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Lyon et la Saône au XVIe siècle

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par Katherine DANA
Université Jean Moulin - Lyon III - Maitrise 2009
  

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Katherine DANA

Mémoire de Master 1 -- Histoire moderne Sous la direction de Pierre-Jean Souriac

Lyon et la Saône au XVIe siècle

Je tiens en premier lieu à remercier Elisabeth pour l'aide précieuse qu'elle m'a apportée tant en réalisant les plans de Lyon qui figurent dans ce mémoire que pour tous ses conseils techniques.

Je remercie particulièrement Coline et Matthieu pour leur soutien et leurs conseils avisés ainsi que toutes les autres personnes qui m'ont encouragée.

Enfin, dans ces quelques instants d'expression sentimentale, je n'oublie évidemment pas Damien dont l'ingéniosité et le talent m'accompagnent chaque jour.

Abréviations utilisées :

- AML : Archives municipales de Lyon

- ADR : Archives départementales du Rhône

INTRODUCTION

Etudier les cours d'eau dans une perspective historique semble un projet ambitieux puisque l'éventail de thèmes qui en découle est extrêmement vaste. Tout d'abord, les cours d'eau peuvent être étudiés comme des axes de communication donc de déplacement, à plus ou moins grande échelle, de marchandises et d'individus. De ce constat s'ouvre tout le champ d'analyse des flux commerciaux, des flux migratoires, des voies de transport et, conséquemment, des moyens de transport. Mais les cours d'eau peuvent également être un sujet d'étude dans un cadre géographique précis et limité, tel qu'une ville fluviale. Cependant, la restriction à un cadre urbain ne réduit pas de façon substantielle les angles d'étude. En effet, une analyse socio-économique est ici encore possible, notamment des activités des «gens de rivière». Par ailleurs, si l'on s'intéresse à l'eau comme élément naturel, cela implique d'étudier la façon dont cette ressource est employée, comme force motrice par exemple, mais aussi comment les hommes ont tenté de la dompter. Se dévoile alors le champ des perceptions du cours d'eau, notamment de la crainte des crues et des remèdes appliqués pour y pallier. Dans le cadre d'une ville installée sur les berges d'une rivière ou d'un fleuve, l'aménagement urbain est encore un sujet d'étude possible, particulièrement les infrastructures telles que les ponts.

Le point de départ de la présente étude est justement le rapport entre un espace urbain, la ville de Lyon, et la rivière qui la traverse, la Saône. Le sujet choisi à l'origine concernait les deux cours d'eau de Lyon c'est-à-dire la Saône et le Rhône. Le caractère atypique et vaste de ce thème en faisait son intérêt. Dans un premier temps, le Rhône était intégré, au moins de façon partielle, à l'étude. En effet, sa qualité de limite politique a rapidement exclu sa rive gauche de l'analyse. Comme la Saône et le Rhône n'ont finalement pas les mêmes statuts, les implications qui en découlent et le traitement qui leur est réservé peut être très différent. Malgré cela, le pont et la rive droite du Rhône pouvaient rester des objets d'étude. Néanmoins, les recherches bibliographiques ont permis de s'apercevoir que

le pont était très bien étudié. Par ailleurs, les murailles qui longent la rive droite du fleuve rendent compte des limites de la ville de Lyon, qui excluent donc le Rhône. Enfin, la quantité importante de sources concernant la Saône et les informations que celles-ci fournissent et qui n'ont pas été exploitées ont fini de nous convaincre. Le champ d'étude se limite donc à la seule rivière de Saône. Il convient de préciser dès à présent les termes qui seront employés pour qualifier la Saône. En effet, les auteurs de l'époque moderne emploient les termes « rivière » et « fleuve » sans faire de distinction. Cependant, on peut considérer que ce cours d'eau est une rivière puisqu'elle se jette dans le Rhône mais aussi un fleuve si l'on envisage que c'est le Rhône qui la rejoint. Comme cela n'est pas toujours clairement établi, il nous semble que ces deux termes peuvent qualifier la Saône et l'un comme l'autre pourront être utilisés.

Cette étude de la relation entre la Saône et ses riverains est volontairement restreinte à la ville de Lyon au sens strict afin de correspondre à l'espace sur lequel l'administration consulaire, c'est-à-dire le pouvoir municipal, exerce son autorité en matière de voirie. Ainsi , il s'agit de la ville de Lyon telle qu'elle est limitée par ses murailles et, dans ce cadre, la Saône de la forteresse de Pierre-Scize à la confluence. Ce choix géographique, en adéquation avec un découpage politique, n'est pas le fruit du hasard. En effet, l'adaptation d'un espace urbain à la présence d'une rivière est particulièrement illustré par la prise en charge politique quotidienne et c'est le principal angle d'étude qui a été choisi ici. Cela implique donc que le territoire étudié ait une cohérence spatiale et juridictionnelle. S'intéresser à la gestion d'une rivière et à l'aménagement de ses rives revient en quelque sorte à étudier les types de décisions prises par les autorités à ce sujet, leur régularité et leur évolution. Plus largement, il s'agit de déterminer les institutions qui ont des prérogatives, dans ce domaine, dans le cadre urbain. Il s'agit également de caractériser les préoccupations principales qui ressortent des décisions en matière de gestion mais aussi de s'intéresser concrètement aux constructions et à l'entretien du pont, des ports et des berges de la rivière. Comme les pouvoirs des différentes autorités sur l'eau ne sont pas clairement définis, il est nécessaire de travailler en amont sur l'aspect juridictionnel. Celui-ci est d'autant plus intéressant qu'il concerne un élément naturel dont chacun a l'usage et pour lequel les questions de propriété et de prérogatives sont délicates. Les cours d'eau se caractérisent par l'usage collectif qui en est fait, ce qui implique les notions de bien collectif et

d'espace public et donc une redéfinition des espaces. Ces notions sont liées à l'affirmation du pouvoir royal et à la mainmise progressive de cette autorité sur ce qui est peu à peu défini comme l'espace public, par opposition aux possessions propres aux particuliers c'est-à-dire à ce qui est privé.

C'est la raison pour laquelle notre étude commence à la charnière entre la période médiévale et la période moderne, qui voit l'autorité royale atteindre son apogée. Afin de limiter le champ chronologique, car une étude sur l'ensemble de la période moderne serait trop conséquente à mener, le XVIe siècle a été le premier critère temporel défini. Or, il convient de préciser les limites que l'on applique à ce siècle même si celles-ci ont surtout un caractère indicatif et qu'il est nécessaire, parfois, de passer outre un tel cadre. L'année 1494 est la date qui semble la plus appropriée pour commencer notre étude. En effet, depuis la fin du XVe siècle et le rétablissement des foires de Lyon par Charles VIII à cette date, la circulation dans la ville et sur les cours d'eau est une préoccupation importante qui peut justifier de nombreux aménagements. C'est également en 1494 que les campagnes militaires débutent en Italie et, à partir de cette date, la cour séjourne régulièrement à Lyon. En ce qui concerne la fin de notre étude, plusieurs dates sont possibles. La première est 1595 c'est-à-dire la réorganisation du consulat et la restriction de ses prérogatives par l'Edit royal de Chauny. D'autre part, le Traité de Lyon (1601) qui permet au royaume de France de récupérer la Bresse et le Bugey est une borne chronologique possible puisqu'avec ce traité, le Rhône perd son statut de limite. Cependant, il nous a semblé plus pertinent de choisir 1595 puisque notre sujet se concentre sur l'action du consulat lyonnais. Or, avec l'Edit de Chauny, les prérogatives consulaires sont limitées et la tutelle royale qui s'exerce sur le pouvoir municipal s'accroît.

Il semble que l'angle d'approche adopté pour cette étude de la Saône à Lyon au XVIe siècle n'a pas d'antécédent suffisamment proche pour disposer de grilles de lectures préétablies. Ainsi, ce travail a nécessité des recherches bibliographiques variées et une grande partie des ouvrages consultés n'apporte qu'indirectement des informations, qu'il a été nécessaire de réunir et de confronter. En effet, les travaux que l'on pourrait réunir sous la dénomination « histoire de l'eau » sont assez peu nombreux. Les cours d'eau sont généralement abordés dans des études historiques comme des supports pour le transport commercial, donc dans le cadre d'analyses

économiques et sociales, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas étudiés en soi mais indirectement. Richard Gascon, par exemple, dans sa thèse sur les marchands lyonnais au XVIe siècle1, évoque l'importante circulation de bateaux de marchandises sur la rivière de Saône, ainsi que les ports de la ville de Lyon, mais dans le cadre d'une étude à caractère économique.

Ainsi, lorsqu'il s'agit d'étudier un cours d'eau, il est utile, et même nécessaire, de se tourner vers les travaux qui ont été menés dans des disciplines proches de l'histoire telles que la géographie et l'archéologie. En effet, les géographes s'intéressent souvent à l'installation des populations à proximité des rivières et à l'aménagement que cela nécessite. Les infrastructures et l'aménagement sont alors les thèmes privilégiés, au détriment des institutions qui en sont à l'origine. Cependant, de tels renseignements, ainsi que les aspects intrinsèques au cours d'eau tels que son débit, sont une aide précieuse à toute étude historique d'une rivière. L'archéologie offre des informations complémentaires, notamment sur les bateaux utilisés à diverses époques et au sujet des infrastructures fluviales, mais les campagnes de fouilles entreprises dans les rivières sont peu nombreuses. De plus, la prise en charge politique des cours d'eau n'est qu'un theme brièvement évoqué, voire marginal, dans les recherches scientifiques. L'historien Jacques Rossiaud est l'auteur de l'ouvrage le plus complet, parmi ceux qui ont été consultés, en histoire de l'eau. Sa synthèse sur le Rhône pendant la période médiévale2 traite en effet de nombreux aspects mais ceux-ci sont surtout sociaux, économiques ou religieux. Les questions politiques et juridictionnelles liées à l'eau sont donc rarement abordées. Le spécialiste d'histoire juridique Frantz Mynard peut être considéré comme l'un des précurseurs puisqu'il étudie les pouvoirs qui disposent de prérogatives sur les cours d'eau et particulièrement l'affirmation progressive du pouvoir royal sur ceux-ci. L'article qu'il consacre à ce theme offre des pistes de recherche et des approches qui ont nourri la présente étude3.

Par ailleurs, il convient de situer notre travail dans les études historiques de la ville de Lyon. Celles-ci sont nombreuses et variées ; il existe plusieurs synthèses

1 GASCON, Richard, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle ; Lyon et ses marchands, tomes 1 et 2, Paris, S.E.V.P.E.N., 1971.

2 ROSSIAUD, Jacques, Le Rhône au Moyen Age, Paris, Flammarion, Collection Aubier, 2007, 648 pages.

3 MYNARD, Frantz, « Le fleuve et la couronne : contribution à l'histoire du domaine fluvial (1566 - 1669) », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, 253 pages.

de l'histoire de Lyon depuis l'Antiquité mais aussi beaucoup d'études thématiques et ponctuelles. Les différents ouvrages généraux offrent l'avantage de présenter le cadre général notamment les institutions politiques lyonnaises et leur évolution. Ils constituent donc la base nécessaire à tout étude historique de la ville. Les travaux menés sur le XVIe siècle à Lyon traitent d'aspects divers, notamment de la vie quotidienne des contemporains4. La Saône est régulièrement citée dans les études historiques de Lyon, quel que soit le thème de ces analyses, ce qui permet de se rendre compte à quel point la ville et sa rivière sont liées et combien cette dernière est importante pour Lyon. Néanmoins, encore une fois, la gestion de la rivière par les autorités n'est pas une thématique récurrente ou elle n'est abordée qu'indirectement et ponctuellement. Cependant le fort lien qui existe entre la ville de Lyon et la Saône permet de trouver de nombreuses informations dans les écrits depuis l'origine de la ville. Or ces descriptions, historiques ou non, de la ville et de sa rivière nourrissent le présent travail et leur apport ne saurait être minimisé.

Ainsi, il peut sembler étonnant que les travaux traitant d'un espace urbain qui s'est peu à peu construit, depuis l'Antiquité, sur les rives d'une rivière n'abordent que peu le thème de la gestion politique du cours d'eau. Des réflexions ont été menées autour de cette relation entre une ville et sa rivière. C'est notamment le cas du colloque « La Ville et le Fleuve », qui s'est tenu à Lyon en 1987 et dont plusieurs articles du compte-rendu ont été utilisés5. Cependant, les problématiques abordées sont souvent actuelles puisque l'eau en tant que ressource, et donc la gestion de celle-ci, devient un enjeu de plus en plus important à la période contemporaine. Les études s'intéressant aux ports, aux quais et aux ponts représentent également un grand intérêt. Leur principal inconvénient est leur caractère, en général, très factuel et technique mais ces ouvrages sur les aménagements fluviaux offrent des éléments de comparaison et des renseignements chronologiques intéressants.

Les recherches bibliographiques ont donc apporté de nombreuses informations et pistes de recherche mais fortement disséminées d'un ouvrage à l'autre. Enfin, l'apport principal des ouvrages consultés est une base nécessaire à la

4 BOUCHER, Jacqueline, Vivre à Lyon au XVIe siècle, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2001, 159 pages.

5 L'article le plus utilisé parmi les actes de ce colloque est le suivant : DELLUS, Jean, FREBAULT, Jean, RIVET, Martine, «Lyon, ville fluviale», in La ville et le fleuve, actes du colloque de Lyon (avril 1987), Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1989, pages 37 à 48.

construction d'une réflexion et un cadre à l'analyse des documents. En général, les autorités politiques et leurs prérogatives sont bien décrites mais leur action sur les cours d'eau n'est pas présentée ou, en tout cas, pas dans le cadre d'une analyse globale. Pourtant, il est certain que les cours d'eau représentent un enjeu politique et économique comme toutes les voies de circulation en général, et d'autant plus lorsque la rivière est un élément à part entière d'une ville.

A l'instar des ouvrages de bibliographie, les sources imprimées ont apportéde nombreuses informations mais souvent de façon indirecte. Les descriptions de

Lyon intègrent systématiquement la rivière de Saône et permettent de mesurer l'importance de ce cours d'eau pour la ville. De plus, des activités liées à la rivière sont souvent présentées et le plan scénographique de Lyon, réalisé au milieu du XVIe siècle, constitue lui aussi une source fondamentale. En effet, il se caractérise principalement par le nombre de personnages figurés dans des activités de la vie quotidienne. Beaucoup d'entre eux sont représentés le long de la rivière, tant sur les quais que dans des bateaux. Ce plan dispose donc de deux avantages principaux en ce qui nous concerne ; tout d'abord, il nous informe des activités fluviales qu'il est nécessaire de connaître pour analyser la façon dont elles sont encadrées par les autorités, d'autre part, ce plan constitue un bilan fiable des infrastructures fluviales, particulièrement de la présence de ports et de ponts. Par ailleurs, les historiens lyonnais du XVIe siècle apportent un complément à cela par leur style souvent très descriptif mais aussi par les évènements qu'ils présentent. Enfin, les traités des juristes de la fin du Moyen Age et de la période moderne sont une source inépuisable d'informations au sujet des droits et des prérogatives dans tous les domaines et notamment à propos des autorités qui disposent de pouvoirs sur les rivières.

A ces sources imprimées s'ajoutent les documents d'archives, qui constituent le vivier principal de renseignements sur le thème qui nous intéresse. L'essentiel des sources manuscrites consultées est réuni aux Archives municipales de Lyon. La série DD, c'est-à-dire les archives au sujet de la voirie, a constitué l'objet d'une grande partie des recherches. En effet, la plupart des travaux effectués aux différentes infrastructures fluviales sont recensés dans les différents cartons de cette série. Afin de compléter les informations fournies par cette recherche préalable, les documents liés à l'administration consulaire ont fait l'objet d'une

étude particulière. Il s'agit à la fois des recueils d'actes consulaires, c'est-à-dire des décisions prises par les autorités municipales, et de la comptabilité de la ville. Cette dernière n'a été utilisée que ponctuellement alors que les actes consulaires ont été dépouillés systématiquement tous les dix à quinze ans en fonction des autres documents déjà transcrits. L'objectif d'une telle méthode est de dégager les préoccupations principales des autorités en ce qui concerne la Saône. Comme les documents les plus importants à ce sujet sont regroupés dans la série DD, il s'agit plutôt d'un complément mais qui est nécessaire pour intégrer des aspects qui ne relèvent pas des questions d'aménagement urbain. Ponctuellement, en fonction des informations fournies par les inventaires d'archives, des cartons classés dans d'autres séries ont été dépouillés. Cette méthode a été également appliquée aux Archives départementales du Rhône, souvent de façon infructueuse. Au final, des sources variées et parfois même très différentes ont pu être utilisées pour la présente étude.

Les différentes recherches, particulièrement celles qui ont été réalisées aux Archives municipales de Lyon, ont orienté l'angle d'étude adopté. En effet, elles ont montré qu'il existe une action des autorités vis-à-vis des cours d'eau mais également que plusieurs pouvoirs sont impliqués dans celle-ci. Ainsi, il convient au préalable de déterminer les autorités qui disposent de prérogatives sur la rivière et à quel point leurs droits sont définis mais aussi comment ils s'appliquent. Ensuite, il semble nécessaire de s'intéresser à la perception de la rivière, à la gestion des risques intrinsèques à sa présence et aux activités fluviales, puis d'analyser le type de contrôle politique qui s'exerce sur celles-ci. Enfin, nous nous pencherons sur les infrastructures fluviales et les aménagements réalisés au cours du XVIe siècle puisqu'ils constituent l'illustration la plus probante de l'action politique et de l'intérêt porté à la rivière.

Première Partie : Prérogatives et juridictions fluviales
de l'échelle nationale à la ville de Lyon

Il est nécessaire, avant de s'intéresser à la prise en charge de la Saône proprement dite, dans la ville de Lyon, de définir les différents pouvoirs qui sont impliqués et de distinguer les prérogatives de chacun. Le principal écueil en la matière est de distinguer les droits qui sont définis institutionnellement de ceux qui ne sont que coutumiers, même si l'usage, au XVIe siècle, est un critère de légitimité important qu'il ne faut donc pas négliger. Il est souvent, d'ailleurs, plus en accord avec la réalité que les définitions théoriques : de ce constat, l'on comprend aisément les conflits d'autorités qui existent entre les différents acteurs. Ainsi, il s'agit de s'intéresser aux définitions théoriques des pouvoirs de différents protagonistes concernés et à leurs implications concrètes.

A cela s'ajoute la question des droits sur une rivière, donc sur un élément naturel qui remplit de multiples fonctions. En effet, les cours d'eau sont à la fois des axes de communication, dont les modalités de circulation sont déterminées, et des réservoirs importants de ressources : d'eau, bien sûr, mais aussi de poissons. De plus, notre sujet concerne à la fois la rivière en elle-même mais aussi ses rivages et donc les différentes structures construites par l'homme. Ainsi, il semble nécessaire de définir les questions de domanialité, de juridiction et d'administration concrète ainsi que les aspects pour lesquels ces éléments se chevauchent. Tout d'abord, étudier le rapport entre le pouvoir royal et les cours d'eau permettra de mettre un cadre général à notre étude tout en présentant la première autorité qui peut interférer dans la suite de notre présentation. Ensuite, nous nous intéresserons aux droits et à la définition théorique des pouvoirs qui s'exercent sur la Saône, particulièrement dans la ville de Lyon, en présentant les autres principaux acteurs concernés.

Chapitre I : Le pouvoir royal et les cours d'eau

Le réseau fluvial dans le royaume de France est très dense et représente, par conséquent, un enjeu national à la fois politique et économique. En effet, le dominer participe de la maîtrise générale des déplacements et des échanges, qui constitue « la source moderne du pouvoir »1. Il s'agit ici de s'intéresser à la perception des juristes et à la prise en charge par le pouvoir politique des cours d'eau dans l'ensemble du royaume de France au XVIe siècle et donc, finalement, aux prérogatives des souverains sur ceux-ci d'un point de vue théorique comme sur le plan pratique. Pour cela, il semble utile, tout d'abord, de définir le statut des fleuves et rivières de France afin de déterminer ceux qui relèvent de la juridiction royale au XVIe siècle. Ensuite, il s'agira d'analyser les conséquences et les enjeux auxquels sont confrontés les rois de France. Enfin, nous nous intéresserons aux moyens mis en oeuvre par le pouvoir royal pour appliquer ses décisions en matière de cours d'eau mais aussi aux décisions en elles-mêmes.

1 MYNARD, Frantz, « Le fleuve et la couronne : contribution à l'histoire du domaine fluvial (1566 - 1669) », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, pages 186-187.

A. Le statut des fleuves et rivières du royaume

Le statut des cours d'eau du royaume de France constitue un des nombreux éléments définis par les différents juristes dès la fin du Moyen Age, mais surtout aux XVIe et XVIIe siècles, dans le cadre du processus général de redéfinition et d'affermissement de l'autorité royale.

Jean Bouteiller, conseiller au Parlement de Paris à la fin du XIVe siècle, semble être un des premiers auteurs modernes à avoir esquissé une définition juridique et une catégorisation des cours d'eau2. Ce travail s'inscrit dans une démarche beaucoup plus large puisqu'il a réalisé une présentation complete des différentes autorités, de leurs prérogatives et des types de droits qui s'appliquent dans le royaume, du droit naturel au droit écrit, des prérogatives seigneuriales à celles des autorités religieuses. De plus, il s'intéresse à des cas particuliers qui, selon lui, nécessitent d'être éclaircis.

C'est justement en s'intéressant à la juridiction des « rivieres courans parmy la terre d'aucun seigneur » qu'il propose une caractérisation des cours d'eau. Jean Bouteiller distingue, dans un premier temps, les « grosses rivieres » qui « sont au Roy nostre Sire » ; il fournit quelques exemples pour illustrer son propos tels que la Seine, l'Oise ou encore la Somme. Il ajoute aussitôt qu'aux seigneurs « parmy la terre desquels les rivieres passent, leurs terres et seigneuries vont iusques en l'eauë ». Même si son propos reste assez vague, il semble d'emblée supposer un chevauchement d'autorité ou, d'un autre point de vue, que l'eau appartient au roi alors que les rives relèvent des possessions seigneuriales. Néanmoins, le roi reste décrit comme le propriétaire des grandes rivières et donc l'autorité principale en la matière.

Aux « grosses rivieres », Jean Bouteiller oppose, de façon logique, les « petites rivieres » : ces dernières mesurant en moyenne sept pieds de large contre quatorze pieds pour les premières selon sa propre définition. En complément de cet ordre de grandeur, par ailleurs assez peu satisfaisant car exprimé en moyenne et

2 BOUTEILLER, Jean, Somme rural ou le grand coustumier général de praticque civil et canon, Paris, Barthélémy Macé, 1603 (édition du manuscrit annotée par Loys Charondas le Caron), Titre LXXIII, page 428.

malaisé pour distinguer des rivières dont le cours est variable notamment en fonction des saisons, l'auteur précise que ces cours d'eau « ne portent point de navire ». Le critère principal de différenciation est donc la navigabilité de la rivière. En ce qui concerne la possession des rivières non praticables, le juriste affirme qu'elles sont « aux seigneurs parmy qui terre et seigneurie elles passent ».

Jean Bouteiller offre donc dans sa Somme un éclairage sur la propriété qui s'exerce sur les rivières dans le royaume de France et donc sur les droits qui en découlent ; les cours d'eau navigables appartiennent au roi alors que les autres sont la propriété des seigneurs dont les possessions terrestres sont traversées par ceux-ci.

Cet ouvrage imprimé de Jean Bouteiller possède une caractéristique tout à fait intéressante : il s'agit de l'édition de 1603 du manuscrit réalisé deux siècles auparavant et celui-ci a été annoté par le jurisconsulte Loys Charondas le Caron (1534-1613). Chaque partie, dont celle qui concerne les rivières, est résumée et réactualisée par ce dernier. Ainsi, il nous est possible d'analyser, au moins partiellement, l'évolution de la perception juridique des cours d'eau de la fin du Moyen Age au début du XVIIe siècle et donc d'en déduire celle du XVIe siècle.

Charondas le Caron confirme la distinction entre rivières royales et seigneuriales mais aussi que le critère de différenciation est la possibilité ou non de naviguer sur celles-ci. Il ajoute néanmoins plusieurs précisions au propos de Jean Bouteiller et particulièrement au sujet du pouvoir local sur les rivières navigables. La première concerne la possession seigneuriale : le juriste affirme que les rivières que les « seigneurs prétendent à eux, à cause de leur seigneurie » ne leur sont dues que par la « concession des Roys »3. Il ajoute ensuite que « par le droict commun du Royaume, tous fleuves navigables sont reputez estre du domaine du Roy, et lui appartenir à cause de sa couronne ». La définition est, cette fois, plus précise et tranchée : toutes les rivières navigables appartiennent au domaine de la Couronne et les différents seigneurs qui en possèdent sont redevables à leur souverain. Ainsi, l'on peut supposer déceler ici les traces d'une affirmation progressive du pouvoir royal sur les rivières ou, plus simplement, un caractère juridictionnel indéniablement acquis.

3 Ibid., page 429.

Les autres informations apportées par Charondas le Caron sont plus techniques et précises. Tout d'abord, il ajoute que les « isles, iaveaux, atterrissemens et establissemens estans esdicts fleuves et rivieres navigables et publics " appartiennent au roi. Il précise enfin que sur les rivières royales, leurs rives et les îles qu'elles comportent, « nul n'y doive entreprendre » puisqu'il s'agit du domaine du roi : ce domaine, terrestre comme fluvial, dépend directement de son autorité. L'auteur appuie son propos par une référence à l'ordonnance royale du 7 juillet 1572. En effet, cette décision4 de Charles IX traite de la question des îles, îlots et « atterrissemens ". Ce dernier terme correspond sans doute aux lieux oü l'on peut accoster voire, plus largement, aux berges puisque lorsque Cardin le Bret évoque5, lui aussi, l'ordonnance de juillet 1572, il écrit que cette décision concerne « les eaux, les bords et les rivages des fleuves ".

Le texte royal a comme objectif premier d'envoyer des représentants royaux inspecter les « entreprinses faictes sur les îles, attérissemens et assablissemens des principales rivières [...] qui de disposition de droit nous appartiennent et font partie du domaine de nostre couronne ". Il est ajouté plus loin que cette disposition comprend également les affluents et les rivières de moindre importance ; en bref tous les îles et rivages des cours d'eau du royaume doivent être inspectés. Toutes les personnes qui « prétendent lesdites îles et attérissemens leur appartenir " doivent justifier leur possession par des titres de propriété aux commis royaux et dans le cas contraire, il « sera procédé à la saisie réelle et actuelle desdites îles et attérissements ". Cette déclaration royale montre un progrès de l'autorité du roi, une maîtrise accrue des cours d'eau mais révèle aussi un intérêt croissant du pouvoir royal pour ceux-ci puisqu'en plus de la juridiction des rivières, il s'attribue celle de leurs rives et des îles qui en font partie.

René Choppin fait lui aussi référence6 à la décision du 7 juillet 1572, prise par Charles IX, et donne son avis à ce sujet. Il considère que ce texte ne « suit point la disposition du Droict Romain [...] par lequel l'Isle est adiugée à celuy qui a des

4 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, Tomes IX à XV (1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated, 1964 (1e édition à Paris entre 1822 et 1833), ordonnance du 7 juillet 1572.

5 CARDIN LE BRET, De la souveraineté du Roy, Paris, Toussaincts du Bray, 1632, pages 282-283.

6 CHOPPIN, René, Trois livres du domaine de la couronne, Paris, Michel Sonnius, 1613, Chapitre XV, pages 168 à 177.

terres plus proches de la Riviere » et soutient son affirmation en rappelant que c'est ce qui est décrit par Pline, au chapitre 88 de son Histoire. Il est donc défavorable à cette saisie sous la main du roi des îles fluviales puisqu'elle va à l'encontre du droit romain et de l'usage. En effet, il considère qu'il est « une chose peu rigoureuse de faire perdre la possession de ces Isles à ceux qui en ont iouy l'espace d'un long temps ». En quelque sorte, Choppin assimile cette décision à une appropriation royale injustifiée, une spoliation, qui s'applique au détriment de la possession séculaire et donc de la coutume.

A l'instar de Jean Bouteiller, René Choppin distingue deux types de rivières : « les unes sont Royales, les autres Bannales ». Les dernières sont les rivières seigneuriales c'est-à-dire celles qui sont sous l'autorité du seigneur (ou, plus souvent, des seigneurs) des terres qu'elles traversent. Cette possession seigneuriale, selon Choppin, est légitimée soit par une permission du roi soit, encore une fois, par l'ancienneté de la possession. Choppin semble être un des rares auteurs à nuancer à la fois le statut royal des cours d'eau par le critère d'ancienneté de la propriété seigneuriale et l'intégration des îles fluviales dans le domaine de la Couronne. En ce qui concerne le premier point, il ne peut cependant pas remettre en cause la juridiction royale, affirmée au moins dès la fin du Moyen Age, des rivières et fleuves navigables du royaume ; que celle-ci soit directe ou par l'intermédiaire d'un seigneur.

Enfin, cet état de fait est totalement admis par deux autres auteurs du début du XVIIe siècle. C'est le cas, tout d'abord, d'Antoine Loysel, pour qui la question ne se pose pas : il affirme7 en effet sans détour que « les grands chemins et rivières navigables appartiennent au roi ». Il rejoint donc ici l'ancienne analyse de Bouteiller et des autres juristes, d'autant plus que les petites rivières (donc non navigables) relèvent, selon lui, de la juridiction seigneuriale concernée. Néanmoins, comme René Choppin, il perçoit les îles au même titre que les petites rivières c'està-dire relevant d'une autorité locale. Il ne prend donc pas en compte la décision

7 LOYSEL, Antoine, Institutes coutumières ou Manuel de plusieurs et diverses règles, sentences et proverbes, tant anciens que modernes du droit coutumier et plus ordinaire de la France, Tome 1, Paris, imprimerie de Crapelet, 1846, article 232, page 245.

royale de Charles IX, précédemment évoquée, qui concerne la propriété des îles même si celle-ci a été entérinée par le Parlement de Paris le 30 octobre 15728.

Cardin Le Bret, quant à lui, réalise une synthèse9 très claire au sujet de la possession des cours d'eau, qui confirme les éléments présentés précédemment et qui constitue une conclusion de ceux-ci. Tout d'abord, les cours d'eau navigables relèvent du pouvoir royal et les autres rivières « appartiennent en propriété aux Seigneurs des terres qu'elles arrousent ». Il précise que « lors que les droits du Roy n'estoient pas bien cogneus, on accordoit plusieurs droits aux Seigneurs hautsIusticiers, qui estoient voysins des grands fleuves », notamment les droits de pêche ou l'usage des îles et des rivages mais que ceux-ci ont été supprimés au profit du roi. L'ordonnance du 7 juillet 1572, qu'il évoque en ce sens, constitue donc l'appropriation par le pouvoir royal de la juridiction suprême des cours d'eau navigables du royaume puisqu'en plus de l'eau et de ses ressources, le roi devient le seigneur des îles et des rivages de ces mêmes cours d'eau.

8 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., ordonnance du 7 juillet 1572.

9 CARDIN LE BRET, De la souveraineté op. cit., chapitre XII, pages 277 à 285.

B. Le roi, seigneur des rivières navigables

Comme nous l'avons présenté précédemment, le roi de France est considéré comme le seigneur des rivières navigables de son royaume. La propriété effective de celle-ci n'est pas clairement affirmée par les juristes, sauf par Loysel et Charondas le Caron (mais ils ne développent pas leurs propos), et est absente des textes royaux avant la seconde moitié du XVIIe siècle. Cependant, la nuance entre la possession et les droits qui s'exercent n'est souvent pas prise en compte. Il est certain que les cours d'eau navigables relèvent néanmoins de l'autorité royale dans le sens où ils sont une composante du domaine de la couronne. Ce domaine, comprend la possession foncière attachée à la charge royale, mais aussi « un ensemble de droits et prérogatives, qui ne sont pas des droits de propriété mais des droits éminents, c'est-à-dire des droits de garde et de conservation, de protection »10. Ainsi, selon Frantz Mynard, les notions de « propriété » et de « prérogatives » doivent être distinguées et le « domaine fluvial » ne relève que de la deuxième catégorie puisqu'il « est certes sous la protection du roi mais en aucun cas sa propriété »11, au moins en ce qui concerne le XVIe siècle.

Frantz Mynard explique d'ailleurs que les jurisconsultes, tels que Jean Bacquet, René Choppin et Charles Loyseau, considèrent que les cours d'eau sont du domaine public et ne sont donc pas assimilables à des biens privés de quelque nature qu'ils soient. En effet, les fleuves et rivières se caractérisent par l'usage commun qui en est fait et donc par leur statut d'éléments publics. L'évolution du pouvoir royal vers l'absolutisme passe par la mainmise sur ce type d'éléments et par une assimilation du public à l'Etat et donc au roi. En ce qui concerne les cours d'eau, la transition commence à s'effectuer au tournant du XVIe et du XVIIe siècles, donc hors de notre champ d'étude. Néanmoins, au XVIe siècle, même si le roi n'est pas clairement perçu comme propriétaire du domaine fluvial, il en reste le seigneur, c'est-à-dire le gardien et l'administrateur. Cette position à une conséquence simple : le roi est le détenteur d'un certain nombre de droits et de devoirs vis-à-vis des cours d'eau navigables qu'il s'agit de déterminer.

10 MYNARD, « Le fleuve et la couronne... », op.cit., page 172.

11 Ibid., pages 176 et 177.

Lorsque Cardin Le Bret évoque le rôle du pouvoir royal dans la gestion fluviale, il considère que « ce n'est pas sans raison que les fleuves et rivieres navigables, ont merité d'estre mises en la particuliere protection des Roys : Car c'est par leur moyen que les Provinces se communiquent les unes aux autres les biens qu'ils recueillent »12. Il met ici en avant le rôle fondamental de la navigation fluviale comme moyen de communication et plus particulièrement comme vecteur des marchandises. L'enjeu d'assurer cette circulation au sein du royaume, donc dans un vaste espace, légitime, d'une certaine façon, que l'autorité qui dirige tout ce territoire en soit chargée. D'autant plus que le transport par voie d'eau, notamment commercial, est tres développé sous l'Ancien Régime et permet de faire transiter des quantités importantes de marchandises ou des ressources pondéreuses comme le bois, ainsi que des voyageurs, dans une moindre proportion.

La densité du réseau fluvial au sein du royaume explique largement cet usage et permet de limiter le nombre de ruptures de charge. Par exemple, il est possible de faire transiter des produits de la façade atlantique à la Méditerranée par voie d'eau presque sans interruption. En effet, ces biens sont transportés sur la Loire jusqu'à la ville de Roanne oü ils sont déchargés puis amenés par voie de terre dans les environs de Villefranche-sur-Saône. Dans cette zone, ils sont à nouveau placés dans des bateaux sur la Saône. Enfin, la rivière de Saône assure le relais des marchandises jusqu'à la mer Méditerranée par l'intermédiaire du Rhône. Un tel trajet, d'environ un millier de kilomètres, est donc tout à fait réalisable par voie d'eau avec seulement deux ruptures de charge et un trajet terrestre relativement court.

Il est donc dans l'intérêt économique comme dans l'intérêt stratégique (l'artillerie est aisément transportable en bateau) du royaume et, par conséquent, des souverains d'assurer et d'organiser la circulation sur le territoire par voie de terre comme par voie d'eau. Cela entre dans le cadre de ce que Charles Loyseau appelle la « police des grands chemins »13. Même si Loyseau considère que ceux-ci « sont de la cathegorie des choses, qui sont hors de commerce, dont partant la propriété n'appartient à aucun : mais l'usage est à chacun, et qui pour ceste cause sont appellees publiques »14, il ajoute aussitôt que c'est justement ce caractère

12 CARDIN LE BRET, De la souveraineté..., op. cit., chapitre XII, pages 277 à 285.

13 LOYSEAU, Charles, Traité des seigneuries, Paris, Abel l'Angelier, 1608, page 213.

14 Ibid., page 213.

public des grands chemins qui les place sous l'autorité directe du roi. Cette phrase de Charles Loyseau révèle, à nouveau, toute la complexité du statut des voies de communication, terrestres comme fluviales, mais aussi l'importance d'une prise en charge de la circulation sur celles-ci au profit de tous.

Tout d'abord, il ne faut évidemment pas négliger le cours des rivières en elles-mêmes, qui ne doit pas être entravé pour plusieurs raisons. Cardin Le Bret, par exemple, rappelle justement que ce sont elles « qui comblent de toutes sortes de richesses les pays par où elles passent, qui animent la terre pour produire les foins, les bleds et les fruicts »15. Deux éléments se dégagent de cette citation : tout d'abord l'eau des rivieres comme réservoir de ressources vivriéres (poissons) mais aussi cette même eau comme source d'irrigation, et bien sûr, comme force motrice. Ces usages multiples sont en partie règlementés par la décision royale de juillet 1572. En effet, puisque toute entreprise réalisée sur les rives d'un cours d'eau navigable nécessite une autorisation du roi, les moulins et les pêcheries ne peuvent pas se multiplier et ne sont ainsi pas préjudiciables à la circulation.

D'autre part, en ce qui concerne l'irrigation, « combien qu'il soit permis à un chacun de puiser de l'eau d'une riviere navigable [...] toutesfois il n'est pas loisible de faire des conduits d'eaux, pour la faire aller en un autre endroit »16, selon René Choppin. De façon logique, un particulier ne peut donc pas dévier le cours d'une riviere à son profit ni même en réaliser une dérivation partielle. Ce type de travaux relévent de la juridiction royale et, selon Choppin, cela s'explique par la « peur que les rivieres viennent à tarir, ou bien que les eaux venant à s'abaisser les rivieres n'en soient pas si navigables ». Ici encore, la possibilité de naviguer est un critère fondamental : l'irrigation des cultures, bien sûr nécessaire, ne doit pas entraver la circulation fluviale. Ainsi, systématiquement, la finalité des raisonnements, quel que soit l'usage des cours d'eau, revient à mettre en avant l'importance de la possibilité de circuler sur ceux-ci.

L'un des principaux éléments permettant la navigation sont les infrastructures telles que les ports ou, au moins, telles que des rampes d'accés à l'eau et des structures d'arrimage des navires. Ces éléments ponctuent le cours des

15 CARDIN LE BRET, De la souveraineték, op. cit., chapitre XII, pages 277 à 285.

16 CHOPPIN, Trois livres du domaine*, op. cit., chapitre XV, pages 168 à 177.

rivières de façon régulière et sont, en général, compris dans des structures urbaines. En théorie, ces constructions, qui sont liées à la navigation et installées sur les rivages des cours d'eau, dépendent du pouvoir royal, au moins depuis 1572. En fait, les lieux d'accostage sont tres souvent aménagés par les représentants des pouvoirs urbains ou seigneuriaux mais, sous la surveillance du Maître des ports et de ses gardes. Le Maître des ports est un officier royal, dont la charge apparaît à la fin du Moyen Age, qui surveille « le faict du navigage et traffique »17. Il a également la responsabilité de veiller « au respect de la juridiction royale »18. Son rôle principal est donc le contrôle des biens et produits qui circulent ainsi que la répression de tous les abus commis, notamment aux différents péages.

Il existe un tel officier au XVIe siècle, pour la Saône à partir du sud de Mâcon19 puis sur le Rhône. Selon Jacques Rossiaud, le pouvoir du roi sur celui-ci est si affirmé dès la fin du Moyen Age, que seuls ses représentants peuvent se saisir des contrevenants qui sont dans une barque ou sur une île rhodanienne. Il ajoute qu'en 1506 « le conseil avignonnais va jusqu'à demander au roi de France l'autorisation de réparer le pont et les rivages »20. Cela montre à la fois que ce pouvoir municipal prend lui-même en charge les travaux mais aussi qu'il attend une permission royale pour ce faire ou qu'il a besoin d'un financement. En effet, cet exemple reste à modérer puisque la possession royale du Rhône est, quant à elle, clairement affirmée depuis le XIVe siècle ; donc ce cas ne peut-être considéré comme représentatif d'une situation globale. Il nous renseigne cependant sur plusieurs points : le roi dispose d'officiers qui contrôlent la circulation tout en surveillant les infrastructures fluviales. La navigation est donc facilitée et encouragée par la volonté des rois mais aussi contrôlée par eux.

Le principal moyen de contrôle sont donc les péages. A ce sujet, Cardin Le Bret considère que seul le roi peut « lever des peages sur les Fleuves : Aussi pour ce sujet il est tenu de faire entretenir les ponts, les ports, les passages, et de rendre

17 NICOLAY, Nicolas (de), Généralle description de l'antique et célèbre cité de Lyon, du païs de Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites et confins d'iceux païs, Lyon, Société de Topographie historique de Lyon, 1881 (édition du manuscrit de 1573), page 36.

18 ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité, fête et frontière : la sensa lyonnaise des années 1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 401.

19 NICOLAY, Généralle description..., op. cit., pages 201-203.

20 ROSSIAUD, Jacques, Le Rhône au Moyen Age, Paris, Flammarion, Collection Aubier, 2007, pages 112-113.

leur canal libre »21. Il ajoute même que « les peages n'ont esté establis que pour cette consideration ». Cardin Le Bret ne leur confère donc pas particulièrement un rôle de contrôle mais les perçoit avant tout comme la source de revenus nécessaire pour l'entretien des aménagements fluviaux. Ses propos sont confirmés par un édit de septembre 153522 qui préconise que « les deniers des peages » seront utilisés pour réparer les ponts et les grands chemins. Cela reste théorique puisque les revenus des péages ne peuvent suffire à entretenir tout le réseau et parce que le bénéficiaire du péage diffère souvent du responsable de la voirie. Cependant, que la voie soit terrestre ou fluviale, la circulation semble toujours l'enjeu principal.

Le roi, en tant que seigneur des rivières navigables du royaume, dispose donc d'un rôle important. En effet, il est dans l'intérêt du royaume de faciliter la navigation fluviale, particulièrement pour des raisons économiques. Cependant, il est évident que la contrôler est un enjeu éminemment politique. Le rôle principal du roi reste néanmoins de permettre la navigation. Charondas le Caron considère d'ailleurs que afin d'éviter les éléments « qui nuisent quelquefois à la navigation [...] les maistres des eaües et forests doivent pourvoir et remédier »23 à ces empêchements. Ces officiers des Eaux et Forêts sont les agents du roi : ils sont donc le moyen de l'application de ses décisions en la matière.

21 CARDIN LE BRET, De la souveraineté..., op. cit., chapitre XII, page 284.

22 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois ..., op. cit., édit de septembre 1535.

23 BOUTEILLER, Somme rural..., op. cit., page 429.

C. La Maîtrise des Eaux et Forêts

Les Eaux et Forêts sont une administration étatique, régulièrement appelée Maîtrise des Eaux et Forêts, qui permet aux décisions du pouvoir royal concernant les rivières, les plans d'eau et les forêts d'être appliquées, en théorie, dans l'essentiel du royaume. Cette institution constitue donc l'illustration concrete de la gestion des cours d'eau et des forêts, en application des décisions royales. Son champ d'action est relativement vaste puisqu'il s'étend peu à peu à l'ensemble du royaume. C'est ainsi un outil au service de l'Etat, qui comprend une organisation interne hiérarchisée et dont les missions sont variées même si elles concernent en général la « sauvegarde du domaine »24 de la Couronne, selon l'expression régulièrement utilisée dans les décisions royales à ce sujet. Les Eaux et Forêts sont donc le moyen pour le roi d'exercer son autorité, en ce qui nous concerne, sur les rivières et d'affirmer sa juridiction sur celles-ci.

L'apparition de l'administration des Eaux et Forêts, sous la dynastie des Capétiens, est concomitante de la période d'accroissement du domaine royal, encore disséminé et relativement restreint pendant le Moyen Age central, jusqu'à comprendre l'essentiel du royaume durant la période moderne. La première mention de l'expression « Eaux et Forêts » remonterait à une ordonnance de 121925. L'administration se structure peu à peu durant les derniers siècles du Moyen Age permettant une unité décisionnelle dans un domaine sujet à « trop d'autorités [...] s'ignorant entre elles »26 ainsi qu'une uniformité de la politique de gestion, au sein du royaume. Il s'agit ici d'étudier les moyens de cette gestion, les types de décisions royales ainsi que l'évolution générale du pouvoir du roi sur les cours d'eau au cours du XVIe siècle.

Les informations à ce sujet sont assez difficiles à trouver puisque l'essentiel des ouvrages qui se rattachent au thème des Eaux et Forêts traitent surtout, voire uniquement, de la gestion forestière. Un exemple de cette préférence d'étudier les forêts au détriment des rivières nous est fourni par la Revue des Eaux et Forêts qui,

24 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., déclaration de 1508.

25 BOURGUENOT, Louis, LEFEBVRE, Raymond etc, Les Eaux et Forêts du XIIe au XXe siècle, Paris, Editions du C.N.R.S, collection Histoire de l'administration française, 1990, page 13.

26 Ibid., page 28.

en 1866, opte pour le sous-titre « Annales forestières "27, minimisant de fait l'analyse de la gestion fluviale. Cela se comprend assez aisément lorsque l'on étudie les textes royaux au sujet des Eaux et Forêts : la majorité de ces décisions concernent la conservation des forêts, les modalités de coupe du bois et la règlementation de la chasse28. Néanmoins, et en ce qui concerne le XVIe siècle, des décisions royales traitent de l'organisation de l'administration des Eaux et Forêts et d'autres légiferent sur le fait des rivières en général c'est-à-dire au sujet de la navigation, de la pêche, des infrastructures fluviales etc. Ce sont ces documents qui constituent notre principale source sur le sujet.

L'administration des Eaux et Forêts est dirigée par un officier royal dont le titre, à la fin du XVe siècle, est « grand maistre enqueteur, et general réformateur des eaux et forests de nostre royaume de France, et de nos pais et duché de Bretaigne "29. La déclaration royale de 1495 précise son rôle : c'est lui qui nomme la plupart de ses subalternes tels que les « maistres verdiers, forestiers, procureurs, sergens et autre offices dépandans desdites eaux et forests ". Le grand maître, souvent nommé « souverain grand maître " participe parfois à la rédaction des ordonnances et dispose d'un pouvoir judiciaire à « la Table de Marbre de Paris dont il est le Président "30 (ce nom vient d'une table de marbre « qui occupait la largeur de la grande salle du Palais à Paris et où le connétable, l'amiral et le grand maître des Eaux et Forêts exerçaient leur juridiction "31). Le rôle principal du grand maître reste la direction des différents officiers des Eaux et Forêts que sont les maîtres particuliers, les lieutenants, les gruyers, les procureurs et les nombreux sergents et gardes.

En 1573, l'ensemble du personnel de cette administration représente plus de six cents officiers royaux32. Le grand-maître en est l'unique chef jusqu'en 1575 à l'exception de quelques territoires qui bénéficient d'un maître des Eaux et Forêts autonome ; c'est le cas en Bretagne33 dès 1534 et dans le Dauphiné34 dès 1538. En

27 Ibid., page 722.

28 C'est le cas des édits et ordonnances de mars 1517, de janvier 1519, de juin 1537 ou d'octobre

1561, par exemple.

29 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., déclaration royale du 20 octobre 1495.

30 BOURGUENOT, LEFEBVRE, Les Eaux , op. cit., page 100.

31 BELY, Lucien (dir.), Dictionnaire de l'Ancien Régime, Paris, PUF, Quadrige, 2006, page 1198.

32 BOURGUENOT, LEFEBVRE, Les Eaux , op. cit., page 106.

33 Ibid., page 100.

mai 1575, l'office de grand-maître est supprimé et remplacé par six grandsmaîtres35 ce qui permet un meilleur quadrillage du royaume. Cela semble être le principal changement notable dans la structure du personnel des Eaux et Forêts au cours du XVIe siècle. Par ailleurs, les fonctions confiées aux officiers des Eaux et Forêts sont également constantes ; elles concernent, de façon logique, la gestion des bois et des rivières c'est-à-dire la surveillance de l'usage qui en est fait, la répression des délits (notamment de chasse et de pêche) et, de façon plus générale, l'application des ordonnances royales.

Afin que cette application soit optimale, le maillage du territoire couvert par les officiers des Eaux et Forêts s'intensifie au cours du XVIe siècle. Tout d'abord, il est nécessaire de préciser que le rayon d'action de ces agents royaux croît au-delà du cadre des rivières et des forêts royales. Déjà, la règlementation de la pêche ne concerne pas que les cours d'eau navigables mais, au contraire, l'ensemble du domaine fluvial. D'autre part, c'est également le cas pour les décisions qui concernent les forêts. Par exemple, dans l'édit du 8 octobre 1561, qui traite de la préservation de la coupe d'un tiers des taillis du royaume, il est précisé que la décision s'applique dans les bois « tant ceux du domaine de la couronne que ceux des archevêques, évêques et autres gens d'église »36 soit dans la plupart des forêts du royaume. Enfin, l'édit de Fontainebleau de décembre 1543 rappelle que les souverains ont « toujours eu désir de garder et faire garder et entretenir les Eaux et Forests [...] tant celles qui nous appartiennent que celles ausquelles avons droict »37. Ces dernières semblent être toutes les autres rivières et forêts du royaume, puisque l'édit concerne les « nobles, prélats et communautés, propriétaires » de celles-ci. C'est donc à partir de 1543 que les membres des Eaux et Forêts effectuent leur mission dans l'intégralité du royaume.

Ce même édit, de décembre 1543, a pour objet de permettre à tous les propriétaires dessus dits d'avoir recours au maître des Eaux et Forêts de leur juridiction afin de défendre leurs droits et donc de s'en remettre directement à cette administration. Il s'agit, en quelque sorte, d'une spécialisation judiciaire : les délits

34ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., édit du 22 mai 1538.

35 BELY, Dictionnaire op. cit., page 615.

36 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., édit du 8 octobre 1561.

37 Ibid., édit de décembre 1543.

qui concernent, par exemple, le braconnage ou la construction non autorisée d'un moulin sont tranchés en première instance au sein de chaque maîtrise des Eaux et Forêts. L'ordonnance royale du 18 octobre 156138 rappelle à ce sujet que la juridiction est détenue par les maîtres particuliers des Eaux et Forêts et que les capitaines, sergents et autres gardes ne disposent que du droit d'arrestation. Les appels, quant à eux, sont jugés par le Grand-maître ou par un de ses lieutenants de la Table de Marbre de Paris (il existe quelques exceptions qu'il n'est pas nécessaire de détailler ici). D'ailleurs, des mai 1523, un édit39 de François Ier institue un procureur royal dans chaque siege de l'administration.

Enfin, en ce qui concerne les différentes circonscriptions des Eaux et Forêts, il semble exister entre vingt-cinq et trente maîtrises dans le royaume en 152540 avec une répartition assez hétérogène des agents des Eaux et Forêts. Henri II prend le parti d'uniformiser cela : par un édit du mois de février 1555 « le pouvoir royal généralise l'institution des maîtrises [des Eaux et Forêts] dans chaque bailliage ou sénéchaussée "41. Le pouvoir royal tente donc de rendre plus efficace l'action du personnel de l'administration des Eaux et Forêts par une augmentation et une densification de ses effectifs. C'est aussi le moyen d'appliquer le plus largement possible ses décisions et que le contrôle exercé par cette administration soit plus appuyé et plus efficace.

Les mesures royales concernant les cours d'eau durant le XVIe siècle sont diverses mais relativement peu nombreuses. De plus, l'ampleur de leur champ d'application est variable : certains textes sont très précis et ne concernent qu'un territoire alors que d'autres sont généraux, sans mention aucune de lieu. C'est notamment le cas de l'ordonnance de mars 151642 remarquable par ses quatre articles reglementant la pêche. L'objectif de ce texte est de lutter contre les « pilleries, larrecins et abus qui se font aux eaues et forests de nostre royaume, au grand dégast et destruction d'icelles ". La première mesure est la proscription de tout un type de matériel de pêche, présenté comme responsable du fait que les rivières « soient aujourd'hui comme sans fruit ". Par exemple, cette ordonnance

38 Ibid., ordonnance de St-Germain-en-Laye du 18 octobre 1561

39 Ibid., édit de mai 1523.

40 BOURGUENOT, LEFEBVRE, Les Eaux op. cit., page 62.

41 BELY, Dictionnaire op. cit., page 786.

42 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., , ordonnance de mars 1516 (articles 89 à 92).

règlemente la taille des mailles des filets de pêche ; ceux-ci sont autorisés si dans chaque maille l'on peut « boutter les doigts jusques au gras de la main ". De plus, un poids minimum par espèce de poissons est fixé. Enfin, pour assurer le repeuplement des rivières, il est interdit de pêcher « de my-mars jusques à mi-may, car les poissons frayent en iceluy temps ". Une telle précision dans les mesures prises par cette ordonnance permet de faciliter le travail des maîtres particuliers des Eaux et Forêts et d'éviter les litiges.

Cette ordonnance sur la pêche mise à part, les autres décisions royales au sujet des cours d'eau sont toutes liées, au moins indirectement, à la navigation. Tout d'abord, l'édit de mai 152043, qui ne concerne que la Seine et ses affluents, préconise de défricher les berges des rivières (probablement pour éviter toute gêne aux bateaux), interdit d'y faire des « édifices ni autres choses quelconques empeschant le navigage » et, enfin, interdit l'imposition des bateliers et de leurs marchandises sauf pour les droits de péage antérieurs à 1415. La plupart des autres décisions royales suivent ce modèle : elles visent soit à limiter les structures qui peuvent gêner la navigation44, soit à supprimer les péages ; à la fois ceux qui n'ont pas été approuvés par le roi45, sauf s'ils sont anciens, et ceux qui pourraient limiter le transport commercial46.

Le roi dispose donc d'une administration qui est en charge de l'application, dans le royaume, des décisions qu'il prend au sujet de la gestion et de l'entretien des cours d'eau et des forêts. La Maîtrise des Eaux et Forêts, qui existait déjà au Moyen Age, prend de l'ampleur : ses effectifs, leur densité, et son champ d'action croissent au XVIe siècle. Cette institution possède une police, au sens actuel, et une justice propres, ce qui lui confère une certaine efficacité. Son organisation, ainsi que les mesures de surveillance et de répression qu'elle doit appliquer, sont définies

43 Ibid., édit de mai 1520.

44 L'édit de mars 1516 précise que les propriétaires de moulins et pêcheries installés le long de la Loire, doivent pouvoir justifier leur possession et l'édit de juillet 1572 (présenté dans la premiere section) interdit les constructions sur les berges de toutes les rivières sans autorisation royale préalable.

45 François Ier, par l'édit de mars 1516, supprime les péages qui ont été établis sur la Loire depuis un siècle sans autorisation royale suite à la demande formulée par le procureur général des marchands de la Loire.

46 Une décision de Louis XII, en 1501, supprime les taxes sur les vins de Bourgogne s'ils sont vendus dans des ports situés le long de l'Yonne et de la Seine.

par des édits et des ordonnances. Ceux-ci « reflètent la volonté royale de construire un appareil dépendant d'elle et d'elle seule »47 et révèle donc l'accaparement progressif, par le pouvoir royal, des droits et prérogatives sur les cours d'eau.

47 BELY, Dictionnaire... op. cit., page 615.

Conclusion chapitre I

Au XVIe siècle, le roi de France est communément admis, notamment par les juristes, comme le seigneur des fleuves et rivières navigables de son royaume. De cela, découle un certain nombre de conséquences. En effet, le roi dispose de différentes prérogatives sur ces rivières telles que le droit de péage ou la règlementation de la pêche. Son pouvoir sur les cours d'eau croît au XVIe siècle puisqu'en plus des rivières en elles-mêmes, il s'approprie leurs îles et leurs rivages. Cela est affirmé et effectif dès 1572 mais l'on peut penser que ce n'est que la généralisation d'un état de fait ; comme l'affirme Frantz Mynard, les décisions royales de la période moderne ne doivent pas être perçues de façon tranchée comme des actes fondateurs48 mais plutôt comme les aboutissements du processus d'affirmation et de définition du pouvoir royal.

Les prérogatives dont le roi dispose lui permettent de réguler, au moins de manière indirecte, les usages des cours d'eau et particulièrement la très développée navigation commerciale. Pour cela, il s'appuie sur une administration hiérarchisée et autonome d'un point de vue judiciaire : les Eaux et Forêts. Les agents royaux qui en dépendent sont donc les moyens humains d'application d'une politique fluviale à l'échelle du royaume. Les préoccupations de celle-ci diffèrent du « souci romain de disposer d'une eau potable en ville » ou de l'intérêt médiéval pour « l'accès aux ressources protéiniques ou énergétiques fournies par les milieux aquatiques »49 selon Patrick Le Louarn, qui voit la période moderne comme la période du développement prononcé de la prise en charge politique des cours d'eau. Néanmoins, nous l'avons montré, la crainte d'une pêche excessive des poissons existe encore, mais elle semble en effet en marge par rapport à des enjeux plus politiques et économiques.

48 MYNARD, « Le fleuve... », op. cit., page 179.

49 LE LOUARN, Patrick, « L'eau, bien commun culturel ? », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, page 18.

Chapitre II : Droits et autorités sur la Saône à Lyon

En nous intéressant à l'intérêt porté par les rois de France aux cours d'eau du royaume et donc à la gestion fluviale au niveau national, l'importance d'une prise en charge politique des rivières et des fleuves et les enjeux qu'elle comporte sont clairement apparus. Nous allons réduire le cadre géographique pour affiner notre analyse de ce thème en nous intéressant à la rivière de Saône, et plus précisément, à la Saône dans la ville de Lyon. Le cadre urbain multiplie le nombre d'autorités qui, potentiellement, prennent part à la juridiction de l'eau. En effet, il est « un lieu de pouvoirs, de concentration des pouvoirs, de l'exercice des pouvoirs, de conflits de pouvoir »1. Ainsi, il s'agit de définir les différents pouvoirs qui s'exercent sur la rivière de Saône, ses rives et les édifices fluviaux.

Pour cela, nous nous pencherons sur la juridiction de ce cours d'eau, puis, dans un deuxième temps au droit de voirie dans la ville de Lyon. Enfin, une étude de cas d'une affaire judiciaire au sujet du pont de Saône illustrera les conflits d'autorité qui peuvent apparaître lorsqu'il est question de la prise en charge politique d'une rivière, particulièrement dans la ville de Lyon.

1 DUMONS, Bruno, ZELLER, Olivier (dir.), Gouverner la ville en Europe, du Moyen Age au XXe siècle, Paris, L'Harmattan, collection Villes, 2006, page 5.

A. La juridiction de la Saône

Si l'on se réfère aux éléments, présentés dans le premier chapitre, qui permettent de définir les droits qui s'exercent sur un cours d'eau, le premier aspect à mettre en avant est la possibilité ou non de naviguer sur celui-ci. En ce qui concerne la Saône, cela ne fait aucun doute, c'est une rivière navigable et, par conséquent, elle est placée sous la protection des rois de France. Une cérémonie affirme d'ailleurs cela : chaque année, le jour de l'Ascension, une procession qui remonte la Saône jusqu'à l'île Barbe (juste au nord de Lyon) est effectuée. Cette procession est conduite par des représentants du roi, notamment par le maître des ports. Claude de Rubys nous explique qu'ils vont « à l'Ile Barbe par eau, armez et embastonnez, avec l'enseigne et les tambourins, poser l'escusson et les armoiries du Roy de France dans la riviere de Saosne, en signe qu'elle appartenoit au Roy de bord en bord et ostoyent l'escusson du Duc de Savoye, que les officiers de Bresse y posoient d'ordinaire la nuict precedente »2.

Bien que la signification de cet évènement récurrent semble clairement politique, eu égard à la position frontalière de la ville de Lyon, Jacques Rossiaud précise qu'il « peu être ritualisé parce qu'il n'est plus très aigu [...] au moins depuis 1467 »3 et, de plus, « en 1536, la Bresse [est] occupée ; mais le rituel des panonceaux demeure pratiqué ». Cela mis à part, cette cérémonie est donc également l'illustration du pouvoir que détiennent les souverains sur la Saône, pouvoir que possédaient déjà les empereurs allemands au Moyen Age lorsque la ville de Lyon était intégrée dans le Saint Empire romain germanique. De telles célébrations, avec de similaires affirmations du pouvoir royal, existent dans d'autres villes à la période moderne. C'est le cas, par exemple, dans l'estuaire de la Loire, à Nantes, où, durant des fêtes nautiques, on « célèbre l'emprise royale sur les cours d'eau [...] Le souverain se présente à chaque fois en gardien des eaux, au

2 RUBYS, Claude de, Histoire véritable de la ville de Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, page 503.

3 ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité, fête et frontière : la sensa lyonnaise des années 1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 404.

nom du bien public »4. Cela confirme que les célébrations lyonnaises que nous venons de présenter ne sont pas un particularisme dû à la position frontalière de la ville ; elles constituent bien sûr le rappel que Lyon est dans le royaume de France mais elles affirment aussi les droits qu'ont les rois sur la rivière de Saône.

Cependant, le roi de France n'est pas la seule autorité concernée par la juridiction de la Saône, dans la ville de Lyon. L'archevêque et le chapitre Saint-Jean sont les comtes de Lyon donc les seigneurs temporels de la ville et peuvent ainsi avoir des prétentions juridictionnelles sur la rivière. Même si « l'existence des juridictions seigneuriales ne constitue en aucune façon une exception à cette suprématie royale »5, l'on a montré que les droits sur l'eau, même d'une rivière navigable, peuvent appartenir à des seigneurs, soit par une concession du roi soit par la légitimité d'une possession ancienne ; ce qui ne remet absolument pas en cause l'autorité suprême que possèdent les souverains. C'est d'ailleurs le cas pour les seigneurs de Lyon et « les princes reconnaissent leurs droits et composent avec leurs détenteurs mais affirment leur supériorité juridictionnelle sur le grand cours de l'eau »6, par des rituels tels que ceux précédemment présentés.

Un dossier des Archives municipales de Lyon7, probablement constitué à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe siècle, regroupe un certain nombre de documents, ou des copies de ceux-ci, qui présentent l'évolution des différentes prérogatives de l'archevêque et des chanoines-comtes de Lyon depuis le XIIe siècle. Parmi ceux-ci, il est fait mention d'une bulle d'or de 1157 par laquelle l'empereur Frédéric Ier aurait donné de nombreux droits à l'archevêque de Lyon, notamment sur les cours d'eau et les passages. Jacques Rossiaud complete cette information puisqu'il écrit que « l'archevêque de Lyon en 1190 se proclame ainsi maître de la « decize » grâce aux privilèges obtenus de Frédéric Barberousse »8. Le terme de « decize », au sens variable, a ici une portée juridique et « permet de départager les droits du souverain et ceux des seigneurs riverains »9. Ainsi, dès le XIIe siècle,

4 MYNARD, Frantz, « Le fleuve et la couronne : contribution à l'histoire du domaine fluvial (1566 - 1669) », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, pages 182-183.

5 BELY, Lucien (dir.), Dictionnaire de l'Ancien Régime, Paris, PUF, Quadrige, 2006, page 709.

6 ROSSIAUD, « Fleuve et cité... », op.cit., page 405.

7 AML, DD 316, pièce 1.

8 ROSSIAUD, « Fleuve et cité... », op.cit., page 405.

9 ROSSIAUD, Jacques, Dictionnaire du Rhône médiéval (1300-1550), Tome 2, Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 2002, page 110.

l'archevêque de Lyon dispose de la juridiction sur la Saône. De plus, en 1307, Philippe le Bel confirme cela, et va même plus loin, puisqu'il reconnaît à l'archevêque et aux chanoines-comtes du chapitre Saint-Jean toute juridiction dans la ville de Lyon, en précisant toutefois que celle-ci est « sous les garde, ressort et superiorité du Roy »10.

Par ailleurs, les rois de France n'interfèrent pas dans l'administration des seigneurs de Lyon, au moins pour ce qui est du XVe siècle. Une décision royale du 14 août 1444, par exemple, illustre cela. En effet, elle « ordonne par provision que le maitre des eaux bois et forests n'exercera aucune juridiction sur les terres eaux bois et forests des archeveque et chapitre de Lyon »11. Charles VII choisit donc que les agents royaux des Eaux et Forêts n'interviendront pas dans le comté de Lyon. Cela signifie alors que l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon sont entièrement responsables de la gestion fluviale, de l'application des décisions royales sur le fait des Eaux et Forêts mais aussi de la répression des délits dans le territoire qui est sous leur juridiction et notamment de la Saône dans Lyon.

Néanmoins, cet état de fait n'est que provisoire puisque « depuis 1543, la juridiction des Eaux et Forêts s'exerce dans la ville mais la compétence et les droits de chacun ne sont vraiment déterminés que depuis 1669 »12. Ainsi, cela nous montre une évolution théorique dans la juridiction de la Saône à Lyon, au cours du XVIe siècle. Cependant, les sources ne semblent pas révéler de changement notable dans la seconde moitié du siècle. De plus, la seule sous-série13 qui concerne la Maîtrise des Eaux et Forêts aux Archives départementales du Rhône ne contient que des documents de la fin du XVIIe siècle ainsi que du XVIIIe siècle. D'ailleurs, « en 1768, la maîtrise des Eaux et Forêts réclame la police du Rhône et de la Saône à l'intérieur de Lyon »14 ce qui confirme que celle-ci n'avait, de toute façon, pas de prérogatives dans la ville, ou de façon très limitée et ponctuelle, au XVIe siècle. Cela ne remet pas en cause la juridiction fluviale exercée par l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon durant la période qui nous intéresse.

10 AML, DD 316, pièce 1.

11 AML, DD 316, pièce 1.

12 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER, André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de
Lyon des origines a nos fours
, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, pages 450-451.

13 ADR, sous-série 5 B : Maîtrise des Eaux et Forêts (1673-1790).

14 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon«~ op. cit., page 457.

Les rois de France tentent tout de même d'interférer dans les prérogatives des seigneurs de Lyon. Il est d'ailleurs bien connu qu'ils se saisissent des pouvoirs judiciaires de l'archevêque de Lyon, de façon définitive en 1562-156315 (le chapitre Saint-Jean avaient perdu les siens dès 142416). Dans ce processus d'affermissement de la tutelle royale, « le Procureur du Roy en la Cour de Parlement de Paris, demanda que les isles du Rhosne, et de la Saone fussent reunies au Domaine du Roy, et tous les moulins à bled, les Pesches et autres droicts qui estoient establis en l'une et l'autre rive de ces deux Rivières, contre l'Archevesque et Clergé de Lyon »17. Cette demande, évoquée par René Choppin, fait immédiatement suite, selon lui, à un conflit opposant des représentants du roi et les clercs d'Avignon, au sujet des îles du Rhône, en 1493. Choppin explique plus loin que « la Cour ordonna sur une si grande affaire, qu'elle verroit les tiltres et en delibereroit plus amplement ».

Cette affaire n'est réglée que plus de quarante ans après. Tout d'abord, le 27 août 1534, l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon comparaissent devant le sénéchal de Lyon, « a ce deputé par la venerable court de parlement »18 pour justifier de leurs titres de possession. Il est précisé que les « ysles, broteaulx, peages, molins, bennes, pescheries, barrages et autres choses estans en et sur les fleuves et rivieres du Rosne et de la Saosne es environs de lad. ville de lyon [...] ont esté saisies et mises soubz la main du Roy a la requeste dudit procureur ». Cela nous montre que les îles, les berges et les autres éléments de la Saône ont été, au moins provisoirement, remis au roi. Le principal argument des seigneurs de Lyon, développé dans ce même document est l'ancienneté de leurs droits « tant par terre que par eaue »19, prérogatives qui n'ont jamais été remises en cause par les souverains. Le 2 octobre 1536, un arrêt du Parlement de Paris20 confirme les comtes de Lyon dans la possession de tous leurs domaines ainsi que les droits dont ils disposent dessus. Cela rétablit donc la situation juridictionnelle telle que était à la fin du XVe siècle.

15 KLEINCLAUSZ, Arthur, Histoire de Lyon, des origines à 1595, (tome 1), Genève, Laffite Reprints, 1978, page 464.

16 MISSOL-LEGOUX, Bernard, La voirie lyonnaise du Moyen Age à la Révolution, Lyon, Thèse de doctorat en droit, 1966, page 78.

17 CHOPPIN, René, Trois livres du domaine de la couronne, Paris, Michel Sonnius, 1613, page 169.

18 ADR, 10 G 1824, troisième liasse, document du 27 août 1534.

19 ADR, 10 G 1824, troisième liasse, document du 27 août 1534.

20 ADR, 10 G 1824, quatrième liasse, arrêt du 2 octobre 1536.

Enfin, un procès-verbal dressé par le lieutenant général de la sénéchaussée de Lyon le 21 janvier 1539 clôt l'affaire. En effet, il signifie la prise de possession par le pouvoir royal des îles, rives et structures fluviales de la Saône et du Rhône, « hors et excepté les dessus dittes des archevêque doyen et chapitre de Lyon »21. Finalement, le roi de France s'est donc saisi de la juridiction de la Saône et du Rhône comme il l'escomptait mais à l'exception notoire de ces cours d'eau dans le territoire des seigneurs-comtes de Lyon et donc à l'exception de la Saône dans la ville de Lyon intra muros. Néanmoins, nous l'avons montré dans le chapitre précédent, la déclaration royale du 7 juillet 1572 semble régler définitivement la question puisque le roi de France s'attribue la juridiction des îles, des berges et des entreprises qui y sont faites dans l'ensemble du royaume de France. Pourtant, les droits dont disposent les seigneurs de Lyon semblent quant à eux se maintenir puisque un édit d'avril 1683 leur confirme à nouveau « la propriété, possession et jouissance des isles, islots, atterrissements, peages, passages, bacqs, batteaux, ponts, moulins et autres ediffices et droits sur les rivieres navigables, mesme de justice »22 dans la limite de leur territoire.

La complexité juridictionnelle sur la Saône entre le pouvoir royal d'une part et l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon est donc importante. Bernard Missol-Legoux l'exprime clairement dans sa thèse23 : les comtes de Lyon, par leur pouvoir seigneurial ancien et donc légitime, disposent des prérogatives sur la Saône mais, si l'on considère cette rivière comme un « grand chemin », elle relève en effet de l'autorité royale. C'est d'ailleurs par une référence au juriste Charles Loyseau24, précédemment évoqué, que Bernard Missol-Legoux en arrive à cette conclusion. La seule trace du pouvoir royal dans la ville de Lyon, en lien avec la gestion fluviale, est le maître des ports. Nicolas de Nicolay présente cela : « le roi a estably en lad. ville de Lyon un maistre des portz, ponts et passaiges, et 17 gardes officiers qui sont tenuz demeurer par chacun jour es portes de ladite ville »25. Le

21 ADR, 10 G 1824, huitième liasse, procès-verbal du 21 janvier 1539, ou AML, DD 316, pièce 1 (pages 16-17).

22 AML, DD 316, pièce 1, page 17.

23 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., pages 116 à 118.

24 LOYSEAU, Charles, Traité des seigneuries, Paris, Abel l'Angelier, 1608, page 213.

25 NICOLAY, Nicolas (de), Généralle description de l'antique et célèbre cité de Lyon, du païs de Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites et confins d'iceux païs, Lyon, Société de Topographie historique de Lyon, 1881 (édition du manuscrit de 1573), page 131.

rôle de ces agents royaux se résume au contrôle des marchandises qui affluent à Lyon, par voie de terre comme par voie d'eau. Ainsi, ils ne concernent que peu le sujet de ce travail, puisque leur rôle reste mineur en ce qui concerne les usages et la gestion de la Saône, mais il était nécessaire de mentionner leur présence dans la ville. Celle-ci ne modifie par pour autant les modalités des droits sur la Saône.

En effet, les seigneurs de Lyon, c'est-à-dire l'archevêque et les chanoinescomtes, ont la juridiction sur la rivière de Saône dans les limites de la ville, et même au-delà, malgré la levée provisoire d'une partie de leurs prérogatives dans les quarante premières années du XVIe siècle. Leur autorité est légitimée par l'ancienneté de leurs droits même si le roi de France possède tout de même une autorité supérieure de fait, puisqu'il est considéré comme le seigneur des rivières navigables. L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon représentent donc, en théorie, l'autorité principale pour tout ce qui concerne la Saône dans la ville mais, concrètement, une partie de leur pouvoir est confiée à la municipalité et particulièrement, ce qui relèvent des infrastructures fluviales.

B. La voirie, une prérogative consulaire

La voirie est un des aspects de notre sujet puisque les infrastructures urbaines telles que les ports, les ponts et l'aménagement des berges font partie de ce domaine. Bernard Missol-Legoux définit la notion de voirie comme l'entretien des « voies »26 donc des espaces qui permettent de circuler ; ainsi, cela regroupe les rues et les chemins terrestres et donc les ponts, mais aussi les rivières et l'accès à celles-ci (embarcadères, ports, rampes d'accès etc). Selon Charles Loyseau, le terme « voirie » relève du droit de police qui « consiste proprement à pouvoir faire des réglemens particuliers, pour tous les citoyens de son distroit et territoire »27. Pour ce juriste, la voirie dépend donc du pouvoir de police, détenu en général, selon lui, par le roi ou par un seigneur. Cette définition, très théorique, semble inadaptée à notre analyse puisqu'elle ne distingue pas la juridiction de la gestion concrete. Nous entendrons donc ici le terme de « voirie » à la manière de Bernard Missol-Legoux ; d'autant plus qu'il ne semble pas nécessaire de revenir sur les questions juridictionnelles à propos de la Saône.

Cependant, comme le remarque justement Bernard Missol-Legoux, luimême, la voirie entre dans la catégorie des éléments fonciers et semble donc, de ce point de vue, dépendre de la justice et des droits domaniaux28. La voirie peut alors parfois relever de l'autorité seigneuriale, voire royale s'il s'agit d'un cours d'eau navigable. Comme nous l'avons montré, l'autorité seigneuriale principale qui prend part dans notre champ d'étude est l'archevêque de Lyon ainsi que les chanoinescomtes du chapitre Saint-Jean. S'ils disposaient d'un rôle dans la « voirie fluviale », celui-ci serait essentiellement le financement des infrastructures puisque les droits de péage leur reviennent du fait de la juridiction qu'ils possèdent et parce que « toutes les coustumes qui autorisent les peages, chargent par expres les seigneurs, qui les levent de l'entretien des chemins, ponts... »29. Cependant, une lettre patente de Louis XII, du 21 avril 150330, supprime tous les impôts et taxes pour les marchands « frequentans les rivieres du Rhone, de la Saone, et autres rivieres

26 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., introduction.

27 LOYSEAU, Traité~ op. cit., page 213.

28 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., introduction.

29 LOYSEAU, Traité~ op cit., page 220. Cela est affirmé par l'édit de septembre 1535 (cf Chapitre I, A, note de bas de page 22).

30 AML, CC 4047, pièce 4, décision royale du 21 avril 1503.

navigables cheans en icelles »31. L'archevêque de Lyon dispose tout de même de droits de péage sur la Saône mais en dehors de Lyon, comme le montre la lettre qu'il adresse à ses « peageurs, censiers et fermiers de noz peaiges par la riviere de Saonne »32 en 1511. Ces droits ont probablement été maintenu du fait de leur ancienneté, mais, quoi qu'il en soit, sont extérieurs à la ville de Lyon.

De plus, il semble que dans la charte de 1320, l'archevêque et les chanoines comtes ont reconnu que la voirie relève de la compétence de la municipalité de Lyon33. D'ailleurs, Eugene Courbis rappelle que « dès les temps les plus anciens, les opérations de voirie ont été faites par la ville. En 1309, nous voyons déjà les syndics-procureurs donner l'autorisation de bâtir un arc sur le pont de pierre construit sur la Saône »34. Lorsque Olivier Zeller évoque la fonction des municipalités dans les villes d'Europe pendant la période moderne, il confirme que « de longue date, la voirie était une préoccupation constante » et que celles-ci « devaient entretenir, améliorer ou édifier les équipements urbains »35. Ainsi, il semble certain que la voirie est un domaine qui est généralement géré par les municipalités. C'est aussi le cas pour la ville de Lyon, que ce soit justifié par l'usage ou effectivement par un document juridique.

Dans le cadre de la ville de Lyon, « les mesures concernant les fortifications, le tracé des rues, la sécurité et la salubrité des habitations, dont est responsable le consulat, relèvent de la « voirie » et sont confiées à un « voyer », officier municipal »36. Le consulat est l'assemblée qui possède le pouvoir municipal à Lyon sous l'Ancien Régime. Il est composé de douze échevins (ou conseillers) depuis 144737, élus pour deux ans avec un renouvellement annuel par moitié (soit six nouveaux échevins élus chaque année). Les conseillers sont chargés de traiter

31 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), page 281.

32 ADR, 15 H 6, lettre du 8 janvier 1511 (date actualisée).

33 MISSOL-LEGOUX, La voirie lyonnaise~ op. cit., page 78.

34 COURBIS, Eugène, La municipalité lyonnaise sous l'Ancien Régime, Lyon, Imprimerie Mougin Rusand, 1900, pages 143-145.

35 ZELLER, Olivier, "La ville moderne", in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, tome 1 (pages 595 à 857), Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, page 819.

36 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon~ op. cit., page 348. 37BEGHAIN, Patrice, BENOIT, Bruno, CORNELOUP, Gérard, THEVENON, Bruno, Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Editions Stéphane Bachès, 2009, page 333.

toutes les « affaires communes »38 de la ville ce qui leur confère un rôle politique mais aussi économique, social ; en bref, un rôle d'administration au sens large. Les désaccords financiers mis à part, Arthur Kleinclausz considère qu'il n'y a que peu de conflits entre l'Eglise et le consulat39. Il justifie cela par le fait que l'archevêque de Lyon souhaite surtout maintenir son pouvoir judiciaire sur lequel le consulat n'a aucune prétention. Chacun semble donc exercer son autorité de façon distincte et la gestion de la voirie est prise en charge par la municipalité lyonnaise.

En effet, depuis 149240, le pouvoir municipal lyonnais nomme un préposé à la voirie, le voyer. Avant que ce poste ne soit défini, le consulat « qui, au début du XIVe siècle, exerçait déjà dans la ville le « droit de voirie », chargeait à l'origine, un ou plusieurs conseillers [...] de visiter les édifices en construction ou en réparation, d'inspecter les ponts, portes, rues et remparts »41. Ainsi, dès la fin du Moyen Age, même s'il n'existait pas d'agent municipal dévoué à la voirie, des conseillers exerçaient ponctuellement cette charge. Celle-ci est donc constituée de deux aspects : tout d'abord de la surveillance des édifices pour prévenir des nécessités, notamment de réparation, mais aussi d'un rôle de maître de chantier puisqu'il s'agit de surveiller les travaux d'édification ou de réfection des infrastructures. Nicolas de Nicolay, contemporain, décrit le rôle du voyer lyonnais au XVIe siècle : celui-ci a « la sur-intendance sur la santé de ladicte ville, pavissement et nettoyement des rues, demolition des maisons et bastiments ruineux, reparation et entretenement des rues, portz, ponts et passages »42. La principale précision que nous apporte cet auteur est que le voyer est responsable de l'entretien des rues c'est-à-dire à la fois de leur propreté mais aussi de l'entretien de leur pavement afin qu'elles soient aisément carrossables. Enfin, ce commis à la voirie peut décider de la destruction des édifices en ruines ou qui représente un danger au vu de leur délabrement.

Le voyer est donc l'agent du consulat en matière de voirie tout au long du siècle qui nous concerne. Cependant, son statut a évolué au milieu du XVIe siècle

38 Citation des textes qui instituent les échevins, relevée dans BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon..., op. cit., page 433.

39 KLEINCLAUSZ, Histoire de Lyon..., op. cit., page 481.

40 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon..., op. cit., page 457.

41 VIAL, Eugène, "Les voyers de la ville de Lyon", in Revue d'Histoire de Lyon, Tome 10, année 1911, Lyon, A. Rey et Compagnie (imprimeurs-éditeurs), 1911, page 180.

42 NICOLAY, Généralle description..., op. cit., page 142.

suite à la création, à Lyon, par un édit de novembre 1549 d'un poste de « voyer en chef en titre d'office »43. Eugène Vial, dans son article très complet sur les voyers de Lyon, présente cette affaire qui ne comporte pas de conséquences importantes, mais qu'il est utile de mentionner. Henri II confia ce nouvel office à un marchand lyonnais, Guillaume Chazottes, « mais le consulat fit opposition à cette nomination qui portait atteinte à l'un de ses privileges les plus anciens, sa juridiction de voirie, et réclama le droit de nommer son Voyer »44. L'affaire, selon Eugene Vial, n'est réglée qu'en 1557, après plusieurs années de procédure judiciaire et la démission de Chazottes. Pendant ces huit années, Humbert Gimbre, voyer de la ville nommé par le consulat, puis son fils, ont continué d'exercer leur charge.

En 1557, le consulat est confirmé dans son pouvoir de nomination d'un voyer pour la ville. Eugène Vial explique que, depuis cette affaire, le voyer fait « partie du corps consulaire comme « officier de Ville » »45. Concrètement, à part le costume porté par ce personnage et les privilèges dont il dispose en tant que nouveau membre du pouvoir municipal (éléments confirmés par le consulat dans la seconde moitié du siècle), la charge de voyer reste la même. Elle consiste donc en l'inspection des bâtiments de la ville et en la direction des travaux qui sont réalisés, de la volonté de la municipalité lyonnaise. En effet, le consulat, nous l'avons montré, est le responsable de la voirie à Lyon au XVIe siècle.

43 VIAL, « Les voyers... », op. cit., page 182.

44 Ibid., page 182.

45 Ibid., page 183.

C. Chevauchement d'autorités ; l'affaire Pierrevive

L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon possèdent la juridiction de la Saône et des structures qui en dépendent au XVIe siècle à Lyon. Cependant, les questions de voirie ont été déléguées et sont gérées par la municipalité lyonnaise. En théorie, ces rôles semblent définis mais une affaire judiciaire les opposant met au jour les conflits d'autorité qui découlent d'un partage de prérogatives si peu tranché.

Le 7 février 1528, Françoise de Pierrevive, veuve Piochet, demande à

l'archevêque l'autorisation de rebâtir sa maison, détruite par un incendie. Sa maison

« estoit sur la pille dud. pont [de Saône] au coing dicelluy devers leglise Saint

Jehan »46. Cette maison était donc sur le pont de Saône ; en effet, de longue date,

des maisons y étaient installées. Léon Boitel l'explique : « Quoique ce pont fut très

étroit, on avait toléré, sans doute en faveur des citoyens qui y avaient des droits par

la générosité de leurs dons pour l'achèvement de l'entreprise, la construction de

maison assises sur les piles à chaque extrémité du pont »47. Il fait donc remonter la présence de maisons, sur le seul pont jeté sur la Saône, à la fin du XIe siècle ou au début du siècle suivant. L'affaire judiciaire qui nous intéresse concerne donc une de ces maisons, situées à l'extrémité sud-ouest du pont de Saône et représentées sur le plan48 ci-contre.

46 AML, DD 003, pièce 39.

47 BOITEL, Léon (dir.), Lyon ancien et moderne, tome 2, Lyon, éditeur Léon Boitel, 1843, pages 439 à 445.

48 Extrait d'un planche du plan scénographique de 1550, tiré de CHAMPDOR, Albert, Plan scénographique de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de Trévoux, 1981, planche XIII.

Donc, suite à l'incendie de sa maison, Françoise de Pierrevive, le 7 février 1528, demande à l'archevêque qu'il « lui soit loisible de reedifier et de parachever tout ainsi que a commencé en luy donnant faculté, puissance et liberté de ce faire »49. Sa requête est donc très claire : les travaux ont débuté mais elle demande une autorisation officielle de les continuer. La raison de cette demande n'est pas identifiée ; aucun des documents consultés ne montre qu'on lui ait suggéré de la formuler. Un acte du conseil de l'archevêque de Lyon et du chapitre Saint-Jean, du 21 février 1528, lui fournit une réponse : sa requête est acceptée « dung commun consentement tant quil touche mond. seigneur l'arcevesque seigneur naturel, temporel et spirituel dud. lyon et a cause de son contat dud. lyon ayant la directe seigneurie de la maison de lad. suppliante »50. L'autorisation fournie est ainsi justifiée par le pouvoir temporel de l'archevêque et du chapitre Saint-Jean ; c'est en tant que comtes de Lyon qu'ils ont l'autorité sur cette question.

Malgré la légitimité qu'ils se donnent, ces seigneurs nomment deux membres de leur conseil « pour empescher par tous les moiens deuz, justes et raisonnables que lad. Dame [...] ne soit empeschée de faict et induement au bastiment et parachevement de sad. maison »51. Les deux commis sont Hugues du Puy, procureur général et représentant de l'archevêque et Annemond Chalan, « docteur es droiz, Juge de la cour des appeaulx des chasteaulx et places »52 de l'archevêque également. Ceux-ci sont donc chargés de s'assurer de l'application de la décision du conseil et, par conséquent, de la reconstruction de la maison de Françoise de Pierrevive. Leur mission est précisée plus loin dans le même document : ils doivent aller voir « monsieur Pomponne de Tremoille lieutenant de monSeigneur le gouverneur pour le Roy notre souverain seigneur en la ville de lyon et pays de lyonnois pour lui supplier et requerir que son plaisir soit ne donner ne faire empeschement à lad. dame ». Hugues du Puy et Annemond Chalan doivent ainsi aller voir le lieutenant du gouverneur du Lyonnais c'est-à-dire le « représentant suprême de l'autorité royale »53 dans la région pour confirmer la permission accordée à Françoise de Pierrevive. Cette demande de confirmation de leur décision est assez surprenante : il faut peut-être la lier à la suspension

49 AML, DD 003, pièce 39.

50 AML, DD 003, pièce 40.

51 AML, DD 003, pièce 40.

52 AML, DD 003, pièce 40.

53 KLEINCLAUSZ, Histoire de Lyon..., op. cit., page 464.

provisoire de la juridiction des seigneurs de Lyon jusqu'en 1539 au profit du roi54. Aucun document trouvé ne mentionne cette entrevue avec le gouverneur mais comme les comtes de Lyon ne reviennent pas sur leur décision, l'on peut penser qu'ils ont obtenu une réponse favorable du gouverneur.

En dépit de cela, les échevins saisissent la sénéchaussée de Lyon c'est-àdire la principale autorité judiciaire. Les dates précises de ce recours en justice et des démarches qui l'accompagnent ne sont pas mentionnées dans les documents trouvés aux Archives municipales de Lyon ; cependant, comme le désaccord semble définitivement tranché autour du 5 juillet 1528, l'on peut sans doute affirmer que l'instruction de l'affaire se déroule entre la fin du mois de février 1528 et le mois de juillet de la même année. Les conseillers de la ville de Lyon réagissent donc négativement à la décision prise au conseil de l'archevêque le 21 février 1528 mais aussi à une « complainte » formulée par ce dernier, qui, selon eux, « nest recevable »55. Il s'agit probablement de la demande faite auprès du gouverneur par les représentants de l'archevêque et du chapitre Saint-Jean de ne pas aller à l'encontre de la décision qu'ils ont prise en faveur de Françoise de Pierrevive. Les arguments développés par le consulat devant la sénéchaussée contestent l'autorité des comtes de Lyon en la matière. En effet, selon les échevins, « led. seigneur arcevesque pretend usurper et entreprendre contre les droitz du Roy tant par eaue que par terre »56. Ainsi, ils considèrent que l'archevêque et son conseil ne sont pas les personnes désignées pour prendre ce type de décisions et même que, ce faisant, ils vont à l'encontre du pouvoir du roi.

La défense de l'archevêque (qui s'exprime aussi au nom des chanoinescomtes de la ville) va directement à contre-courant de ce qui lui est reproché par le consulat. En effet, il considère « que a cause de leglise et conté de lyon Il a plusieurs beaulx, droictz, preheminances, auctoritez et prerogatives [...] tant par eaue que par terre en toute la ville et cyté de lyon », mais il rappelle que c'est « soubz toutesfoys le ressort et souverainté du Roy »57. Il est donc ici encore question du pouvoir du roi ; adroitement, l'archevêque ne le nie pas et place même son autorité comme légitime puisque justement conférée par les souverains.

54 Cf Chapitre II, A.

55 AML, DD 310, pièce 24.

56 AML, DD 310, pièce 24.

57 AML, DD 310, pièce 25.

D'ailleurs, le simple recours à l'avis du gouverneur, prévu en février 1528, montre qu'il tient compte du pouvoir royal. L'archevêque ajoute qu'il détient la juridiction sur les maisons de la ville et « mesmement sur les crenes, forgets, avancemens et accroissemens des maisons estans et assises le long du rivaige de la riviere de saosne tant sur le pont de ladite riviere que sur les pont qui ont esté faictz et se font »58. L'archevêque considère donc qu'il agit dans son droit puisque les maisons de la ville, le pont de Saône et, par conséquent, les maisons qui sont sur ce pont dépendent de son autorité. Dans le même document, il précise que personne ne peut construire d'édifice sur la Saône sans l'autorisation du chapitre Saint-Jean et de luimême.

Gependant, les deux parties qui s'opposent dans cette affaire, disposent d'autres arguments en leur faveur. Tout d'abord, le consulat s'oppose aux prérogatives revendiquées par les seigneurs de Lyon sur les infrastructures saôniennes. Ainsi, les échevins se sentent usurpés dans leurs droits : « nous voullons dire que le pont est de la ville et quelle lentretient en toutes reparations et quil nest loysible a y bastir sans la permission de la ville »59. Gette fois, sans remettre en cause le pouvoir seigneurial, ils affirment tout de même que l'autorisation de construire relève de leur autorité. En effet, ils rappellent leur droit de voirie et donc qu'ils sont responsables de la gestion concrète des édifices de la ville et, de ce fait, ce sont eux qui détiendraient le pouvoir d'autoriser une telle reconstruction. L'archevêque et les chanoines-comtes, quant à eux, affirment à plusieurs reprises que la permission qu'il ont donnée à Françoise de Pierrevive de rebâtir sa maison sur le pont de Saône, n'a pas été décidée « contre le droit d'autruy mêmement de la chose publique »60 mais seulement parce que leur seigneurie leur confère le droit d'autoriser ou non des constructions dans la ville.

Get argument touche probablement au fond du problème : « la chose publique ». En effet, peu à peu au cours du XVIe siècle, lorsqu'il s'agit de construction, « le consulat oppose des arguments nouveaux fondés sur la notion d'espaces « publics » donc inappropriables. Les rues et les places de la cité ne sont

58 AML, DD 310, pièce 25.

59 AML, DD 310, pièce 27.

60 AML, DD 256, pièce 41, acte du conseil de l'archevêque du 16 juin 1528.

plus, aux yeux des échevins, des territoires dont chacun peut se rendre maître "61. Le pont de Saône n'échappe pas à la règle : le consulat craint que les maisons empiètent sur cet axe de circulation, déjà étroit à l'origine. Le 9 mars 1516, lors d'une réunion du consulat, François Deschamps rapporte « le bruist qui court que le Roy a donné à monsieur de Maugiron permission de appensionner le pont de saone et y faire des maisons tant dun costé que dautre "62. Cette rumeur inquiète le consulat qui considère que ce « seroit grant dommaige interestz a ceste ville " et qu'il faut « y obvier par tous les moyens que pourra "63. Au moins dès 1516, les échevins craignent donc qu'une personne puisse construire des maisons sur le pont de Saône et l'on peut penser que c'est une motivation importante de leur opposition aux travaux que veut effectuer Françoise de Pierrevive. L'autre aspect intéressant de cette rumeur, est que l'autorisation de construire aurait été donné par le roi, ce qui n'étonne pas le consulat.

Ainsi, le roi peut intervenir ponctuellement en matière de voirie à Lyon. C'est d'ailleurs par une intervention d'un représentant du roi que l'affaire qui oppose l'archevêque et les chanoines-comtes d'une part, au consulat d'autre part, est réglée. Une délibération consulaire du 5 juillet 1528 donne les conclusions du différend. Tout d'abord, Mme de Pierrevive n'a pu reconstruire sa maison car « elle auroit été empêchée par auctorité de justice "64 ce qui laisse sous-entendre que les échevins ont été reconnus dans leurs prérogatives ; ils réaffirment dans ce document qu'il leur « appertient led. droit de permission et cognoissance des bastiments et édiffices et sur iceux bailler et prendre mesures pour obvier que la rue ne soit usurpée sur la chose publique ". Il est ensuite précisé que Françoise de Pierrevive a renoncé à la permission obtenue du conseil de l'archevêque et demande, cette fois, l'autorisation de réédifier sa maison au consulat.

Celui-ci, malgré les oppositions qu'il a formulées jusque-là, accède à sa requête, lui permettant donc de reconstruire sa maison sur le premier arc du pont de Saône. Néanmoins, cette volte-face surprenante n'est pas simplement motivée par des questions de juridiction : ce n'est pas parce que la décision lui revient que le

61 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, Collection "La Pierre et l'Ecrit", 2009, page 144.

62 AML, BB 035, f°129 v°, délibération du dimanche 9 mars 1516.

63 AML, BB 035, f°129 v°.

64 AML, DD 003, pièce 43.

consulat donne cette autorisation, qui va à l'encontre de ses propos sur l'espace « public » et de sa volonté de permettre une circulation aisée sur le pont. Il est expliqué à ce sujet, dans la délibération consulaire, que les échevins lui ont conféré la permission de construire « à la demande et priere de très illustre prince Monseigneur François Conte de Saint-Pol, lieutenant general pour le Roy nôtre sire, conduisant presentement l'armée dud. Seigneur en Italie »65. Cette intervention, difficile à appréhender, peut probablement s'expliquer de diverses façons comme, par exemple, par des liens qui pourraient exister entre les familles de Pierrevive et de Saint-Pol ou par une requête de l'archevêque à ce représentant du roi. Cependant, la qualité en laquelle celui-ci peut intervenir n'est pas définie et sa demande semble impromptue.

Finalement, face à ce grand personnage, lieutenant général du roi, le consulat a cédé et l'affaire se conclut donc à l'avantage de Mme de Pierrevive et donc de l'archevêque. Néanmoins, cette affaire complexe confirme chaque autorité dans son rôle : l'archevêque et les chanoines-comtes possèdent la juridiction de la Saône mais la gestion concrète relève du pouvoir consulaire. Par ailleurs, le roi reste l'autorité principale, en dernier recours, par le biais notamment de son gouverneur ou de la sénéchaussée de Lyon. Enfin, comme le présente Yann Ligneureux, en ce qui concerne le XVIIe siècle, lorsqu'il évoque le pouvoir du consulat : « le plus ancien pont de la ville, celui jeté sur la Saône, dépendait de son autorité directe »66.

65 AML, DD 003, pièce 43.

66 LIGNEREUX, Yann, Lyon et le roi ; de la "bonne ville" à l'absolutisme municipal (1594-1654), Seyssel (Ain), Editions Champ Vallon, Collection Epoques, 2003, page 651.

Conclusion chapitre II

Plusieurs autorités sont concernées par la juridiction et la prise en charge de la Saône à Lyon au XVIe siècle. Tout d'abord, l'archevêque et les chanoinescomtes de Lyon, seigneurs temporels de la ville, disposent de la juridiction fluviale depuis le Moyen Age. Cependant, une suspension de ce pouvoir pendant la première moitié du XVIe siècle est à noter, à l'avantage des rois de France. En effet, les souverains cherchent à affermir leur pouvoir sur la Saône ; quoiqu'il en soit, comme c'est une rivière navigable, elle est dans leur giron. A cela s'ajoute le consulat lyonnais, qui gère toutes les affaires courantes et communes de la ville, et particulièrement la voirie. Les prérogatives de ces différents pouvoirs, pourtant identifiables, ne sont pas cloisonnées ; l'affaire autour de la reconstruction de la maison de Françoise de Pierrevive met au jour des conflits d'autorités sous-jacents qui peuvent entraîner facilement des différends entre les acteurs de la juridiction de la Saône.

Conclusion de la première partie

Les juridictions qui s'exercent sur les cours d'eau peuvent être détenues par différentes autorités et de manières diverses. Eric Rieth explique d'ailleurs qu'il existe, pendant le Moyen Age et l'Ancien Régime, « un contrôle des fleuves et des rivières de nature locale, régionale, nationale d'une part, et d'ordre administratif, juridique, économique, politique, d'autre part »67. Au niveau national, nous l'avons montré, le roi détient les droits régaliens sur les cours d'eau navigables du royaume. Il exerce son pouvoir par l'intermédiaire d'une administration, les Eaux et Forêts, dont il tente d'améliorer l'efficacité et le champ d'action au cours du XVIe siècle.

La maîtrise des Eaux et Forêts ne semble que peu intervenir, voire pas du tout, dans la juridiction de la Saône à Lyon. Celle-ci relève de l'autorité des comtes de Lyon, c'est-à-dire de l'archevêque et du chapitre Saint-Jean, même si les rois de France tentent de s'en saisir. Cela n'est pas aisé car même si les seigneurs de Lyon reconnaissent le pouvoir des rois sur les rivières navigables, ils légitiment leur juridiction par son ancienneté et la conservent pendant l'Ancien Régime.

Les comtes de Lyon disposent, en théorie, de l'essentiel des droits sur la Saône. Cependant, le consulat, qui détient le pouvoir municipal, est en charge de la gestion quotidienne et particulièrement, de la voirie. Ainsi, plusieurs autorités interagissent dans la gestion de la Saône à Lyon, ce qui n'est pas une particularité ni de cette ville, ni de l'administration des cours d'eau, puisque « l'entrecroisement des institutions et des fonctions semble avoir été un caractère ordinaire »68 des villes sous l'Ancien Régime.

67 RIETH, Eric, Des bateaux et des fleuves, Archéologie de la batellerie du Néolitique aux Temps modernes en France, Paris, Editions Errance, collection des Hespérides, 1998, page 17.

68 ZELLER, Olivier, "La ville moderne", in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, tome 1, Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, page 856.

Deuxième partie : Représentations et usages de la
Saône à Lyon

La rivière de Saône, plus qu'un enjeu juridictionnel, est un espace au coeur de la ville de Lyon. C'est à la fois un lieu d'activités mais c'est aussi un élément naturel, avec tous les avantages et les risques impliqués par ce qualificatif. Il s'agit d'étudier le rapport entre une communauté urbaine et la rivière qu'elle côtoie. Cela implique de caractériser les usages de la Saône par les Lyonnais ainsi que de s'intéresser à l'importance de la rivière pour la ville. De plus, il est important de déterminer les avantages et les inconvénients de la présence d'une rivière dans un espace urbain c'est-à-dire, la façon dont les riverains et les autorités tirent profit des ressources et des possibilités qu'elle offre mais aussi comment ils s'adaptent aux difficultés que la présence d'un cours d'eau implique.

Afin d'appréhender cette relation particulière entre une ville et ses habitants d'une part et une rivière d'autre part, nous tenterons, dans un premier temps, d'esquisser la perception de cette rivière en nous intéressant particulièrement à son caractère propre, c'est-à-dire naturel, et donc à la conscience et à la prévention des risques intrinsèques à sa présence, dans un espace dans lequel l'homme s'est installé. Puis nous nous intéresserons aux activités et aux usages de la Saône à Lyon. Il s'agira donc d'analyser à quel point la rivière est au coeur de la vie de ses riverains lyonnais et de décrire les usages principaux qui en sont fait. Tout au long de cette présentation, la prise en charge politique constituera l'enjeu principal puisque après avoir défini, dans la première partie, les autorités qui sont impliquées dans la juridiction de la Saône, il s'agira de se pencher sur la gestion concrète et sur ses implications.

Chapitre III : Perception et gestion des risques

L'intérêt de ce chapitre est de déterminer la représentation de la Saône en tant que rivière c'est-à-dire la Saône comme élément naturel, potentiellement imprévisible, dans un cadre urbain organisé et maîtrisé. Il s'agit donc de s'intéresser à la perception de la rivière par les auteurs mais surtout par les individus, particuliers comme autorités, qui la côtoient. Pour cela, nous nous pencherons, dans un premier temps, sur les descriptions de la Saône, puis nous présenterons les risques qui résultent de sa présence pour la ville de Lyon et la façon dont ils sont perçus. Enfin, nous nous pencherons sur la question de la pollution de cette rivière, qui révèle des usages mais aussi une certaine vision de l'eau, ainsi que sur le rôle des autorités dans ces questions.

A. Une rivière paisible

La mention de la rivière de Saône est un élément fondamental de toute présentation de la ville de Lyon. En effet, la ville est systématiquement associée à cette rivière autour de laquelle elle s'est peu à peu construite, depuis l'Antiquité. La Saône traverse la ville de Lyon en son milieu à la période moderne c'est-à-dire avant que le site urbain ne s'étende également à la rive gauche du Rhône. En effet, l'actuel quartier de la Guillotière, qui existait déjà au XVIe siècle, n'était qu'un faubourg de la ville, très peu peuplé, qui ne sera intégré au royaume de France qu'après le Traité de Lyon en 1601, et à l'espace urbain plus tardivement. La rivière

de Saône, au XVIe

siècle, est donc au

coeur de la ville de

Lyon comme cela

est figuré sur le

plan ci-contre,

réalisé vers 1564

par Antoine du

Pinet1. C'est une

rivière familière

pour ses riverains puisqu'il la côtoie quotidiennement. L'installation progressive de la ville sur les deux berges de ce cours d'eau révèle son caractère urbain, dans les différents sens du terme. D'ailleurs, « il est symptomatique que tous les premiers établissements humains se sont succédés sur ses rives »2. Ainsi, le choix antique d'installer des habitats au bord de la Saône, au détriment du Rhône pourtant tout proche, semble être révélateur d'une certaine crainte de ce dernier ou, à l'inverse mais de façon logique, la marque d'une perception plus sereine de la Saône.

1 DU PINET, Antoine, « Plantz, pourtraictz et descriptions de plusieurs villes et forteresses... », Lyon, Jean d'Ogerolles, 1564, tiré de KRUMENACKER, Yves (dir.), Lyon 1562 capitale protestante, Lyon, Editions Olivétan, 2009, page 261.

2 DELLUS, Jean, FREBAULT, Jean, RIVET, Martine, «Lyon, ville fluviale», in La ville et le fleuve, actes du colloque de Lyon (avril 1987), Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1989, page 38.

Ces deux cours d'eau, profondément liés à l'histoire de Lyon, sont souvent comparés par les auteurs. En effet, la Saône et le Rhône, généralement décrits de paire, sont présentés comme complémentaires, justement en raison de leurs caractères si différents. Tout d'abord, ces cours d'eau sont souvent assimilés aux deux constituantes d'un couple amoureux. La Saône est régulièrement présentée allégoriquement comme une femme en raison de la douceur de son courant et le Rhône comme son amant. En 1537, Clément Marot les décrit ainsi : « La Saône et son mignon / Le Rhosne qui court de vistesse »3. La confluence des deux fleuves est alors assimilée à une union. Celle-ci est, en général, présentée comme dominée par le puissant fleuve du Rhône, que Charles Fontaine présente comme « courant d'une forte alaine : /Afin que d'un brave et beau train / Saone son amie il emmeine »4. Dans ces deux descriptions, la puissance du Rhône est mise en exergue et implique, par conséquent, une moindre intensité du cours de la Saône.

Des l'Antiquité, les descriptions de ces deux cours d'eau insistent sur leurs oppositions. Par exemple, selon René Choppin, l'auteur latin Tibulle les qualifie ainsi : « Mitis Arar5, Rhodanusque celer »6. Il présente donc la Saône comme une rivière « calme, tranquille »7, à l'opposé du fleuve « rapide » qu'est le Rhône. François de Belleforest, auteur du XVIe siècle, confirme cette description puisque selon lui, « la Saone coule doucement, et le Rhosne est tout ravageant, enflé et tourbilloneux »8. Le procédé de comparaison employé par ces auteurs peut sembler exagérer les différences entre ces deux cours d'eau, néanmoins, il est certain que la perception de ceux-ci est nettement définie et que la Saône est perçue comme une rivière beaucoup moins tumultueuse que le fleuve voisin. D'ailleurs, l'absence de moulins sur cette rivière alors qu'ils sont nombreux sur le Rhône9 est un indice

3 Extrait d'un poème de Clément Marot, cité dans GARDES, Gilbert, Le voyage de Lyon, Lyon, Editions Horvath, 1993, page 90.

4 FONTAINE, Charles, Ode de l'antiquité et excellence de la ville de Lyon, Lyon, Société des bibliophiles lyonnais, 1890 (1e éd. en 1557), pages 12 et 13.

5 Nom de la rivière de Saône durant l'Antiquité.

6 Citation extraite de CHOPPIN, René, Trois livres du domaine de la couronne, Paris, Michel Sonnius, 1613, page 169.

7 GAFFIOT, Félix, Dictionnaire Latin-Français, Paris, Editions Hachette, 2001, page 464, définition de mitis, e.

8 BELLEFOREST, François (de), De l'effroyable et merveilleux desbord de la rivière du Rhosne en 1570, Lyon, J. Nigon (imprimeur), 1848 (ouvrage de 1570), page 3.

9 Cela est précisé dans le chapitre IV, B.

supplémentaire de la vision de ces cours d'eau par les contemporains mais aussi de leur débit constaté.

Si l'on s'écarte de ces présentations comparatives des fleuves qui passent à Lyon pour se restreindre aux seules descriptions de la Saône, les auteurs sont également unanimes au sujet du caractère apaisé de cette dernière. Encore une fois, un auteur antique nous permet de commencer cette présentation. Il s'agit de Jules César, qui a écrit à propos de la Saône que « son cours est d'une incroyable lenteur, au point que l'oeil ne peut juger du sens du courant »10. Cette affirmation, quoique exagérée et lapidaire, qualifie le cours de la Saône d'une lenteur et d'une tranquillité indéniables. Nicolas de Nicolay, qui réalise une description de Lyon et sa région au début des années 1570, confirme cette présentation, mais de façon plus mesurée, puisqu'il considère que la Saône « est fleuve tres doux et lent »11.

Une anecdote de F. Vinchant confère même à cette rivière, sur le ton de l'humour, des qualités de guérison du fait de sa lenteur. En effet, il raconte qu'en 1589, Guillaume Michel, un individu souffrant de la goutte, se fait conduire à l'Ile Barbe, au nord de Lyon, afin d'obtenir une guérison. Au retour, la barque, menée par une batelière ivre et suite à une collision avec le pont de Saône, se renversa. Le malade « se sentant en l'eau, donna si bien des pieds et des mains qu'il estendit ses membres et se délivra de l'eau et de la goutte »12. L'auteur précise au préalable que « ce fleuve coule bien paisiblement et si doucement qu'il peut rendre garison aux goutteux ». Quelle que soit la valeur de ce récit et le ton sur lequel il semble être raconté, il confirme à nouveau que la Saône est perçue depuis l'Antiquité, et en ce qui nous concerne au début de la période moderne, comme une rivière calme et paisible.

Ainsi, les propos des auteurs, antiques comme modernes, concordent et leur vision unanime de la rivière de Saône révèlent donc une perception favorable de celle-ci. Cependant, cette perception n'est pas forcément représentative et la vision qu'ont les riverains de ce cours d'eau n'est pas aisée à déterminer. Il est tout de

10 CESAR, Jules, La Guerre des Gaules, 1937, livre premier, XII, cité dans GARDES, Gilbert, Le voyage~ op. cit., page 194.

11 NICOLAY, Nicolas (de), Généralle description de l'antique et célèbre cité de Lyon, du païs de Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites et confins d'iceux païs, Lyon, Société de Topographie historique de Lyon, 1881 (édition de l'ouvrage manuscrit de 1573), page 214.

12 Citation tirée de GARDES, Le voyage~, op. cit., page 194.

même possible de supposer que la présence de maisons tout au long de la rive droite de la Saône, de façon presque continue, ainsi que sur la rive gauche dans une moindre mesure13, montre que la Saône ne représente pas une menace importante.

Ces maisons « plantées dans l'eau »14, dont une partie est représentée sur

l'image ci-dessous15, sont caractéristiques des rives de la Saône dans le cadre de la

ville de Lyon. A l'inverse, les maisons au bord du Rhône ne sont pas accolées à la

berge, ou seulement de façon sporadique, et la rive droite du Rhône n'est bordée en

certains points que par des remparts. Ainsi, il semble possible d'affirmer que la rivière de Saône, tant par les auteurs, que par les riverains, est perçue comme un cours d'eau calme et paisible. D'ailleurs, l'on sait aujourd'hui que le débit moyen de la Saône est beaucoup

moins élevé que celui de Rhône : 250 m3 pour la rivière alors que 650 m3 pour le

fleuve16. Il semble donc logique qu'il existe une forte différence de perception de

ces cours d'eau et que la Saône est considérée comme une rivière au cours

favorable.

Le régime de la Saône a été étudié par des géographes, notamment par Laurent Astrade. Ce dernier, dans un article qu'il consacre aux débordements de cette rivière17, explique que les crues de la Saône sont nombreuses et très fréquentes. Cependant, la plupart de ces débordements se concentre en amont de

13 Cependant, dans la partie nord de la ville, la rive gauche semble comporter un chemin de halage qui empêche la présence d'édifices au bord de l'eau.

14 LABASSE, Jean, «Réflexion d'un géographe sur le couple ville-fleuve», in La ville et le fleuve, actes du colloque de Lyon (avril 1987), Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1989, page 15.

15 CHAMPDOR, Albert (introduction), Plan scénographique de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de Trévoux, 1981, extrait de la planche XIII.

16 GARDES, Gilbert, Lyon, l'art et la ville, Paris, Editions du CNRS, 1988, page 17.

17 ASTRADE, Laurent, "Les crues et les inondations de la Saône", in La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, pages 157 à 171.

Lyon ou, en ce qui concerne les crues dites « méditerranéennes », elles sont en aval de cette ville. Ainsi, la ville de Lyon semble plutôt épargnée par ces phénomènes ; ce qui explique en partie la perception de la Saône comme une rivière paisible. A cela s'ajoute bien sûr la comparaison avec le Rhône, fleuve puissant, qui permet de rendre la Saône d'autant plus familière pour les Lyonnais. Cependant, les dangers de la présence d'une rivière, même s'ils peuvent sembler lointains, font partie des aléas climatiques que la ville de Lyon peut ponctuellement subir.

B. Les aléas climatiques

La Saône, bien que considérée comme un cours d'eau familier et paisible, reste une rivière, c'est-à-dire un élément naturel, qui connaît différents cycles de croissance et de rétractation de son lit. De plus, une rivière est soumise aux variations climatiques et ne peut donc être perçue comme immuable et totalement prévisible. Ainsi, dans le cadre d'un site urbain, un tel élément peut représenter un danger pour les installations humaines, particulièrement les habitations, et être à l'origine de difficultés, notamment de navigation. Les riverains sont nécessairement, et par la force des choses, conscients des risques qui existent. Il s'agit ici de s'intéresser à la perception des dangers liés à la présence d'une rivière dans la ville de Lyon, mais aussi à la prise en charge politique voire à l'anticipation par les autorités de tels épisodes.

Parmi les évènements climatiques qui peuvent survenir et avoir des conséquences sur une rivière telle que la Saône, le premier auquel nous allons nous intéresser est la forte baisse des températures. Celle-ci peut entraîner le gel de la rivière et donc un empêchement total de la navigation. Ce phénomène est assez peu courant mais plusieurs occurrences sont avérées pour la rivière de Saône. Selon Laurent Michel, « la rudesse relative du climat et la faible pente expliquent aussi que la Saône soit un des seuls fleuves français à être parfois pris par les glaces, comme le Rhin »18. Il fournit également plusieurs dates auxquelles de tels épisodes se sont produits mais sa chronologie ne recense de tels évènements seulement entre les années 1608 et 1956.

Cependant, des sources permettent de supposer que la rivière de Saône a été, au moins une fois, prise par les glaces au cours de la période que nous étudions. En effet, Guillaume Paradin, historien lyonnais du XVIe siècle, relate un tel évènement pour l'hiver de l'année 1500. Cet auteur déclare que « la riviere de Saone, fut entierement gelée, depuis Lyon, iusques à Mascon : de manière que le commerce

18 MICHEL, Laurent, La Saône, frontière et trait d'union ; son histoire, ses riverains, son cours, Saint-Etienne, Editions Horvath, sans date, page 64.

par eau, estoit arresté »19. Cette information est confirmée par un acte consulaire du 7 janvier 1500. Le consulat lyonnais accorde l'autorisation à des « poissonniers aians bateaulx et bachoirs sur la saonne [...de] retirer leursd. bateaulx au temps du dangier de glasses »20. Les bateliers formulent cette demande parce qu'ils souhaitent entreposer leurs embarcations dans les fossés de la ville ; c'est sans doute la seule raison pour laquelle ils ont besoin de l'avis du consulat pour retirer leurs bateaux. La suite de l'acte justifie la nécessité que les bateaux soient sortis de la rivière, car « silz ne les retiroient serront rompuz ». En effet, la glace « est un danger pour les bateaux, surtout en bois »21 puisque ceux-ci pourraient se fendre sous la pression de l'eau gelée. En plus de cela, la conséquence principale d'un tel évènement, comme l'explique d'ailleurs Paradin, est l'arrêt provisoire de la navigation, notamment du transport commercial, ce qui représente une perte économique importante pour la ville de Lyon.

Outre le danger des glaces, le principal risque, beaucoup moins anecdotique que le gel pour les personnes vivant à proximité d'un cours d'eau, est le débordement de celui-ci. Comme nous l'avons rapidement esquissé, le régime de la Saône épargne la ville de Lyon de crues et d'inondations fréquentes. Pourtant, de façon occasionnelle, de tels évènements s'y produisent. De plus, « la Saône est restée très dynamique au cours de la période moderne, si bien qu'il a pu lui arriver d'envahir les habitations »22. En ce qui concerne le XVIe siècle, aucune crue de la Saône ne semble à noter23. Pourtant, Laurent Astrade cite l'année 157024 lorsqu'il évoque les différents débordements connus de cette rivière au cours de l'histoire. François de Belleforest décrit cet épisode, qu'il présente uniquement comme une crue du Rhône, et considère que « si la Saone eut aussi bien espandu furieusement ses ondes que son voisin le Rhosne, c'est été fait de la plus grande partie de ceste belle, et magnifique cité de Lyon »25.

19 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), pages 279 et 280.

20 AML, BB 024, f°34, v°, acte consulaire du 7 janvier 1500.

21 MICHEL, La Saône~ op. cit., page 64.

22 AYALA, Grégoire, Lyon, les bateaux de Saint-Georges : une histoire sauvée des eaux, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2009, page 81.

23 Laurent Michel, dans La Saône, fronti4rek op cit., (page 63), recense les crues connues de la Saône et n'en relève pas entre 1408 et 1602. Par ailleurs, aucune source ne permet de penser qu'une inondation due à la croissance de la Saône, eut lieu au XVIe siècle.

24 ASTRADE, Les crues et les inondations de la Saône", in La Saône, axe* op.cit., page 163.

25 BELLEFOREST, De l'effroyable et merveilleuxe op. cit., page 4.

Cependant, au sujet de cette crue des 2 et 3 décembre 157026, Nicolas de Nicolay explique, quant à lui, que le Rhône a tellement débordé qu'il a rejoint la Saône27, elle-même déjà importante. Il s'accorde donc ici avec Laurent Astrade. Au début du mois de décembre, chaque année, la Saône est en effet dans sa phase croissante. Son cours s'élargit, mais le maximum des hautes eaux pour cette riviére n'est généralement atteint qu'au mois de février28. Laurent Astrade précise d'ailleurs que « les écrits anciens évoquent plus les catastrophes sur le Rhône que sur la Saône, ou bien, quand celle-ci est évoquée, il s'agit plutôt d'inondations de Lyon engendrées par la conjugaison de la montée des deux cours d'eau »29. L'on peut donc penser que cet épisode de débordement des eaux de 1570 à Lyon concerne la Saône comme le Rhône. Néanmoins, le dégât principal qui en résulte est la destruction partielle du nouveau pont sur le Rhône alors que celui de la Saône ne semble pas avoir subi de dommages importants. Cet épisode est avant tout une crue du Rhône d'une ampleur telle que la Saône s'y est joint.

La conséquence principale de ce type d'événements est la destruction de structures telles que des habitations ou, bien sûr, de tous les édifices à proximité du cours d'eau, particulièrement les ponts. Cependant, la montée des eaux comporte d'autres risques dont les autorités au XVIe siècle sont conscientes. En effet, dans un document produit par le consulat lyonnais au XVIe siècle30, un article interdit de faire des latrines à proximité des puits si ceux-ci ne sont pas protégés par un mur de béton. Ce mur doit être suffisamment haut afin d'être « par-dessus leaux qui pourroit estre dans led. puys, et a la mesure que leau croist alocasion du rosne et de la saonne, de telle fasson sera faict led. beton quil puisse rembarrer la matiere, quil ne puisse gaster le puits de son voysin »31. Ainsi, le consulat se préoccupe des inondations pour des raisons sanitaires, qui se justifient d'elles-mêmes. D'ailleurs, selon Brigitte Rossignol, « dès les premiers signes d'une épidémie, le consulat s'emploie à dresser un rempart de protection dans la ville et [...] veille à la propreté

26 Ibid., pages 1-2.

27 NICOLAY, Généralle description~ op. cit., page 50.

28 ASTRADE, « Les crues et les inondations de la Saône », in La Saône, axe de civilisation, op.cit., page 159.

29 Ibid., page 163.

30 La date de ce document n'est pas connue, mais l'inventaire des AML le décrit comme « un code

de la construction » dans la ville et il est placé parmi d'autres documents du XVIe siècle.

31 AML, DD 004, pièce 23, article 10.

des rivières, des puits, des fontaines »32. Ainsi l'eau, et donc les rivières, représente un risque de propagation des maladies et, encore une fois, un danger d'un point de vue sanitaire. D'autre part, en 1577, le consulat s'inquiète de la possibilité que vingt-sept pestiférés se noient. Ceux-ci sont enfermés dans des cabanes à Ainay, c'est-à-dire au sud de la presqu'île, afin de limiter l'épidémie de peste. Mais, les « grandes pluyes quy continuent journellement » laissent craindre une montée des eaux des deux fleuves de la ville et les malades, ne pouvant sortir des cabanes, sont en danger33. Les échevins décident donc de faire évacuer ces personnes et demandent à Bertrand Castel, le voyer de la ville, de s'en charger.

Le consulat lyonnais est donc préoccupé par certains risques qui résultent de la présence d'une rivière dans la ville. Cependant, les remèdes sont limités et ces questions ne semblent pas primordiales pour une autorité qui est responsable, au quotidien plus que dans l'anticipation, de l'administration de la ville. La population, face à ces aléas climatiques, s'en remet plutôt à la volonté de Dieu. En effet, les catastrophes climatiques peuvent être assimilées à des punitions divines. A ce propos, Nicolas de Nicolay considère que la grande inondation de 1570 est la manifestation d'un rappel à l'ordre de Dieu vis-à-vis de ses fidèles. Ainsi, cet auteur, lorsqu'il commente la crue, trouve qu'il s'agit d'une « chose grandement emerveillable et non moins epouvantable, que la diversité des réprimendes, qu'il plaict à Dieu d'envoyer aux mortels, quand le trop d'aise leur faict oblier le devoir en son endroit »34.

Les processions fluviales, dont l'objectif est l'Ile Barbe, au nord de la ville, sont révélatrices de cette perception des catastrophes climatiques comme manifestation divine. En effet, Jacques Rossiaud décrit les pouvoirs attribués par les Lyonnais, déjà au Moyen Age, à Notre-Dame de l'Ile Barbe : « elle commande aux éléments [...] elle détourne la foudre, obtient de Dieu la pluie, et protege des eaux »35. Elle est donc considérée comme un recours, auquel on peut demander protection, et comme un moyen d'intercession avec Dieu. A ce propos, Claude de

32 ROSSIGNOL, Brigitte, Médecine et médicaments au XVIe siècle à Lyon, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990, page 62.

33 BB 098, f°132 v° et f° 133 r°, acte consulaire du jeudi 4 juillet 1577.

34 NICOLAY, Généralle description op. cit., pages 48 et 49.

35 ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité, fête et frontière : la sensa lyonnaise des années 1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 399.

Rubys décrit les « Processions blanches », dont le nom fait référence à la couleur des habits des processionnaires, qui se déroulent en 1504. Celles-ci vont notamment à l'Ile Barbe, pour demander l'aide de la Vierge car « furent les rivières, fontaines et ruisseaux, tellement tariz, que les bestes mouroyent de soif par les champs »36. La sécheresse est telle qu'elle entraîne une famine et les Lyonnais implorent l'aide de Notre-Dame de l'Ile-Barbe. D'ailleurs, une sécheresse eut également lieu durant le printemps et l'été 1556 et, comme en 1504, « les bonnes gens faisoyent nuict et iour processions blanches »37. D'autre part, « d'identiques mobiles fondent les Rogations : les craintes de l'eau, du feu et de la terre »38. En effet, la fête des Rogations, qui consiste en des « prières faites avec processions, pendant les trois jours qui précédent l'Ascension »39, est la demande à Dieu d'être préservé de toutes les catastrophes, entre autres de la sécheresse ou du débordement des eaux.

La rivière de Saône peut donc représenter un danger pour la ville de Lyon, à la fois pour ses habitants mais aussi pour ses constructions. Cependant, les risques, d'un point de vue climatique, que sa présence engendre sont ponctuels et assez rares. En effet, au cours du XVIe, deux évènements notables sont à recenser : la Saône gelée en 1500 et la crue de 1570, conjugaison du débordement des deux fleuves de Lyon. Les sécheresses sont à distinguer car la Saône, dont le niveau d'eau fut probablement trés bas en 1504 et 1556, peut alors faire office de réserve d'eau de dernier recours. D'ailleurs, en 1556, on vient « amener le bestail à grands troupeaux, abbrever au Rhone, et en la Saone »40. La population lyonnaise, face à ce types d'épisodes, semble s'en remettre à la volonté de Dieu. Le consulat, quant à lui, n'est pas préparé à de tels événements, ni les infrastructures qu'il a réalisées car en 1570, le pont du Rhône, tout juste reconstruit en pierre, est emporté par la crue. Enfin cette autorité semble surtout préoccupée par les conséquences sanitaires d'un débordement des rivières, assimilant l'eau à un élément de propagation des maladies.

36 RUBYS, Histoire véritable..., op. cit., page 354.

37 PARADIN, Mémoires..., op. cit., page 357.

38 GUILLERME, André, Les temps de l'eau ; la cité, l'eau et les techniques, Seyssel (Ain), Champ Vallon, 1983, page 28.

39 Société de Savants et de Gens de Lettres, La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné des

sciences, des lettres et des arts, Tome 28, Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, sans date, page 812, article Rogations.

40 PARADIN, Mémoires..., op. cit., page 357.

C. Pollution de l'eau et risques sanitaires

Lorsque l'on évoque l'hygiène dans les villes durant le Moyen-Age ou l'époque moderne, la saleté des rues est une caractéristique qu'on leur appose facilement. Pourtant, « on doit sans doute abandonner l'idée d'une cité médiévale livrée aux puanteurs des cloaques et parcourue de cours d'eau charriant immondices et déchets des activités industrielles »41. En effet, selon les historiens Patrick Boucheron, Denis Menjot et Marc Boone, dès le XIIIe siècle, des mesures ont été prises dans les villes d'Europe afin d'éloigner les sources de déchets, telles que les tanneries et les boucheries, des centres urbains et de les placer en aval des rivières. Ces auteurs admettent qu'« il est possible, toutefois, que ces hydrosystèmes urbains se soient dégradés à la fin du Moyen-Age, nécessitant la reprise d'une législation répressive des villes, mais aussi la mise en oeuvre de nouveaux chantiers de l'eau »42. Nous allons nous pencher sur ces questions de pollution de l'eau des rivières, ici la Saône, dans le cadre de la ville de Lyon.

Les historiens qui s'intéressent à la région de Lyon s'accordent à décrire la Saône, à la période moderne, comme très polluée. Par exemple, André Latreille évoque « l'infection »43 de la rivière qui résulte des nombreux déchets qui y sont jetés. Ces déchets qui polluent la Saône, sont variés : « défroques d'animaux jetées par les bouchers, effluents de teinturerie et de tannerie, outre forces vidanges. Dès le XVIIe siècle, les médecins s'interrogent devant les pointes de mortalité »44. Brigitte Rossignol, qui décrit elle aussi la saleté de la rivière, considère que dès le XVIe siècle, des médecins, tels qu'Ambroise Paré, sont conscients de ces questions d'hygiène et tentent d'y remédier45. Hormis cette question de l'intérêt médical porté aux questions d'hygiène, les historiens sont unanimes : la Saône sous l'Ancien Régime est une rivière polluée par les nombreux déchets qui y sont rejetés.

41 BOUCHERON, Patrick, MENJOT, Denis, BOONE, Marc, "La ville médiévale" in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, Tome 1 (pages 287 à 582), Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, page 552.

42 Ibid., page 552.

43 LATREILLE, André (dir.), Portrait de la France moderne, Histoire de Lyon et du Lyonnais, volume 1, Milan, éditions Famot, 1976, page 180.

44 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER, André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos fours, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, page 383.

45 ROSSIGNOL, Médecine et médicaments~ op. cit., page 58.

Ce postulat est d'ailleurs confirmé par les études archéologiques, en amont de Lyon mais aussi dans la ville elle-même. Une campagne de fouilles dans la ville de Chalon-sur-Saône a mis au jour ce que Louis Bonnamour nomme « un dépotoir urbain de la fin du XVIe siècle »46. Il s'agit d'une fosse naturelle dans la riviére oi ont été retrouvés de nombreux objets ainsi que des déchets végétaux ou encore de tannerie. Ainsi, la Saône, en amont de Lyon est déjà un réservoir de détritus quotidiens. De plus, les fouilles préventives, réalisées au début des années 2000, dans le quartier Saint-Georges de Lyon, ont confirmé qu'à l'époque moderne, « la riviére semble avoir été un facteur d'assainissement, car la berge a servi de dépotoir à des déchets en tout genre »47.

Ainsi, la rivière de Saône était, en quelque sorte, le déversoir des détritus pour la population lyonnaise. Au quotidien au XVIe siècle, les déchets, notamment ceux qui résultent du travail des artisans et des industries y sont jetés. Les fouilles qui mettent au jour ces rejets permettent d'ailleurs de compléter les informations fournies par les documents. Par exemple, le quartier « Saint-Georges se concentre sur la boucherie, ce que les trés nombreux restes d'animaux retrouvés dans le cours de la Saône ont permis de confirmer »48. Il est intéressant de constater que dans le cas de ces déchets de boucherie, donc des restes d'animaux, ils se concentrent en aval de la Saône car le quartier Saint-Georges est à l'extrémité sud de la ville. Cependant, d'autres boucheries existent plus au nord49 et l'on peut supposer que leurs déchets sont également jetés dans la rivière.

D'aprés les travaux de Brigitte Rossignol, des la fin du XVe siècle, le consulat prend des décisions au sujet de la salubrité des rues. En effet, selon un document de 1496-1497 que cet auteur a transcrit, le consulat préconise de ne pas laisser de fumier dans les rues mais de « porter le tout en Saône »50. Ainsi, la conséquence directe d'une telle mesure d'hygiéne est la pollution de la riviére. D'ailleurs le consulat encourage les professionnels à y jeter leurs déchets afin qu'ils ne soient pas entassés dans les rues. Par exemple, un acte consulaire de 1566,

46 BONNAMOUR, Louis, Archéologie de la Saône, Paris, co-édition Editions Errance et ville de Chalon-sur-Saône, 2000, page 103.

47 AYALA, Lyon, les bateaux« op cit., page 81

48 AYALA, Lyon, les bateaux« op cit., page 30

49 C'est le cas, par exemple, de la boucherie Saint-Paul qui se trouve dans le quartier du même nom, au nord de la ville sur la rive droite de la Saône.

50 AML, CC 531, 1496-1497, cité dans ROSSIGNOL, Médecine et médicaments~ op. cit., page 59.

adressé « aux taneurs et aultres » leur conseille de stocker chaque jour leurs détritus puis de les « porter le nuict suyvant dans lad. riviere ou bien faire faire des conduictz » c'est-à-dire, en quelque sorte, des égouts pour que « leurs eaues et immondices » atteignent directement la Saône51. En effet, comme les tanneries ont un usage important d'eau, ces établissements sont à proximité des rivières et peuvent facilement y déverser leurs déchets, dont l'essentiel est de l'eau souillée, par le biais de simples canalisations. Il semble d'ailleurs, qu'il est courant, et pas seulement pour les artisans, que les Lyonnais jettent leurs déchets dans les rues ou dans la Saône.

Plusieurs rois de France, au cours du XVIe siècle, interviennent directement dans la question des déchets jetés par les habitants de la ville de Lyon. En effet, de nombreuses lettres royales, de 1509 à 1561, évoquent ce sujet et déplorent la situation. Dans une lettre patente du 16 août 1509, Louis XII explique que des individus possédant des maisons au bord de la Saône ont construit des auvents ou des galeries en saillie, probablement aux fenêtres de leurs maisons, et qu'ils « jettent immondices par iceulx tellement que ceux qui vont et viennent par lad. ville et sur lad. riviere [...] en ont plusieurs ennuys et puanteur »52. Plus loin dans le document, sont précisées les conséquences de ces gestes ; il est mentionné que cela « peult estre cause tant de l'infection du poisson que de ceulx qui passent [...] s'en sont ensuivy plusieurs maux et maladies ». Le principal problème évoqué par ce document est le risque sanitaire entraîné par ces comportements. En effet, il est évoqué l'intoxication d'individus soit directement par un contact avec ces déchets soit, probablement, par l'intermédiaire de l'ingestion d'un poisson impropre à la consommation.

Afin de lutter contre ces désagréments, Louis XII ordonne la destruction de ces saillies à Denis Richeran, châtelain de Saint-Symphorien-le-Château qui commence les démolitions53. L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon s'y opposent car ils considèrent que c'est à eux qu' « appartiennent touttes et chacunes les crues, fourgetz et augmentations des maisons [...] aboutissans et confinans sus

51 AML, BB 086, f°98 v°, acte consulaire du mardi 17 décembre 1566.

52 AML, DD 003, pièce 30.

53 VIAL, Eugène, "Les voyers de la ville de Lyon", in Revue d'Histoire de Lyon, Tome 10, année 1911, Lyon, A. Rey et Compagnie (imprimeurs-éditeurs), 1911, page 182, note n° 3.

et a la riviere de Saone »54. Cependant le roi maintient sa décision en précisant qu'il n'entend « aucunement prejudicier aux droits seigneuriaux »55. Une seconde lettre royale du 3 septembre 151056, adressée au sénéchal de Lyon, réitère donc l'ordre de détruire les galeries en saillie. Il semble que cela soit inefficace puisque Louis XII à nouveau57 , puis Henri II58 et Charles IX59 réaffirment, à plusieurs reprises, la nécessité de démolir les saillies des bâtiments. Systématiquement, l'objectif principal de ces interventions est de lutter contre cette habitude des Lyonnais de jeter les déchets « par le haut de leurs maisons »60. L'insistance des rois de France, surtout pendant la première moitié du XVIe siècle, s'explique probablement par la présence régulière de la cour à Lyon, dans le contexte des Guerres d'Italie. En effet, ce types de préoccupations et de décisions relèvent plutôt du pouvoir local, donc du consulat, que de l'autorité royale. Cependant, les rois prennent des mesures similaires pour la ville de Paris. En effet, en novembre 1539, une ordonnance royale traite de l'entretien des rues de la capitale61. D'autre part, Charles IX est à l'origine d'une décision similaire à celles qui concernent le ville de Lyon puisqu'en 1564, il promulgue un édit qui ordonne la destruction des galeries en saillie des maisons de Paris62.

En ce qui concerne la ville de Lyon, dès Louis XII, la responsabilité du consulat dans ces questions de voirie et d'hygiène est évoquée. En effet, le roi considère que « nos tres chers et bien amez les Conseillers de nostred. ville et cité de lyon ont et doivent avoir plus que nuls autre le soing et cure de garder les places publiques [...] aussi afin que les cours et navigage d'icelle riviere ne soit en aucune manière empesché »63. Plusieurs lettres royales confirment qu'il est du rôle du consulat d'appliquer la décision de 1509 mais celles-ci sont adressées à des

54 ADR, 10 G 860, document 15, confrontation au palais de Roanne du 9 octobre 1509.

55 ADR, 10 G 860, document 15, 9 octobre 1509.

56 AML, DD 003, pièce 33.

57 AML, DD 003, pièce 34.

58 Par exemple, AML, DD 004, pièce 6.

59 AML, DD 004, pièce 21.

60 AML, DD 004, pièce 16. Texte royal du 25 novembre 1556 au sujet des galeries en saillie.

61 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, tomes IX à XV (1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated, 1964, ordonnance de novembre 1539.

62 Ibid., édit du 29 décembre 1564.

63 AML, DD 004, pièce 7, document 2, lettre du 1er avril 1511 au sujet des galeries en saillies à détruire.

représentants du roi, comme le sénéchal de Lyon64, chargés ensuite d'informer la municipalité. Il n'y a aucune raison que les requêtes des rois n'aient pas été relayées par ses représentants. Ainsi, il semble surprenant que le consulat n'ait pas appliqué, ou pas avant la fin du siècle, l'ordre de démolition des galeries en saillie.

Les sources consultées ne permettent pas de déterminer si celui-ci a entamé la destruction des auvents dès le début du siècle. Selon Anne Montenach, dès 1515, la municipalité avait nommé deux commis pour « veoir et visiter les bancz et chevilles des bochiers qui sont par trop avancés sur les rues publicques »65. Il s'agit, d'après cette historienne, d'une tentative pour limiter les saillies, mais ce type d'essai semble limité puisque les rois de France doivent renouveler leur volonté au cours du siècle. Cependant, lorsqu'il s'agit des avancées de maisons sur la rivière, le consulat semble beaucoup moins préoccupé et réfractaire à leur présence. En effet, en 1556, il autorise un lyonnais, Michel Cusyn, à reconstruire une maison sur une pile au bord de la rivière ainsi qu'à avancer celle-ci sur la Saône tant qu'elle reste dans l'alignement des autres maisons qui ont les pieds dans l'eau66. Le consulat ne prend donc pas en compte les risques qui découlent de la pollution de l'eau de la rivière.

Toutes les galeries en saillies ne sont pas détruites par le consulat lyonnais au cours du XVIe siècle puisque leur présence constitue toujours une gêne au siècle suivant lorsque le pouvoir municipal tente de pratiquer une politique d'alignement des différentes habitations et édifices de la ville. Cependant, il semble que le consulat ait tenté d'appliquer la volonté royale de démolition de ces auvents et autres avancées par lesquels sont jetés des déchets, probablement surtout lorsque ceux-ci représentent une gêne pour la circulation. Il a pu rencontrer des obstacles tels que l'opposition de propriétaires. Néanmoins, la municipalité semble plus préoccupée par ce problème lorsqu'il s'agit de la circulation dans les rues plutôt que sur la Saône. En effet, le consulat incite les individus à jeter leurs déchets dans la rivière, notamment les rejets des tanneries. La Saône est probablement supposée emporter les déchets hors de la ville mais la faiblesse du courant laisse sans doute

64 Par exemple, AML, DD 004, pièce 21, lettre royale du 4 août 1561adressée au sénéchal de Lyon mais qui autorise le consulat à démolir les saillies.

65 AML, BB 034, 8 janvier 1515, cité dans MONTENACH, Espaces et pratiques..., op. cit., page 134.

66 AML, BB 078, f° 150 r°, jeudi 5 mars 1556.

une partie de ceux-ci stagner et tomber au fond de la rivière. Cela expliquerait, au moins en partie, l'importante pollution de la Saône dans la ville.

Conclusion chapitre III

La perception d'une rivière, dans son caractère naturel, comporte plusieurs aspects. En effet, il s'agit de distinguer la vision quotidienne du cours d'eau et les accidents climatiques. La Saône à Lyon est perçue comme une rivière calme et paisible, souvent présentée sous les traits d'une femme. Cependant, elle est soumise aux fluctuations climatiques et peut changer de caractère. Lors de ces épisodes exceptionnels, ou dans le but de les prévenir, la population s'en remet à la volonté divine et lui demande d'être préservée. Parmi les évènements possibles, les inondations et les crues semblent représenter le risque principal, à l'échelle d'une ville, puisque elles peuvent avoir des conséquences destructrices. Le consulat s'inquiète surtout de la montée des eaux pour des raisons sanitaires, notamment la propagation des maladies. A l'inverse, les habitants de la ville, d'ailleurs encouragés par le consulat, déversent de nombreux déchets dans la rivière ; comme celle-ci se déplace elle est peut-être assimilée à un flux assainissant. Pourtant, les risques de pollution de l'eau semblent, au moins partiellement, connus puisque les rois de France accusent ces déchets d'être responsables de maladies et de l'empoisonnement des poissons de la rivière. En cela, la pollution de la Saône pourrait représenter une gêne dans les activités fluviales des riverains.

Chapitre IV : Navigation et activités fluviales

Il s'agit ici de s'intéresser aux activités qui se déroulent sur la rivière de Saône dans la ville de Lyon au XVIe siècle c'est-à-dire aux loisirs, aux jeux, mais également à l'un des principaux usages de cette rivière : la navigation. Nous analyserons l'importance de celle-ci et, plus largement, l'importance de la fréquentation de la rivière de Saône. En plus de présenter ces activités, nous nous pencherons sur l'administration politique de celles-ci c'est-à-dire aux prérogatives et à l'implication des autorités dans ces activités, lorsqu'il y en a une. Pour cela, nous nous intéresserons d'abord aux usages de cette rivière dans le cadre de la ville de Lyon, puis aux modalités de navigation sur la Saône et, enfin, aux enjeux de la présence d'un axe de communication dans la ville ainsi qu'à la prise en charge et au contrôle politique qui en découlent.

A. « Esbat et recreation »1 sur la Saône

Le plan scénographique de la ville de Lyon, réalisé entre 1548 et 1553, est la principale source iconographique dont nous disposons au sujet des activités et des loisirs effectués par les contemporains. C'est d'ailleurs l'une des principales caractéristiques de ce plan, d'une grande richesse par toutes les informations qu'il fournit à propos de la vie quotidienne à Lyon au XVIe siècle. En effet, de nombreuses scènes de vie sont représentées à travers toute la ville et notamment aux abords, ainsi que sur, la rivière de Saône. Ce plan nous montre que la fréquentation de la Saône est importante puisque beaucoup de personnes sont figurées sur les quais de cette rivière mais aussi dans des barques ou même se baignant. De plus, les activités qui sont décrites sont très variées et révèlent la familiarité de la rivière pour les Lyonnais de l'époque.

Nous adopterons ici une vision statique de la Saône c'est-à-dire que nous percevrons cette rivière comme un espace de la ville de Lyon dans lequel des acteurs vaquent à leurs occupations, en laissant l'idée de navigation (donc de rivière comme axe de communication) pour la section suivante. En effet, « il existe une occupation humaine multi-fonctionnelle du fleuve ou de la rivière comme il existe une occupation tout aussi diversifiée du sol »2 ; c'est ce point de vue qui est abordé dans cette section et qui restreint donc l'analyse à la ville de Lyon en elle-même puisque la Saône n'est pas perçue ici comme un vecteur mais comme un lieu à part entière. Les représentations du plan scénographique et les descriptions fournies par Claude de Rubys dans son Histoire de Lyon constitueront les fils conducteurs de notre présentation.

1 Citation extraite d'une lettre patente de Louis XII du 16 août 1509, dans laquelle sont évoqués « ceux qui vont et viennent par lad. rivière pour prendre esbat et recreation ». AML, DD 003, pièce 3.

2 RIETH, Eric, Des bateaux et des fleuves, Archéologie de la batellerie du Néolitique aux Temps modernes en France, Paris, Editions Errance, collection des Hespóides, 1998, page 16.

Claude de Rubys explique qu'à Lyon « l'on faict souvent durant l'esté des esbattements sur la riviere de Saosne »3. Le plan scénographique de Lyon nous montre justement des activités quotidiennes plutôt estivales telles que la

baignade ou encore la promenade en bateau. L'extrait d'une reproduction du plan

scénographique, figuré ci-dessus4, représente ce type de loisirs nautiques. Ici, les

personnages se baignent ou naviguent sur la Saône à proximité de Vaise c'est-à-dire

au nord de la ville de Lyon. La rivière de Saône permet donc ce type de loisirs,

puisque le plan scénographique ne présente pas des activités exceptionnelles mais,

au contraire, des faits quotidiens. La Saône est également un espace dans lequel se

déroulent des jeux collectifs organisés.

Claude de Rubys présente d'ailleurs deux types de jeux nautiques. Tout d'abord, il évoque « les joustes que font d'ordinaire les Dimanches et jours de festes, devant le logis de Lieutenant du Roy, les bateliers des ports de Saint-Georges et de Saint-Vincent, armez de lances et de pavoys, allants de telle roideur et de telle vistesse sur leurs bateaux, et s'entrerencontrants avec leurs lances tendues les ungs contre les auttres, que le plus roide fait tresbucher le plus foible tout chaussé et vestu dans la riviere »5. Ces joutes nautiques se déroulent en présence d'un public puisque la chute dans l'eau d'un jouteur est accompagnée de la « grand risée de ceux qui les voyent »6. Claude de Rubys décrit également un type de course sur la Saône, qui remplace certains jours les joutes. Il explique que les concurrents « attachent une corde traversant la riviere de bord en bord, au milieu de laquelle ils attachent une Oye suspendue par les pieds : puis à course de bateau ils se vont attacher au col de l'Oye : auquel ils demeurent le plus souvent pendus,

3 RUBYS, Claude de, Histoire véritable de la ville de Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, Chapitre X, page 501.

4 CHAMPDOR, Albert (introduction), Plan scénographique de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de Trévoux, 1981, extrait de la planche XXIV.

5 RUBYS, Histoire véritable«~ op. cit., page 501.

6 Ibid., page 501.

leurs bateaux s'en allant à val l'eau »7. Ces moments festifs sont accompagnés de musique et l'on peut penser que les spectateurs sont nombreux sur les rives de la rivière. La Saône est donc au centre de ces jeux qui sont porteurs de cohésion au sein de la population lyonnaise.

D'autre part, la rivière tient une place importante dans le déroulement de fêtes plus institutionnalisées et régulières comme les célébrations liées à l'Ascension, dont la procession sur la Saône a déjà été évoquée8 pour son caractère politique. En effet, une autre procession fluviale dans le cadre d'une célébration à caractère religieux est présentée par Jean-Baptiste Roch. Selon lui, « le 2 juin de chaque année était célébrée cette fête à la fois religieuse et profane dont l'origine remontait au martyre chrétien de 177 »9. Il évoque ici le supplice connu de Saint Pothin et de Sainte Blandine et de leurs compagnons à l'époque de l'Empire romain. Ce martyre, qui s'est déroulé à Lyon, est un épisode fondateur de la piété populaire lyonnaise. Il explique qu'en hommage à ce martyre, chaque année, « une procession, bannières en tête, partait, dans des bateaux, de l'Ile Barbe, descendait jusqu'à Ainay puis se disloquait »10. Cette procession naît donc au nord de Lyon et traverse la ville en empruntant la Saône jusqu'à la confluence, au sud de la ville.

De plus, le XVIe siècle est ponctué d'entrées officielles de personnages importants qui sont l'occasion de fêtes souvent somptueuses. D'ailleurs, leur récurrence et leur faste sont tels que le XVIe siècle est qualifié de « Siècle des Entrées »11 par l'historien André Latreille. Certains rois de France, lorsqu'ils arrivent du nord, font leur entrée solennelle par la rivière de Saône, en bateau. L'entrée de Charles IX, au début du mois de juin 1564, se déroule ainsi ; le roi passe la nuit à l'abbaye de l'Ile Barbe12, au nord de Lyon, puis entre dans la ville en bateau. Régulièrement en ces occasions, ou durant les jours qui suivent l'entrée proprement dite, des spectacles nautiques sont organisés. Par exemple, en 1548, en l'honneur du roi Henri II et de son épouse est organisée une « bataille navale au

7 Ibid., page 501.

8 Cf Chapitre II, A.

9 ROCH, Jean-Baptiste, Histoire des Ponts de Lyon de l'époque gallo-romaine à nos fours, Lyon, Editions Horvath, 1983, page 43.

10 Ibid., page 43.

11 LATREILLE, André (dir.), Portrait de la France moderne, Histoire de Lyon et du Lyonnais, volume 1, Milan, éditions Famot, 1976, page 183.

12 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), pages 378-379.

devant du logis du Roy et deulx grandes galleres l'une aux coulleurs du Roy l'aultre aux coulleurs de la Royne accompagnées chacunes de trois ou quatre aultres petites [...] et en approchant commensa l'assaut à grands coups de canons et harquebuzerye »13. La cour assiste à ce spectacle « dedans un grand basteau faict en maniere d'un palais [...] et apres led. passetemps qui durat jusques au soir [...] le grand pallais susd. et toute la grand flotte des basteaux montèrent jusques à l'Observance oil ils soupparent et appres s'enrevindrent par eau à torches »14. Le trajet qui suit le spectacle part du « logis du Roy » donc sans doute du palais de Roanne, qui est situé au bord de la Saône, en amont de la cathédrale Saint-Jean c'est-à-dire au coeur de la ville, et s'acheve à l'Observance donc au nord de Lyon, entre Pierre-Scize et Vaise. Le retour est aussi effectué par bateaux, de nuit, comme l'indique la fin de la citation. La Saône est ici le support de la cérémonie comme c'est régulierement le cas pour d'autres festivités qu'il n'est pas nécessaire de développer ici.

Enfin, une autre activité est représentée sur le plan scénographique : la pêche. Sur l'extrait de ce plan (ci-contre)15, des pêcheurs sont figurés dans une barque sur la Saône, tenant une nasse pour attraper des poissons.

La rivière de Saône offre une

diversité d'espèces de

poissons assez importante. En effet, les pêcheurs lyonnais pouvaient y trouver, par exemple, des brochets, des chevaines, des sandres, des carpes, des tanches ou encore des goujons16. De plus, elle fournit également des écrevisses. La pêche est importante dans une société où l'on consomme régulierement du poisson notamment en application de recommandations religieuses. Il faut cependant préciser que, comme l'a montré

13 GUERAUD, J., Mémoires.[1536-1562], Lyon, 1929, in GARDES, Gilbert, Le voyage de Lyon, Lyon, Editions Horvath, 1993, page 185.

14 Ibid., page 185.

15 CHAMPDOR, Plan scénographique~ op cit., extrait de la planche XIX.

16 MICHEL, Laurent, La Saône, frontière et trait d'union ; son histoire, ses riverains, son cours, Saint-Etienne, Editions Horvath, sans date, pages 65-66.

Anne Montenach, l'approvisionnement de la ville en poissons dépasse largement le cadre de la Saône puisque le consulat, ou des pêcheurs à leur compte, font venir ce type de denrées de la Méditerranée ou des étangs et lacs qui s'étendent au nord de Lyon (de la Bresse jusqu'à l'actuelle Suisse)17. Ainsi, la pêche dépasse le cadre des loisirs et des cérémonies présentés précédemment puisqu'il s'agit, en général, d'une activité commerciale.

La pêche est règlementée par les rois de France. Le principal document à ce sujet, pour la période qui nous concerne, est la décision royale de mars 1516, déjà évoquée18, qui vise à limiter la pêche dans les cours d'eau, étangs et lacs du royaume afin de lutter contre leur dépeuplement. Malgré cela, la situation ne semble pas particulièrement s'améliorer au cours du siècle puisque l'ordonnance des Eaux et Forêts promulguée par Henri IV en mai 1597 explique que les pêcheurs utilisent encore du matériel trop performant, d'ailleurs prohibé par François Ier en 1516. Selon ce document, ils pêchent « en dépeuplant nosdites eaux, fleuves, rivières, estangs et causent en ce faisant la cherté d'iceux [poissons]»19. Henri IV confirme ici les mesures prises par François Ier ; celles-ci nécessitaient donc d'être rappelées.

Les droits de pêche à Lyon sont assez compliqués à définir car les sources à ce propos sont pauvres. L'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon, en tant que seigneurs de la Saône devraient en disposer. En 1561, le chapitre Saint-Jean prend d'ailleurs part à un procès entre des pêcheurs. Il est question de la pêche des aloses (poissons de mer qui remontent les rivières durant le printemps et l'été) « derrière les maisons de l'archeveché, de la sacristie, de la custoderie et de maître Etienne "20. Les pêcheurs Pierre Joly, Claude Faure « et consorts " sont opposés aux « consorts Bidaut " et le chapitre, dans ce document, décide de soutenir les premiers. En effet, il est expliqué que ceux-ci « ont coutume de pescher par autorité et permission du chapitre " et donc que les seconds ont pêché en ces lieux sans autorisation des chanoines-comtes. La résolution de l'affaire nous est inconnue mais ce document montre que le chapitre Saint-Jean confère des « permis de

17 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, Collection "La Pierre et l'Ecrit", 2009, page 165.

18 Cf Chapitre I, C.

19 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, Tomes IX à XV (1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated, 1964, ordonnance de mai 1597.

20 ADR, 10 G 58, f°212.

pêche » au moins pour une partie des eaux de la Saône. Cependant, le consulat semble lui aussi disposer de prérogatives sur ce type de questions puisque qu'il décide, en 1555, de l'établissement d'une pêcherie d'aloses en face du couvent de l'Observance21, en dépit de l'opposition de l'archevêque et des chanoines-comtes de Lyon. Il semble donc qu'une pêcherie soit installée, par le consulat, sur la rive droite de la Saône, au nord de la ville. La pêche à Lyon ne semble par être l'objet d'une définition juridictionnelle précise. Les droits sur cette activité relèvent, par définition, des seigneurs dont l'autorité s'exerce sur la Saône, c'est-à-dire l'archevêque et le chapitre Saint-Jean. Mais le consulat, dont le pouvoir s'affirme depuis la fin du Moyen Age, semble disposer ou s'approprier certaines prérogatives dans ce domaine.

Les loisirs nautiques sont nombreux et variés sur la Saône à Lyon, et même sur les berges de la rivière, lieu de promenade, comme le montre particulièrement le plan scénographique de la ville, qui dresse un portrait de celle-ci au milieu du XVIe siècle. Une activité se distingue des autres par son caractère généralement professionnel, même si l'on peut considérer que c'est également un loisir : la pêche. Il semble d'ailleurs qu'il s'agit du seul usage réglementé parmi ceux qui ont été présentés, à la fois à l'échelle du royaume mais aussi surveillé dans le cadre de la ville de Lyon. Les différentes activités des riverains de la Saône, présentées d'une point de vue statique, impliquent évidemment des déplacements sur la rivière. La navigation, aspect essentiel dans la présentation des usages d'un cours d'eau, constitue l'objet d'étude de la suite de notre analyse.

21 AML, BB 078, f°32 r°, acte consulaire du mardi 17 septembre 1555.

B. La Saône, un axe de circulation

Le secrétaire de l'ambassadeur vénitien Jérôme Lippomano, lors de son passage à Lyon en 1577, décrit ainsi les cours d'eau de la ville : « La Saône et le Rhône, qui la traversent et s'y joignent, lui apportent les marchandises de l'Angleterre, de la Flandre, de l'Allemagne et de la Suisse, qui de là sont transportées à dos de mulet en Savoie ; ou bien par le Rhône, elles vont jusqu'à la mer »22. Cette citation nous rappelle clairement l'importance des cours d'eau pour la ville de Lyon dont la position géographique est en effet un atout commercial et stratégique. La Saône fait partie de ce « milieu fluvial dont la fonction première est celle d'axe de communication et d'échanges»23. Nous allons nous pencher sur les modalités de la navigation sur la Saône, notamment sur les bateaux et les acteurs.

Il faut rappeler, au préalable, que cette rivière navigable peut présenter des difficultés pour les bateliers même si elle est toujours présentée comme calme. En effet, « jusque dans la première moitié du XIXe siècle, en l'absence de tout aménagement, la Saône était une rivière difficile à naviguer, voire même dangereuse »24. Les arguments d'une telle affirmation sont surtout la présence d'obstacles dans le cours de la rivière ainsi que le faible débit de la Saône qui limite les périodes de navigations en amont de la ville de Verdun. Ce dernier point ne concerne donc pas directement la ville de Lyon même si la soumission au cours variable de la rivière rend « quelquefois les frais d'un voyage d'un des Ports de Bourgogne à Lyon, du double ou du triple plus cher que dans un autre temps »25.

En ce qui concerne les obstacles à la navigation saônienne à Lyon, ils sont limités par la lettre patente du 21 avril 150326, qui est à propos de la Saône et du Rhône. En effet, Louis XII décide qu'il faut « oster desdites rivieres les escluses,

22 Citation de Voyage de Jérôme Lippomano, ambassadeur de Venise en France en 1577, tirée de GOULEMOT, Jean M., LIDSKY, Paul, MASSEAU Didier, Le voyage en France, anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Age à la fin de l'Empire, Paris, Robert Laffont, Collection Bouquins, 1995, page 124.

23 RIETH, Des bateaux et des fleuves~ op. cit., page 8.

24Bateaux de Saône, mariniers d'hier et d'aujourd'hui, Chalon-sur-Saône, Société d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône, page 22.

25 Ibid., page 22, Citation de P.-J. Antoine, sous-ingénieur des Etats de Bourgogne en 1774.

26 AML, CC 4047, pièce 4, (déjà évoquée dans le chapitre II, B, au sujet de l'abolition des péages sur la Saône).

pescheries, nassiers, molins, bennes, combres et autres choses empeschans le cours
d'icelles rivieres, et passages de barques, ou basteaux »27. Il existe néanmoins au

XVIe siècle des moulins à nef sur le

Rhône. Ceux-ci sont « constitués de deux

bateaux entre lesquels était installée la

roue à aubes, ils étaient amarrés aux

rives ou aux piles de ponts »28. Les

moulins à nef représentés sur le plan

scénographique sont très nombreux (une

partie est figurée ci-contre29 à proximité

du rempart Saint-Sébastien, plus précisément du bastion Saint-Clair) mais seulement sur le Rhône. La Saône, quant à elle, en est dépourvue, au moins dans le cadre de la ville de Lyon. Par contre, il existe sur la Saône une « pescherie » qui est le principal marché aux poissons de la ville. Celui-ci est représentée sur l'image cicontre30. De plus, une seconde pêcherie est établie en face du couvent de l'Observance en 155531.

Cependant, celles-ci ne semblent pas constituer la gêne principale à la navigation sur la Saône. En effet, la principale difficulté pour les bateliers semble être le pont de Saône car il « formait un barrage contre lequel le courant venait se heurter obliquement et la navigation était difficile, surtout du côté de la rive gauche, qu'on appelait « gouffre de la mort qui trompe », la faible largeur, 6 mètres environ, ne pouvant suffire à la circulation très active »32. Sur l'image de la page précédente, dans laquelle le pont est figuré, l'on peut penser que le danger de ce passage est

27 PARADIN DE CUYSEAULX, Guillaume, Mémoires de l'histoire de Lyon, Roanne, Editions Horvath, 1973 (1e éd. en 1573), page 281.

28 MICHEL, La Saône, fronti4re~ op. cit., page 57.

29 CHAMPDOR, Plan scénographique op., cit, extrait de la planche XVI.

30 Ibid., extrait de la planche XIII.

31 Cf Chapitre III, A.

32 ROCH, Histoire des Ponts de Lyon op cit., page 43.

représenté par l'amplification tres nette des vagues, justement vers la rive gauche de la rivière. Le péril réside surtout dans l'étroitesse de passage entre « des piles formant de larges empattements qui obstruaient la rivière »33. Les couloirs de circulation sont si étroits que le moindre obstacle s'y ajoutant est un réel problème. Le 3 novembre 1516, le consulat charge Edouard Grand, voyer de la ville, de retirer une pierre qui se trouvait sous le pont de Saône parce que cette « pierre empesche le navigage de la riviere »34. Le pont constitue donc une réelle gêne pour la navigation et le consulat lyonnais tente d'éviter que d'autres obstacles s'y ajoutent.

Enfin, il ne faut pas négliger le fait que la circulation sur la Saône se fait à la descente, bien sûr, mais que les barques remontent aussi le cours de la rivière. Encore au XVIIIe siècle, ces trajets à contre-courant sont pénibles car « le tirage des

bateaux, pour remonter, est très-

difficile »35. En effet, il s'agit ici de

tirer les bateaux, à partir du rivage et

« dès le Moyen-Age [...] s'est

développé le halage par des

chevaux »36. Sur le plan

scénographique (image ci-contre)37, des

scènes de halage sont figurées et montrent qu'il peut être effectué par des chevaux ainsi qu'à force d'hommes mais, en l'occurrence, la barque tirée par les deux personnages est vide et donc relativement légère ; le recours à la force des chevaux est sans doute le plus courant, ce qui n'empêche pas que le halage est une technique difficile. Au sujet du transport commercial sur la Saône, Richard Gascon décrit un « déséquilibre entre navigation descendante et navigation montante »38, qu'il explique notamment par le poids des marchandises, qui limite le halage. Il nuance cependant son analyse car les sources qu'il utilise le renseignent surtout sur les exportations. Cependant, il est

33 Ibid., page 43.

34 AML, BB 036, f°15 r°.

35 Bateaux de Saône* ,op. cit., page 22, Citation de P.-J. Antoine, sous-ingénieur des Etats de Bourgogne en 1774.

36 MICHEL, La Saône, fronti4re~ op. cit., page 53.

37 CHAMPDOR, Plan scénographique op, cit., extrait de la planche XXIV.

38 GASCON, Richard, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle ; Lyon et ses marchands, tome 1, Paris, S.E.V.P.E.N., 1971, page 155.

aisément compréhensible que les matières pondéreuses sont plus facilement

transportables par des bateaux mus par le courant que tirés à contre-courant.

Lorsque Cardin Le Bret évoque l'importance de ne pas déforester outre mesure, il ajoute aussitôt que le bois sert notamment « pour faire des vaisseaux et des navires, sans quoy les mers et les fleuves seroient du tout inutiles aux hommes »39. Il met ici en avant le rôle fondamental de ces moyens de transport, assez peu évoqués par les historiens. Le chercheur Eric Rieth leur consacre d'ailleurs un livre en expliquant, des son introduction, que « les bateaux de navigation intérieure [...] font aussi partie de ce paysage historique et patrimonial construit autour du rapport particulier entre l'eau et la terre »40. Il présente ici l'intérêt historiographique de l'étude des bateaux. En ce qui concerne le XVIe siècle, peu de sources fournissent des informations sur ceux-ci ; la plupart sont des documents iconographiques, comme le plan scénographique de Lyon, mais les analyser est assez malaisé sans connaissance technique approfondie.

L'archéologie pallie en partie ces difficultés mais les campagnes de fouilles fluviales sont assez rares et parfois peu fructueuses, d'autant plus que les embarcations en bois se conservent mal au fil des siècles. Louis Bonnamour est l'auteur d'un ouvrage41 qui présente les campagnes de fouilles archéologiques réalisées dans la rivière de Saône de leur origine à la fin des années 1990 comme le montre le sous-titre du livre : « 150 ans de recherches ». Cet ouvrage est tout à fait révélateur du manque d'informations sur les bateaux au XVIe siècle puisque lorsque l'auteur évoque les embarcations de la période moderne en général, il explique que « une seule épave de cette époque a été étudiée. Il s'agit d'une grande « savoyarde »42 de la fin du XVIIe siècle »43. Ainsi, il a fallu attendre la campagne de fouilles d'archéologie préventive, menée à Lyon, dans la Saône, en face du quartier Saint-Georges, entre 2002 et 2004, et dont les conclusions ont été récemment publiées, pour disposer de sources concrètes sur le sujet. En effet,

39 CARDIN LE BRET, De la souveraineté du Roy, Paris, Toussaincts du Bray, 1632, Livre III, chapitre III, page 348.

40 RIETH, Des bateaux et des fleuves~ op. cit., page 8.

41 BONNAMOUR, Louis, Archéologie de la Saône, Paris, co-édition Editions Errance et ville de Chalon-sur-Saône, 2000, 160 pages.

42 Type de bateau de transport.

43 BONNAMOUR, Archéologie~ op. cit., page 61.

« parmi les 1915 objets découverts [...] 16 embarcations, dont une barque de l'époque de Louis XV, 7 barques à vivier du XVIe siecle... »44.

Ainsi, grâce à ces fouilles et à quelques auteurs spécialisés, il est possible de présenter les types de bateaux utilisés sur la Saône au XVIe siècle. Comme l'exprime succinctement Richard Gascon, « les bateaux sur la Saône sont des barques ou des bateaux plats et pontonnés qu'on appelle «les « plattes » »45. Ces bateaux à fond plat permettaient de transporter d'importantes quantités de marchandises. Il en existe toute une variété, de la « savoyarde » à la «bèche » en passant par la « cadole », que nous ne détaillerons pas ici ; Laurent Michel en fait d'ailleurs une présentation complète46. En plus de ces bateaux de transport, un ensemble de barques communes étaient utilisées et notamment les barques à vivier, qui sont mieux connues depuis qu'il en a été découvert à Saint-Georges. Comme leur nom l'indique, ce sont des embarcations qui permettent de conserver le poisson vivant. En effet, « elles se caractérisent pas un compartiment central perforé [entouré de] deux compartiments étanches qui assurent la flottabilité de

l'embarcation »47. Ces barques, aussi

appelées « bachuels »48, sont amarrées au

port de la Pêcherie (comme on le voit sur

l'image ci-contre49), où les produits de la

pêche étaient vendus « puisque le poisson

frais doit toujours être vendu vivant »50.

Il n'est pas étonnant que ce type de barques ait été trouvé lors des fouilles du quartier Saint-Georges puisque « les quartiers de Saint-Georges et de Saint-Vincent sont [...] peuplés de pêcheurs qui officient sur la Saône »51. Ceux-ci constituent une partie des personnes qui travaillent sur la rivière. Au XVIe siècle, ces « marchands fréquentant la rivière de Saône »52 sont réunis pour défendre leurs

44 AYALA, Grégoire, Lyon, les bateaux de Saint-Georges : une histoire sauvée des eaux, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2009, page 38.

45 GASCON, Grand commercek op. cit., tome 1, page 172.

46 MICHEL, La Saône, fronti4rek op. cit., page 54.

47 AYALA, Lyon, les bateaux op cit., page 75.

48 Ibid., page 96.

49 CHAMPDOR, Plan scénographique~ op cit., extrait de la planche XIII.

50 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques~ op. cit, page 166.

51 Ibid., page 166.

52 Citation d'un document de 1513 in GASCON, Grand commerce~, op.cit., tome 1, page 178.

intérêts et, dès 1504, selon Richard Gascon, ils disposent d'une « bourse commune »53 pour régler les péages sur la Saône, en amont de Lyon.

Une affaire judiciaire, tranchée par la sénéchaussée en 1540, nous apprend que les acteurs de la navigation saônienne sont regroupés dans une confrérie. En effet, un des acteurs de l'affaire, M. Guillemin, est « recteur de la confrerie et chappelle fondée par les marchans et pescheurs suyvant la rivyere de Saosne »54. Un document du 17 avril 172355 présente rapidement cette association qui comprend « despuis un temps immemorial [...] les marchands de bled, les poissonniers, voituriers, et battelliers sur la Riviere de Saone ». Cette confrérie dispose d'un chapelle vouée à Saint-Nicolas, saint patron des navigateurs, dans l'église des Augustins de Lyon, c'est-à-dire à proximité du port, et donc du quartier, Saint-Vincent. Ainsi, la Saône est un axe de circulation emprunté par de nombreux professionnels de la navigation, qui connaissent bien la rivière, et qui permettent à la ville de Lyon d'être un carrefour commercial mais qui assurent aussi son ravitaillement.

53 Ibid., page 178, et document : AML, CC 4047, pièce 8, 23 août 1508.

54 ADR, 13 H 55, acte de la sénéchaussée du 7 octobre 1540.

55 ADR, 13 H 55, document du couvent des Augustins du 17 avril 1723.

C. Enjeux et contrôle de la navigation saônienne

De nombreux bateaux circulent sur la Saône au XVIe siècle, comme le montre notamment le plan scénographique de la ville de Lyon. Selon Laurent Michel, « jusqu'à l'apparition du chemin de fer, l'insécurité et l'inconfort des moyens de transport terrestres ont fait préférer la voie fluviale »56. L'archéologie confirme cette densité de circulation puisque lors des fouilles des quais du quartier Saint-Georges de Lyon, « les épaves de bateaux mises au jour témoignent [...] d'une activité fluviale importante des le début de l'époque moderne »57. Ces bateaux, qui circulent sur la Saône, transportent des marchandises et des hommes. Même si Laurent Michel explique que « le transport des voyageurs n'était pas moins actif que celui des marchandises »58, il nous semble cependant que le premier est moins régulier et à moins grande échelle que le second. De plus, le recours à la voie fluviale pour le transport des marchandises semble, en général, privilégié alors que ce n'est pas systématique pour les voyageurs. En effet, lorsque Montaigne, de retour de son voyage en Italie, passe à Lyon au début du mois de novembre 1581, il choisit de quitter la ville à cheval (il en achète trois à Lyon) pour rejoindre la Loire. D'ailleurs, une fois ce fleuve franchi, il continue son trajet à cheval59. En ce qui concerne les flux migratoires, Olivier Zeller décrit la Saône au XVIe siècle comme « un axe commercial majeur » mais comme « un axe migratoire parmi d'autres »60.

Les contemporains sont conscients de l'importance de la circulation sur la Saône et particulièrement de son enjeu économique. D'ailleurs, l'ambassadeur vénitien Navagero rappelle que « La Saône étant navigable est d'un grand avantage pour la ville de Lyon. C'est par cette rivière qu'on porte à Lyon les vins et les denrées de la Bourgogne et que Lyon expédie plus haut ses marchandises en leur

56 MICHEL, La Saône, fronti4re op. cit., page 53.

57 AYALA, Lyon, les bateaux«~ op cit., page 14.

58 MICHEL, La Saône, fronti4re«~ op. cit., page 54.

59 MONTAIGNE, Michel (de), Journal de voyage en Italie (1580-1581), Paris, Classiques Garnier, 1955, page 236.

60 ZELLER, Olivier, « La Saône, axe migratoire vers Lyon au XVIe siècle ? », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, page 408.

faisant remonter son cours »61. La Saône permet donc à la ville de Lyon de diffuser des produits mais aussi d'en recevoir. Richard Gascon précise que « Les routes de l'Italie et de la Méditerranée mises à part, aucun ensemble de routes ne jouait, dans l'économie de Lyon et de ses foires, un rôle comparable à celles commandées par la Saône et ses vallées »62. Il ne s'agit pas ici de détailler le commerce fluvial (Richard Gascon y consacre une partie de sa thèse sur les marchands de Lyon) mais de déterminer les enjeux principaux de la navigation sur la Saône et de définir le contrôle politique qui s'applique sur celle-ci.

Lorsque Richard Gascon évoque les chemins de la vallée de la Saône, il explique que « la rivière elle-même est le chemin le plus utilisé. Sa première fonction est régionale ; elle unit Lyon et la Bourgogne, devenue au cours de la première moitié du siècle sa « mère nourrice » »63. Il présente les produits qui empruntent cette voie fluviale : les blés, les vins, les bois et des matériaux de construction. Cependant, l'élément principal qui se dégage de son analyse est l'importance de l'approvisionnement de la ville de Lyon en blé. En effet, les campagnes environnantes ne permettent pas d'assurer le ravitaillement de la ville mais, « même si l'agriculture de son proche espace était pauvre, la ville pouvait s'approvisionner en blés de Bourgogne par la Saône, en grains de Languedoc et de Provence par le Rhône »64. Ainsi, la Saône pallie en grande partie la faible production agricole lyonnaise et la ville de Lyon dépend donc du blé qu'elle fait venir. Celui-ci est le plus souvent transporté par bateaux sur la Saône, depuis la Bourgogne, et est déchargé au port Saint-Vincent65, au nord de Lyon.

Ce commerce prend de l'importance au cours du XVIe siècle car « progressivement les grains ont pris la première place et le ravitaillement de Lyon s'est trouvé sous la dépendance des arrivages de blés de Bourgogne dès la décennie 1531-1540 »66. Richard Gascon ajoute même que « Les transports de grains sur la

61 ESTIENNE Charles, Guide des chemins de France, Paris, édité par Jean Bonnerot, 1935-1936 (publication de l'édition de 1553), Tome 1, page 392, note 855 : Citation de Navagero in « Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au XVIe siècle », documents recueillis et traduits et réunis par W. Tommasco dans Collection des documents inédits Histoire de France, 1838, Tome 1.

62 GASCON, Grand commerce op. cit., tome 1, page 151.

63 Ibid., page 153.

64 NEYRET, Régis (dir.), Lyon, vingt-cinq siècles de confluences, Paris, Imprimerie nationale Editions, 2001, page 93.

65 MONTENACH, Espaces et pratiques~ op. cit, page 163.

66 GASCON, Grand commerce op. cit.,tome 1, page 153.

Saône se confondent, de plus en plus, avec le ravitaillement de Lyon »67. Ainsi, l'on comprend aisément l'importance de ces arrivages de blé et l'importance de leur régulation ainsi que de leur organisation. En effet, l'approvisionnement de la ville constitue un enjeu économique et politique au quotidien, qui relève donc du pouvoir de la municipalité lyonnaise. Le consulat est en charge du ravitaillement en blé de la ville et fixe le prix du pain68.

Après la crise frumentaire des années 1529 et 1530, dont la révolte populaire appelée Grande Rebeyne est une conséquence directe, « le consulat agit, surveillant le passage de grains par la Saône ou le Rhône, qui échappent au ravitaillement de Lyon »69. Cette surveillance des bateaux chargés de blé, qui passent dans Lyon, s'explique par la volonté politique d'assurer le calme dans la ville, en permettant aux habitants de disposer de grains et donc de pain toute l'année. Ainsi, « au besoin, la Ville s'oppose au passage de bateaux ou de charrettes portant des grains ailleurs que dans ses greniers »70. Jacqueline Boucher illustre cette constatation par un acte consulaire du 13 février 1534, par lequel le consulat s'oppose au passage dans la ville d'un bateau qui amene du froment au sud de Lyon. Il existe sans doute de tels épisodes tout au long du XVIe siécle. C'est le cas, par exemple, au début du mois de mars 1506, le consulat décide du « tendaige de la cheyne »71 sur la Saône, au niveau de Saint-Georges car il a été informé que des marchands de blé vont vendre leurs grains au sud de Lyon alors que la ville en a besoin. Le consulat dispose donc d'un moyen de contrôle de la navigation dans la ville : les chaînes sur la Saône.

Au XVIe siécle, deux chaînes sont tendues sur la Saône, d'une rive à l'autre. La premiere se trouve à l'entrée de la ville au nord, tendue du quartier Saint-Vincent à la forteresse de Pierre-Scize. La seconde est, quant à elle, située à la sortie de la ville en amont de la confluence, entre l'abbaye d'Ainay et la porte Saint-Georges72. Le consulat lyonnais en est responsable puisque « la garde de la

67 GASCON, * LECd FRP P eLFik ERS. cit.,tome 1, page 154.

68 LIGNEREUX, Yann, Lyon et le roi : de la « bonne ville aa j tirErRlXtisP HP XCiFiSTl (1594-1654), Seyssel, Editions Champ Vallon, Collection Epoques, 2003, page 672.

69 BOUCHER, Jacqueline, Vivre à Lyon au XVIe siècle, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2001, page 9.

70 Ibid., page 25

71 AML, BB 024, f°515 et f°516.

72 NIEPCE, Léopold, Lyon militaire, Lyon, Bernoux et Cumin, 1897, page 84.

ville, des clefs, portes et chaînes est un des droits les plus anciens de la commune lyonnaise »73. L'avantage de disposer de telles prérogatives est de pouvoir contrôler les entrées et les sorties de la ville. Ainsi, c'est à la fois un enjeu économique, puisque les marchandises sont surveillées et taxées dans certains cas, et un enjeu stratégique car c'est un moyen de défense de la ville74. La municipalité lyonnaise nomme les commis aux chaînes et les rémunère. Il existe des commis à « tendre et destendre lesdites chaynes » ; en 1563, pour un mois de travail (octobre), ils reçoivent du receveur de la ville 22 livres au total soit 15 livres pour les deux commis qui sont à Pierre-Scize et 7 livres pour celui que s'occupe des chaînes tendues au niveau d'Ainay75. De plus, le consulat nomme des « commys à coucher la nuyt dans la cabanne des cheynes » afin de surveiller que personne ne tente de les franchir. Par mandement du 2 novembre 1563, Jacques Serrier et Laurens Delacroix sont rémunérés 7 livres et 10 sous chacun, soit 15 livres au total, pour avoir tenu ce rôle pendant tout le mois d'octobre de la même année76. Claude de Rubys évoque ces commis qui surveillent les individus qui entrent dans la ville ; selon lui, ils peuvent interdire l'entrée aux « vagabonds et gens sans adveu » et limiter l'accès à la ville en temps de guerre ou d'épidémie77.

En effet, les chaînes, en général tendues la nuit78, sont parfois maintenues la journée également si le contexte rend cette mesure nécessaire. Par exemple, en 1556, la ville de Lyon doit participer aux dépenses du roi qui se prépare à partir en guerre. Dans ce contexte, le consulat prélève une taxe de six deniers par livre de marchandises sur les produits qui entrent dans la ville par la rivière, particulièrement sur le vin79. Le contrôle des entrées dans la ville est alors renforcé. Celui-ci est d'autant plus important dans les périodes de troubles politiques et le consulat n'en est pas toujours l'instigateur. En effet, Guillaume Paradin évoque une ordonnance du gouverneur Mandelot du 16 décembre 1568, donc dans le contexte des Guerres de Religion, qui somme aux gardes des chaînes de « ne laisser

73 COURBIS, Eugène, La municipalité lyonnaise sous l'Ancien Régime, Lyon, imprimerie Mougin Rusand, 1900, page 129.

74 LIGNEREUX, Lyon et le roi..., op. cit., page 641.

75 AML, CC 1112, f°53 v°.

76 AML, BB 083, acte consulaire du 2 novembre 1563.

77 RUBYS, Histoire véritable... op. cit., page 477.

78 Le consulat mande des bateliers pour amener le commis aux chaînes les fermer le soir et les ouvrir le matin (par exemple, AML, BB 107, 1581, f° 148 r°).

79 AML, BB 078, f° 109 et 110.

descendre ny passer plus oultre, que lesdites chaisnes, de leur garde, aucun basteau [~] sans l'avoir premierement bien visité "80.

Ainsi, dans certaines situations d'autres autorités prennent part dans la surveillance des entrées dans la ville ; l'intervention du représentant militaire du roi dans le Lyonnais, dans un contexte troublé, n'est pas surprenante. D'autre part, le roi peut également imposer directement sa volonté au consulat. Par exemple, en mars 1556, Henri II permet à la duchesse de Valentinois, Diane de Poitiers, de se procurer du blé en Bourgogne et de le faire venir par bateau ; ce blé va donc traverser la ville de Lyon, par la Saône, sans y être vendu. Les consuls de Lyon, même s'ils savent « la grande et urgente nécessité où sont les habitants de cested. ville par faute de bledz », se plient à la volonté du roi puisqu'ils ordonnent de « faire ouvrir les cheynes pour passer ladite quantité de six à sept cens asnées "81 de blé pour la duchesse, qui n'est autre que la favorite du roi. Enfin, la population lyonnaise peut elle-même spontanément tendre les chaînes lorsqu'elle le juge nécessaire. En effet, à la fin du mois de février 1589, « le peuple et les pennonages dressent des barricades dans les rues, tendent les chaînes de la Saône et établissent des corps de garde aux points stratégiques de la ville "82. Cet évènement précède l'adhésion à la Ligue de la ville de Lyon et montre l'importance de bloquer l'entrée dans la ville par la Saône.

L'accès à la ville de Lyon par la rivière de Saône constitue donc un enjeu important. Cette rivière est un vecteur de marchandises, notamment de blé, fondamental pour l'économie de la ville mais elle est aussi une voie d'entrée qui doit être contrôlée pour des raisons de sécurité. Les chaînes qui sont tendues sur la rivière, gérées quotidiennement par le consulat, permettent de limiter l'accès à la ville et de surveiller les personnes, comme les marchandises, qui la traversent. Cependant, ce n'est pas toujours un obstacle fiable. Tout d'abord, le consulat se méfie parfois des commis aux chaînes qui « ne font leur debvoir de si prendre garde " en certaines occasions. Ainsi, au mois de janvier 1556, il est décidé que « pour obvier aux fraudes et abuz qui peulvent se faire aux chaynes [...] il y aura trois clefz ausd. cheynes " qui sont confiées trois personnes différentes : en

80 PARADIN, Mémoires de l'histoire..., op. cit., pages 381-382.

81 AML, BB 078, f° 159 r° et v°.

82 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER, André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos jours, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, page 438.

l'occurrence Jehan Tacon, Mathieu Bourgeoys et Pierre Joly83. D'autre part, même si les commis font correctement le travail qui leur est confié, les chaînes ne représentent pas toujours une limite suffisante. Par exemple le 4 avril 1556, trois bateaux chargés de blés franchissent de force, rompant la chaîne, la sortie de la ville84. Vingt-cinq arquebusiers sont chargés de les poursuivre en bateaux et rattrape les contrevenants à Givors. Les bateaux, ainsi que leur cargaison de blé, sont finalement ramenés à Lyon. Cet épisode montre donc une limite au contrôle de la navigation par le consulat mais constitue probablement un fait inhabituel.

83 AML, BB 078, f°110 v° et f°111 r°, acte consulaire du 16 janvier 1556.

84 AML, BB 078, f°169 v° à f°177 v°.

Conclusion chapitre IV

La Saône, dans le cadre de la ville de Lyon au XVIe siècle, est un espace dans lequel se déroulent des activités variées. En effet, les Lyonnais y pratiquent des loisirs tels que la baignade et la promenade ou, dans le cadre de fêtes, des jeux nautiques tels que les joutes. C'est aussi le lieu d'activités professionnelles comme le transport et la vente de marchandises. La fréquentation de ses rives et la navigation sont importantes comme le montre le plan scénographique du milieu du XVIe siècle, dans lequel un nombre substantiel de personnages s'affaire autour de la Saône. D'ailleurs, la circulation sur cette rivière, qui traverse la ville, est l'objet d'une surveillance par les autorités municipales car les enjeux, tant économiques que stratégiques qui la concerne, sont importants. Les usages de la Saône, divers et nombreux, révèlent une relation forte entre les habitants de la ville de Lyon et cette rivière. Celle-ci est un élément familier, de leur vie quotidienne ; c'est également une source de débouchés économiques et un moyen d'approvisionnement pour la ville.

Conclusion de la deuxième partie

La présence d'une rivière au coeur d'un espace urbain implique différents risques mais aussi des avantages. Tout d'abord, le niveau d'eau d'une rivière peut varier : si l'eau est au plus bas, la navigation est gênée voire impossible, comme lorsque la rivière est prise par les glaces. Le principal danger reste le débordement des eaux car il peut entraîner des destructions. Ce risque est plutôt faible à Lyon puisque, à juste titre, la Saône est considérée comme un cours d'eau paisible. D'ailleurs, les activités fluviales, de loisir comme professionnelles, qui sont variées, montrent que la Saône est une rivière familière pour ses riverains et parfaitement intégrée à la ville. Le trafic y est dense et la navigation plutôt aisée, même s'il existe quelques obstacles tels que les pilles du pont de Saône. Les riverains, comme les bateliers se soumettent à la volonté de Dieu même s'ils tentent, par le biais de Notre-Dame de l'Ile-Barbe ou de Saint Nicolas, patron des navigateurs, d'y intercéder. Une fréquentation si importante de la rivière et de ses rives, notamment l'installation d'activités de tannerie et de boucherie, participe de la pollution de la rivière.

En effet, de nombreux déchets y sont jetés ce qui montre une perception de la rivière comme un moyen de débarrasser la ville de ses détritus puisqu'elle les transporte vers le sud. Cependant, les questions d'hygiène liées à la pollution de la

Saône préoccupent les rois de France qui interviennent pendant la première moitiédu XVIe siècle afin que le rejet de déchets, notamment domestiques, soit empêchépar le pouvoir consulaire. L'application concrete de cette volonté semble limitée.

D'autre part, il semble que le consulat, comme les riverains, ne voit pas la rivière polluée comme un danger important en soi. En effet, la crainte principale est, en cas de montée des eaux, la propagation de déchets ou de maladies dans la ville. Comme ces épisodes sont exceptionnels, le risque est faible mais c'est le principal envisagé par le consulat. A l'inverse, les rois de France, notamment Louis XII, perçoivent les déchets dans cette rivière comme une gêne à la navigation et donc comme un problème important. En effet, la navigation est fondamentale, d'un point de vue

économique pour la ville, notamment parce qu'il s'agit du principal moyen d'approvisionnement en blé. Le consulat se méfie de l'accès à la ville par la rivière ; c'est l'objet d'une surveillance, voire d'un contrôle, particulièrement durant les épidémies et en temps de guerre. La navigation reste cependant l'enjeu principal autour de la Saône à Lyon ce qui explique qu'il s'agisse de la préoccupation principale du pouvoir consulaire, dont un des rôles fondamentaux est l'entretien de la voirie.

Troisième Partie : Les infrastructures saôniennes

Les aménagements urbains réalisés pour s'adapter et tirer avantage de la présence de la rivière de Saône sont la principale illustration de la prise en charge politique du cours d'eau. En effet, la présence d'infrastructures, leur nombre, les nouvelles réalisations ainsi que les phases de réparations, sont un révélateur de l'intérêt porté à la rivière. De plus, les analyser permet de comprendre les enjeux principaux qui découlent de la présence d'une rivière dans un site urbain et la façon dont l'homme s'y adapte ; se dégagent alors les préoccupations principales des autorités vis-à-vis du cours d'eau. L'entretien de la voirie et les constructions publiques, nous l'avons vu précédemment, relèvent des prérogatives consulaires. C'est aussi le consulat lyonnais qui prend en charge au quotidien la principale activité fluviale c'est-à-dire la navigation.

L'objectif de cette partie est donc de présenter les infrastructures saôniennes et leur évolution au cours du XVIe siècle. Ainsi, à partir de l'étude des réalisations concrètes et des phases de réparations décidées par la municipalité lyonnaise, il semble possible de mesurer l'implication du pouvoir politique dans la gestion de la Saône à Lyon. Afin de réaliser une présentation complète, nous distinguerons les structures situées sur les rives de la rivière de celles qui permettent de la traverser. Nous nous intéresserons donc, dans un premier temps, à l'aménagement des berges de la Saône puis, dans un autre chapitre, nous présenterons les moyens qui permettent de franchir cette rivière qui partage la ville en deux espaces, constituant ainsi un obstacle à la circulation dans la ville.

Chapitre V : L'aménagement des berges

Les berges d'une rivière constituent l'espace intermédiaire entre celle-ci et le sol c'est-à-dire entre la rivière et l'espace oü les hommes sont installés. Les usages, nombreux et variés, de la rivière de Saône à Lyon ont été présentés. Ceux-ci nécessitent un accès aisé, ou au moins praticable, de l'eau de la rivière à la terre et dans l'autre sens. Le transport de marchandises par voie d'eau et particulièrement l'approvisionnement de la ville de Lyon en blé, par la Saône, constituent les principaux enjeux de la circulation sur la rivière. Or, les produits qui arrivent à Lyon par la Saône doivent être déchargés dans la ville ce qui nécessite des structures d'accostage et d'arrimage des bateaux et donc un aménagement des berges de la rivière. L'entretien des rives et la fluidité de l'accès à l'eau ou à la terre représentent donc un enjeu économique et politique. Il s'agit ici de s'intéresser à la gestion consulaire de ces espaces riverains et à l'évolution des structures qui les composent, en s'attachant surtout aux travaux réalisés aux ports.

A. Description des rives de la Saône

Avant de s'intéresser aux travaux de construction et de réparations, effectués au cours du XVIe siècle sur les berges de la Saône, nous allons nous pencher sur la physionomie des structures qui bordent la rivière. Il s'agit donc de présenter les deux rives de la Saône dans le cadre de Lyon c'est-à-dire de Vaise, au nord de la ville, à la confluence des deux fleuves. Pour cette description, le plan scénographique de Lyon, réalisé vers 1550, constitue notre support principal car, même si certaines structures ont évolué (nous le verrons ensuite), ce plan semble suffisamment représentatif et fiable pour un tel usage. L'image ci-dessous est une réduction de ce plan, réalisée par Georges Braun à la fin du XVIe siècle1. L'objet de ce développement est donc de décrire les berges de la Saône mais aussi d'évoquer rapidement leurs usages, les édifices qui y sont installés et surtout les infrastructures fluviales qui les composent.

Décrire la rive droite de la Saône est assez rapide puisqu'on constate une certaine homogénéité des structures qui s'y trouvent. En effet, de manière générale, des maisons sont installées tout au long de la rivière du côté de la colline de Fourvière. Les rares discontinuités notables sont des types d'accès à l'eau et notamment des ports, sur lesquels nous reviendrons ensuite plus longuement. Selon Jean Labasse, c'est une marque du désintérêt du cours d'eau de la part de ses

1 Georges Braun, Réduction du plan scénographique de Lyon au XVIe siècle, in KRUMENACKER, Yves (dir.), Lyon 1562 capitale protestante, Lyon, Editions Olivétan, 2009, page 53.

riverains. En effet, ce géographe considère qu'il s'agit d'une illustration de la négligence des rives à la période moderne puisque « le décor urbain leur tourne fréquemment le dos ; les maisons plantées dans l'eau se pressent dans un alignement compact »2. Il est aussi possible que la présence d'édifices à la limite de l'espace constructible soit simplement le résultat d'un rationalisation spatiale cohérente dans cette zone urbaine dont l'expansion est particulièrement limitée par la colline de Fourvière. De plus, c'est également l'illustration du faible danger que semble représenter la rivière de Saône, pour ses riverains3, puisqu'ils ne semblent pas craindre qu'un débordement des eaux ravage leurs habitations ou, le cas échéant, ces dernières représentent un rempart pour le reste de la ville du côté de Fourvière.

En ce qui concerne la rive gauche de la rivière, si l'on met de côté les possessions propres à l'abbaye d'Ainay, à l'extrême-sud de la presqu'île, et les abords du pont de Saône où se trouvent des maisons, elle se caractérise par une bande, un espace laissé vide, tout au long de la rivière. La raison la plus logique qui explique cette situation est probablement l'usage de cet espace pour le halage. En effet, lorsqu'il s'agit de tirer, à l'aide de cordes, les bateaux qui remontent la Saône, il est fondamental de disposer d'un espace suffisant sur la rive. Le halage est nécessairement entravé par la présence du pont de Saône, ce qui est une des explications de la présence d'habitations de part et d'autre de ce pont. Cependant, il n'est pas certain que cet espace reste libre pour cette raison car « la création d'un chemin de halage en 1552-1553 entre le fossé des Terreaux, qu'on comble le long de la rive à cette occasion, et Saint-Clair, sur la rive droite du Rhône, fait le pendant à ce que l'on cherche à faire depuis un certain temps le long de la Saône »4. Il est certain que l'espace sur la rive gauche n'étant pas continu, il n'est pas réservé au halage, cependant, on l'a montré5, il peut servir à cet effet. De toute manière, il est indéniable que les particuliers, comme les marchands peuvent circuler le long de la Saône du côté de la presqu'île.

2 LABASSE, Jean, «Réflexion d'un géographe sur le couple ville-fleuve», in La ville et le fleuve, actes du colloque de Lyon (avril 1987), Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1989, page 15.

3 Cet aspect est développé dans le chapitre III, A et B.

4 Archives municipales de Lyon, Lyon, les années Rabelais, Dossier des Archives municipales n°6, catalogue de l'exposition de 1994, page 27.

5 Cf Chapitre IV, A.

Le plan scénographique de Lyon montre en effet que les berges de la Saône, notamment la rive gauche, sont un lieu de passage et de promenade comme il est

possible de le voir sur l'extrait de

ce plan, figuré ci-contre6. Cette

image représente des individus qui

se promènent, discutent ou tout

simplement circulent en empruntant l'espace libre sur la rive gauche de la Saône (ici en amont du pont). Par ailleurs, les quais de la rivière sont le lieu d'activités professionnelles puisque des marchandises y sont chargées et déchargées voire vendues. Dans son étude sur la répartition des métiers à Lyon, Olivier Zeller a montré que les activités professionnelles sont rarement concentrées géographiquement dans le ville. Il distingue cependant plusieurs exceptions et notamment que « la concentration des bateliers autour des ports est une donnée répandue »7. De plus, « Lyon apparaissait ainsi comme une ville entièrement centrée sur ses chapelets de ports fluviaux »8 dont les activités économiques sont très développées.

La fréquentation des quais et particulièrement des espaces portuaires installés le long de la Saône est donc importante. Un problème découle directement de cela. En effet, de nombreux déchets résultent de ces activités, surtout professionnelles, et infectent les quais. Yann Lignereux donne l'exemple de la Pêcherie, en amont du pont sur la rive gauche de la Saône, qui est un grand marché de poissons. Il cite un document du 15 mars 1618, qui est un rapport réalisé par des commis du consulat ; dans celui-ci est évoqué la « grande puanteur qui proceddoit des eaux, poissons mortz et autres immondices que lesd. poissonniers gettoient dans la place estant au bout dud. pont, lesquelles immondices servoient de spectable a tous les passants et qui estoient pour infecter tout ce quartier la »9. Même si ce document est quelque peu postérieur à la période que nous étudions, c'est

6 CHAMPDOR, Albert (introduction), Plan scénographique de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de Trévoux, 1981, extrait de la planche XIII.

7 ZELLER, Olivier, Les recensements lyonnais de 1597 et 1636, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1983, page 181.

8 NEYRET, Régis (dir.), Lyon, vingt-cinq siècles de confluences, Paris, Imprimerie nationale Editions, 2001, page 94.

9 LIGNEREUX, Yann, Lyon et le roi ; de la "bonne ville" à l'absolutisme municipal (1594-1654), Seyssel (Ain), Editions Champ Vallon, Collection Epoques, 2003, page 654.

seulement à cette date que le marché aux poissons est déplacé, ce qui implique que la situation décrite au début de l'année 1618 s'applique pour tout le XVIe siècle.

De plus, des particuliers déposent leurs déchets sur les rives de la Saône ce que l'on peut sans doute expliquer par la proximité de la rivière. En effet, en 1555, les religieux du couvent des Augustins, situé près de la rive gauche de la Saône, se plaignent à la sénéchaussée du fait que des habitants de la ville déposent divers déchets à proximité de leur monastère. Ils obtiennent d'ailleurs le soutien du sénéchal qui interdit que soient déposés le « fumier ny autres immondices audevant de leur esglize et couvent sous pretexte que le port en est prochain »10. Cependant, en 1603, le problème n'est toujours pas réglé puisque les Augustins écrivent à nouveau au sénéchal pour se plaindre du non-respect de l'interdiction par plusieurs personnes. Ce problème montre que les Lyonnais déposent bien leurs déchets sur les quais en attendant de les mettre à l'eau ou pour que la rivière les emporte puisque, selon ce document, c'est la proximité du port et donc de la Saône qui explique l'amoncellement de détritus.

D'ailleurs le consulat est conscient de ce problème et tente de lutter contre cette habitude qu'ont les Lyonnais de déposer leurs déchets sur les quais. On a montré qu'à l'inverse, la municipalité préfère que les détritus soit directement jetés dans la rivière11. Dans un acte consulaire par lequel les échevins enjoignent les tanneurs de la ville à se débarrasser de leurs déchets dans la Saône, il est explicitement dit que cette décision va à l'encontre de ce qui est habituellement fait. En effet, les tanneurs « gectoient ordinairement leurs eaues et immondices par les portz et places publicques puis au long de la riviere de saonne »12. Il est donc courant que les déchets soient déposés sur les berges de la Saône. Cela constitue un problème d'hygiène publique ainsi qu'une gêne pour les habitants comme pour les personnes de passage. Dès le XVIe siècle, le consulat s'oppose donc à cette habitude, préférant que les déchets soient emportés par la rivière et qu'ils ne restent pas à la vue de tous. Les amoncellements de détritus sur les quais peuvent d'ailleurs représenter une gêne à la circulation le long de la rivière mais aussi aux activités commerciales qui nécessitent le chargement et le déchargement de marchandises dans les différents ports et accès à l'eau.

10ADR, 13 H 18, premier document, 1603, lettre des Augustins de Lyon au sénéchal (qui évoque l'interdiction obtenue en 1555).

11 Cf Chapitre III, C.

12 AML, BB 086, f° 98 v°, acte consulaire du 17 décembre 1566.

Les éléments les plus importants que l'on trouve sur les berges d'une riviére

sont donc les différents accés à l'eau qui ponctuent son cours. Ce sont en effet les structures qui illustrent le mieux le lien entre les hommes et la riviére qu'ils côtoient ainsi que l'importance de la navigation pour une communauté. A partir du plan scénographique de 1550, Jacques Rossiaud a recensé les types de ports et de débarcadères qui existent à Lyon au XVIe siècle. Il a ainsi réalisé dix schémas qui sont figurés cicontre13. Ces représentations nous montrent qu'il existe à la fois des accés à l'eau privés ou propres à un édifice (images A, B et C) et surtout des ports. En effet, à Lyon et particulièrement

sur les rives de la Saône, les ports sont nombreux. Ils « s'échelonnent le long des

rives de la Saône depuis Saint-Vincent jusqu'aux Célestins, ayant chacun sa

fonction : port aux blés, port aux vins etc. »14. Il s'agit maintenant de présenter ces

structures qui ponctuent les rives de la Saône.

13 Ports et débarcadères urbains, l'exemple de Lyon d'après le Plan scénographique (1550), in ROSSIAUD, Jacques, Dictionnaire du Rhône médiéval (1300-1550), Tome 2, Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 2002, page 276.

14 GASCON, Richard, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle ; Lyon et ses marchands, tome 1, Paris, S.E.V.P.E.N.,1971, page 142.

B. Evolution des structures portuaires

Les ports, et les accès à l'eau en général, sont les infrastructures principales et fondamentales que l'on trouve sur les rives d'un cours d'eau. En effet, ils constituent le lien privilégié entre le rivage, c'est-à-dire entre la terre, et l'eau de la rivière puisqu'ils sont le moyen d'accès de l'un à l'autre, et réciproquement. Le terme de « port » renvoie à une structure d'accostage et d'amarrage des bateaux. En ce qui concerne le XVIe siècle, il serait peut-être plus adapté de qualifier ces lieux de « dispositifs portuaires »15, puisqu'ils sont de nature variable et plus ou moins sophistiqués et aboutis comme il est possible de le voir sur les structures figurées à la page précédente. Cependant, pour une facilité de compréhension le terme « port », qui regroupe donc une certaine variété, sera ici préféré.

Il ne s'agit pas ici de détailler les fonctions précises des ports installés le long de la Saône ni leur spécialisation marchande, d'une part parce que les documents d'archives ne le permettent pas, d'autre part car c'est leur situation et leur évolution structurelle qui nous intéresse particulièrement. Les dépenses qui résultent des différents travaux d'aménagement portuaires ne seront pas évoquées puisqu'elles feront l'objet ultérieurement d'une étude en soi. Il s'agit donc de présenter les ports lyonnais installés le long de la Saône au début du siècle ainsi que les constructions effectuées au cours du XVIe siècle. Cependant, le contexte économique et le rôle commercial des ports ne peut être négligé puisqu'il s'agit de facteurs qui influent, de façon logique, sur l'importance de ces espaces de transition entre le transport et la diffusion des produits. Ainsi, l'évolution économique a des conséquences indéniables sur les infrastructures portuaires.

Dès la fin du XVe siècle, l'économie lyonnaise se développe et cette croissance, économique comme démographique, entraîne des changements dans les structures urbaines. D'ailleurs, « la transformation de la ville a été telle après les années 1470, que les données archéologiques concernant cette époque sont

15 ROSSIAUD, Jacques, Le Rhône au Moyen Age, Paris, Flammarion, Collection Aubier, 2007, page 177.

rares »16. Selon Yann Lignereux, « Lyon devait une partie de sa prospérité à l'important commerce qui la traversait »17 et celui-ci se développe surtout à partir de l'octroi des privilèges de foires par les rois de France à la ville de Lyon, particulièrement après l'acquisition définitive de ces privilèges en 1494. En effet, Charles VIII rétablit cette année-là les foires de Lyon (il y en a quatre par an) ce qui permet de faciliter les échanges à grande échelle en réduisant les taxes prélevées sur les marchandises. Donc, dès la fin du XVe siècle, la ville de Lyon connaît un essor économique important.

Ce rayonnement économique croissant entraîne une modification des structures urbaines et notamment des ports puisqu'ils sont le lieu de chargement et de déchargement des marchandises qui transitent par voie d'eau. En effet, « l'ouverture de nouveaux ports sur la Saône en 1482-1483 devant Saint-Eloi, puis en 1485-1490 derrière le chevet de Saint-Paul montrent le développement de l'activité portuaire, donc du trafic des marchandises. Ces nouveaux ports attestent aussi de la paix retrouvée »18. Deux ports sont effectivement réalisés à la fin du XVe siècle. Tout d'abord, la construction du port Saint-Eloi, qui se trouve en amont du pont sur la rive droite de la Saône, est prise en charge par le consulat en 148319. D'autre part, la reconstruction du port Saint-Paul résulte, quant à elle, de la volonté des « Messieurs de l'Eglise de Saint-Pol et leurs voisins »20 qui demandent néanmoins l'autorisation du consulat, responsable de la voirie, pour cela. Ce deuxième port est construit en face de l'église du même nom c'est-à-dire sur la rive droite de la Saône, directement en amont du nouveau port Saint-Eloi.

Ces deux nouvelles structures permettent de désenclaver les quartiers elles sont construites. En effet, la rive droite de la Saône ne comptait pas de port

entre celui des Deux-Amants (en amont de la forteresse de Pierre-Scize donc à l'entrée nord de la ville) et le port de la Baleine qui se situe en aval du pont de Saône.

16 NEYRET, Lyon, vingt-cinq siqcles~ op. cit., page 86.

17 LIGNEREUX, Lyon et le roi op. cit., page 647.

18Archives municipales de Lyon, Lyon, les années~ op. cit., page 23.

19 AML, DD 339, pièce 34, acte consulaire de mai 1483.

20 AML, DD 339, pièce 7, premier document, acte consulaire du 16 mars 1487.

Ces deux ports s'ajoutent aux huit qui existaient précédemment sur les deux rives de la Saône. Ainsi, au début du XVIe siècle, dix ports sont installés le long de la rivière dans le cadre de la ville de Lyon, comme cela est figuré sur le plan cidessous.

Figure 1 - Plan de Lyon et des ports sur la Saône à la fin du XVe siècle

Trois ports sont construits à Lyon le long de la Saône au cours du XVIe siècle ; il convient de les présenter. Le premier port lyonnais qui est réalisé au bord de la Saône au XVIe siècle est celui du Temple. Un acte consulaire du 5 septembre 1508 précise le lieu où celui-ci sera construit : « près le temple [...] entre les jardins des frères Tourveon et le monastere Saint anthoine »21. Le consulat décide de la réalisation de ce nouveau port parce que « le Port de Rue chalamont de cette dite ville est mal aisé »22. Il s'agit donc de pallier les difficultés d'accès au port Chalamont par un second port, réalisé à proximité. En effet, le port du Temple est construit sur la rive gauche de la rivière, en aval du pont de Saône, entre le port Saint-Michel (plus au sud) et le port Chalamont. Or, pour réaliser ce nouveau lieu d'accostage, des travaux sont nécessaires. En effet, pour faciliter la circulation aux abords de ce nouveau port, et donc l'accès à celui-ci, le consulat décide de « faire eslargir la ruelle qui est entre le monastere Saint anthoine d'un costé, et les maisons appartenantes a honnorables personnes jacques et Claude Tourveon »23. Ainsi, en 1508-1509, un nouveau port est érigé sur la Saône et quelques aménagements sont réalisés à proximité.

D'autre part, en 1538, François Ier offre à la municipalité lyonnaise un jardin « questoit devant la maison dudit seigneur appellée Roanne, pour en faire un Port sur Saonne »24. Pour cette réalisation, le consulat demande au roi l'autorisation de faire des travaux sur les quais, du jardin de Roanne au pont de Saône pour « y faire rue et passaige commun »25. François Ier, qui écrit une lettre adressée au sénéchal de Lyon, c'est-à-dire à son représentant, autorise la municipalité à effectuer les travaux nécessaires à la réalisation d'un nouveau port. L'autorisation est entérinée à la cour de la sénéchaussée en présence du procureur de la ville de Lyon, Jehan de la Bessée, représentant du consulat, le 12 décembre 153826. Le port de Roanne est érigé entre 1539 et les premières années de la décennie 1540. Il est situé sur la rive droite de la Saône, en aval du pont et à égale distance du port de la Baleine et du port Saint-Jean et, comme pour la réalisation du port du Temple, des travaux pour en faciliter l'accès et permettre une fluidité du trafic sur les quais, sont réalisés.

21 AML, DD 335, pièce 1, acte consulaire du mardi 5 septembre 1508.

22 AML, DD 338, pièce 2, acte consulaire du 9 mars 1508.

23 AML, DD 338, pièce 2, acte consulaire du 9 mars 1508.

24 AML, DD 340, pièce 12, premier document, 30 juillet 1538.

25 AML, DD 340, pièce 12, deuxième document, lettre royale du 25 novembre 1538.

26 AML, DD 340, pièce 12, troisième document, acte de la sénéchaussée, 12 décembre 1538.

Enfin, un troisième port est construit sur les berges de la rivière au XVIe siècle : il s'agit du port Rontalon. Ce port est situé sur la rive gauche de la Saône, en face du port Saint-Jean donc au sud de la ville. Afin de le réaliser, Jacques Gimbre, voyer de la ville, est chargé à la fin de l'année 1562 de détruire « la maison etant dans le tennement de Rontalon, ensemble les murailles du côté de Bellecourt jusques ala riviere de Saone [...afin de] faire un port et place publique pour passer l'artillerie plus aisement [...] pour la commodité des marchands et marchandises qui arriveront audit Port et pour l'embellissement »27 de la ville. Ainsi, la réalisation du port Rontalon s'accompagne de la création d'une place à proximité et d'aménagements plus en profondeur dans la presqu'île. Ceux-ci permettent de développer les déplacements dans le sud de la presqu'île, au nord d'Ainay, d'autant plus que la rue de la Barre (qui relie le pont du Rhône à la Saône) est percée par la même occasion.

Trois ports sont donc construits le long de la Saône au cours du XVIe siècle. Deux sont installés sur la rive gauche dans un espace où aucune structure de ce type n'était présente entre le port Chalamont (à proximité du pont) et le port Saint-Michel, tout au sud de la ville. De plus, le port de Roanne, construit sur l'autre berge, fait le pendant au port du Temple et permet lui aussi de compléter le réseau des dispositifs portuaires. Chaque construction de port s'accompagne d'aménagements à proximité soit le long des rives soit plus en profondeur dans les terres. Systématiquement, l'objectif de ces travaux est de faciliter l'accès aux ports et donc de garantir l'utilité et l'intérêt de ces nouvelles réalisations.

Finalement, l'important développement économique de la ville de Lyon, quidébute à la fin du XVe siècle et se poursuit dans les deux premiers tiers du XVIe

siècle, correspond à la période de construction de nouveaux ports le long des rives de la Saône. En effet, cinq ports sont réalisés entre les années 1480 et les années 1560. Les travaux sont donc effectués dans la période d'essor économique puisque aucun port n'est construit à la fin du XVIe siècle. Cependant, il convient de préciser que la densité des ports est alors importante. Ceux-ci sont régulièrement répartis sur les deux rives de la Saône ; il n'est pas nécessairement utile d'en ajouter. Le plan de

27 AML, DD 338, pièce 25, acte consulaire du 26 décembre 1562.

Lyon, figuré ci-dessous, montre que les ports ajoutés au XVIe siècle complètent habilement le réseau portuaire. D'autres restructurations, de moindre ampleur, sont effectuées autour des ports de la Saône au cours du XVIe siècle ; elles seront présentées ultérieurement, dans le cadre de l'analyse des modalités de financement des réparations et des constructions de ports lyonnais.

Figure 2 - Plan de Lyon et des ports construits sur la Saône au XVIe siècle

C. Financement des travaux aux ports

Afin de déterminer l'importance de l'implication de l'autorité municipale dans la réalisation des infrastructures saôniennes et particulièrement dans les travaux effectués aux différents ports, s'intéresser aux fonds qui sont employés, ainsi qu'à leur origine, semble nécessaire. La voirie et les dépenses qui s'y rattachent dépendent, en théorie, du pouvoir consulaire. Cependant, ce n'est pas une règle qui s'applique de façon systématique. Afin de présenter les différents protagonistes qui prennent part au financement des réparations et des constructions de ports à Lyon, nous allons nous intéresser aux réalisations qui ont été précédemment évoquées en y adjoignant les entreprises de réparations. Ainsi, les structures portuaires réalisées à la fin du XVe siècle seront intégrées à notre analyse à titre d'exemples et permettront une étude à plus long terme. La question du financement de ces constructions antérieures au XVIe siècle constitue logiquement le point de départ de notre étude.

Il semble que pour la réalisation du port Saint-Eloi, en 1483, le consulat prenne en charge toutes les dépenses. Dans l'acte consulaire qui porte la décision de construction, il est indiqué « que le devis de la paye des ouvriers et manouvriers soit faite ainsi et par la forme et manière que l'on a accoustumé de payer pour les autres reparations »28. En effet, le 3 août 1483, le « recepveur [de la ville] a livré et paié de et sur les deniers de sad. recepte »29 les artisans, notamment le maître charpentier Estienne Chappon, qui travaillent à la réalisation du port. En ce qui concerne le second port construit à la fin du XVe siècle, le port Saint-Paul, le consulat se contente de donner son accord. Comme la municipalité n'est pas l'instigateur de cette construction, il semble logique qu'elle ne s'acquitte pas du salaire des ouvriers et des artisans qui sont employés à cet ouvrage. Néanmoins, les religieux de Saint-Paul et les riverains de ce quartier, qui sont à l'origine de la construction de ce port, demande un soutien financier du consulat à hauteur de 100 livres. Dans un premier temps les échevins refusent car ils « n'est à eulx possible

28 AML, DD 339, pièce 34, acte consulaire de mai 1483.

29 AML, CC 465, f° 21 r°.

les faire bailler obstant les grandes affaires de laditte ville »30. Ils finissent cependant par accepter de contribuer financièrement à la réalisation du port Saint-Paul car comme cela « touche et concerne le bien et proffit », le consulat ordonne que « soit baillé et livré par le trésorier et receveur general de lad. ville [...] la somme de soixante livres »31.

Il semble donc que le consulat assume le financement des travaux qui sont réalisés de sa volonté. De plus, son avis, et particulièrement son accord, est requis lorsqu'il s'agit d'une édification souhaitée par des particuliers, d'autant plus qu'elle concerne une structure, le port Saint-Paul, dont l'utilisation ne sera pas limitée aux personnes qui l'ont réalisée. C'est probablement la raison pour laquelle les échevins accordent un soutien financier à cet ouvrage dont le bénéfice sera collectif. De plus, la réalisation de deux ports dans cette partie de la ville qui n'en comportait pas représente un intérêt certain. Le consulat, conscient de la nécessité que des débarcadères soient construits en ces lieux, a, de son propre chef, financé le port Saint-Eloi, puis, a apporté des fonds pour la réalisation du port Saint-Paul. Il s'agit maintenant de confirmer ou de nuancer l'implication du consulat dans la réalisation et l'entretien des structures portuaires au cours du XVIe siècle.

Au cours du XVIe siècle, le consulat prend parfois lui-même en charge des travaux. Il est difficile de déterminer les raisons pour lesquelles il décide ou non de s'en acquitter ; cela est sans doute lié à l'état des finances de la ville et aux charges variables qui pèsent sur la municipalité en fonction du contexte. En tout cas, la municipalité lyonnaise finance les dépenses liées aux démolitions nécessaires à la réalisation du port Rontalon, puisqu'elle « enjoint a M. françois Coulaud Receveur des deniers communs [...de] payer les journées et vacations des ouvriers qui travailleront aux dittes démolitions »32. En ce qui concerne la construction en ellemême du port, il semble que la ville s'en charge également car aucun acte consulaire, ainsi qu'aucune source au sujet de la voirie municipale, ne révèle une contribution extérieure et les sources comptables non plus.

Il est néanmoins certain que le consulat s'acquitte à plusieurs reprises du financement de travaux portuaires. En 1549, la décision est prise de réparer et de

30 AML, DD 339, pièce 7, premier document, acte consulaire du 16 mars 1488.

31 AML, DD 339, pièce 7, deuxième document, acte consulaire du 28 septembre 1488.

32 AML, DD 338, pièce 25, acte consulaire du 26 décembre 1562.

paver deux ports sur la Saône : le port du Temple33 et le port de la Baleine34. Pour ces deux phases de réparations, le voyer de la ville, alors Humbert Gimbre, est en charge de la supervision des travaux et la municipalité les finance. En 1569, le consulat décide même de vendre une boutique appartenant à la ville car « il etoit besoin de recouvrer deniers pour la construction et reparation d'un des ports de la Riviere de Saone [...] au bourg Saint vincent »35. Poncet Bouvet, échevin, en est l'acquéreur pour la somme de six cents livres. Il s'engage, avec cette somme, à « payer et delivrer aux maçons et ouvriers qui seront employés [...] audit Port » c'est-à-dire qu'au lieu de donner directement l'argent au vendeur (le consulat), il est chargé de payer lui-même les artisans qui vont réaliser les travaux. Le consulat finance donc lui-même ces réparations mais de façon indirecte.

La municipalité lyonnaise, c'est-à-dire l'autorité responsable de la voirie dans la ville, n'exclue pas, ponctuellement, de demander la participation financière de particuliers pour les travaux qu'elle réalise. En effet, si l'on prend l'exemple du port du Temple, réalisé en 1508-1509, dès que la décision de construction est prise, les échevins désirent la contribution des propriétaires des maisons situées à proximité de celui-ci. Le consulat nomme quatre commis, Barthélémy de Villars, Jehan de Bourges, Humbert Mathieu et Jehan Faye, afin qu'ils déterminent « combien lesd. sieurs abbé de St Anthoine et freres Tourveon seront intéressés à l'affaire dud. Port en ayant regard a la commodité qu'ils et chacun d'eux en pourront prendre, aussi les voisins qui dudit Port prendront commodité, et de combien ils seront contribuables pour aider a survenir ez frais »36. Les commis sont donc chargés de mesurer le bénéfice que les différents voisins du port tireront de sa présence, en tenant compte d'un avantage variable, probablement selon la situation spatiale et donc la distance au port. Les religieux du couvent Saint-Antoine et les frères Tourveon sont les seuls voisins clairement désignés car ils doivent aménager les bâtiments qu'ils possèdent afin de faciliter l'accès au port.

Les autres voisins du futur port du Temple comparaissent au consulat le 5 septembre 1508, en présence de maître Denis Garbot, procureur de la ville. Ils promettent tous de « contribuer pour faire led. Port, chacun selon son pouvoir et

33 AML, DD 338, pièce 3, acte consulaire du 31 août 1549.

34 AML, DD 340, pièce 1, acte consulaire du 31 août 1549.

35 AML, DD 256, pièce 44, acte de vente d'une boutique daté du 29 septembre 1569.

36 AML, DD 338, pièce 2, acte consulaire du 9 mars 1508.

faculté et ce que par lesd. commis sera ordonné »37. Une liste des personnes qui participent au financement de la construction de ce port figure en annexe 1. Cette procédure, le recours à des fonds privés pour réaliser une construction à caractère public, semble anodine. En effet, aucun des documents consultés ne montre que cette entreprise a posé des difficultés ou que des particuliers ont d'abord refusé de participer pour finalement se soumettre à la volonté du consulat. Le seul élément surprenant est que pour la construction, précédemment évoquée, du port Saint-Eloi donc vingt-cinq ans avant le port du Temple, la municipalité se charge de toutes les dépenses, notamment du salaire des ouvriers comme il est d'usage qu'elle le fasse (selon ce qui est notifié dans l'acte consulaire à ce propos)38. Il est ainsi malaisé de déterminer s'il est coutumier que les personnes tirant un plus grand avantage d'une infrastructure, pourtant à usage collectif, participent financièrement à sa réalisation. Ce qui semble cependant certain est le fait que le critère de choix des personnes qui devront contribuer aux travaux est fondé sur la proximité entre les possessions de ces individus et la structure en question. Il n'est donc jamais envisagé de demander de l'argent, par exemple, à des marchands bateliers qui bénéficieraient pourtant de la réalisation d'un nouveau port au moins autant que les voisins de celui-ci.

Les échevins prennent parfois leurs précautions avant de contraindre des propriétaires à contribuer financièrement ou à réaliser eux-mêmes des travaux. En effet, dans le cadre de l'édification du port de Roanne en 1538-1539, le consulat envisage de « faire rue et passaige commun »39 le long des quais, entre le pont de Saône et ce nouveau port, mais il réclame le soutien du roi car il est nécessaire que les propriétaires des maisons à proximité acceptent de faire des travaux devant chez eux afin de réaliser ce chemin. Or, ces particuliers possèdent de « belles et sumptueuses maisons » et les échevins semblent hésiter à leur demander une contribution, probablement car il s'agit de personnes importantes. François Ier demande au sénéchal de Lyon de s'assurer que les travaux soient effectués et lui indique qu'il doit, si nécessaire, « contraindre tous ceulx [...] ayans leurd. maisons sur lad. riviere »40 à financer la réalisation du chemin permettant l'accès au nouveau port de Roanne.

37 AML, DD 335, pièce 1, acte consulaire du mardi 5 septembre 1508.

38 AML, DD 339, pièce 34.

39 AML, DD 340, pièce 12, travaux évoqués dans une lettre royale du 25 novembre 1538.

40 AML, DD 340, pièce 12, lettre royale du 25 novembre 1538.

Enfin, un dernier cas de figure est à présenter ; il s'agit du financement de travaux par des particuliers non contraints. En effet, au début du XVIe siècle, des particuliers souhaitant réaliser des aménagements de leurs habitations, situées à proximité du port Chalamont, sur la rive gauche de la Saône, obtiennent l'autorisation du consulat à condition qu'ils réalisent quelques travaux aux abords du port. Ces propriétaires, qui souhaitent agrandir leurs maisons, doivent ainsi « faire une levée a niveau dudit Port de Rue Chalamont qui sera chemin et passage Public, lesquels mur et levée seront tenus avoir fait préalablement avant de commencer de faire leursdits Batiments »41. Ils sont donc autorisés à faire les travaux qu'ils souhaitent mais ils doivent d'abord aménager les accès au port Chalamont, probablement afin de ne pas rendre celui-ci impraticable. En 1517, les mêmes voisins du port Chalamont demande au consulat « la permission de paver ledit port, chacun devant sa maison »42 ce qui leur est évidemment autorisé. Enfin, en 1520, Vincent Prothonaris, habitant également à proximité de ce port, souhaite lui aussi, comme ses voisins, agrandir sa maison. Comme pour les autres propriétaires, le consulat lui donne l'autorisation d'effectuer ses travaux si, en contrepartie, il aménage l'accès au port. De plus, Vincent Prothonaris promet « donner par aulmone au Grand hospital du Pont du Rhone la somme de vingt livres tournois »43.

Plusieurs combinaisons de financement existent donc pour les travaux portuaires. En général, soit le consulat s'acquitte des frais (achat des matériaux et salaire des ouvriers) soit il demande la contribution des propriétaires des maisons qui sont à proximité du lieu des travaux. Une seule fois au cours du siècle, des particuliers s'opposent à ce système et refusent de participer financièrement aux réparations d'un port, en l'occurrence à celles du port Chalamont. Au mois d'août 1591, le consulat fait appel au siège présidial de Lyon, expliquant que « comme le port appellé de Rue Chalamon soit en telle ruyne que si bien tost il n'y est pourveu il demeurera inutile non seulement pour le publicque, Mais mesmes a ceulx qui ont maisons bouticques et magasins voysings », il est nécessaire de procéder aux réparations. De plus, il est précisé que ce le consulat souhaite que ces travaux « se

41 AML, DD 335, pièce 2, actes consulaires du 17 janvier et de dernier jour de février 1510.

42 AML, DD 335, pièce 3, acte consulaire du mardi 27 avril.

43 AML, DD 335, pièce 3, acte consulaire du mercredi 11 janvier 1520.

facent aux despens desd. voysins et que ainsi de tous temps a esté praticqué en ceste ville »44. Ce recours à l'institution présidiale, dont le principal rôle est judiciaire, implique nécessairement que la municipalité lyonnaise est en conflit avec les propriétaires des maisons situées pres du port. Le 27 août 1591, le différend est tranché en faveur du consulat puisqu'il est décidé que les propriétaires de ces maisons devront « supporter et payer les serviz des repparations quil y conviendra faire »45.

Des le 3 septembre suivant, le consulat nomme deux commis qui sont chargés de déterminer le prix des travaux « à faire au port chalamont Et en apres convenir avec les proprietaires des maisons qui sont proches »46. Il semble qu'aucun accord n'ait été trouvé car par c'est un lieutenant du roi, le 18 septembre 1591, qui informe par lettres les vingt-huit propriétaires des sommes qu'ils devront chacun débourser et qui en assigne vingt-cinq à comparaître au siege présidial le lendemain47. Les propriétaires se plaignent alors de la répartition des frais ; Jane Rochette, par exemple, est prête à contribuer « mais Il fault que ce soit avec la raison » et elle met en avant le fait que François Bernart, « qui tient la maison de feu daniel seguin [...] qui en doibt plus que [...] les autres Et neanlmoings il est le moings cottizé »48. Toute discussion est rompue le 1er octobre de la même année car les membres du siege présidial décide que les propriétaires doivent payer ce qui leur est demandé et un sergent royal doit, en cas de refus d'obtempérer, les contraindre « par prinse saisye vente et dellivrance de leurs biens »49. En 1596, les travaux semblent avoir été effectués car les maçons et charpentiers ont été rémunérés50 mais l'affaire n'est toujours pas réglée car un « Estat des restans a paier leur cottization pour la construction du port de Rue Challamon »51 est réalisé par Dominique Dufour, receveur des deniers de la ville ; neuf propriétaires ne se sont alors toujours pas acquittés des sommes qui leur sont demandées depuis cinq

44 AML, DD 335, piece 8, lettre du consulat au siege présidial daté du mois d'août 1591.

45 AML, DD 335, piece 10, acte du siege présidial du mardi 27 août 1591.

46 AML, DD 335, piece 11, acte consulaire du mardi 3 septembre 1591.

47 AML, DD 335, piece 12, document du 18 septembre 1591.

48 AML, DD 335, piece 13, acte du siege présidial du 19 septembre 1591, pages 6 et 7.

49 AML, DD 335, piece 17, document du siege présidial « au premier huissier ou sergent royal requis », daté du 1er octobre 1591.

50 AML, DD 335, piece 40, compte de Dominique Dufour pour les travaux du port Chalamont, pages 7 à 14.

51 AML, DD 335, piece 50.

ans. D'autres complications, qui ne concernent pas directement notre étude, prolonge l'affaire. Celle-ci n'est résolue qu'au début du XVIIe siècle.

Les différents travaux effectués aux ports qui sont le long de la Saône, à Lyon au XVIe siècle sont, en général, décidés par le consulat. Celui-ci ne prend pas toujours en charge leur financement puisque la contribution des Lyonnais qui résident à proximité des lieux à aménager ou à rénover est souvent requise. A la fin du siècle, le consulat, soutenu par les instances judiciaires, semble appliquer systématiquement un principe que l'on peut qualifier « d'intérêt public à tendance particulière » car, selon lui, chacun bénéficie des nouvelles réalisations mais surtout ceux qui vivent à proximité. Ainsi, il semble admis par les autorités que les particuliers qui devraient tirer le plus de profit d'une construction ou d'une rénovation de port doivent participer aux frais qui en découlent. Le recours à un financement privé pour des travaux dont le profit est collectif n'est pas caractéristique des édifices fluviaux, ni du XVIe siècle, ni de la ville de Lyon. En effet, selon Marcel Prade, le 5 avril 1399, des « lettres royales mettant à la charge des propriétaires, même privilégiés, l'entretien du pavé de la ville de Paris »52 sont émises. Il semble donc s'agir d'une procédure plutôt classique.

52 PRADE, Marcel, Les ponts, monuments historiques, Poitiers, Editions Brissaud, Collection Art et Patrimoine, 1986, page 16.

Conclusion Chapitre V

Les berges de la rivière sont un espace dans la ville dont la caractéristique principale est d'être le lieu de transition entre l'eau et la terre. Ainsi, les différents types d'accès à l'eau, particulièrement les ports, revêtent une importance particulière puisqu'ils permettent de lier les activités fluviales et terrestres, notamment le trafic de marchandises. Le développement économique de la ville dès la fin du XVe siècle entraîne deux conséquences principales en ce qui concerne les structures portuaires. La premiere, qui accompagne l'essor des échanges commerciaux, est évidemment la nécessité de disposer de ports praticables et suffisamment nombreux afin de permettre une fluidité des ruptures de charge malgré le changement de support. La deuxième conséquence est l'augmentation supposée de la capacité de financement du consulat. Comme celui-ci est responsable, entre autres choses, de l'entretien de la voirie, si ses possibilités financières s'accroissent l'on peut supposer que cela a des répercutions sur les aménagements urbains en général.

Le nombre de ports sur la Saône croît en effet à partir de la fin du XVe siècle et les phases de réparations et de constructions sont régulieres jusqu'en 1569 (travaux au port Saint-Vincent) ce qui suppose une implication certaine des autorités dans les aménagements portuaires même si la ville a parfois recours à des financements privés. Dans le dernier tiers du XVIe siècle, une seule phase de travaux semble être effectuée ; il s'agit de la restauration du port Chalamont dans les années 1590 que le consulat n'envisage pas de financer lui-même. La fin du siècle semble donc se caractériser par un désintérêt politique des structures portuaires. Le contexte politique troublé et le déclin économique de Lyon peuvent probablement expliquer cet état de fait. Il faut cependant préciser que les ports sur la Saône sont déjà nombreux et il ne semble pas surprenant que d'autres constructions n'aient pas été effectuées53. De plus, les ports ne sont pas les seuls édifices qui résultent de la présence d'une rivière au coeur de la ville ; pour mesurer l'implication politique dans la gestion fluviale, il convient d'étudier également les structures qui permettent de traverser la rivière.

53 Un plan de Lyon placé en annexe 2 résume les phases de construction et de travaux portuaires au XVIe siècle.

Chapitre VI : Franchir la Saône à Lyon

La rivière de Saône traverse la ville de Lyon et la partage en deux centres urbains qu'il semble fondamental de relier. De ce point de vue, la rivière constitue un obstacle aux déplacements dans la ville puisque il faut la franchir pour passer de la presqu'île à la partie antique de Lyon, que l'on nomme aujourd'hui « Vieux Lyon », c'est-à-dire pour passer du côté de la colline de Fourvière et de la primatiale Saint-Jean ou, bien sûr, pour faire le trajet inverse. L'objet d'étude de ce chapitre est donc la présentation des différents moyens de franchir la rivière et particulièrement des infrastructures qui permettent la traversée de la Saône c'est-àdire les ponts. En effet, la principale voie de passage d'une rive à l'autre de la Saône est le pont de pierre que nous présenterons dans un premier temps. Puis, nous nous intéresserons à un second pont, en bois cette fois, jeté sur la rivière au cours du XVIe siècle ainsi qu'aux moyens secondaires qui permettent la traversée. Enfin, nous élargirons notre analyse aux enjeux de la circulation dans la ville en général, donc en présentant ces structures fluviales dans une politique urbanistique plus globale.

A. Le pont de pierre

Un pont est construit à Lyon sur la Saône dès le XIe siècle. En effet, selon Léon Boitel, l'archevêque de Lyon Humbert Ier (vers 1048-1077) souhaitait la réalisation d'un pont permanent sur cette rivière ; il serait donc l'instigateur de cette construction1. L'historien lyonnais du XVIe siècle Claude de Rubys, s'appuyant sur les propos de Guillaume Paradin (l'un de ces auteurs a pu inspirer Léon Boitel), explique lui aussi que l'édification de ce pont résulte de la volonté de l'archevêque Humbert et ajoute que la construction date de l'année 10602. Ces informations sont complétées par Jean-Baptiste Roch, auteur d'une Histoire des ponts de Lyon, qui considère que la pont « commencé en 1050, [...] fut inauguré en 1076 par Humbert Ier »3. Cet auteur fournit même des détails tels que la construction a été « réalisée avec les pierres de monuments romains abandonnés » et ce pont comptait des « arches irrégulières, au nombre de huit »4.

Ce pont, que l'on appelle simplement « pont de Saône » ou « pont de pierre » au XVIe siècle (car le pont qui est sur le fleuve n'est construit totalement en pierre que dans la seconde moitié du siècle5) est le principal moyen de franchir la Saône. C'est d'ailleurs pour cela que le nom « pont de Saône » lui convient encore au XVIe siècle puisqu'il s'agit du seul pont lyonnais jeté sur cette rivière jusqu'au siècle suivant, ainsi, pour les contemporains, il n'est pas nécessaire de préciser sa position spatiale dans sa dénomination. Il semble cependant utile de rappeler que ce pont reliait la place du Change (rive droite) et les quais qui sont à proximité de l'église Saint-Nizier. Nous allons donc nous intéresser à cette grande structure de pierre, à son aspect et à ses caractéristiques mais aussi aux réparations qu'il subit au cours du XVIe siècle. A l'instar de l'étude des rives et particulièrement des ports, il convient de s'intéresser à l'implication du pouvoir consulaire dans l'entretien de cet édifice.

1 BOITEL, Léon (dir.), Lyon ancien et moderne, tome 2, Lyon, éditeur Léon Boitel, 1843, page 440.

2 RUBYS, Claude de, Histoire véritable de la ville de Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, page 263.

3 ROCH, Jean-Baptiste, Histoire des Ponts de Lyon de l'époque gallo-romaine à nos fours, Lyon, Editions Horvath, 1983, page 43.

4 Ibid., page 43.

5 BURNOUF, Joëlle, GUILHOT, Jean-Olivier, MANDY, Marie-Odile, ORCEL, Christian, Le Pont de la Guillotière ; Franchir le Rhône à Lyon, Lyon, éditions de la Circonscription des Antiquités historiques, collection Documents d'archéologie en Rhône-Alpes, n°5, 1991, page 89.

Dans une lettre royale de Louis XII, donc du début du XVIe siècle, le pont

de Saône est ainsi décrit : « Il y a ung beau et grand pont de pierre fait et construit

sur lad. riviere de sosne, pour repasser dung lion a lautre, lequel pont contient dix

grans arcs de pierre bien faiz »6. Cette citation rappelle aussitôt la fonction première

de cet édifice (franchir la rivière) et offre également une présentation succincte de celui-ci. Il est mentionné dans ce document que ce pont comprend dix arcs, pourtant, sur le plan scénographique de 1550, dont un détail est figuré ci-contre7, huit arcs sont représentés et l'on peut penser qu'un neuvième arc n'est pas visible car il est caché par les maisons qui le

recouvrent (au niveau de la descente Est du pont c'est-à-dire en bas à gauche sur

l'image ci-dessus). Cela est confirmé par une description de 1598 qui précise que le

pont de Saône « a neuf arches, et chaque arche environ trente quatre pas de

distance »8.

La distance entre les différents arcs du pont évoquée dans cette présentation de la fin du XVIe siècle semble exagérée puisque les arcs sont réputés être insuffisamment larges pour une navigation aisée. Cependant, nous ne savons pas exactement les repères qui ont été utilisés pour arriver à cette distance moyenne et comme les empattements formés par les piles du pont sont importants, il est possible qu'en divisant la longueur totale du pont par le nombre d'arcs qu'il comprend, le résultat s'approche de l'estimation proposée par cet auteur. Il semble

6 AML, DD 256, pièce 40.

7 CHAMPDOR, Albert, Plan scénographique de la ville de Lyon au XVIe siècle, Trévoux, Editions de Trévoux, 1981, montage à partir d'extraits des planches 8 et 13.

8 Description faite par Jacques Esprinchard en 1598, cité dans GARDES, Gilbert, Le voyage de Lyon, Lyon, Editions Horvath, 1993, page 232.

de toute façon difficile de fournir les mesures de cet édifice au XVIe siècle sans élément de comparaison et sans information précise.

Une des caractéristiques de ce pont est la présence de maisons de part et d'autre, sur la première arche, à l'est comme à l'ouest. L'affaire judiciaire au sujet de la reconstruction d'une de ces maisons (celle de Françoise Piochet, veuve Pierrevive) développée précédemment9, avait révélé l'enjeu juridictionnel représenté par le pont et les maisons qui s'y trouvent. A l'origine, il semble que ce pont de pierre sur la Saône dépendait de l'autorité des seigneurs temporels et spirituels de Lyon. En effet, Léon Boitel évoque un acte de 1167 « réglant les droits de l'archevêque et du comte de Forez sur la ville, déclare le pont commun aux deux seigneurs »10. Mais, on l'a vu, le voyer de la ville de Lyon « ha la sur-intendance sur la santé de ladicte ville, pavissement et nettoyement des rues [...] reparations et entretenement des rues, portz, ponts et passages »11. Ainsi, l'entretien du pont de Saône relève de la charge du voyer et donc du consulat puisque celui-ci est un officier au service de la municipalité lyonnaise.

Les entreprises de réparations du pont de Saône sont peu nombreuses au XVIe siècle ou de faible importance car très peu apparaissent dans les archives relatives à la voirie et un sondage des actes consulaires et des comptes de la ville de Lyon n'a fourni que peu d'exemples. Deux explications semblent possibles : tout d'abord, cet édifice est suffisamment solide et ne nécessite que peu de travaux au cours du XVIe siècle. D'autre part, les dépenses engagées par le consulat pour le pont du Rhône sont telles que les finances de la ville ne peuvent supporter des travaux aux deux infrastructures. En effet, même s'il ne s'agit pas ici de détailler les phases de réparation et de reconstruction du pont du Rhône, celles-ci sont extrêmement nombreuses ; il est rare qu'un année s'écoule sans que des maçons et autres artisans ne soient recrutés par le consulat pour entretenir ce pont.

9 Cf Chapitre II, C.

10 BOITEL, Lyon ancien..., op. cit., page 441.

11 NICOLAY, Nicolas (de), Généralle description de l'antique et célèbre cité de Lyon, du païs de

Lyonnois et du Beaujolloys selon l'assiette, limites et confins d'iceux païs, Lyon, Société de Topographie historique de Lyon, 1881 (édition de l'ouvrage manuscrit de 1573), page 142.

De plus, le développement des échanges commerciaux entre Lyon et la péninsule italienne ainsi que « l'orientation italienne de la politique française »12, ont conféré à ce pont, point névralgique de la circulation vers l'extérieur du royaume, une importance grandissante. Enfin, les réparations effectués au pont du Rhône sont financées par les revenus du péage de cet édifice alors que le pont de Saône n'apporte pas de ressources comparables puisqu'il est dépourvu de tout bureau de douane. En 1503, par exemple, pour des travaux au pont de Rhône, le consulat établit un « mandement de cent livres sur les deniers du pont pour fournir aux réparations »13. Le financement des travaux effectués au pont du Rhône est donc garanti par les revenus propres à cet édifice.

Quelques travaux d'entretien sont tout de même entrepris au pont de Saône. Il s'agit en général de réparations ponctuelles comme à la fin du mois de septembre 1501, lorsque la premiere pile du pont, au bord de la rive gauche, fait l'objet d'un entreprise de consolidation14. Ces travaux semblent s'assimiler à de la prévention ; le consulat profite du début de l'automne, lorsque « les eaues sont basses et petites »15, pour faire réaliser quelques travaux d'entretien. Des entreprises de réparations peuvent aussi être effectuées au niveau du couvrement du pont. Par exemple, au début de l'année 1503, le consulat décide qu'il est nécessaire de « baisser le pavé et pent du pont de Saonne [...] jusques au hault dudit pont sans que les ungs excedent les autres ains tout esgallement »16. Il s'agit donc d'égaliser le sol et d'adoucir la pente du pont sans doute afin de faciliter les déplacements sur celui-ci.

La principale phase de réparation du pont de Saône entraîne un différend entre le consulat et des particuliers, propriétaires de maisons situées sur le pont, du côté de l'église Saint-Nizier et de part et d'autre de celui-ci. En effet, à la fin de l'année 1546, les échevins s'inquiètent de la fragilité du pont et envisagent d'importants travaux qui nécessitent la destruction des maisons qui s'y trouvent. Les propriétaires s'y opposent et l'affaire est portée par le consulat à la cour de

12 DURAND, Georges, GUTTON, Jean-Pierre, « Les temps modernes et la Révolution », in Le Rhône et Lyon de la préhistoire à nos fours, (ouvrage collectif), Saint-Jean-d'Angély (Charente-Maritime), éditions Bordessoules, 1987, page 164.

13 AML, BB 024, f° 430 v° (mardi 7 novembre 1503).

14 AML, BB 024, f°331 v° (jeudi 23 septembre 1501).

15 AML, BB 024, f°332 r° (mardi 28 septembre 1501).

16 AML, BB 024, f°394 r° et f°395 r° (mardi 14 février et mardi 21 février 1503).

justice. Le 20 décembre, le juge ordinaire de Lyon commet des « maistres massons et charpentiers » pour visiter « les lieux contencieulx le lendemain a deux heures » soit le 21 décembre 154617. Après une contre-visite demandée par les propriétaires18, le juge condamne tout de même ces derniers à « demolir et abbatre promptement lesd. maisons et boutiques et construire des murailles joignant le grand arc dudit pont de Saonne [...] et en ce faisant oster et arracher dicellui arc lesd. appes, clavettes de fert et autres lyemens de bois sans faire et porter aucun dommaige aud. pont »19. Les happes et les clavettes sont des types d'attaches, comme des tenons, qui permettent de lier deux éléments entre eux. Elles permettent probablement de fixer les habitations au pont pour garantir la fiabilité de l'ensemble. Les propriétaires, en plus de démolir leurs maisons, sont donc chargés d'enlever toutes traces de ces édifices et de reconsolider la structure fluviale.

En plus des visites des lieux effectuées à la fin de l'année 1546 et au début de 1547, plusieurs rapports d'expertise commandités par les échevins des 1541, et qu'ils ont fourni à la cour de justice, leur ont permis d'obtenir officiellement gain de cause. En effet, le 8 juin 1541, par exemple, plusieurs maîtres maçons (Antoine Betenod, Claude Bousse, Pierre Vaucher et Etyenne Rolland) sont allés « soubz les arcs et pilles du pont de saonne Et mesmement sous les boticques de mathieu paris et ses consortz et [après] lavoir veu et visité, disons que la pille portant lesd. boticques A besoing destre revailler en plusieurs lieux tant dans leau que dehors pour lassurance dud. pont »20. Il semble ainsi que la justification principale de la sentence est la crainte exprimée par le consulat et plusieurs artisans, maîtres maçons comme charpentiers, d'une grande usure d'une partie du pont de Saône et donc du danger de son effondrement partiel.

La sentence est remise en question une première fois par une partie des propriétaires, le 11 février 1547, mais le juge ordinaire d'entériner sa décision car il déclare que « par eminent peril sera executee et mise a entiere execution sellon sa forme et teneur nonobstant led. appel »21. Un des propriétaires décide à nouveau de faire appel de la sentence qui a été donnée. Il s'agit d'Anthoine Guérin, qui représente ses trois enfants (Claude, Anthoinette et Ysabeau), bénéficiaires

17 AML, DD 310, pièce 32, sentence du juge ordinaire du 11 février 1547, qui récapitule toute l'affaire (citation de la page 5).

18 Une liste de ceux-ci figure en annexe 3.

19 AML, DD 310, pièce 32, sentence du juge ordinaire de Lyon du 11 février 1547, pages 15 et 16.

20 AML, DD 310, pièce 31, rapport d'une visite au pont de Saône du 8 juin 1541.

21 AML, DD 310, pièce 32, sentence du juge ordinaire de Lyon du 11 février 1547, pages 21 et 22.

testamentaires de la maison de Jehan Faure. Les Guérin ne remettent pas en cause la démolition des édifices mais considèrent qu'ils n'ont pas à effectuer les travaux supplémentaires auxquels ils sont contraints. De plus, il n'acceptent pas d'être « privez apperpetuyté de ny pouvoir Jamais bastir ny ediffier ny moins appuyer et mectre clavectes et lyemens contre ledit arc »22. Ils craignent donc simplement d'être dépossédés de leurs biens, supposant ainsi une appropriation de cet espace par le consulat.

Dans cette affaire, un rebondissement est fourni par l'intervention de l'archevêque de Lyon qui s'adresse directement au sénéchal. Il se présente comme « appelans »23, au même titre que les propriétaires, c'est-à-dire que ceux-ci, avec le soutien de l'archevêque, font appel de la sentence donnée par le juge ordinaire. La défense du primat est longuement développée. La première critique formulée concerne le fait que le jugement a été rendu sans l'avis des seigneurs de Lyon c'està-dire sans consultation de l'archevêque lui-même ni des chanoines-comtes de Lyon qui se constituent donc « appellans comme vrays seigneurs directz desd. maisons et bouticques » et qui considèrent qu'ils « ont esté grandement grevez et opprimez »24 dans leurs droits. La sentence et le pouvoir du consulat sont donc directement remis en cause. L'archevêque ajoute que, de toute façon, il « vault beaucoup mieux garder, conserver et retenir lesd. maisons » et cela pour plusieurs raisons. Le premier argument est évidemment la perte qu'une destruction représenterait pour les propriétaires. Cependant, l'aspect esthétique est également mis en avant car, selon l'archevêque, « si elles estoient abatues y auroit grant difformité en la rue dud. pont contre decore et ornamentum civitatis »25. En effet, une telle destruction va à l'encontre de l'harmonie des constructions sur le pont puisqu'une seule extrémité de celui-ci serait pourvue d'édifices, cependant, cet argument semble faible si le risque d'affalement du pont est réel.

C'est justement cela qui est remis en cause par les plaignants qui considèrent que les rapports des maîtres jurés « sont insufisans et deffectueux car ils ont esté baillez seulement sur led. pretendu eminent peril Mais ne furent enquis

22 AML, DD 310, pièce 32, appel en justice d'Anthoine Guérin du 16 février 1547, pages 23 à 30.

23 AML, DD 310, pièce 35, appel formulé par l'archevêque, non daté mais postérieur au 11 février 1547 car écrit en réaction à la sentence définitive donnée à cette date.

24 AML, DD 310, pièce 35, page 3.

25 AML, DD 310, pièce 35, pages 4 et 5.

ne interrogez sil yavoit remede et moyen de reparer »26. L'archevêque et les propriétaires demandent à nouveau que des « gens notables et autres maistres massons et charpentiers expers et non suspectz »27 soient mandés pour visiter les lieux et trouver une solution alternative à la démolition. Malgré l'intervention de l'archevêque et le recours au sénéchal de Lyon, la sentence est renouvelée par la sénéchaussée puisqu'il a « été ordonné que lesd. proprietaires feroient entierement abbatre et demolir leurdittes maisons et boutiques, pour descouvrir la pile dudit pont sur laquelle elles sont scituées et assises, pour icelle pille faire reparer »28. Ainsi, la décision de destruction de ces bâtiments a été entérinée par la sénéchaussée et les réparations pourront être effectuées.

Il ne nous est pas possible d'affirmer que cette décision judiciaire a été effectivement appliquée mais il est probable qu'elle le fut, au moins partiellement, et que les réparations ont été effectuées car aucun document ne révèle d'autres difficultés à ce sujet. Cette affaire montre que le pont de Saône représente toujours un enjeu juridictionnel au milieu du XVIe siècle. Les prérogatives consulaires sur celui-ci semblent tout de même admises. Il est par ailleurs aisément compréhensible que cet unique pont sur la Saône, voie de liaison principale entre les deux coeurs de la ville, ait une telle importance politique. Il ne constitue cependant pas le seul moyen de franchir la rivière.

26 AML, DD 310, pièce 35, pages 5 et 6.

27 AML, DD 310, pièce 36, défense des propriétaires des maisons situées sur le pont de Saône, du côté de Saint-Nizier dans le cadre de leur recours en appel.

28 AML, DD 310, pièce 39, acte consulaire du jeudi 12 janvier 1548 qui comprend le résumé du jugement en appel.

B. Les autres moyens de traverser la rivière

Sur l'ensemble du XVIe siècle à Lyon, il n'existe qu'un unique pont qui permette de traverser la rivière de Saône. Il peut sembler étonnant qu'un autre édifice de ce type n'ait pas été réalisé mais les finances municipales en matière de construction au cours du XVIe siècle semblent se concentrer sur les fortifications de la ville ainsi que sur le pont du Rhône. Cependant, ponctuellement en 1546, un deuxième pont relie les deux parties de la ville. Ce dernier n'a qu'une vocation provisoire et c'est peut-être pour cette raison qu'il n'est que rarement évoqué dans les ouvrages d'histoire de Lyon. Dans le cadre de notre analyse des moyens permettant de franchir la Saône à Lyon, il est nécessaire de présenter ce deuxième pont, même s'il ne fut que provisoire, et d'expliquer les raisons de sa construction en 1546. Il convient cependant au préalable de présenter les autres moyens habituels qui permettent de franchir la Saône avant de nous intéresser au pont de bois.

Même si ce sont les infrastructures fluviales qui constituent l'objet de ce chapitre, il ne faut pas négliger les autres supports permettant de traverser la Saône qui sont utilisés par les riverains du XVIe siècle. Il s'agit donc de brièvement les évoquer afin d'obtenir une présentation complète mais aussi de mesurer l'importance du pont de pierre par rapport à celles-ci. La façon la plus évidente de franchir une rivière, l'usage d'un pont mis à part, est l'utilisation de bateaux. L'avantage de ces embarcations est la plus grande liberté de destination puisque la seule contrainte est la possibilité d'accoster au lieu d'arrivée. Les débarcadères et les ports, précédemment présentés, sont nombreux le long des rives de la Saône et permettent donc de franchir la rivière en de nombreux endroits dans le cadre de la ville de Lyon.

En effet, les personnes « qui veulent passer de l'un costé de la ville en l'autre, le font par petis basteaux qui sont en grand nombre sur la ditte riviere, et i a grand plaisir de voir les femmes se quereler les unes les autres, pour passer ceux qui se présentent »29. Cette description apporte plusieurs informations. Tout d'abord,

29 Description de Jacques Esprinchard en 1598, cité dans GARDES, Le voyage..., op.cit., page 232.

des bateliers ont pour activité quotidienne de conduire ceux qui le désirent d'une rive à l'autre de la Saône. Cet état de fait révèle un usage récurrent des bateaux de ces voituriers sinon ce métier n'existerait pas. Néanmoins, si les bateliers se disputent les clients, l'on pourrait conclure que ces derniers sont peu nombreux. Or, le fait que ces barques de transport d'individus soient « en grand nombre » infirme cette supposition. Ainsi, on peut penser que les bateliers voués à faire traverser la rivière sont si nombreux que la concurrence est importante entre eux ce qui ne semble pas exclure une fréquentation importante de ces embarcations et donc un recours régulier aux voituriers pour franchir la Saône.

Ce rôle semble, en général, tenu par des batelières. D'ailleurs, lorsque Jean-Baptiste Roch décrit les abords du pont, il évoque « rive gauche, des escaliers en bois posés le long de la première pile donnaient accès aux « Bêches » tenues par des marinières »30. Le fait qu'il s'agisse d'une profession majoritairement féminine est confirmé par de nombreux documents. Par exemple, en 1546, le chapitre Saint-Jean souhaite que deux bancs soit transporté d'une rive à l'autre de la Saône ; les chanoines ont recours à une « batelliere » qu'il rémunère de trois sous31. Ce service payant n'est évidemment pas utilisé par tous les riverains puisqu'ils leur suffit d'emprunter le pont pour traverser la ville, voire certains possèdent sans doute leur propre embarcation.

Le consulat a parfois recours à ce moyen de transport pour faire passer des personnes d'une partie de la ville à l'autre. Ainsi, au mois de mars 1525, « la ville n'ayant pas alors des bateaux lui appartenant, et pour faciliter aux troupes le rapide passage »32 de la Saône, les échevins choisissent d'employer des bateliers à cet effet. Ils décident que « le cappitaine Jehan Salla et le sieur Edouard grant ordonneront six batelliers au port de Roanne et aultres six au port saint pol, des plus prudhommes et loyaux quilz pourront cognoistre pour passer et repasser les gens »33 d'une berge à l'autre en aval de la forteresse de Pierre-Scize soit plutôt au nord de la ville. Ces bateliers sont rémunérés pour faire la traversée plusieurs fois par jour et doivent être disponibles du matin au soir « jusques a ce que auctrement soit ordonné »34. Un certain nombre de personnes utilise donc des embarcations,

30 ROCH, Histoire des ponts..., op. cit., page 43.

31 ADR, 10 G 572, document produit par le chapitre Saint-Jean (dépenses pour le jubilé de 1546).

32 NIEPCE, Léopold, rniiiuiilitaire, Lyon, Bernoux et Cumin, 1897, page 93.

33 AML, BB 044, f°20 v°, acte consulaire du jeudi 2 mars 1525.

34 AML, BB 044, f°20 v°, acte consulaire du jeudi 2 mars 1525.

prévues à cet effet, pour traverser la Saône et les autorités peuvent également y avoir recours.

Un autre moyen de franchir la rivière semble être mis en place en 1562. En effet, selon Eulalie Sarles, dans le cadre des nombreux aménagements dans la ville réalisés en 1562-1563 (notamment la construction du port Rontalon sur la rive gauche), un bac est mis en place, en 1562, pour traverser la Saône35. Il semble qu'il est installé plutôt au sud de la ville, en aval du pont de Saône, et légèrement en amont de l'église Saint-Jean (rive droite) et du nouveau port Rontalon (rive gauche). Il est nécessaire d'apporter une précision sur la situation géographique ; en effet, le port Rontalon, qui nous permet de situer le bac, est en général appelé « port du Roi » par les auteurs puisqu'il sera effectivement baptisé ainsi mais seulement à partir de 1574 en l'honneur d'Henri III qui franchit la riviere en direction de Saint-Jean à partir de cet embarcadère36.

Si un bac à traille, c'est-à-dire un grand bateau dont la trajectoire est définie par une corde qui traverse la rivière et à laquelle il est attaché, est installé en 1562 de la volonté de l'archevêque ; le consulat, en 1573, revient sur l'autorisation qu'il avait formulée à ce propos. En effet, le 7 juillet 1573, lors d'une réunion des échevins, il est « advisé que pour l'incomodité de la ville [...] le consulat ny doibt prester aulcun consentement »37. En effet, la mise en place d'un bac, particulierement d'une traille, peut représenter une gêne à la navigation, montante comme descendante, car cela permet de systématiser la traversée de la rivière par une embarcation lente et imposante (qui permet de « passer les charrettes, chevaulx et mulletz qui vouldroict traverser »38). Ainsi, même si un tel dispositif aurait l'avantage de désengorger le pont de Saône, il représente un obstacle à la navigation et c'est probablement la raison pour laquelle le consulat s'y oppose en 1573. Il semble donc qu'il n'est plus question d'un bac sur la Saône des l'été 1573. Donc, si effectivement il en fut installé un en 1562, il est supprimé ensuite (l'acte consulaire de 1573 ne permet pas de déterminer si le bac a été mis en place en 1562

35 KRUMENACKER, Yves (dir.), Lyon 1562 capitale protestante, Lyon, Editions Olivétan, 2009, page 175.

36 RUBYS, +iLIRirHIériIEFIN ERS. IEit., page 426.

37 AML, BB 091, f°104 v°, acte consulaire du mardi 7 juillet 1573.

38 AML, BB 091, f°104 v°, acte consulaire du mardi 7 juillet 1573.

ou non). Quoi qu'il en soit, pendant la plus grande partie du XVIe siècle, une telle structure n'existe pas sur la Saône.

Enfin, le dernier moyen de franchir la Saône qu'il s'agit de présenter est le pont de bois construit pour une utilisation ponctuelle en 1546. Il est édifié au mois de juin de cette année car sa présence est liée à la célébration d'un jubilé à Lyon. En effet, depuis le XVe siècle, le pape a accordé à la ville de Lyon un jubilé à « chaque fois que la fête du Saint-Sacrement se rencontre avec la fête de saint Jean-Baptiste, le 24 juin »39. Ces fêtes sont plutôt rares (environ une par siècle) et donc exceptionnelles pour la ville de Lyon. Le premier jubilé eut lieu en 1451 et celui de 1546 est le suivant. De nombreux pèlerins viennent à Lyon, à la cathédrale, afin d'obtenir une indulgence plénière, c'est-à-dire une absolution de tous leurs péchés, ce qui garantirait une annulation de leurs peines au purgatoire. Il s'agit donc d'une célébration importante qui attire de nombreux pèlerins dans la ville.

En effet, Claude de Rubys explique que pour le grand Pardon et le Jubilé de la Saint-Jean, en 1546, un nombre substantiel de pèlerins vient à Lyon notamment de la Bresse, de la Savoie mais aussi de tout le royaume40. Le chroniqueur Jean Guéraud estime, quant à lui, que le jubilé de 1546 attire quatre à cinq cent mille personnes à Lyon41. Ainsi, « pour eviter la confusion, qu'eust esté, si ceux qui alloyent et venoyent du pardon, se fussent rencontrés par mesme chemin, pour aller gagner le pont de Saosne, on fit un pont de boys derrier Saint Iean, sur des batteaux, qui alloit droict respondre aux degrez, qui sont devant l'Eglise des Celestins »42. Ces propos sont confirmés par des actes consulaires. En effet, le 18 juin 1546, les échevins ainsi que des représentants de la sénéchaussée et de la primatiale Saint-Jean se réunissent « pour conférer et donner ordre tant du faict de la politicque que autres quil conviendra et sera besoing faire pour cause du grand peuple quon pretend estres ict pour ceste sainct jehan prochain »43.

Ces différentes autorités prennent donc un certain nombre de mesures pour que le pèlerinage se déroule sans difficulté aucune. Ils organisent par exemple les

39 BEGHAIN, Patrice, BENOIT, Bruno, CORNELOUP, Gérard, THEVENON, Bruno, Dictionnaire

historique de Lyon, Lyon, Editions Stéphane Bachès, 2009, article « jubilé », page 721.

40 RUBYS, Histoire véritable op. cit., page 373.

41 BEGHAIN, BENOIT, CORNELOUP, THEVENON, Dictionnaire historique op. cit., article « jubilé », page 721.

42 RUBYS, Histoire véritable op. cit., page 373.

43 AML, BB 064, f°140 v°, acte consulaire du vendredi 18 juin 1546.

conditions de logement des pèlerins, les questions de ressources en pain ainsi que les mesures de sécurité nécessaires44. La réalisation d'un pont sur la Saône est une des mesures définies lors de cette entrevue du vendredi 18 juin 1546. En effet, « lesd. seigneurs de lesglise ont pryé et requis lesd. seigneurs conseillers de vouloir faire faire ung pont de boys [...] pour passer et donner passaige sur saone pour obvyer quil ny ayt confusion »45. Les échevins acceptent de prendre en charge la construction de ce pont de bois, qui doit être réalisé pour le jeudi suivant soit en moins d'une semaine car la fête de la Saint-Jean est le 24 juin. Ainsi, l'archevêque et les chanoines-comtes, qui ont plutôt tendance à affirmer leurs droits sur la rivière et ses infrastructures au cours du XVIe siècle, au détriment des prérogatives consulaires, donnent néanmoins la responsabilité de l'édification du nouveau pont au consulat.

La municipalité lyonnaise se charge effectivement de la construction de ce pont dont la réalisation est confiée à Jehan Bas et Loys Bolier. Ces artisans sont rémunérés par un mandement consulaire du 8 juillet 1546, à hauteur de 60 écus d'or, « pour avoir faict ung pont de boys de saint Jehan sur saosne tirant droit a Rontalon »46. Il s'agit d'un pont flottant c'est-à-dire qu'il est constitué de bateaux attachés les uns aux autres et surmontés de planches formant une voie empruntable par les individus. Ce pont est donc réalisé sur la Saône, en aval du pont de pierre, et relie le quartier Saint-Jean au tènement de Rontalon. Son utilité est à nouveau évoquée et même précisée dans un acte consulaire ; il est construit « parce que le pont de saone de pierre nust esté souffisant pour le passage du peuple »47. En effet, de façon provisoire, deux ponts permettent de traverser la rivière ce qui facilite les déplacements d'une partie de la ville à l'autre. La durée de la présence de ce pont de bois sur la rivière ne nous est pas connue mais puisqu'il doit probablement constituer un empêchement à la navigation, il fut sans doute rapidement démantelé. De plus, il n'a été réalisé que dans le cadre du jubilé de l'année 1546, particulièrement pour les jours d'affluence autour du 24 juin, et perd donc rapidement son intérêt.

44 AML, BB 064, f°141 r° et v°, acte consulaire du vendredi 18 juin 1546.

45 AML, BB 064, f°141 v° et f°142 r°, acte consulaire du vendredi 18 juin 1546.

46 AML, BB 065, f°31 v°, acte consulaire du jeudi 8 juillet 1546.

47 AML, BB 065, f°31 v°, acte consulaire du jeudi 8 juillet 1546.

Finalement, hormis le pont de pierre, le principal moyen de franchir la rivière de Saône à Lyon est l'utilisation de barques. Celle-ci semble plutôt développée puisque l'activité de certains bateliers est dévolue à cet usage. Par ailleurs, il est possible qu'un bac à traille soit mis en place dans la seconde moitié du siècle mais probablement pour une courte durée. De même, un pont de bois est provisoirement jeté sur la Saône en 1546 dans le cadre du jubilé de la Saint-Jean afin de pallier aux difficultés de circulation d'un nombre important de pèlerins venus pour l'occasion, et donc afin d'assurer une deuxième voie de liaison dans la ville, qui s'ajoute au pont de pierre. Ce dernier reste néanmoins le principal lien entre les deux parties de la ville de Lyon au XVIe siècle.

C. L'enjeu de la circulation dans la ville

Il semble évident que les deux parties de la ville de Lyon doivent pouvoir être reliées et que la présence d'un pont est essentielle. Les moyens de franchir la rivière de Saône sont plutôt limités et le pont de pierre est le principal axe de communication « entre la ville des Chanoines et la ville des Bourgeois »48. Plus que cela, le pont de Saône semble constituer un point névralgique de passage dans la ville de Lyon et c'est ce que nous allons démontrer. Ensuite, afin de mieux cerner l'importance de cette voie de circulation et de ses abords, il convient de replacer les enjeux qui se dégagent ainsi que la façon dont ils sont pris en charge par les autorités municipales dans la politique consulaire générale.

De nombreux indices révèlent l'importance fondamental de circuler sur les deux ponts de la ville, et particulièrement sur le pont de Saône. En effet, l'on peut penser que « le regroupement des zones actives autour de l'axe de circulation que constituent le pont de Pierre sur la Saône, achevé dès 1167 et le pont du Rhône »49 montre que ces édifices constituent les principales voies de circulation de la ville. De plus, même s'il y a d'autres moyens de franchir la rivière de Saône, ils sont probablement d'un usage moins courant et moins aisé que « la rue dudit pont »50 de pierre. L'on peut en effet assimiler le pont de Saône à une rue de la ville mais dont l'unicité lui confère un statut particulier qui laisse escompter une prise en charge politique prononcée de cet axe.

Or le pont de Saône est également un lieu stratégique de la ville ; un point névralgique qu'il s'agit, pour les autorités, de maîtriser. L'historien lyonnais Claude de Rubys évoque un complot protestant avorté le 4 septembre 1561. Il explique qu'à la nuit tombée « Maligny et ses gens [...] s'acheminarent le petit pas droict vers le Pont de Saosne, qui est au milieu de la ville, resolus de se saisir des deux descentes de ce pont »51. A la suite de cet épisode, le lieutenant général de la sénéchaussée, Nery Tourveon, aurait décidé de faire garder le pont jour et nuit mais

48 ROCH, Histoire des ponts~ op. cit., page 43.

49 BAYARD, Françoise, CAYEZ, Pierre, PELLETIER, André, ROSSIAUD, Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos jours, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007, page 351.

50 AML, DD 310, pièce 35, document produit par l'archevêque de Lyon au sujet des maisons situées sur le pont, du côté de Saint-Nizier, dont le consulat souhaite la démolition en 1547.

51 RUBYS, Histoire véritable op. cit., page 386.

« il fut contrainct de s'en retourner en France, et demeura le tout sans effect »52. Donc la réalisation d'un poste de garde sur cet édifice n'a pas été effectuée mais, selon Claude de Rubys, elle a été envisagée. Cet épisode révèle l'importance stratégique de contrôler le pont de Saône c'est-à-dire l'édifice central de la ville de Lyon et le moyen essentiel de la communication de part et d'autre de la rivière. En effet, se saisir du pont revient à contrôler l'axe primordial de circulation dans la ville et représente un enjeu politique mais aussi économique et social puisque cette voie est nécessaire aux déplacements de part et d'autre de la ville tant des individus que des marchandises.

La circulation sur le pont de Saône est donc essentielle et la politique consulaire à son encontre le confirme. En effet, les affaires judiciaires, précédemment présentées53, au sujet des maisons situées aux deux extrémités du pont, ont montré que le consulat semble défavorable à la présence de ces édifices. En effet, lorsqu'il s'agit d'un demande de reconstruction d'une maison sur le pont en 1528, la municipalité s'y oppose, obtient gain de cause d'un point de vue juridique, et ne cede que suite à l'intervention du comte de Saint-Pol, lieutenant du roi, donc probablement de façon contrainte. De plus, lorsque le consulat souhaite la démolition des maisons qui sont sur le pont, du côté de Saint-Nizier pour effectuer des travaux de réparations, il n'évoque jamais la possibilité que celles-ci soient ensuite reconstruites. Même si l'utilité d'entretenir le pont ne semble pas discutable, l'on peut penser que le consulat tente de tirer profit de la situation afin que ces maisons gênantes disparaissent et, par conséquent, que la circulation à l'entrée du pont soit moins entravée. En effet, ces maisons « assises sur les piles à chaque extrémité du pont [...] en rendait l'abord difficile et dangereux »54. Il semble donc probable que l'enjeu de la circulation sur le pont ait encouragé le consulat dans ses prises de positions défavorables à la présence de maisons de part et d'autre de l'édifice.

Celles-ci ne sont pas les seuls éléments qui empiètent sur la voie de passage que constitue le pont de Saône. En effet, il « est équipé, dans sa partie centrale, de

52 RUBYS, Histoire véritable~ op. cit., page 388.

53 Deux affaires à ce sujet ont été présentées. Tout d'abord, l'opposition du consulat à la reconstruction de la maison de Françoise de Pierrevive en 1528 (Chapitre 2, section 3) puis la volonté du consulat, en 1547, qu'une partie des maisons du pont soient détruites afin de procéder à des réparations (Chapitre 6, section 1).

54 BOITEL, Lyon ancien op. cit., page 442.

bancs de pierre disposés le long de ses parapets qui sont, depuis le XVe siècle au moins, le lieu des changeurs manuels et des revendeurs. Perpétuellement encombré de mercerie [...], ils accueillent aussi des aiguiseurs de couteaux »55. Cette description fournie par Anne Montenach révèle clairement une occupation diversifiée mais surtout conséquente du pont par des vendeurs. Elle explique même qu'il « est colonisé par les colporteurs et les merciers »56. Les autorités, conscientes de la gêne que ces marchands et leurs étals représentent pour la circulation sur le pont, tentent de lutter contre leur présence. Le 4 mars 1556, les représentants de la ville et de l'archevêché se réunissent à la sénéchaussée pour traiter ce sujet. Ils décident à l'unanimité que « ledict pont doit demeurer vuyde et que lon doibt chasser lesd. merciers, vendeurs, revendeurs, hors d'icelluy pour laisser le passaige public et commun en liberté »57. Les marchands qui officient sur le pont, informés de la décision, viennent se plaindre au consulat le 10 mars 1556, expliquant qu'ils sont cent vingt vendeurs en ce lieu et qu'il s'agit pour eux du « moyen de vivre et de nourrir leursd. femmes et enfans »58. Les échevins restent fermes mais, même s'ils ont été provisoirement expulsés, les vendeurs reviennent peu à peu sur le pont car ils constituent toujours une gêne à la circulation au XVIIe siècle. Ce problème n'est pas caractéristique de la ville de Lyon puisque selon Jean Mesqui, « en 1555, les édiles de Grenoble adressaient supplique au roi pour obtenir la destruction des échoppes fixes sur le pont Vieux, la circulation devenant impossible les jours de marché »59.

Les échevins tentent donc de rendre plus aisée la circulation sur le pont de Saône. Celui-ci permet aux individus mais aussi à des véhicules tels que des charrettes de traverser la rivière sans difficulté. Il s'agit d'ailleurs de la seule voie de liaison pour les chevaux et les charrettes et ceux-ci ont besoin d'espace pour se déplacer. Or, lorsque l'archevêque de Lyon propose la réalisation d'un bac à traille en face de la primatiale Saint-Jean, un des arguments qu'il avance est la possibilité de faire traverser des animaux, des charges importantes et des carrioles grâce à cette

55 MONTENACH, Anne, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, Collection "La Pierre et l'Ecrit", 2009, page 79.

56 Ibid., page 77.

57 AML, BB 078, f°149 r°, compte-rendu de la séance à la sénéchaussée, mercredi 4 mars 1556.

58 AML, BB 078, f°153 v° et f° 154 r°, acte consulaire du mardi 10 mars 1556.

59 MESQUI, Jean, Le Pont en France avant le temps des ingénieurs, Paris, Editions Picard, Collection Grands Manuels, 1986, page 92.

structure. Il semble donc légitime de se demander les motivations du refus consulaire. La gêne que le bac peut représenter pour la navigation a déjà été évoquée, mais l'on peut penser qu'il y a également des motivations politiques et économiques.

En effet, l'usage du bac est payant c'est-à-dire que les personnes qui l'utilisent pourront « traverser de laultre cousté de la Riviere de saosne a la part de fourviere En payant ce que sera advisé et accordé pour chacunes charrette, cheval ou mulletz »60. La mise en place du bac s'accompagnerait, en quelque sorte, de l'établissement d'un droit de passage sur la rivière, au moins sur les marchandises et les moyens de locomotion si ce n'est sur les personnes. Les droits de péage sur les rivières sont au bénéfice des seigneurs ayant la