un phénomène à sa cause, ou, au contraire à ses effets utiles ».245(*) Autrement dit, « l'organe est indépendant de la fonction, c'est-à-dire que tout en restant le même, il peut servir à des fins différentes. C'est donc que les causes qui le font être sont indépendantes des fins auxquelles il sert ».246(*)

Signalons en somme que « dans les sciences sociales l'explication par la fonction occupe une place énorme ».247(*) Robert Franck nous en donne de plus amples explications et replace le concept de fonction en biologie: en effet « la physiologie a inauguré le concept de fonction ».248(*)

Claude Bernard choisit justement l'exemple de la fonction des deux nerfs principaux de la face, le facial et la cinquième paire, pour illustrer la méthode expérimentale et le raisonnement expérimental. « La section du facial amène la perte du mouvement, il a donc une fonction motrice, et la section de la cinquième paire mène la perte de la sensibilité, elle a donc pour fonction d'assurer la sensibilité. Comme on le voit la position est ici...l'effet ! L'explication se fait par la fonction (c'est l'explication dite fonctionnelle) qui est une explication en envers ».249(*)

D. La réalité sociale objective

Durkheim le souligne bien, la question fondamentale de recherche reste liée au « principe fondamental : la réalité objective des faits sociaux ».250(*) Le principe est le fait que « les manières collectives d'agir ou de penser ont une réalité en dehors des individus ».251(*) Les phénomènes sociaux sont extérieurs aux individus : « toutes les fois que les éléments quelconques, en se combinant, dégagent (par le fait de leur combinaison, des phénomènes nouveaux, il faut bien concevoir que ces phénomènes sont situés, non dans les éléments, mais dans le tout formé par lui-même. La vie ne saurait se décomposer ainsi ; elle est une et par conséquent, elle ne peut avoir pour siège que la substance vivante dans sa totalité. Elle est dans le tout, non dans les parties ».252(*) Autrement dit « les croyances et les pratiques sociales agissent sur nous du dehors ».253(*)

Cela veut autrement dire justement que « la société n'est pas une simple somme d'individus, mais le système formé par leur association représente une réalité spécifique qui a ses caractéristiques propres. Sans doute, il ne peut rien se produire de collectif si des consciences particulières ne sont pas données ; mais cette condition nécessaire n'est pas suffisante. »254(*) Et d'expliquer cela : « Les états de la conscience collective sont d'une autre nature que les états de la conscience individuelle. La mentalité des groupes n'est pas celle des particuliers ; elle a ses lois propres ».255(*)

C'est cette conception qui définit ce qu'est une institution sociale. En effet, « comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y entre une pluralité de consciences), elle a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer hors de nous certaines façons d'agir et de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté particulière prise à part. Ainsi qu'on l'a fait remarquer , il y a un mot , pourvu toutefois qu'on en étende un peu l'acception ordinaire, exprime assez bien cette manière d'être très spéciale ,c'est celui d'institution ».256(*)

Lorsque nous quittons ce niveau abstrait, qui culmine chez Durkheim dans le fait que « la nature de toute résultante dépend nécessairement de la nature, du nombre des éléments composants et de leur mode de combinaison »257(*), nous avançons au niveau concret de ce « qu'il y a correspondance entre le fait considéré et les besoins généraux de l'organisme social ».258(*)

E. Les entités émergentes

Le principe d'apparition des institutions est corollaire à ce qui vient d'être dit sur la réalité objective des faits sociaux. Pour les entités émergentes, « toute société dégage des phénomènes nouveaux différents de ceux qui se passent dans les consciences solitaires. Ils sont en ce sens, extérieurs aux consciences individuelles. Les faits sociaux ne diffèrent pas seulement en qualité des faits psychiques ; ils ont un autre substrat, ils n'évoluent pas dans le même milieu, ils ne dépendent pas des mêmes conditions. Les états de la conscience collective sont d'une autre nature que les états de la conscience individuelle ; ce sont des représentations d'une autre sorte ».259(*) Une telle remarque distingue bien l'individualisme du holisme.

Robert Franck pense que « les différentes manières dont sont combinées les consciences sont les processus ou les « mécanismes » qui génèrent les phénomènes sociaux, mais Durkheim ne les conçoit pas comme des processus historiques, ce sont les états présents, actuels de la société. Le présent s'explique par le présent ».260(*) C'est l'arrière-fond mécanisme. Les acteurs sociaux eux-mêmes ne semblent pas conscients de « mécanismes » de construction des faits sociaux. Il n'y a pas de continuité évidente entre les individus ou leurs états psychologiques et les faits sociaux. La construction des faits sociaux semblent plutôt mystérieux. Ses mécanismes constitutifs semblent justement mystérieux.

Justement selon Luc Van Campenhoudt, « dans leurs différentes variantes, les théories sociologiques n'ont de cesse de démontrer que, là où le sujet croit agir, c'est le social (conscience collective, sujet historique, habitus, effets de pouvoir, aliénation...) qui agit en lui. Le social a ses raisons que le sujet ignore, mais que le sociologue peut découvrir. »261(*) Certains spécialistes des sciences sociales et philosophes, tel que John Searle, se donnent justement pour objectif de rechercher d'en dévoiler les mécanismes de production et de reproduction. A propos selon Durkheim, « la sociologie est la science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement. (...) On peut en effet,...appeler institutions, toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité ».262(*)

F. De la représentation

Durkheim s'intéresse, aux représentations collectives ou à des modes collectifs de catégorisation, des façons culturelles de se représenter le temps, l'espace ou la causalité, qui s'imposent aux individus de l'extérieur plus qu'elles ne structurent leur esprit et n'expliquent son fonctionnement. Dans le cadre de la sociologie au moins, les processus cognitifs par lesquels les catégories sont produites par le social, puis transformées par les propres transformations de celui-ci, restent inconnus sinon mystérieux puisque leur investigation est renvoyée à la psychologie.

Au point de départ, disons d'emblée que, pour Emile Durkheim, « la vie sociale (est) tout entière faite de représentations ».263(*) Ces faits sociaux « consistent en représentations et en action. (...) Ils constituent donc une espèce nouvelle et c'est à eux que doit être donnée et réservée la qualification de sociaux ».264(*)

Pour Searle, les objets sociaux : la monnaie, le mariage, les gouvernements, la propriété,...dépendent des représentations collectives et du comportement coopératif des hommes. Annuler ces représentations collectives et ce comportement coopératif, ces objets sociaux s'effondrent. Ce que Searle ajoute à la théorie dualiste de connaissance, c'est la théorie de l'action quand il parle de comportement coopératif. Un présupposé du tournant linguistique et pragmatique qu'hérite Searle.

G. Les faits sociaux

« Les faits sociaux consistent en des manières de faire ou de penser ...susceptibles d'exercer sur les consciences particulières une influence coercitive »265(*). A ce propos Durkheim affirme ceci : « pour qu'il y ait fait social, il faut que plusieurs individus tout au moins aient mêlé leur action et que cette combinaison ait dégagé quelque produit nouveau. Et comme cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y entre une pluralité de conscience), elle a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer hors de nous de certaines façons d'agir et de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté particulière prise à part. Ainsi qu'on l'a fait remarquer, il y a un mot qui, pourvu toutefois qu'on en étende un peu l'acception ordinaire, exprime assez bien cette manière d'être très spéciale : c'est d'institution ».266(*) C'est nous qui avons souligné le fait social comme synthèse.

Contre cette primauté du collectif, Fabrice Clément et Laurence Kaufmann pensent que cette doctrine chez Searle, « poussée à son extrême solipsiste, sombre dans un irréalisme sociologique dont la portée est fondamentalement idéologique ».267(*) Pour Searle « Durkheim had «an inadequate conception of social facts ».268(*) En effet, à la lecture de Searle, une sorte de continuité entre le privé et le collectif semble permanente.

Searle utilise l'expression « fait social » pour désigner tout fait impliquant l'intentionnalité collective. Pour lui l'Intentionnalité individuelle que chacun peut avoir est dérivée de l'intentionnalité collective que l'on partage. Toutefois, sa conception de l'intentionnalité collective cache plutôt une conception fort éloignée des fondamentaux d'un Emile Durkheim pour autant que ce dernier évoque plutôt l'absence de continuité entre les consciences individuelles et les consciences collectives. La reconstruction philosophique ici remonte au postulat qui veut que l'homme soit un animal social, ainsi pour Searle, une compréhension de l'intentionnalité collective est essentielle à la compréhension des faits sociaux.

Les faits sociaux sont d'une certaine façon indépendants des états psychologiques individuels ; en tant que catégories collectives et comme synthèses ils supposent l'apport des consciences individuelles mais s'en distinguent nettement. Ainsi, les faits sociaux sont : « les règles juridiques, morales, dogmes religieux, systèmes financiers, etc. qui consistent tous en croyances et en pratiques constituées ».269(*)

En ce qui concerne son caractère coercitif, « quand je m'y conforme de mon plein gré, cette coercition ne se fait pas ou se fait peu sentir, étant inutile. Mais elle n'en est pas moins un caractère intrinsèque de ces faits, et la preuve, c'est qu'elle affirme dès que je tente de résister. Si j'essaye de violer les règles de droit, elles réagissent contre moi de manière à empêcher mon acte s'il en est temps, ou l'annuler et à le rétablir sous sa forme normale s'il est accompli et réparable, ou à me le faire expier s'il ne peut être réparé autrement ».270(*)

Pour Durkheim, il n'y a pas de continuité suffisante entre les états psychologiques des consciences individuelles et les faits sociaux. « Il ne peut se produire rien de collectif si des consciences particulières ne sont pas données ; mais cette condition nécessaire n'est pas suffisante. Il faut encore que ces consciences soient associées, combinées, et combinées d'une certaine manière ; c'est de cette combinaison que résulte la vie sociale et par suite, c'est cette combinaison qui l'explique ».271(*)

Nous allons, un chapitre après, revenir sur le point de vue exhaustif de Searle sur le fonctionnalisme. Il nous parait utile de présenter d'abord le structuralisme et l'approche dialectique.

2.3.1.2. L'explication causale, structurale et/ou systémique, et dialectique

A. Fonctionnalisme et structuralisme

Nous présentons ici le point de vue qui reprend autrement les rapports entre le présupposé principal du fonctionnalisme : le Tout et ses parties. Le fonctionnalisme est le contraire du structuralisme. La détermination structurale ou systémique dans la méthodologie durkheimienne constitue le fondement de l'explication fonctionnelle : elle en est la raison, elle l'explique.272(*) Le rapport entre le fonctionnalisme et le structuralisme s'établit ici : l'action causale des parties sur le tout est structural ; l'action causale exercée par un phénomène social sur le tout social est elle-même déterminée par le tout social, est fonctionnelle.273(*)

Ces approches constituent « une manière de traduire les phénomènes en termes scientifiques adéquats - en l'occurrence en variables- mais également d'une représentation globale et générique, d'un modèle de fonctionnement ».274(*) Le causalisme appelle l'image d'une vaste machine. La machine implique à son tour l'idée de fonctionnement et peut dériver vers cette autre image de l'organisme. «  L'idée commune est qu'un phénomène A va avoir une fonction, ou jouer un rôle... dans un organisme vivant, la complexité des mouvements impliqués est si grande et si secrète que ce qui apparaît déterminant est la fonction remplie par les organes ».275(*)

B. Le structuralisme de Lévi-Strauss

La transformation de l'approche structuraliste de Claude Lévi -Strauss en une approche pragmatico - intentionnelle passe par la logique. La notion de cause ou plus exactement la relation de cause à effet que suppose le structuro -fonctionnalisme est analysée en logique comme une implication stricte : « p implique strictement q » comme « il est nécessaire que p implique q ». Cette position est soutenue aussi par Thierry Lucas276(*).

Ainsi, « une relation entre phénomènes (peut être) décrite en termes de variables, de fonctions ou de structure. (...) Le structuralisme (...) relève de modèles formels tout aussi rigoureux, ce que Lévi- Strauss ne manque pas de rappeler ».277(*) Dès lors, on peut «  rejeter le vocabulaire et les métaphores organicistes au profit de langage alternatif : celui d'une codification logique de l'analyse fonctionnelle ».278(*)

C. Essai de reconstruction historique

La conception du structuralisme participe de la vision cartésienne de la Nature. De cela Linné dégage quatre variables, « toute note doit être tirée du nombre, de la figure, de la proportion, de la situation » (philosophie botanique, 299, cité par M. Foucault, 1966, p.146).279(*) Lorsque nous suivons Robert Franck nous découvrons que le cartésianisme, c'est-à-dire ses concepts généraux et sa causalité mécanique, s'affine progressivement avec les auteurs qui travaillent sur la question.

Le point de vue de la philosophie de la Nature à la suite de René Descartes et le point de vue de la linguistique structurale peuvent nous aider à remonter la reconstruction. « La structure pour le naturaliste cartésien, est la configuration des pièces d'un être vivant dans l'espace selon un ordre déterminé ».280(*) Cependant, « la structure d'une langue ne se réduit pas aux relations qu'on peut observer entre ses composantes, elle en est la syntaxe, c'est-à-dire les règles qui fixent les relations autorisées entre les unités de la langue. Lévi-Strauss oppose (ainsi) les structures sociales aux relations sociales ».281(*) Ici, d'un point de vue de la philosophie de la Nature, nous pouvons voir le passage de la physique de Descartes à celle de Leibniz qui introduit une métaphysique dynamique en réaction contre la métaphysique statique de Descartes. C'est-à-dire que Leibniz tente de réduire l'espace géométrique à l'arithmétique. «  Leibniz refuse ici de lier le nombre à la quantité, (...) la monade, l'unité substantielle qui sur le champ physique se manifeste par la force ».282(*)

Ainsi appliquée au fonctionnalisme par rapport à l'anatomie et à la physiologie, cette similitude se présente comme suit : « tout comme l'anatomie enseigne la situation, la grandeur, la figure, la relation et la constitution des parties du corps, la physiologie fixe l'usage, l'utilité et l'emploi de ces mêmes parties »283(*). La causalité descendante devient réciproque en biologie. « La liaison causale mécanique, explique Kant, telle qu'elle est pensée par l'entendement constitue une série de causes et d'effets qui descend toujours ; et les choses qui comme effets, en supposent d'autres comme causes, elles ne peuvent par contre être causes en même temps de celles-ci. Mais on peut aussi concevoir une liaison causale qui, comme série, montrerait une dépendance aussi bien descendante qu'ascendante ».284(*)

Claude Bernard ajoute, en 1865, le concept de causalité réciproque qui souligne le fait que la structure organique a un caractère hiérarchique.285(*) A partir de ce moment, l'idée des relations entre le Tout et ses parties est abandonnée pour passer à l'idée d' « une pluralité de niveaux où les composantes de chacun des niveaux sont à la fois partie et tout, partie d'une composante du niveau supérieur et tout d'une série de composantes du niveau inférieur ».286(*)

L'auteur illustre cela de la manière que voici : « Un estomac par exemple, ne résulte pas seulement de la nature et des proportions des tissus, mais encore de leur `arrangement' »287(*). Le Tout d'un niveau quelconque ne contient pas ses parties (l'estomac les tissus de l'estomac) il n'est pas autre chose que ses parties, et cependant il est autre chose car il est l' « arrangement » de ces parties selon un certain ordre ».288(*)

A ce niveau nous obtenons les cinq traits majeurs du concept de structure qui ont été élaborés en biologie :

1) La configuration ;

2) La causalité réciproque ;

3) La hiérarchie des niveaux au sens d'arrangements ;

4) Une structure est un «  système de transformation et non pas une forme statique quelconque » écrit Jean Piaget289(*). Il d'agit dès lors de « décrire comment les éléments de la structure se composent progressivement entre eux, et de dégager les lois auxquelles obéit le processus de composition de ces éléments ».290(*)

5) L'autoréglage ou l'auto- organisation de la structure ou du système. Ce concept est élaboré à partir du concept d'équilibre emprunté toujours à la biologie.

D. L'explication dialectique

La question posée ici est celle de savoir si la combinaison des explications causale, fonctionnelle et structurale peut devenir dialectique au sens où elle nous permet d'opérer le va-et-vient entre l'analyse et l'expérience concrète. Cette dichotomie est comprise comme la différence énigmatique entre expliquer et comprendre.

Pour Robert Franck une fois de plus, « il s'agira de vérifier s'il existe une isomorphie entre le réseau abstrait de détermination qu'on est parvenu à construire, et l'ensemble réel qu'elle prétend refléter ».291(*) C'est ici que se situe notre question : est- il possible qu'un schème ou modèle ou tout simplement, qu'un langage des sciences sociales reflète la réalité ou, à l'inverse, peuvent-ils seulement construire la réalité ?

Plus techniquement selon Franck ,« une telle isomorphie est comparable à celle (...) que proposait Ludwig Wittgenstein pour illustrer sa Bildtheorie ; mais elle peut aussi être de la nature de la relation qu'il y a entre la syntaxe d'une langue naturelle et une conversation prononcée dans cette langue , ou de la nature de la 292(*)relation entre les règles du jeu d'échecs et une partie d'échecs , ou de la nature de la relation entre une `loi' exprimée sous forme d'équation mathématique et un processus physique. Le réseau ou modèle prétendra refléter `l'arrangement `, la structure, qui commande les déterminations effectivement observées entre variables à chacun des niveaux et d'un niveau à l'autre ».293(*)

2.3.3. Le constructivisme linguistique et l'analyse de la situation de la parole

Pour comprendre la réalité, Jürgen Habermas théorise la société à la suite du paradigme de la philosophie du langage à travers les différentes phases du tournant linguistique, pragmatique et herméneutique. Au niveau du tournant strictement linguistique, l'objection centrale contre la philosophie de la conscience est dans la position suivante : « Nous ne sommes pas porteurs des pensées comme nous sommes porteurs de nos représentations ».294(*) En effet, les représentations sont les miennes ou les tiennes ; elles doivent être attribuées à un sujet identique dans l'espace et dans le temps, tandis que les pensées dépassent les limites de la conscience individuelle et conservent un contenu strictement identique, même si elles sont appréhendées par différents sujets, en des lieux et à des moments différents.

Le monde en tant que somme des faits possibles ne se constitue que pour une communauté d'interprétation dont les membres, situés à l'intérieur d'un monde vécu intersubjectivement partagé, s'entendent sur quelque chose qui existe dans le monde.295(*) Les membres peuvent faire valoir les prétentions à la validité de leurs visions du monde par oui ou par un non.

Charles Sander Peirce développe avant Habermas le tournant linguistique en tenant compte de l'utilisation du langage, de la catégorie de la communication ou plus généralement de l'interprétation des signes comme étant le centre de sa philosophie, et Habermas tente de le mettre au centre de la théorie sociale.« Les présuppositions contrafactuelles des acteurs qui fondent leurs actions sur des prétentions à la validité, acquièrent une importance immédiate pour la construction et le maintien des ordres sociaux ».296(*)

Les pensées sont articulées sous forme de propositions. Peirce développe le tournant sémiotique de façon conséquente, en tenant compte du langage. Le concept binaire d'un monde représenté au moyen du langage est remplacé chez lui par le concept ternaire d'une représentation linguistique de quelque chose pour un interprète possible.

La communauté d'interprétations en tant que savoirs communs d'arrière-plan, condition de possibilité d'un ordre social, renvoie au tournant herméneutique et pragmatique. Du concept binaire habituel : sujet -objet nous passons au concept ternaire d'une représentation linguistique de quelque chose pour un interprète possible.297(*) La transcendance ici est interne, immanente au langage même.

Ces idéalisations inhérentes au langage lui-même acquièrent par ailleurs une signification pour la théorie de l'action, lorsque les forces de liaison illocutoires des actes de parole sont mises à contribution pour coordonner les plans d'action de différents acteurs.

Les actes de langage (les promesses, les aveux, les serments, les bénédictions, les prières, les ordres au travail dans un chantier par exemple),... sont des actes illocutoires en tant qu'ils sont en même temps des interactions et des intercompréhensions langagières. Les forces de liaison illocutoires des actes de paroles sont mises à contribution pour coordonner l'action de différents acteurs. 298(*) Dans la même perspective d'une théorie de l'action, d'un point de vue de la philosophie fondamentale, John Searle fait usage de la logique pragmatique (ou illocutoire selon s terminologie).

Or, les pensées sont articulées sous forme de propositions. Peirce, tel que cité par Habermas, développe le tournant linguistique de façon conséquente, en tenant compte du langage. Le concept binaire d'un monde représenté au moyen du langage est remplacé chez lui par le concept ternaire d'une représentation linguistique de quelque chose pour un interprète possible.

Du point de vue scientifique, le programme d'élaboration d'une théorie générale des sciences sociales de John Searle parait être gouverné par la volonté ou l'exigence d'élaborer une théorie unitaire de l'esprit (la cognition), de l'action et du langage applicables aux sciences sociales. L'ambition ainsi exprimée vise ultimement à mettre ensemble la logique, la grammaire et la théorie de l'esprit (et donc aussi de l'action) en « analytisant » particulièrement le fonctionnalisme.

Nous pouvons constater que sur le versant des sciences sociales, John Searle a des reconstructions multiples quelques fois difficiles à démêler. Sa théorie de la création de la réalité sociale au moyen de l'imposition de fonction -statut, que nous présenterons, semble être unique.

Ainsi John Searle tente-t-il d'élaborer une théorie générale pour la connaissance de la société, une philosophie « transcendantale » du langage appliquée aux sciences sociales.

Pour analyser du point de vue de son programme analytique la structure logique des forces illocutoires, John Searle a décomposé en ce qu'il appelle, logique illocutoire, chaque force en six espèces de composantes à savoir : un but illocutoire, un mode d'atteinte de ce but, des conditions sur le contenu propositionnel, des conditions préparatoires de sincérité, et un degré de puissance299(*). La poursuite des buts constitue la dimension de tout système d'action. Parsons classe dans cette catégorie toutes les actions qui servent à définir les buts du système, à mobiliser et à gérer les ressources et les énergies en vue de l'obtention de ces buts et à obtenir finalement la gratification recherchée. C'est précisément la capacité de se fixer des buts et de les poursuivre méthodiquement qui distingue le système d'action des systèmes de non - action, c'est-à-dire des systèmes physique ou biologique. Ceci est consécutif, dans sa philosophie analytique des sciences sociales ,au théorème fondamental de Talcott Parsons : « l'environnement symbolique et culturel qui propose des buts à atteindre et des moyens appropriés, établit des limites à l'action permise, des propriétés et suggère des choix ».300(*)

Ainsi, la fonction du symbolisme a priori dans l'action sociale est justement de médiatiser les règles de conduite, les normes, les valeurs culturelles qui servent à guider l'action dans l'organisation de son action. 

En tant que tel, le projet de Searle - qui se ressource dans la double philosophie du langage et celle des états mentaux - touche à la recherche principielle de la théorie des systèmes d'actions. Il se cristallise dans un retour au paradigme structuro -fonctionnaliste, conceptualise la notion d'institution et tente d'unifier plusieurs approches. C'est le défi que sa philosophie toujours dynamique est appelée à lever. Justement, la notion d' « institution » est un des points de sa théorie sociale.

Ainsi, à travers ces modes d'approches, nous traitons de la question de la nature, de l'origine, des fondements et celle du fonctionnement des institutions. Notre recherche tente de reconstruire philosophiquement, d'un point de vue historique et systématique, le structuro -fonctionnalisme et de remonter à la philosophie sociale analytique. Nous débouchons sur la nécessité de critiquer ces modes d'approches pour élargir l'espace théorique allant jusqu'aux théories actionnistes en sciences sociales. Nous abordons la possibilité d'une analyse plus ciblée de l'essai de dépassement du cadre systémique et structuro- fonctionnaliste, puisque nous plaçons John Searle dans la continuité de cette problématique générale de la causalité dans l'approche structuro -systémique et fonctionnaliste.

Au demeurant, nous répondrons à l'exigence d'une illustration de la question de fondement par les modèles des systèmes en sciences sociales au travers du structuralisme, du fonctionnalisme et de la dialectique, pour autant qu'ils mettent en avant les rapports forme/matière, structure/relation,...modèles bien présents chez les africanistes en ethnologie. De ces dichotomies surviennent les déterminations logiques de l'analyse structurale.

Ce débat philosophique rencontre l'ethnologie parce qu'« elle interroge en retour nos sociétés sur leurs fondements, et notamment notre mode de pensée ».301(*) De ce point de vue, elle se recoupe avec les préoccupations mêmes des philosophes. Notre recherche traverse, au demeurant, ces deux thèmes majeurs.

Ici, John Searle critique implicitement, à la suite de Pierre Bourdieu avec qui il partage et/ou à qui il emprunte la notion de l'Arrière-plan ou de l'habitus, les appréhensions de Lucien Lévi -Bruhl sur la théorie prélogique.

Logiquement, « les croyances, les désirs et les règles déterminent seulement des conditions de satisfaction - des conditions de vérité pour les croyances, des conditions de réalisation pour les désirs, etc. -relativement à un ensemble de capacités qui ne consistent pas elles -mêmes en phénomènes intentionnels ».302(*)

Au demeurant, dans Normes et Faits, Pierre Livet explicite que : « les expériences qui permettent à un individu de comprendre la règle et donc de l'appliquer lui appartiennent en propre. (...) Cette règle exige donc une interprétation personnelle. Mais les règles doivent être réinterprétées par tous ceux à qui elles s `adressent. Les règles sont donc à double face. D'un côté elles semblent imposer à chaque individu un processus déterminé, une activité précise, et donc lui dicter ses intentions profondes, de l'autre, elles doivent pouvoir recouvrir des comportements effectifs très différents ».303(*)

A ce propos nous nous attardons justement sur l'approche structuro- fonctionnaliste pour stigmatiser leur statut et leur portée face à une philosophie de l'identité à travers l'ethnologie. Nous avons examiné le statut scientifique d'une telle philosophie identitaire. Dans ce contexte justement, Willard Quine introduit la notion de « schème de pensée » relayé par Donald Davidson.

2.3.2.1. Du concept de la réalité sociale et approches théoriques

La division des tâches de la sémiotique, peut nous servir de pierre de touche pour résumer les différentes dimensions de l'analyse de la réalité sociale. En effet, nous présentons justement un topo susceptible de situer cette approche si nous partons des structures sous-jacentes à toute énonciation ou à toute phrase pour qu'elle soit possible :

- Etre intégrée à un rapport à la réalité extérieure perceptible ;

- Etre intégrée à un rapport à la réalité intérieure des intentions d'un locuteur qui veut s'exprimer comme tel ;

- Etre intégré à un rapport à la réalité normative de ce qui est socialement et culturellement reconnu.304(*)

Disons-le tout de suite, que les trois réalités se construisent différemment. Les faits institutionnels relèvent proprement de la réalité sociale et normative.

Seulement, dans la philosophie analytique, la fonction descriptive qu'ont des énonciations a été développée sous la forme d'analyse logico -sémantique. Cette dimension est fort dominante dans la philosophie du langage idéal. Nous pouvons dire qu'elle est incarnée comme démarche chez Ludwig Wittgenstein de Tractatus Logico- philosophicus. Nous pouvons ainsi d'emblée dire que John Searle s'était depuis appesantit fort sérieusement dans les années 1969, sur une approche triple : logico-sémantique et pragmatique à partir de son livre intitulé Les actes de la parole, essai de philosophie du langage, qui contient en creux les concepts fondateurs de son livre intitulé La construction de la réalité sociale , de telle sorte que notre thèse aura à examiner le passage difficile des présupposés théoriques du langage logiquement formalisé au langage ordinaire.

Rappelons, au demeurant, que la sémantique formelle n'étudie pas des phrases en général, mais des phrases prises dans leur fonction de traduire des expériences ou des faits : l'analyse porte avant tout sur la logique de l'emploi de prédicats et d'expressions permettant d'identifier des objets.305(*)A la dimension sémantico -logique, il faut ajouter la dimension pragmatique qui, elle s'occupe de la signification contextuelle du langage.

D'un point de vue logico -sémantique, par exemple, la question de la référence qui est par ailleurs amplement disputée remonterait en philosophie selon Habermas « au moins à Frege (il faudrait en fait remonter au Théétète de Platon, et même plus loin) ».306(*) Outre la dimension logico -sémantique et pragmatique, nous évoquerons la dimension expressive de l'Intentionnalité qui vise de savoir si cette intention coïncide avec celle que visait le locuteur. Cette dimension autrement appelée Intentionnelle est devenue paradigmatique et dominante aujourd'hui chez Searle, comme un des lieux de la théorie de la construction sociale. Nous pouvons dire que cette dimension Intentionnelle, dans les années 1960 et 1970, n'avait jusqu'alors atteint qu'un faible degré de maturité.307(*)

A propos, la philosophie du langage a jeté un discrédit sur les choses mentales, ipso facto au paradigme internaliste. Cependant, comme le dit Maesschalck, « le contexte philosophique actuel appelle à reconsidérer la philosophie de la conscience d'un regard nouveau »308(*). Tout cela parce que « les philosophies cognitivistes redécouvrent le paradigme de la conscience et tentent d'exploiter l'auto -constitution du soi en tant que système neuropsychique de traitement de l'information ».309(*)Searle tente de ramener le statut des états mentaux au même niveau que les actes de langage en les situant hors du mentalisme.

Nous analysons différemment le retourment mentaliste que donne la philosophie de Searle, c'est-à-dire le maintien des présupposés déjà transformés dans la philosophie analytique : le dépassement du solipsisme mentaliste « les pensées (le langage) dépassent les limites de la conscience individuelle et conservent un contenu strictement identique, même si elles sont appréhendées par différents sujets, en des lieux et à des moments différents ».310(*) Ce langage internalisé est toujours un acte. L'interprétation ici n'est ni intérieure, ni privée ni mentalement incontrôlable, elle est communautaire (pragmatique), publique et contrôlable. En effet, « la pensée déborde les limites d'une conscience individuelle empirique et fait que le contenu de la pensée est indépendant du flux des expériences vécues par un individu.».311(*) D'où la primauté de sa notion de l'Intentionnalité collective au point de départ de l'activité sociale, et celle de la réalité.

2.3.2.2. Les théories de l'action

En revenant à la pragmatique, le passage de l'intentionnalité à l'action, peut faire appel à plusieurs théories de l'action. A propos, pour Habermas, il y a « quatre concepts d'actions devenus pertinents pour la formation de la théorie des sciences sociales »312(*) :

- Le concept de l'agir téléologique se trouve depuis Aristote au centre de la théorie philosophique de l'action ;

- Le concept de l'agir régulé par les normes ...concerne au contraire les membres d'un groupe social qui orientent leur action selon des valeurs communes ;

- Le concept de l'agir dramaturgique concerne les participants d'une interaction, qui constituent réciproquement pour eux-mêmes un public devant lequel ils se présentent ;

- Le concept de l'agir communicationnel concerne l'interaction d'au moins deux sujets capables de parler et d'agir qui engagent une relation interpersonnelle (que ce soit par les moyens verbaux ou extra- verbaux).

Nous pouvons dans cette ligne revenir à la théorie de l'action sociale du point de vue des sciences sociales dans une perspective analytique même si la question peut se poser aussi du point de vue de la philosophie de l'esprit et de la philosophie de l'action. La critique de Jürgen Habermas pour les trois premières actions tient au fait que ces trois autres modèles de l'action le langage est conçu unilatéralement.

Nous abordons cette étude du point de vue de la philosophie du langage et de la philosophie de l'esprit. Notre approche s'inspire des théories philosophiques logico- sémantique, pragmatique et intentionnelle ou cognitive.

2.3.3. Le constructivisme sociologico - phénoménologique de Peter Berger et Thomas Luckman

Peter Berger et Thomas Luckman ont mis ensemble un nombre impressionnant des traditions scientifiques pour en arriver à son approche de la construction sociale de la réalité. Peter Berger et Thomas Luckmann ont écris, dans le courant phénoménologique à la suite des précurseurs comme Rudolf Carnap, La construction logique du monde, en 1966, La construction sociale de la réalité, un livre devenu depuis un classique, en tout cas selon le dire de Danilo Martuccelli, qui en présente l'avant-propos dans l'édition de 2006 chez Armand Colin. Ce livre qui traite de la réalité quotidienne rejoint la réflexion de John Searle dans son livre, La construction de la réalité sociale, qui corrobore cette même réflexion déjà en 1969 avec un de ses livres dont l'autorité est restée quasiment intacte en philosophie du langage, Les actes du langage, essai de philosophie du langage qui est d'une grande importance dans le contexte des fondements de la connaissance.

Les concepts d'action et de sens sont au centre de la théorisation de Peter Berger. C'est « l'étude de la réalité au travers de processus cognitifs et pratiques, l'instituant comme réalité »313(*) chez Berger et Luckmann. « Ce qui anime d'un bout à l'autre l'ouvrage (la construction sociale de la réalité) est l'étude des processus cognitifs dynamiques par lesquels se produit et reproduit la vie sociale en fonction des interprétations et des connaissances socialement distribuées ».314(*) Ce sont des règles et des schèmes par lesquels la société est vécue, institutionnalisée, transmise et transformée. 

Le courant sociologique du constructivisme a pour pères fondateurs, Peter Berger et Thomas Luckmann et peut se comprendre « en une seule phrase lapidaire énonçant les fondements du constructionnisme sociologique (...): la société est une production humaine, la société est une réalité objective, l'homme est une production sociale et résumant en ces trois propositions en trois concepts : « extériorisation, objectivation, intériorisation ».315(*)

Par rapport à John Searle ,Peter Berger et Thomas Luckmann pensent que l'expression - non exempte d'ambiguïté - de « construction sociale de la réalité » qui fait partie d'une discussion nourrie chez le premier , ne vise pas à nier l'existence d'une réalité objective première(tout au plus ,leur arrive-t-il d'affirmer qu'ils mettent cette question entre parenthèses- c'est -à - dire ,qu'ils ne l'abordent pas vraiment dans leur travail ) mais souligne le fait que le regard doit se centrer sur des règles et schèmes par lesquels la société est vécue ,institutionnalisée ,transmise et transformée ».316(*) John Searle développe aussi la question qui est mise entre parenthèses.

A. L'apport de la sociologie compréhensive et de la sociologie du savoir

Pour Jürgen Habermas, ce programme consiste à dégager la structure transcendantale du monde vécu social intelligible, illustré sur fond de l'oeuvre théorique d'Alfred Schütz depuis les années 20. Ainsi, « la sociologie compréhensive revendique comme son domaine propre ce qui est présupposé, à l'arrière-plan des sciences sociales, empirico- analytique ».317(*) La mesure précise des sciences empiriques du processus social requiert d'abord l'étude du problème de la signification dans la vie quotidienne. L'hypothèse qu'il développe est bien la suivante : « La fondation phénoménologique de la sociologie compréhensive fait éclater le cadre d'une méthodologie générale des sciences empiriques ».318(*) Autrement dit, poursuit Habermas, « étant donné que l'observateur et le sujet observé participent de significations culturelles intégrées au système du langage que l'un et l'autre emploient dans la communication, les significations quotidiennes et le langage particulier dont fait usage le sociologue forment un élément de base de la mesure des actes sociaux ».319(*)

Ainsi, cette sociologie « ne cherche nullement à exclure la mesure adéquate des faits sociaux ; elle veut au contraire la rendre possible ».320(*) Cicourel espère obtenir explicitement, en saisissant les structures du monde quotidien, un système de référence qui détermine toujours déjà implicitement la transformation de l'expérience communicationnelle en données mesurées.

Arthur Schütz a beaucoup appris au contact de la tradition pragmatiste, notamment de Dewey, qui affirmait le fait que toute enquête commence et finit par la matrice socioculturelle »321(*). L'oeuvre de Schütz dont La construction du monde social a paru en 1932 ; allusion et contre partie de La Construction logique du monde de Carnap, elle ajoute à la visée de la sociologie du savoir une sociologie phénoménologique. La tradition de la sociologie du savoir bénéficie, à l'origine, de l'apport bien précèdent Cicourel et Schütz, de Max Scheler avec ses trois traités réunis en 1926 sous le titre (Les Formes de savoir et la société) qui est en fait un des fondateurs de la sociologie du savoir. Scheler a, selon Habermas, le mérite d'avoir pour la première fois introduit avec sérieux dans la discussion allemande des pensées issues du pragmatisme américain avec son livre.

Nous partons du fait qu'il y a un type de savoir ordinaire qui se transmet par le langage ordinaire. Nous pouvons justement en profiter pour montrer les liens qui existent entre la philosophie du langage ordinaire et la sociologie du savoir compris comme analyse de la réalité quotidienne. Ces deux approches ont ceci de commun qu'elles semblent s'écarter des théorisations scientifiques souvent fort éloignées de la vie quotidienne. Le courant constructivo- analytique s'approprie ce programme d'une façon critique. Le programme de la construction de la réalité sociale de John Searle s'inscrit largement dans la ligne de la sociologie du savoir de Cicourel et d'Alfred Schütz.322(*)

Un des postulats de cette sociologie du savoir est que « les concepts scientifiques doivent partir des schèmes interprétatifs des acteurs eux-mêmes. Les constructions conceptuelles puisent dans les réserves du savoir préalable qui, transmis par la tradition, guide et interprète la pratique quotidienne, et en même temps les reconstruisent. Les constructions scientifiques se situent au second degré ».323(*)

Plusieurs points d'encrages sont envisageables ; nous allons d'emblée en relever la question fondamentale qui lie la sociologie de la connaissance particulièrement, branche de la sociologie qui nous intéresse de ce point de vue, et la philosophie de ce livre. Selon Peter Berger et Thomas Luckmann, nous allons ici tirer un extrait fort large : « la sociologie de la connaissance envisage la réalité humaine comme une réalité socialement construite. Comme la construction de la réalité a traditionnellement constitué un problème central de la philosophie, la perspective détient des implications philosophiques ».324(*)

B. La société et le sens

« La vie sociale repose sur des significations communes. »325(*) Pour Peter Berger et Luckmann le substrat constructif de la réalité sociale est l'univers commun de sens. Ainsi « sous l'influence de Durkheim et de Weber, la religion n'est pas un domaine particulier, mais se place au coeur de la réalité sociale ».326(*) Pour les deux auteurs, « il s'agit de prolonger l'intuition majeure des auteurs classiques pour qui la religion est une matrice de sens dans une société et prendre acte du fait que dans une société sécularisée et plurielle il existe une crise des significations et des mécanismes de légitimation, ce qui accentue l'interrogation de l'homme sur le sens ».327(*)

Ainsi, « la confrontation des univers symboliques est une donnée structurelle des sociétés modernes ».328(*) La centralité de la signification est bien relevante ici : « la vie sociale est toujours déjà là, et elle est toujours appréhendée comme une réalité ordonnée et significative. L'individu ne peut pas ne pas rencontrer cette réalité objectivité, déployé à travers une série d'objectivations qu'il véhicule, qui constituent ainsi à proprement parler l'univers symbolique dans lequel se déroule sa vie ».329(*) Autrement dit,  la vie sociale repose sur le partage d'un ensemble commun des connaissances, quotidiennes, renouvelées, assurant tout autant la continuité de l'ordre social que celle des identités personnelles.

En cas de crise, « cette même société « invente » aussi de nouvelles institutions de production et de transmission de sens. (...) Les institutions de sens opérant dans un marché ouvert et d'autres orientées vers des communautés spirituelles plus restreintes et souvent fermées (sectes, cultes divers et styles de vie très définis) ».330(*) Par exemple, « la modernité est le théâtre d'une série d'enclaves de sens qui coexistent plus ou moins pacifiquement entre elles, apaisant la crise ici ou là au niveau individuel, mais ne parvenant plus à asseoir la société sur un univers symbolique commun. »331(*) Toutefois, « la crise de sens spécifique à la modernité est amortie par un ensemble d'institutions intermédiaires- à mi-chemin entre l'individu (et le besoin de sens) et les anciens grands principes d'action sociétale. »332(*) Ainsi, « les individus ne sont nullement assaillis par l'angoisse ou le vide existentiel ; au contraire même, ils sont largement capables de gérer le pluralisme structurel auquel elle les confronte ».333(*)

Sur la question de la valeur, « l'individu opère dans un monde dans lequel il n'existe plus de valeurs communes orientant l'action dans toutes les sphères - autrement dit, il n'existe plus de réalité unique identique pour tous ».334(*) Ainsi,poursuivent-ils « la société s'organise autour de principes abstraits, à vocation avant tout instrumentale, auxquels tous les acteurs sont censés se plier, et ne générant que des normes visant à résoudre des problèmes éthiques spécifiques propres à certaines sphères d'activité (l' « éthique médicale », l' « éthique commerciale », etc.). Ces règles permettent aux individus d'organiser leur vie commune en faisant l'économie d'une morale globale partagée ».335(*)

C. La société et l'action

Peter Berger et Thomas Luckmann se ressourcent dans plusieurs traditions sociologiques, conçoivent les institutions aussi comme des processus d'habituation, de typification des actions et de leur historicité. « Il doit exister une situation sociale continue à l'intérieur de laquelle les actions (pertinentes) habitualisées de deux ou plusieurs individus s'entrecroisent ».336(*)

Théoriquement, « A observe B en train d'agir. Il attribue des motivations aux actions de B et, voyant que les actions se répètent, typifient les motivations comme récurrentes. Comme B continue à agir, A est vite capable de se dire : « ah, il recommence ». En même temps, A peut affirmer que B fait la même chose en fonction de lui. Dès le début, A et B prennent en charge la réciprocité de la typification. Au cours de leurs interactions, ces typifications seront exprimées par des modèles spécifiques de conduite ».337(*) En effet, les « processus d'accoutumance précèdent toute institutionnalisation. (... ) L'institutionnalisation se manifeste chaque fois que les types d'acteurs effectuent une typification réciproque d'actions habituelles. (... ) Les typifications institutionnelles qui sont à la base des institutions sont toujours partagées.  (... ) Les institutions impliquent ensuite l'historicité et le contrôle ». 338(*)

Peter Berger et Thomas Luckmann tiennent au caractère « objectif » des faits sociaux parce que ces faits deviennent indépendants des agents qui en sont producteurs. Le processus d'intériorisation socialisante des valeurs héritées dont on vit dans l'adaptation et que l'on se transmet de génération en génération est un « tradition »,celle de la société comme construction devenue objective et même autonome.

D. Changement social et problèmes sociaux

Nous partons de l'idée que la connaissance est considérée comme le produit social, et que cette connaissance est en même temps un facteur de changement social en tant qu'elle est au fondement de la réalité sociale. Cette construction sociale devenue réalité objective et autonome, celle-ci peut être également vue comme une des sources des problèmes sociaux. Car, ce produit social peut justement être objectivé ou réifié en tant qu'idéologie, au point de devenir un instrument de déshumanisation ou d'aliénation sociale.

Ce qui est paradigmatique dans le cas des rôles sociaux est souligné par Peter Berger, par la formule courante : « Je n'ai pas le choix dans ce domaine, je dois agir ainsi à cause de ma fonction ».339(*) Comment de lors faut-il envisager le changement social contre cette objectivation. Comme le dit justement Peter Berger et Thomas Luckmann dans leur ouvrage intitulé La construction sociale de la réalité : « un corps de connaissances, une fois qu'il est élevé au niveau d'un sous- univers de signification relativement autonomie, possède la capacité d'agir rétrospectivement sur la collectivité qui l'a produit ».340(*)

2.3.4. Construction sociologico -philosophique chez Pierre Bourdieu

Nous partons d'abord de la théorie de la connaissance de Jürgen Habermas. Ce dernier cite Karl Marx tel qu'il donne une lecture instrumentaliste de la philosophie transcendantale.341(*) Ce n'est pas la combinaison de symboles effectués selon les règles, mais les processus sociaux de vie, la production matérielle et l'appropriation des produits, qui fournissent la matière que la réflexion peut prendre comme point de départ pour porter à la conscience les réalisations synthétiques fondamentales. « Ceux qui croient produire une théorie matérialiste de la connaissance lorsqu'ils font de la connaissance un enregistrement passif et qu'ils abandonnent ainsi à l'idéalisme ,comme le regrettait déjà Marx dans les thèses de Feuerbach,l'« aspect actif » de la connaissance,oublient que toute connaissance,et en particulier toute connaissance du monde social ,est un acte de construction mettant en oeuvre des schèmes de pensée et d'expression et qu'entre les conditions d'existence et de pratiques ou les représentations s'interpose l'activité structurante des agents ».342(*)

En effet, il s'agit de la synthèse dans laquelle le processus social, de processus symbolique et le mode de production matérielle interagissent. Une telle notion est bien proche de celle de « travail social » chez Karl Marx, notion qui peut être aliéné par « le processus vital » de Hannadt Arendt. Le processus vital renvoie ici au processus de ravalement. Pierre Bourdieu définit justement l'habitus comme l' « unité originaire synthétique, (...) principe unificateur et générateur de toutes les pratiques ».343(*)

Nous pouvons partir aussi d'autres présuppositions philosophiques, nous dirons que Pierre Bourdieu est plus aussi proche d'Emmanuel Kant de la Critique de l'aptitude de juger que de Critique de la raison pure. L'intitulé de l'ouvrage de Pierre Bourdieu : La distinction ; critique sociale du jugement, écrit en 1979, ne trompe pas sur la similitude avec La critique du jugement esthétique d'Emmanuel Kant. En effet, Kant évoque cette problématique de la synthèse transcendantale à travers une note assez obscure, mais très importante, au dire de Ch. Serrus , toute liaison (conjunctio) est ou composition (compositio), ou connexion (nexus). La première est la synthèse du divers qui n'est pas nécessairement lié. De cette espèce est la synthèse de l'homogène dans tout ce qui se peut examiner mathématiquement. La seconde synthèse concerne ce qui n'est nécessairement qu'un. En tant qu'hétérogène, il est aussi représenté comme lié a priori.

Toutefois, Pierre Bourdieu place les structures sociales non pas dans l'esprit comme Claude Lévi-Strauss mais dans le corps. Nous pouvons dire qu'il prône non pas le mentalisme mais la corporéité. L'habitus est une injonction à une action. Par exemple, « celui qui submerge la timidité se sent trahi par son corps, qui reconnaît les interdits ou des appels paralysants. »344(*) Ainsi, « la nation », la « race » ou l' « identité », comme on dit aujourd'hui, écrit- Bourdieu, est inscrite dans les choses -sous forme des structures objectives, ségrégation de fait, économique, spatiale, etc.- et dans le corps -sous forme de goût et dégoût, de sympathies et antipathies, d'attractions et répulsions, que l'on dit parfois viscérales ».345(*)

L'habitus est « la formule génératrice qui est au principe de style de vie, ensemble unitaire de préférences distinctives qui expriment, dans la logique spécifique de chacun des sous-espèces symboliques, mobilier, vêtement, langage ou hexis corporelle, la même intention expressive. Chaque dimension de style de vie « symbolise avec »les autres ,comme disait Leibniz, et les symbolise : la vision du monde d'un vieil artisan ébéniste ,sa manière de gérer son budget, son temps et son corps, son usage du langage et choix vestimentaire, sont tout entiers présents dans son éthique du travail scrupuleux et impeccable ,du soigné ,du fignolé, du fini et son esthétique du travail pour le travail qui lui fait mesurer la beauté de ses produits au soin et à la patience qu'ils ont demandés ».346(*)

Bourdieu évoque des situations de crises profondes qui peuvent affecter l'habitus en tant que synthèse, notamment la domination. « Plus généralement, la diversité des conditions ,la diversité correspondante des habitus et la multiplicité ...d'ascension ou de déclin (qui)font que les habitus peuvent se trouver affrontés ... à des conditions d'actualisation différentes ...: dans tous les cas où les agents perpétuent des dispositions rendues obsolètes par les transformations des conditions objectives (vieillissement social) ...comme les parvenus ,ou conjoncturellement ,comme les plus démunis lorsqu'ils ont à affronter des situations régies par les normes dominantes ,comme certains marchés économiques et culturels ».347(*)

Pour Bourdieu, « il faut, dit-il, rompre avec l'intellectualisme de la tradition kantienne et apercevoir que les structures cognitives ne sont pas des formes de la conscience mais des dispositions du corps, des schèmes pratiques ».348(*) Cette position a pour conséquence en sociologie de l'apprentissage et de l'éduction la nécessité de « dépasser la tradition néo-kantienne, même en sa forme durkheimienne ».349(*) Ainsi puisque produit de l'histoire, « l'habitus n'est ni nécessairement adapté, ni nécessairement cohérent. (...) C'est le cas, en particulier, lorsqu'un champ connaît une crise profonde et voit ses régularités (voire ses règles) profondément bouleversées. A l'inverse de ce qui se passe dans les situations de concordance où l'évidence liée à l'ajustement rend invisible l'habitus qui le rend possible, le principe de légalité et de régularité relativement autonome que constitue l'habitus apparaît alors en pleine clarté ».350(*)

Ce concept d'habitus est aussi bien proche des schémas de la philosophie de la nature des temps modernes. Pierre Bourdieu est proche de l'existence quotidienne, dans La distinction, il affirme ce qui suit, « il est à l'espace pratique de l'existence quotidienne, avec ses distances que l'on tient ou que l'on marque et ses proches qui peuvent être plus lointains que les étrangers, ce que l'espace géométrique est à l'espace hodologique de l'existence ordinaire, avec ses lacunes et ses discontinuités ».351(*)

Notons que selon Leo Chall la perspective de John Searle et Bourdieu divergent sur les notions l'intentionnalité et de l'ontologie sociale. 352(*) La convergence porte sur la notion d'habitus. `'Bourdieu`s concept of habitus is like my notion of the back-ground, although he comes from another tradition. I don't find him very easy to read. He doesn't always write very dearly.»353(*)

2.3.5. La construction sociale dans les domaines de l'anthropologie de la santé et de l'anthropologie des représentations

Yannick Jaffré et Jean Pierre Olivier De Sardan ont écrit et dirigé un livre intitulé La construction sociale de la réalité des maladies, entités nosologiques populaires en Afrique de l'ouest, ce livre partage « l'espace théorique commun au champ de l'anthropologie de la santé et au champ de l'anthropologie des représentations. Dans cet espace scientifique, affirment les auteurs, elle peut représenter une solution possible (parmi d'autres) à certains problèmes plus généraux, qui jusqu'ici ne nous semblent pas avoir été traités de façon satisfaisante ».354(*) La sociologie et l'anthropologie des catégories sont un des grands noyaux de développement actuel de l'analyse cognitive du social. Les catégories sont supposées former entre elles une totalité culturelle qu'on doit envisager dans les relations, notamment causales, avec les autres touts sociaux (et, tout spécialement, comme projection de la structure sociale), mais ce pourrait être aussi, comme chez Whorf et Sapir, de la projection de la structure de la langue.

L'étude porte sur des «  bribes de discours médical reintépreté que se construisent les représentations populaires ».355(*) Nous pouvons dire qu'ils partagent avec John Searle le point de départ théorique qui consiste à analyser le langage.

Ce qui nous intéresse ici, c'est le changement d'attitude ethnologique sur un domaine de recherche vital. Nous pouvons voir l'impertinence de critère de différentiation de la « leçon d'écriture » que nous retrouvons chez Searle. A la postface du livre les auteurs affirment justement que l'ouvrage partage des choix théoriques communs, notamment le refus d'une ethnologie passéiste. La méthode utilisée est celle de la description des sémiologies populaires. « Dans chacune des langues considérées, les locataires recourent à un stock déjà constitué de mots pour dire leurs maux, leurs corps, leurs maladies, leurs traitements ».356(*) Les chercheurs s'occupent des « entités nosologiques populaires », ces maladies de sens commun Peul, Songhay- Zarma, Bambara, etc., (ils s'intéressent à  « la façon dont les symptômes morbides étaient perçus, exprimés, et organisés par les principaux intéressés ».357(*)

L'avis porté sur les sciences sociales, c'est que contre ces dernières, les auteurs affirment « la nécessaire cohésion du langage de description en sciences sociales qui se transforme souvent en une cohérentisation abusive des référents empiriques sur lesquels il porte, (...) la rationalité propre au langage savant ne devait pas être confondu avec celle dont font usage les acteurs en situation ordinaire ».358(*) Contre le concordisme, la confusion des langages et l' isomorphie logico- philosophique, disons plus simplement à la suite de la thèse de Wittgenstein II, qu'aucun langage n'est descriptif, tout langage est toujours constructif. Le langage formel construit ses propres êtres, les autres langages des sciences construisent le monde, Dieu ou la société.

Là où nous relativisons les auteurs, c'est quand ils affirment le fait « qu'il n'y a pas en Afrique, à notre connaissance, de « médecine savante » traditionnelle, les spécialistes populaires que sont les « guérisseurs » (faisant traditionnellement un large usage des plantes) ne recourant nulle part à un corpus stabilisé et standardisé de savoirs organisé (du type médecine chinoise ou indienne. (...) il faut bien admettre, après examen attentif fait par chacun d'entre nous dans les cultures ici considérées, que nulle part n'existe de théories des rapports entre ces rapports, entre ces couples, fonctionnelles ou philosophiques (à l'image des théories grecques ou chinoises), et que leurs usages sont variables, non stabilisés, et largement allusifs ».359(*) Ils ajoutent : « nous n'avons pas rencontré trace à travers nos parcours de recherche sur les entités nosologiques populaires, de grandes constructions théoriques indigènes. Ni de vastes systèmes classificatoires. (...) Chaud/ froid, humide / sec, amer/ doux sont des couples couramment utilisés dans toutes les langues où nous avons travaillé. »360(*) Justement, cette opération est fondamentale. Intellectuellement nous classons et opérons des distinctions de base (masculin /féminin, classes d'âges, etc.), qui à leur tour configurent ou construisent la vie quotidienne. Ce point de départ est la façon de comprendre cette phrase de Bourdieu : « les agents sociaux que le sociologue classe sont producteurs non seulement d'actes classables mais aussi d'actes de classement qui sont eux-mêmes classés ».361(*) C'est ce que Bourdieu appelle l'activité structurante des agents. C'est un mode de connaissance géométrique souvent incorporé et qui se reproduit socialement.

Pierre Bourdieu tente de donner la genèse des structures sociales et des classifications. Toutefois, il se démarque d'une analyse de John Searle rivée sur la pragmatique du langage ou d'une pragmatique de l'esprit en tant qu'essai d'une philosophie des états mentaux. Pour lui, du moins à un certain niveau, les unités minimales qu'ils dégagent fonctionnent en deçà de la conscience et du discours, pour autant que le discours n'implique pas la pratique (l'acte). « La connaissance pratique du monde social (...) met en oeuvre des schèmes classificatoires (ou ,si l'on préfère ,des « formes de classifications »,des « structures mentales »,des « formes symboliques »,autant d'expressions qui,si l'on ignore les connotations ,sont à peu près interchangeables),schèmes historiques de perception et d' appréciation qui sont le produit de division objective en classes (classe d'âge, classes sexuelles, classes sociales) et qui fonctionnent en déçà de la conscience et du discours ».362(*)Nous avons dit que nous étions là en présence des actes structurants inconscients.

Les unités minimales de base qui se reproduisent sous forme sociale relèvent des oppositions inscrites dans de la vie même (sexe, langues différentes, âges, etc.) et se projettent en construisant les institutions. « Les passions mortelles de tous les racismes (d'ethnie, de sexe ou de classe) se perpétuent parce qu'elles sont chevillées aux corps sous forme de dispositions et aussi parce que les rapports de domination dont elles sont le produit se perpétuent dans l'objectivité ».363(*) Son hypothèse est que, par exemple, la domination entre masculin/féminin est inscrite d'abord dans la différence physique qui est inscrite dans le corps.

L'habitus est la classe incorporée ,(incluant des propriétés biologiques socialement façonnées telles que le sexe ou l'âge) et, dans tous les cas de déplacement inter- ou intra- générationnel, se distingue (dans ses effets ) de la classe objectivée à un moment donné du temps (sous forme de propriété ,de titres, etc.),en ce qu'il perpétue un état différent des conditions matérielles d'existence, celles dont il est le produit et qui différent plus ou moins en ce cas des conditions de son actualisation »364(*). L'« habitus dominé (du point de vue du sexe, de la culture ou de la langue), relation sociale somatisée, loi du corps social (est) convertie en loi du corps ».365(*)

La construction s'oppose à la naturalisation. Pour Bourdieu, « la vision naturalisée de région ou de la nation, avec ses frontières « naturelles », ses « unités linguistiques », ou autres,...toutes ces entités substantielles ne sont que des constructions sociales, des artéfacts historiques qui, souvent issus des luttes historiques analogues à celles qu'ils sont censés trancher, ne sont pas reconnus comme tels, mais appréhendés à tort comme des données naturelles ».366(*)

En effet, « les opérations de classifications par lesquelles les agents sociaux construisent le monde social tendent à se faire oublier comme telles en se réalisant dans les unités sociales qu'elles produisent, famille, tribu, région, nation, et qui sont dotées de toutes les apparences des choses ».367(*) Ces considérations sont essentielles comme hypothèses théoriques à vérifier dans une enquête sociologique ou anthropologique selon le cas ; ainsi « c'est l'ordre social lui-même qui, pour l'essentiel, produit sa propre sociodicée ».368(*)

La philosophie de la Nature des temps modernes est ici sans conteste un des cadres théoriques de Pierre Bourdieu. Nous allons déjà en luminaire présenter ici une reconstruction philosophique. Le postulat du concept de « distinction » ou de « classement », dans son livre intitulé La distinction ; critique sociale du jugement a selon notre hypothèse son répondant dans le rationalisme cartésien. René Descartes, dans son livre Regulae ad directionem ingenii,fait de la notion de sériation comme la base de sa mathématisation de la nature ; c'est le postulat de sa philosophie même : « comprendre le monde c'est le mathématiser, c'est le disposer en série géométrique».

Pour tenter une reconstruction philosophique, nous essayons de présenter l'origine philosophique de la théorie considérée. En effet, nous savons que « sérier » dans la mathématisation de la nature chez Descartes, c'est construire des oppositions. Transposé dans une construction sociale chez Bourdieu, cela devient : la « matrice de tous les lieux communs qui ne s'imposent si aisément que parce qu'ils ont pour eux tout l'ordre social ,le réseau d'oppositions entre haut(ou sublime, élevé, pur) et bas(ou vulgaire, plat, modeste),spirituel et matériel, fin(ou raffiné ,élégant) et grossier(ou gros, gras, brut, brutal, fruste),léger(ou subtil, vif, adroit)et lourd(ou lent, épais, obtus, laborieux, gauche),libre et forcé, large et étroit ou, dans une autre dimension ,entre unique(ou rare, différent, distingué, exclusif, exceptionnel, singulier, inouï) et commun(ou ordinaire, banal, courant, trivial, quelconque),brillant(ou intelligent) et terne(ou obscur, effacé, médiocre),a pour principe d'opposition entre « élite »des dominants et la »masse » des dominés ,multiplicité contingente et désordonnée, interchangeable et innombrable, faible et désarmée ».369(*)

Le concept d'espace homogène de René Descartes y est transposé, toutes choses restant égales par ailleurs, comme espace social. « Le schéma de l'espace social (...) peut être aussi lu comme un tableau rigoureux des catégories historiquement constituées et acquises qui organisent la pensée du monde social de l'ensemble des sujets appartement à ce monde et façonnés par lui. »370(*) Seulement, il faut dire que Bourdieu est un rationaliste d'un type nouveau qui théorise non pas l'espace homogène mais l'espace social.

Sur la même question de construction de la réalité sociale, Bourdieu reproche à certains spécialistes en la matière le fait « qu'ils omettent de poser la question de la construction sociale des principes de construction de cette réalité que les agents mettent en oeuvre dans le travail de construction, individuel et aussi collectif. »371(*) Ces principes ne sont autres dans la société dite complexe que « les schèmes pratiques de perception, d'appréciation et d'action ».372(*) « Dans les sociétés peu différenciées ,c'est à travers toute l'organisation spatiale et temporelle de la vie sociale et, aussi , à travers les rites d'institution établissant des différences définitives entre ceux qui ont subi le rite (par exemple la circoncision) et ceux (ou celles)qui ne l'ont pas subi(femmes) que s'instituent dans le corps ,sous forme de schème pratique (plutôt que des catégories),les principes de visions et division communs (dont le paradigme est l'opposition entre le masculin et le féminin) ».373(*)

Pierre Bourdieu est dans la ligne de ceux qui critiquent la rationalité et la modernité et cela à l'envers de John Searle au moyen du principe qu'il appelle l'habitus, schème constructeur de la réalité sociale. En effet, « un concept qui, comme celui de l'habitus ,dit-il, s'est imposé à moi à l'origine comme le seul moyen de rendre compte des décalages qui s'observaient ,dans une économie comme celle de l'Algérie des années soixante(et encore aujourd'hui dans beaucoup de pays dits « en voie de développement »), entre les structures objectives et les structures incorporées ,entre les institutions économiques importées et imposées par la colonisation (ou aujourd'hui par les contraintes du marché) et les dispositions économiques apportées par les agents directement issus du monde précapitaliste. Cette situation quasi expérimentale avait pour effet de faire apparaître en négatif, à travers toutes les conduites qui étaient alors communément décrites comme des manquements à la « rationalité » et des « résistances à la modernité », et souvent imputées à de mystérieux facteurs culturels, comme l'islam, les conditions cachées du fonctionnement des institutions économiques ».374(*)

2.4. Illustration de la construction de la réalité sociale ordinaire

Depuis 1949, date de parution du livre intitulé Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, il était déjà bien connu qu' « on ne naît pas femme, l'on le devient » et les courants féministes ont fait comprendre que le « genre » (opposé au sexe, produit de la « nature ») est un construit social. »375(*) En fait, « les femmes et les hommes ont tenu pour acquis que la perception masculine du monde était normale et naturelle alors qu'en réalité, les postulats (...) qui gouvernent nos modes de pensée et d'agir sont des artéfacts sociaux, issus et construits à partir de l'expérience masculine (Randour, 1987).»376(*) Il fallait le préciser à la suite de Weiler, « le sexe, la classe, la race, l'appartenance sexuelle et la capacité physique donnent forme à nos vies ».377(*)

Jeannine Ouellette affirme à propos des femmes qu'« il ne faut jamais perdre de vue que les théories sont des constructions humaines et, dans la fabrication masculine de la réalité, c'est la femme qui est l'Autre..., qui est différente de l'homme. Ce modèle déficitaire repose sur le postulat que ce sont les femmes qui doivent changer ; les hommes seraient les modèles de réussite et, comparativement aux hommes, les femmes n'arriveraient pas à gravir tous les échelons (Gaskellet coll., 1989) ».378(*) La femme « se détermine et se différencie par rapport à l'homme et non ceux-ci par rapport à elle ; elle est inessentielle en face de l'essentiel. Il est Sujet, il est l'Absolu : elle est l'Autre ».379(*)

Aujourd'hui « le nombre de femmes qui résistent à l'assimilation inconsciente au modèle masculin est un fait social évident ».380(*) « Les femmes de toutes les générations relèvent ce défi et dépassent les limites de leur siècle et de leur époque en redéfinissant les frontières pour réinventer la société ».381(*) Pour prendre l'exemple du concept de « genre » que nous venons d'évoquer, la question essentielle est celle-ci : la vision essentiellement masculine de la réalité prévaut dans la majorité des disciplines, comment sortir de cette vision masculine ? Pour une épistémologie coloniale, la question est simple : la vision coloniale de la réalité prévaut encore dans la majorité des disciples en sciences sociales et humaines, comment sortir de cette vision coloniale ?

A propos, il existe des obstacles à la réinvention d'une nouvelle société et non les moindres, à titre d'exemple : « les mots sont porteurs de valeurs et de symboles. Il n'est pas si simple de modifier ou de transformer les rapports d'une société avec les mots ».382(*) Par exemple « La langue européenne moderne comme le français reflète, dans sa structure profonde, les institutions nomades indo-européennes, défavorables à la femme : il n'existe pas de terme propre en français pour exprimer le meurtre de la mère et de la soeur ; on utilise, respectivement, les termes relatifs au meurtre du père, ou du frère : parricide= meurtre du père, ou de la mère par extension- fratricide= meurtre du frère, ou de la soeur par extension ».383(*) Les mots sont des instruments d'émancipation ou d'aliénation.

Pour l'épistémologie sociale de Pierre Bourdieu justement, « le genre, la nation, l'ethnie ou la race sont des constructions sociales,il est naïf , donc dangereux ,de croire et de laisser croire qu'il suffit de « déconstruire » les artéfacts sociaux , dans une célébration purement performative de la « résistance » pour les détruire : c'est en effet ignorer que,si la catégorie selon le sexe, la race ou la nation est bien une « invention »raciste,sexiste,nationaliste,elle est inscrite dans l'objectivité des institutions. »384(*) Nous allons largement illustrer, non le cas de genre (gender), mais le fait que les sciences coloniales à propos des peuples Aborigènes d'Australie, des Indiens d'Amérique et surtout des Noirs d'Afrique, sont des constructions hautement stratégiques et souvent irrationnelles.

Jeannine M.Ouellette propose, pour sortir de la vision masculine de la réalité « le concept d'autonomie intellectuelle (qui) s'actualise dans (la) position épistémologique où les femmes se perçoivent comme créatrices et aussi comme dispensatrices du savoir ».385(*) Du point de vue constructiviste, « les femmes accordent maintenant une place équivalente à la raison et à l'intuition, sans toutefois négliger la contribution du savoir provenant de sources extérieures ».386(*) Et de conclure par une note nettement éclairante : « Les liens (...) entre les niveaux de développement - le moi, la parole et la pensée- sont utiles pour avoir une vue d'ensemble et mieux saisir les enjeux multiples de la socialisation et de l'effet global de vivre dans une société patriarcale ».387(*)

2.5. Conclusion partielle

Nous pouvons dire que l'échantillon des approches que nous avons analysées dans ce chapitre a deux perspectives : celle qui relève d'une approche ordinaire et celle d'une approche savante. Ces deux perspectives peuvent être intégrées au moyen d'une reconstruction ontologique et épistémologique. Nous allons maintenant présenter l'approche analytico-cognitiviste de John Searle qui tente une telle synthèse.

Chapitre III :

Contribution searlienne à la construction ordinaire et théorique de la réalité sociale

3.0. Sommaire du chapitre

Le chapitre III donne une présentation de John Searle et analyse la transformation searlienne des déterminations structuro -fonctionnelles d'Emile Durkheim. Cette reconstruction nous permet de dégager les convergentes et les divergences entre Emile Durkheim et John Searle.

John Rogers Searle est un philosophe américain né à Denver (Colorado) le 31 Juillet 1932, il étudie la philosophie à l'université d'Oxford. En 1959, il devient professeur de philosophie du langage à l'université de Californie, à Berkeley. Il s'est particulièrement intéressé à la philosophie du langage et à la philosophie de l'esprit (The mind). Il fait sa carrière en tant que professeur de philosophie à l'Université de Californie, Berkeley. Il élabore depuis une théorie de la construction de la réalité sociale enracinée dans son livre monumental Les actes de la parole ; essai de philosophie du langage de 1969.

Emile Durkheim dans Les règles de la méthode sociologique, nous donne des points d'encrages théoriques qui nous introduisent dans le contexte de la question sociale de John Searle. Ce livre peut être une des références pour discuter avec Searle pour autant que le fonctionnalisme d'E. Durkheim et sa primauté du collectif y est mis en exergue. C'est là tout un programme de recherche qui se recoupe avec celui actuel de John Searle. Proche d'une telle problématique, nous sommes d'avis que John Searle se pose une foule de questions qui se recoupent : comment les faits institutionnels sont-ils possibles ? Et quelle est exactement la structure de ce genre de faits ? Comment une réalité sociale construite est-elle possible ? Comment peut-il y avoir une réalité objective qui existe, pour une part, en vertu de l'accord des hommes ? Par exemple, comment peut-il être un fait complètement objectif que les bouts de papier qui se trouvent dans ma poche soient de l'argent, si quelque chose n'est de l'argent que parce que nous le croyons ? Et quel est le rôle du langage dans la constitution de tels faits ?388(*)

A propos John Searle évoque le fonctionnalisme dans un contexte théorique qui se recoupe entre autre avec la manière de voir d'Emile Durkheim. Toutefois, Searle refuse le rapprochement avec le fonctionnalisme : «  il vaut peut être la peine de noter qu'en employant la notion de fonction je n'ai assurément pas l'intention de souscrire à quelque « analyse fonctionnelle » ou « explication fonctionnelle » que ce soit en matière de recherche sociologique ».389(*)

John Searle englobe cette question en portant son intérêt sur les problèmes méthodologiques, épistémologiques de fondement et celle la validité de la connaissance en sciences sociales. Répondre plus précisément à la question principale de dépassement du fonctionnalisme traditionnel suppose la démarcation qu'il y a à faire avec les autres approches théoriques et des concepts centraux de reconstruction en sciences sociales. En fin de compte, nous nous servons d'un réflecteur, en l'occurrence du fonctionnalisme de John Searle pour construire notre hypothèse générale du dépassement. Searle considère le cadre théorique d'Emile Durkheim comme essentialiste.

Dans les sciences sociales, selon Etienne Le Roy justement, « John Searle, parmi d'autres, a pourtant montré que le fonctionnalisme est nécessairement lié à une conception intentionnaliste des choses ».390(*) Searle reconstruit le cadre général structuro -fonctionnaliste d'un point de vue intentionnaliste. Le système de Durkheim est intrinsèque. Le système fonctionnel de Searle est attributif. Un agent intentionnel attribue une fonction à une chose, à un évènement ou à une personne. Il part du fait qu'il ne faut pas postuler d'emblée comme le fait Durkheim que les rapports entre le Tout et ses parties sont normaux et fonctionnent. D'où l'importance du langage dans la création de la réalité sociale en général. En effet, selon Searle  «les fonctions ne sont jamais intrinsèques ; elles sont assignées relativement aux intérêts d'utilisateur, et d'observateurs ».391(*) C'est nous qui le construisons en assignant ou imposant des fonctions.

A travers la formule langagière des règles constitutives de Searle, X vaut Y dans le contexte C (entendez par exemple cette femme (X) est déclarée mariée (Y) dans le contexte où cela est dit par l'officier de l'état civil(C)). Ce système de X, Y et C n'existe pas en lui-même ; X et Y se situent dans un rapport non intrinsèque comme dans un rapport de Tout et de ses parties.

Searle considère X et Y comme des variables : « j'emploi les expressions « terme X », « terme Y », et « terme C » pour faire référence indifféremment soit aux entités réelles qui sont les valeurs de ces trois variables ».392(*) Dans ces conditions où le système n'est pas intrinsèque, il y a bien un problème de causalité et de normativité automatiques.  « Chaque fois que la fonction de X est de Y, alors X est censé causer Y ou, sinon, résulter en Y. Cette composante normative inhérente aux fonctions ne peut se réduire à la seule causalité, à ce qui se passe en fait comme résultat de X, parce que X peut avoir pour fonction de faire -Y même dans les cas où X ne parvient pas tout le temps ,ni même la plupart de temps ,à provoquer Y ».393(*)

La transformation searlienne donne des résultats suivants : l'exigence d'incorporer la subjectivité humaine. En fait, la reconstruction de Searle suppose en même temps le fonctionnalisme et le structuralisme : « la fonction de X est de Y, X et Y sont les parties d'un système où le système est en partie défini par des fins et, de manière générale, par des valeurs ».394(*)

Les propos ici vont consister, comme on peut le remarquer à présenter, la conception constructiviste de la réalité sociale selon John Searle. Comme le débat se situe, par rapport à la communauté scientifique au double point de vue diachronique et synchronique, nous allons tenter ,pour présenter sa conception, de subsumer les différents points d'encrages qui ne sont pas donnés d'emblée.

Ce chapitre contient essentiellement deux grandes questions : la reconstruction structuro-fonctionnaliste de Searle d'abord, cette partie a ceci d'intéressant qu'elle éclaire pas mal de points théoriques en sciences sociales à la recherche de sa rénovation, surtout en Afrique d'une part, et d'autre part, elle met en exergue le point de départ onto-théologique ou naturaliste d'un contexte théorique,point de départ qui a l'avantage de servir de balise contre l'éparpillement de cette question qui embrasse finalement plusieurs domaines des sciences : de la physique à la culture, en passant par la biologie et le statut des savoirs, etc. La seconde partie se penchera ensuite sur les accointances et/ou diversités entre Searle et Durkheim.

3.1. La transformation searlienne des déterminations structuro -fonctionnelles

De quoi s'agit -il ici ? Nous allons montrer d'une part les différentes divergences de John Searle avec l'approche dite structuro-fonctionnalisme, en tant qu'elle se réalise de façon reconstructive, et les différentes convergences d'autre part. Searle tente ici justement la transformation pragmatico - intentionnelle du structuro- fonctionnalisme. Nous verrons que son point de départ est intentionnel ou cognitiviste (dans le naturalisme la Raison émerge à un certain niveau comme émerge la conscience du biologique : la conscience émerge du processus neurobiologique dans le physicalisme de Searle), et qu'il retourne subrepticement sur ses premières amours pragmatistes à la fin. Sa reconstruction épistémologique des approches est au demeurant intentionnalico- langagière. Finalement Searle débouche sur ses propres modalités de la construction de la réalité sociale.

Toutefois, il faut dire que sa conception de la construction de la réalité sociale, bien que proche de celle de Friedrich Hayek, ne manque pas de forcer l'admiration par sa richesse en tant qu'elle se ressource dans la logique, dans le cognitivisme, dans la philosophie de la nature et dans la sémio -pragmatique. Searle part d'un projet colossal d'un édifice naturaliste qui reprend la physique comme base, la biologie comme le sommet et la psychologie comme stade intermédiaire.

Nous pouvons ici évoquer chez Searle la reconstruction épistémologique au moyen du concept normatif de « comportement régi par des règles » des structures profondes. A ce propos, John Searle réfute plusieurs points de vue qui recèlent en fait des contradictions : « nous ne pouvons pas (...) décrire (...) ces structures comme des ensembles de règles de calcul inconscient, ainsi qu'on le fait aujourd'hui en sciences cognitives et en linguistique, parce qu'il est incohérent de postuler un suivi des règles inconscientes qui soit en principe inaccessible à la conscience ».395(*)

Les règles phonologiques que Claude Lévi-Strauss a utilisées sont remplacées chez Searle par des règles constitutives que nous verrons. Searle reconstruit cette problématique de l'omniprésence de l' « inconscient » par la notion de l'Arrière-plan.

A propos Searle et Pierre Bourdieu se démarquent du concept de l'inconscient pour respectivement l'Habitus et l'Arrière-plan. Marc Maesschalck nous renseigne par ailleurs que le recours à l'Habitus est « une réaction à la prédominance de l'oeuvre de Lévi-Strauss sur le travail sociologique à l'époque où Bourdieu menait ses études sur les structures de parenté au Bearn et en Kabylie ».396(*) La notion de l'Arrière-plan est une reconstruction de la question de la commande du langage, du mental et de l'interaction au moyen des structures profondes comme un ensemble des règles.

La question théorique de John Searle est la suivante : « quelle est (...) la bonne méthodologie, pour décrire la structure de la réalité sociale ? »397(*) Pour lui déjà, en effet « ce qui crée un problème au théoricien, c'est le caractère invisible de la structure de la réalité sociale ».398(*) La cristallisation théorique de cette question est, par delà la rupture saussurienne et le rôle des règles dans les sciences sociales, la fameuse question de Ludwig Wittgenstein, celle de savoir si les règles causent l'action ou ce qu'obéir à la règle signifie. 399(*) Qu'est-ce qu'être commandé par les règles ?

On part du fait que « les gens qui participent aux institutions (comme l'argent, la guerre, la propriété, le mariage, le procès, etc.) ne sont pas conscients, habituellement, de ces règles ; ils ont même souvent de fausses croyances sur la nature de l'institution, et il arrive même que ceux qui ont créé en personne l'institution n'aient pas conscience de sa structure ».400(*) Comment Searle explique-t-il cette situation ? Il rappelle le fait que « Chomsky dans son analyse de la Grammaire universelle, dit que l'enfant n'est capable d'apprendre la grammaire d'une langue naturelle donnée que parce qu'il ou elle est déjà de façon innée en possession des règles d'une Grammaire universelle, et ces règles sont si profondément inconscientes qu'il n'y a aucun moyen pour un enfant de prendre conscience de leur déroulement. Ces analyses ne me satisfont pas, conclut-il.»401(*) Et il poursuit, «cette façon de procéder est très courante en science cognitive. Fodor dit que pour comprendre une langue quelle qu'elle soit, il nous faut tous connaître le Langage de la Pensée. Et ce langage est profondément inconscient que nous ne pouvons jamais prendre conscience de son déroulement ».402(*)

John Searle ne procède pas de cette façon : « depuis Freud, nous trouvons utile et commode de parler de manière désinvolte de l'esprit inconscient sans en payer le prix : expliquer exactement ce que nous entendons par là ».403(*) Quelle est la thèse de Searle ? «  Pour expliquer comment nous pouvons rattacher à des règles des structures telles que le langage, la propriété, l'argent, le mariage, et ainsi de suite, dans le cas ou nous ne connaissons pas les règles et ne les suivons ni consciemment ni inconsciemment, je dois faire appel à la notion que j'ai appelé l' « Arrière-plan » ».404(*) Searle distingue les règles de l'Arrière-plan.

Cette problématique est à la suite de l'hypothèse de Ludwig Wittgenstein selon la quelle « parler est un type de comportement régi par des règles ». Searle présente déjà 1969 la nature des règles. En fait, John Searle explicite justement l'aphorisme de Ludwig Wittgenstein selon lequel « parler une langue c'est accomplir des actes conformément à des systèmes des règles constitutives ».405(*) Plusieurs règles peuvent ici entrer en compte : les règles constitutives, les règles normatives, les règles de force illocutoire (les règles de contenu propositionnel, les règles essentielles, les règles de sincérité, etc.). Pour Searle, ces règles sont celles fondamentales auxquelles obéit d'une façon générale l'activité communicationnelle dans le monde de la vie quotidienne. « Il existe (donc ) des règles constitutives du monde vécu ».406(*)

Ce que tente de faire John Searle,c'est de mettre en exergue ces règles : « Les institutions comme l'argent, la propriété, la syntaxe, et les actes de langage sont des systèmes des règles constitutives, et nous voulons connaître le rôle de cette structure régulatrice dans l'explication causale du comportement humain ».407(*) Les règles ne fonctionnent pas comme les causes du comportement. « Les règles sont donc un procédé qu'emploie le linguiste pour caractériser les phénomènes, mais elles se bornent à décrire le comportement, elles ne jouent en vérité aucun rôle pour ce qui est de le causer ».408(*)

Et Searle de conclure : « Je propose donc de dire, c'est Searle qui conclut ainsi, qu'en apprenant à se débrouiller avec la réalité sociale, nous acquérons un ensemble d'aptitudes cognitives (Arrière-plan) qui sont partout sensibles à une structure intentionnelle, et en particulier aux structures régulatrices d'institutions complexes, sans nécessairement contenir partout de représentations des règles de ces institutions ».409(*) Il s'oppose ici à la non intentionnalité d'Emile Durkheim.

3.1.1. Les convergences et les divergences entre Emile Durkheim et John Searle

Il y a en effet plusieurs points de convergences entre Searle et Durkheim. Savas Tsohatzidis dit à juste titre que « several commentators ( notably Gross 2006 ) have been struck by what they see as a convergence between this account and that of Emile Durkheim ,who ,one century earlier, set out his account of social reality in his the Rules of Sociological Method (Durkheim 1982),whose first chapter asks what is a Social Fact? »410(*) Ils se demandent tous deux ce qu'est-ce qu'un fait social ?

Il y a certes des convergences mais aussi des divergences, Searle pense qu'il diffère fondamentalement de Durkheim parce que l'ontologie fondamentale de ce dernier est problématique : « nevertheless, Searle roundly rejects the idea that their views converge. (...) Searle countens that « the fundamental ontology in Durkheim is mistaken ».411(*)

Searle revient abondamment sur la question d'Intentionnalité dans sa reconstruction. « Les explications fonctionnalistes tendent à étudier les institutions indépendamment des intentions des acteurs qui y sont impliqués ; elles recourent à une téléologie sans agents intentionnels ».412(*) Alors que pour Searle « les sciences sociales en général concernent différents aspects de l'intentionnalité ».413(*) L'économie par exemple n'est pas basée « sur des faits systématiques portant sur la structure moléculaire (l'organicisme), mais sur des faits concernant l'intentionnalité humaine, les désirs, les pratiques, l'état de la technologie et de la connaissance, il s'en suit que l'économie n'est indépendante ni de l'histoire ni du contexte».414(*) Ceci approche le point de vue de l'économie normative de W .Pareto. La linguistique est une science appliquée de l'intentionnalité qui s'occupe de spécifier les contenus intentionnels déterminés de façon historique dans l'esprit de celui qui parle les différents langages qui justifient de fait la compétence linguistique humaine.415(*)

3.1.2 Le programme philosophique global de John Searle

La transformation de l'approche structuralisme chez John Searle en une approche pragmatico - intentionnelle passe également par la logique. La notion de cause ou plus exactement la relation de cause à effet que suppose le structuro -fonctionnalisme est analysée comme une implication stricte en logique : « p implique strictement » comme « il est nécessaire que p implique q ». Cette position est aussi soutenue par Thierry Lucas.416(*) « Le structuralisme (...) relève de modèles formels tout aussi rigoureux, ce que Lévi- Strauss ne manque pas de rappeler. »417(*) Dès lors qu'une relation entre phénomènes peut être décrite en termes de variables, de fonctions ou de structure. On rejette « le vocabulaire et les métaphores organicistes au profit de langage alternatif : celui d'une codification logique de l'analyse fonctionnelle ».418(*)

Toutefois, rappelons que le programme global de John Searle est gouverné par la volonté ou l'exigence d'élaborer une théorie unitaire de l'esprit (la cognition), de l'action et du langage. L'ambition ainsi exprimée vise ultimement à mettre ensemble la logique, la grammaire (la sémantique), la théorie de l'esprit et la théorie de l'action.

Ce programme peut remonter selon Daniel Vanderveken, à la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal, qui distingue l'affirmation faite par le locuteur d'une affirmation conçue par le locuteur, et esquisse une théorie des actes de pensée ou actions de l'esprit pour rendre compte aussi bien des énoncés non déclaratifs que des énoncés déclaratifs.

Il faut au point de départ disposer d'une théorie de la vérité qui soit compatible avec la théorie du succès et de la satisfaction. Il faut donc concilier la logique formelle à la logique pragmatique. John Searle et Daniel Vanderveken ont ainsi cherché à identifier les conditions de satisfaction d'un acte illocutoire élémentaire avec les conditions de vérité de son contenu proportionnel.

Disons d'emblée qu'ils ont dans cette ligne, élaboré une « logique illocutoire » qui sous-tend la théorie de l'évolution sociale, notamment sous le thème de la construction de la réalité sociale. Justement ,dans l'optique de la philosophie du langage, la notion de la force illocutoire de John Searle est à la base de sa théorisation de la société.

A la différence de la sémantique appliquée à la linguistique, la sémantique générale du succès et de la satisfaction de John Searle est philosophique. Son objectif principal est d'articuler et même de rendre vivante la structure logique profonde commune à toutes les langues naturelles possibles en utilisant une logique unifiée illocutoire et Intentionnelle.419(*) En effet, la sémantique philosophique (du succès et de satisfaction) porte sur le rapport conventionnel qui relie ce que dit la proposition, son sens, et ce sur quoi elle porte, sa référence.

A la suite de cette présentation, il faut ajouter le fait qu'aux actes de langage correspondent des états mentaux en tant qu'actes de pensée. Les mots énoncés sous un mode littéral indiquent formellement la manière dont ils doivent être compris (interrogation, affirmation, ordre, promesse). Les actes sous le mode langagier sont des actes de langage assertif, promissif, directif, etc. ; et sous le mode psychologique, sont des états Intentionnels : croyance, désir, intention, perception, etc.

Les propositions sont les contenus de nos actes illocutoires (assertions, promesses et questions) et de nos attitudes propositionnelles (croyance, désirs et intentions) à propos des objets et faits d'une part, et d'autre part, elles sont des sens d'énoncés pourvus de conditions de vérité : elles sont vraies en une circonstance quand elles représentent un fait existant.420(*)

Le contenu représentatif /propositionnel doué de signification, selon que c'est un état psychologique ou un acte de langage, détermine le rapport au monde, et par là même leur direction d'ajustement, c'est-à-dire la direction de la causalité, et leurs conditions de satisfaction (pour être un acte de langage réussi).

Il y a là plusieurs causalités, outre la causalité mentale ou la causalité physique brute, Searle parle de la causalité de l'Arrière-plan. « La clé pour comprendre les relations causales entre la structure de l'Arrière-plan et la structure des institutions, c'est de voir que l'Arrière-plan peut être causalement sensible aux formes spécifiques des règles constitutives sans contenir réellement de croyances, de désir, ou de représentations de ces règles ». 421(*) Autrement dit,  « tout état intentionnel ne fonctionne , c'est-à-dire ne détermine des conditions de satisfaction que sur fond d'un ensemble d'aptitudes, de dispositions et de capacités d'Arrière-plan qui ne font pas partie du contenu intentionnel et ne sauraient être incluses comme une partie du contenu ».422(*)

Les actes de langage ou les états psychologiques se présentent face au monde selon les directions d'ajustement particulier. On peut dire que les directions d'ajustement sont des déterminations logiques. « La relation entre le contenu représentatif R et le mode psychologique (états Intentionnels) S (croyance, désir, intention, la pensée, etc.) est similaire à celle qui réunit le contenu propositionnel p et la force illocutoire F (impératif, assertif, expressif, performatif, promission) ».423(*)

Les discours sont des actions pourvues des forces, nous pouvons étudier les conditions de leur réussite ou de leur succès. A propos, le langage courant distingue de nombreuses forces illocutoires directes : demandes, questions, requêtes, sollicitations, prières, invitations, supplications, implorations, ordres, commandements, revendications, exigences, conseils, recommandations, au tant de directives de forces distinctes à accomplir dans des conditions différentes.

Les conditions qui doivent être remplies pour qu'un acte de langage réussisse sont : l'ajustement entre la signification linguistique et l'état de chose auquel elle se réfère. La direction d'ajustement qui relie ainsi le contenu propositionnel au monde est déterminée par la force illocutoire : celle -ci spécifie les modalités de « traitement » de l'état des choses représenté par l'acte de langage.

Les actes de langage et les états intentionnels permettent d'avoir des conditions de satisfaction précises (échec ou réussite de l'acte) selon le rapport qu'ils ont envers le monde ou la direction d'ajustement en tant que direction de causalité. « La notion de conditions de satisfaction s'applique à la fois à tous les actes de langage et à tous les états Intentionnels pourvus d'une direction d'ajustement ».424(*) Les conditions d'ajustement spécifient les exigences d'adéquation auxquelles chaque acte de langage ou attitude propositionnelle sont supposés répondre.

Les états Intentionnels tels que la croyance et la perception s'ajustent de l'esprit au monde, alors que le désir et l'intention s'ajustent inversement du monde à l'esprit. Il existe d'autres états Intentionnels qui n'ont pas de direction d'ajustement.

De même, la relation qui réunit le contenu propositionnel p avec la force illocutoire F (impératif, assertif, expressif, performatif, déclaratif, promissif) détermine la manière dont les mots sont censés s'ajuster au monde. Les assertifs, les affirmatifs, les explicatifs ou les descriptifs, s'ajustent selon une direction qui va des mots au monde. Les promissifs, c'est-à-dire pour les promesses, serments, menaces, contrat, l'ajustement va du monde aux mots : c'est le locuteur qui s'est engagé à faire quelque chose dans le futur.

Les normes appartiennent à la classe des directifs, c'est-à-dire des actes de langage au moyen desquels on cherche à influencer la conduite d'autrui. Les directifs, c'est-à-dire pour les ordres ou demandes l'ajustement va du monde aux mots. Les directifs les plus forts, par exemple, les commandements ou les ordres de faire ou de ne pas faire quelque chose, sont appelés prescriptifs.

Les expressifs (excuses, remerciement, félicitations) se caractérisent par l'absence totale de direction d'ajustement. Par exemple l'affirmation « cette grenouille est verte » et la croyance que cette grenouille est verte représentent les mêmes conditions de satisfaction et toutes deux ont une direction d'ajustement qui va du mot /esprit au monde ».425(*) Les conditions de satisfaction répondent à des conditions de vérité (assertif, croyance). Aux conditions de vérité il faut adjoindre les conditions d'intelligibilité.

Les conditions de satisfaction elles, dépendent de la direction d'ajustement de force. Pour qu'il y ait satisfaction, il ne suffit pas qu'il y ait correspondance (la vérité -correspondance), faut-il encore que la correspondance soit établie selon la direction d'ajustement voulue. D' où l'analyse des marqueurs de forces.

Ici, « les différentes forces illocutionnaires relient le contenu propositionnel au monde réel de différentes manières, avec des directions d'ajustement différents, on aura besoin de mots différents pour marquer le succès ou l'échec de l'ajustement entre la proposition et le monde réel ».426(*)

Les phrases suivantes : «  (« Je te baptise »), ou « Je décrète l'état d'urgence », etc.), échappent à l'alternative du vrai et du faux ou à une vérité d'adéquation, qu'Austin remplace par la réussite (felicity) ou l'échec de la formulation (utterence) » .427(*) Enoncer « les conditions de vérité pour les énoncés n'est pas la même chose qu'énoncer les conditions de satisfactions pour d'autres sortes d'actes de langage. (Ainsi donc),  il faudra introduire des dispositifs pour effectuer toutes sortes d'actes de langage standard, tels que les énoncés, les questions, les ordres, et les promesses. Pour cela il vous faudrait des manières de marquer la distinction entre le contenu propositionnel et la force illocutoire de l'acte de langage ». 428(*)

« Du fait que les différentes forces illocutoires relient le contenu propositionnel au monde réel de différents manières, avec des directions d'ajustement différents, on aura besoin de mots différents pour marquer le succès ou l'échec de l'ajustement entre la proposition et le monde réel ».429(*) Searle présente différents types de forces illocutoires en formalisant leur portée. La taxinomie des actes illocutoires repère les usages fondamentaux de la langue.

Rappelons-nous que John Searle considère qu'il doit y avoir une continuité entre le biologique (les actes mentaux : désir, croyance, intention, action) et le culturel (le langage). Il ainsi restaure trois paliers : le biologique physico-chimique, les actes mentaux et la réalité sociale (langage et culture).

Selon Daniel Vanderveken, les logiciens devraient se concentrer aussi bien sur l'analyse des conditions de vérité des énoncés déclaratifs que sur les actes illocutoires. « Nous comprenons déjà assez clairement comment les affirmations représentent leurs conditions de vérité, comment les promesses représentent leurs conditions de réalisation, comment les ordres représentent leurs conditions d'exécution et comment, dans l'énonciation d'une expression référentielle, le locuteur réfère à un objet ».430(*) Pour Daniel Vanderveken, la logique illocutoire présente une nouveauté dans l'histoire de la logique philosophique.

Pour analyser la structure logique des forces, Searle et Vanderveken ont décomposé en logique illocutoire chaque force en cinq espèces de composantes à savoir : un but illocutoire, un mode d'atteinte de ce but, des conditions sur le contenu propositionnel, des conditions préparatoires de sincérité, et un degré de puissance.431(*) Déjà ici nous pouvons voir en filigrane la réplique à une théorie de l'action de Talcott Parsons.

C'est ici que Searle culmine avec sa philosophie analytique des sciences sociales à partir du théorème fondamental de Talcott Parsons : « l'environnement symbolique et culturel qui propose des buts, à atteindre et des moyens appropriés, établit des limites à l'action permise, des propriétés et suggère des choix ».432(*) La fonction du symbolisme (a priori) dans l'action sociale est justement de médiatiser les règles de conduite, les normes, les valeurs culturelles qui servent à guider l'action dans l'organisation de son action.  La poursuite des buts constitue la dimension de tout système d'action. Parsons classe dans cette catégorie toutes les actions qui servent à définir les buts du système, a mobiliser et gérer les ressources et les énergies en vue de l'obtention de ces buts et à obtenir finalement la gratification recherchée. C'est précisément la capacité de se fixer des buts et de les poursuivre méthodiquement qui distingue le système d'action des systèmes de non-action, c'est-à-dire des systèmes physique ou biologique.

Comment la forme conceptuelle s'ajuste-t-elle à la structure empirique ? John Searle tente d'y répondre à travers la théorie de l'ajustement.

Nous abordons directement cette question par la logique illocutoire de Searle. Pour rappel, la relation qui réunit le contenu propositionnel p avec la force illocutoire F (impératif, assertif, expressif, performatif, déclaratif, promissif) détermine la manière dont les mots sont censés s'ajuster au monde. Les assertifs, les affirmatifs, les explicatifs ou les descriptifs, s'ajustent selon une direction qui va des mots au monde. Les expressifs (excuses, remerciement, félicitations) se caractérisent par l'absence totale de direction d'ajustement. Les conditions de satisfactions spécifient les exigences d'adéquation auxquelles chaque acte de langage est supposé répondre.

Pour Searle en effet, « la notion clef de la structure du comportement est l'intentionnalité ».433(*) Un état intentionnel - croyance, désir, intention au sens commun- est caractérisé par deux composantes. Tout d'abord ,ce que l'on peut appeler son « contenu »,qui fait qu'il porte sur quelque chose ,puis son « type »,ou son « mode psychologique ». « Le contenu et le type de l'état vont servir à lier l'état mental au monde. Chaque état, en lui-même, détermine les conditions dans lesquelles il est vrai (dans le cas de croyance), dans lesquelles il est exaucé (dans le cas de désir) ou les conditions dans lesquelles il est concrétisé (dans le cas d'une intention) ».434(*)

Ces états ont une caractéristique qui leur permet d'engendrer des événements. Par exemple, si je veux aller au cinéma, et si j'y vais, normalement mon désir va représenter l'événement même qu'il représente : le fait que je vais aller au cinéma. Dans ces situations, il existe une liaison interne entre la cause et l'effet, car la cause est une représentation de l'état même qu'elle provoque. La cause représente et en même temps provoque l'effet ».435(*)

Searle donne à ce genre de causalité le nom de « causalité intentionnelle » et souligne son importance dans l'explication de la structure de l'action humaine. Il revient justement sur la forme de causalité bien différente de la forme traditionnelle de causalité. Il ne s'agit ni de régularités, ni de lois globales, ni de conjonctions constantes. « La causalité intentionnelle est caractérisée par le fait qu'il s'agit d'un état mental qui cause la survenue d'autre chose ».436(*)

La force illocutoire, entendez cet acte de la parole (voeux, souhait, contrat, etc) devient les normes collectives régulatrices. Autrement dit, cette construction est justement pragmatique en ce qu'elle est un acte de la parole ou un acte interprétatif.

John Searle exploite manifestement les limites de la philosophie du langage, notamment l'existence des « actes Intentionnels » (voir Brentano).

Ainsi, pour lui, la double structure du langage (contenu propositionnel et force illocutoire) devait s'appliquer aussi aux attitudes propositionnelles pour rendre les états mentaux tout aussi publics. L'entreprise n'est pas complète ; Searle tente d'exposer les liens entre les actes de langage, les états mentaux et les événements mentaux. En somme, l'appareillage théorique complet qu'il utilise appelle les notions suivantes : le contenu propositionnel, la force illocutoire, la direction d'ajustements des actes de langage et des états mentaux, le Réseau des états intentionnels et l'Arrière-plan.

3.1.3. L'application du cadre théorique à la création de la réalité sociale

John Searle définit la réalité sociale de plusieurs manières ; nous nous proposons de partir de la première définition qu'il nous donne dans son livre intitulé La construction de la réalité sociale. La réalité sociale est faite, « des portions du monde réel, des faits objectifs dans le monde, qui ne sont des faits que par l'accord des hommes. En ce sens, il y a des choses qui n'existent que parce que nous y croyons. Je pense, dit-il, à des choses comme l'argent, les propriétés foncières, les gouvernements, et les mariages. J'ai donné, ajoute-t-il, à certains des faits qui dépendent de l'accord des hommes le nom de « faits institutionnels », par contraste avec les faits non institutionnels ou « bruts » ».437(*) Le fait institutionnel est un terme qui est déjà utilisé plus de trois décennies avant par lui-même dans son livre Les actes de langage.

Commençons par la question principale  de la théorie sociale de Searle, celle qui consiste à savoir comment nous créons la réalité sociale à partir des actes de langage en tant qu'ils forment les structures élémentaires de la réalité. Ici,nous effleurons déjà son structuralisme. Il s'agit justement des réalités sociales telles que l'argent, le mariage, la propriété, l'activité de recrutement, de renvoi, la guerre, les révolutions, les soirées mondaines, les gouvernements, les réunions, les syndicats, les parlements, les corporations, les lois, les restaurants, les congés, le fait qu'il y a des avocats, des professeurs, des médecins, des chevaliers médiévaux et des impôts, etc.438(*)

La réponse c'est que, selon John Searle, nous imposons des fonctions -statuts à des actes de langage. Qu'est-ce qu'imposer une fonction -statut à un acte de langage? En ce qui concerne le mariage par exemple, schématiquement « le fait d'effectuer tel ou tel acte de langage (le terme X) devant une autorité officielle qui préside la cérémonie (le terme C) est compté à présent comme le fait d'être marié (le terme Y). Enoncer les mêmes mots exactement dans un contexte différent (...) ne constituera pas le fait d'être marié. Le terme Y assigne à présent un nouveau statut à ces actes de langage. Les promesses faites durant la cérémonie nuptiale créent un nouveau fait institutionnel, un mariage, parce que, dans ce contexte, faire ces promesses est compté comme être marié ».439(*)

A. La capacité sociale émergente

La construction de ces faits sociaux est comprise comme issue de la capacité émergente, « qu'ont les agents conscients de créer des faits sociaux par l'assignation de fonctions à des objets et à d'autres phénomènes ».440(*) La symbolisation qui est centrale dans la création des faits sociaux est également une capacité sociale émergente de la forme : X compte pour Y dans un contexte C. Ce papier compte pour de l'argent dans les transactions en République Démocratique du Congo,etc.

La création du mariage se fait au point de départ à partir des phénomènes biologiques primitifs, la tendance des hommes et des femmes à s'unir. C'est une imposition des fonctions- statuts à des entités ontologiques, en l'occurrence à des personnes. Cette continuité peut cependant se faire aussi sur des entités auxquelles on a déjà imposé une fonction -statut.

John Searle considère le mariage comme un cas paradigmatique de structure institutionnelle qui appelle une concaténation de création successive des faits institutionnels. Ainsi, pour détailler l'exemple du mariage : émettre certains sons est compté comme prononcer une phrase en français, prononcer une certaine phrase en français est compté dans certaines circonstances comme faire une promesse, ce qui, à son tour, est compté comme souscrire un contrat, souscrire certains contrats étant à son tour compté comme se marier. La cérémonie de mariage crée un nouveau fait institutionnel, le mariage, en imposant une fonction spécifique à un ensemble d'actes de langage. »441(*) Il existe donc une structure hiérarchique dans la création d'un grand nombre de faits institutionnels.

Tentons de comprendre le fait institutionnel d'argent. « S'agissant de l'argent, les statuts ont été imposés à des morceaux de métal et de papier, et leur fonction consiste à servir de moyen d'échange, de réceptacle de valeur, etc. ».442(*) Ici on impose des statuts -fonctions à des entités brutes mais qui impliquent toujours les actes de langage dans la mesure où on y écrit 10 francs congolais ou 500 francs congolais.

Plus explicitement aussi, les « droits de propriété sont habituellement créés par des actes de langage. (...) Supposons que je donne ma montre à mon fils. Je peux le faire en disant « Elle est à toi », « Tu peux en disposer », ou plus pompeusement avec le performatif « Je te donne, par la présente déclaration, ma montre ». J'ai désormais imposé une nouvelle fonction -statut à ces actes de langage, celle de transférer la possession ».443(*)  Ainsi, la propriété «commence par une simple possession physique, (puis) vient se superposer à la possession physique brute d'objets, (...) une structure que nous construisons d'achats et de vente, de legs, de transfert partiel, d'hypothèque, etc. de propriété. Les dispositifs caractéristiques employés sont des actes de langage- titres, actes de vente, certificats d'enregistrement, testaments, etc. ».444(*)

L'assignation de fonction s'opère selon la structure formelle de substituabilité : «  X compte comme Y dans C ». Par exemple, les billets délivrés par l'Hôtel de monnaie congolaise (X) sont couplés comme de l'argent (Y) en RD Congo (C). Il est écrit sur le billet de cinq francs congolais, « cinq francs congolais » parce que c'est l'acte de langage qui confère la fonction -statut. Dans le cas de l'assignation d'une fonction -statut à une réalité ontologique : « La neige est blanche »(S), appelle sa formulation par la phrase elle-même « p ».

B. Les grandes catégories et le contenu de fonction - statut

De ce qui précède, John Searle représente les fonctions -statuts à travers une taxinomie des faits institutionnels en quatre grandes catégories en tant que l'assignation des statuts -fonctions dans un rapport de pouvoir : « la plupart des créations des faits institutionnels (sinon tous) confèrent précisément des pouvoirs ».445(*) Il y a justement attribution de pouvoir dans les phrases suivantes : Ceci c'est de l'argent, celui-ci est sujet de droit.

En effet, Searle spécifie la nature de ces pouvoirs, « la structure des faits institutionnels est une structure de relations de pouvoirs, y compris de pouvoirs négatifs et positifs, conditionnels et catégoriques, collectifs et individuels »446(*) :

Premièrement, il s'agit des pouvoirs symboliques des signes articulés à l'intérieur des phrases dans la création des significations.

Deuxièmement, il s'agit de l'assignation des fonctions en tant qu'elle est une question de droit, de devoir et de responsabilité, etc. En effet, en imposant la fonction -statut « nous imposons des droits, des responsabilités, des obligations, des devoirs, des privilèges, des habilitations, des sanctions, des autorisations, des permissions ».447(*) Ces pouvoirs dits déontiques positifs et négatifs peuvent être identifiés quand nous analysons les phrases suivantes :

1) Jean a cent mille francs à la banque

Paul est un citoyen français

Clinton est président

Josiane est avocate

Léon possède un restaurant

2) Anne a perdu tout son argent

La fortune d'Ivan en roubles ne vaut plus rien avec l'inflation

Juppé a démissionné, etc.

Enfin pour terminer, nous dirons que les deux derniers types catégoriels des fonctions- statuts sont de modalité du pouvoir lui-même, c'est -à- dire, en premier, celui du statut pour lui-même : l'honneur. Par exemple : Marc a gagné le championnat de France de ski ou McCarthy a été censuré par le sénat américain. En deuxième lieu, des étapes procédurales sur le chemin du pouvoir et de l'honneur. Par exemple : Bill a voté pour Obama ou Barack a reçu l'investiture du parti démocrate pour les présidentielles.

C. Le contenu de la fonction -statut

Après cette analyse de la forme de fonctions -statuts, Searle passe à la question de leur contenu. En effet, il pose la question de savoir : quel est le contenu donné à cette imposition de fonction -statut ?

Le fait de posséder un morceau de papier quelconque n'en fait pas spontanément du papier -monnaie. Il faut qu'un consensus social détermine la nature de la fonction -statut à conférer à l'objet et alors, seulement, les propriétés intrinsèques de l'objet seront dépassées par un mécanisme de symbolisation. Il faut d'abord une interaction : « dans une majorité de cas, le contenu implique un certain mode de pouvoir conventionnel dans lequel le sujet est en relation avec un certain type d'action ou une certaine série d'actions ».448(*) Le contenu appelle une interaction.

Deuxièmement, un système de représentation doit préalablement exister afin de passer de X à Y.449(*) Le contenu est justement la reconnaissance, la croyance, etc. « Il faut de la part des membres de la communauté, un ensemble d'attitudes, de croyances, etc., ce qui nécessite, dit Searle, un système de représentations tel que le langage ».450(*)

En effet, l'assignation de fonction - statut aux choses appelle une reconnaissance collective au sein d'une communauté d'appartenance. Par exemple, les billets en euros (morceaux de papier) délivrés par la Banque centrale européenne (X) constituent la monnaie (Y) au sein des sociétés marchandes qui reconnaissent l'euro (C) ».451(*)

Ainsi schématiquement au niveau du contenu de fonction -statut : « le contenu propositionnel des fonctions -statuts de pouvoir est toujours en partie que452(*) :

(S fait A)

C'est un acte de langage. « Il faut aussi, puisque les caractéristiques physiques spécifiées par le terme X ne suffisant pas à garantir que la fonction assignée s'effectue bien, qu'il y ait une reconnaissance ou un accord collectif continu concernant la validité de la fonction assignée ; sans quoi la fonction ne peut pas bien s'accomplir ». 453(*) A la différence des faits bruts ou d'autres types de faits sociaux, l'existence et la pérennité des faits institutionnels restent tributaire d'une croyance unanimement partagée.

En effet, les fonctions - statut assignées étant détachées de leurs supports physiques, c'est la foi que les individus accordent à l'institution qui permet de l'auto -entretenir. Cela est particulièrement probant pour la monnaie se présentant sous la forme de morceaux de papier. Aussi faut-il entretenir cette acceptation par des indicateurs, un arsenal élaboré de prestige et d'honneur. « Les armées, les salles de tribunal et, dans une moindre mesure, les universités ont recours à des cérémonies, des insignes, des habits d'apparat, des honneurs, des grades, et même de la musique, pour encourager la continuelle acceptation de la structure ».454(*)

En imaginant qu'un individu né il y a trois mille ans remonte le temps jusqu'à notre époque, comment peut-il comprendre de lui-même qu'un morceau de papier sur lequel il est écrit lisiblement « 500 euros» a un pouvoir d'achat immédiat et sans contrepartie sur l'ensemble des biens et services vendus au sein d'une société ? C'est par la reconnaissance sociale qui s'exprime dans les phénomènes respectifs de croyance et de confiance (en tant qu'elle) est essentielle à l'existence et à la continuité des faits institutionnels.455(*) « Pour que le concept argent s'applique à cette chose qui se trouve dans ma poche, il faut que ce soit le genre de chose que les gens pensent être de l'argent. Si tout le monde cesse de croire que c'est de l'argent, il cesse de fonctionner comme de l'argent, et cesse finalement d'en être ».456(*)

John Searle tente maintenant une formulation carrément logique. Etant donné que l'intentionnalité collective est sous-jacente à l'assignation de fonction -statuts et que tout cela se fait par l'entremise de la relation du pouvoir (S fait A), la forme sous-jacente de l'intentionnalité collective serait en partie ceci :

Nous acceptons collectivement, sommes d'accord sur le fait, etc., que (S a le pouvoir (S fait A)).

La forme abrégée est comme suit :

Nous acceptons (S a le pouvoir (S fait A))

Dans la formulation négative par exemple :

Nous acceptons (Il est exigé de S, la personne à qui on délivre X (S paye une taxe pour une période bien spécifiée)457(*).

John Searle fait intervenir une autre notion, celle de la structure formelle de ce pouvoir conventionnel comme une application aux formes de pouvoir. Il prend le modèle sur ce qu'il dit tirer de certains systèmes de logique déontique pour en arriver à la logique « institutionnelle ».

O (p) ssi -P (-p)

(Il est obligatoire que p si et seulement s'il n'est pas permissible que non p.)

Structure parallèle en logique « institutionnelle » serait :

S est habilité à ( S fait A) ss - il est exigé de S (- S fait A) ?

(S est habilité à accomplir l'acte A si et seulement s'il n'est pas le cas qu'il est exigé de S de ne pas accomplir l'acte A.)

Il conclut finalement au fait qu'« il y a exactement une et une seule opération logique primitive présidant à la création et à l'institution de la réalité institutionnelle. Elle a la forme suivante »458(*) : Nous acceptons (S a le pouvoir (S fait A)). Il appelle ceci la « structure de base ». « L'extraordinaire complexité de la réalité institutionnelle dans son ensemble a une ossature simple ».459(*)

D. La théorie de pouvoir déontique négatif de Searle

Searle place aussi des choses sous le signe d'une construction négative illustrée par sa théorie de pouvoir déontique négatif. La construction de la réalité sociale peut à ce moment être tout simplement négative. « Par exemple, lorsqu'un employé est viré ou qu'une cour de justice prononce un divorce, dans chacun de ces cas un pouvoir conventionnel préalablement existant est détruit par retrait de son acceptation. Ainsi, « vous êtes viré » est équivalent au retrait du pouvoir conventionnel :

Nous retirons les pouvoirs (vous êtes employé)

Ce qui est équivalent à :

Nous n'acceptons plus (S a les droits et obligations (S agit comme employé)). »460(*)

3.2. L'Arrière- plan chez John Searle et le connexionnisme

Venons- en maintenant à la notion d'Arrière-plan qui s'assimile au connexionnisme chez John Searle. Il approche sa notion de l'Arrière-plan au paradigme connexionniste : « tout le discours sur l'Arrière-plan, dit-il, est ...en accord avec le modèle connexionniste de la cognition ».461(*)

Le connexionnisme s'oppose au dualisme et au séparatisme entre la corporéité et le cognitivisme, c'est un continuisme. Nous voulons expliquer la notion de l'Arrière-plan par rapport à la conception du constructivisme radical de Francisco Varela. Ce dernier en donne une explication similaire mais relativement plus détaillée. Varela affirme que « lorsqu'on réexamine la connaissance et la cognition, le meilleur qualificatif est, me semble-t-il, dit-il, abstraite : rien ne caractérise mieux les unités de connaissance jugées les plus « naturelles ». (...) Les disciplines qu'on regroupe sous le nom de sciences de la cognition acceptent peu à peu l'idée que les choses ne se présentent pas du tout de cette façon, et, d'autre part, qu'un changement paradigmatique ou épistémologique radical se développe rapidement. On trouve au coeur même de cette opinion naissante la conviction que les connaissances sont essentiellement concrètes, incarnées, vécues ».462(*) C'est l'idée même de l'Arrière-plan.

Il y a continuité des processus dans le mécanisme de la vision ou une scène de vision prise comme système «  une mosaïque de modalités visuelles, parmi lesquelles on comptera au moins la forme (contour, dimensions, rigidité), les propriétés superficielles (couleur, texture, réflexion spéculaire, transparence), les relations spatiales tridimensionnelles (position relative, orientation tridimensionnelle dans l'espace, distance) et le mouvement tridimensionnel (trajectoire, rotation) ».463(*)

« Les leçons importantes ... (ce sont qu'il y a) connexions entre les comportements, (...) l'intelligence doit être cherchée dans les schémas de comportement plutôt que dans la connaissance individuelle. »464(*) Par exemple «lorsque nous allons pour la première fois dans un pays étranger, il y a une absence très nette de disposition à agir et de micromondes récurrents. Beaucoup d'activités simples comme converser ou manger, doivent être apprises. En d'autres termes, les micromondes / micro-identités sont historiquement constitués ».465(*)

Finalement « la cognition dépend des expériences qu'implique le fait d'avoir un corps doté de différentes capacités sensori -motrices ; ces capacités s'inscrivent dans un contexte biologique et culturel plus large.»466(*) L'Arrière-plan est profond et local. L'Arrière-plan inclut les registres suivants : l'Arrière-plan profond qui comprend « toutes les capacités qui sont communes à tous les êtres humains normaux sur la base de leur équipement biologique : les capacités de marcher, manger, tenir un objet, percevoir, reconnaître, la position préintentionnelle rendant compte de la solidité des choses, l'existence indépendante des objets et d'autrui. Puis ce qu'on pourrait appeler l'Arrière-plan local » ou les « pratiques culturelles locales », qui comprendraient des choses comme ouvrir les portes, se verser à boire, ou la position préintentionnelle que nous prenons face à des choses comme les voitures, les réfrigérateurs, l'argent ou les dîners en ville ».467(*)

Dans le même ordre d'idée « dans la cognition vécue, les processus sensoriels et moteurs, la perception et l'action, sont fondamentalement inséparables (c'est le connexionnisme) et qu'ils ne sont pas simplement liés de manière contingente comme des couples entrée-sortie ».468(*) En fait « le point de départ n'est plus un monde préexistant, indépendant du sujet percevant, mais la structure sensori-motrice de l'agent cognitif, la manière dont le système nerveux relie les aires sensorielles et motrices. C'est cette structure -la manière dont le sujet percevant s'incarne- et non un monde préexistant qui dicte comment le sujet percevant peut agir et être influencé par l'environnement »469(*). Le connexionnisme s'explique en deux temps : l'espace de codage et l'apprentissage neuronal. Les notions les plus importantes au niveau de l'espace de codage sont métaphoriquement les suivantes : les positions, les dimensions et les valeurs. Les positions représentent, par exemple, les quatre récepteurs sensoriels du goût qui se trouvent sur la langue ou dans l'exemple d'une scène visuelle, les « récepteurs » capables de coder la forme des visages, et qui développent des dimensions de l'objet codé respectivement et diversement pour arriver à une configuration holistique globale. C'est donc une architecture distribuée. Il y a traitement de l'information non centralisée, mais parallèle et distribuée.

Pour parler comme Francisco Varela, mise à part le jugement rationnel, l'action cognitive de l'homme est fragmentaire et truffée des ruptures et des micro -mondes. « Lorsque nous nous asseyons à table avec un parent ou un ami, nous disposons immédiatement de tout un savoir-faire complexe- manipulation des couverts, position du corps, pauses dans la conversation- sans avoir à réfléchir ».470(*) Ces explications de Varela suggèrent bien sûr la notion searlienne de l'Arrière-plan des capacités et de dispositions.

Pour Francisco Varela, « nous sommes habitués au mode causal traditionnel du type entrée -traitement -sortie. Rien ne suggère que le fonctionnement du cerveau soit analogue au traitement séquentiel de l'information ; ce type de description informatisante commune ne correspond pas du tout à la nature réelle du cerveau ».471(*)Il s'agit d' « une entrée douée de sens et une sortie qui l'est aussi ,mais où, entre les deux ,il y a aucune étape de traitement symbolique ;il y a plutôt une série tout simplement de noeuds avec différentes forces de connexions entre eux, et des signaux qui passent d'un noeud à l'autre ,et finalement des changements dans les forces de connexion qui donnent la bonne mesure entre les entrées et le sorties ,sans qu'intervienne, dans l'intervalle, le moindre ensemble de règles ou des principes logiques ».472(*) Nous avons expliqué cette notion parce qu'il est crucial dans le dispositif explicatif de Searle.

Cette analyse de l'Arrière-plan est reconstruction, chez Searle ,du point de vue du langage. Reprenons les exemples de la compréhension du sens littéral pour l'expliquer :

Le Président a ouvert la séance

L'artillerie a ouvert le feu

Pierre a ouvert un restaurant

« Supposons qu'à l'ordre « Ouvrez la porte » je me mette à faire des incisions dans la porte avec un bistouri, ai-je ouvert a porte ? Autrement dit, ai-je obéi littéralement à l'ordre littéral « Ouvrez la porte » ? Je pense que non. L'énonciation littérale de la phrase « Ouvrez la porte » exige, pour être comprise, quelque chose de plus que le contenu sémantique des expressions qui la composent et les règles de leur combinaison en phrase. (...) Ainsi, affirme Searle, ce que j'ai tenté de faire jusqu'ici, c'est de montrer que comprendre c'est autre chose que saisir un sens, car, sommairement, ce que l'on comprend va au-delà du sens. »473(*) Ici « chaque phrase de la (...) liste est comprise avec un réseau d'états intentionnels (i.e. croyances et actions ) et sur fond d'un Arrière-plan des capacités et des pratiques sociales »474(*). Ansi « l'Arrière-plan est une precondition de la représentation. »475(*) Aussi, « si la représentation requiert un Arrière-plan, il n'est as possible que l'Arrière-plan consiste lui-même en représentations sans engendrer une régression à l'infini ».476(*)

Ce qui est intéressant est le fait que « la thèse de l'Arrière-plan de Searle peut être entendue des contenus sémantiques aux contenus intentionnels en général. (Ainsi) tout état intentionnel ne fonctionne , c'est-à-dire ne détermine des conditions de satisfaction que sur fond d'un ensemble d'aptitudes, de dispositions et de capacités d'Arrière-plan qui ne font pas partie du contenu intentionnel et ne sauraient être incluses comme une partie du contenu ».477(*)

L'analyse sémantique des énoncés ne peut être séparée de celle des actes d'énonciation, car leur portée « agissante » est une propriété structurelle du langage. La sémantique porte sur le rapport conventionnel qui relie ce que dit la proposition, son sens, et ce sur quoi elle porte, sa référence, alors que la pragmatique renvoie aux pratiques et aptitudes collectives ainsi qu'aux contraintes contextuelles qui régissent la production des énoncés. Ainsi, la logique dite « illocutoire », tout en s'occupant des états mentaux aussi bien que des états langagiers, est transcendantale au sens d'Emmanuel Kant : elle détermine les conditions possibles de succès des énonciations ou les conditions de vérité.

3.3. Du Projet théorique de John Searle

Le projet de Searle que nous examinons est celui de la totalisation interdisciplinaire des sciences sociales comme le fait Jürgen Habermas. Un tel projet est selon Habermas la tâche majeure qu'il assigne explicitement à la philosophie aujourd'hui.478(*) Il s'agit d'apporter au cadre théorique existant- principalement d'une philosophie de la conscience ou de l'être - des éléments de précision en ayant recours à des approches complémentaires empruntées aux « approches concurrentes » des sciences sociales complémentaires.479(*) Nous pouvons dire, à l'instar de Habermas ,que Searle fait appel à sa manière aux approches structuralistes, socio-évolutionniste, fonctionnaliste et systémique, pour compléter l'approche analytique avant de les dépasser à leur tour en s'appuyant sur le cognitivisme pour définir enfin sa propre perspective.

L'optique analytique de John Searle se comprend à travers une double conception, c'est une fois de plus sa stratégie argumentative, à la suite de deux tendances de la philosophie du langage - que l'on comprend par rapport aux deux types de travaux de Ludwig Wittgenstein -480(*). Il réfléchit de ce point de vue à cheval entre la philosophie du langage formalisé et la philosophie du langage ordinaire. Dans l'optique de la philosophie du langage ordinaire, nous avons vu que sa théorie va de la sémantique à la pragmatique en passant par l'intentionnalité, pour les phénomènes sociaux. Searle tente de fonder justement la révolution pragmatico -linguistique par la philosophie intentionnelle des états mentaux.

Le programme théorique intégratif de Searle est fort large, il atteint le paradigme constructiviste radical issu de la biologie de connaissance de Francisco Varela et d'Umberto Maturana. C'est en fait un ensemble des programmes « non anthropocentriques », c'est-à-dire qui ne partent pas spécialement de l'homme, mais des règnes biologiques en général. A ce titre ils dépassent et englobent les deux paradigmes philosophiques : le double paradigme anthropocentrique de la philosophie du sujet et celui du langage. C'est en cela qu'il est intéressant. A propos, formulés de cette manière leurs points de vue supposent l'idée actuelle selon laquelle la nature de l'homme est avant toutes choses biologique au lieu d'être culturelles. Cette position appelle pour John Searle au dépassement d'une philosophie du langage vers le constructivisme biologique. Mais est-ce que ce modèle est auto-transcendant ? C'est sera notre critique.

Le nouveau programme de recherche de Searle amorcé dans la décennie quatre vingt est intentionnaliste, pragmatique, non anthropocentrique et biologique. Au point de vue de ce genre de recherche qui s'ambitionne d'être globale, Searle affirme à juste titre ce qui suit : « la théorie de l'esprit que j'ai essayé de développer constitue pour une bonne part une tentative de réponse à cette autre question : comment une réalité mentale, un monde de conscience, d'intentionnnalité, et d'autres phénomènes mentaux, s'ajustent -ils à un monde entièrement constitué de particules physiques dans un champ de force ? ».481(*) Le programme de « naturalisation » qui englobe les phénomènes physique, chimique et biologique.

D'où pour Searle l'émergence des questions qui guident son programme de recherche en sciences humaines : « les caractéristiques les plus fondamentales de ce monde sont celles que décrivent la physique, la chimie et les autres sciences de la nature. Mais l'existence de phénomènes qui ne sont pas de manière évidente physique ou chimiques est source de perplexité : comment, par exemple, des états de conscience ou des actes de langage doués de signification peuvent -ils bien faire partie du monde physique ? ».482(*)

Consécutivement à la théorie de l'esprit Searle développe la question sociale qui fait suite au même projet constructiviste dans son « livre intitulé : La construction de la réalité sociale- qui étend la recherche à la question de savoir  : comment peut-il y avoir un monde objectif d'argent ,de propriétés foncières, de mariages, de gouvernement, d'élections, de matches de foot ball , de soirées mondaines, et de cours de justice, dans le monde entièrement constitué de particules physiques dans des champs de force, et dans lequel certaines de ces particules s'organisent en des systèmes qui sont des animaux biologiques, conscients, tels que nous ? »483(*) Le constructivisme searlien saisit du point de vue de l'observateur la réalité sociale comme des faits émergents du langage, et en tant que telle cette réalité ressort d'une subjectivité ontologique et d'une objectivité épistémologique. L'objectivité de la réalité sociale étant tout simplement épistémique.

John Searle est l'un des philosophes analytiques qui présentent aujourd'hui une vision des faits institutionnels et de la réalité sociale comme des faits émergeant du langage ; il tente de montrer aussi comment la « conscience » est un fait émergeant de la biologie. Ainsi, de proche en proche le biologique fonde les faits mentaux, les faits mentaux fondent le langage, le langage fonde la réalité sociale.

John Searle considère qu'il doit y avoir une continuité entre le biologique (les actes mentaux : désir, croyance, intention, action) et le culturel (le langage). Il postule donc une construction biologique de la réalité sociale. Il restaure donc trois paliers : le biologique physico-chimique, les actes mentaux et la réalité sociale (langage et culture). Il essaie de refonder les acquis de la philosophie du langage à partir de ce que nous appelions la philosophie de l'esprit en cherchant les conditions de possibilité de nos pratiques linguistiques.

Justement, John Searle tente de reconstruire et de refonder la philosophie du langage (spécialement, son livre Les actes de langage) à partir d'un arrière-plan biologique ou de ce qu'il convient d'appeler la philosophie de l'esprit ou tout simplement de la biologie de la connaissance. Nous verrons qu'après les actes de langage en 1972(1969), Searle écrit successivement Du cerveau au savoir, Hermann, 1985(ce livre contient le point de vue constructiviste détaillé de Searle) ; L'Intentionalité : essai de philosophie des états mentaux, 1985 ; La redécouverte de l'esprit, Gallimard, 1992 ; Déconstruction ou Le langage dans tous ses états, 1992 ; Mind, language and society: philosophy in the real world, 1998; La construction de la réalité sociale, 1998. Pour Searle, c'est une étude programmatique qui doit s'achever en une présentation des fondements des Actes du langage.

Pour John Searle, « il faut abandonner une fois pour toutes les idées que les sciences sociales sont dans le même état que la physique avant Newton, et qu'il nous faut un ensemble de lois comparables à celles de Newton et applicables à l'esprit et à la société ».484(*) En effet, continue -t-il, «  dans cette discussion sur cette discontinuité radicale qui existe entre les sciences sociales et les sciences naturelles, l'étape la plus importante repose sur le caractère mental des phénomènes sociaux ».485(*)

John Searle, comme la philosophie américaine dans son ensemble, qualifie lui-même sa thèse de « naturalisme biologique », en ce qu'elle postule un certain nombre des caractéristiques biologiques. Le naturaliste ne postule pas la conscience comme un phénomène purement mental au sens du dualisme de René Descartes. « Dans le cas du problème du rapport esprit / corps, nous étions gêné, affirme Searle, par une fausse présupposition qui se manifeste au niveau de la terminologie dans laquelle nous posons le problème. La terminologie du mental et du physique, du matérialisme et du dualisme, de l'esprit et de la chair, contient une présupposition fausse faisant de ces notions des catégories de la réalité réciproquement exclusives l'une et l'autre -dans une telle perspective, nos états conscients en tant que subjectifs, privés, qualitatifs, etc. ne peuvent être des propriétés physiques, biologiques, ordinaires de notre cerveau. (...) Tous nos états mentaux sont causés par des processus neurobiologiques se réalisant à un niveau supérieur ou systématique ».486(*) Tout s'explique par la Nature, d'un point de vue onto-théologique sous -jacent à notre hypothèse une telle position est gravement réductrice.

Les états mentaux supérieurs (la conscience, l'esprit (the mind)) sont des phénomènes émergents. Searle va aussi montrer dans cette optique comment la réalité sociale forme un ensemble des faits émergents.

Lorsque Searle parle « des systèmes qui sont des animaux biologiques, conscients »487(*), il utilise un concept commun entre autre avec des auteurs aussi divers que le constructivisme radical de Houmberto Maturana et de Franscisco Varela, et spécifie justement quelques caractéristiques, notamment : « les limites des systèmes (...) fixés par des relations causales »488(*) et le caractère internaliste du système.  En ce sens « les phénomènes mentaux sont causés par des processus neurophysiologiques cérébraux et sont eux-mêmes des caractéristiques du cerveau ».489(*) A propos de la conscience, Marc Measschalck voit bien quand il affirme à ce sujet le fait que le « savoir n'est donc pas dépendant d'un « hors de soi »».490(*)

Nous dirons en plus que l'extension des capacités biologiques plus fondamentales des systèmes vivants doués de conscience ne sont rien d'autre que l'Intentionnalité ou cette capacité de renvoyer à quelques choses dans le monde.

Cette capacité renvoie par delà le biologique au culturel et donc à une approche pragmatique : « la capacité qu'ont les actes de langage de représenter les objets et les états de choses du monde est une extension des capacités biologiquement plus fondamentales qu'a l'esprit (ou le cerveau) de mettre l'organisme en rapport avec le monde au moyen d'états mentaux tels que la croyance ou le désir, et en particulier au travers de l'action et de la perception ».491(*)

Consécutivement à cela, ajoutons que le concept de mise en rapport ou de l'ajustement (ou d'adaptation) des systèmes est, du point de vue constructiviste, un concept central ; il est au centre de la logique illocutoire de Searle que nous avons développée.

3.4. Le concept de construction de droit chez John Searle

A propos du Droit, Searle adopte la conception juspositiviste. Les règles de droit civil par exemple sont conçues comme des règles constitutives ou le cas d'imposition des fonctions -statuts, c'est-à-dire construisant ce que c'est qu'être un citoyen, ou un propriétaire, ou un marié. La construction de la parenté par le droit ouvre des possibilités qui ne se justifieraient pas sans lui, par exemple le fait que des personnes qui ne peuvent pas concevoir d'enfant puissent cependant être pleinement parents.

Qu'en est-il de l'exemple de l'imposition de fonction -statut appliqué aux droits de l'homme ? « Les droits de l'homme comme ceux de l'animal sont des cas d'impositions de fonctions -statut par le biais d'une intentionnalité collective ».492(*) Le maintien collectif de fonctions -statut joue également ici un rôle prépondérant.  « Avant la période des Lumières en Europe, affirme Searle, le concept de droits ne s'appliquait que dans le cadre d'une structure institutionnelle -droits de propriété, droits maritaux, droit du seigneur, etc. Mais pour telle ou telle raison, on en vint à accepter collectivement l'idée qu'il ne pourrait y avoir de fonction -statut qu'en vertu du fait d'être un être humain, que le terme X était « humain » et le terme Y « détenteur de droits inaliénables ». Ce n'est pas un hasard si l'acceptation collective de ce mouvement a trouvé l'appui de l'idée d'autorité divine : « Ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, parmi lesquels la Vie, la Liberté, et la poursuite du Bonheur. L'idée de droits de l'homme a survécu au déclin de la croyance religieuse, et s'est internationalisée. La déclaration d'Helsinki sur les Droits de l'homme est quelque chose à quoi on fait souvent appel, à des degrés d'efficacité divers, contre les régimes dictatoriaux ».493(*)

De même, « le pouvoir est issu d'organisation, c'est-à-dire d'arrangements systématiques de fonctions -statuts. (...) Et dans une telle organisation... le réel pouvoir se trouve entre les mains de celui qui est assis à un bureau et fait de bruits avec sa bouche et des marques sur le papier ».494(*) Les armes exigent « l'intentionnalité collective et des faits institutionnels ».495(*)

En ce qui concerne les gouvernements, ils «  ont leur origine dans une série de phénomènes biologiques primitifs, tels que la tendance qu'ont la plupart des groupes sociaux de primates à former des hiérarchies -statuts, la tendance qu'ont les animaux à accepter d'être sous la coupe d'autres animaux, et dans certains cas à accepter la pure et simple force physique que certains animaux peuvent exercer sur d'autres ».496(*) Nous voyons ici exprimée sa position réaliste. De l'origine biologique,il s'en suit l'évolution sous forme de structures institutionnelles par l'intermédiaire de l'imposition de fonctions -statuts se superposant : «  des structures de citoyenneté, de droits et de responsabilité, de pouvoirs et de charges, d'élections et de mise en accusation, et d'autres méthodes de sélection et de renvoi des gouvernants ».497(*)

Bien entendu, cette structure itérative qui part des faits biologiques est  essentielle « pour comprendre la philosophie politique que le sont de nombreux autres traits dont on discute traditionnellement, comme le contrat social »498(*). L'application de la règle « X compte comme Y  dans un contexte C » comme assignation d'un nouveau statut nous fait comprendre par ailleurs en quoi, selon Rousseau, le citoyen ayant une existence politique et collective remplace l'individu biologique qui n'a qu'une existence individuelle et biologique.499(*)

En somme, « le statut Y peut être imposé (ou retiré) à plusieurs catégories ontologiques différentes de phénomènes : des gens (par exemple des présidents, des épouses, des prêtres, des professeurs) ; des objets (par exemple des phrases, des billets de cinq dollars, des certificats de naissance, de permis de conduire) ; et des événements (des élections, des noces, des soirées mondaines, des guerres) ».500(*)

3.5. L'esquisse d'une ontologie des faits sociaux juridiques

L'ontologie juridique vise justement une prise directe du droit sur la réalité sociale actuelle en « intégrant à la norme juridique d'autres normes, (on enrichit) le droit d'une prise directe sur les réalités vivantes du milieu professionnel ou social. La norme juridique ainsi enrichie prend pied dans la réalité sociale évitant (...) la clôture des systèmes juridiques sur eux-mêmes ».501(*)

Quelle est la nature des faits sociaux juridiques ? Nous allons emprunter la réponse Samuel Jerry : « En tant que faits sociaux, les règles juridiques n'ont pas l'existence propre indépendamment de la signification que les individus leur octroient ».502(*) Ici, les faits sociaux juridiques dépendent d'un a priori qui est humain. Cette assertion peut être explicitée comme suite : les règles de droit « sont avant tout des règles mentaux, de contenus de pensées, d'intentionnalité et des croyances individuelles ».503(*)

Cette entrée théorique qui s'opère par la question de signification à octroyer aux faits sociaux juridiques rétablit les liens, non continuels avec Durkheim, entre la société et l'individu.  Les « caractères subjectifs des faits sociaux sont, pour reprendre l'expression de Robert Nadeau, constitués causalement par les croyances et les opinions des gens. Dans les sciences sociales les choses sont ce que les individus pensent qu'elles sont. La monnaie est la monnaie, un mot est un mot. (...) Si et parce que les individus le croient ».504(*)

A propos, allons plus en détails pour signaler que « Hayek opère une distinction entre deux sortes d'idées ou d'opinions : les idées constitutives (ou opinions constituantes) et les idées explicatives (ou vues spéculatives) : celles qui `font partie de leur objet' et celles qui sont ` idées sur cet objet' ».505(*) Il y a « là des idées qui sont réellement constitutives des faits sociaux des autres idées théoriques ».506(*) Cette distinction sera reprise par John Searle.

L'effort qui est poursuivi est l'analyse précisément des faits sociaux en tant qu'ils se distinguent des faits tout simplement physiques. « La plupart des objets de l'action humaine ou sociale sont distincts des « faits objectifs » au sens précis et étroit où ce terme est utilisé par les sciences(...) et ne peuvent être définis en termes physiques. »507(*) Friedrich Hayek insiste donc sur la distinction à établir « entre les sciences de la nature et l'étude (sociale) du langage ou du marché, du droit et de la plupart des autres institutions humaines. Ces faits sont une catégorie particulière des faits car ils sont subjectifs ».508(*)

La dimension significative est centrale dans la démarcation : «  les croyances partagées sont non seulement une condition du fait social mais sa cause. Renoncer à mettre au centre du social l'intentionnalité des agents et leurs croyances subjectives serait alors renoncer aux sciences sociales tout court. On ne verrait plus dans la monnaie par exemple que des « disques ronds de métal ».509(*) Ainsi, « depuis le tournant des années 1960 la théorie générale de droit a été marquée parce que l'on a appelé le tournant herméneutique ».510(*)

Cette idée qui se rapporte à la loi comme fait social est corroborée également par Jules Coleman : « la loi est (...) à comprendre comme un fait social (social fact thesis), écrit Marc Maesschalck, qui incorpore ou inclut une pratique collective de reconnaissance constitutive du système juridique lui-même et de notre compréhension de la règle de droit ».511(*) Ceci participe de la révolution pragmatiste en théorie du droit aujourd'hui et suppose le double dépassement des paradigmes juridique du positivisme juridique et de position herméneutique tel que nous l'explique Marc Maesschalck. En effet, dit-il, notre conception philosophique actuelle de la loi se situe sur l'horizon d'une coupure épistémologique fondamentale entre positivisme et herméneutique héritée du XX e siècle. (Parce que), alors que le positivisme juridique visait à construire une théorie du droit autonome, fondée sur un concept d'usage des règles à même de réduire l'incertitude des habitudes et prédictions, l'herméneutique tendait à montrer le rôle primordial pour tout jugement interne au droit d'une référence aux standards de moralité de la communauté d'appartenance, c'est-dire d'une référence à un état déterminé des idéaux de régulation sociale du groupe concerné ».512(*)

Les deux positions se cristallisent dans la position herméneutique de Donald Dworkin et dans la position positiviste de Hart : « chez Dworkin (position herméneutique), la moralité individuelle du juge devient la garantie d'un système dont le principe réside dans l'intégrité de la référence à une « morale substantielle supposée homogène au groupe social et à un juge idéalisé capable d'en assumer une réinterprétation constante »513(*), le juge Hercule. «  Chez Hart (position positiviste), l'existence d'un ordre juridique est garantie par la pratique convergente des officiels fondés sur le type de convention de coordination qu'ils adoptent entre eux pour maintenir la cohésion de leurs pratiques ».514(*) Ainsi, « là où Dworkin juge nécessaire l'exclusion d'une forme de coordination préalable des praticiens au profit d'un sens du devoir intériorisé par chaque patricien, Hart renvoie à une forme implicite de convention de coordination supposée garantir la convergence de l'action des praticiens ».515(*)

Finalement quel est l'enjeu du tournant pragmatiste que nous avons annoncé ? C'est, explique Marc Maesscchalck celui « de déterminer la structure normative du type de comportement auquel les différents acteurs concernés s'engagent dans la pratique d'un système juridique. Cette pratique collective, Jules Coleman propose d'en approcher l'unité référentielle à partir du modèle d'action coopérative partagée par Micheal Bratman. Rendre justice constitue une action fondée sur une règle de reconnaissance inhérente à la fonction d'officiel ».516(*) Ce qui fait que « la question de la normativité du droit se déplace alors de la cohérence formelle de son contenu sémantique vers son potentiel pragmatique de gouvernance comme institution sociale. Ce potentiel de gouvernance dépend d'un engagement collectif des acteurs concernés allant au-delà de l'adhésion à des objectifs conjoints : il s'agit de partager une responsabilité (mutuel responsiveness) à l'égard de la réalisation conjointe de ces objectifs, tant au niveau des moyens à mettre en oeuvre qu'au niveau du soutien éventuel à apporter au maintien des différents rôles à remplir (commitment to mutuel support) ».517(*) La loi acquiert une nouvelle mission, celle d'encadrement pédagogique où les vertus de négociation et de concertation doivent s'avérer nécessaires pour « rendre possible un processus d'apprentissage de nouveaux modes d'engagement des acteurs concernés à son égard. »518(*) D'où l'option de l'expérimentalisme démocratique où les compétences d'action collective de groupes eux-mêmes sont en jeu, soutient Marc Maesscchalck.519(*)

Marc Maescchack ,au demeurant, présente les limites d'un tel système : « il suppose de la part des acteurs concernés un accroissement de l'intelligence collective ».520(*) C'est ici que nous proposons le récalibrage de tout le système avec des nouvelles formes des ressources cognitives.

Du reste, il faut donner une vue d'ensemble en planchant sur les trois dimensions constitutives du droit, du point de vue de la philosophie du droit. Nous pouvons dire qu'un des enjeux de la philosophie du droit depuis cinq siècles reste l'avancement de la théorie du droit naturel depuis le XVII e siècle qui a été gravement arrêté par le positivisme et l'historicisme. Dans l'ordre des normes, le paradigme admet que le droit positif est nécessaire pour réaliser le droit naturel. Mais ce droit est composé des normes. D'où la nécessité de connaître la spécificité des normes en tentant de répondre à la question suivante : « Quelle est l'autorité qui gouverne les normes ? ». La contribution de la tradition analytique se fait spécialement par l'entremise de Hart. Pour lui la spécificité des normes se trouve dans la structure d'ensemble du système juridique.

Dans l'ordre de fait, la tradition analytique est exploitée sous forme de thématisation par John Searle avec l'hypothèse de « fait institutionnel », destiné à combler l'hiatus de la tradition humienne (entre le is et le ought) avec une ontologie. Le fait institutionnel est un fait dont l'existence présuppose les systèmes des règles constitutives qu'on nomme institutions. En effet, les normes juridiques créent la réalité avec l'idée des faits institutionnels.

Dans l'ordre des valeurs pour le jusnaturalisme, une grande question est au centre du problème : par où passe la réalisation de la justice et de l'ordre juste, étant donné que le droit naturel veut se confondre à la notion de justice ? Il y a certes une réponse avec des nuances multiples liées : aux rapports entre individus, entre individus et groupes, à l'organisation de groupe (Cité, Etat), au rapport entre la philosophie du droit elle-même et la philosophie politique.

Contre la nécessité de l'institutionnalisation de la Religion (catholicisme médiéval), la Reforme exige la re-individualisation du christianisme. Le jus naturalisme qui s'est développé dans les milieux protestants est une sorte de code supra-positif dont l'expression la plus visible est dans les Déclarations des droits de l'homme. Les droits de l'homme sont les droits du chrétien qui exige de l'Etat les différentes formes de liberté nécessaire pour assumer sans Etat la responsabilité de son destin. La vie meilleure provient de la Grâce, l'individu qui est orienté vers sa destinée surnaturelle transcende les compétences de l'Etat. Il n'attend de l'Etat que la liberté de diriger sa vie en fonction de ses fins suprêmes.

3.6. Utilité de l'Arrière - plan dans la théorie de connaissance ? Parer au relativisme

Nous passons maintenant à un autre registre de réflexion de la théorie de la société à la théorie de connaissance au moyen de son concept reconstruitif central de l'Arrière-plan. A l'absence de l'Arrière-plan « le thème de la `construction sociale` devient (...) une machine infernale (...) à tout déconstruire qui génère scepticisme, antiréalisme, relativisme et réductionnisme ».521(*)  

Ainsi « si tout est « construit », alors la démarche critique privilégiée va consister à « déconstruire ».522(*) John Searle récuse l'approche de la construction de la réalité sociale qui ne tient pas compte de la « réalité première » au moyen du concept de l'Arrière-plan en appui à son réalisme. C'est ainsi également que la déconstruction devient dans le cadre de la doxa postmoderniste une « méthode », pouvant s'appliquer à n'importe quel « texte », et comme tout y est ramené à un texte ou à un discours, son champ d'action est illimité ».523(*)

L'Arrière-plan est source de capacité comme le langage. Quelle est la capacité dont disposent les agents : « La première caractéristique qu'il nous faut noter dans notre discussion sur la capacité qu'ont les agents conscients de créer des faits sociaux est l'assignation de fonctions à des objets et à d'autres phénomènes ».524(*) En digne héritier de Austin, il met aussi en évidence l'effet « performatif » du langage et la (capacité d'agir » intrinsèque des énoncés qui doivent être considérés  non plus comme les représentants de « signifiés » objectifs, mais comme des moyens conventionnels d'obtenir dans le discours certains effets déterminés.

Les conséquences du constructivisme sans Arrière- plan sont effroyables pour Searle ; en ce moment «  la vérité est toujours en mutation, influencée par l'histoire, transformée au contact humain, soumise aux circonstances et au timing des événements. Les théories ne représentent plus des vérités immuables, mais bien des modèles dynamiques qui guident l'expérience et la compréhension des expériences. La relativité de la connaissance est mise en valeur par la notion de vérités multiples et changeantes ».525(*)

Ici le constructivisme rejoint l'opposition théorique de la vérité multiple contre la vérité unique. Ainsi « les constructivistes tolèrent les contradictions internes, et l'ambiguïté ne les gêne pas. Elles (les théories constructivistes) apprennent à côtoyer le conflit, car ceux-ci ne remettent plus en question leur intégrité personnelle. (...) Elles évitent de compartimenter, car elles veulent atténuer la coupure entre la raison et l'émotion, entre la maison et le travail, entre la moi et l'autre. (...) Pour les constructivistes, la création du savoir est un acte d'intensité et d'investissement de soi. Pour elles, toute connaissance est construite, et en tant que personne qui connaît, elles font partie intégrante de l'objet à connaître ».526(*)

Le défi fondamental du relativisme demeure : « où trouverons-nous alors un point archimédien qui serait au-delà de la culture d'une communauté politique et qui nous permettrait de justifier le dépassement de conceptions locales ? »527(*) Si tout change et que rien ne demeure,le débat de la relativité des connaissances et du relativisme culturel conduit alors à ce qu'on appelle aujourd'hui aux Etats -Unis d'Amérique la  « guerre des sciences ». La guerre des sciences est bien différente de la guerre des cultures, elle « tourne autour de la question de savoir dans quelle mesure les résultats scientifiques doivent être considérés comme des constructions sociales plutôt que comme correspondant à une réalité indépendante de la pensée et de la société. Cette construction sociale peut être celle d'une civilisation (la science occidentale) ou celle d'une communauté de chercheurs. La controverse (...) est liée au développement (...) des sciences, qui vise à appliquer aux milieux scientifiques la même démarche qu'à l'égard de n'importe quel milieu social et à rendre compte de ce que les chercheurs font et de ce qu'ils disent à partir de (leurs) cadres d'analyse (...) Plutôt qu'à partir des catégories d'objectivité et de vérité interne au milieu étudié. »528(*) Autrement dit la question consiste à savoir si les variétés des contextes ne sont pas ancrées dans une même réalité.

Les conséquences du constructivisme sans arrière-plan ,c'est que les « références théoriques, ces courants et ces champs d'étude conduisent à considérer les questions symboliques et culturelles comme pertinentes par elles-mêmes plutôt que de les rapporter systématiquement à autre chose, dans la mesure où la « construction sociale de la réalité »des discours, des idéologies qui s'expriment dans les actions et interactions, des rituels, des dispositifs, des procédures, produisant des phénomènes de racisme, de stigmatisation, d'assujettissement ».529(*)

Pour Jean Pierre Cometi, en Amérique « l'attitude des pragmatistes a été largement inspirée par un anti- fondationnalisme et un anti-essentialisme qui s'est peu à peu imposé en philosophie, même si les comportements ne font pas toujours apparaître une unanimité à cet égard. »530(*) Pour Karl-Otto Apel, poursuit Cometi, renoncer au souci de `fondement ultime', « comme Wittgenstein, Rorty, voire Habermas, reviendrait selon lui à abandonner toute décision à l'arbitraire, et donc à épouser un relativisme ».531(*) Et : « On peut aussi avoir, affirme Jean Pierre Cometti, des raisons de penser que l'inutilité des fondements (...) ne concerne pas seulement le langage ou la connaissance. Nos convictions morales ou politiques, quel que soit le prix que nous leur donnons, quelle que soit l'honneur qu'elles nous inspirent, n'ont probablement rien à y gagner ni à y perdre ; si l'importance ce que nous sommes amenés à donner à quelque idée de ce genre y joue un rôle, ce ne peut être que comme pièce du jeu ».532(*)

A propos Jürgen Habermas a abandonné la conviction selon laquelle la « fondation des sciences sociales devait être menée sur une théorie du langage.533(*) La théorie de l'activité communicationnelle, « a rompu avec le primat de l'épistémologie et considère les présuppositions de l'activité inter- compréhensive, indépendamment des présuppositions transcendantales de la connaissance. Ce passage de la théorie de la connaissance à celle de la communication m'a permis, affirme Habermas, de donner des réponses substantielles à des questions qui, du point de vue métathéorique, ne pouvaient être élucidées qu'en tant que questions et selon leurs présuppositions : la question de la fondation normative d'une théorie critique de la société ».534(*) Habermas n'est pas non plus clair sur la question.

Comment la question de fondement des sciences sociales se présente-t-elle du point de vue de John Searle ? Il faut dire à ce sujet ce que Damile Gambarara et alii soulignent le fait que « John Searle et Noam Chomsky ont mené une discussion approfondie à ce propos. »535(*) Searle part du « relativisme de Wittgenstein (qui) n'est que d'apparence puisque la pluri- fonctionnalité du langage fonctionne comme le principe unificateur reliant dans le concret toutes les formes de vie ».536(*) Il avance comme Apel la possibilité d'une ressemblance de famille des Formes de vie. Searle utilise la théorie du langage pour l'entreprise de fondation.

3.6.1. Deux visions des sciences sociales

Pierre Cossette nous rappelle que  « les chercheurs (...) ont vraiment réalisé qu'il existait des visions radicalement différentes sur la nature même de la « science sociale ». (Ces visions) se situent notamment au plan ontologique, celui où le débat porte essentiellement sur l'existence de lois régissant la réalité sociale. Burell et Morgan distinguaient aussi « deux positions mutuellement exclusives en recherche sociale : le réalisme et le nominalisme ».537(*)

Ainsi « les chercheurs (qui) adoptent une position réaliste adhèrent essentiellement au modèle classique de la science. Ils postulent plus ou moins explicitement l'existence d'un ensemble des lois immuables ayant un impact déterminant sur le fonctionnement de la réalité sociale. (...) On croit qu'il existe un ordre sous-jacent incontournable ».538(*) C'est la position de l'Arrière-plan.

A l'opposé le nominalisme ou conventionnalisme n'est pas une position déterministe. Ce seraient les êtres humains et non les lois de la nature qui feraient que la réalité est telle qu'elle est et qu'elle fonctionne comme elle fonctionne en se fondant notamment sur leur propre langage qui constitue d'entrée de jeu une leçon particulière de structures de la réalité. Les individus deviennent leur propre réalité, contribuant aussi à « construire » le monde dans lequel ils vivent, un monde en quelque sorte « négocié » collectivement de manière plus ou moins délibérée et ayant un sens pour eux. 539(*)

La thèse de John Searle est particulière, elle s'oppose plutôt au « constructionnisme social » anti-réaliste. Son « constructionnisme social »est justement non relativiste. C'est une construction informée par une théorie ou un 'schème conceptuel' qui vise à mettre à jour les structures non immédiatement données ou « visibles » du phénomène étudié, non à `inventer' le fait. L'Arrière-plan est sous- jacent. Notons que le relativisme épistémologique suppose qu'il n'y a pas d'autres représentations de la réalité en dehors de celles que nous avons.

La discussion de la relativité conceptuelle de Searle se cristallise sur la question de la possibilité d'affirmer la vérité de deux ou plusieurs énoncés différents sur la même réalité ; ces énoncés peuvent -ils être vrais à la fois ? Pour Searle « les énoncés vrais sur le monde peuvent être simultanément affirmés de manière consistante...mais nous sommes toujours confrontés aux problèmes... de l'idéalisation ».540(*) Il s'agit « des différents `schèmes conceptuels' (qui) peuvent tenter de rendre compte au mieux d'une réalité existante en dehors des représentations que nous nous en faisons ».541(*) Ce débat participe de la préoccupation de fonder la rationalité occidentale sous la menace du relativisme. La thèse de Searle veut barrer la route au relativisme.

En fait, sur la relativité des connaissances, Michel Paty part de « deux manières de décrire les connaissances du passé, l'immédiateté sur le vif de l'époque et la plus lointaine, disposant du recul, (qui) nous montre la relativité des points de vue et comment notre appréciation des connaissances est dépendante de l'histoire. Mais cette relativité des connaissances et de leur évaluation n'est pas « absolue », elle n'est pas la seule chose que l'on puisse en dire. Le caractère historique de ces connaissances, qui tient à ce qu'elles sont produites par des êtres humains, eux-mêmes inscrits dans une existence sociale et historique, n'efface pas leur contenu. »542(*) Ayons en mémoire la problématique de l'Etre et du non-être pour suivre maintenant la complexification du questionnement dans plusieurs domaines.

En effet, il y a des paradoxes inhérents au relativisme, « si toute position théorique n'est que l'effet d'une situation ou d'un contexte social déterminé, et ne peut prétendre dès lors à l'université et à l'objectivité, le relativisme lui-même ne peut prétendre à aucune validité »543(*).  Cet aspect logique du débat a donné lieu à de nombreux échanges, notamment aux Etats-Unis et en Angleterre, où la sociologie de la science a rapidement eu un écho dépassant le seul cadre de ses investigations. La question de relativité de connaissance et celui du relativisme culturel se trouvent ici liée. « Certains, c'est Gérard Fourez qui parle, (...) - insistent sur une conception selon laquelle l'objectivité des sciences est presqu' absolue. A la limite il n'y aurait qu'une seule bonne science, une seule bonne informatique, pédagogie, etc. D'autres, au contraire, parlent de la relativité de savoirs (et l'on pourrait citer Feyerabend ou Rorty). Le culturalisme est une perspective qui souligne comment chaque culture voit le monde selon son point de vue. De là vient, facilement le slogan : « A chaque culture sa vérité  » à l'opposé, les « anti-culturalistes » soutiennent qu'il n'y a qu'une vérité et qu'elle transcende les cultures. »544(*) (Ainsi), la thématique du relativisme épistémologique a pu se lier à celle du relativisme culturel. »545(*)

On peut même dire du point de vue de la philosophie politique qu'il y a trois positions : les communautariens ou les culturalistes, les mondialistes et la position médiane. La question touche ici la question des frontières étatiques et des frontières cognitives. 

Pour le communautairien comme Walzer « le particularisme est indépassable et doit être accepté » 546(*), entendez le tribalisme, l'Etat-Nation, etc. « Le tribalisme désigne l'attachement des individus et des groupes à leur propre histoire et leur identité, et cet attachement (irréductible à l'une de ses manifestations particulières) constitue un trait permanent de la société humaine ». La mise en valeur des culturalistes « travaille à partir des croyances de leur communauté respective - le monde demeurant un monde composé de « tribus », de groupes ethniques distincts, souvent antagoniques. Ainsi « le code des valeurs et des principes « culturellement homogène et hautement signifiant », « élaboré »par chaque société -ne peut être que celle d'une société particulière ; « les sociétés sont nécessairement particulières parce qu'elles ont des membres ... et des souvenirs de leur vie commune », tandis que, « l'humanité a des membres mais point de mémoire, et ainsi ni histoire ni culture ...aucune compréhension partagée des biens sociaux ».547(*) Et aussi « le marché mondial ne fait pas une histoire » notait J.-Lyotard.548(*)

Au demeurant, une « tension (...) existe entre les individus et les « peuples »qui entrave une telle tentative (de position intermédiaire) est aussi à la racine de la querelle entre les communautairiens qui insistent sur le caractère unique des valeurs et de la culture de chaque société et considèrent « comme également valide les croyances et les usages de toutes les sous -communautés reconnues ». Ainsi, « Walzer apparaît comme un universaliste hautement « minimaliste » : la moralité « épaisse »de chaque société n'est ni basée sur, ni dérivée de la moralité « fine »des principes universels ; la seconde « n'est guère qu'un morceau »de la première ».549(*)

Le culturalisme moderne revient à l'idée du respect de chaque culture. « La notion d'expression (expressivité) ajoute, entre autres, une innovation importante : l'idée que chaque culture, de même que chaque individu qu'elle englobe, possède une « forme »qui lui est propre et qui doit être réalisée ; qui plus est, cette forme est inamovible, aucune autre ne peut ni s'y substituer ni en mettre au jour les ressorts profonds ».550(*)

Les frontières d'Etat tendent à être rejetées comme étant arbitraires et dénuées de valeur morale par les « mondialistes »à l'image de Martha Nussbaum. Les « universalistes (...) mettent l'accent sur la nécessité de protéger partout les droits de l'homme ».551(*)

Cette position, comme on l'a vu à la position culturaliste qui « met en évidence la signification et l'importance morales des frontières étatiques. Celles-ci comptent aux yeux des communautairiens (Miche Walzer et Charles Taylor notamment), comme aux yeux de tous ceux pour lesquels les peuples et les Etats sont les entités fondamentales ».552(*)

Pour revenir au réalisme et constructivisme, selon Arnaud Schmit,  « Rorty pousse le raisonnement entamé par l'idéalisme allemand jusqu'au bout, à savoir que notre appréhension du monde correspond plus à un processus mental (et donc subordonné à une étape intermédiaire) qu'à une connaissance immédiate et innée du réel. (...) Toute épistémologie est nominaliste, que notre perception du monde est donc avant tout linguistique : « all awareness is a linguistic affair » ».553(*)

En fait, le « retour à la réalité » se veut une révolution pour autant que nous puissions dire contre René Descartes que la réalité a été vue sous le prisme de la méthode. Nous avons trop vu le monde sous le prisme des conventions et des catégories, c'est là une partie de la thèse ontologique.

Ainsi, « dire que chaque communauté a une vision du monde qui lui est propre est donc à prendre au sens littéral. Notre société, notre interprétation des nombreux stimuli qui nous assaillent perpectuellement, sont le fruit de ce que Rorty appelle « acculturation » ; c'est bien évidemment aussi le cas pour tout ce qui est relatif à notre bagage éthique. John Searle, en partant de ce préalable, a développé le concept de « background ».

Au demeurant, la question ce que le relativisme reste « une impasse, plus que cela, un abîme ».554(*) Comment en sortir ? Le relativisme est un danger à tous points de vue. Comment l'éviter ? ».555(*) Il faut une thèse qui remplace selon Guy Bois « l'intolérance et le relativisme (qui) étaient (les) seules parades  ? D'où (déjà) la montée en puissance d'une posture (je n'ose dire d'une épistémologie) postmédiévale ressemblant étrangement à la posture « postmoderne » d'aujourd'hui ».556(*) Tout cela parce que «  la méthode cartésienne ne peut (et ne pouvait) nous tirer de l'abîme du relativisme, ni nous met à l'abri des dangers que le relativisme fait courir à la pensée contemporaine. Elle nous expose plutôt à ces périls de l'heure présente, et elle nous conduit à cet abîme ».557(*)

Le choc entre l'universel démasqué (comme relatif) et la concrétude des contextes (tout aussi relatif) se répercute à tous les niveaux de la culture. Le relativisme de culture devient la conséquence du pluralisme culturel.   La guerre de culture ,« sous une forme radicale ,ce sont toutes les références idéologiques et culturelles de la civilisation occidentale renvoyant à l'idée d'une humanité universelle qui sont discréditées ,comme idéaux fondateurs des régimes politiques(individualisme libéral ,droits de l'homme et du citoyens) ou les différentes composantes de la notion de Haute Culture (au sens des grandes oeuvres de l'esprit humain :littérature, art ,science).Ces références sont en effet dénoncées comme couverture idéologique de la domination exercée sur les minorités et les dominés de toutes natures. En conséquence, il s'agit de défendre l'idée d'une culture spécifique associée à chaque sexe comme à chaque « ethnie », devant être valorisé pour elle-même et dont la littérature, l'art, la conception de la connaissance doivent être enseignés au même titre que ceux qui ont constitué jusque-là le « canon » dominant ».558(*) En procédant ainsi n'est-ce pas faire la même chose et son contraire ? Certes oui, lorsque nous ne tenons pas compte de la thèse de la construction de la réalité sociale non relativiste de Searle.

Le mouvement dit postmodernisme consécutif au relativisme, s'est étendu dans le monde entier. « L'un des terrains fertiles de déploiement des thèmes postmodernistes est constitué, c'est Yves Bonny qui le rappelle, par les différentes aires régionales ayant historiquement formé l' « Autre » de l'Occident, qu'il s'agisse des pays dits du tiers-monde ou de ceux de l'ancien bloc communiste ».559(*) En plus « les versions latino-américaines du postmodernisme sont quant à elles fortement marquées par l'expérience du colonialisme d'abord, puis de l'hégémonie exercée par les Etats -Unis sur le continent ».560(*) C'est la question de la décolonisation intellectuelle.

Pour les tenants de cette pensée, l'enjeu est de réviser l'ensemble des discours qui fondent l'identité nationale, les récits de l'histoire, les canons de la littérature, avec comme cible centrale les programmes de l'enseignement scolaire et les manuels qui les accompagnent. Il s'agit sous la forme la plus mesurée de reconnaître les formes de racisme, de stigmatisation, de discrimination inscrites dans le passé national, notamment dans les manuels d'histoire, d'éliminer les préjugés, de célébrer la diversité et les différences, de favoriser une plus grande tolérance en faisant connaître les cultures et les religions qui composent le pays. 561(*)

Le mouvement multiculturel a atteint notre pays, la République Démocratique du Congo, sous plusieurs formes, hormis le point de vue de Mudimbe , notamment dans la reforme des programmes académiques. Tout récemment, à la suite de PADEM (programme de modernisation de l'enseignement supérieur) en République Démocratique du Congo, il a été instauré un programme basé sur la thématique identitaire de Genre (les études féminines dont on a que faire) à la faculté des Lettres et sciences humaines de l'Université de Kinshasa et aux Facultés protestantes de Kinshasa. En Philosophie nous pensons que le programme académique doit tendre vers ce qu'on appelle aux Etats Unis et maintenant en France, les Lettres et Sciences ou le Ph.D, Philosophia Doctor, tel que nous tentons de le faire. Ceci est d'autant plus urgent pour imposer un dialogue entre nos sciences on ne peut plus cloisonnées.

Il s'agit aussi de trancher des persistances contradictions dans tous les domaines. Ces contradictions actuelles se focalisent selon Jean De Munck sur deux tendances: « une théorie de connaissance (qui) se tend entre une version positiviste dure de la méthodologie, et la tendance déconstructive. (...) La philosophie morale se divise entre un néo-formalisme -utilitariste, libéral, néo-kantien- et des appels à l'authenticité personnelle ou aux traditions communautaires. La théorie sociale oscille entre de grandes constructions rationalistes et l'étude moléculaire des réseaux, des territoires, des styles de vie ».562(*) Au point de vue pratique, Jean De Munck fait constater la «  persistance des contradictions : au moment où le libéralisme triomphant peut prétendre occuper tout le champ laissé libre par l'effondrement du communisme, sa figure inversée, sa négation systématique ont pris forme des esprits, dans les événements, dans les configurations culturelles ».563(*) Et de conclure, « notre monde est à la fois libéral et postmoderne. (Ils) s'appellent l'un et l'autre, « et leur constante inversion est l'aporie centrale de notre temps ».564(*)

« Au moment où le formalisme d'une Raison économique et politique se redéploie à grande échelle, le postmodernisme démasque son irrationalité persistante, l'injustice qu'il génère, le mensonge qu'il véhicule et la violence qui le soutient. Au clivage de la guerre froide s'est substitué le nouveau grand partage : non plus les droits de l'Homme contre les droits collectifs ,mais les droits de l'Homme contre le droit à la différence ;non plus le marché contre l'Etat ,mais le marché contre les cultures ; non plus l'individu ,universel et abstrait ,contre le travailleur concret ,mais l'individu ,toujours universel ,toujours abstrait ,contre la diversité des visages ,le pluralisme des tributs ,la diffraction des valeurs ,des styles ,des convictions ».565(*)

Jean De Munck projette un programme de révisitation de l'idée de la raison (Jean de Munck, 1999,2). Il affirme le fait que  « la tendance déconstructive, fait ses 'adieux', ne voulant voir dans es sciences que des constructions contingentes, dépendantes de lieux, d'histoires et de sombres stratégies de puissance ».566(*) Pour nous Jean De Munck dénonce les contradictions persistances de notre époque sans donner clairement une hypothèse de dépassement autre que l'histoire à rebours de la rationalité en question.

Le particularisme est aussi la tentation qui nous ante encore nous africains ; en fait c'est serait un coup de maître de nous faire sortir du relativisme et de nous éviter la tentation d'y sombrer. C'est pourquoi nous proposons un retour critique à l'onto-théologie de l'Egypte antique.

3.6.2. La construction sociale non relativiste et antiréaliste de Searle

Pour expliquer sa thèse de construction sociale non relativiste et antiréaliste Searle fait recours à un exemple emprunté à Putnam. « Imaginons, dit-il, qu'il existe une partie du monde du type de celle décrite dans la figure (suivante) :

A

B C

Combien d'objets y a-t-il dans ce mini- monde ? Eh bien, selon le système de l'arithmétique de Carnap (et selon le sens commun), il y en a trois. Mais, selon Lesniewski et d'autres logiciens polonais, il y a sept objets dans le monde, comptés de la manière suivante :

1 = A

2= B

3=C

4=A+B

5= A+C

6= B+C

7=A+ B+C

Combien d'objets y a-t-il dans ce mini- monde ? Y en a-t-il réellement trois ou réellement sept ? Il n'a pas de réponse absolu à cette question ». Le schème conceptuel vise comme nous pouvons le constater à mettre à jour les structures non immédiatement données ou `visibles'. Nous pouvons ajouter une autre question : le schème conceptuel peut -il être problématique ? Pour Searle, « Nous sommes toujours confrontés aux problèmes du vague, de l'indétermination, de la ressemblance de famille, de la texture ouverte,de la dépendance contextuelle, de l'incommensurabilité des théories, de l'ambiguïté, de l 'idéalisation qui ,intervienne dans la construction des théories, des différentes interprétations possibles, de la sous -détermination de la théorie par les preuves dont on dispose, et ainsi de suite ».567(*)

En fait John Searle s'oppose à W.V.O.Quine et sa théorie de la relativité de la vérité. « Le fait, dit John Searle, que les schèmes conceptuels rivaux (contexte d'usage) permettent différentes descriptions de la même réalité, et qu'il n'y ait pas de description de la réalité en dehors de tout schème conceptuel, n'a aucun effet que ce soit sur la vérité du réalisme ».568(*) John Searle continue la question en la couplant avec le principe rationaliste de réalisme, il réagit justement contre le subjectivisme dont on taxe le rationalisme. La thèse de Searle est celle de la construction de la réalité sociale non relativiste en tant qu'elle est informée par un schème conceptuel.

Le constructivisme non relativiste de Searle rejette  le relativisme de culture en tant que base d'une doctrine axiologique  et nous prévient contre la réduction à l'infini, d'autant plus qu'un point de vue scientifique n'est pas à inventer mais à dévoiler. Ontologiquement, « une réalité socialement construite présuppose une réalité indépendante de toutes les constructions sociales, parce qu'il faut bien quelque chose à partir de quoi construire la construction »569(*). Ces présuppositions forment « la réalité extérieure ». Searle le dit plus explicitement : « le présupposé c'est le réalisme extérieur (RE) »à la subjectivité, et le RE « est une condition purement formelle ».570(*) En effet, « le réalisme externe n'est pas une thèse empirique, affirme Searle, mais plutôt une condition d'intelligibilité qui rend possible certaines thèses. Le RE fonctionne comme une partie - tenue -pour- acquise de l'Arrière-plan ».571(*)

3.6.3. De la relativité linguistique et de la relativité de la vérité

La difficulté de Searle est d'être réaliste et constructiviste et de ne l'être pas à la fois. Il veut concilier des registres différents : l'ontologie, la logique, l'éthique et l'épistémologie. John Searle pense que la relativité de la connaissance n'est pas compatible au réalisme, mais voilà comment la théorie de la relativité se présente. Nous illustrons cette théorie par la question de l'Etre. En fait, poser la question du rapport de la pensée et de la langue, c'est poser l'épineuse question du rapport entre le langage et la « raison ».

Un des problèmes centraux de la philosophie est celui de son rapport avec la langue. Plusieurs langues européennes ont développé non sans peine un vocabulaire et un style philosophique quasiment inspiré des corpus de textes canoniques en grec et en latin. On peut ajouter sans doute les textes égyptiens. C'est le cas de l'allemand, anglais, français, italien, espagnol à peu près à partir du XVII è siècle. L'héritage grec est apporté à l'Europe par le monde arabe.

A la question de savoir si la langue exprime ou pas la structure du langage, Aristote répond par la théorie des catégories : ce qui est se dit de multiple façons : accident, comme vrai (et le non étant comme faux), et selon les schémas de la prédication, c'est-à-dire les catégories.

Dans Problèmes de linguistique générale, Emile Benveniste examine le rapport de ces catégories aristotéliciennes à la structure de la langue grecque et arrive à la conclusion selon laquelle les catégories d'Aristote ne peuvent être les catégories de l'être (ou de la pensée), mais celles de la langue grecque. « Arrêter notre attention sur ces six premières catégories dans leur nature et dans leur groupement. Il nous paraît, dit Benveniste, que ces prédicats correspondent non point à des attributs découverts dans les choses, mais à une classification émanant de la langue même... Ce n'est donc pas sans raison que les catégories se trouvent énumérées et groupées comme elles sont. Les six premières se réfèrent toutes à des formes nominales. C'est dans la particularité de la morphologie grecque qu'elles trouvent leur unité » : 572(*)

1. Ousia, la substance ou essence, indique la classe des substantifs.

2. Poson, la quantité, et 3. poion, la qualité, indiquent deux types d'adjectifs ;

4. Pros ti, la relation, indique soit des éléments qui sont en eux-mêmes porteurs de relation double, soit la particularité des adjectifs grecs de posséder une forme comparative ;

5. Pou, le lieu et 6. Pole, le temps, impliquent respectivement la classe des dénominations spatiales et temporelles. Les quatre catégories suivantes relèvent du système verbal, notamment le passif et l'actif des verbes grecs.

Les catégories aristotéliciennes sont limitées à la langue grecque. D'où, la relativisation de la portée universelle et des fondements de la métaphysique occidentale. La relativité est bien différente du relativisme parce qu'il est possible de construire sur la base de la même langue plusieurs ontologies. Emile Benveniste a travaillé sur la langue africaine Ewe du Togo, sur base de laquelle il était tout aussi possible de construire une ou plusieurs métaphysiques.

Le verbe être des langues indo-européennes cumule des fonctions syntaxiques de cohésion et d'assertion dans la phrase copulaire simple, avec une valeur lexicale existentielle. En parlant de la copule, on croit avoir affaire à l'être et à l'existant. Cette confusion est dommageable parce que de ce que j'affirme de quelque chose qu'il est quelque chose, s'ensuit -il que je le considère parmi les choses qui sont et qui constituent l'ameublement dernier du monde ? D'où pour Aristote et son ontologie : les catégories ne sont pas seulement des moyens plus ou moins commodes de classer les prédicables, elles classent des êtres. Finalement, chaque élément de l'une quelconque de dix catégories est un type d'être.

Contre Emmanuel Kant, Schopenhauer a reconstruit des catégories sur base des classes des mots : « il est incontestable que les parties du discours représentent les formes primordiales revêtues par toute pensée, les formes où l'on peut observer le moment de la pensée, elles sont les formes essentielles du langage. Puis il faudrait subordonner les formes de pensées qui s'expriment par les flexions des formes essentielles, c'est-à-dire par les déclinaisons et la conjugaison ; d'ailleurs les formes de pensées peuvent être indiquées à l'aide de l'article ou du nom (d'une langue) ».573(*) Car la pensée ne saurait être la même; la pensée au contraire est inséparable de la forme.

D'après Schopenhauer ,« Ces formes réelles, inaltérables, primordiales de la pensée, sont exactement celles que Kant énumère dans le Tableau logique des jugements ; pourtant, ici encore, il convient de négliger toutes les fausses fenêtres que Kant a dessinées,...Quant à moi, voici comment je dresserai la liste : Quantité, Qualité, Modalité, Relation ».574(*)

En plus, à la suite de la question du concours lancé par l'Académie de Berlin en 1759 sur l'étude des relations réciproques du langage sur les opinions et des opinions sur le langage, l'hypothèse de la relativité linguistique qui n'est qu'une variante de la critique linguistique des catégories d'Aristote, fut confirmée : le fait est que la « réalité » est, dans une grande mesure, inconsciemment construite à partir des habitudes langagières du groupe. Deux langues ne sont suffisamment semblables pour être considérées comme représentant la même réalité sociale. Les mondes où vivent des sociétés différentes sont des mondes distincts, pas simplement le même monde avec d'autres étiquettes.575(*)

Ainsi, pour l'ontologie la question essentielle est celle de savoir si la relativité linguistique, qui est un fait avéré, entraîne une absence de contenus universaux et la relativité de la vérité. John Searle pense que non.

3.6.4. Le relativisme moderne en sciences sociales

Nous allons ici nous référer à Renée Bouveresse et tirer des extraits de son livre intitulé Karl Popper, ou, le rationalisme critique, critique du relativisme, 1998, où il affirme le fait que « Hegel parait être le père du relativisme moderne, dans la mesure où la vérité était pour lui relative à chaque cadre culturel et historique : mais il affirmait en même temps, la vérité absolue de sa propre théorie »576(*). Au demeurant, «  la problématique avec Kuhn s'inscrit dans un combat philosophique de portée très générale : celui de la critique par Popper de la « maladie philosophique essentielle » du XX ème siècle : le relativisme ».577(*)

Il faut souligner le fait aussi que « Popper a examiné, poursuit Bouveresse, le « mythe du cadre de référence » qui est, selon lui, le support majeur du relativisme moderne, à la fois sous sa forme morale, et sous la forme intellectuelle dont la thèse de Kuhn est une illustration particulière. Il entend par là, la thèse selon laquelle on ne peut discuter ni même communiquer à moins d'avoir accepté de part et d'autre un certain nombre de postulats de base. Entre hommes se situant dans des « cadres » de références différents , aucun dialogue n'est vraiment possible , et si l'on peut changer de « cadre » c'est de façon irrationnelle , par un choix arbitraire.»578(*)Le cadre de référence n'est autre chose qu'un schème conceptuel ou un paradigme chez Kuhn. Pourtant « si l'on accepte la thèse du cadre de référence la vérité varie d'un cadre à l'autre ».579(*)

Selon Renée Bouveresse, « le relativisme est aujourd'hui largement supporté par les sciences humaines, qui montrent facilement que chaque société, chaque culture, chaque groupe social, chaque homme même ont des cadres de pensée différents. En particulier, elles ont attiré l'attention sur le fait que chaque langue implique une vision du monde autonome. Whorf a poussé à la limite le relativisme linguistique en analysant l'emploi des temps dans la langue Hopi et en montrant qu'ils supposent une conception du monde totalement incompréhensible pour un Occidental ».580(*) Aussi « il va se soi que, si l'on accepte toutes les conséquences de ce que Quine a appelé la « relativité ontologique », il n'y a plus de place pour le profil rationnel, puisque celui-ci suppose que l'on puisse communiquer, et tout remettre en cause ».581(*)

3.6.5. Enjeux : La menace du réalisme : le post-modernisme

Selon Tom Rockmore, ce débat est recent qui se cristallise entre Putnam et Searle: « the nature of realism as it is often undestood in the recent debate ».582(*) Le réalisme parmi tant d'autres principes de la rationalité moderne a justement fait selon John Searle583(*) l'objet d'âpres attaques, et « ces attaques contre le réalisme sont troublantes à plus d'un titre ».584(*) Selon divers théoriciens de la littérature « post-moderne », soutient Searle, toute connaissance étant le produit d'une construction sociale et sujette à l'arbitraire et à la volonté de pouvoir inhérent à toute construction sociale, le réalisme devrait s'en trouver menacé. 585(*)

John Searle soutient justement le fait qu'un des grands enjeux de sa réflexion sur la construction de la réalité est contre la tendance de renverser indûment la rationalité occidentale du fait même que les principes inhérents posent des problèmes de relativisme.

Ainsi, John Searle évoque outre le principe de réalisme sur lequel il s'appesantit le plus, le principe de l'impossibilité de l'objectivité, le principe de la relativité conceptuelle, etc. Le problème posé à travers le principe de constructivisme touche les questions fondamentales et des enjeux philosophiques centraux concernant les soubassements épistémiques et ontologiques sur des notions telles que la réalité, l'objectivité, la vérité, la raison, la rationalité, la logique, la connaissance, l'évidence, et la preuve. Plus explicitement :

Le monde (ou, si l'on veut, la réalité ou l'universel) existe indépendamment de la représentation que nous en avons.

L'objectivité épistémologique complète est difficile, parfois impossible, parce que les recherches que nous menons se font toujours d'un certain point de vue, motivée par toutes sortes de facteurs personnels, et dans un certain contexte culturel ou historique. 

Avoir des connaissances, c'est avoir des représentations vraies pour lesquelles nous pouvons donner certaines sortes de justifications ou de confirmations empiriques. 586(*)

La thèse que Searle combat est l'antiréalisme sous ses deux versions que voici : « en premier lieu, la thèse selon laquelle la réalité consiste en états conscients et, en second lieu, la thèse selon laquelle elle est construite socialement, au sens où ce que nous appelons le « monde réel » n'est qu'un ensemble de choses construites par des groupes des gens ».587(*) Searle appelle la première thèse, l'idéalisme phénoméniste et la deuxième celle de constructionnisme social.

Contre l'idéalisme phénoméniste, il oppose ce qu'il appelle l'argument « transcendantal » dans un des nombreux sens que Kant donne à ce terme.588(*) John Searle part également de la Critique de la Raison pure d'Emmanuel Kant pour présenter son argument en faveur de l'impossibilité d'une réalité indépendante de nos représentations humaines. C'est en fait en notre sens, la transformation des formes a priori de la sensibilité et des catégories de l'entendement de Kant dans la philosophie analytique dans sa phase pragmatique. Les mots sont ici des formes a priori de communication humaine. Les mots deviennent les conditions de réalisation de communication humaine. Elles forment les conditions d'intelligibilité de la connaissance, qui du point de vue de la pratique forme l'Arrière-plan. Les formes a priori ne sont pas des choses, elles sont dans les termes de Kant des illusions sans lesquelles la connaissance n'est pas possible.

Pour Searle, le relativisme est consécutif à l'antiréalisme au fait que : « c'est quelque fois une satisfaction pour notre volonté de puissance que de penser que « nous » faisons le monde, que la réalité n'est elle-même rien d'autre qu'une construction sociale, modifiable à volonté et sujette aux changements futurs qui « nous » paraissent appropriés. De même, il semble choquant qu'il y ait une réalité indépendante des faits bruts - aveugles, sourds, indifférents, et totalement imperméable à nos préoccupations. Tout cela fait partie de l'atmosphère intellectuelle générale qui donne l'impression que les versions antiréalistes du « poststructuralisme » telle que la déconstruction, sont intellectuellement acceptables voire excitantes ».589(*)

Ce qui, au demeurant, est en jeu reste la déconstruction des principes de la rationalité occidentale : « le postmodernisme, inversion de tous les idéaux de la rationalité, se répand comme une traînée de poudre. Alors que le libéralisme ne promet qu'un long processus d'alignement planétaire des institutions sur les références rationnelles des droits de l'Homme et du marché, l'idée même d'évolution historique homogénéisante est contestée, critiquée, dépecée par un postmodernisme qui ne voit que des contextes et leurs « petits récits »inaliénables dans la « grande histoire » de l'émancipation ».590(*)

Pour éviter la réduction à l'infini, il faut partir d'un schème conceptuel d'un système juridico -morale reconnu par la communauté scientifique. Seulement, en tant que normes, elles sont toujours déjà à présupposer.

3.6.6. Attaque contre le réalisme : L'origine récente de problème de relativisme moderne

De façon générale, selon Yves Bonny, sur les bases du relativisme, « on est amené à développer la thèse de la pluralité et de l'incommensurabilité des systèmes de connaissance, ce qui signifie que l'on ne peut jamais les juger d'un point de vue extérieur et qu'ils ont tous la même valeur. Ce relativisme est appliqué à la science et le plus largement à l'ensemble des références qui sont issues de la civilisation occidentale, lesquelles sont ramenées à une simple « culture » parmi tant d'autres. « Une des formes que prend le relativisme consiste à soutenir que les « savoirs », et les « connaissances », sont toujours relatifs à un référentiel, et que par conséquent on ne peut les juger que par rapport à celui-ci ».591(*)

Enfin ,comme le redoute Baillargeon ,le postmodernisme cherche à s'arroger « les éventuels mérites de la diffusion du relativisme culturel ou anthropologique et des vertus qui lui sont associées, comme la tolérance et la reconnaissance et le respect des différences »,à partir d'un relativisme épistémologique.(...)Le souci compréhensible de réhabiliter les représentations et les savoirs non occidentales ou des « sous -cultures »internes à l'Occident contre les formes les plus extrêmes du dogmatisme positiviste et de l'impérialisme ».592(*)

3.6.7. La menace contre le réalisme : la modernité sur la sellette

La modernité est battue en brèche par la thèse de relativisme. « La logique profonde de la modernité ( a consisté) à établir dans tous les domaines un ordre nouveau, à partir d'une raison législatrice portée par un sujet « civilisé », autocontrôlé, « discipliné », capable de maîtriser ses impulsions et passions. Cette logique s'exprime de la façon à la fois la plus pure et la plus répressive lorsque les agents modernisateurs sont persuadés de détenir la vérité et disposent pour l'inscrire dans la vie sociale de toutes les ressources de la puissance politique, économique et technique.»593(*) Cette situation amène à « l'interprétation de la modernité comme société de surveillance et de contrôle (...) comme société post- disciplinaire (...) comme logique de mise en ordre, (comme) la lutte contre l'ambivalence sous toutes ses formes (...) provoquant partout la certitude et un grand partage entre raison et son autre ».594(*) Nous devons soit sortir de cet ordre soit le submerger.

« Dans cette perspective, poursuit Yves Bonny, le savoir perd l'innocence et le prestige qu'il possède dans les représentations ordinaires de la science et de la vérité et devient une composante fondamentale de la construction des rapports sociaux et de la subjectivité, avec comme orientation dominante la normalisation et le contrôle ».595(*)(C'est nous qui soulignons). Or, pour Yves Bonny, en Europe même « toute cette orientation doit pour être comprise, être resituée dans le contexte historique du gauchisme des années 70 en France, marqué par la contestation tous azimuts des normes, des codes et des institutions, perçus comme intrinsèquement répressifs ».596(*)

3.6.8. La menace contre le réalisme : le rationalisme en question

« L'une des cibles centrales de la critique postmoderniste concerne le rationalisme, qui est au coeur de la civilisation occidentale et s'articule logiquement avec une visée universaliste. »597(*)  Et :« La critique du rationalisme vise (...) les orientations qui ont présidé à l'histoire effective des deux derniers siècles et qui au nom de la rationalisation ont débouché sur des formes de domination inédites (...) où le colonialisme, l'impérialisme et différentes formes de violence ont été exercé au nom de la « mission civilisatrice de l'Occident ».598(*)

Les critiques sont multiples. « La critique postmoderniste, écrit Bonny, va mettre en doute et en cause le projet sur plusieurs angles. D'abord, en soulignant le caractère autoréférentiel de la raison, c'est-à-dire l'impossibilité d'une « fondation ultime » du discours ou des institutions (c'est en ce sens que l'on parle d'une critique du fondamentalisme dont nous avons parlé) ».599(*)

En outre, écrit-il encore « le rationalisme moderne repose sur un ensemble de postulats et d'orientations de la pensée qui ne constituent en rien une évidence ou un point d'appui ultime et qui peuvent par conséquent toujours être discutés et contestés ».600(*) Cela débouche sur le fait que l'usage de la Raison est toujours situé et que c'est toujours d'un certain point de vue et depuis une certaine perspective que l'on peut développer une argumentation cohérente. S'en suit une critique de l'universalisme moderne.

Les représentations de l'homme que se fait le rationalisme en tant que culture dominante sont interrogées sous plusieurs facettes. Une autre orientation de l'analyse est davantage historique plutôt que philosophique. Elle consiste à soutenir que les idées développées à partir du rationalisme véhiculent tout un univers de représentations propres à la culture occidentale et des acteurs socialement dominants. Pour prendre un exemple des théories de la connaissance « le modèle classique de la science opposant un sujet savant à un objet de connaissance défini de l'extérieur a été profondément questionné, au profit d'une raison herméneutique s'élaborant dans l'intersubjectivité, c'est-à-dire dans un rapport de dialogue avec autrui, mêlé de distanciation critique, mais refusant une posture de rupture et de surplomb à son égard ».601(*) Cette posture est présente de façon insistante dans la philosophie africaine.

Yves Bonny regroupe ces critiques en tant qu'elles s'organisent comme mouvements autour du phénomène de domination et d'aliénation, liés à la mise en ordre à caractère symbolique des rapports sociaux : la théorie critique de l'Ecole de Francfort ,(...) ,la critique de la culture et du pouvoir symbolique développée par Bourdieu et son école ,les courants dits poststructuralistes( la démarche de déconstruction des discours sociaux), ...les cadres et concepts théoriques issus de tous les domaines d'étude où les questions d'identité et de subjectivation occupent nécessairement une position centrale(études sur l'ethnicité ,le genre ,l'homosexualité ,les situations postcoloniales ,les zones frontalières mettant en rapport le « Nord » et le« Sud »-à l'exemple des Chicago studies -,les positionnements subalternes ») ».602(*) Comme se présentent, le centre et la périphérie, ainsi de suite.

En résumé, sur les bases du relativisme,  on est amené à développer la thèse de la pluralité et de l'incommensurabilité des systèmes de connaissance, ce qui signifie que l'on ne peut jamais les juger d'un point de vue extérieur, et qu'ils ont tous la même valeur.

Sur la relativité, Searle pense en définitive qu'un énoncé vrai peut être un système d'énoncés vrais mais incommensurables par rapport à d'autres énoncés ou schèmes conceptuels tout aussi vrais à propos d'un même objet (coréférentialité).

3.7. Epistémologie américaine et influences subies par John Searle 

Malherbe dit ceci : « avant de tracer les grandes lignes du modèle d'acte de langage élaboré par Searle, il est nécessaire d'introduire quelques notions.»603(*). Nous voulons maintenant, et cela avec insistance dire qu'on peut voir que le programme scientifico - philosophique de Searle est issu des débats d'un point de vue épistémologique anglo-saxon, et cela autour de deux termes : le sens et la référence. Justement, l'épistémologie anglo-saxonne se focalise autour de deux termes de départ inaugurés par Frege : le sens et la référence. « G. Frege inaugure la problématique de l'analyse logique du langage en instaurant la distinction devenue classique, du sens et du référent d'une expression ».604(*) Ainsi sa théorie selon laquelle la tâche de la logique est de repérer les énoncés dépourvus de sens, sert en quelque sorte d'arrière-plan à l'ensemble des discussions ultérieures, même celle de John Searle.

Dans une optique que nous n'allons pas privilégier ici, la philosophie du langage idéal, Searle cherche les conditions qui rendent vrais les énoncés à propos du monde, ipso facto sur le monde social. L'analyse porte sur les rapports entre le langage et le fait institutionnel, c'est-à-dire sur la structure de l'énoncé et celle des faits. Cette analyse de Searle consiste à étudier la structure du monde, en l'occurrence, la structure du monde social et institutionnel dans leur rapport avec le langage.

La théorie de l'ajustement renvoie au concept central d'adaptation dans le constructivisme. « Il nous faut un terme général pour évaluer le succès et l'échec de nos représentations à réaliser un ajustement qui ait la direction d'ajustement des mots vers le monde et ces termes, entre autres termes importants, sont « vrai » et « faux » ».605(*)

Par « conception substantielle », Searle, entend une conception selon laquelle il n'y a vraiment pas de faits non linguistiques dans le monde, et selon laquelle les énoncés sont vrais parce qu'ils entretiennent réellement certaines relations avec ces faits, relations que nous découvrons diversement comme des relations d'ajustement, d'adéquation, de présentation, ou de correspondance aux faits ».606(*) Searle table sur l'usage des mots, parce que «pour tout énoncé vrai, il y a un fait correspondant, parce que c'est de cette manière que ces mots sont définis ».607(*) 

La notion de « fait » par exemple, chez Searle sert précisément à exprimer ce qui se tient en dehors de l'énoncé mais le rend vrai, ou ce en vertu de quoi il est vrai, s'il est ».608(*) Searle fait ici recours à une version de la théorie de la vérité - correspondance qui spécifie un énoncé à propos d'un énoncé. « Les faits sont ce qu'énoncent les énoncés (quand ils sont vrais) : ils ne sont pas ce sur quoi portent les énoncés ».609(*) Nous avons besoin de termes généraux pour désigner les comment -sont - les-choses -dans - le - monde, et « fait » est l'un d'entre eux. «Situation » et « état de choses » en sont d'autres ».610(*) C'est déjà ici de l'ontologie sociale en tant que compréhension des termes centraux de la théorisation sociale. Nous pouvons voir déjà ici la métaphysique développée par Ludwig Wittgenstein dans le Tractatus logico -philosophicus (le monde est tout ce qui est le cas).

Searle précise ici que  sa «recherche est une entreprise de style wittgensteinien appliquée aux jeux de langage que nous jouons avec ces mots, et son but est de dissiper les fausses images engendrées par nos contresens sur les jeux de langage »611(*). Le monde c'est le Fait, l'universel, le terme général. Ce rapport entre le sujet et l'objet (la sémantique) s'affine en philosophie analytique ; cette relation entre le sujet et l'objet qui polarise la réflexion dans la philosophie mentaliste devient justement sujet, objet et usager (la pragmatique). Le rapport entre l'énoncé et le monde n'est pas mentaliste.

Il n'y a à proprement parler aucun rapport entre le langage et le monde. Il veut savoir comment s'élabore la connexion. Il part de la question suivante : de quoi dépend la vérité de l'énoncé ? Un énoncé sur le soleil, par exemple, est seulement vrai en gros.612(*) A plus forte raison, celui des sciences humaines. Il passe à une compréhension analytique du concept de « vrai ». Il examine d'un point de vue de la philosophie du langage les conditions qui rendent les phrases ou un système d'énoncés vrais.

« Le mot « fait » (là est son statut)- de même que dans certains usages, celui de « situation » et d' « état de choses »- a fini par devenir le terme général désignant les producteurs de vérités (les conditions qui rendent les phrases vraies) ».613(*) Mais aussi, le mot  « correspondance »n'est qu'un terme général désignant toutes les manières par lesquelles les phrases sont rendues vraies en vertu des faits qu'elles décrivent. La vérité est une interprétation langagière infinie, un énoncé à propos de l'énoncé. La science est prise ici comme discours à propos du monde.

Les faits, en un mot, ne sont pas de choses extralinguistiques614(*). Ce sont des formes a priori et des catégories interprétatives. « Les faits ne sont pas des objets complexes, pas plus que des entités linguistiques : ce sont plutôt les conditions plus précisément, ce sont des conditions du monde qui satisfont aux conditions de vérité exprimées par les énoncés »615(*). Nous imposons au monde dans le processus de connaître, nos formes a priori du langage, de même nous imposons les fonctions à la réalité brute.

3.7.1. Le paradigme cognitiviste chez Searle et la taxinomie des faits

Searle présente dans ce programme naturaliste des états mentaux au niveau des processus cérébraux. Nous avons à la base des faits de la physique (les physiques bruts), ensuite les faits de la cognition (les faits mentaux), les faits biologiques et au sommet d'une sorte d'arbre de Porphyre les faits sociaux (faits institutionnels). Il tend à unir les faits mentaux (croyance, désir, etc.) aux actes du langage (communication, souhait, etc.).

Le schéma reprend chaque fois la double structure du langage, la partie propositionnelle ou un énoncé et la partie référentielle, les faits, les faits mentaux, les faits sociaux ou les faits institutionnels. Pour John Searle son schéma global des Faits est toujours nécessairement saisi par un énoncé. Le tableau peut se lire à chaque niveau de l'énoncé au fait.

Le tableau nous donne au premier pallier en dessous de Faits, des Faits physiques bruts indépendants de nos représentations humaines et leur ontologie fondamentale ou la structure invisible inhérente ainsi que l'ontologie des Faits mentaux et des faits sociaux collectifs dépendant de nous. Ils comprennent l'ontologie des faits sociaux- ce processus explicite sous-jacente de création des faits liés à une intentionnalité, à des règles constitutives.

A propos des faits physiques bruts, qui sont indépendants de nos représentations, Searle s'inspire d'une approche de sens commun. Les états psychologiques ou les attitudes propositionnelles ont tout aussi une structure publique et donc non mentale. Searle ne rentre donc pas à strictement parler à une thèse mentaliste. Il est ambigu, il y rentre et il n'y rentre pas totalement.

Ce schéma peut être développé à chaque articulation. L' « institution » de l'argent provient d'une assignation ou de l'imposition collective d'une fonction au moyen des règles dites constitutives. La proposition linguistique (ceci est de l'argent) subit des traitements divers, l'impositions collective de la fonction- statut (ceci est de l'argent, celui-ci est un homme, ceci est un tournevis, etc.) : à la suite de la théorie performative et de la logique illocutoire, l'argent, le mariage, la guerre, la révolution, la propriété, ou tout autre institution établit un rapport de puissance, de droit, de responsabilité, etc.

Faits

  I

-----------------------------------------------------------------------

I I

Faits physiques bruts Faits mentaux

(Il y a de la neige sur le mont Everest) (J'ai mal) 

-------------------------------------------------------------

I I

Intentionnels Non intentionnels

(Je veux boire de l'eau) (J'ai mal )

-----------------------------------------------------------------------------

I I

Intentionnels Singuliers Faits sociaux collectifs

(Je veux boire de l'eau) (Les hyènes poursuivent un lion)

-----------------------------------------------------

I I

Assignation de fonction Toutes les autres

(Le coeur a pour fonction de pomper le sang) (Les hyènes poursuivent un lion)

-------------------------------------------------------------------------

I I

Fonctions non agentives Fonctions Agentives

(Le coeur a pour fonction (Ceci est un tournevis)

de pomper le sang)

------------------------------------------------------------

I I

Fonctions agentives fortuites Fonctions -statuts

(Ceci est un tournevis) (Ceci est de l'argent)

------------------------------------------

I I

Linguistiques Non linguistiques

(Cela est une promesse) (Ceci est de l'argent)

3.7.2. La théorie de la réalité sociale et le social chez John Searle 

John Searle pense qu'en cas de précarité sociale la « situation s'améliorera s'il existe un système de droits faisant l'objet d'une reconnaissance collective, de responsabilités, de devoirs, d'obligations, et de pouvoirs qui viennent s'ajouter à la cohabitation et à la possession physique brute- et qui soit en définitive susceptible de se substituer à elles ».616(*) Autrement, il faut un système des valeurs faisant l'objet de reconnaissance collective qui appelle des vertus et des moyens moraux de responsabilité, de devoirs et d'obligations pour les réaliser.

Le changement social est donc chez Searle une affaire de la reconnaissance collective des droits, de cohabitation et de possession physique brute. Or, ces conditions sont loin d'être acceptées, que « les dispositifs logiquement plus primitifs (évoluent) jusqu'à devenir des structures institutionnelles dotées de fonctions -statuts collectivement reconnues ».617(*)

3.8. Conclusion partielle

L'oeuvre constructiviste de John Searle est particulière par l'approche analytique et son retour critique sur une approche plutôt `mentaliste'. Ce retour mentaliste lui donne l'occasion de trouver des points d'encrages avec le causalisme et l'essentialisme d'Emile Durkheim en tant que fondateur des sciences sociales. A partir de ce moment, il renouvelle dans la mouvance constructiviste, en vogue, le débat sur la « réalité sociale », objet premier des sciences sociales au moyen d'une question pérenne en philosophie, celle de l'Etre et du Devenir. Il découvre par la voie analytique le concept de back- ground pour dépasser l'intentionnalité qu'il restaure dans sa critique à l'approche structuro-fonctionnaliste. Il situe la discussion sur plusieurs plans : naturaliste, analytique, intentionnalite, logique, causaliste, etc. Bref, il procède non de façon oratoire, mais reconstructiviment, en considérant les acquis de l'Histoire des sciences sociales. Une oeuvre aussi grandiose ne manque pas de faiblesses ; c'est ce que nous allons tenter de dénicher dans le chapitre qui suit.

Chapitre  IV:

Portée, limites et dépassement de l'oeuvre constructiviste de John Searle au moyen du concept de Kheper

4.0. Sommaire du chapitre

Le chapitre III a essayé de présenter l'oeuvre constructiviste de John Searle. Dans le présent chapitre, nous tenterons d'étudier en profondeur les arguments de John Searle afin non seulement de décrypter ses mérites mais, aussi, de surprendre ses faiblesses en même temps qu'il nous sert de tremplin pour son propre dépassement. Nous allons ensuite tenter un dépassement du constructivisme searlien par la clarification qu'apporte la notion de kheper. A Ce niveau la réflexion a deux grandes parties : dans la première nous entreprenons de situer le constructivisme searlien dans le paradigme onto-théologique au moyen du concept de kheper issu de traditions africaines. Ce concept est justement reconstruit dans l'approche structuro-fonctionnaliste, d'une part, et d'autre part, dans l'approche pragmatique et cognitiviste de John Searle. Dans la deuxième partie, nous initions dans le contexte de l'Afrique une auto- critique de l'ordre institutionnel de la doctrine de Kheper. Ce chapitre IV se veut ici résolument dialectique entre la théorie et la pratique. Sur le plan pratique et institutionnel, il s'agit de parer au mépris que représentent les vues ethnologiques de John Searle d'une science sociale qui s'élabore dans les arcanes de visées de domination qui continue par ailleurs, pour la restauration de la justice et des normes communes de vie. Ces analyses supposent donc une indispensable auto - critique nécessaire et la stigmatisation des limites institutionnelles de l'Afrique traditionnelle et moderne.

Nous voulons donc tant soit peu contribuer à l'effort de saisie plus critique et davantage constructive de la « réalité sociale » qui débouchera sans doute à l'exigence de la justice, d'auto -critique et des normes de rationalité pour éviter son effondrement que nous vivons aujourd'hui.

Dans la première partie, l'étude tente de montrer que le concept de Kheper (la loi de la transformation du Devenir) donne des variantes tels l'apeiron d'Anaximandre ou le Devenir infini, et l'hylémorphisme de Stagirite, et bien d'autres. Ce kheper pourrait aider à remettre à l'endroit spécialement l'approche fonctionnaliste d'Emile Durkheim et le structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Car le concept de Kheper peut être aussi pensé pour construire un ordre institutionnel à la hauteur de la complexité des sociétés contemporaines. Disons que les institutions sociales mondiales actuelles, mutatis mutandis, se trouvent dans l'urgence de se redéfinir face au processus complexe que nous appelons la mondialisation. A ce propos, les questions de la philosophie du droit occupent dans notre analyse une place centrale.

Nous commençons par établir un modèle de tradition africaine qui donne tout son sens aux présupposés de la théorie des actes de langage et des attitudes propositionnelles chez Searle. Par la suite, nous introduisons les notions de faillite institutionnelle telle qu'elle est vécue en Afrique et dans le monde ,dans une discussion depuis le principe de l'émergence de la modernité économique et juridique jusqu'au phénomène de la mondialisation. Ceci nous donne l'étendue d'un essai de dépassement de notre monde commun. Ainsi cette discussion culmine-t-elle dans la recherche commune de la justice et de l'égalité.

Cependant, pour rester cohérent avec nous -mêmes, la philosophie du droit ici est présentée d'un point de vue à dominance historique qui suppose la philosophie du droit de l'Afrique antique, en tant qu'elle croise le point de vue à dominance conceptuelle.

Notre objectif de recherche est justement celui de tenter de voir clair en disposant des repères et des points de départs d'une discussion fort tentaculaire qui doit être bien plus ratissée, c'est-à-dire, dans le cas d'espèces de resituer dès le point de départ dans la question de  la construction de la réalité sociale  en philosophie.

4.1. La portée de l'oeuvre constructiviste de John Searle

4.1.1. Apports positifs

La pensée de John Searle est fondamentale, et de grande portée théorique en sciences sociales et humaines. En fait, la reconstruction théorique de Searle s'efforce de traverser plusieurs tendances, théories, courants et écoles, (évolutionniste, fonctionnaliste, structuraliste, cognitiviste, philosophico- analytique, logique, etc.), rejoignant certains et s'opposant de plusieurs côtés à d'autres courants tels que le  structuro- fonctionnalisme d'Emile Durkheim, le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, le behaviorisme de Willard Van Orman Quine, etc. A propos, pour Fabrice Clément et Laurence Kaufmann, « Searle (...) se rapproche d'une perspective fonctionnaliste ».618(*)

John Searle que nous avons pris comme réflecteur rejoint la mouvance actuelle en épistémologie des sciences sociales, d'autant plus que, la connaissance de l'environnement social a été diversement thématisé au cours de l'histoire des disciplines. Elle a oscillé entre trois statuts :

- Celui de l'obstacle épistémologique : ce que nous croyons savoir du social n'est qu'un ensemble des préjugés ou des « prénotions » ;

- Celui de l'objet d'étude : ce que les individus pensent de leur monde, à une époque donnée, dans une culture donnée, doit être étudié avec autant de minutie que les diverses traces objectives disponibles ;

- Celui du fondement : la connaissance « ordinaire » est ce sur quoi s'enracine toute possibilité de compréhension du social. C'est cette dernière voie qui aujourd'hui semble bien l'emporter. 619(*)

Le programme de John Searle endosse l'unité des sciences comme « hypothèse de travail » : les sciences sociales se situent au sommet d'un édifice dont la base est la physique et les étages immédiatement inférieurs, la psychologie et la biologie. Ces différents programmes dits de « naturalisation » des sciences humaines et sociales adoptent implicitement ou explicitement l'unité des sciences comme « hypothèse de travail ».620(*) Une telle démarche exige de déterminer les relations entre les philosophies et les sciences sociales et humaines.

Quelle utilité pour ces efforts d'intégration épistémologique ? Tous ces efforts apparaissent à la suite du constructivisme social comme une remise à plat pour comprendre en profondeur la réalité sociale qui se dérobe à nos grilles de lecture traditionnelles. Notre lecture de Searle tente de mettre ce programme en exergue.

Le projet de John Searle est en effet programmatique, il comprend « les multiples dimensions de la réalité psychologique et sociale sans imposer une rupture, aussi bien horizontale - entre l'arrière-plan pré-intentionnel (les règles ou l'arrière-plan) et les états intentionnels -que verticales- entre les individus et les structures collectives. »621(*) Connexionnisme oblige, le programme est similaire à la grammaire élaborée par les sociologues qui décrit la manière dont les individus parviennent à gérer leur insertion dans le social.

En effet, John Searle a ceci d'intéressant qu'il combine la révolution linguistique et pragmatique en philosophie et le cognitivisme. Pour nous, tel que Searle présente le cognitivisme, il poursuit la critique du mentalisme et donc n'incarne peut être pas une révolution à proprement parler. La pragmatique de l'esprit est justement la théorie qui illustre l'effort de John Searle de transformer le statut des états Intentionnels pour les rendre conformes à celui des actes du langage. Cette transformation devait s'avérer importante pour les sciences sociales.

L'ambition de John Searle est bien plus grande ; il écrit en effet : « comme ces questions touchent, pourrait-on penser, à des problèmes de fondements pour les sciences sociales, on pourrait supposer qu'elles ont déjà été abordées et résolues par ces diverses sciences, et en particulier par les grands fondateurs des sciences sociales du XIX e siècle et du début du XXe siècle. Je ne suis certes pas expert en la matière, mais pour autant que je puisse en juger les questions que j'aborde dans ce livre n'ont pas reçu de réponse satisfaisante dans les sciences sociales. Nous devons beaucoup aux grands philosophes -sociologues des XIX e siècle et XXe siècle - songeons notamment à Weber, Simmel et Durkheim-, mais d'après l'impression que je retire de ma fréquentation de leurs travaux, ils n'étaient pas, me semble-t-il, en position de répondre aux questions qui me préoccupent, parce qu'ils ne disposaient pas pour cela des instruments nécessaires. En d'autres termes, et pour des raisons qui ne leur sont pas imputables, il leur manquait une théorie adéquate des actes de langage, des performatifs, de l'intentionnalité, de l'intentionnalité collective, du comportement régi par des règles, etc. ».622(*)

Searle maintient la structure des questions de nature englobante : « la théorie des actes de langage se présente en partie, dit-il, comme une tentative de réponse à la question suivante : comment passons-nous, dit-il, de la physique des énonciations à des actes de langage doués de signification, effectués par des sujets parlant et écrivant ? ».623(*)

Nous pouvons dire, à propos de la méthode que John Searle opère une double reconstruction, celle qui est historique, entendue comme une étape méthodologique qui « replace » des concepts ou une thèse ou encore leur restitution dans des traditions philosophiques ou scientifiques antérieures pour voir en quoi ils innovent. Nous pouvons dans le cas d'espèce parler des concepts ou des théories des actes de langage, de l'Intentionnalité, de l'Intentionnalité collective, des comportements réglés par des normes, de background, etc., dans la tradition scientifique des philosophes -sociologues fondateurs des sciences sociales tels que Emile Durkheim, Max Weber ou George Simmel. Ainsi, nous sommes- nous appesantis sur le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, etc.

Nous pouvons voir comment Searle intègre le point de vue internaliste dans sa philosophie. John Searle n'hésite pas à revenir à la « philosophie de la conscience » longtemps transformée par sa révolution pragmatique dans la philosophie du langage. Toutefois, nous pouvons percevoir le fait avéré que ce n'est pas un courant homogène, il n'est pas un programme de recherche univoque.  Cette reconstruction se voulait analytique - au sens de la philosophie du langage dans sa phase pragmatique- et cognitive. C'est l'arrière-plan théorique. La construction de la réalité sociale analytique se démarque de la construction de la réalité sociale non analytique. Les deux approches partagent cependant, un point de départ commun : les sciences sociales et humaines réagissent aujourd'hui dans une mouvance théorique entendue comme remise à plat des théories sociales traditionnelles face à la profondeur de la réalité sociale souvent tronquée, toujours changeante et dynamique : la crise récurrente des gestions publiques, les mutations sociales et culturelles, etc.

Ainsi, sous le label de « constructivisme social » cette mouvance scientifico- philosophique renvoie ultimement au besoin de révisitation des grilles d'analyse et de lecture de la réalité sociale forgées en sciences sociales. Cette reconstruction englobe l'élaboration d'une ontologie sociale entendue comme une nouvelle réflexion sur le sens des concepts fondamentaux en sciences sociales et humaines et la relation qu'ils entretiennent entre eux et une construction d'un noyau conceptuel servant de fondement théorique général.

Un tel programme épistémologique tente de décongestionner l'affrontement des grands paradigmes à visée totalisante, la profusion des hybrides théoriques et l'hermétisme des écoles rivales, en remettant en cause les sciences sociales et humaines qui, faute d'un minimum de consensus conceptuel, multiplient les terminologies et les niveaux de description. L'abondance conceptuelle va à l'encontre du principe analytique de parcimonie, le fameux « rasoir d'Occam » selon lequel il ne faut pas élaborer inutilement de nouveaux concepts pour expliquer des phénomènes si ceux -ci peuvent être ramenés à des entités dont l'existence est avérée. Une telle « économie » conceptuelle a l'avantage de permettre le rapprochement de phénomènes apparemment incommensurables au sein d'une même armature logique et de discriminer précisément les entités qui sont susceptibles d'avoir une portée explicative.

4.1.2. Les difficultés d'analyse de John Searle

4.1.2.A. Flottement des concepts centraux

En épistémologie des sciences sociales et dans les disciplines qui se préoccupent sérieusement de savoir ce qu'est la réalité sociale, le phénomène social, le fait social, les objets sociaux, et autres concepts semblables, il n'existe pas d'unanimité, mais plutôt des points de focalisation différents. Nous retrouvons dans la théorisation de John Searle plusieurs focalisations :

- Les faits institutionnels tels que les normes (ce qui est prescrit, permis, recommandé, etc.), l'argent, la propriété, et autres phénomènes collectifs du genre ou la valeur qui leur sont liée (impartialité, fidélité, honneur, etc.).

- Les faits structurels (le pouvoir et sa distribution, le pouvoir et son prestige, le statut économique ou légal, etc.).

- Les fonctions d'activités sociales et les impératifs fonctionnels des groupes ou des sociétés (c'est-à-dire ce qui est nécessaire au maintien ou à la survie des groupes ou des sociétés).

- Les actions individuelles et collectives en tant qu'elles sont orientées significativement vers autrui.

- Le rôle des croyances collectives et individuelles.

- Les phénomènes collectifs en tant qu'ils sont les effets voulus ou non voulus d'actions intentionnelles individuelles.

John Searle laisse de côté d'autres phénomènes tels que les données agrégés, par exemple, le taux de chômage, de suicide, les changements de structure familiale ou de pratiques religieuses, la socialisation, etc., utiles dans la compréhension et la résolution des problèmes sociaux.

A propos, la reconstruction de John Searle au sujet de la définition des concepts de la réalité sociale, de phénomène social, de fait social, des objets sociaux, et autres concepts ,est de nature globalement conceptuelle ou synchronique : « la philosophie des sciences « analytique »issue de la philosophie du langage est, dans ses tendances dominantes, conceptuelle plutôt qu'historique ».624(*)

Pris positivement :

1/ Ces travaux « se livrent par la discussion rationnelle et la synthèse(...), à un effort d'intégration souvent décisif, rendant possible une vision simultanément globale et analytique de la réalité sociale. Ils sélectionnent et articulent les niveaux pertinents et construisent un indispensable « tableau d'ensemble »,

2/ ils proposent (...) des révisions conceptuelles, des ajustements théoriques, des formes d'articulations des programmes participant de l'indispensable travail d'autoréflexion des disciplines sur elles-mêmes »,625(*)

3/ ils permettent ainsi aux chercheurs, suivant leur sensibilité, de substituer à leur vulgate de référence une base raisonnée et épurée de travail, susceptible de susciter de nouvelles interrogations, d'ouvrir de nouveaux champs d'investigation ou de renouveler la lecture de phénomènes connus.

Pris négativement, à la suite de Jean-Michel Berthelot, nous pouvons dire qu'il y a « deux limites fondamentales qui, sans invalider ni dans leur fond ni dans leur visée, marquent au fer rouge la spécificité - de fait, sinon de droit- de l'espace de connaissance où ils s'élaborent. Ces théories, systématiquement bâties sur un modèle conceptuel et non propositionnel, laissent dans l'indétermination les modalités de leur mise en oeuvre. (...) ».626(*)

4.1.2.B . Contradictions constructivistes de John Searle

Searle emprunte son concept d'arrière-plan à plusieurs sources, notamment chez Wittgenstein sans trop le dire. Sandra Laurier avance en 2001 la thèse selon laquelle pour John Searle l'oeuvre du second Wittgenstein porte essentiellement sur l'Arrière-plan. 627(*) Sandra Laurier tente de donner les différents usages de ce mot. Elle nous montre deux représentations de l'Arrière-plan (background) : premièrement, celle qu'adopte John Searle à partir de Wittgenstein II : les institutions constituent l'arrière-plan qui nous permet d'interpréter le langage, de percevoir, et de suivre des règles sociales, sans forcément les connaître. Et deuxièmement, le terme d'arrière-plan (Hinterground) apparaît dans les Investigations philosophiques pour indiquer une représentation que nous nous faisons (paragraphe 102), cela n'est pas pour expliquer quoi que ce soit. Ainsi, l'arrière-plan ne peut avoir de rôle causal, car il est le langage même -nos usages ordinaires. L'arrière-plan est le train de vie (das Getriebe des Lebens). Ainsi donc, les statuts normatifs sont, pour Brandom, en bout de ligne, constituées par des attitudes et des évaluations normatives.

Nous disons que les reprises reconstructives scientifico - philosophiques de John Searle que nous avons présentées dans le chapitre précèdent laissent transparaître, de plusieurs côtés, des contradictions. Tantôt John Searle soutient le fait que les hommes ordinaires construisent la réalité sociale parce que celle-ci n'est pas simplement donnée, qu'il s'agisse des faits institutionnels comme l'argent, du mariage, de la propriété, de procès, des normes, de l'avocat, du cuisinier, etc. La société apparaît à partir de l'homme ordinaire comme surgissant d'une trame compréhensive d'expériences, d'un creuset des conversations multiples, permanentes et ininterrompues. Dans cette optique, le constructivisme social rejoint le point vue de la révolution pragmatique en philosophie : tout langage est toujours constructif, les concepts explicatifs de base dans les études sociales sont toujours déjà constructifs, et ne sont jamais descriptifs: qu'il s'agisse des mots, des a priori conceptuels ou des principes théoriques. Tantôt, il part de la construction de la réalité sociale des savants, c'est-à-dire des concepts centraux de causalité, de raison, des catégories, d'agent, de structure, de Tout et de ses parties, etc. En somme, ce programme analytico-cognitiviste et critique tente de remettre au point de départ la construction théorique de la réalité sociale des savants et de la rapprocher de la construction sociale de l'homme ordinaire. Searle oscille donc entre une option a posteriori de construction sociale contre une option a priori de construction théorique des savants. Ceci fait que Searle intègre des approches en sciences sociales fort nombreuses.

John Searle combine les deux conceptions, savante et ordinaire, ayant en plus ceci de particulier qu'il interprète les données de base non seulement philosophiquement mais surtout en termes de sciences sociales centrés sur l'élaboration des faits sociaux. Devant cette abondance d'approches et d'écoles, son oeuvre est tout simplement traversée par des options théoriques antithétiques et des paradigmes contradictoires. En philosophie analytique de John Searle présente une reconstruction philosophique des paradigmes qui sont tout aussi antithétiques , le langage idéal et le langage ordinaire doublé du mentalisme cognitiviste.

Très tôt, dans une perspective que nous qualifions de pré-constructiviste, alors qu'il présente son ouvrage monumental intitulé Les actes du langage en 1969, John Searle adopte une posture double et une optique qui se comprennent à travers une double conception à la suite de deux tendances de la philosophie du langage - que l'on comprend par rapport aux deux types de travaux de Ludwig Wittgenstein - que John Searle entend être complémentaires.628(*) John Searle, de la philosophie du langage, il revient aujourd'hui sur le thème de la conscience. Il tente d'ajouter ainsi à cette démarche qui relève de la révolution linguistique et pragmatique les points de vue internalistes. Le renversement de la situation aboutit au fait que la philosophie de l'esprit et de l'action chez John Searle englobent la philosophie du langage. Le langage et la conscience y apparaissent comme des entités émergentes du substrat biologique. Il reprend en somme les concepts mentaliste et phénoménologique, auxquels il s'opposait avec sa théorie des Actes de langage dans un réceptacle mêlé des a priori de la philosophie analytique du point de vue pragmatique. Ainsi son système apparaît comme une oeuvre de génie mais en même temps, pour le moins contradictoire, ambiguë sinon teintée d'une dose d'idéologie libérale manifeste. Tout dépend de la grille de lecture dont on dispose. Ce préjugé est renforcé d'un point de vue théorique par son passage des questions épistémologiques et logiques à l'ontologie sans ménagement. Selon Fabrice Clément et Laurence Kaufmann il «confond le modèle de la réalité avec la réalité du modèle ».629(*) 

La portée de la reconstruction searlienne sur l'Afrique est lié au programme searlien qui porte la marque de son projet de départ inscrit dans son livre monumental Les Actes de langage, essai d'une philosophie du langage, qui contenait déjà son approche rivée sur deux paradigmes :la philosophie du langage à la fois idéal et ordinaire, et les concepts centraux de sa théorisation sociale ( fait institutionnel, règles constitutives, régulatives, etc.) Ce livre reconduit les deux options de la philosophie analytique qui lui donne la latitude d'oeuvrer sur un espace théorique fort large mais ambigu. Le passage de l'analytique au cognitivisme comme théories internalistes est truffé également des contradictions du même genre. De la philosophie du langage, Searle rejoint donc plusieurs approches internalistes en sciences sociales (i.e., le fonctionnalisme d'Emile Durkheim) à partir d'une approche reconstructive. Une telle entreprise grandiose n'a pu éviter à propos de la reconstruction africaine des apories ethnologiques et de la violente symbolique.

La théorisation sociale de John Searle est l'intentionalisation et  repragmatisation cognitiviste des approches très diverses. Ainsi, tantôt l'ordre social repose sur la force du récit partagé entre les acteurs en tant que manières dont la communication participe à la construction de la réalité, pour l'homme ordinaire, tantôt l'ordre social est soumis au background. 630(*)

Ce problème est celui de comprendre Searle face aux ravages induits par un type des sciences sociales qui a cours en Afrique, en l'occurrence l'ethnologie par rapport à la question de la décolonisation intellectuelle. Il existe encore des usages des notions ethnologiques chez lui telles « les sociétés sans écriture »qui suppose des sociétés de manque substantiel. Or, Guy Rachet commentant Le livre des morts des anciens égyptiens affirment dès la première phrase la note qui suit : « l'écriture apparait dans la vallée du Nil à la fin du IVe millénaire avant notre ère ».631(*) Même l'écriture syllabique se développe à partir des hiéroglyphes cursif et systématique. Cette question n'est pas principale dans notre analyse mais elle donne matière à réflexion sur les préjugés en sciences sociales occidentales.

En ce qui concerne l'ontologie de l'ethnologie que Searle pratique dans l'usage des termes y relatifs, le projet est justement imbriqué dans plusieurs présupposés qui ont marqué l'émergence du discours ethnologique. Les aborigènes d'Australie, les Noirs d'Afrique et les Indiens d'Amériques, pour ne pas le rappeler, ont constitué un terrain de « bataille » pour des chercheurs innombrables ayant chacun une vision de l'homme : les réformistes, les contre -réformistes catholiques, les humanistes, les rationalistes idéalistes ou réalistes, etc. Leur point commun fut à quelques exceptions près la spécificité de cet Autre de l'Humanité. Justement la vision « rationaliste et réaliste » de Searle le condamne dans des considérations récurrentes. Searle fait également usage outre aux concepts problématiques des « sociétés sans écriture », à ceux des Seigneurs de guerre en Afrique. Tout porte à croire que ces questions doivent encore être revisitées. La réalité sociale africaine semble avoir un statut autre que celui de sociétés civilisées, des sociétés à « histoire écrite », des « sociétés à démocratie » aujourd'hui, elle dépend encore de l'essence d'une Humanité autre. John Searle semble fixer une dichotomie paradigmatique entre la rationalité digne de ce nom qu'il défend de toutes ses forces ,et une sorte de pensée « prélogique » incommensurable qui régente la réalité africaine, des sociétés « sans écriture » dont la force principale de recomposition sociale inhérente est le règne de la violence(les Seigneurs de guerre).

L'attitude de John Searle de ce point de vue théorique est celle de subordonner les structures logiques à la réalité sociale empirique. Il y a plusieurs critiques que l'on adresse à John Searle. Searle fait en effet appel à certains systèmes logiques pour présenter sa théorie de la construction sociale. Pour Fabrice Clément et Laurence Kaufmann, Searle « tend à confondre, le niveau logique de ce qui doit théoriquement être le cas et le niveau ontologique des causes qui déterminent ce qui est effectivement le cas. Or, l'enquête logique appartient à un mode formel de description de la réalité qu'il ne faut pas confondre avec les propriétés de la réalité elle-même. Les comportements humains peuvent être décrits en termes de règles bien qu'ils n'obéissent pas à des règles ». 632(*)

Les critiques de Fabrice Clément et de Laurence Kauffmann, dans Le monde selon John Searle, sur cette question sont claires : l'usage que Searle fait de la logique n'est pas légitime, affirment-ils. D'où, « la précarité de l'argument logique » de Searle.633(*) Searle « tend à confondre le niveau logique de ce qui doit théoriquement être le cas ».634(*) Le modèle structural fait glisser l'interprétation anthropologique de l'ordre de la réalité sociale à l'ordre de la pensée symbolique, de l'ordre du concret à l'ordre de l'abstrait. Ceci est un « défi pour l'identité propre du théoricien disposant comme observateur ou analyste d'un pouvoir de totalisation (propre à l'ordre du discours) ».635(*)

Sur le plan paradigmatique, le reproche que nous lui adressons, qui sera exposé dans ce chapitre, est qu'il aborde des questions ouvertes qui ne peuvent être tranchées d'un coup. Sa stratégie est très féconde, et le maintient longtemps dans l'actualité scientifique, comme en témoigne son livre monumental Des actes de langage qui reprend dans une visée unitaire la révolution linguistique de Ludwig Wittgenstein de Tractatus Logico-philosophicus et sa contre révolution pragmatique dans Les Investigations Philosophiques. Ce chapitre ressasse en détails les contradictions liées au choix de Searle de calfeutrer les problématiques indicibles : l'être et le non être. Cette position le fait tanguer entre les deux positions et fait trainer des casseroles. Ceci conforte sa thèse de son « Arrière-plan » non critique à quoi il s'agrippe, des schèmes de pensées finalement non critiques : la question de la culture non occidentale prise comme son préréflexif constitue une sorte d'opinion fixe construite depuis le temps d'esclavage africain et surtout indien. Mais c'est aussi une sorte de reflexe de conservation en ce temps de crise. Cette situation justifie l'essai critique des allusions à l'Afrique que nous amorçons dans ce chapitre à partir des conceptions similaires dont Searle,en les mettant en exergue et continue de se faire l'écho.

Nous critiquons par ricochet les scientifiques africains victimes de la violence symbolique, qui ne manquent pas de talents,mais maintiennent le renouveau des sciences sociales africaines longtemps stériles au lieu d'oser résoudre nos problèmes et la construction des modèles théoriques africains alors que ces modèles de base sont nés en terre africaine, mais, puisqu'aliénés jusqu'à la moelle des os, sans exagérer, ils leurs reviennent sans qu'ils acceptent de les reconnaitre, pire, ils les repoussent de toute leurs forces. Ils sont répétiteurs à souhait et résignés.

Nous introduisons cette partie d'analyse avec une pensée bien opportune quant à notre propos sur une échelle réduite des sciences sociales. Selon Jürgen Habermas en effet, « l'année 1929 a vu paraître un ouvrage remarquable en sociologie intitulé Critique de la sociologie. Siegfied Landshut y développe la thèse selon laquelle c'est la sociologie qui, par la perspective qui est la sienne crée la société ».636(*) Nous pouvons bien sûr le dire également, sans que cela ne paraisse comme une révélation importante, à propos des discours scientifiques dominants de l'ethnologie ou de l'anthropologie sociale et culturelle dans la construction des sociétés africaines. L'anthropologie structurale de Claude Lévi -Strauss, l'approche structuro- fonctionnaliste, et bien d'autres courants y ont participé largement.

Notre discussion appelle la problématique épistémologique des programmes de l'ethnologie passéiste à cause de la persistance des concepts anti-nègres qui ne sont pas, on s'en douterait, évacués même du champ scientifique et philosophique de Searle. L'Afrique Noire est encore placé sous le signe des « sociétés sans écriture ».

Ceci est évoqué à quelques endroits par John Searle dans son ouvrage principal sous analyse La Construction de la réalité sociale. A ce sujet Searle affirme : « Même dans les sociétés sans écriture les pièces (de monnaie) sont facilement reconnaissables comme telles, et ainsi des caractéristiques telles que la forme et la taille marquent le fait conventionnel que l'objet est une pièce. »637(*) Quelques lignes avant, et sur le même sujet, il venait de dire : « depuis des sociétés sans écriture à nos sociétés actuelles, il y a eu de nombreux marqueurs conventionnels qui ne sont pas des mots mais fonctionnent exactement comme tels ».638(*) Dans un autre domaine, il dit à propos de l'Afrique : « dans plusieurs pays africains, il est absolument impossible de dire où finit l'armée et où commencent les bandes armées, ou qui est un « chef militaire » et qui est un « seigneur de guerre » ».639(*) Cette façon de parler de l'Afrique rejoint tout simplement l'esprit des sciences sociales coloniales et une certaine façon de traiter à nouveau frais aujourd'hui cette question primitiviste.640(*) Cette façon trop peu critique de re-construire la réalité africaine par un théoricien de cette trempe semble participer d'un champ intellectuel néocolonial et préjuge d'un esprit ethnologique passéiste préjudiciable.

La réaction à une telle attitude est multiple. Pour nous le concept des « sociétés sans écriture » et ses modalités actuelles est une image fort négative de l'Afrique Noire. Alfred Maury déplore : « De Guignes fait dériver les lettres hébraïques et grecques des hiéroglyphes égyptiens. En cela, poursuit-il, il voyait juste ; (...) ce qu'a montré récemment M.De Rougé, comment la dérivation s'est opérée ».641(*)

Yves Valentin Mudimbe écrit à ce sujet les lignes suivantes : « Il me semble, dit-il, important de noter que la « leçon d'écriture  » que l'on invoque de plus en plus fréquemment pour différencier les traditions africaines et européennes est un critère pour le moins, contestable. Surgi des vues d'esprit d'ethnologues post-primitivistes, on la rencontre, à présent, à chaque détour d'ouvrages philosophiques ou sociologique qui touchent directement ou indirectement aux sociétés non occidentales ».642(*) Il donne très vite ce qu'il considère comme l'origine d'une telle question : « C'est, je crois, dit-il, C .Lévi-Strauss qui, le premier, dans Tristes Tropiques, pose le problème et constate « la possession de l'écriture multiplie prodigieusement l'aptitude des hommes à préserver les connaissances. On la concevait volontiers comme une mémoire artificielle, dont le développement devrait s'accompagner d'une meilleure conscience du passé, donc d'une plus grande capacité à organiser le présent et l'avenir. Après qu'on a éliminé tous les critères proposés pour distinguer la barbarie de la civilisation, il aimerait au moins retenir celui-là : peuples avec ou sans écriture, les uns capables de cumuler les acquisitions anciennes et progressant de plus en plus vite vers le but qu'ils se sont assigné, tandis que les autres ,impuissants à retenir le passé au delà de cette frange que la mémoire individuelle suffit à fixer ,resteraient prisonniers d'une histoire fluctuante à laquelle manqueraient toujours une origine et la conscience durable d'un projet » ».643(*) La connaissance, à la suite de Thomas Kuhn progresse par sauts qualitatifs sinon par ruptures paradigmatiques et non par accumulation écrite. A rebours, si l'écriture n'est pas substantielle dans le progrès de connaissance, à plus forte raison l'oralité.

Mudimbe cite Manga Bekombo toujours à ce sujet : « La responsabilité du savant européen - ou plutôt, sa grandeur- est lourde, dans le processus de production de stéréotypes anti- nègres ; ces stéréotypes, parfois figurés dans une peinture, sont périodiquement utilisés comme arguments, restitués dans le creux de la représentation collective grâce à la manipulation littéraire. Alors, l'exotisme prend son sens : il opère comme la fête, le carnaval, c'est l'explosion instinctive qui valorise davantage encore le prestige de la raison ».644(*)

« Une société sans écriture » est une société de l'oralité ; en tant que telle, elle ne devrait pas faire problème pour un semio-pragmaticien comme Searle. Car justement l'oralité, en Afrique ou ailleurs, est un régime d'actes de parole par excellence ; l'écriture n'est fondamentalement commode qu'à la conservation de la pensée. Pour Ludwig Wittgenstein, parler c'est penser. Parler présuppose un minimum de normes d'entente, ce n'est donc pas un état de nature. Nous allons vraiment y revenir avec force détails.

La violence peut donc être le plus souvent inscrite insidieusement dans des champs scientifiques constructeurs des sociétés. Nous avons évoqué pour cela la question des sociétés dites « sans écriture ». Nous allons une fois de plus l'illustrer.

Pierre Bourdieu note que « l'autonomie des sciences sociales coloniales (ou néocoloniales) était grande envers le pouvoir intellectuel ou le champ intellectuel central ou métropolitain, mais qu'elle était très dépendante du pouvoir local (appareil colonial) ».645(*) Il poursuit : « Une critique nouvelle des accointances coloniales des sciences sociales et humaines s'est affirmée à travers les tentatives d'histoire sociale des institutions savantes, qui est aussi une histoire sociale des intérêts désintéressés des savants ».646(*) Le paradoxe du relativisme culturel ce que « l'ethnologue s'affirme le civilisé par excellence, les civilisés continuant de participer à la barbarie mais en une mesure moindre que les `barbares' ».647(*)

Nous avons tenté d'illustrer cela, par delà la critique de Searle, au moyen des constructions concurrentes des savoirs coloniaux, les dispositifs savants des ecclésiastiques, des laïcs et des autochtones au Congo Kinshasa.

En effet, l'analyse ethnologique porte sur des sociétés dites « primitives ». Le mot « primitif » désignait un vaste ensemble de population dite restée ignorante de l'écriture. L'expression subséquente de « société sans écriture »est encore largement de mise, notamment chez John Searle, en dépit de l'« évolution » de la discipline aujourd'hui, qui amène à« une transformation du contexte d'exercice disciplinaire (pour) engendrer un regard nouveau, susciter une distance réflexive, inviter à une révision du cadre de pertinence.»648(*) Aujourd'hui, « le surgissement de la thématique de l'écriture et du texte, (opère) un déplacement de l'intérêt épistémique de l'objet vers le sujet et une redécouverte de la métaphore centrale de l'herméneutique ».649(*)

Les données ethnologiques problématiques qui sont liées au statut de la construction d'une certaine Afrique se sont étalées sur plusieurs siècles jusqu `à aujourd'hui. Nous allons spécialement examiner cette différence à la suite des aspects théoriques de quelques écrits des spécialistes des sciences sociales dans ce qu'on appelle le Tiers monde. Parmi les noms les plus connus sont certes ceux de Lucien Lévi -Brulh et de Claude Lévi-Strauss. Théophile Obenga donne de manière radicale, une carte historique du champ « ethnologique » sur l'Afrique en plusieurs époques650(*) :

- XVI e - XVII siècle : le mythe du « bon sauvage », Nègre d'Afrique ou Huron d'Amérique. Le nègre esclave, inférieur. Le noir sensuel, arriéré ;

- XIX e siècle : historiographie hégélienne du Nègre, Noir, Africain vivant en marge de la marche de l'esprit dans l'espace et dans le temps, s'incarnant comme « Histoire », sauf chez le nègre d'Afrique ;

- XX e siècle : le primitivisme de toute l'anthropologie de Boas ,Lévy-Bruhl, Lévi-Strauss ,avec la pensée primitive ,la pensée sauvage ,les bantustans,l'apartheid ,l'africanisme,le racisme de l'anthropologie physique , les non- civilisés jusqu'à la moelle des os,le tiers monde,les pays sous-développés ,les sociologies dynamiques,les mutations africaines dans une longue durée de Chrétien,les peuples sans histoire de Moniot,les siècles obscurs de R.Mauny, les Afrique fantôme de M.Meiris,les peuples nus de Max-Pol , les inégalités des races humaines par Gobineau réédité en 1963,l'oeuvre à la fois « surprenante et irritante » de Cheikh Anta Diop par l'enseignant et chercheur en Histoire de l'Afrique François -Xavier Fauvelle -Aymar, le Not Out of Africa de Mary Lefkowitz,le multiculturalisme néo-hégélien d'Arthur Schlesinger (The Disuniting of America : Reflections on a Multicultural Society),l'IQ de Richard Herrnstein et Charles Murray (The Bell Curve),le chamito -sémité de Marcel Cohen, l'afroasiatique de J.H.Greenberg,l'afrisian de Diakonoff, les Hamites de l'ethnographie allemande et belge, relayé par Chrétien qui croit fermement à la différence génétique et humaine entre « Hutu » et « Tutsi »( voir ses articles dans « le Monde »,Paris),etc.

La question africaine est apparue chez Searle comme exhumée dans un champ eurocentrique commun d'une science sociale qui perpétue les problèmes sociaux africains. La science sociale occidentale s'identifie ici à un acte de foi cynique. Pour cela, faudrait-il construire une science sociale afrocentrique ? L'éthique scientifique ne s'accommoderait certes pas dans une telle voie, en dépit des désastres causés par le scientifique européen et de l'appel au multiculturalisme à marche forcée instauré sans aucune forme de procès.

Toutefois, il se fait que devenue étrangère à elle-même, le scientifique africain ne se reconnait plus dans ce qu'il a légué à l'Humanité. Le concept de kheper , la loi de la trasformation du Devenir dans l'analyse du social. C'est la tâche difficile que nous voulons entamer.

4.1. Esquisse de dépassement : Le concept de kheper

4.2.0. Pour une reprise africaine de constructivisme social

Du point de vue des théories et des concepts, il est supposé en général que nous construisons le monde social au moyen du mental, du langage et de l'interaction dans notre oeuvre culturelle à travers des structures profondes qui sont des éléments minimaux synthétisés. C'est autrement dit, la question de « la détermination des activités par la société et de leurs déterminations par les agents individuels ». 651(*) La détermination causale, celles structurale et fonctionnelle qui se systématisent dans le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et dans le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, peuvent être expliquées justement par la notion du Devenir : « lorsque je change je reste le même. Il faut donc combiner le principe de permanence et le principe de changement au lieu de les renvoyer dos à dos. (...) Le principe dit matériel (hyle) est le principe de changement et le principe dit formel (eidos) est le principe de permanence. Eidos désigne le tout et peut être traduit par structure (ou ce qui fait d'une collection de parties un organisé) (...), et hyle désigne les parties ou les éléments du tout. »652(*) Comme on le sait, le modèle de Tout et de ses parties occupe une place centrale dans les sciences sociales classiques. Ainsi « lorsque le tout change de forme (la forme suit le principe de permanence, elle se transforme), ses transformations sont déterminées par les relations entre ses parties, c'est-à-dire entre les composants ».653(*) Il y a donc différents axes de transformation : « l'axe de déterminations horizontales et ce qui détermine (verticalement) le tout et ses changements ».654(*)

Comment se présentent les déterminations de différents niveaux  inhérents au principe du devenir et à celui de l'auto- organisation ? « Pour expliquer le devenir d'une unité à un niveau quelconque, il s'agit donc de décrire comment ses composants au niveau inférieur se rapportent entre eux (déterminations causales ou autres déterminations horizontales : distributionnelle, etc.) (...) Il faut aussi décrire comment les relations horizontales entre les parties déterminent le tout (détermination fonctionnelle) ; et il faut pourvoir décrire comment le tout, ou 'l'arrangement `des parties, détermine celles-ci (détermination structurale, `loi' structurale et `loi' du devenir) à se rapporter entre elles comme elles le font ».655(*)

Nous pouvons joindre la parenté théorique entre l' hylémorphisme , l'apeiron et le kheper égyptien : « Aristote dans son livre la (Physique, a 6) parle de l'Infini d'Anaximandre qui est, `immortel et indestructible' comme élément divin (théion). Il y a donc identité entre to theion (le divin) et to apeiron (l'infini, le devenir infini)».656(*) « L'apeiron d'Anaximandre rappelle bien des aspects du Kheper égyptien qui est un principe infini dans le Devenir, et selon la 'vérité-Justice' toujours jeune en tant que principe de Khepri ».657(*) Dans l'esprit des Egyptiens anciens, il faut ajouter que « la création est un processus. Kheper est bien le principe qui assure la transformation de la matière. (...) L'esprit (la conscience primordiale) se trouve au départ de l'action ».658(*) « Ô pays du silence où se font des choses mystérieuses, qui crée les formes comme khepri ».659(*)

« Au chapitre XVII du livre des Morts, le Maitre Universel, s'exprime de la manière suivante : « c'est moi le Devenir de khepra, lorsque devint pour moi le Devenir des Devenirs après mon Devenir, car nombreux ont été les désirs sortant de ma bouche... »660(*) D'autres versions parlent de la « régénération » ou du Devenir en tant qu'ils sont associés à la notion de l'acte de la parole et de la Conscience Primordiale (ce qui rappelle bien une divinité qui crée par la parole en tant que ce qui sont créés sont les désirs de son coeur).

Au demeurant, il ne nous faudra pas insister pour répéter le fait que tout ce programme, tourne autour de la question de la Régénération ou du Devenir dans ses rapports avec la conscience , le langage et l'action. En témoigne justement la mouvance théorique actuelle de la reconstruction des sciences sociales classiques, en vue de donner la place au processus de signification. Nous y sommes revenus avec quelques commentateurs de Friedrich Hayek, Peter Berger, Jürgen Habermas, Charles Sanders Peirce, etc. En somme, « la loi du Devenir prend en charge tous les éléments et se donne entre autre pour tâche de les faire passer de la puissance à l'acte, d'une puissance d'exister à l'existence ».661(*)

Claude Lévi-Strauss s'est aidé des règles de la linguistique, spécialement de la phonologie pour essayer de détecter les « structures invisibles » de la réalité sociale. Nous pouvons dire que l'approche de Claude Lévi-Strauss considère justement que « la linguistique moderne (est) la route qui mène à la connaissance positive des faits sociaux ».662(*) C'est sur cette base que Lévi-Strauss s'y est pris dans son Anthropologie structurale avec les structures élémentaires de la parenté.

Claude Lévi-Strauss a rappelé par ailleurs l'importance qu'il y avait dans les sciences sociales à ne pas s'en tenir aux formes sociales empiriques pour expliquer les phénomènes sociaux, et il a plaidé pour la nécessité de recourir, au-delà des formes empiriques, à leur structure conceptuelle. Le principe fondamental est que la notion de structure sociale ne se rapporte pas à la réalité empirique, mais au modèle construit d'après celle-ci, écrit-il. Ainsi apparaît la différence entre deux notions si voisines qu'on les a souvent confondues, je veux dire celle de structure sociale et celle de relations sociales. Les relations sociales sont la matière première employée pour la construction des modèles qui rendent manifeste la structure sociale elle-même ».663(*) Et : « Les formes sociales d'association sont des structures, et les modèles théoriques qui les expliquent sont aussi des structures ».664(*)

La géométrie analytique de René Descartes, qui s'incruste dans sa philosophie de la nature, notamment dans son livre intitulé Regulae ad directionem ingenii a, au demeurant, influencé profondément les vues de Claude Lévi -Strauss à l'étude d'un système matrilinéaire plus global composé de quatre types de relations : frère/soeur, mari/femme, père/fils, oncle maternel /fils de la soeur. Ainsi, « la loi peut se formuler comme suit : la relation entre oncle maternel et neveu est, à la relation entre frère et soeur, comme la relation entre père et fils est à la relation entre mari et femme. Si bien qu'un couple de relations étant connu, il serait toujours possible de détruire l'autre. »665(*) Les présupposés en jeu appellent l'étape « microsociologique » où on espère apercevoir les lois de structure les plus générales, comme la linguistique découvre les siennes à l'étape infraphonémique, ou le physicien à l'étape infra - moléculaire, c'est-à-dire au niveau de l'atome ».666(*) Comme « l'atomisme et le mécanisme triomphaient »667(*) à l'époque d'avant Claude Lévi-Strauss, Searle utilise la physique quantique dans son livre intitulé Liberté et neurobiologie. On cherche les lois générales de structures.

L'anthropologie structurale de Lévi-Strauss est justement plus attentive aux formes abstraites (les modèles hypothético-déductifs) qu'aux rapports réels auxquels celles-ci référent, aux discours que les sociétés tiennent sur elles-mêmes (langage de la parenté, le langage de la mythologie) qu'aux pratiques sociales (le fonctionnement concret de ces systèmes). Déjà ces trois axes principaux d'analyse des phénomènes sociaux se présentent comme trois schèmes reconstructeurs principaux en sciences sociales.

Seulement Claude Lévi-Strauss, tel que nous l'évoquons, situe hors du temps et de l'histoire les structures logiques qui sont censées régir la société ; il substitue la relation logique à la relation humaine.

John Searle ,même avec ses actes de la parole, sa logique illocutoire, sa théorie de l'ajustement (adaptation biologique), et autres théories dépendent encore de la philosophie pérenne, celle du Devenir venue des traditions et des cultures immémoriales diverses. En fait, notre relecture voudrait également, dans la même ligne, analyser le naturalisme de John Searle sous l'hypothèse centrale des icônes et des concepts des traditions africaines millénaires qui plongent leur racine dans l'espèce biologique en l'occurrence le scarabée sacré, des traditions et des cosmologies africaines dans lesquelles la création se fait aussi par le Verbe. Ces cosmologies contiennent la théorie de l'acte de langage en tant qu'acte de création mis en avant dans la philosophie analytique, etc.

Nous signalons par ailleurs qu'il ne s'agit pas pour nous, même si un tel prolongement peut être utile dans une étude postérieure d'entrer dans la discussion qui nous mettrait aux prises avec par exemple Hans Jonas sur l'éthique de responsabilité, l'éthique du futur, la gnose, le mysticisme d'un Dieu acosmique ou d'une thématique de la fin de l'histoire.

Ce chapitre s'occupe ainsi du dépassement du naturalisme de John Searle qui se dessine comme la coupe qui contient ses positions cognitivistes, son ontologie générale et son ontologie des faits institutionnels. Les limites de Searle sont liées à une vue d'en haut,celle d'une onto-théologie dans laquelle le naturalisme se trouve enserrée. Ce naturalisme constitue une ontologie qui doit déboucher toujours déjà nécessairement sur la théologie, sur laquelle Searle doit garder silence parce que pris dans la logique d'un type de naturalisme qui ne peut s'auto-transcender. Ce naturalisme contient en lui-même sa propre raison.

Quant à la question de la revendication d'une science proprement « africaine »: « nous traitons la réalité africaine avec des approches venues d'ailleurs », clament implicitement ou explicitement les intellectuels africains, tout récemment Bongeli. Pour nous, cette question recèle un mal entendu grave tant que les concepts à la base de la discussion sont puisés certes dans plusieurs cultures (chez les Milésiens dont Anaximandre avec son apeiron, les Grecs avec la théorie de la forme et de la matière qui donne l' hylémorphisme du Stagirite) mais aussi et bien avant en Egypte, le kheper. Pour nous, il ne faut pas demander à devenir africain ce qui l'ai déjà. Notre position à ce sujet ce qu'on ne peut pas africaniser ce qui est déjà africain. Ceci justifie le fait que ceux qui défendent cette thèse sont tout simplement pris dans un cul de sac parce qu'ils tiennent comme acquis la science occidentale comme épistémé dominante au sens où le noyau théorique de base en la matière provient de l'hylémorphisme d'Aristote alors que nous pouvons aller jusqu'au kheper.

Cette problématique globale inclut la conceptualisation d'Yves Valentin Mudimbe ou celle de la diaspora tiers-mondiste de la question pendante de la décolonisation intellectuelle qui doit se résoudre en dépassant le langage de la modernité en philosophie et en se réappropriant l'épistémè dominante par une critique eurocentrique . Pour nous, il ne s'agit pas d'élaborer un autre discours. Car dans ces conditions le point de vue africain restera toujours une épistémé subalterne dans une sorte d'épistémologie de frontière qui n'élabore pas une reconstruction inscrite dans un régime d'historicité très longue. Le dépassement du langage de la modernité depuis le rationalisme de son fondateur René Descartes nous amène, au point de départ, à un auteur comme John Searle qui fait une reconstruction théorique à partir des sciences sociales classiques ; et la reconstruction historique non eurocentrique nous amène au kheper.

Ainsi, nous relativisons le constructionnisme a posteriori de Sylvie Mesure et de Patrick Savidan dans leur Dictionnaire des sciences humaines, qui pensent que l'enjeu c'est que la construction sociale comme approche envahit toutes les sciences sociales, à cause du fait que la « réalité sociale(...) se transforme en profondeur, (et) résiste toujours davantage à nos grille d'analyse traditionnelles et rend ainsi opaques des univers que l'on croyait jusque là familiers » .668(*) De cela « chacun ressent intimement le besoin de faire à nouveau le point sur ce que nous savons de l'être humain et de la société. (A propos, cette tâche tente de (relever le défi de la compréhension du temps présent (...) des différentes sciences humaines. Anthropologie, sociologie, psychologie, psychanalyse, droit, économie, linguistique, histoire, géographie ».669(*) C'est donc une remise à plat des nos grilles de lecture courantes de la réalité sociale, l'onto-théologie étant prise comme la pierre de touche. C'est plutôt un choix a priori des théoriciens.

4.2.1. Remise en question du naturalisme de John Searle

L'écriture hiéroglyphique symbolise le Kpr (kheper), c'est-à-dire la loi de la transformation du Devenir par le « scarabée  sacré ». Le scarabée place sa larve dans la bouse qu'il enroule, qui, après une période donnée donne un autre scarabée adulte. Ce schéma a inspiré sans doute le naturalisme searlien qui refuse « de chercher en dehors de la nature un principe explicatif de la nature. C'est dans la nature qu'il se trouve, car la raison est dans la nature, soit qu'elle y oeuvre (Dewey), soit qu'elle en émerge à un niveau donné(Sellers) ».670(*) Cette dernière alternative coïncide bien avec la conscience qui, chez Searle, émerge du processus neurophysiologique, d'un processus physicaliste. Dans le naturalisme américain en général « la conscience dans un être qui possède le langage dénote l'aperception (awarness) ou la perception des significations. L'esprit est au corps ce que la raison est à la nature, son entéléchie seconde ».671(*)

Au demeurant, et dans l'ensemble, « héritier de Peirce, le naturalisme américain est métaphysique, d'une métaphysique qui se nourrit de la science, en utilise les méthodes et en adopte les conclusions : il est à la fois ontologique, expérimental et évolutionniste. Peirce, dit Schneider, «conclut la théorie des universaux comme faisant partie intégrante des sciences de la nature et considère son système des catégories comme une analyse formelle des procédés scientifiques et une ontologie ».672(*)  La nature est donc « la somme totale de ses propres conditions », elle est -« l'objet global, les parties observées plus les parties interpolées »- le seul fait existant en soi. L'esprit est un élément de ce complexe, mais il n'est ni sa propre condition ni la condition des autres objets ».673(*) Il n'y a pas une extériorité, c'est donc une doctrine immanentiste.

John Dewey qui est plus proche de William James d'un pragmatisme qui mise sur les résultats de l'action, « dirait volontiers d'ailleurs qu'il n'y a rien à voir dans la nature, pas de substances en tout cas, rien que des transactions. Les distinctions établies entre, `l'homme et le monde, l'intérieur et le public, le moi et le non -moi', le sujet et l'objet, l'individuel et le social, le privé et le public, etc... sont en réalité des parties (au sens de participants : parties) dans des transactions biologiques ».674(*) Le concept d'expérience transactionnelle est central dans sa philosophie ; c'est pourquoi il est considéré par Gérard Deledalle comme un des pères de la démocratie américaine.

Pour la tendance naturaliste, l'égalité, la liberté et la propriété sont déduites des conditions de la Création. Tout ce qui appartient en propre à un individu, ne peut lui être enlevé sans son consentement. Dieu a donné à tous les hommes la possession et la jouissance commune. 675(*) Le naturalisme frise en fin de compte une position religieuse, tout s'explique par la Nature. Le naturalisme biologique s'opère dans une pensée gnostique d'un Dieu acosmique comme le théorise un peu Hans Jonas. Il est important de souligner le fait que la question qui est au centre de notre étude implique tout le réel. Par exemple, à la suite de la notion de processualité du réel, poser le problème de contexte de l'esprit dans la philosophie de l'esprit, c'est poser la question du réel même, vouloir savoir : Quel est le « lieu »de l'esprit ? Jean De Munck pose cette question et tente d'y répondre : pour lui, «  il n'y a pas un dehors et un dedans, un organe spirituel dans une extériorité chaotique, un Moi-qui-pense dans un contexte informe et dénué d'universalité. Si la raison est une procédure discursive, l'esprit ne se tient pas face au monde, mais se mêle à lui, s'y mélange et l'épouse, de sorte que l'un et l'autre se conditionnent réciproquement dans un échange sans fin ».676(*) C'est ce que nous appelons le naturalisme non auto-transcendant. Dans ce sens « l'esprit est, comme le souligne Putnam, intrication pragmatique avec le monde et avec autrui »677(*), affirme De Munckqui ajoute : « Les procédures de l'esprit sont instituées, et ce sont ces institutions qui les ancrent dans les contextes mondains. Inversement, les institutions mettent en forme les contextes d'usage, et les rendent accessibles à l'esprit ».678(*) Il n'y a pas à proprement parler d'extériorité dans une ontologie de ce genre. C'est un immanentisme cosmologique.

Le processualisme du réel ici est internaliste. Et d'ajouter que « l'esprit dénote tout le système de signification en tant qu'incorporé dans les opérations de la vie organique ».679(*) Il faut dire aussi, ce texte le prouve, que le naturalisme est lié à la sémiotique. Or, la sémiotique peircienne anticipe la révolution pragmatique de Ludwig Wittgenstein.

4.2.3. La reconstruction d'un modèle de tradition congolaise

Cette étude tente de présenter épistémologiquement une notion opératoire que partagent toutes les grandes civilisations et subsumer la conception générale à laquelle se réfèrent les philosophies dominantes et même la science en général.

Nous nous situons ici d'un point de vue des traditions typiquement congolaises pour illustrer la composante linguistique de la création de la réalité sociale sous la forme sacrée de la création par le Verbe,le point de départ de la théorie anglo-saxonne des « actes de la parole ». A ce propos T. Fourche et H. Morlighem, dans leurs commentaires de ce qu'ils appellent Une bible noire680(*), ne se limitent pas au travail fort salutaire de conservation de textes et d'une restitution de la pensée ; ils essaient de reconstruire des multiples concepts centraux.

Marc Poncelet affirme que sur le plan strictement épistémologique, en ce qui concerne l'Histoire sociale de la pensée coloniale et congolaise, un des premiers grands débats épistémologiques au Congo est celui qui eut lieu à l'IRCB (Institut Royal Colonial Belge) à l'âge d'or du champ colonial savant des années 30. La tendance dominante était le refus de situer le savoir des autochtones dans le processus général de l'histoire de l'humanité. C'est en l'occurrence le mémoire de Tiarko Fourche et de H. Morlighem médecin et aide -médecin de leur état, parce qu'il « fut ajourné pour sa part pour complément d'information ».681(*) Et pour cause : « L'ethnologie catholique (a) combattu systématiquement toute tentative d'interprétation (considérée comme `hâtive', 'littéraire' ou `spéculative') visant à insérer les observations ethnologiques dans un schéma évolutionniste susceptible de tracer les axes d'une histoire universelle et raisonnée des croyances religieuses humaines ».682(*)

Le tort de T. Fourche et H. Morlighem, chercheurs en médecine naturelle et des techniques phytothérapiques - est d'avoir osé , contre l'avis des ethnologues ecclésiastiques coloniaux ,présenter à propos des congolais des conceptions qui rencontraient d'autres traditions universelles. Les commentaires de T. Fourche et H. Morlighem sur les différents thèmes qu'ils recueillent dans Une Bible noire se réfèrent à la comparaison des traditions congolaises - Luba (Lulua, Songhé, etc.) -Lunda (Pende, Cokwe, Bindji, etc.)- ou à plusieurs grands foyers des cultures tels l'Egypte antique, le Hindou683(*), la conception médiévale, etc.

La création par le Verbe, cette conception dans Une bible noire semble uniquement renvoyer à la tradition de l'Egypte antique : Selon T. Fourche et H. Morlighem,Le « Ku-Ela-Diyi », en tshiluba, émettre une parole (impérative), un ordre, le « verbe » (plur. »Ku-Ela-Meyi »- on dit par exemple à la 2ème et 3ème personne du singuler : Wela Meyi (Ouela Meyi) est comparable dans sa forme et dans son esprit au «  Ouzou Medou »des Egyptiens antiques (Voir A.MORET : Le Nil et la Civilisation Egyptienne ,page 439). Mais dans le langage courant, cette expression, qui garde en certains cas toute sa valeur impérativement symbolique a pris le sens commun de « parler ». (Parler : Ku -Akula - Faculté de la parole : Diakula).684(*)

Tout cela est lié à une vision du monde. A propos des spéculations cosmiques touchant aux étoiles, aux galaxies et à la voie lactée, nos auteurs rapprochent certains termes d'Une Bible noire à la conception médiévale, notamment à propos de ce que Une Bible noire appelle des Choses primordiales ou Choses Aînées, « Il nous arrive, disent -ils, de dire « éléments » (terme absent du vocabulaire des indignes, qui ont pourtant une conception médiévale) et « astres », pour traduire ces « choses aînées ».685(*) De par ces références, nos auteurs procèdent méthodologiquement à des comparaisons topologiques.

En ce qui concerne le sujet se rapportant aux couleurs : «  Cette conception des « couleurs de création » est à rapprocher de la conception Hindu des sept rayons qui ont, aux termes de la doctrine ésotérique, teinté successivement la création. Le rapprochement est d'autant plus frappant que le mot de sens très général « Dikolo »(pl. Makolo ,en Tshiluba ) dont l'intention signifie ici « couleur »,se traduit par « rangée », « ligne », « rayon »,avec une nuance qui suggère l'ordonnance ;que ne traduit pas exactement le gris, mais toutes les couleurs non franche, sera subdivisé lui-même en quatre teintes ; soit en tout, sept couleur ;blanc, noir, rouge, indécis, blanchâtre, noirâtre et rougeâtre ».686(*) Cette pensée peut être resituée dans l'histoire de la Pensée en général.

4.3. La faillite institutionnelle

A. Rappel succint

Nous avons tenté de montrer le rôle du « paradigme kheperien », qu'on nous passe l'expression, dans l'histoire de la pensée, ou dans les sciences et particulièrment dans les sciences sociales et humaines. Cependant, d'un point de vue auto- critique, il faut souligner le fait que toute formulation de la pensée devrait atteindre sa finalité naturelle en tant que principe pratique et institutionnel de vie.

Pour nous, toutes ou presque toutes les pensées et idéologies africaines récentes peinent à se muer en processus social, juridique et politique efficace à la hauteur des enjeux contemporains dans leur mutation comme institutions pertinentes de l'époque de la « mondialisation ». La démocratie représentative a trouvé une forme procédurale et institutionnelle usuelle à partir des conceptions politiques classiques des temps modernes européens, qui ont donné à la souveraineté populaire une forme procédurale (i. e. les suffrages universels). Bien entendu, ces conceptions classiques de l'institutionnalisation des procédures démocratiques ne vont pas sans poser des problèmes aujourd'hui. Pour nous, ceci nécessite une réflexion ontologique, qui tente une fois de plus d'aller aux sources philosophiques.

B. Problématiques de l'origine et de la spécificité de la modernité occidentale

Jürgen Habermas fait prévaloir le fait que c'est le principe organisateur de l'émergence de la modernité construit par Karl Marx qui explique l'origine et la nature de la modernité occidentale : le couple salariat et capital, contrat et propriété en tant qu'ils ont été à la base du développement du droit privé. En effet, « on peut dire que, affirme Habermas, Marx a découvert dans le rapport salaire/capital le nouveau principe organisateur. L'institution du salariat -qui permet l'apparition d'une classe sociale de libres producteurs, dégagés des liens traditionnels définis par l'organisation féodale du travail et des corporations-devient le noyau d'un système de droit privé  qui ne s'est à vrai dire complètement développé qu'au XVII e siècle ».687(*)

Toutefois, Habermas ne met pas en exergue la singularité de la modernité occidentale :« On parviendra à une explication plus complexe et ,à mon sens dit Habermas ,plus pertinente si l'on part de la thèse selon la quelle le potentiel universalisme n'a nullement été l'apanage des traditions Occidentales ,mais déjà présent ,comme on peut le montrer ,dans toutes les conceptions du monde apparues, entre 880 et 300 av .J.-C, en Chine ,en Inde, en Grèce et en Israël ».688(*) Notons que Habermas et Marx excluent ici l'Egypte antique et la Mésopotamie.

Dans les premières grandes civilisations d'Egypte, de Mésopotamie, de la Chine ancienne ,de l'inde ancienne et de l'Amérique précolombienne, la terre est propriété de l'Etat ,administrée par la classe sacerdotale ,l'armée et la bureaucratie, avec quelque résidus de propriété communale de village(c'est ce qu'on appelle mode de production asiatique ou africain ). Dans les sociétés primitives, le travail et la distribution sont organisés grâce aux relations de parenté, il n'y a pas d'accès privé à la nature et aux moyens de production (c'est le mode de production du communisme primitif). En Grèce ,à Rome et dans les autres sociétés méditerranéennes, le propriétaire privé de la terre a à la fois la position d'un maître despote régnant sur les esclaves et des journaliers dans le cadre d'une économie domestique et la position d'un citoyen libre dans la communauté politique de la ville ou de l'Etat(c'est le mode de production antique).

Karl Marx voit dans l'autarcie économique, dans l'immutabilité, une des raisons de la stagnation de l'Etat à Mode de Production Asiatique (africaine). Le divorce du travail et des conditions du travail n'est pas réalisé ; l'agriculture et l'industrie domestique sont liées dans l `activité villageoise. On appelle contradiction fondamentale des sociétés M.P.A., le fait qu'une production « capitaliste d'Etat »se développe sur des bases communautaires caractérisées par l'appropriation collective de la terre. La société à M.P.A., ne recèle pas assez de forces internes pour développer cette contradiction jusqu'à son terme, c'est-à-dire jusqu'à la dissolution de la propriété collective et l'apparition de la propriété privée individuelle du sol.

Pour Marx ,la condition de la production capitaliste réside dans le divorce entre travail et les conditions du travail ,il est nécessaire que les masses paysannes villageoises soient expropriées pour devenir des travailleurs aliénés ,ne possédant plus les moyens de production et n'ayant que leur force de travail à vendre ,soit au fermier campagnard, soit au chef d'entreprise des villes : cette main-d'oeuvre salariée est la condition nécessaire et suffisante pour que naisse et fonctionne le système capitaliste.

Nous émettons des réserves sur le sens exclusif du principe de la naissance de la modernité occidentale incrustée dans le salariat et le développement subséquent du système de droit privé. Le vrai principe est pour Cheik Anta Diop, le mode esclavagiste de production occidental qui continue : les plantations d'Amérique, l'esclavage en Afrique, les guerres actuelles du Moyen Orient, etc. C'est en fait toujours une logique binaire de modernité et de colonialité.

C. L'optique historique de la philosophie du droit

L'émergence du droit privé semble lié au couple travail / salariat. Il nous semble que cette situation ne peut être unique. « Pour Schulin seules deux approches de l'histoire universelle seraient légitimes :d'une part le comparatisme typologique qui prendrait pour objet des structures générales ,comme c'est le cas des travaux de Max Weber,( ...),et d'autre part une historiographie qui se donnerait des limites spatio-temporelles pour analyser seulement certaines cultures(et leurs relations )en tenant compte ,cependant ,des interconnexions sur le plan mondial et des contraintes propres à chaque système qui les affecteraient ».689(*) La deuxième approche justifie notre postulat des liens entre l'Egypte Antique et la Grèce antique, l'Egypte Antique et les traditions africaines et, de surcroit, congolaises. Bien sûr il ne s'agit pas nécessairement d'une façon linéaire mais spaciale.

Ainsi, sommes-nous d'avis que « la compréhension des débats contemporains autour de la philosophie du droit suppose une double mise en perspective : d'une part, celle de l'histoire, en envoyant les lecteurs vers des problématiques antiques... (et ce terrain doit encore être défriché), d'autre part en tentant de dessiner assez précisément les contours des constructions théoriques multiples et souvent concurrentes du XXe siècle ».690(*) Les problématiques antiques doivent remonter jusqu'à tous les grands foyers de cultures. C'est-à-dire, mettre au clair des doctrines qui conditionnent en grande partie les débats contemporains. C'est une structure hétéronomique de l'histoire.

Bien sûr, cette approche invite à une discussion dans le cadre plus large d'une philosophie politique et juridique alors que les recherches en philosophie de droit de notre temps se rattachent à des approches bien nombreuses (le néo-pragmatisme, la phénoménologie, l'empirisme logique, les sciences humaines, la sémiotique ou la psychanalyse). Le prolongement des courants plutôt traditionnels avance aussi dans le sens des travaux sur des concepts employés pour déterminer le fond du droit, i.e .le concept de citoyenneté. Ces genres des concepts matériels étant susceptibles d'évolution à partir de certaines contraintes notamment technologiques, politique, économique (i.e. la mondialisation) ou de celles liés à la forme ou à la structure du droit, et de leurs présupposés philosophiques.

Jean-Cassien Billier et Aglaé Maryoli , dans leur ouvrage intitulé Histoire de la philosophie du droit ,Armand Colin,/VUEF ,Paris,2001,commencent leur livre par un thème me semble -t-il important ,celui de la fondation problématique grecque de la raison, ipso facto de la raison juridique  : « L'enjeu d'une telle question a toujours été trop considérable pour admettre une réponse simple et univoque : il s'agit de rien de moins que de revendiquer une identité philosophique et politique de l'Europe face au reste du monde (chinois ,indien, musulman...(l'auteur n'a pas mis africain, nous ajoutons africain)),voire à l'exclusion du reste du monde ».691(*) Déjà plusieurs interprétations sont en jeu, de quelle Grèce s'agit-il ? « Il y a la Grèce de Heidegger, celle de Hannah Arendt, Leo Strauss, de Michel Foucault, etc., puis celle des Historiens, et, parmi eux, des historiens du droit ».692(*)

D. Tradition et modernité juridique

Pour tenter d'éclaircir la question de la non exclusivité de la philosophie du droit cantonné dans une culture, nous partons de la question suivante : Comment surgissent le pouvoir politique et le droit sanctionné par l'Etat à partir d'un ordre primitif ? La constitution co-originaire du droit étatique et du pouvoir politique part de la situation selon laquelle (c'est l'hypothétique ) « un chef qui, au départ, ne dispose que de son prestige et d'un pouvoir social factuellement reconnu, peut concentrer sur lui les fonctions, jusque-là dispersées, du règlement des conflits ; il le fait en se chargeant de la gestion des biens sacrés et en se faisant l'interprète exclusif des normes de la communauté, pour autant que celles-ci sont porteuses d'une force d'obligation morale ».693(*) Le pouvoir factuel se change maintenant en pouvoir légitime. Cette situation est similaire à celle de tout Pharaon-dieu.

Le droit sacré pré -étatique, lié aux moeurs et à la morale, confère en effet autorité à la position de son interprète qualifié. A la longue, le droit sacré doit changer de forme parce que la pratique du règlement des confits est fondée sur des normes ayant l'obligation morale. Le droit est dès lors sanctionné par le souverain primaire. Deux pôles se forment : l'autorisation du pouvoir par un droit sacré, et la sanction apportée au droit par le pouvoir social.

Lorsque la légitimation sacrée et religieuse par la rationalisation sociale s'est effondrée, la convention l'a remplacé. D'un point de vue communicationnel, dans les institutions des sociétés tribales, les comportements sont définis par des cérémonies et les rites, les restrictions de la libre expression mettent la valeur de l'autorité à l'abri de toute problématisation possible. En revanche, la libre expression recèle un potentiel de rationalité qui imprègne toute la société et problématise des sociétés traditionnelles.694(*) A mesure qu'ils sont désenchantés dans le processus de l'évolution sociale, les ensembles de convictions fondées sur le sacré se décomposent selon les critères de validité différenciés. Ceci veut dire que le processus de différenciation sociale entraîne une multiplication des tâches, des rôles sociaux et des intérêts fonctionnellement spécialisés, si bien que l'activité communicationnelle quitte les engagements institutionnels étroitement définis pour entrer dans des marges d'option élargies, libérant et en même temps exigeant dans des domaines de plus en plus larges un type d'action fondé sur l'intérêt et le succès individuel. Ce processus illustre le passage d'une forme de vie traditionnelle fondé sur le sacré vers l'individualisme moderne sous l'effet de rationalisation continue de toutes les sphères de vie.

Sur l'arrière-plan de visions religieuses du monde reconnues par tous ,le droit a d'abord disposé d'un fondement sacré ; en règle générale géré et interprété par des juristes théologiques ,ce droit était largement accepté en tant que composante réifiée soit d'un ordre divin du salut soit d'un ordre naturel du monde ,étant en tant que tel soustrait au pouvoir humain . Dans sa qualité de seigneur justicier suprême, celui qui détenait les positions de la domination politique étant lui aussi subordonné à ce droit naturel. Le droit « positif » au sens prémoderne, bureaucratiquement édicté par le prince, fondait son autorité soit sur la légitimité de ce même prince (par l'intermédiaire de sa compétence de juge), soit sur son interprétation d'un ordre juridique préalablement donné, soit encore sur la coutume, le droit coutumier étant de son côté garanti par l'autorité de la tradition. Or, avec le passage à la modernité lorsque, perdant sa force d'obligation, la vision religieuse du monde se désintégra pour donner naissance à la puissance des croyances subjectives et pour priver ainsi le droit à la fois de sa dignité et de sa non-instrumentalité métaphysique, cette constellation dut changer de fond en comble.

Nous ne nions pas le fait que les institutions juridiques se distinguent des ordres institutionnels primitifs par leur rationalité comparativement plus élevée ;car elles incarnent un système de savoir ayant la forme d'une doctrine élaborée, autrement dit un système de savoir articulé, élevé à un niveau scientifique et lié à une morale fondée sur des principes. Ce sont des aspects internes du passage du droit traditionnel à une justification rationnelle, et à un statut positif.

Un droit devenu conventionnel se sépara alors de la morale rationnelle du type postconventionnel , si bien qu'il dépendait désormais de décisions d'un Législateur politique capable de programmer à la fois la justice et l'Administration . La constitution de la forme du droit devint nécessaire pour compenser les déficits qui apparaissent avec le déclin de la morale sociale traditionnelle. Le droit né de l'abandon de la violence, le droit a pour fonction de canaliser une violence identifiée au pouvoir.

4.3.3 Construction d'une éthique politique et l'exigence d'une auto- critique éclairée

A. Sens et tâche d'une reconstruction socio-éthique en Afrique

Nous voulons mettre en exergue la dimension de l'éthique politique qui est impliquée dans ces discussions à l'instar de « la sociologie (qui) s'est sentie, affirme Michel Wieviorka, souvent proche de politiques de centre-gauche, (et) du solidarisme ».695(*)

Ce qui nous a préoccupé dès notre introduction était justement le changement profond et perpétuel de la « réalité sociale » dans le monde  au plan théorique et au plan pratique : aujourd'hui on parle de changement de la nature du travail,de la crise des institutions publiques, de la vie familiale moderne, des tendances démographiques qui engendrent la frénésie dans la politique d'immigration en Europe, la place de la femme dans la société, la mobilité sociale, des inégalités persistantes, le changement des valeurs, les sociétés deviennent multiculturelles. La réalité de la société africaine est bien pire encore : la pauvreté socio-économique, paupérisation anthropologique (le rafle de notre histoire millénaire , de notre culture, de notre art, de notre mémoire collective, de nos traditions en tant qu'Âme africaine), dans le domaine de la nature du travail aujourd'hui c'est l'informel qui domine et l'économie ménagère ou clanique ; dans la vie familiale, c'est l'institutionnalisation des enfants de la rue ; la place des femmes, toujours plus inégalitaires, etc. ; le tout couronné par la violence sociale et politique comme force de recomposition. Pour pouvoir répondre à cette évolution des réalités sociales, par des politiques efficaces, il faut logiquement d'abord avoir une compréhension théorique approfondie, avons- nous affirmé.

L'ordre qui a émergé du concept de kheper n'est-il pas critiquable ? Certes si ne fût-ce qu'au niveau pratique de la réalisation, une chose est d'être une rampe de lancement théorique, une autre chose est de réaliser le potentiel inhérent.

La nécessité de conciliation des horizons nous semble bien résumée dans un des épilogues de Marc Maesschalck , cela face à « des attitudes défensives du passé » et des attentes inhérentes de ceux qui ont été désabusés qui, par ailleurs se trouvent engagés dans « un processus de construction sociale de la normativité des normes ».696(*) Ceci n'est possible qu'en sachant qu'aucun ordre n'a un rôle figé, chacun accompagne la totalité du processus.

Il faut donc dans une approche expérimentaliste pragmatique « développer la connaissance de ces attentes ». Ce processus vise le déplacement des blocages d'auto-transformation qui doit passer par la production symbolique d'une identité d'action ouverte à sa mobilité intrinsèque (i.e. à l'acceptation de sa constante réévaluation interne, au plan de l'institution).697(*) Ce processus stigmatise bien entendu la « reconnaissance intergroupe (réciprocité), si bien qu'il faut, préalablement à toute réflexion critique sur les conditions de l'intervention sociale, revoir les exigences d'alliance et d'auto-transformation qui déterminent les attentes normatives des groupes d'acteurs concernés ».698(*)

Notre hypothèse qui consiste en la reconstruction sociale au moyen de l'icône et du concept de Kheper contient la revendication de la légitimité d'un Ordre, qui n'épuise pas par ailleurs tous les ordres au plan surtout de la pratique et de la réalisation, mais met en exergue un conflit qui appelle un arbitrage par l'éthique politique. Reconnaitre chaque étape de l'ordre de la pratique, de l'ordre épistémologique et du nécessaire ordre génétique intrinsèque nous parait bien justifié. « C'est processuelllement, dans le mouvement pragmatique de l'expérimentation, qu'une transformation des cadres d'action peut avoir lieu ; non en fonction d'un « méta-cadre » fixé par la raison idéale des intervenants, mais en fonction d'un prototype de cadre variable, proposé pour favoriser à la fois sa propre transformation et la transformation de tous les cadres ».699(*) Cela débouche sur « la possibilité d'une nouvelle histoire commune ».700(*) Ainsi nous pouvons dire, du point de vue des approches, à titre d'exemple que Sédar Senghor « avait rejeté d'importants aspects de marxisme, mais il partageait avec Marx la croyance en des similarités dans l'évolution sociale de tous les peuples ».701(*)

Ce qui est dangereux c'est « la tentation (...) qui consiste à envisager toutes les questions en fonction de notre expérience, de notre passé et de nos préférences. Elle implique un jugement de valeur, qui nous est évidemment favorable, et relève de cette « tradition d'ethnocentrisme des Occidentaux » que les anthropologues (R. Linton) se sont attachés à dénoncer ».702(*)

Qu'il nous soit donc permis de plancher ici sur la conception de la question de l'éthique politique telle que nous en faisons la lecture chez Marc Maesschalck et de corroborer ses vues quant à des situations de désajustement institutionnels comme celles que vit l'Afrique aujourd'hui.

Du point de vue de son objectif, l'éthique politique « met en question la figure du réel qui construit un domaine d'activité, elle interroge ses conditions de production, son insertion dans l'ordre économique mondial, son rapport au pouvoir et son approche des cultures ».703(*) Ainsi ,« l'enjeu (est) de changer les critères sémantico -culturels pour stabiliser l'indécidabilité des références axiologiques en partant des exigences posées par une interaction intramondaine intégrant les différences (sans les supprimer) ».704(*)

Quel en est en le danger ? Marc Maesschalck pense que « l'extrapolation d'un modèle d'activité peut devenir totalitaire avec ses horizons sémantiques et lorsqu'il entend traiter le sens de théories morales, politiques et religieuses sur le même pied d'égalité que les hypothèses scientifiques dont la valeur ad hoc selon Feyerabend, est la meilleure garantie de leur fécondité ».705(*) En ce qui concerne la nature même de l'éthique contemporaine, elle « est éminemment politique, puisqu'elle vise à établir un consensus (acceptable pour tous) sur des règles de vie en commun ».706(*) Ceci peut se faire sur base de « la mission historique de savant ».707(*) Le problème, c'est que « l'énoncé scientifique est toujours la réduction d'un monde à la cohérence de l'opérable et une visée d'adéquation à la forme des objets de ce monde (construction), c'est-à-dire à leur opérabilité ».708(*) Tout cela part d'un constat unanime : « le fait scientifique est entièrement construit et la référence à une réalité préexistante n'a d'autre vertu que rhétorique pour renforcer la position du savant ».709(*) Il s'agit plus que de« surmonter l'effet de construction des sciences en annulant les conflits de frontière par un principe d'incommensurabilité ».710(*)

Nous présentons ce point de vue de l'éthique politique parce qu'« il s'agit de créer les conditions concrètes d'un espace collectif de vigilance où puissent s'élaborer de nouvelles normes de vie en commun »711(*)et d'« établir les conditions performatives d'une action orientée vers la construction d'un monde commun ».712(*)

Maesschalck résume les tâches à accomplir en trois régimes théoriques qui dépendent des conditions internes des cultures : 

- Lorsque la condition interne de pertinence des pratiques est la cohérence de la culture de base,

- Lorsque la condition interne d'un débat sur la cohérence des interprétations, est l'insertion des pratiques dans leur tradition culturelle (fond d'apparence, l` « inconditionnel »),

- Lorsque la condition interne des pratiques discursives de légitimation sont les pratiques concrètes de contrôle social ou la condition interne d'un discours sur l'origine du pouvoir comme vie sociale sont les pratiques de résistance. 713(*)

Jürgen Habermas nous gratifie d'une formule romantique de Schelling qui désigne la Raison comme étant « une folie soumise à des règles (qui) prend un sens particulièrement actuel et angoissant à une époque où la technique étend sa domination à une pratique qui n'est séparée de la théorie que par elle. »714(*) C'est ici que gît le défi. Pierre Bourdieu tente de répondre à cette question d'auto -transformation du champ scientifique en recourant à l'habitus scientifique comme théorie réflexive du regard théorique des théoriciens mis dans la situation de s'ajuster rationnellement à l'état général d'un champ des forces .715(*) L'habitus scientifique pourrait permettre une prise de conscience des savants.

Ainsi, « une fois satisfaits l'ensemble des critères de recevabilité des propositions scientifiques, le consensus de la communauté scientifique (sera) le garant de l'acceptabilité effective d'une proposition. »716(*) Cela peut conduire à la dimension politique de la science, « la communication scientifique éclairée -dont le processus serait institutionnalisé dans la sphère publique de la politique - mettrait en branle des mesures sociales techniques qui supprimeraient toutes les formes substantielles de domination- et, au nom de leur émancipation, maintiendraient durablement présente dans la réflexion des citoyens cette suppression elle-même ».717(*)

Pour Habermas, « le rationalisme, dans les limites positivistes...requiert d'abord seulement qu'un nombre aussi grand que possible d'individus adoptent une attitude rationaliste. Cette attitude, qu'elle concerne leur comportement dans les démarches de la recherche ou dans la pratique sociale, prend pour guide les règles d'une méthodologie scientifique. Elle accepte les normes habituelles de la discussion scientifique, elle est au fait en particulier, du dualisme des faits et des décisions et elle connaît les limites de validité de la connaissance intersubjective. C'est pourquoi elle se dresse contre le dogmatisme tel que le comprennent les positivistes et s'oblige, lorsqu'elle juge des systèmes de valeurs et manière générale des normes sociales, à respecter des principes qui fixent les rapports de la théorie et de la pratique. »718(*) Habermas ajoute : « l'extrapolation sociopolitique d'une méthodologie fait cependant apparaître plus que le côté seulement formel de la réalisation rationnelle du sens ; on y trouve déjà un sens déterminé et la visée d'un ordre social spécifique : l'ordre libéral de la « société ouverte » ».719(*)

Marc Maesschalck souligne d'ailleurs le fait de savoir comment les enjeux d'une construction éthique et d'une construction sociale tels qu'ils se croisent : « les enjeux de société croisent donc l'éthique dans la mesure où ils s'expriment à travers les constructions normatives qui ont pour fonction de coordonner l'activité du sujet ».720(*)

Il y a certes une différence entre un vouloir louable de construire une « éthique » prospective de ce genre et les faits institutionnels ou les faits sociaux au sens strict tel que nous allons tenter de le démontrer. Du reste, les finalités se croisent forcément : « conscient enfin d'une image de l'humanité qui se joue en toute pratique sociale, l'éthique rejoint le vouloir -être des humains, c'est-à-dire le moment d'élaboration des formes éthico- politiques qui tentent d'exprimer, sur le mode de la finalité, l'intérêt du plus grand nombre, l'intérêt général ».721(*)

En tout état de cause, tout le monde ne soutient pas cette thèse. On peut dire qu'il existe des thèses contraires à l'exigence de normes de rationalité dans la mesure où « la réduction de la normativité scientifique à son insertion stratégique dans un réseau social de négociation et de contrôle est une opération superflue pour la réalisation de son programme, voire même une opération contradictoire dans la mesure où elle ferme l'accès à une réintépretation des contenus normatifs dans l'ordre stratégique ».722(*)

Les normes de la rationalité sont donc les normes socialement institutionnalisées de la rationalité, et il n'y a pas d'au-delà .La rationalité se confond avec la définition positive de la rationalité dans une société donnée. 723(*) Cette thèse nous conduit tout droit au relativisme autoréfutatoire. Qui va les imposer ? « L'énoncé de cette thèse a une portée universelle. Mais si elle est universelle, elle s'applique à elle -même : sa validité est donc conditionnée par les normes d'une société particulière. Elle s'autodétruit du même coup comme énoncé universel ».724(*) Le dépassement de cette thèse dépend de l'idéalité entre acceptation et acceptabilité. Ces normes sont des conventions institutionnalisées au sein d'une communauté linguistique. Ces normes définissent les critères de la signification, et notamment de la signification du prédicat « ...être rationnel ».

Au demeurent, il nous semble, d'un point de vue méthodologique nous dirons que le Professeur Marc Maesschalck s'investit globalement, dans son livre intitulé, Normes et contextes dans une approche complexe : sémantico -logique, pragmatique et cognitive à l'analyse de la sphère éthique qui est une réalité normative, mais bien spécifique et distincte de la sphère strictement sociale telle que nous l'envisageons. Ces sphères partagent en commun le fait qu'elles relèvent d'une réalité normativement construite d'un autre type, et se distinguent d'une réalité extérieure ou alors strictement intentionnelle.

Le cadre théorique logico- sémantique, pragmatique et intentionnel nous permet de cerner un champ fort large. Le Professeur Marc Maesschalck, par exemple nous dit à ce propos ce qui suit : « Plutôt que d'en rester à la frontière d'une anthropologie sémantique et pragmatique qui tente de se limiter à un principe de non-contradiction performative, (...) a préféré orienter sa recherche vers un modèle logiquement prometteur. Il s'agit de l'indécidabilité pragmatique des formes de vie et des références sémantiques qui permet de se démarquer radicalement de toute herméneutique du sens commun et de donner un statut épistémologique au rapport post-conventionnel à la norme proposé par Habermas »725(*).

Les normes deviennent une exigence de l'ambivalence même de la science : « en tant que force productive, la science apporte autant de bienfaits lorsqu'elle débouche sur une science conçue comme force émancipatrice qu'elle engendre de malheurs dès qu'elle prétend soumettre sous son contrôle exclusif le domaine de la pratique, dont on ne saurait disposer par des moyens techniques ».726(*) Et : « Seule une Raison, dit Habermas, qui considère comme faisant partie intégrante d'elle -même cet intérêt aux progrès de la réflexion vers l'émancipation, qu'on trouve irréductiblement à l'oeuvre dans toute discussion rationnelle, pourra acquérir la force qui lui fera transcender la conscience de son enrichissement dans le matériel. Elle seule pourra réfléchir sur la domination positiviste de l'intérêt de connaissance technique en comprenant ses liens avec une société industrielle qui intègre la science à ses forces productives et se met ainsi totalement à l'abri de la connaissance critique. Elle seule pourra se passer de sacrifier la rationalité dialectique du langage auquel elle est parvenue, aux critères profondément irraisonnés d'une rationalité technologique bornée. Elle seule pourra vraiment aborder les contraintes structurales de l'histoire -contraintes qui demeurent dialectiques tant qu'elles ne sont pas devenues libre dialogue entre les hommes émancipés ».727(*)

La construction de la réalité sociale appliquée à des sociétés colonisées est faite par exemple contre la tentative de l'anthropologie juridique appliquée à ces sociétés colonisées en opposition avec le droit naturel des temps modernes européen par exemple. Le droit de l'homme a été la poursuite de ce mouvement de la construction européenne. « Le devoir de civiliser, l'argument du droit de civiliser portait sur le droit de mise en valeur de ressources incombant aux peuples capables de réaliser celle-ci de manière supérieure aux pratiques locales. Cet argument ne fut pas théorisé par l'ethnologie, mais par le droit naturel ».728(*) Et :« L'arrière-plan d'une société permet d'invalider une pratique institutionnelle qui tenterait d'imposer un seul mode de légitimation des normes, c'est-à-dire qui serait incapable de reconnaître des droits collectifs à des `'sociétés distinctes''».729(*)

Prenons d'emblée une illustration : « la civilisation du travail - celle de loisir- forme un bon exemple (justement) de (la réalité sociale construite). (De telle sorte que) les humains qui ont participé à son élan ont cru être enfin en mesure de bâtir un monde nouveau pour leurs enfants, maîtrisés par les forces de production. ( ...) Mais cette émancipation productiviste a été remise en question par ses héritiers qui ne sont pas parvenus à entrer dans cet univers préfabriqué. (C'est un blocage) ».730(*) Cela va de même de l'expansionnisme qui transporte sur le terrain de la colonisation une civilisation industrielle qui, à son effondrement, a emporté l'arrière-plan qui le fondait, i.e., le capitalisme industriel qui en avait constitué la base.

De ce qui précède Marc Maesschalck stigmatise l'enjeu : « Il ne s'agit pas de transformer une pratique institutionnelle donnée, mais de changer de civilisation ».731(*) Une telle situation débouche sur l'exigence d'« une éthique de la construction sociale (qui doit considérer) toutes les activités comme intégrées à l'enjeu décisif de l'existence collective, c'est-à-dire l'institution de l'autonomie sociale qui implique directement la responsabilité des tous les acteurs de manière interne au processus social. »732(*) Pour nous, c'est ce que nous tentons de démontrer, une « société (doit être considérée d'abord) en tant que'' significations subjectives''».733(*) Seulement, il faut l'avouer, « la solution dépend (rait) encore de l'application des structures de décision de la communauté politique ».734(*) Parce que « une chose est d'être une norme en principe acceptable, une autre d'être une norme en pratique valable ».735(*) 

Ainsi, soutient Maesschalck, « élaborer des principes d'action, penser les conditions d'orientation de l'action, ce n'est pas encore élaborer une pensée de l'action ,c'est-à-dire un discours naissant de l'effectuation elle-même ,un discours inscrit dans l'événement de l'effectuation ».736(*) Ainsi, « on rejoint (...) une nouvelle base, la dimension politique de la normativité des normes. Les communautariens ont aussi insisté, face au proceduralisme, sur le rôle pratique d'une culture politique de la normativité ».737(*) C'est entre autre de ce genre des normes que nous voulons parler.

Marc Maesschalck en discussion avec les éthiques procédurales telle que celle de Habermas met en exergue la dimension politique de l'éthique. Ceci est consécutif par exemple à « la révolution technologique de l'information (qui) rend possible aujourd'hui de nouveaux modes d'organisation de la production, du contrôle des citoyens et d'intégration de l'économie et du pouvoir au plan mondial. Une telle puissance de hiérarchie sociale ne peut simplement être considérée sectoriellement par l'éthique ».738(*)

La question c'est que selon Marc Maesschalck nous sommes à « la fin de l'ordre conventionnel (qui) se marque par la multiplicité des conflits de frontières entre les régimes de justification ».739(*) C'est l'aboutissement naturel de la modernisation sociale caractérisée par le polythéisme des valeurs et la différenciation du monde vécu.

C'est aussi dans la voie du naturalisme que doivent se définir des nouveaux programmes de recherche pour faire face aux enjeux actuels du déficit de système de suffrage universel, ou de représentation politique qui tend à être dépassé par la complexité de notre société et l'exigence d'une expertise de plus en plus exigeante pour la gestion publique.

Marc Maesschalck présente le contexte favorable dans lequel un tel débat peut se poursuivre :  la recherche développée par l'unité de théorie des normes du programme sur la gouvernance réflexive (REFGOV) bénéficie d'un autre environnement épistémologique dans la mesure où son débat avec le tournant néo- pragmatiste aux Etats-Unis la situe dans un contexte résolument post-déconstructiviste , au moment où le débat déconstructiviste rejaillit sur le vieux continent face à l'emprise des théories naturalistes de l'action. « Face à cette ultime résurgence du naturalisme, la phénoménologie permet de dépasser l'aporie ainsi posée entre le scepticisme critique et l'optimisme herméneutique. (...) C'est de cette relation générative que peut naitre un discours normatif. Il est donc évidemment trop tôt pour en décider lorsque la limite de la déconstruction n'est pas encore identifiée, mais également trop tard pour décider quand il ne s'agit plus que de réinterpréter ce qui s'est déjà présenté comme une nouveauté ou une rupture ».740(*)

Il ajoute : « La force du point de vue phénoménologique quand il emprunte les voies de la déconstruction est qu'il demeure articulé à une méthode génétique et régressive qui permet de transformer le point aporétique de la déconstruction en un nouveau point de départ ». Le schéma de recherche imposé par ce contexte est quasiment inverse à celui suivi dans le cadre de l'ANR. C'est en effet le front des « capabilities » qui prédomine ici et les processus empiriques d'innovation dans la résolution des problèmes. A ce arrière-plan de capacités s'applique un constructivisme pour lequel la fonction de la production normative est d'opérer au plan des designs institutionnels comme un réducteur d'incertitude face à limite des calculs rationnels ».741(*)

En définitive, les recherches futures pourraient à juste titre se focaliser sur « les formes primordiales que doivent prendre des actes collectifs susceptibles de produire des formes de vie en commun et satisfaisantes, (ou les) les attitudes fondamentales ou archétypiques à travers lesquelles des groupes d'acteurs, voire des sociétés, s'engagent au nom d'un bien être ensemble et tentent ainsi de se reconnaître comme humanité ».742(*) Cependant Marc Measschalck recommande en plus, pour cela ,la nécessité de la pratique d'enquête sur le terrain.

Nous nous sommes sans doute trouvés à coup sûr dans un « cadre de convergence ouvert » en tant qu'il combine une multiplicité de portes d'entrée avec les différentes dimensions d'une exigence de radicalisation du questionnement philosophique.743(*)

B. La problématique des inégalités

Sommes-nous inégaux ? Cette question s'impose en nous d'un point de vue moral pour donner à cette réflexion un relief de l'exaltation des valeurs à la base d'une vie en commun. Jean Jacques Rousseau, dans l'origine des inégalité parmi des hommes, affirme qu'il conçoit « dans l'espèce humaine, deux sortes d'inégalités : l'une ,que j'appelle naturelle ou physique ,parce qu'elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l'esprit ou de l'âme ;l'autre, qu'on peut appeler inégalité morale ou politique ,parce qu'elle dépend d'une sorte de convention ,et qu'elle est établie ou du moins autorisée par le consentement des hommes. Celle-ci donne les différents privilèges dont quelques uns jouissent au préjudice des autres, comme l'être plus riche, plus honoré, plus puissant qu'eux, ou même de s'en faire obéir ».744(*)

L' « égalité et la hiérarchie » sont des problèmes permanents de la philosophie. En effet, la priorité donnée à la notion de l'égalité dans les sociétés modernes n'empêche nullement celles-ci d'être traversées par les inégalités de richesse, de pouvoir, d'influence, etc.745(*)

Pour la tendance naturaliste, l'égalité, la liberté et la propriété sont déduites des conditions de la Création. Tout ce qui appartient en propre à un individu, ne peut lui être enlevé sans son consentement. Dieu a donné à tous les hommes la possession et la jouissance commune. 746(*)

Du point de vue de la compréhension profonde de l'histoire de la pensée moderne, il y a trois tendances à travers cette analyse : proche de la nature, celle qui est près de l'histoire ou une synthèse de deux. Il se remarque au Temps moderne européen, nettement le refus de la référence à la Nature au profit de calculs stratégiques de l'homo oeconomicus, une interminable expropriation du sujet.

« La pensée contemporaine tient volontiers pour évident que l'homme est un « être historique » et que cela restait méconnu de la philosophie antique. De Descartes et Hobbes aux lumières, la première modernité a tendu, au contraire, à se réclamer de la « Nature » et à réaffirmer contre l'autorité de l'histoire, les droits de la « Raison ». En effet, « pour s'en tenir à la philosophie politique, les grandes oeuvres des « Droits naturels modernes » se présentent comme une enquête sur la « Nature ». Du Léviathan à Hobbes, de Rousseau, « la genèse de l'Etat continue d'apparaître comme un processus rationnel, fondé sur la nature humaine, et non comme instrument pour penser l'historicité ».747(*) La genèse ne doit rien à l'histoire. Ces présupposés éclairent donc la pensée des uns et des autres.

L'histoire semble parfois remplacer la nature comme problème central de la philosophe. Les lois « découlent de la nature des choses ». « On peut considérer que la place centrale que l'histoire a fini par occuper dans la philosophie moderne tient à la manière dont se pose dans celle-ci le problème ontologique des relations entre la « Nature » et  la « liberté »748(*). Il faut d'abord, comprendre comment l'action « libre » de chaque individu (qui suit sa nature propre ou qui au contraire, obéit à son « libre arbitre ») est conciliable avec la cohérence de l'ensemble : c'est le problème de la « théodicée » qui, de Leibniz à Hegel, va conduire de faire de l' « histoire » le véhicule de la « Raison » dont la ruse consiste à réaliser ses fins universelles à travers le jeu apparemment irrationnel des intérêts et des passions. « Il faut comprendre comment l'existence d'un être libre (dont l'action par définition irréductible à tout déterminisme naturel ) est possible dans l'histoire ;la « perfectibilité » dans la quelle Rousseau voyait le propre de l `homme va ainsi apparaître comme l'indice de la destination morale de l'Humanité(Kant ,Idée d'une histoire d'un point de vue cosmopolitique) et c'est à partir delà que l'on pourra comprendre ce qu'a voulu la Nature,qui ne fait rien en vain en nous donnant la Raison,qui ne fait pas notre bonheur(Fondement de la métaphysique des moeurs,1ère section) ».749(*)

L' « être se déploie (et se voile) dans une histoire dont les époques sont radicalement hétérogènes parce qu'irréductible au principe de raison suffisante : on peut donc voir dans la pensée de l'Etre la négation de l'unité de la Nature au nom de la « différence » ;mais l'être ne peut mieux se comprendre qu'en méditant le sens originel de la Physis dont se fait encore l'écho la Physique d'Aristote,qui est « en retrait ,et pour cette raison jamais suffisamment traversée par la pensée,le livre de fond de la philosophie occidentale ».750(*)

A l'illusion platonicienne de la « vérité »absolue, Nietzsche oppose un « perspectivisme » qui n'est pas cependant un simple relativisme ; ce qui nous ramène au « problème de la hiérarchie ». Le perspectivisme n'est pas égalitaire, parce que toutes les perspectives ne se valent pas, et c'est précisément cela qui permet à Nietzsche de dépasser l'antinomie de l'apparence et de la réalité, sans pour autant « admettre qu'il y ait une opposition radicale entre le vrai et le faux. » Si Nietzsche critique la fondation platonicienne de la vérité, c'est, pourrait-on dire, parce que chez lui la hiérarchie prend la place de la vérité.751(*) Il est illusoire de fonder l'inégalité, comme le faisait Platon, sur l'inégale capacité des hommes à parvenir à la vérité ; il faut, au contraire, partir du fait de l'inégalité pour dépasser l'opposition entre vérité et apparence752(*).

La singularité de Nietzsche vient du fait qu'il se démarque de deux tendances : «  L'émancipation à l'égard de la tradition ne peut venir que d'une folie créatrice- et non de la raison critique (Aurore, §6 ; cf., chez Max Weber, l'analyse des relations entre la tradition et le « charisme »).753(*) Seul celui qui est apte à la domination est vraiment digne d'être libre. « Le problème de la hiérarchie » est celui-là même des « esprits libres ».754(*) Dériver les formes politiques du rapport entre les puissances, au lieu de réduire le gouvernement au rang d' « organe du peuple. » La dévalorisation de la vie domine l'histoire de l'Occident dont le Christianisme a été le principal relais culturel.755(*) Au lieu de la culture qui crée au terme d'un dur processus de « dressage et sélection », la loi est valorisée comme instrument d'éducation.

La «  justice » qui veut la hiérarchie, doit aussi établir un équilibre entre les forces opposées et le plaidoyer de Nietzsche pour les « Maîtres » qui a surtout valeur de réparation, dans un monde dominé par les valeurs égalitaires.756(*)

A une société fondée sur l'agir stratégique d'échanges matériels nous opposons l'a priori d'un l'agir communicationnel. Bien que restant dans une perspective de l'historicité, ici nous opposons l'égalité des partenaires dialogaux qui, au moyen de l'interchangeabilité des rôles sociaux, s'éloigne de la hiérarchie. Tout cela à partir des présupposées de la structure du dialogue. En plus, Habermas développe en morale une position constructiviste : « le monde moral que, en tant que personnes morales nous avons à faire advenir, possède une signification constructive. C'est la raison pour laquelle la projection d'un monde social inclusif, constitué par les relations interpersonnelles bien ordonnées intervenant entre les membres, libres et égaux, d'une association s'auto-déterminant - traduction du Royaume des fins de Kant-, peut servir comme substitut à la référence ontologique à un monde objectif »757(*). Cette conception de la réalité inclut essentiellement la notion d'une communauté sans limites bien définies. Peirce explicite la vérité dans le sens d'une acceptabilité rationnelle, c'est-à-dire de la réalisation d'une prétention à la validité critiquable dans les conditions de communication d'un auditoire idéalement élargi dans l'espace social et dans le temps historique, et composé d'interprètes capables de jugement. 758(*)

Contre Nietzsche, Habermas écrit : « Le problème n'est pas de devenir plus fort que l'autre, mais de se laisser emporter tous deux par la force de la vérité en présence. Le dialogue suppose dans une visée commune, un horizon commun d'interrogation ».759(*)

4.4.3. De l'Afrique aujourd'hui

Quelle est la situation actuelle de l'Afrique ? « Jamais les disparités entre riches et pauvres en termes d'opportunités à l'échelle mondiale n'ont été aussi importantes qu'aujourd'hui. A en croire le programme des nations unies pour le développement (PNUD), le cinquième de la population mondiale vivant dans les pays les plus riches se partage 86 % du PIB mondial contre à peine 1 % pour les pauvres ; 82 % des marchés d'exportation contre à peine 1 % pour les plus pauvres ; 68 % des investissements directs étrangers contre à peine 10 % pour les plus pauvres ; 75 % des lignes téléphoniques mondiales contre à peine 1,5 % pour les plus pauvres ».760(*) Alors les gens se posent des questions : « cet accoisement des disparités est-il la conséquence inévitable de l'intégration économique mondiale ? Certains le disent, pour qui l'inégalité est consubstantielle au mode de production capitaliste. (...) Verra -t-on, au contraire, un renversement de tendances ? Certains l'affirment, pour qui la convergence est au bout des efforts de coopération et de partenariat à intensifier, et le développement humain durable « la nouvelle frontière »la lueur d'espoir sur laquelle il faut mettre le cap ».761(*)

Dans tous les cas de figure, il y « la nécessité de mener un combat vigoureux contre l'idée, d'autant plus pernicieuse qu'elle n'est pas toujours formulée de façon explicite, selon laquelle l'Afrique peut être mise entre parenthèses, oubliée dans les scenarios globaux, car placée ou s'étant placée en position de hors-jeu économique ».762(*) Et : « La tendance au déclin, qui se donne à lire dans la faible productivité du travail et du capital en Afrique, et le recul de la part de l'Afrique dans la production manufacturière mondiale et le PIB mondial, ne serait pas prêt de s'inverser ».763(*)

Pour nous « dans le contexte actuel (d'une crise profonde du capitalisme )où les enjeux géoéconomiques et géopolitiques d'hier se redéfinissent en même temps que se renégocient les nouvelles relations en matière de commerce international, qui élaborent de nouvelles normes globales et un calendrier de mise en oeuvre de celles-ci », il faut un nouveau cahier de charge , notamment celui que nous avons essayé d'ébaucher dans cette réflexion critique ,auto -critique et prospective, pour la mise en place d'un grand lobbying africain afin d'être présent dans toutes les arènes où se négocient l'ordre nouveau et faire prévaloir la pensée et la vision africaine du futur.

Du point de vue de l'Afrique « la mondialisation de l'économie nécessite des structures, des processus et des styles de gouvernance nouveaux dans  lesquels la transparence, la collecte, le traitement et la dissémination de l'information, l'adaptabilité aux changements dynamiques, la souplesse, le dynamisme et l'innovation sont plus importants que jamais » 764(*). Il est également également autre chose : « bien que les gouvernements africains doivent éliminer tous les obstacles inutiles sur la voie de l'investissement privé, national et étranger, et des échanges , un cadre réglementaire adéquat , et à l'abri de la corruption ,est également nécessaire pour protéger l'intérêt public ,tant pour les générations actuelles que futures, et éviter la volatilité élevée des flux financiers ».765(*)

Notre thèse est la suivante : ce dont l'Afrique a besoin c'est une orientation unique de fédération de ses problématiques et de ses recherches. Pouvoir regarder dans la même direction pour consolider ses divers atouts. La pensée kheperienne offre cette possibilité. Toute division apparente en Afrique est d'abord au niveau plus profond, celui de la segmentation des savoirs endogènes. Avec cette division c'est toute l'efficacité du savoir qui est en question. Mais comment mettre les africains ensemble ? La réponse est soit autour des grands travaux soit à partir des savoirs fédérateurs des enjeux communs.

Par ailleurs, la question de fond de notre analyse est présentée par Jean Kinyongo: « Comment corriger ce que Brunetière qualifiait, au 19 è siècle, de « faillite de la science » à cause de l'impuissance de recherches positives de l'époque à résoudre les problèmes fondamentaux de l'homme et de l'entente entre les hommes ? »766(*) Et il continue, « si René Girard citant Durkheim a raison de soutenir que le spirituel doit être à l'origine de tout (cfr. Les choses cachées depuis l'origine du monde) et si Malraux, prophète d'un XXI ème siècle spirituel, a lui aussi raison, alors il nous faut, dit-il, chercher de ce côté -là une manière qui puisse combler le vide de l'humain dans ce monde et, par là, permettre d'appeler une convergence planétaire des peuples et des nations plus responsables que par le passé. »767(*) Après l'exposition d'une manière africaine de percevoir l'identité et la vocation historique de l'homme et des peuples ,puisée dans le célèbre mythe de la création de l'univers et de l'homme dans la tradition de Komo chez les Bambara, Kinyongo conclut de cette manière- ci : « ce que doit être notre mission au 3 ème millénaire dépend de la manière dont nous nous comprenons maintenant , de la nouvelle compréhension que nous avons de nous-mêmes, de notre monde , de notre façon de devenir de plus en plus présent au monde ,et de rendre celui -ci de plus en plus présence ».768(*)

« Notre vocation historique, poursuit Kinyongo, en tant que présence fut surtout de bien nommer le monde, les choses et de les appeler à l'existence, nous les avons effectivement appelés à l'existence, mais de manière inadéquate. Nous devons maintenant les appeler et nous appeler à une nouvelle existence pour plus de présence et plus de participation en vue de rendre la vie de nos semblables plus humaines. »769(*) Il faut finalement joindre à l'entreprise de la recherche pour combler le vide de l'humain dans le monde, la construction subséquente d'une réalité sociale à jamais dynamique. « Le stade le plus élevé de la réflexion coïncide avec un progrès dans l'autonomie de l'individu, avec la suppression de la souffrance et avec l'avènement d'un bonheur concret ».770(*)

Ces questions que nous abordons pourraient passer pour être non scientifiques pour au tant que la science s'occupe des questions de comment, mais ne faudrait -il pas reposer aujourd'hui dans le contexte des sciences la question véritable du pourquoi ? Parce que pour nous africains en tout cas, la maîtrise de notre espace vital et institutionnel reste sujette à caution. Parce que comme le rappelle Pierre Mutunda avec la docte ironie qui le caractérise : notre « société est engagée dans une dérive qui à tout moment peut culminer dans une implosion mentale collective. Désemparés, les hommes et les femmes ne savent plus à quel saint se vouer. (...) Le peuple dépouillé de son identité et du patrimoine ancestral, affamé part ses propres fils qui lui imposent un nouvel esclavage sous l'oeil indifférent de la communauté internationale, voire avec la complicité de l'Occident, chosifié par l'escroquerie de sa classe politique, la cupidité des `opérateurs économiques', la roublardise de ses intellectuels diplômés jusqu'aux dents ,mais incapables de résoudre un seul petit problème sans le concours du ''Blanc'' ,ne sait plus à quels idéaux souscrire, quel prophète suivre ,quels lendemain espérer ».771(*)

Sommes - nous en Afrique Noire installés dans une philosophie de la crise qui, finalement n'a pour mérite que d'être, comme le dit Pierre Mutunda Mwembo, une «  tâche d'une remontée archéologique aux sources d'une historicité qui se chiffre de manière déficitaire. (...) Une telle situation est déjà provoquée par l'afro- pessimisme, cette attitude défaitiste et démobilisatrice qui, `'sur le marché des écrits médiatiques et idéologico -scientifiques,...est une valeur sûre depuis plusieurs décennies'' ».772(*)

Puisque nous évoquons l'histoire, nous dirons dans le même sens avec Jürgen Habermas que « l'irrationalité de l'histoire trouve son fondement dans le fait que c'est nous qui la « faisons », sans pouvoir jusqu'à présent le faire en toute conscience. C'est pourquoi on ne fera pas progresser la rationalisation de l'histoire en étendant le pouvoir de contrôle d'hommes..., mais seulement en élevant le niveau de réflexion et en aidant la conscience des individus agissant à progresser dans l'émancipation. »773(*) Paradoxalement, « les potentialités sociales des sciences, dit Jürgen Habermas, se sont réduites à l'exercice d'un pouvoir technique et ne peuvent plus être considérées comme les potentialités d'une action éclairée ».774(*)

Quelle est pour nous la tâche urgente ? Comme le dit encore si bien Mutunda, il a s'agit « de déblayer des voies et moyens pour une reprise de l'initiative historique par l'Africain, une mobilisation des énergies en vue d'assumer l'existence, de l'infléchir en une destinée voulue et maîtrisée, orientée vers une réalisation positive de la vie ».775(*)

4.5. Conclusion partielle :

La question du réalisme chez Searle et le kheper

Poser la question du réalisme et du constructivisme, c'est poser la question de la fondation de notre connaissance, ou encore de l'a priori ontologique du constructeur. Le réalisme searlien dont nous parlons est consécutif au fait justement que la construction sociale scientifique ou ordinaire suppose toujours déjà un a priori à partir de quoi on a construit. Il y a en effet toujours du Réel (au sens ontologique), dans la construction sociale. John Searle se situe au milieu d'une activité qui porte sur deux démarches extrêmes. Du point de vue des modernes, la démarche semble répondre au mot d'ordre de détranscendataliser l`idéalisme d'Emmanuel Kant par son extrême, c'est-à-dire par le matérialisme, la naturalisation ou biologisation de la connaissance. Nous notons justement qu'à l'opposé de la construction, le paradoxe de la déconstruction est à la suite de Pierre Bourdieu que « «  la déconstruction » (...) omet de « déconstruire »  le « déconstructeur ». (...) Le philosophe sans lieu ni milieu, atopos, entend échapper, selon la métaphore nietzschéenne de la danse, à toute localisation, à tout point de vue fixe de spectateur immobile et toute perspective objectiviste, s'affirmant capable d'adopter, en face du texte soumis à la « déconstruction », un nombre infini de point de vue inaccessibles tant à l'auteur qu'au critique.» 776(*) Cette conception de Bourdieu n'est pas loin de celle de Searle.

Nous soulignons le fait que le réalisme searlien s'imbrique dans la théorie du Devenir greffé du langage et de la conscience. L'ossature complète de cette doctrine est déjà bien présente dans la tradition africaine.

Le potentiel théorique dont regorge le concept de kheper, notion essentielle pour l'avenir des sciences sociales africaines, peut encore être exploité pour les crises qui assaillent notre monde commun, qu'il s'agisse de la crise du capitalisme, de la crise alimentaire, de la crise de l'environnement, et autre. Cette notion est née du sol africain. La dimension du divin que recèle le kheper , dimension prophétique à en croire d'André Maulraux devait être théorisée pour une foi nouvelle dans la « réalité sociale », qui est en danger de s'effondrer puisqu'encore fragile. La leçon pour nous africains, c'est la confiance en nous-mêmes comme créateurs et promoteurs de notre destinée dans le concert du village planétaire.

CONCLUSION GENERALE

Nous aimerions dans cette conclusion présenter les résultats, auxquels nous sommes arrivé après l'application de notre méthode de reconstruction philosophique au-delà du fait qu'une bonne partie de notre exposé a tout simplement été réflexive. Notre réflexion a voulu après la présentation de l'exigence de rénovation des sciences sociales en Afrique, restituer la double doctrine du « réalisme et du constructivisme ». L'objectif était d'étudier la réalité sociale, telle que reprise en sciences sociales aujourd'hui, à partir des traditions philosophiques antiques, et de sa reconstruction comme philosophie de la Nature, de sa reprise dans l'approche structuro-fonctionnaliste. En effet, ceci importe car le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss ont constitué une double approche est restée paradoxalement encore dominante en Afrique ; et leur réplique dans la double approche pragmatique et cognitive chez John Searle nous a servi de réflecteur.

Dans le prolongement des approches structuro-fonctionnaliste et dialectique en sciences sociales, le débat essentiel actuellement est entre l'holisme et le naturalisme, dans la mesure où il s'agit bien là de deux formes de « causalisme (externe /interne) ».777(*) En effet, « le débat avec les sciences cognitives et le naturalisme a pris beaucoup d'ampleur (...) l'holisme lui-même réapparaît ou tend à réapparaître, au moins dans nombre d'études philosophiques...le contexte d'une critique des sciences cognitives ...cela veut dire aussi que le débat avec (...) le constructivisme social n'est pas le seul débat actuel ».778(*) Tel a été le contexte actuel de notre discussion.

Pour une étude plus approfondie, nous avons abordé plusieurs questions théoriques, en l'occurrence, la construction scientifique ad hoc tant bien sur la causalité que concernant les quatre méthodes dominantes en sciences sociales (le structuralisme, le fonctionnalisme et/ou systémique et la dialectique). Ces quatre méthodes peuvent être subsumées en sociologie, en démographie, en ethnologie ou anthropologie structurale et en psychologie sociale, tout cela avec un statut explicatif problématique pour l'Afrique Noire. Cette situation appelle une vision relativiée des sciences sociales qu'une approche réaliste réfute. Nous sommes tout de même parti de la théorie du relativisme avec pour fond ou filigrane cette autre théorie de la mentalité primitive de Lucien Lévi -Bruhl dans un contexte de philosophie du langage.

Chemin faisant, nous nous sommes particulièrement attelé à l'étude critique de la pensée d'Emile Durkheim dans son livre intitulé : Les règles de la méthode sociologique. Justement le chapitre IV qui se focalise sur : les règles relatives à la constitution des types sociaux. Ce chapitre vise à montrer les parties constitutives dont est formée toute la société. Ainsi, pour Durkheim « l'évolution sociale commence par de petits agrégats simples ; qu'elle progresse par l'union de quelques-uns de ces agrégats en agrégats plus grands, et d'après s'être consolidés, ces groupes s'unissent avec d'autres semblables à eux pour former des agrégats encore plus grands ».779(*) Il s'agit des fameux éléments minimaux qui structurent le mental, le langage et l'interaction au moyen des systèmes de règles et de l'Arrière-plan intentionnellement ou pas. Comme on pourra l'apercevoir, à la lecture de ce chapitre, Durkheim n'en donne qu'une ébauche sommaire, tout en affirmant le fait que « ce problème trop complexe pourrait pouvoir être traité ainsi (tel qu'il le fait), comme en passant ; il suppose, au contraire, tout un ensemble de longues et spéciales recherches ».780(*) Searle tente de continuer justement ces recherches, nous par ailleurs aussi.

Jean-Michel Berthelot présente une périodicité topologique des repères chronologiques à propos des sciences sociales dont la reconstruction de Searle essaie de tenir compte. En effet, «l'histoire des sciences sociales donne le spectacle d'un passage d'une polarité à l'autre (par exemple de structuralisme (pôle II) à l'individualisme méthodologique et au « au retour  de l'action» (pôle II) dans les années 1970- 1990 ; de ces dernières à un possible retour au naturalisme causal ou fonctionnel (pôle I) (Van Parijs, 1981 ; Kincaide, 1996 ; Sperber ,1996) dans la période actuelle ».781(*) Searle réunit en un seul système ces deux grandes périodes.

La portée de la théorie analytico- cognitiviste de la construction de la réalité sociale de John Searle a permis de reconstruire plusieurs autres approches mêmes non analytiques. La réflexion s'est poursuivie vers des reconstructions des « sciences sociales et des philosophies » diverses et de « sciences sociales africaines » en particulier.

Toutefois, notre thèse est partie de ce que nous appelons les limites institutionnelles actuelles face à l'enjeu de domestication des crises sociales, et de la nécessité pour nous de recourir à l'onto-théologie pour saisir le changement drastique de la réalité sociale. Aujourd'hui, le contexte général des théories de la « construction de la réalité sociale » se situe à notre sens dans la recherche de ce genre de ressources onto-théologiques. Notre thèse s'est ressourcée fondamentalement dans les traditions africaines millénaires et plus ou moins récentes qui ont un impact certain sur la philosophie et la science sociale. Nous avons présenté les aspects aussi bien ontologiques qu'épistémologiques parce que la philosophie des sciences sociales, par rapport à quoi nous nous situons, contient en son sein une ontologie sociale, une épistémologie sociale et une méthodologie. Une des idées sous-jacentes à notre position fait prévaloir, c'est que la philosophie et la science restent inextricablement liées.

Notre exposé a présenté ainsi les différents aspects, liés aux phénomènes sociaux, de l'existence de la « réalité sociale » en général. Il a fallu définir le constructivisme en opposition avec le réalisme, le fameux dualisme entre la forme et la matière, les particularités du constructivisme et du réalisme. Le livre de John Searle intitulé La découverte de l'esprit qui se penche sur la question de la philosophie des sciences sociales en problématise la question du dualisme cartésien, la question se développe aussi dans d'autres de ses livres : L'Intentionnalité et dans La construction de la réalité sociale. Les chapitres VII et VIII de La construction de la réalité sociale sont consacrés à cette question particulière du réalisme, Searle y réfute les autres conceptions concurrentes du réalisme pour présenter sa propre conception, étayant « l'un des buts de ce livre (...) montrer comment cela est possible, comment le monde des institutions fait partie du monde « physique » ».782(*) Ainsi, le réalisme est chez lui un outil méthodologique sur l'analyse de la réalité sociale, le réalisme nous renseigne sur l'Arrière-plan qui est une condition d'intelligibilité de la réalité sociale. Pour arriver à montrer l'apport et la faiblesse de John Searle, nous avons tenté de déconstruire sa pensée en la démontant pour la reconstituer enfin ; nous avons démontré « les théories dont on entreprend l'appropriation critique » et « sa pensée propre se retrouvant à l'horizon d'une (interprétation) des théories critiquées ».783(*)

La méthodologie de la reconstruction que John Searle a utilisée ne lui est pas exclusive ;elle a été thématisée et pratiquée abondamment par plusieurs auteurs dont Rudolf Carnap dans son livre La construction logique du monde et Jürgen Habermas. Il a fallu expliquer le concept de la réalité sociale en le redéfinissant. Rudolf Carnap : « entends, par reconstruction rationnelle la recherche des nouvelles définitions pour d'anciens concepts. ( ...) Les nouvelles définitions doivent l'emporter sur les anciennes en clarté et en exactitude et surtout mieux s'intégrer dans un édifice conceptuel systématique. Une telle clarification conceptuelle, poursuit-il, souvent nommée aujourd'hui « explication », me semble demeurer l'une de tâches les plus importantes de la philosophie, notamment lorsqu'elle se rapporte aux principales catégories humaines. »784(*)Une telle clarification peut se faire soit avec un concept unique soit avec plusieurs concepts.

John Searle a utilisé plusieurs concepts au niveau théorique et conceptuel, les règles constitutives, l'intentionnalité, l'intentionnalité collective, l'Arrière-plan, etc. Nous avons tenté un dépassement par le concept de kheper en faisant l'inverse, présenter une clarification des nouveaux concepts par des anciens. C'est justement dans la ligne de l'ontologie sociale que les chercheurs en sciences sociales, John Searle compris, tentent une reprise à nouveau frais de l'étude la réalité sociale avec la notion centrale de back ground ou d'Arrière-plan. La transformation épistémologique searlienne de plusieurs approches en sciences sociales et humaines, tient à l'opérationalité et à la fécondité de ce concept et outil central qu'il utilise, tel qu'il se trouve être au centre de son entreprise programmatique. L'effort épistémologique que nous déployons tente de dégager les lignes de force des constructions théoriques de l'approche analysée. Notre explicitation devait avoir pour but de tenter de montrer aussi son innovation.

Il s'agissait également de chercher des relations soit observables soit conceptuelles : il s'agit en fait de réduire les concepts des choses à des concepts psychiques ou d'autres concepts des choses au moyen des artifices mathématico-logiques. John Searle passe du langage organiciste au langage logique à l'instar de Charles Sanders Peirce à l'instar de ses trois grandes catégories de priméité, secondéité et de tierceité. Les règles de coordination liant les termes théoriques aux termes observationnels, ceux du psychisme à ceux du monde vécu dans son approche pragmatico- cognitiviste.

Jürgen Habermas utilise également cette méthode. Chez lui la méthodologie a deux acceptions. La première acception se comprend comme une recherche du caché et comme une mise en évidence de l'implicite. 785(*) Elle fonctionne à cette étape comme une restitution. La deuxième acception de la méthode de la reconstruction est liée à tous les philosophes de génie qui ont pratiqué pareille reconstruction systématique et/ou historique des philosophies et des traditions scientifiques antérieures. A cette étape l'auteur utilise les concepts centraux restitués ou construits. La reconstruction philosophique se fait en Egypte( à l'école Memphitique ou Héliopolitainne ou autres ) avec la concept de kheper, chez Anaximandre avec l'apeiron, chez Aristote autour du couple Matière et Forme, René Descartes dans la philosophie de la Nature autour de l'espace homogène et de mouvement local, chez Leibniz avec le concept d'entéléchie , la force qui remplace la forme , Placide Tempels en philosophie africaine autour de la « force vitale », John Searle avec la bipolarité de « forme et matière » ou du constructivisme /réalisme qui traverse sa logique illocutoire , sa théorie de direction d'ajustement de l'esprit vers le monde ou vice-versa, son réalisme non relativiste, son Arrière-plan, en tant que capacité , aptitude non représentationnelle, etc.

L'intérêt d'une réflexion de ce genre, à notre avis, rejoint, pour le rappeler une fois de plus, les contributions parues en 2007 réunies dans le livre intitulé Les sciences sociales au Congo -Kinshasa : Cinquante ans après : quel apport ?786(*) En effet, les spécialistes en sciences humaines au Congo-Kinshasa en appellent aujourd'hui à une recherche urgente de l'innovation sur le terrain africain. Pour nous, repenser fondamentalement les sciences sociales devrait revenir à subsumer leurs présupposés philosophiques. Ces liens ne semblent suffisamment pas pris au sérieux par beaucoup de scientifiques pour rénover leurs approches.

Des problèmes épistémologiques des sciences sociales en Afrique sont de plusieurs ordres, nous nous sommes contenté d'en esquisser quelques uns, du moins quelques concepts centraux des études sociales africaines en mettant au clair, dans le cas d'espèce, les structures théoriques sous- jacentes ou l'ontologie sociale de ces courants et écoles. Plusieurs théories de la société se chevauchent, l'effort de les distinguer à partir de certains concepts opératoires ou schèmes théoriques distincts liés à chaque école théorique, se ferait justement sous le nom générique de la reconstruction philosophique. Une telle tâche que nous nous sommes assignée a demandé de dialoguer avec d'autres experts de la théorisation sociale afin de prendre acte de la multidimentionnalité d'une telle recherche.

John Searle est entré dans notre stratégie argumentative, il nous a servi de balise et de cadre. Le nom de Searle est repris constamment dans notre travail, il n'a cessé de revenir. En fait, cet auteur est philosophe analytique et aujourd'hui cognitiviste, de l'Université California Berkeley des Etats-Unis d'Amérique ;sa pensée nous a prêté un dispositif essentiel dans notre stratégie argumentative. Son importance est qu'il retourne théoriquement aux sciences sociales classiques et aux fondateurs pour remonter jusqu'à aujourd'hui. Le Professeur John Searle traverse, dans l'optique analytique et cognitivistes tous ou presque tous les grands débats philosophique et scientifique contemporains inhérents. Il nous a servi d'accompagnateur pour visiter critiquement certains de ces grands débats qui ont trait à la « réalité sociale » qu'il aborde sérieusement depuis 1995. Il nous servi en fait de partenaire de discussion sinon de réflecteur.

Du point de vue de la question de la décolonisation intellectuelle, pour dépasser le langage de la philosophie moderne qui présuppose la colonialité , il nous a fallu un auteur analytique qui se situe dans la continuité de cette ligne et qui aborde notre problématique directement ou indirectement. Il se fait que John Searle se situe dans cette ligne ; il oeuvre dans la pragmatique prise ici au sens des théories de signification à la suite de la tradition américaine de Charles Sanders Pierce (de sa sémiotique et de son naturalisme) ou plus immédiatement à la suite de John Austin. Nous devons dire que John Searle nous a servi ainsi à cette fin et nous a servi également comme pierre de touche de l'approche de la construction analytique et cognitiviste de la réalité sociale.

Nous sommes parti des reconstructions théoriques que nous supposons les plus « avancées » entant que paradigme dominant, puis en descendant vers les théories dont celles-là se démarquent et,en ,en situant le courant dans lequel les théories dites les plus avancées se trouvent. Dans le cas d'espèce, la théorie pragmatico-cognitiviste de la construction de la réalité sociale de John Searle se démarque des philosophes- sociologues fondateurs des sciences sociales, i.e., de la sociologie classique, et se situe elle-même dans la révolution sémiotique de Peirce (qui anticipe la révolution linguistique et pragmatique de Ludwig Wittgenstein) ,qui est construite sur des relations cosmologiques et logique de priméité , de secondéité et de tierceité. Toutefois, sont restés des aspects eurocentriques que nous nous sommes évertué de relever.

La philosophie des sciences sociales mobilise aujourd'hui des philosophes qui s'efforcent d'être informés de l'état des recherches empiriques , de leurs limites mais aussi de leurs résultats ; en tant que telle, elle n'est plus seulement une méthodologie, elle reconnaît des relations à l'épistémologie générale et prend au sérieux les questions que l'on appelle aujourd'hui l'ontologie sociale, une redéfinition des concepts centraux en sciences sociales : fait social, action sociale, etc. Repenser fondamentalement les sciences revient aussi à subsumer les présupposés philosophiques.

Ces constats ne préjugent pas une sorte de supériorité de la philosophie par rapport aux sciences. Il y a des liens de réciprocités ou de discontinuité. L'inspiration durkheimienne ou même celle de Pierre Bourdieu sont de plusieurs côtés puisées entre autre dans la philosophie ; ces liens doivent être pris en compte pour rénover les approches, ce que la plupart des spécialistes en sciences humaines en Afrique ne semblent pas mettre suffisamment à profit.787(*)

En effet, sans vouloir placer la philosophie dans une position illusoire de supériorité ,rappelons des propos qui nous conviennent parfaitement dans ce contexte, avec Renée Bouveresse , une « controverse a semblé évidente entre l'activité philosophique et celle des praticiens des sciences humaines, aboutissant à un accord à l'amiable et à une répartition des rôles :les sciences humaines fournissent des matériaux ,la philosophie confronte ces matériaux entre eux ,et essaie de les intégrer dans des schémas conceptuels unitaires ,schémas qui d'ailleurs peuvent ,une fois élaborés, répartir vers les sciences humaines et servir à découvrir de nouvelles régions de l'expérience ».788(*) Tel nous semble être le cas ici. Le paradigme cognitiviste prend au sérieux  l'idée que la science et la philosophie forment une unité inextricable. Francisco Varela prenait « au séreux l'idée qu'il n'y a pas de distinction très nette entre la science et la philosophie, des philosophes comme Descartes, Locke, Leibniz, Hume, Kant et Husserl ont revêtu une nouvelle importance : on pourrait les considérer, être autres, comme des protocognitivistes ».789(*)

En effet, le courant analytique a le plus insisté sur la complémentarité de la philosophie et des sciences humaines, cela pour deux raisons :

Il y a un accord de sensibilité entre les sciences humaines « compréhensives » et la philosophie analytique. Le principe le plus fondamental de l'activité analytique consiste à décrire les activités psychologiques des agents (entendus comme des actes de pensée ayant la même structure que les actes de langage) en termes de modifications du monde visé intentionnellement ou représenté langagièrement par eux.

Sur base de cette convergence des analyses, la philosophie analytique croit aussi pouvoir affirmer que son projet est nécessairement complémentaire des sciences humaines.

Au demeurant, la philosophie telle qu'elle se pratique globalement encore dans notre Université est perçue globalement par les autres collègues enseignants comme un discours « dépassé » ; philosopher serait s'enfermer dans des concepts que seuls nous philosophes comprenons. Le contexte dans lequel prend forme la réflexion que nous proposons. Nous trouvons à propos qu'il y avait un besoin d'échange théorique réel qui demandait de jeter des ponts pour relier les sciences sociales et humaines ; en général - le travail de Pierre Bourdieu par exemple offre un modèle de ce genre. Pierre Bourdieu n'est pas très connu dans une tradition où l'essentiel du personnel vient des grands séminaires. Un tel contexte contrastait avec l'épistémologie telle qu'elle s'enseigne dans notre Université qui semble rester plutôt « générale », alors que autres chercheurs semblent attendre un échange théorique « compréhensible » de notre part pour qu'ils se dédouanent des multiples « impasses » qui ont jeté leurs sciences dans une véritable routine, en même temps que si de notre côté leurs calculs statistiques et méthodes quantitatives pour les enquêtes sociales de tous ordres nous laissaient pantois. En témoigne leur cri de coeur ; qu'il suffise pour cela de citer plus récemment Bongeli Yeikelo Ya Ato : « Le moment présent, marqué par une crise multiforme et en apparence cyclique, se prête le mieux à la réflexion épistémologique ».790(*) Et : « L'impasse dans laquelle se trouve plongées les connaissances produites face à une crise rebelle et le blocage actuel en sciences sociales sur l'Afrique en général et le Congo en particulier nécessitent que l'on s'interroge sur la validité des méthodes classiques »791(*). Et : « Les réalités sociales africaines, par exemple, peu ou mal étudiées sont difficiles à reconstituer à partir de ses seules techniques dominantes de recherche ».792(*) Sans avaliser l'ensemble de ces propos, il faut dire que là gisait notre motivation. C'est avec la volonté de tenter de rencontrer ces multiples attentes que nous avons, bien au delà de ces trois années de thèse de Doctorat, ces recherches diverses qui attendaient une hypothèse adéquate pour les mettre en ordre : le kheper.

Le thème de notre étude a été justement La problématique de rénovation des sciences sociales, lecture et reprise critique de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale. Il faut avouer que les différents sous- titres de cette dissertation que nous proposons devenaient, au fil des recherches et par la force de développement de la réflexion, des chapitres. Nous voulions traiter du statut des normes dans le contexte de la mondialisation, le thème s'est retrouvé en arrière-plan par rapport à un examen critique nécessaire de la doctrine du constructivisme ; l'essai de reconstruction des thèses de John Searle est un thème s'est qui retrouvé « mis en minorité » par la profondeur des traditions africaines qu'il contribue à illustrer qui le justifient en « arrière-plan ».

Notre démarche a consisté donc à déployer critiquement la théorie la reconstruction de John Searle. Le défi était de taille devant la pluralité des théories : évolutionnisme, fonctionnalisme, structuralisme, la mouvance marxienne à laquellle Searle s'oppose, le constructivisme radical, etc. Cette pluralité des démarches en sciences sociales entraîne à coup sûr ce que Marc Maesschalck appelle la « recomposition des cadres théoriques ».793(*) Sans être exempte d'indéterminations, notre hypothèse a été de montrer que toute reconstruction épistémologique et rationnelle des sciences sociales dépend des outils théoriques indispensables qui appellent chaque fois une évaluation. Le problème c'est que, à la suite de Marc Measschalck, nous sommes à « la fin de l'ordre conventionnel (qui) se marque par la multiplicité des conflits de frontières entre les régimes de justification ».794(*) C'est « l'aboutissement naturel de la modernisation sociale caractérisée par le polythéisme des valeurs et la différenciation du monde vécu en fonction de cette pluralisation des régimes axiologiques ».795(*) Ceci nous ouvre à d'autres formes de recherches : dans ce contexte on peut mesurer le sens réel du temps social, le régime historique capable de réaliser un ordre juridique durable et les conditions cognitives. En fait, démocratie et formation juridique par exemple pourraient supposer un régime historique au niveau génétique. Nous pouvons nous référer au concept de réciprocité  et de répétition dans l'arbre conceptuel de la normativité des normes chez Marc Maessschalck.796(*)

Notre approche a été ainsi globale,en déphasage la conception continentale de l'épistémologie d'inspiration cartésienne. La question concerne les différentes distinctions de critiques intra et extra- épistémologiques. La critique extra -épistémique touche les domaines suivants797(*): L'Histoire des sciences qui tente de retracer la succession, le développement des interprétations, le déroulement et/ou la croissance des idées et des débats scientifiques, et même des ruptures théoriques ; la Sociologie des sciences qui ouvre l'enquête autour des questions sociales, des options politiques d'exigence des normes de rationalité, des discussions sur le financement et la recherche scientifique, de la localisation des sociétés savantes ou des clubs des savants ; la Psychologie de la connaissance qui s'occupe de l'origine subjective des formes de la connaissance.  La question rejoint aussi la critique intra -épistémique de la Méthodologie qualitative et de la Philosophie des sciences. Cette réflexion peut donc faire partie de la philosophie des sciences qui comprend outre la méthodologie, l'Ethique des applications scientifiques et l'ontologie.

Le Professeur Marc Measschalck résume le cadre pour repenser ces enjeux : il englobe la situation des conditions institutionnelles nouvelles en tant que conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs, telles qu'elles se structurent sur l'approche pragmatique, cognitive, génétique et dans le domaine épistémologique. Il pose au niveau génétique la question de la sortie de la colonialité du pouvoir, question de la modernité/colonialité, la question des rapports intergroupes dans la création du droit social, de l'épistémologie frontalière, et donc de la construction des nouvelles arènes publiques, de l'apprentissage comme coopération intellectuelle et auto-gouvernante au niveau cognitif, c'est-à-dire des ressources cognitives qui accompagnent la génétisation ( une génétisation de l'agir ,de l'activation de puissance ou de l'immanence de l'action recherchée) des acteurs collectifs, de l'intelligence collective des formes de vie possibles, et du temps social dans lequel elles peuvent se réaliser, et enfin au niveau épistémologique , c'est-à-dire de l'interprétation de la normativité propre à l`identification des ressources , du point de vue immanent et de la transformabilité des affects.798(*)

Epistémologiquement parlant, l'heure parait à plusieurs égards comme le moment de sauvetage général qui est propice à la définition d'une nouvelle réalité sociale : « dans la position constructiviste, l'organisation du réel fait appel à l'équilibre entre les extrêmes. Ainsi, elle reconnait une gamme de possibilités entre la séparation et la connexion, entre l'inclusion et l'exclusion ; c'est la pensée intégrée ».799(*) Et : « Les constructivistes valorisent les stratégies objectives et les stratégies subjectives dans leur façon de connaître selon les contextes et les situations (...) (et) deux aspects distinguent la position constructiviste des autres positions : l'intégration des voix intérieures et extérieures et l'émergence d'une parole authentique ».800(*)

Fabrice Clément et Laurence Kaufmann concluent au fait qu'  une fois réagencé, le système de Searle peut malgré tout rendre de grands services aux sciences sociales en permettant de réconcilier des démarches souvent conçues comme radicalement antagonistes. 801(*) Les concepts principaux sont moulés dans un seul réceptacle théorique. Ce réceptacle est élaboré par John Searle sur plus de trois décennies en suivant l'évolution de la science sociale et humaine. « Bien que, pensent Fabrice Clément et alii, pendant fort longtemps, Searle n'ait pas véritablement organisé ses interrogations dans une démarche systématique, il est néanmoins possible de décomposer son oeuvre en une série d'étapes qui, sans avoir été nécessairement planifiées, dessinent en creux une construction théorique qui se révèle remarquable à plus d'un titre ».802(*) Nous nous sommes attelé à cette tâche.

Cette façon de procéder a rejoint la question de la fondation théorique des connaissances, en partant des sciences sociales. Tiercelin, dans le post face de l'ouvrage de John Searle intitulé La construction de la réalité sociale signale sans ambages le fait que Searle rappelle toutes les sciences humaines à l'ordre de leur fondation.803(*) Tout cela parce que, « dépourvues d'une fondation théorique (...), les diverses recherches tendent à générer leur propre typologie et à faire coexister les instruments d'analyse qui, force de se régler sur leur objet, deviennent des « simples » outils descriptifs ».804(*)

L'effort épistémologique que nous avons déployé en tant que critique de l'objectivité scientifique a tenté de dégager les lignes de force des constructions théoriques de chaque approche analysée. Cette activité de recherche essaie ainsi de mettre au clair, par ricochet, la structure théorique sous - jacente ou l'ontologie sociale des courants et écoles.

Au demeurant , d'un point de vue concret et pratique, nous sommes parti du fait que le constructivisme social en général est un démenti d'une longue tradition des sciences sociales et humaines qui ont élu domicile ,sous le prétexte d'une réponse aux mutations sociales et culturelles profondes aussi bien en Europe qu'en Afrique (la décomposition des normes et leurs différents modes de gestion qui appelle des médiations diverses, la différenciation de mondes vécus et de systèmes, le désajustement des classes sociales ,les sociétés très différenciées, la rationalisation téléologique selon le terme de Jürgen Habermas que Lukacs assimile au capitalisme, le passage des institutions aux dispositions, l'exclusion sociale, bref, le désordre social et culturel, etc.). Le constructivisme est une réponse aux problèmes liés au statut épistémologique des savoirs, entendez (l'absolutisation des savoirs et des normes venus de l'Europe).805(*)

A la question théorique et conceptuelle de dépassement de la double approche structuro-fonctionnaliste, le concept de kheper est notre paradigme de dépassement du conflit réalisme -constructiviste. John Searle s'inscrit dans ce programme, il le reconstruit ou l'enveloppe au point de vue de la double approche linguistico-pragmatique et cognitiviste. L'icône ressemble au mode de reproduction de la symbolique de « scarabée égyptien » qui exprime le Devenir et le sacré. Le constructivisme searlien est donc un programme a priori dans un contexte onto- théologique au quel on fait recours et qui prend en compte théoriquement  les concepts centraux de : matière, forme, langage, parole, actes de langage, états mentaux, et enfin le divin.

En Afrique, spécifiquement, il s'est agi des problèmes de l'ethnocentrisme occidental persistant, de la « pauvreté », du déficit interne de la gestion publique, etc. Les mutations sus - évoquées forment le prétexte du renouvellement des théories et des approches en sciences sociales :la norme est dès lors analysée dans une approche globale qui implique la philosophie de droit, la philosophie politique et la philosophie morale.

En somme, le constructivisme apparaît dans son usage dominant comme une reconstruction épistémologique complexe de reprise critique des acquis méthodologique, conceptuelle et théorique à propos de la réalité sociale. Tout part de la nécessité de la reconstruction de l'espace théorique qui joue le rôle de fondement théorique pour saisir la nature profonde de ces mutations, afin de considérer finalement sous un nouveau jour l'ensemble des démarches antérieures.

Il faut cadrer le monde social bien plus complexe, on peut schématiquement le présenter en trois sphères, toutes traversées par une raison processuelle :

- La sphère stratégique des marchés, de l'Etat lié au droit positif (positivisme juridique), de la connaissance objective scientifique et de la technique, un monde qui se situe dans une position de colonisateur par rapport à ces autres sphères ;

- la sphère normative du monde vécu (appropriation symbolique, production culturelle et institutions traditionnelles et sociales), où nous trouvons la société civile (tissu associatif, communautés, personnalités, espace public), et ses usages sociaux : les droits de l'homme (jusnaturalisme), l'opinion publique, la coutume, etc. et son arrière plan de mémoire culturelle ;

- la sphère intentionnelle de la subjectivité, le monde dramaturgique esthétique de l'art.

D'un point de vue de la philosophie africaine, nous avons voulu faire nôtre cet appel de Crispin Ngwey qui pense que nous devons maintenant penser autrement : « la philosophie africaine sortie des revendications de sa possibilité, fatiguée d'ethnophilosophie ne se sent-elle pas obligée ces derniers temps de prendre à bras le corps le vécu réel des africains.( ...) Plus fondamentalement, ne sera-t-elle pas obligée de s'esquisser systématiquement en termes de révision, de métaphysique, de l'éthique, de l'épistémologie et même de la cosmologie plus élargies et plus susceptibles de nous offrir un cadre conceptuel, spéculatif et même métaphorique susceptible de permettre de penser l'homme de cette fin de XX è siècle à nouveau frais ? »806(*) Une partie de notre analyse avait l'ambition de participer à un tel élan. Pour nous, d'un point de vue théorique, l'onto-théologie est le suppôt à partir de quoi reposer le problème de l'Afrique. Il s'agit aussi de montrer les dessous des sciences sociales. Nous avons tenté de reconstruire et dégager les schèmes, les concepts centraux, les notions et structures sous-jacentes et finalement d'aller à la genèse de cette science pour identifier justement les acteurs, le leitmotiv, la nature, la valeur de cette connaissance, les intérêts en jeu, etc.

En sciences sociales au Congo, la première période pourrait être caractérisée par la science du lointain. Ces sciences sont parties des grands travaux géographiques des découvertes du bassin du fleuve Congo, dont notre destin en tant que pays va dépendre ; ceci offre la structure et les conditions de possibilités pour l'émergence de la science coloniale : l'ethnologie, la colonisation comparée, l'administration indirecte, le droit indigène, etc.

La science sociale congolaise est pourtant globalement désajustée par rapport aux problèmes du pays. Déjà, selon Poncelet, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, et à la suite d'un important activisme scientifique au Congo, l'ensemble du dispositif métropolitain des savoirs coloniaux avouera son extrême indigence quant à son accès sur le terrain. Face à une crise sociale sans précèdent et à la nouvelle attention internationale sur les colonies, on découvrira un Congo dépourvu de toute possibilité d'appareillage scientifique susceptible de reconfigurer l'image de la colonie, de donner à ses responsables publics le sentiment qu'une direction nouvelle est à donner à l'évolution sociale. Ce n'est guère qu'entre 1950 et 1955 que les universités descendront sur le terrain807(*). En fait, déjà dans les années 1920-30, durant ce que Poncelet appelle l'âge d'or de la science coloniale, seuls professaient des notables coloniaux, les diplômés proprement dits portant le titre de licenciés sont très peu nombreux.

L'indépendance du Congo fut en n'en point douter ce moment qui consacra enfin la catastrophe épistémologique du dispositif colonial savant. Le travail de la déconstruction à entreprendre était, déjà alors, fort immense parce que « dans les universités (belges), les centres de recherche, les filières de cours, les diplômes, (aujourd'hui) les dispositifs de coopération, etc., sont les héritiers directs de l'institutionnalisation de sciences coloniales ».808(*)

Après la décennie 60 au Congo, les gros travaux lancés furent une occasion manquée pour entamer collectivement une reconstruction des présupposés théoriques et idéologiques de cette science sociale coloniale qui a élu domicile chez nous. Aujourd'hui, les gros travaux de reconstruction sociale devraient être ce lieu d'évaluation du chemin parcouru et de l'orientation théorique à prendre.809(*) Seulement ce genre d'enjeux ne semble pas présent dans le processus d'élaboration de notre science. Et qu'en dire pour un Etat qui octroie à la recherche une allocation modique déjà difficile à décaisser sauf pour des programmes bidons du secrétariat général au Ministère de la recherche scientifique et technologique, qui se l'est appropriée longtemps, un Etat qui ne prend pas en compte, avec son Ministère , la vision de la science qui devait être élaborée par le Conseil Scientifique National comme partout au monde, un Conseil qui par ailleurs n'a même pas de bureaux. A se référer aux administratifs entêtés, la science semble répondre plutôt à une exigence exclusivement spéculative, éparse et venue d'ailleurs ou de nulle part.

Quelle leçon faudrait-il tirer du travail et des revers d'une bonne partie des sciences ? Ecoutons un avis pertinent : « même une civilisation scientifique ne se trouve pas dispensée de résoudre les problèmes pratiques, ajoute Habermas ; c'est pourquoi l'on court un risque certain lorsque le processus de scientifisation dépasse les limites des questions pratiques sans se libérer pour autant de la rationalité bornée qui caractérise une réflexion technologique. (...) La théorie, lorsqu'elle se rapportait encore à la pratique en son sens original, concevait la société comme l'ensemble composé par les actions de sujets parlants qui intégraient leurs relations sociales à un contexte communicationnel conscient et devaient s'y constituer en sujet collectif apte à l'action ; sinon leur destin, au sein d'une société qui dans le détail est de plus en plus rigoureusement rationnalisée, échapperait à la discipline rationnelle dont ils ont justement le plus besoin. Mais une théorie qui confond le pouvoir d'agir et le pouvoir de manipuler les choses est incapable de se placer dans cette perspective ».810(*)

Nous avons pris la question des « sociétés sans écriture » comme prétexte pour aborder les présupposés épistémologiques généraux des sciences sociales en Afrique. Il y a lieu de montrer la trame discontinue des traditions théoriques des sciences sociales telles qu'elles structurent et déstructurent nos sociétés. A ce moment là, il faudra identifier les différentes conceptions théoriques à partir de quoi reconstruire philosophiquement. Plusieurs théories de la société se chevauchent, l'effort de les distinguer à partir de certains concepts opératoires ou schèmes théoriques distincts liés à chaque école théorique, se ferait justement sous le nom générique de « reconstruction philosophique ». C'était notre méthodologie.

Avant même de procéder à reconstruire une approche théorique à travers ses schèmes généraux, ses concepts principaux, il était logique de par notre méthodologie, de dire les problèmes qu'elle pose. Les problèmes épistémologiques (théoriques et idéologiques) des sciences sociales sont de plusieurs ordres, nous nous sommes contenté d'en esquisser quelques uns, du moins concernat quelques approches dominantes des études africanistes.811(*)

Il était aussi possible de constater les innovations qui ont permis des ruptures ou des continuités plus opératoires de ces notions. Ces notions théoriques centrales sont , hélas restées, les mêmes mais leur signification peut différer, on peut s'en douter, selon les champs d'application ce qui veut dire selon qu'il s'agissait de l'Occident ou de l'Autre de l'humanité. Notre explicitation devait avoir pour but de tenter de montrer l'innovation qui survient avec chaque concept opératoire et être ainsi une matrice théorique capable de présenter plusieurs niveaux d'analyse et de donner des traits généraux aux adaptations théoriques.

Finalement il nous faudra dire en liminaire à propos des sciences sociales qu' « il devient presque banal de le rappeler -, les données relèvent d'une mise en forme à travers des catégories et des relations déterminées : répartition statistiques, descriptions d'interactions, les récits d'histoires (...), les matériaux du chercheur peuvent être aussi bien « données »-dans des archives, par exemple -que « construits »- par observation, entretien, questionnaire, etc. Dans les deux cas, ils sont structurés, « parlent », suggèrent des raisons, des mécanismes ; ils sont déjà porteurs d'une intelligibilité qui n'est pas foncièrement différente de celle du chercheur. »812(*) Et :« Le travail de l'analyse n'est pas de « faire parler » une nature muette, ( ) mais d'opérer les confrontations entre les données, déjà signifiantes et organisées, et une structure d'explication possible. (...) L'expérience des sciences sociales prouve que le résultat - c'est-à- dire la structure explicative proposée, quels que soient sa forme et ses ressorts - est considérée comme recevable dès lors qu'il peut être soumis à la discussion argumentative et empirique, c'est - à- dire être confrontée à une explication autre, qui paraisse plus raisonnable, et à des données complémentaires et nouvelles ».813(*) Ceci est notre hypothèse, pour autant que, de ce qui précède dépend le statut même épistémologique des schèmes reconstructeurs.

En effet, les problèmes épistémologiques en sciences sociales et humaines ne sont pas liés qu'aux problèmes théoriques, ils sont aussi de problèmes de leur l'origine. Il a fallu par exemple interroger le fondement des découpages disciplinaires : ils ne résultent ni d'une segmentation « naturelle » de l'ordre des choses, ni d'un plan rationnel de connaissance ; ils sont les héritiers et les produits continûment retravaillés d'une histoire , qui n'est pas seulement une histoire des idées , mais également une histoire de la production sociale des connaissances et des savoirs , de la construction de dispositifs pratiques de connaissance, dans lesquels se sont moulées des procédures , se sont dessinés de schèmes de pensée et d'action , et qui, par-delà leur renouvellement et leurs frottements permanents , continuent d'être vivants. 

Que de théories et de paroles ! Voilà le reproche qui nous sera adressé si nous en restons à une approche théorique. La réflexion a débouché sur l'ontologie du droit et la nécessité de penser l'opérationnalisation de la pensée africaine, comme des institutions. Il reste à construire une autre Afrique dans la pratique aussi. Bien entendu, déjà cette attitude ethnologique que nous avons stigmatisée est aujourd'hui fortement nuancée dans plusieurs domaines : l'herméneutique, l'anthropologie et la sociologie des catégories, etc. Sur le terrain africain, cela est bien utile, mais il faut passer à l'action. Nous avons présenté un essai de reconstruction de quelques aspects des sciences sociales sur l'Afrique ;tout cela s'est avéré nécessaire et pertinent parce que , aujourd'hui encore, nous pouvons continuer d'affirmer qu'il existe une relation étroite, par ailleurs nouée il y a bien longtemps, dans le cas d'espèce entre la science coloniale et une construction et les institutions actuelles chez nous : « les institutions...qui survivent aux confins de quelques disciplines ou filières universitaires,...étaient des héritages des sciences coloniales, ou, plus généralement, étaient de l'institutionnalisation des rapports politico -savants entre la métropole et l'Afrique belge ».814(*)

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LES AUTRES ARTICLES :

- BERTHELOT Jean-Michel, « Les sciences du social », dans Epistémologie des sciences sociales, Puf, Paris, 2001.

- BERTHELOT Jean-Michel «  Programmes, paradigmes, disciplines : pluralité et unité des sciences sociales », dans, (Jean-Michel BERTHELOT, (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, Puf, Paris,2001.

- BONNY Yves, « Introduction : Michel Freitag ou la sociologie dans la monde » in Michel FREITAG, L'oubli de la société : une théorie critique de la postmodernité, Presses de l'Université de Laval, Laval, Renn, Presse Universitaire de Renn, 2002.

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- FRANCK Robert, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, Librairie Philosophique VRIN, Paris, 1994.

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DICTIONNAIRES

- MESURE Sylvie et SAVIDAN Patrick (Dir.), Dictionnaire des sciences humaines, collections `Grands Dictionnaires', Puf, 2006.

- HUISMAN Denis (Dir.), Dictionnaire des philosophes, Puf, Paris, 1984.

DOCUMENTS

- L'Europe et le Sud à l'aube du XXI è siècle, enjeux et renouvellement de la coopération, Actes de la 9 è conférence générale de l'EADI, Karthala, Paris, 2002.

- Histoire de l'humanité, Unesco, Paris, 1969.

TABLE DES MATIERES

Dédicace 2

Remerciements 3

0.1. Etat de la question ............................................................... 4

0.2. Problématique 10

0.3. Hypothèses 17

0.4. Méthodologie 3

0.5. Structure du travail 21

Chapitre I : 22

Le débat sur la réévaluation et la reforme des sciences sociales dans le monde et en Afrique 22

1.0. Sommaire du chapitre

1.1. Les mutations sociales et culturelles, et mouvance constructiviste 23

1.1.0. La mise en perspective historique et institutionnelle en Europe

1.1.1. Les mutations de la réalité sociale juridique dans le saint Empire
romain
29

1.1.2. Les limites institutionnelles actuelles et la mondialisation 39

1.1.3. L'effondrement de l'acceptation collective comme principe de
mutation
42

1.2. Les problèmes majeurs des sciences sociales en Afrique

Une logique de la pratique et quelques écueils épistémologiques

1.2.0. Du concept théorique de base : la « race » et des présupposés
connexes
45

1.2.1. Du constructivisme de Yves Valentin Mudimbe face à l'Histoire
africaine et la critique de Jan Vansina
64

Le projet de l'épistémologie de la différence et l'épistémologie
constructiviste de la continuité

1.2.2. la « mentalité mystique et prélogique» de Lucien Lévi Bruhl
comme violence symbolique.
74

1.2.3. L'Habitus et la logique pratique de Pierre Bourdieu 83

1.4. Conclusion partielle.........................................................85

Chapitre II : Les promesses du constructivisme......................87

2.0. Sommaire du chapitre.......................................................87

2.1. Approches conceptuelles 88

2.1.1. Courants du constructivisme social 88

2.1.2. Le constructivisme : de l'ontologie sociale 90

2.1.3. De l'intérêt de la construction sociale 93

2.2. De l'objet et du sujet de la construction sociale 94

2.2.1. La mouvance « constructiviste » 95

2.2.2. Une ontologie en sociologie 96

2.2.3. De la thèse épistémologique 98

2.2.4. De l' « épistémologie sociale » 100

2.3. Actualité du constructivisme social 104

2.3.0. Langage et ontologie................................................105

2.3.1. Le retour aux sources philosophiques et la reconstruction des
sciences sociales
105

2.3.1.1. Emile Durkheim et l'ontologie sociale du structuro-
fonctionnaliste
108

A. Explication fonctionnelle et causale 111

B. La primauté de concept de totalité et du Tout 115

C. Le principe fondamental 116

D. La réalité sociale objective 118

E. Les entités émergentes 119

F. De la représentation 121

G. Les faits sociaux 122

2.3.1.2. L'explication causale, structurale et/ou systémique, et
dialectique
124

A. Fonctionnalisme et structuralisme 124

B. Le structuralisme de Lévi-Strauss 125

C. Essai de reconstruction historique 126

D. L'explication dialectique 129

2.3.2. Le constructivisme linguistique et l'analyse de la situation de la
parole
130

2.3.2.1. Du concept de la réalité sociale et approches théoriques 135

2.3.2.2. Les théories de l'action 138

2.3.3. Le constructivisme sociologico - phénoménologique de Peter
Berger et Thomas Luckman
139

A. L'apport de la sociologie compréhensive et de la
sociologie du savoir
141

B. La société et le sens 143

C. La société et l'action 145

D. Changement social et problèmes sociaux 146

2.3.4. Construction sociologico -philosophique chez Pierre Bourdieu 147

2.3.5. La construction sociale dans les domaines de l'anthropologie de la
santé et de l'anthropologie des représentations
151

2.4. Illustration de la construction de la réalité sociale ordinaire 158

2.5. Conclusion partielle............................................................161

Chapitre III: La contribution de l'oeuvre constructiviste de John Searle ...162

3.0. Sommaire du chapitre........................................................163

3.1. La transformation searlienne des déterminations structuro -fonctionnelles 166

3.1.1. Les convergences et les divergences entre Emile Durkheim et
John Searle
170

3.1.2 Le programme philosophique global de John Searle 171

3.1.3. L'application du cadre théorique à la création de la réalité sociale 181

A. La capacité sociale émergente 182

B. Les grandes catégories et le contenu de fonction - statut 184

C. Le contenu de la fonction -statut 186

D. La théorie de pouvoir déontique négatif de Searle 190

3.2. L'Arrière- plan chez John Searle et le connexionnisme 190

3.3. Du Projet théorique de John Searle 196

3.4. Le concept de construction de droit chez John Searle 202

3.5. L'esquisse d'une ontologie des faits sociaux juridiques 204

3.6. Utilité de l'Arrière - plan dans la théorie de connaissance ? Parer au
relativisme ....................................................................
210

3.6.0. Deux visions des sciences sociales 214

3.6.1. La construction sociale non relativiste et antiréaliste de Searle 224

3.6.2. De la relativité linguistique et de la relativité de la vérité 226

3.6.3. Le relativisme moderne en sciences sociales 230

3.6.4. Enjeux : La menace du réalisme : le post-modernisme 231

3.6.5. Attaque contre le réalisme : L'origine récente de problème de
relativisme moderne
234

3.6.6. La menace contre le réalisme : la modernité sur la sellette 235

3.6.7. La menace contre le réalisme : le rationalisme en question 236

3.7. Epistémologie américaine et influences subies par John Searle 239

3.7.0. Le paradigme cognitiviste chez Searle et la taxinomie des faits 242

3.7.1. La théorie de la réalité sociale et le social chez John Searle 245

3.8. Conclusion partielle............................................................245

Chapitre IV: La portée, les limites et la perspective de dépassement de l'oeuvre
constructiviste de John Searle au moyen de concept de Kheper ..
3

4.0. Sommaire du chapitre 247

4.1. La portée de l'oeuvre constructiviste de John Searle 249

4.1.1.Apport positifs 249

4.1.2. Difficultés d'analyse de John Searle.................................254

4.1.2. A Flottement des concepts centraux..............................254

4.1.2.B. Contradictions constructivistes de John Searle 256

4.2. Esquisse de dépassement de concept de kheper

4.2.0. Pour une reprise africaine du constructivisme social

4.2.1. Remise en question du naturalisme de John Searle 276

4.2.2. La reconstruction d'un modèle de tradition congolaise..............279

4.3. La faillite institutionnelle 282

A. Rappel succinct............................................................282

B. Problématiques de l'origine et de la spécificité de la modernité
occidentale
282

C. L'optique historique de la philosophie du droit 285

D. Tradition et modernité juridique 287

4.3.3. Construction d'une éthique politique et l'exigence d'une auto- critique
éclairée
289

A. Sens et tâche d'une reconstruction socio- éthique en Afrique....289

B. La problématique des inégalités 302

4.4.3. De l'Afrique aujourd'hui 307

4.5. Conclusion partielle..........................................................312

Conclusion générale 314

Bibliographie 337

Ouvrages de John Searle 337

Autres ouvrages 340

Dictionnaires 353

Documents 353

Table des matières 355

* 1 Voir Pascale JAMOULE, Des hommes sur le fil, construction de l'identité masculine en milieux précaires, La Découverte/Poche, Paris, p.14.

* 2 L'approche naturaliste englobe l'interactionnisme symbolique et l'ethno- méthodologie. L'approche culturelle des organisations se compare à l'étude anthropologique de forme de travail, du folklore et d'une culture.

* 3 Ces traditions reviennent notamment dans la tradition pragmatique ou interprétative investie de la communication de l'organisation et privilégie la méthode participante de telle sorte que la réalité sociale est partiellement construite par le chercheur.

* 4 Ruwen OGIEN, « La philosophie des sciences sociales », in Jean-Michel BERTHELOT (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, Paris, p.534.

* 5 Voir François DUBET, Sociologie de l'expérience, Le Seuil, Paris, 1994 ; CURCOFF Ph., Les nouvelles sociologies, Nathan, Paris, 1995.

* 6 Luc Van CAMPENHOUDT, Jean-Michel CHAUMONT, Abraham FRANSSEN, La méthode d'analyse en groupe ; applications aux phénomènes sociaux, Dunod, Paris, 2005, p.34.

* 7 Voir Ali KAZANCIGIL et David MAKINSON (Dir.), Les sciences sociales dans le monde, l'Unesco, Maison des sciences de l'homme, Paris, 2001.

* 8 Luc Van CAMPENHOUDT, Jean-Michel CHAUMONT, Abraham FRANSSEN, La méthode d'analyse en groupe, p.27.

* 9 Ibidem, p.29.

* 10 Ibidem, p.1.

* 11 Ibidem, p.313.

* 12 Jean COPANS, Les sciences sociales africaines ont-elles une âme de philosophie ?,2000 . www.politique-africaine.com/numeros/pdf/077054.pdf

* 13 Manfred LACHS, Le monde de la pensée en droit international ; Théorie et pratique, Collection, Droit international, Economica, Paris, 1989, p.48.

*On désigne par saint Empire romain, l'Empire romain d'occident qui fait référence à la partie occidentale de l'Empire romain à partir de sa division par Dioclétien en 286. Sa capitale fut Milan jusqu'en 402, puis Ravenne.

* 14 Ibidem, p.48.

* 15 Michel VIRALLY, La pensée juridique, Panthéon -Assas, L.G.D.J., E.J.A., Paris, rééditée en 1998, p.XXI.

* 16 Ibidem, p. XXII.

* 17 Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, entre faits et normes, traduit de l'Allemand par Rainer Rochltz et Christian Bouchindhomme, Gallimard, Paris, 1997, p.152.

* 18 Benoit FRUDMAN, « Le droit à la lumière de la philosophie de l'action », in Pierre LIVET, (DIR.), L'argumentation : droit, philosophie et science sociales, Sainte - Foy(Québec), Presse de l'unversité de Laval, Paris, Montréal, L'Harmattan, 2000, p.146.

* 19 Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, p.459.

* 20 Andre-Jean ARNAUD, FARINAS DULCE Maria Jose, Introduction à l'analyse sociologique des systèmes juridiques, Academia -Bruylant, Bruxelles, 1998, p.286.

* 21Jean -Louis GENARD, "La justice en contexte" in Le rapport des citoyens à la justice: composantes de la Problématique, Bruxelles, Centre d'études sociologiques (FUSL) - Centre interdisciplinaire d'études juridiques (FUSL) - Département de sociologie (UCL), Louvain, 1999, p.15.

* 22 Jürgen HABERMAS, Après l'Etat-nation, p.54.

* 23 Ibidem, p.72.

* 24 bidem.

* 25 Ibidem, p.68.

* 26.Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, p.10.

* 27 Ibidem ,p.46.

* 28 Ibidem .

* 29 Jürgen HABERMAS, Après l'Etat-nation, p.14.

* 30 Marc MAESSCHALCK, Normes et contextes, p.17.

* 31 Ibidem, p.154.

* 32 Ibidem.

* 33 Ibidem, p.121.

* 34 Ibidem, p.126.

* 35 Blandine DESTREMAU, Agnès DEBOULET, François IRETON, Dynamique de la pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen -Orient, Maisonneuve, Paris/Lyon, 2004, p.38.

* 36 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement ; une histoire sociale du siècle d'africanisme belge, thèse, Université de l'Ille, p.421.

* 37 Ibidem, p.422.

* 38 Ibidem, p.420.

* 39 Jean -Michel BERTHELOT, « les sciences du social », op.cit., p.205.

* 40Marc PONCELET,op.cit., p.420.

* 41Ibidem, p.421.

* 42 Ibidem, p.422.

* 43Ibidem, p.256.

* 44Ibidem, p.256.

* 45 Ibidem, p.258.

* 46 Marc MAESSCHALCK, op.cit.,p.147.

* 47 Ibidem,p.147.

* 48 Ibidem,p.147.

* 49 Ibidem,p.153.

* 50 Ibidem, p.262.

* 51 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social », art.cit., p.205.

* 52 Ibidem, , p.212.

* 53Ibidem, p.205.

* 54 Marc PONCELET,op.cit., p.49.

* 55 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement ; une histoire sociale du siècle d'africanisme belge, thèse, Université de l'Ille, p.254.

* 56 Claudine VITAL cité par Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation, p.258.

* 57 Jean -Loup AMSELLE et ELIKIA M'BOKOLO (Dir.), Au coeur de l'ethnie ; ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, La Découverte, Paris, 1999, p.190.

* 58Ibidem, p.190.

* 59 Gregory QUENET, Les tremblements de terre aux XVII è et XVIIIè siècles : la naissance d'un risque, Champ Vallon, Seyssel, 2005, p.68.

* 60NTUMBA LUKUNGA , « La remise en question théorique et méthodologique des sciences sociales et humaines au Congo :Effort de contextualisation » dans Sylvain SHOMBA KINYAMBA( Dir.) , Les sciences sociales au Congo -Kinshasa :Cinquante ans après :quel apport ?,L'Harmattan, Paris,2007,p.52.

* 61Ibidem, p.188.

* 62Jean -Loup AMSELLE et ELIKIA M'BOKOLO (Dir.),op.cit., p.188.

* 63 Ibidem, p.188.

* 64Ibidem.

* 65Ibidem ,p. 11.

* 66 Ibidem.

* 67 Marc MAESSCHALCK, op.cit.,p.159.

* 68 Ibidem,p.159.

* 69 Ibidem.

* 70 Ibidem, p.256.

* 71 Ibidem,p.24.

* 72 Ibidem,p.83.

* 73 Ibidem.

* 74 Ibidem,p.159.

* 75 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.285.

* 76 Ibidem, p.284.

* 77 KADIMA NZUJI MUKALA, Sémon KOMLAN GHANOU, L'Afrique au miroir des littératures, des sciences de l'homme et de la société : mélanges offerts à Y.V.Mudimbe, Archives et musée de littérature, Paris -Bruxelles, L'Harmattan, Archives et musées de la littérature, 2002, p.169 ; dans ce sens l'Etat belge doit emboîter les pas à l'Italie sur le dédommagement colonial comme l'a fait Silvio Bertoli avec la Libye le 30 Août 2008.

* 78 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.417.

* 79 Ibidem, p.417.

* 80 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social », dans Epistémologie des sciences sociales, Puf, Paris, 2001, p.227.

* 81 Ibidem, p.227.

* 82 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.254.

* 83 Rodolphe GHIGLIONE et Jean -François RICHARD (Dir.), Cours de psychologie, 3 e édition, Dunod, Paris, 1999, p.19.

* 84 Ibidem, p.19.

* 85 Ibidem.

* 86 Raymond MUTUZA KABE, De la philosophie occidentale à la philosophie negro- africaine ; apport des philosophes zaïrois, Universitaires Africaines et Arc-en-ciel, Kinshasa, 2006, pp.247, 268.

* 87 Histoire de l'humanité, Unesco, Paris, 1969, pp.727-757, cité par Raymond MUTUZA KABE, De la philosophie occidentale à la philosophie negro- africaine ; apport des philosophes zaïrois, Universitaires Africaines et Arc-en-ciel, Kinshasa, Kinshasa, 2006, P.268.

* 88 Jean -Loup AMSELLE et ELIKIA M'BOKOLO (Dir.),op.cit. ,p. VIII.

* 89 Ibidem ,p. IX.

* 90 Jan VANSINA, Les anciens royaumes de la savane, les états des Savanes méridionales de l'Afrique Centrale des origines à l'occupation coloniale, 2 è édition, Presses Universitaires du Zaïre, Kinshasa, 1976, p.13.

* 91 Ibidem, p.14.

* 92Ibidem, p.11.

* 93 Ibidem, p.14.

* 94 Ibidem,p. 182.

* 95 Jan VANSINA, Les anciens royaumes de la savane,p. 183.

* 96 Ibidem, p.16.

* 97 Ibidem, p.15 .

* 98 Ibidem, p.16.

* 99 Ibidem, p.15.

* 100 Ibidem, p.16.

* 101 Jan VANSINA, Les anciens royaumes de la savane, p.16.

* 102 Ibidem, p.10.

* 103 Ibidem, p.7.

* 104Ibidem, p.8.

* 105 Ibidem, p.10.

* 106 KASEREKA KAVWAHIREHI, Y .V .Mudimbe et la ré -invention de l'Afrique poétique et politique de la décolonisation des sciences humaines, 2 è édition, Netlibrary ,Rodopi, Amsterdam ;New York,2006, p.336.

* 107 Ibidem, p.217.

* 108 Jean COPANS, La longue marche de la modernité africaine : savoirs, intellectuels, démocratie, 2 è édition rev.et augment., Karthala, Paris, 1998, p.145.

* 109 KASEREKA KAVWAHIREHI, Y .V .Mudimbe et la ré -invention de l'Afrique poétique et politique de la décolonisation des sciences humaines, 2 è édition, Netlibrary ,Rodopi, 2006,Amsterdam ;New York,,p.336.

* 110 Bernard MOURALIS, Y .V.Mudimbe ou le discours, l'écart et l'écriture, Présence africaine, 198, p.104.

* 111KASEREKA KAVWAHIREHI, Y .V .Mudimbe,p.24.

* 112 Janet VAILLANT, Abdou DIOUF, Vie de Léopold Sédar Senghor, Karthala, Paris, 2006, p.18.

* 113 Présence francophone : revue internationale de langue et de littérature, Université de Sherbrooke, Centre d'étude des littératures d'expression française, 2003, p.49.

* 114 Jules VANDERLINDER (Dir.), Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de bilan, Centre de recherche et d'information socio-politiques- CRISP, Bruxelles, 1980, p.392.

* 115Yves Valentin MUDIMBE, «  La culture congolaise », dans Jacques VANDERLINDEN (Dir.), Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de bilan, Centre de recherche et d'information socio-politiques- CRISP, Bruxelles, 1980, p.390.

* 116Yves Valentin MUDIMBE, «  La culture congolaise », art.cit., p.398.

* 117 MAMADOU DIOUF, L'historiographie indienne en débat : colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, Karthala, Amsterdam, 1999, p.29.

* 118 Ibidem, p.29.

* 119Yves Valentin MUDIMBE, «  La culture congolaise », art.cit., p.395.

* 120 Yves Valentin MUDIMBE, L'autre face du royaume, Lausanne, Éditions L'Âge d'homme, 1973, p.35 ; Justin KALULU BISANSWA,  « V. Y. Mudimbe. Réflexion sur les sciences humaines et sociales en Afrique », Cahiers d'études africaines, 160,2000 ; http://etudesafricaines.revues.org/document45.html

* 121 Cités par Barnabé MILALA, «  La lutte contre la pauvreté et le respect des droits économiques, sociaux et culturels en Afrique : Apport du panafricanisme » dans Cahiers Africains des Droits de l'Homme et de la Démocratie, N° 21, Vol.I, Janvier -Mars 2005, Kinshasa, p.52 ; MUDIMBE Y.V., « libération d'une parole africaine. Notes sur quelques limites du discours scientifique », in MUTUZA KABE, Apport des philosophes zaïrois à la philosophie africaine, Presse universitaire du Zaire, Kinshasa, 1987, pp.132-139.

* 122 Ibidem, pp.132-139.

* 123Yves Valentin MUDIMBE, «  La culture congolaise », dans (Dir.) Jacques VANDERLINDEN, Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de bilan, Centre de recherche et d'information socio-politiques- CRISP, Bruxelles, 1980, p.398.

* 124 H.NTUMBA LUKUNGA, art.cit., p.53.

* 125 Ibidem, pp.132-139.

* 126Ibidem, pp.136.

* 127 Voir BAJOIT G., Pour une sociologie relationnelle, Paris, Puf, 2009.

* 128 Jacques DUBOIS, Pascal DURAND, Le symbolique et le social : réception internationale de la pensée de Pierre Bourdieu, Actes du Colloque de Cerisy -la- Salle, Edition de l'Université de Liège, Liège, 2005, p.18.

* 129 Ibidem.

* 130 L'Autre renvoie ici à l'enfant, au fou et au primitif.

* 131 Frédéric KECK, Le problème de la mentalité primitive, Lévy- Bruhl, entre philosophe et anthropologie, Thèse de doctorat, Université, Charles de Gaulle -Lille III, U.F.R. de philosophie, 2003, p.4. (Inédit)

* 132 Patrick CHAMPAGNE et Olivier CHRISTIN, Mouvements d'une pensée, Pierre Bourdieu, Bordas, Paris, 2004, p.24.

* 133 Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, éditions du Seuil, Paris, 1997, p.65.

* 134 Ibidem, p.4.

* 135 Ibidem, p.5.

* 136 Ibidem, p.7.

* 137 Ibidem.

* 138 Frédéric KECK, Le problème de la mentalité primitive, p.8.

* 139 Ibidem.

* 140 Frédéric KECK, Le problème de la mentalité primitive,p.7.

* 141 Ibidem,p.6.

* 142 Ibidem, p.6.

* 143 Ibidem, p.9.

* 144 Raphaël NTAMBUE TSHIMBULU, La logique formelle en Afrique noire, Problématique, enseignement et essais, Bruylant- Academia, Bruxelles, 1997, p.21.

* 145 Frédéric KECK, op.cit., p.9.

* 146 Ibidem,p.9.

* 147 Ibidem,p.10.

* 148 Ibidem,p.11.

* 149 Ibidem,p.12.

* 150 Ibidem.

* 151 Ibidem.

* 152 Pierre POURDIEU, La distinction, critique sociale du jugement, les éditions de Minuit, Paris, 1979, p.545.

* 153 Amartya SEN, Ethique et économie, 2 ème édition, « Quadrige », Puf, Paris, 2002, p.14.

* 154 Linda ROULEAU, Théories des organisations : approches classiques, contemporaines et de l'avant-garde, Québec, Presses universitaire de Québec, 2007, p.163.

* 155Philippe JONNAERT, Compétences et socioconstructivisme : un cadre théorique, troisième tirage, De Boeck, Bruxelles, 2006.

* 156 Blandine DESTREMAU, Agnès DEBOULET, François IRETON, Dynamique de la pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen -Orient, Khartala, 2004, p.63.

* 157 Ian HACKING, Entre science et réalité sociale. La construction sociale de quoi ?, la découverte, 2001, Paris, p.27.

* 158 Linda ROULEAU, op.cit., p.161.

* 159 Henri DORVIL et Robert MAYER (Dir.), Problèmes sociaux, Théories et méthodologies, Presses de l'Université du Québec, Tome 1, Sainte-Foy, 2001, p.117.

* 160 Voir Pierre LIVET et Ruwen OGIEN, L'enquête ontologique du mode d'existence des objets sociaux,éd. Ecole des Hautes études en sciences sociales ,Paris,2000.

* 161 Laurent MCFALLS, Nicolas LIORZOU, Julie PERREAULT, ANCA-ELENA MOT, Construire le politique : contingence, causalité et connaissance dans la science politique, Presses de l'Université de Laval, Québec, 2006, p.19.

* 162 Robert HEINER, Social problems: an introduction to critical constructionism , Oxford University Press, Oxford, New York, 2002, p.68.

* 163 Voir Smith BARRY, John Searle, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 ;Sylvie MESURE, Patrick SAVIDAN (Dir.), Dictionnaire des sciences humaines, collections `Grands Dictionnaires', Puf, Paris, 2006.

* 164 Georg SIMMEL, Etudes sur les formes de la socialisation, Puf, Paris, 1999,pp. 63-79.

* 165 L'Europe et le Sud à l'aube du XXI è siècle, enjeux et renouvellement de la coopération, Actes de la 9 è conférence générale de l'EADI, Karthala, Paris, 2002,p.68.

* 166 Le « fait social » est une terminologie qui diffère des faits institutionnels chez John Searle. Les faits sociaux prennent en compte aussi bien les animaux puisque capables d'actions collectives que les hommes. Le fait institutionnel renvoie plutôt à la structure de symbolisation et l'imposition de fonctions -statut.

* 167 Magali UHL, Jean -Marie BROHM, Le sexe des sociologues, La lettre volée, Bruxelles, 2003, p.13.

* 168 Blandine DESTREMAU, Agnès DEBOULET, François IRETON, Dynamique de la pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen -Orient, 2004, p. (64).

* 169 Ian HACKING, Entre science et réalité sociale. La construction sociale de quoi ?, la découverte, Paris, 2001, p.27.

* 170 Ibidem.

* 171 Ibidem.

* 172 Ibidem.

* 173Ibidem.

* 174 Blandine DESTREMAU, op.cit., p. 65.

* 175 Ibidem, p. (65).

* 176 Ibidem.

* 177 Monique HIRSCHHORN, L'individu social : autres réalités, autres sociologies ? Presse de l'Université de Laval, Laval,2007, p.170.

* 178 Ibidem.

* 179 Ibidem.

* 180 Yves BONNY, « Introduction : Michel Freitag ou la sociologie dans la monde » in Michel FREITAG , L'oubli de la société : une théorie critique de la postmodernité, Presses de l'Université de Laval, Laval, Presse Universitaire de Renn, Renn, 2002, p.19.

* 181 Ibidem.

* 182 Ibidem.

* 183 Ibidem.

* 184 Ibidem, p.20.

* 185 Ibidem ,p.19.

* 186 Linda ROULEAU, Théories des organisations : approches classiques, Presses Universitaires de Québec, Québec, 2007, p.161.

* 187 Ibidem , p.162.

* 188 Barthélemy COURMONT, L'empire blessé : Washington à l'épreuve de l'asymétrie, P.U.M, Montréal, 2001 p.77.

* 189 Christian NADEAU, La philosophie de l'histoire : hommages offerts à Maurice Lagueux, Université de Laval, Saint -Foy, Québec, 2007, p.282.

* 190 Jean-Louis LE MOIGNE, Le constructivisme, tome2 : des épistémologies, ESF, Paris, p.280.

* 191 Ibidem, p.14.

* 192 Blandine DESTREMAU, et alii, op.cit., p. 65.

* 193 Gloria ORIGGINI« croyance, déférence et témoignage  » dans Elisabeth PECHERIE, Joëlle PROUST(Dir.),La philosophie cognitive, Fondation de la maison de la science de l'homme, Orphrys, Paris, p.144.

* 194 Ibidem.

* 195 Elisabeth PECHERIE, Joëlle PROUST (Dir.), La philosophie cognitive, Fondation de la maison de la science de l'homme, Orphrys, Paris, p.147.

* 196 Gloria ORIGGINI, art.cit.,  p.158.

* 197 Ibidem.

* 198 Ibidem.

* 199 Elisabeth PECHERIE, Joëlle PROUST (Dir.),op.cit ., p.145.

* 200 Ibidem, p.152.

* 201 Ibidem.

* 202 Ibidem.

* 203 Ibidem, p.148.

* 204 Elisabeth PECHERIE, Joëlle PROUST (Dir.),op.cit ., p.156.

* 205 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.11.

* 206Ibidem, p.13.

* 207Ibidem, p.10.

* 208 Ibidem, p.58.

* 209 Ibidem.

* 210 Ibidem.

* 211 Ibidem.

* 212 Ibidem.

* 213 Voir De Michel De COSTER, Bernadette BAWIN-LEGROS, Marc PONCELET, Introduction à la sociologie, De Boeck, Bruxelles ,2001

* 214 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.10.

* 215 Jean-Michel BERTHELOT, «  Programmes, paradigmes, disciplines : pluralité et unité des sciences sociales », dans, (Jean-Michel BERTHELOT, (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.466.

* 216 Alban BOUVIER, Philosophie des sciences sociales, Puf, Paris, 1999, p.51.

* 217 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, Puf, Paris, 1967.

* 218 Ibidem, p.51.

* 219 Ibidem .

* 220 Ibidem, p.59.

* 221 BERGER Peter et LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Armand Colin, Paris, 2006, p.8.

* 222 Ruwen OGIEN, « Philosophie des sciences sociales», dans, (Jean-Michel BERTHELOT, (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.532.

* 223 Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, Librairie Philosophique, Vrin, Paris, 1994, p.280.

* 224 Jürgen HABERMAS, La logique des sciences sociales et autres essais, Quadrige /Puf, Paris, 1987, p.103.

* 225 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social», dans Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.237.

* 226 Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFMANN, Le monde selon John Searle, Cerf, 2005, Paris, p.90.

* 227 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.XIII.

* 228 Ibidem.

* 229 Ibidem, p.IX.

* 230 Ibidem.

* 231 Robert FRANCK, « Histoire et structure » dans Jean-Michel Berthelot (Dir.) Epistémologie des sciences sociales, Puf, p.338.

* 232 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.112.

* 233 Ibidem ,p. XVII.

* 234 Ibidem, p.XIX.

* 235 Ibidem , p.XX.

* 236 Laurent MCFALLS, Nicolas LIORZOU, Julie PERREAULT, Anca - Elena MOT, Construire la politique : contingence, causalité et connaissance dans la science politique contemporaine, Presses de l'Université de Laval, Québec, 2006, p.249.

* 237 Ibidem, p.249.

* 238 Ibidem, p.235.

* 239 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.101.

* 240 Ibidem, p.283.

* 241 Ibidem, p.87.

* 242 Ibidem, p.280.

* 243 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.280.

* 244 Ibidem , p.279.

* 245 Ibidem, p.281.

* 246 Ibidem, p.280.

* 247 Ibidem, p.278.

* 248 Ibidem.

* 249 Ibidem.

* 250 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.XXII

* 251 Ibidem.

* 252 Ibidem, p.XVI.

* 253 Ibidem, p.XXII.

* 254 Ibidem.

* 255 Ibidem.

* 256 Ibidem, p.XXII.

* 257 Ibidem, p.80.

* 258 Ibidem, p.95.

* 259Ibidem, p.XVII.

* 260 Robert FRANCK, « Histoire et structure » dans Jean-Michel BERTHELOT (Dir.) Epistémologie des sciences sociales, Puf, Paris, p.340.

* 261 Luc Van CAMPENHOUDT, Jean -Michel CHAUMONT, Abraham FRANSSEN, La méthode d'analyse en groupe, application aux phénomènes sociaux, Dunod, Paris, p.40.

* 262 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.XXII.

* 263 Ibidem, p.XI.

* 264 Ibidem, p.5.

* 265 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p.XX.

* 266 Ibidem, p.XXII.

* 267 Fabrice CLEMENT, op.cit., p.105.

* 268 SAVAS TSOHATZIDIS, Intentional Acts and Institutional Facts :Essays on John Searle `s Social Ontology, Springer ,2007,p.192.

* 269 Ibidem, p.6.

* 270 Emile DURKHEIM, op.cit., p.4.

* 271 Ibidem, p.103.

* 272 Ibidem, p.280.

* 273 Ibidem.

* 274 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social», dans Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001,p.236.

* 275 Ibidem,p.236.

* 276 Thierry LUCAS, « Sur le concept de nécessité en logique » in Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, Vrin, Paris, 1994, p.234.

* 277 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social», art.cit., ,p.240.

* 278 Ibidem,p.238.

* 279 Ibidem, p.283.

* 280 Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, Librairie philosophique J.Vrin, Paris, 1994, p.283. Mais, à vrai dire, c'est aux formes empiriques d'associations sociales -non aux relations sociales- qu'il oppose sa conception des structures sociales. Il refuse de qualifier de structure les formes d'association auxquelles se référait généralement la sociologie depuis Durkheim, formes d'association qui étaient au centre de l'approche fonctionnaliste de Parsons, par exemple, ou de Radcliffe-Brown : il ne s'agit pas là de relations singulières, labiles et ponctuelles, mais des réseaux stabilisés de relations, telles que des « organisations ». 

* 281 Robert FRANCK, « Histoire et structure », dans Jean-Michel BERTHELOT (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, Puf, Paris,2001 ,p.345.

* 282 ELUNGU PENE ELUNGU, Etendue et connaissance dans la philosophie de Malebranche, Librairie philosophique J.Vrin , Paris, 1973, p.23.

* 283 Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, ... », art.cit. p.284.

* 284 Ibidem, p.284.

* 285 Ibidem, p.285.

* 286 Ibidem.

* 287Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » ,p.285.

* 288 Ibidem, p.286.

* 289 Ibidem, p.287.

* 290 Ibidem.

* 291 Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » ,p.297.

* 292 Ibidem.

* 293 Ibidem.

* 294 Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, p.24.

* 295 Ibidem, p.28.

* 296 Ibidem.

* 297 Ibidem, p.29.

* 298Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, p.31.

* 299 Daniel VANDERVEKEN, « La structure logique des dialogues intelligents » in Bernard MOULI et al (éds.) Analyse et modélisation des discours. Des conversations humaines aux interactions entre agents logiciels, Collection Informatique, l'interdiscipline, Montréal, 1999, p.28 ,29.

* 300 Guy ROCHER, Talcott Parsons et la sociologie américaine, édition électronique, Collection « Classique des sciences sociales », Centre de Recherche en droit public, Université de Montréal, Québec, 1998 , p.39.

* 301 Patrick CHAMPAGNE et Olivier CHRISTIN, Mouvements d'une pensée, Pierre Bourdieu, Bordas, Paris, 2004, p.24.

* 302 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.169.

* 303 Pierre LIVET, « Normes et faits », dans L'Univers philosophique, Puf, Paris, p.129.

* 304 Jürgen HABERMAS, Logique des sciences sociales et autres essais, Puf, 2005, p.363.

* 305 Jürgen HABERMAS, Logique des sciences sociales, p.365.

* 306 John SEARLE, Les actes de langage, essai de philosophie du langage, Hermann, Paris,1972, p.120.

* 307 Jürgen HABERMAS, Logique des sciences sociales et autres essais, p.365.

* 308 Marc MAESSCHALCK, Normes et contextes, les fondements d'une pragmatique contextuelle, Georg Olms Verlag Hildesheim, Zürich, New York, 2001, p.166.

* 309 Ibidem, p.166.

* 310 Voir Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, Entre faits et normes, Gallimard, Paris, 1997, p.29.

* 311 Ibidem.

* 312 Jürgen HABERMAS, Théorie de l'agir communicationnel, rationalité de l'agir et rationalisation de la société, Tome I, Fayard, 1987, p.92.

* 313 Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, op.cit., p.17.

* 314 Ibidem, p.18.

* 315 Blandine DESTREMAU, Agnès DEBOULET, François IRETON,op.cit., p. 56.

* 316 Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, op.cit., p.18.

* 317 Jürgen HABERMAS, La logique des sciences sociales et autres essais, p.144.

* 318 Ibidem, p.143.

* 319 Ibidem, p.137.

* 320 Ibidem, p.143.

* 321 Ibidem, p.143.

* 322 Ibidem, p.136. Quand nous suivons Jürgen Habermas, le programme de Cicourel est par ailleurs celui de savoir : « Quels sont les fondements appropriés de la mesure en sociologie ? ».

* 323 Ibidem, p.141.

* 324 Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, op.cit., p.304.

* 325 Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, Avant -propos de Danilo Martuccelli ,op.cit ., p.22.

* 326 Ibidem, p.8.

* 327 Ibidem, p.9.

* 328 Ibidem, p.22.

* 329 Ibidem, p.24.

* 330 Ibidem, p.38.

* 331 Ibidem, p.36.

* 332 Ibidem.

* 333 Ibidem.

* 334 Ibidem.

* 335 Ibidem, p.37.

* 336 Ibidem, p.123.

* 337 Ibidem, p.122.

* 338 Ibidem, pp.116-112.

* 339 Ibidem, p.169.

* 340 Ibidem, p.163.

* 341Jürgen HABERMAS, Connaissance et intérêt, (Préface), p.19

* 342 Pierre BOURDIEU, La distinction ; critique sociale du jugement, éditions de Minuit, Paris, 1979, p.544.

* 343 Ibidem, p.194.

* 344Ibidem, p.215.

* 345 Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, Seuil, Paris, 1997, p.216.

* 346 Pierre BOURDIEU, La distinction, p.195.

* 347 Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, p.190.

* 348 Ibidem,p.210.

* 349 Ibidem, p.211.

* 350 Ibidem, p.191.

* 351 Pierre BOURDIEU, La distinction, p.189.

* 352 Leo CHALL, Sociological Abstract, 2003, p.950.

* 353 Gustavo FAIGENBAUM, Conversations with John Searle, p.83.

* 354 Yannick JAFFRE et Jean Pierre OLIVIER DE SARDAN (Dir.), La construction sociale de la réalité des maladies, entités nosologiques populaires en Afrique de l'ouest, Paris,Puf, 1999, p.7.

* 355 Ibidem, p.7.

* 356 Ibidem p.11.

* 357 Ibidem, pp.7,11.

* 358 Ibidem ,p.17.

* 359 Yannick JAFFRE et Jean Pierre OLIVIER DE SARDAN (Dir.), op.cit ., pp.18, 19.

* 360 Ibidem, p.18.

* 361 Pierre BOURDIEU, La distinction , p.545.

* 362 Ibidem ,p.547.

* 363 Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, p.216.

* 364 Pierre BOURDIEU, La distinction,p.512.

* 365 Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, p.214.

* 366 Ibidem ,p.217.

* 367 Ibidem, p.218.

* 368 Ibidem, p.217.

* 369 Pierre BOURDIEU, La distinction , p.546.

* 370 Ibidem, p.547.

* 371 Pierre POURDIEU, Méditations pascaliennes, p.208.

* 372 Ibidem ,p.209.

* 373 Ibidem, p.209.

* 374 Ibidem, p.189.

* 375 Blandine DESTREMAU, Agnès DEBOULET, François IRETON,op.cit., , p. 64.

* 376 Jeannine OUELLETTE, Les femmes en milieu universitaire : liberté d'apprendre autrement, Les Presses Universitaires d'Ottawa, Etudes des femmes, Ottawa, 1999, p.15.

* 377 Ibidem, p.23.

* 378 Jeannine OUELLETTE, op.cit., p.17.

* 379 Simone de BEAUVOIR, Le deuxième sexe, cité par Jeannine OUELLETTE, op.cit., p.17.

* 380 Jeannine OUELLETTE, op.cit., p.13.

* 381Ibidem, p.13.

* 382 Ibidem, p.16.

* 383 Cheikh Anta DIOP, Civilisation ou barbarie, une anthropologie sans complaisance, Présence Africaine, Paris, 1981, p.145.

* 384 Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, p.130.

* 385Ibidem, p.89.

* 386Jeannine OUELLETTE, op.cit., p.89.

* 387 Ibidem, p.92.

* 388John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.14-15.

* 389 Ibidem, p.150.

* 390 Étienne LE ROY, Les pluralismes juridiques, Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris, Geneviève Chrétien- Vernicos ,Paris,2004, p.84.

* 391 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.35.

* 392 Ibidem, p.294.

* 393 Ibidem, p.36.

* 394 Ibidem, p.35.

* 395 John Rogers SEARLE, La constrcuction de la réaliét sociale, p.18.

* 396 Marc MAESSCHALCK, Normes et contextes , p.113.

* 397 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.18.

* 398 Ibidem.

* 399 Pierre LIVET, Les normes, Armand Colin, Paris, 2006, p.168.

* 400 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.167.

* 401 Ibidem, p.168.

* 402 Ibidem.

* 403 Ibidem.

* 404 Ibidem, p.169.

* 405 John SEARLE, Les actes de langage ; essai de philosophie de langage, Herman, Paris, 1972, p.93.

* 406 Jürgen HABERMAS, La logique des sciences sociales et autres essais, « édition Puf, 1987, première édition « Quadrige », Paris, 2005, p.139.

* 407John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.183.

* 408Ibidem, p.182.

* 409 Ibidem, p.189.

* 410 SAVAS TSOHATZIDIS, Intentionnal Acts and Institutionnal Facts :Essays on John Searle `s social ontology, Springer, Dordrecht, 2007,p.191.

* 411 Ibidem,p.192.

* 412 Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFMANN, Le monde selon John Searle, Cerf, 2005, Paris, p.91.

* 413 John SEARLE, Du cerveau au savoir, Hermann, Paris, 1985, p.116.

* 414 Ibidem ,p.117.

* 415 Ibidem, p.119.

* 416 Thierry LUCAS, « Sur le concept de nécessité en logique » in Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, Philosophique ?, VRIN, Paris, 1994, p.234.

* 417 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social», art.cit., p.240.

* 418 Ibidem, p.238.

* 419 C'est la généralisation et l'extension théoriques de la logique intentionnelle de Montague ; Daniel VANDERVEKEN, « La logique illocutoire »dans R.Klibansty et J. Ayoub(éds),La philosophie d'expression française au Canada, Québec ,Presses de l'Université de Laval,1998,(p.289-360).

* 420 Daniel VANDERVEKEN, « Aspects cognitifs en logique intentionnelle et théorie de la vérité »dans Cahiers d'épistémologie, Département de philosophie, Université du Québec à Montréal, cahiers n° 2005-05,328e numéro, 2005, p.5.

* 421 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.172.

* 422 Ibidem, p.172.

* 423 Fabrice CLEMENT ET Laurence KAUFFMAN, « Esquisse d'une ontologie des faits sociaux. La posologie proposée par John Searle », in Réseau, n°79 CNET,Paris, 1996.p.131.

* 424 John SEARLE, L'intentionnalité ; Essai de philosophie des états mentaux,traduction de l'américain par Claude Pichevin,Cambridge University Press,1983,Les éditions de Minuit, Paris,1985 ,p.25.

* 425 Fabrice CLEMENT et alii, op.cit., p .131.

* 426 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.274.

* 427 Daniel BOUGROUX , « les sciences du lange et de la communication, », dans (Dir.) Jean-Michel BERTHELOT, Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, Paris, p.194.

* 428John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.273.

* 429Ibidem, p.274.

* 430 John SEARLE, L'intentionnalité, p.19.

* 431 Daniel VANDERVEKEN, « La structure logique des dialogues intelligents » in Bernard et Moulin et al (éds.) Analyse et modélisation des discours. Des conversations humaines aux interactions entre agents logiciels, Collection Informatique, l'interdiscipline, 1999, p.61-99. (Voir p.28 -29)

* 432 Guy ROCHER, Talcott Parsons et la sociologie américaine, édition électronique, Collection « Classique des sciences sociales », Centre de Recherche en droit public, Université de Montréal, Québec, 1988, p.39.

* 433 John SEARLE, Du cerveau au savoir, p.83.

* 434 Ibidem, p.84.

* 435 Ibidem, p.85.

* 436 Ibidem, p.90.

* 437 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.13.

* 438 Ibidem, p.107.

* 439 Ibidem, p.111.

* 440 Ibidem, p.37.

* 441 Ibidem, p.111.

* 442 Ibidem, p.112.

* 443 Ibidem, p.114.

* 444 Ibidem.

* 445 Ibidem,p.127.

* 446 Ibidem, p.125.

* 447 Ibidem, p.133.

* 448 Ibidem, p.139.

* 449 Ibidem.

* 450 Ibidem, p.56.

* 451 Grégory ODE, Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique, Mémoire de Master, Dirigé par Jérôme Lallement, Université de Paris I, Panthéon -Sorbonne, Paris ,2005-2006, p.3.

* 452Ibidem, p.138.

* 453 Ibidem.

* 454 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.153.

* 455 Grégory ODE,op.cit.,p.5.

* 456 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.50.

* 457 Ibidem, p.140.

* 458 Ibidem.

* 459 Ibidem, p.147.

* 460 Ibidem, p.143.

* 461 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.184.

* 462 Ibidem, p.22.

* 463 Francisco VARELA, Quel savoir pour l'éthique ? Action, sagesse et cognition, Editions La Découverte, Paris, 2004, p.78.

* 464 Ibidem, p.129.

* 465 Ibidem, p.26.

* 466 Ibidem, p.28.

* 467 John SEARLE,L'intentionnalité ;Essai de philosophie des états mentaux, traduction de l'américain par Claude Pichevin, Les éditions de Minuit,1985, Paris,p.175.

* 468 Ibidem, p.29.

* 469 Ibidem.

* 470Ibidem, p.25.

* 471 Francisco VARELA, op.cit., p.79.

* 472 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.183.

* 473 John SEARLE, L'intentionnalité, Essai de philosophie des états mentaux, Traduit de l'américain par Claude Pichin, Cambridge University Press, 1983,Editions Du Minuit,1985,p.178.

* 474 Ibidem, p.179.

* 475 Ibidem, p.179.

* 476 Ibidem, p.179.

* 477 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.172.

* 478 Jürgen HABERMAS, Après Marx, Librairie Arthème Fayard,Paris, 1985,p.9.

* 479 Ibidem.

* 480 Voir John SEARLE, Les actes de langage ; essai de philosophie de langage, Herman, Paris, 1972, p.55.

* 481 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.9.

* 482 Ibidem, p.10.

* 483 Ibidem.

* 484 John SEARLE, Du cerveau au savoir, Hermann, Paris, 1985, p.105.

* 485 Ibidem, p.111.

* 486 John SEARLE, Liberté et neurobiologie, Nouveau collège philosophique, Grasset et Frasquelle, Paris, 2004, p.13.

* 487 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.9.

* 488 Ibidem, p.18.

* 489 John SEARLE, La redécourte de l'esprit, The MIT Press, 1992, essais, Gallimard, traduction française, 1995, Paris, p.19.

* 490 Marc MEASSCHALCK, Normes et contextes, p.166.

* 491 John SEARLE, L'intentionnalité : essai de philosophie des états mentaux, Cambridge university Press, 1983, Les éditions de Minuit, 1985, Paris, p .9.

* 492 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.125.

* 493 Ibidem, p.125.

* 494 Ibidem, p.154 ; dans les pays africains, il est absolument impossible de dire où finit l'armée et où commencent les bandes armées, ou qui est « chef militaire» et qui est « seigneur de guerre ». C'est une généralisation problématique.

* 495 Ibidem, p.154.

* 496 Ibidem, p.115.

* 497 Ibidem.

* 498Ibidem.

* 499 Voir Du contrat social, Livre II, chap.7, Du législateur.

* 500 Ibidem, p.130.

* 501 Eric CARPANO, Etat de droit et droits européens, évolution du modèle de l'Etat de droit, dans le cadre de l'européanisation de systèmes juridiques, L'Harmattan, Paris, Budapest, Turin,2005,p.352.

* 502 Samuel JERRY, « Economie et le juge : réflexion sur la théorie hayekienne du droit »in Cahier d'économie politique : histoire de la pensée et théorie, N° 54, L'Harmattan, 2008, p.71.

* 503 Ibidem.

* 504 Ibidem, p.70.

* 505 Ibidem.

* 506 Ibidem, p.72.

* 507 Ibidem, p.70.

* 508 Ibidem.

* 509 Ibidem, p.71.

* 510 Ibidem, p.58.

* 511 Marc MAESSCHALCK, « La loi, entre délibération et apprentissage », dans Philippe ABADIE, Aujourd'hui, lire la Bible, exégèses contemporaines et recherches universitaires, Profac, Bruxelles ,2008, p.297.

* 512 Ibidem, p.296.

* 513 Ibidem.

* 514 Ibidem.

* 515 Ibidem.

* 516 Ibidem, p.297.

* 517 Ibidem, p.298.

* 518 Ibidem, p.299.

* 519 Marc MAESSCHALCK, « La loi, entre délibération et apprentissage », p.302.

* 520Ibidem, p.305.

* 521 Ibidem.

* 522 Yves BONNY, Sociologie du temps présent ; modernité avancée ou postmodernité ?, Armand Colin, Paris, 2004, p.83.

* 523 Ibidem.

* 524 Ibidem, p.35.

* 525 Jeannine M. OUELLETTE, Les femmes en milieu universitaire, liberté d'apprendre autrement, Presses de l'Université d'Ottawa, Ottawa, 1999, p.90.

* 526 Ibidem.

* 527 Lukas SOSOE , Chantal Des LAURIERS , EMONGO LOMOMBA , Janie PELABAY, Diversité humaine, démocratie , multiculturalité et citoyenneté, Presses de l'Université Laval, Sainte-Foy, Québec, L'Harmattan, Paris, 2002,p.46.

* 528Yves BONNY, Sociologie du temps présent, p.82.

* 529 Ibidem, p.127.

* 530 Jean Pierre COMETI, Le philosophe et la poule de Kircher : quelques contemporains, Edition de l'Eclat, Paris, 1997, p.156.

* 531 Ibidem, p.156.

* 532 Ibidem, p.156.

* 533 Jean De MUNCK, L'institution sociale de l'esprit, Puf, 1995, p.4.

* 534 Jürgen HABERMAS, Logique des sciences sociales et autres essais, p.5.

* 535Damile GAMBARARA, Anna bella D'ATRI, Idélogia, filosofia e linguistica : atti del convergno internazionale di Studi : Rende(SC) ,Bulzoni,1982,p. 79.

* 536 Ibidem.

* 537 Pierre COSSETTE, L'organisation : une perspective cognitiviste, Presse de l'Université de Laval, Québec, 2004, p.352.

* 538 Ibidem.

* 539 Ibidem.

* 540 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.212.

* 541Blandine DESTREMAU, Agnès DEBOULET, François IRETON, op.cit.,38.

* 542 Michel PATY, La physique du XX è siècle, EDP Sciences, Paris, 2003, p.5.

* 543 Gérard FOUREZ, La construction des sciences : les logiques des inventions scientifiques, 2001, De Boeck Université, Bruxelles, p.368.

* 544 Ibidem.

* 545 Jean Michel BERTHELOT, Sociologie : Epistémologie d'une discipline ; Textes fondamentaux, Puf ,2000, Paris ,p.388.

* 546Ibidem , p.134.

* 547 Ibidem, p.133.

* 548 Cité par Jean De MUNCK, L'institution sociale de l'esprit, p.3.

* 549 Ibidem , p.134.

* 550 Charles TAYLOR, Hegel et la société moderne, Cerf, 1998, p.X.

* 551 Stanley HOFFMANN, « Mondes idéaux », dans John RAWLS, Le droit des gens, Ed. Esprit, Paris, 1996, p.132.

* 552 Stanley HOFFMANN, art.cit., p.132.

* 553 Arnaud SCHMIT, « Les communautés ethnocentriques, selon Richard Rorty », in YC GRANDJEAT (Dir.) , Le sens de la communauté dans les sociétés, les littératures et les arts d'Amérique du Nord, Annales du CLAN n°30, Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, Pessac ,2006, p.229.

* 554 Ibidem, p.375.

* 555 Ibidem, p.375.

* 556 Guy BOIS, La grande dépression médiévale : ce précédent d'une crise systémique, Puf, Paris, 2000, p.173.

* 557 Saint MAXIMIN, « Revue doctrinale de la théologie et de philolophie »,in Revue thomiste de Saint Maximin(France), Ecole de Théologie pour les missions, (Toulouse ,France), Desclée,1914 ,p.376.

* 558 Ibidem, p.81.

* 559 Ibidem, p.62.

* 560Ibidem, p.62.

* 561 Ibidem, p.81.

* 562 Jean de MUNCK, L'institution sociale de l'esprit, Puf, l'interrogation philosophique, Paris,1999,p.3.

* 563 Ibidem , p.3.

* 564 Ibidem, p.4.

* 565 Ibidem, p.3.

* 566 Ibidem.

* 567 Voir John SEARLE, La construction de la réalité sociale.

* 568 Ibidem, p.212.

* 569 Ibidem, p.243.

* 570 Ibidem, p.240.

* 571 Ibidem, p.234.

* 572 Emile BENVENISTE, Problèmes de linguiste générale, Gallimard, Paris, 1966, p.65.

* 573 Voir Arthur SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, Édition F. Alcan, Traduit en français par A. Burdeau , Paris, 1909-1913.

* 574 Ibidem.

* 575 Ibidem.

* 576 René BOUVERESSE, Karl Popper, ou, le rationalisme critique, critique du relativisme, 2è édition, Vrin, 1998, p.92.

* 577 Ibidem.

* 578 Ibidem.

* 579 Ibidem.

* 580 Ibidem, p.92.

* 581 Ibidem.

* 582 Tom ROCKMORE, On foundationalisme: A strategy of Metaphysical Realism, Lanham, MD [u.a.] Rowman & Littlefield ,Harvard ,2004, p.18.

* 583 Les présupposés philosophiques de John Searle ressemblent fort aux présupposés du sens commun ou à ce qu'on peut appeler le « réalisme naïf » : il y a une partie importante de la réalité qui est indépendante de nos représentations humaines. Dans son article intitulé « Rationalité et réalisme : ce qui est en jeu ? », un article qui présente un résumé de son livre La construction de la réalité sociale, à propos de la rationalité en question John Searle parle plus précisément de la rationalité occidentale. http://peccatte.karefil.com/SearleRR.html

* 584 Ibidem, p.203.

* 585 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.205.

* 586 Ibidem, p.195.

* 587 Ibidem, p.234.

* 588 Ibidem.

* 589 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.202.

* 590 Jean De MUNCK, L'institution sociale de l'esprit, p.3.

* 591 Yves BONNY, op.cit. , p.83.

* 592 Ibidem.

* 593 Ibidem, p.119.

* 594 Yves BONNY, op.cit. ,p.118.

* 595 Ibidem, p.53.

* 596 Ibidem.

* 597 Ibidem, p.72.

* 598 Ibidem, p.73.

* 599 Yves BONNY, op.cit., p.72.

* 600 Ibidem.

* 601 Ibidem, p.76.

* 602Ibidem, p.126.

* 603 Jean François MALHERBE, Epistémologies anglo-saxonnes, Puf, Paris, 1981, p.115.

* 604Ibidem, p.1.

* 605 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.269.

* 606 Ibidem, p.265.

* 607 Ibidem ,p.271.

* 608 Ibidem, p.267.

* 609 Ibidem, p.260.

* 610 Ibidem ,p.277.

* 611 Ibidem, p.266.

* 612 Ibidem ,p.255.

* 613Ibidem,p.257.

* 614Ibidem, p.260.

* 615 Ibidem, p.268.

* 616 Ibidem.

* 617 Ibidem.

* 618 Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFFMAN, Le monde selon Searle, Cerf, 2005, Paris, p.90.

* 619 Jean-Michel BERTHELOT, «  Programmes, paradigmes, disciplines », p.13.

* 620Voir Ruwen OGIEN, « Philosophie des sciences sociales », p.525.

* 621 Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFMANN, « Esquisse d'une ontologie des faits sociaux, la posologie proposée par John Searle », p.158.

* 622 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.10.

* 623 Ibidem, p.9.

* 624 Ibidem, p.522.

* 625 Jean-Michel BERTHELOT, «  Programmes, paradigmes, disciplines », p.55.

* 626 Ibidem, p.514.

* 627 Voir Jocelyn BENOIST et Sandra LAUGIER-RABATE , Strawson et l'idée de métaphysique descriptive, J.Vrin, Paris, 2005.

* 628 Voir John SEARLE, Les actes de langage ; essai de philosophie de langage, Herman, Paris, 1972, p.55.

* 629 Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFMANN, Le monde selon John Searle, Cerf, 2005, Paris, p.78.

* 630 Peter BERGER et Thomas LUCKMANN, op.cit., p.9, Avant -propos de Danilo Martuccelli.

* 631 Guy RACHET (Présentation et notes), Le livre des morts des anciens Egyptiens, France Loisirs, Paris, 1994, p.7.

* 632 Ibidem, p.78.

* 633 Ibidem, p.79.

* 634Ibidem, p.78.

* 635 Marc MAESSCHALCK, Normes et contextes, Georg OLMS Verlag, Hildesheim-Zürich-New York, 2001, p.115.

* 636 Jürgen HABERMAS, Après l'Etat-nation, une nouvelle constellation politique, Traduit de l'Allemand par Rainer Rochelitz, Fayard, Paris, 2000.p.43.

* 637 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.156.

* 638 Ibidem, p.102.

* 639 Ibidem, p.154.

* 640 Voir la question de la mentalité africaine chez Axelle KABU, Et si l'Afrique refusait le développement, L'Harmattan, Paris, 1991.

* 641 Alfred MAURY, Les Académies d'autrefois. L'ancienne Académie des inscriptions et belles lettres, Didier, 2è édition, Paris, 1864, p.262.

* 642 Yves Valentin MUDIMBE, L'odeur du père, Présence africaine, Paris, 1982, p.193.

* 643 Ibidem, p.194.

* 644 Ibidem, p.13.

* 645 Ibidem, p.263.

* 646 Ibidem, p.261.

* 647 Jean POUILLON, Pierre MARTANDA, Echange et communication : mélanges offertes à Claude Lévi-Strauss à l'occasion de son 60 è anniversaire, Mouton, La Haye, 1970, p.944.

* 648 Jean-Michel BERTHELOT, « Les sciences du social», dans Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.228.

* 649 Ibidem, p.228.

* 650 Voir Théophile OBENGA , Le sens de la lutte contre l'africanisme eurocentriste , KHEPERA et L'Harmattan , Paris, 2004 . 

* 651 Pierre LIVET, « Action et cognition en sciences sociales », dans (Dir. Jean-Michel BERTHELOT) dans Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.295.

* 652 Robert FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, VRIN, Paris, 1994, p.294.

* 653 Ibidem, p.294.

* 654 Ibidem.

* 655Ibidem, p.295.

* 656 Théophile OBENGA, L'Egypte, la Grèce et l'école d'Alexandrie : histoire culturelle dans l'Antiquité : aux sources égyptiennes de la philosophie grecque, L'Harmattan, Kinshasa, Budapest, Paris, 2006, p.33.

* 657 Ibidem.

* 658 Mbog BASSONG, Les fondements de l'état de droit en Afrique précoloniale, L'Harmattan, Paris, 2007, p.215. 

* 659 Guy RACHET (Présentation et notes), Le livre des morts des anciens Egyptiens, France Loisirs, Paris, 1994, p.111.

* 660 Voir Paul BARGUET, Le livre des morts des anciens Egyptiens, Editions du Seuil, Paris, 1979 ; cité par Cheikh MOCTAR BA, Etudes comparatives entre les cosmogonies grecques et africaines, L'Harmattan, Paris, p.251.

* 661 Ibidem, p.252.

* 662 Claude LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958, p.37.

* 663 Ibidem, p.344.

* 664 Robert FRANCK, « Histoire et structure », dans Jean-Michel BERTHELOT (Dir.) Epistémologie des sciences sociales, Puf, p. 344.

* 665 Ibidem, p.52.

* 666 Ibidem, p.43.

* 667 Ibidem, p.48.

* 668 Voir Sylvie MESURE, Patrick SAVIDAN (Dir.), Dictionnaire des sciences humaines, collections `Grands Dictionnaires', Puf, p.2006. http ://www.juif.com/wiki/Autre collections : le dictionnaire des sciences humaines

* 669 Ibidem.

* 670 Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck  Université, Bruxelles, 1998, p.96

* 671 Ibidem, p.99.

* 672 SANTAYANA, Scepticisme and Animal Faith, New York, Charres Scribner's, Ins, 1923, p.VII, cité par Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck  Université, Bruxelles, 1998, p.96.

* 673 Ibidem.

* 674 Ibidem, p.101.

* 675 Philipe RAYMOND et Stéphane RIALS, (Dir.), Dictionnaire de la philosophie politique, Puf, Paris, 1996, Pp.354-355.

* 676 Jean De MUNCK, L'institution sociale de l'esprit, Puf, Paris, p.9.

* 677 Ibidem, p.10.

* 678 Ibidem.

* 679 Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, p.96

* 680 C'est un recueil qui réunit des cosmogonies traditionnelles de la région congolaise qui va de la rivière Lomami à la rivière Kasaï, en RD Congo.

* 681 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement ; une histoire sociale du siècle d'africanisme belge, Dissertation doctorale, Université de l'Ille I, Tome I, 1995, (inédit), p.461.

* 682 Ibidem, p.462.

* 683 Ibidem, p.65 ; les commentaires soutiennent qu'à propos de la physiologie d'Une bible noire, la conception de ce qui est appelé ici les centres de l'homme, liés à des facultés et pouvoirs, réunit des notions particulières de physiologie et une notion très comparable à celle de Chakras Hindu. Cakras: Sanskrit: «roue». Un lieu de concentration d'énergie et de conscience situé dans les corps intérieurs de l'être humain. Ce sont les centres nerveux, plexus et ganglions, ainsi que les glandes qui correspondent aux chakras principaux, qui se trouvent dans le corps physique, le long de la colonne vertébrale, du bas jusqu'au sommet du crâne. (Notons qu'il y a correspondance, et non identité entre les chakras et les centres nerveux, glandes, etc.) Il y a sept chakras principaux qui sont les plus connus et le plus souvent décrits dans les livres. Mais en réalité, il y en a d'autres encore. On peut voir les chakras par le psychique; ils ressemblent à des lotus aux nombreux pétales de diverses couleurs. Voir: manipura-chakra, muladhara-chakra, nadi, sahasrara-chakra.

* 684 Tiarko FOURCHE et Henri MORLIGHEM, Une bible noire, Max Arnold, Bruxelles, 1976 , p.37.

* 685 Ibidem, p.19.

* 686 Ibidem, p.24.

* 687 Jürgen HABERMAS, Après Marx, Fayard, édition française, Paris, 1985, p.226.

* 688 Ibidem,p.233.

* 689 Jürgen HABERMAS, Après Marx, p.166.

* 690 Jean-Cassien BILLIER et Aglaé MARYIOLI, Histoire de la philosophie du droit, Armand Colin,/VUEF , Paris, 2001, p.7. 

* 691 Ibidem,p.14 .

* 692 Ibidem.

* 693 Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, entre faits et normes, traduit de l'Allemand par Rainer Rochltz et Christian Bouchinndhomme, Gallimard, Paris,1997, p. 160.

* 694 Ibidem, p.39.

* 695 Michel WIEVIORKA, Aude Marie DEBARLE, Les sciences en mutations, 2007, p.27.

* 696 Marc MEASSCHALCK, Epilogue, Nivelles, (Belgique), 2009, p.270. (À paraitre). Ce texte porte sur ce que nous pouvons appeler les tâches actuelles de la philosophie des normes.

* 697 Ibidem.

* 698 Ibidem.

* 699 Ibidem.

* 700 Ibidem.

* 701 Janet VAILLANT, Abdou DIOUF, Vie de Léopold Sédar Senghor, Karthala, 2006, Paris, p.18.

* 702 Georges BALANDIER, Le « tiers monde », sous -développement et développement, Puf, 1961, p.16.

* 703Marc MAESSCHALCK, Normes et contextes, p.26.

* 704 Ibidem, 162.

* 705 Ibidem, p.27.

* 706 Ibidem,p.81.

* 707 Ibidem,p.91.

* 708 Ibidem,p.123.

* 709 Ibidem,p.126.

* 710 Ibidem,p.124.

* 711 Ibidem, p.30.

* 712 Ibidem, p.33.

* 713 Ibidem,p.163.

* 714 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, Payot, Hermann Luchterhand Verlag, 1963, éditions Payot et Rivages, Paris, 2006, p.345.

* 715 Marc MAESSCHALCK, Normes et contextes, p.116.

* 716 Ibidem,p.82.

* 717 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, p.342.

* 718 Ibidem.

* 719 Ibidem, p.342.

* 720 Ibidem, p.30.

* 721 Ibidem, p.28.

* 722 Ibidem, p.128.

* 723 Jean De MUNCK, L'institution sociale de l'esprit, Puf, Paris,1999, p.93.

* 724 Ibidem, p.93.

* 725 Marc MEASSCHALCK, Normes et contextes, p.2.

* 726 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, p.345.

* 727 Ibidem, p.345.

* 728 Ibidem, p.256.

* 729 Marc MAESSCHALCK, Normes et contextes, p.159.

* 730Ibidem, p.159.

* 731 Ibidem.

* 732 Ibidem,p.24.

* 733 Ibidem,p.159.

* 734 Ibidem,p.83.

* 735 Ibidem.

* 736 Ibidem,p.84.

* 737 Ibidem,p.85.

* 738 Ibidem, p.26.

* 739 Ibidem, p.2.

* 740 Marc MAESSCHALCK, « Entre éthique et gouvernance : la philosophie des normes », Introduction. Manuscrit à paraitre.

* 741 Ibidem.

* 742 Ibidem.

* 743 Marc MAESSCHALCK, Démocratie et acteurs collectifs ou « comment construire les conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs ? », Note interne, Université catholique de Louvain, Janvier 2009, CPDR, p.17 .

* 744 Jean Jacques ROUSSEAU, « Discours sur cette question proposée par l'académie de Dijon : Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle », dans Oeuvres philosophiques de Jean Jacques Rousseau, Garnier, Paris, 1966, p.39.

* 745 Philipe RAYMOND et Stéphane RIALS, (Dir.), Dictionnaire la philosophie politique, Puf, Paris, 1996, p.194.

* 746 Ibidem, pp.354-355.

* 747 Philipe RAYMOND et alii, op.cit., P.428.

* 748 Ibidem, p.429.

* 749 Ibidem, p.430.

* 750 Ibidem.

* 751 Ibidem.

* 752 Ibidem.

* 753 Ibidem, p.432.

* 754 Ibidem.

* 755 Ibidem, p.433.

* 756 Ibidem, p.434.

* 757Jürgen HABERMAS, l'éthique de la discussion et la question de la vérité, Bernard Gasset, Paris, 2003, p.78.

* 758 Ibidem, p.29.

* 759) Jürgen. HABERMAS, Théorie de l'agir communicationnel. Rationalité de l'agir et rationalisation de la société, Fayard, Tome 1, Paris, p. 315.

* 760Alionne SALL (Dir.), La compétitivité future des économies africaines, Actes du Forum de Dakar 5 du 3 au 5 mars 1999 ,organisé par l'équipe de Futur africain, éd. Khartala, Sankoré, Futur africain, Abidjan, Dakar, Paris, 2000, p.9.

* 761 Ibidem ,p.9.

* 762 Ibidem, p.12.

* 763 Ibidem.

* 764 Ibidem, p.377.

* 765 Ibidem.

* 766 Jean KINYONGO JEKI, « L'histoire d'un drame », dans Philosophie et destins des peuples, Actes des journées philosophiques de Canisuis, Mars 1999, éditions Loyola, 2000, p.24.

* 767 Ibidem.

* 768 Ibidem, p.26.

* 769 Ibidem.

* 770 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, p.320.

* 771 Pierre MTUNDA MWEMBO, art.cit. p.47.

* 772 VERLEY, « Crise économique » dans Encyclopédie Univesalis, p.770, cité par Pierre MUTUNDA MWEMBO, art.cit. p.51.

* 773 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, Payot, Hermann Luchterhand Verlag, 1963, éditions Payot et Rivages, 2006, Paris, p.340.

* 774 Ibidem, p.320.

* 775 Pierre MUTUNDA MWEMBO, art.cit.,  p.51.

* 776 Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, éditions du Seuil, Paris, 1997, p.129.

* 777 Alban BOUVIER, La philosophie des sciences sociales, Puf, Paris,1999, p.107.

* 778 Ibidem, p.107.

* 779 Emile DURKHEIM, op.cit., p.81.

* 780 Ibidem, p.84.

* 781 Ibidem, p.460.

* 782 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.158.

* 783 Jürgen HABERMAS, Après Marx, Fayard, 1985, Paris, p.9.

* 784 Rudolf CARNAP, La construction logique du monde, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 2002, p.45.

* 785 Voir Jürgen HABERMAS, Après Marx, p.11.

* 786 Voir Sylvain SHOMBA KINYAMBA (Dir.), Les sciences sociales au Congo -Kinshasa : Cinquante ans après : quel apport ?, L'Harmattan, Paris, 2007.

* 787 Voir Sylvain SHOMBA KINYAMBA (Dir.), Les sciences sociales au Congo -Kinshasa , 2007.

* 788 Renée BOUVERESSE, La philosophie et les sciences de l'homme, Ellipses/édition Marketing S.A., Paris, 1998, p.15.

* 789 Francisco VARELA, Quel savoir pour l'éthique ? Action, sagesse et cognition, Editions La découverte, Paris, 1996, 2004, p.46.

* 790 BONGELI YEIKELO YA ATO, Sociologie et sociologues africains: pour une recherche sociale citoyenne au Congo- Kinshasa, L'Harmattan, Paris, 2007 ,p.43.

* 791 Ibidem, p.44.

* 792 Ibidem, p.61.

* 793 Marc MEASSCHALCK, Normes et contextes, p.7.

* 794 Ibidem,p.2.

* 795 Ibidem.

* 796 MAESSCHALCK Marc, Démocratie et acteurs collectifs ou « comment construire les conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs ?», Note interne, CPDR, UCL, 2009, p.23.

* 797 Ceci corrobore la topologie de Joseph N'KWASA BUPELE, Cours d'épistémologie des sciences de la communication, Unikin ,2008.

* 798 MAESSCHALCK Marc, Démocratie et acteurs collectifs ou « comment construire les conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs ?», Note interne, CPDR, UCL, 2009, pp.14-16. 

* 799Ibidem, p.90.

* 800 Ibidem, p.89.

* 801 Voir Fabrice CLEMENT et Laurence KAUFMANN, « Esquisse d'une ontologie des faits sociaux », p.125.

* 802 Ibidem, (Avant-propos).

* 803 Voir John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p. 1995.

* 804 Fabrice CLEMENT et alii, op.cit., p.125.

* 805 Ces mutations affectent par ailleurs l'Afrique.

* 806 Crispin NGWEY NGOND'A NDENGE, « Pour une pensée et une praxis autonomes des sociétés africaines », dans Philosophie et destins des peuples, Actes des journées philosophiques de Canisius, Mars 1999, Editions Loyola, 2000, p.109.

* 807 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.365.

* 808 Ibidem.

* 809 Les recommandations de la Conférence Nationale Souveraine se focalisent sur la réhabilitation du Conseil Scientifique National comme « intelligence nationale » pour piloter tous les Instituts et Centres de Recherche en RD Congo.

* 810 Jürgen HABERMAS, Théorie et pratique, p.321.

* 811 Cette notion est évoquée ici sans connotation péjorative, il s'agit tout simplement des études sur l'Afrique.

* 812 Jean-Michel BERTHELOT, «  Programmes, paradigmes », p.488.

* 813 Ibidem, p. 488.

* 814 Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation et développement, p.25.






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams