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Rôle des langues dans la construction de l'identité des immigrés italiens et de leurs descendants

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par Sylvie ROBERT
Université Stendhal Grenoble 3 - Master 1 Français Langue Etrangère 2009
  

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Université Stendhal - Grenoble 3
Département Sciences du Langage

MASTER 1
Français Langue Etrangère

Domaine de recherche: Plurilinguisme et identité

RÔLE DES LANGUES DANS L'INTEGRATION

ET LA CONSTRUCTION DE

L'IDENTITE DES IMMIGRES ITALIENS ET DE

LEURS DESCENDANTS.

Sylvie ROBERT
N° étudiant: 20533277

SOMMAIRE

Avant- propos

Introduction : Contexte historique de l'immigration italienne

en France p. 1

I. Spécificités de l'immigration italienne et choix méthodologiques p. 7

I.1. Une situation plurilingue p. 7

I.2. Création de communautés italiennes p.1 1

I.3. L'intégration : facteurs « facilitateurs » et obstacles p. 22

I.4. Enquête et constitution d'un corpus p. 27

II. Le rapport ambigu entre langue et identité chez les immigrés italiens p. 31

II.1. La quête identitaire des immigrés p. 31

II.2. La langue, élément fondateur ou simple constituant de l'identité ? p. 36

II.3. Le rapport ambivalent à la langue française. p. 41

III. La langue maternelle, un signe distinctif à effacer ou un héritage à transmettre à ses descendants ? p. 47

III.1. Le rejet de ses origines et la non-transmission de la langue p. 47

III.2. Le désir de la 3ème génération d'un retour aux sources. p. 53

Conclusion p. 58

Annexes p. 61

Bibliographie p. 75

Table des matières

AVANT-PROPOS

J'ai choisi d'étudier le plurilinguisme et la question de l'identité chez les immigrés italiens venus en France, probablement en raison de mon amour pour l'Italie, où j'ai vécu quelques années et que je considère comme mon pays d'adoption bien que je n'aie aucune origine italienne. Les liens qui m'unissent à ce pays sont toujours très forts et ne se sont pas amoindris après mon retour en France. J'ai d'ailleurs quitté l'Italie pour devenir professeur d'italien et j'essaie - autant que faire se peut - de transmettre à mes élèves ma passion pour ce pays et pour la langue italienne.

Ayant grandi dans le Nord-est de la France, j'ai de nombreux amis ou connaissances dont les parents étaient immigrés italiens. J'ai pu constater que certains n'avaient pas souhaité transmettre leur langue maternelle à leurs enfants. Je me suis alors demandé quel(s) événement(s) pouvai(en)t amener à l'abandon voire au rejet de cette langue que j'aime tant alors qu'elle n'est pas la mienne. Cette question m'a donné envie de me documenter sur l'immigration italienne, sur l'intégration dite « facile » des travailleurs italiens.

Au cours de mes recherches et en lisant des témoignages, j'ai pris conscience de la complexité du problème de l'identité. Qui est-on vraiment lorsque l'on est immigré ? Cesse-t-on d'être italien lorsque l'on quitte l'Italie ? Devient-on français dès lors que l'on obtient la naturalisation ? Est-on français seulement sur "les papiers" et reste-t- on italien dans son coeur ? Y a-t-il une identité franco-italienne ?

Je me suis également interrogée sur la place des langues dans la construction de l'identité de l'immigré : La langue que l'on parle conditionne-t-elle notre mode de pensée ? Devient-on français lorsque l'on maîtrise parfaitement le français, lorsque l'on pense en français ? La langue maternelle exerce-t-elle toujours une influence sur la pensée ? Peut-on réellement se détacher d'une langue qui vient des parents ? Est-ce important de la transmettre aux générations futures ?

Ce sont ces questions qui ont orienté ma réflexion sur le thème du rôle des langues dans la construction de l'identité chez les immigrés et leurs descendants.

Mon propos n'est pas d'apporter une réponse univoque à ces questions, ni d'émettre des généralités. Je garde à l'esprit que chaque histoire d'immigration est unique et qu'elle est souvent douloureuse. Mes conclusions s'appuieront sur des témoignages et ne sauraient revêtir un caractère universel.

En premier lieu, j'exposerai le contexte historique de l'immigration en France après la seconde guerre mondiale, puis j'analyserai le rapport ambigu entre langue et identité chez les immigrés italiens, enfin je montrerai que la langue maternelle peut être perçue comme un signe distinctif à effacer ou au contraire, comme un héritage à transmettre à ses enfants.

INTRODUCTION : CONTEXTE HISTORIQUE DE L'IMMIGRATION
ITALIENNE EN FRANCE.

Notre étude s'appuiera sur des témoignages recueillis auprès d'immigrés arrivés en France entre les deux guerres, et sur ceux de leurs enfants et petits-enfants. Il est cependant nécessaire de présenter brièvement les vagues antérieures de l'immigration afin de comprendre les difficultés d'insertion auxquelles ont été confrontés les migrants. En effet, contrairement aux idées reçues, l'intégration des Italiens dans la société française résulte d'une longue histoire parsemée de difficultés et d'épisodes parfois sanglants.


· Les premières vagues d'immigration italienne en France.

La première grande vague d'émigration eut lieu à la fin du XIXème siècle (entre 1871 et la fin du siècle)1, alors que l'unité italienne n'était pas encore achevée. À cette époque-là, où l'Italie était très pauvre et 90 % de la population était analphabète, 5 millions d'italiens quittèrent leur pays pour chercher du travail et s'installèrent dans le Nord de la France et surtout à Marseille.

L'Italie ayant signé l'alliance avec l'Autriche, la Hongrie et l'Allemagne en 1882, elle devint une ennemie potentielle pour la France c'est donc avec hostilité que furent accueillis les travailleurs italiens venus du Nord de la Péninsule (Turin, Cuneo), vus comme des «envahisseurs2» et des concurrents déloyaux. Leurs conditions de vie étaient extrêmement difficiles (ségrégation dans les ghettos situés en périphérie des grandes villes comme Paris ou Marseille), promiscuité dans les baraques ouvrières des villes industrielles du Nord. Se contentant de peu, les Italiens acceptaient les tâches les plus dures et des salaires dérisoires ce qui suscita l'inimitié des ouvriers français. Des rixes parfois très violentes éclatèrent entre Français et Italiens, parfois

1 Cf. Annexe 1 : carte de la répartition par départements des Italiens dans la France en 1896.

2 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p 145 : « l'image de nos voisin(...) continue d'entretenir une peur fantasmatique de la submersion. En témoigne l'usage omniprésent dans les textes du thème de l'invasion(...) on parle de « nuées de sauterelles», de « hordes de barbares », de « l'ennemi campant aux portes de la Cité ».

Le roman de Louis BERTRAND, L'invasion publié en 1907, connaît un grand succès en France.

sur le lieu même du travail. La tragédie d'Aigues-Mortes3, manifestation de xénophobie la plus éclatante a été, hélas, suivie d'autres incidents :

Le travail dans les salines d'Aigues-Mortes était extrêmement difficile. Le zèle des Italiens provoqua la jalousie des ouvriers français. Le 17 août 1893, des altercations dégénérèrent en véritable émeute, la foule excitée poursuivit les Italiens, armée de fourches et de pioches et réclamant la mort des « Christos ». Ce fut un véritable massacre.

L'assassinat du Président Carnot par l'anarchiste Sante Caserio exacerba l'hostilité et provoqua un nouveau déferlement de violence dans de nombreuses villes (Marseille, Avignon, Chambéry, Nancy et surtout Lyon).

De 1905 à 1914, les violences s'amoindrirent, les relations entre Français et Italiens s'améliorèrent peu à peu bien que les préjugés sur les Italiens perdurèrent jusqu'à la guerre.

En 1915, l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'Entente et le fait que des milliers d'Italiens aient été volontaires pour combattre avec les Français contribuèrent à changer de façon positive l'image des Italiens. Les migrants qui arrivèrent dans les années 20, s'insérèrent donc plus facilement dans la société. On reconnaît les qualités des travailleurs italiens et leur savoir-faire :

Dans les milieux patronaux s'élabore l'image de l'Italien « bon ouvrier » en même temps que

« bon père de famille » généralement peu enclin à troubler l'ordre public4.

Mais dans les années 30, la crise économique qui gagna la France après avoir affaibli l'Amérique et l'Europe, provoqua une nouvelle vague de xénophobie, alimentée par les discours non seulement de l'extrême droite mais de tous les partis politiques, ravivant les anciennes rancoeurs et les stéréotypes. Les « chasses à l'Italien » et les événements sanglants de la fin du siècle précédent ne se reproduisirent pas, mais la violence verbale se déchaîna.

Les Italiens appelés « ritals » ou « macaroni » étaient tournés en dérision et la presse diffusa une image négative des Italiens en mettant en avant la criminalité italienne. La propagande de Mussolini pour rapatrier les immigrés ne fit qu'empirer le sentiment italophobe, devenu si fort en 1939, qu'il alarma les partis politiques de gauche :

3 Enzo BARNABÀ, Le sang des marais, Aigues-Mortes, 17 ao€~t 1893, une tragédie de l'immigration italienne, Marseille, Via Valeriano, 1993.

4 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p148.

« Les Italiens de France, dans leur immense majorité, réagissent. Contre la guerre, certes, dont ils ne veulent pas. Mais aussi contre leur gouvernement, dont ils n'hésitent pas à dénoncer (...) les responsabilités criminelles. Ils vont plus loin, et par dizaines de milliers, se déclarent prêts à défendre contre une agression le pays dont ils sont les hôtes (...) Il y a Italiens et Italiens, et, l'on veut espérer que les Français ne commettront pas la faute de confondre les uns et les autres ».5


· La seconde guerre mondiale et le traumatisme du « coup de poignard dans le dos »

La déclaration de guerre de Mussolini à la France occupée par les nazis en 1940, vécue comme « un coup de poignard dans le dos » par les Français fut lourde de conséquences pour les Italiens de France, considérés comme des traîtres. 60 000 Italiens quittèrent la France pour l'Italie en 1939, la plupart pour échapper aux dénonciations et à la déportation dans les camps de concentration du Midi.

"Qui a-t-on envoyé dans ces bagnes dont un certain nombre ne reviendront pas ?( ...) j'ai sous les yeux en écrivant ces lignes les centaines de photocopies que j'ai faites aux archives de Marseille (...) Pour un sympathisant déclaré de la dictature mussolinienne, je trouve cinq adversaires déterminés du régime et à peu près autant de pauvres diables installés de longue date dans la région, parfaitement intégrés (...) souvent ayant demandé leur naturalisation depuis des années et que l'on a embarqués au petit matin, à la suite d'une dénonciation, parce qu'ils ont un jour participé à une grève, eu une altercation avec un voisin".6

Le souvenir de la « trahison » italienne resta longtemps présent dans l'esprit des Français, l'animosité ne s'estompa que très progressivement :

"Les Italiens se souviennent des difficultés de la vie quotidienne (vente de biens, relations familiales distendues, deuils sans accompagnement), de l'impression d'r~tre mis à l'écart et des vexations de toutes sortes7".

"Jusqu'en 1945, la presse française fait preuve d'un «anti-italianisme par défaut» en présentant les immigrés comme les ressortissants d'un pays vaincu8".

Italiens et Français gardent aujourd'hui encore un souvenir noir de cette période. Il semblerait néanmoins que les torts aient été partagés :

"On entend encore dire que « les Italiens ont fait la noce » dans un pays humilié par la défaite, souff ."

5 André GUERIN, article paru dans L'°~uvre, avril 1939, cité par Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p 153.

6 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p358.

7 Laure TEULIERES « Mémoires et représentations du temps de guerre dans le Midi Toulousain», dans Les italiens en France depuis 1945, p 215.

8 Alexis SPIRE « Un régime dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques française et italienne d'immigration et d'émigration » dans Les italiens en France depuis 1945, p 43.

9Laure TEULIERES « Mémoires et représentations du temps de guerre dans le Midi Toulousain » Mémoires privées, le choix du non-dit, p 215.

"Le traumatisme de 1940 n'a pas seulement fait perdre leurs repères aux habitants de l'Hexagone (...) il a également provoqué chez les migrants des réactions qui ne sont guère plus glorieuses. Certes, comme chez les Français une minorité s'engage tout de suite dans le combat contre l'occupant. (...) Mais la masse hésite entre le désir d'incognito - ne pas faire de vagues, surtout ne pas afficher son appartenance à la nationalité du pays ennemi pour ne pas éveiller ou réveiller l'hostilité des autochtones - et la jubilation d'f tre du côté des vainqueurs."10

Pour les Italiens, participer à la Résistance est une preuve de loyauté envers la France et montre leur volonté d'intégration :

" C'est l'affirmation d'une identité pleinement francisée pour les jeunes de la seconde génération. On exalte les épreuves partagées, le sacrifice consenti pour le pays d'accueil "11.


· La libération et la Reconstruction

L'économie italienne très affaiblie au moment de la Libération et le taux de chômage élevé furent à l'origine d'un nouveau flux d'immigration. La France avait par ailleurs besoin de main-d'oeuvre pour reconstruire le pays et de « sang neuf » pour relancer la croissance démographique :

"Alfred de Sauvy insiste sur l'urgence de combler les vides et le général De Gaulle admet la nécessité de faire appel à une « bonne » immigration en attendant les millions de beaux bébés dont la France a besoin pour assurer sa pérennité historique"12.

À partir du printemps 1945, de nombreux Italiens arrivèrent en France : il s'agissait d'anciens ouvriers qui avaient quitté la France en 1939 et qui retrouvaient facilement du travail auprès de leur ancien employeur, mais aussi de chômeurs qui venaient pour chercher du travail et régularisaient leur situation par la suite.

Les Français considérèrent d'abord cette arrivée massive comme "une nouvelle invasion"13. Selon les régions dans lesquelles ils s'établirent, ces nouveaux immigrés subirent, comme les générations précédentes, rejet et discriminations.

Mais la participation des Italiens à la Reconstruction scella à nouveau l'amitié entre les deux peuples :

10 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p.361.

11 Laure TEULIERES, « Mémoires et représentations du temps de guerre dans le Midi Toulousain », dans Les Italiens en France depuis 1945, p.207.

12 Pierre MILZA, Op.cit., p101.

13 Ibidem, p.100.

"La période de l'après-guerre est évoquée par les entrepreneurs, artisans, patrons ou simples ouvriers comme le temps de la fierté, de l'enracinement, de l'acceptation réciproque, de l'insertion à la société d'accueil ".14

Jusqu'au début des années 60, l'immigration se stabilisa. En France, la croissance s'accéléra, tandis que le « miracle italien15 » améliora considérablement le niveau de vie des ouvriers dans le Nord du pays.

Par conséquent, le nouveau flux est majoritairement composé d'italiens originaires des régions du sud de la Péninsule (Campanie, Calabre, Pouilles, Basilicate, Sicile) tandis que les immigrés des vagues précédentes venaient du Nord (Piémont, Cuneo). Les nouveaux venus eurent beaucoup de difficultés à se faire accepter non seulement par les Français de souche mais également par ces anciens immigrés, installés depuis longtemps en France et parfaitement intégrés à la société.

À partir des années 60, une grande partie des immigrés italiens choisit de rester définitivement en France. Leurs enfants, nés en France abandonnent souvent les durs métiers de la sidérurgie entre autres, pour se tourner vers d'autres secteurs de l'économie :

"Chez les Italiens apparaît une volonté de s'établir en France de façon plus durable (...) en 1962, leur nombre augmente en passant à 52 % des étrangers nouvellement naturalisés français (...) La nouvelle génération d'Italiens née en Lorraine et scolarisée sur place, préfère se tourner vers le commerce (30 %) ou monter une petite activité artisanale ou industrielle (1/5) "16.

Pour cette seconde génération et pour les migrants arrivés après les années 60, l'insertion a été plus facile, même s'il existe des différences sensibles d'une région à l'autre. Ainsi, en grande majorité (60 %), les primo-migrants - arrivés en France entre 1950 et 1963 - ayant répondu à notre questionnaire considèrent-t-ils que les Français leur ont réservé un bon accueil.

14 Marc POTTIER, « Les Italiens et la reconstruction de la Normandie aux lendemains du Débarquement » dans Les Italiens en France depuis 1945, p.70.

15 Entre la fin des années 50 et le début des années 60, l'Italie se transforme sur le plan socio-économique: on assiste à l'industrialisation, à la scolarisation en masse et à une modernisation fulgurante du pays, d'où l'expression « miracle italien » pour désigner ces progrès extraordinaires.

16 Piero D. GALLORO, « Le flux de main-d'oeuvre italienne dans la sidérurgie Lorraine, analyse sociale et démographique (1945-1 968) » in Les Italiens en France depuis 1945, p 92.

Ce rappel historique avait pour but de montrer que l'intégration dite « réussie » des immigrés italiens, ne s'est pas faite sans obstacles ni souffrances.

Retracer le parcours des différentes générations d'immigrés était nécessaire avant de réfléchir au rôle des langues dans le processus d'intégration. Connaître les événements historiques à défaut de l'histoire personnelle de chacun permet de mieux comprendre les différents choix des immigrés : celui de transmettre leur langue maternelle ou non, leur désir de préserver ou au contraire de dissimuler leur italianité.

I. Spécificités de l'immigration italienne et choix méthodologiques

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus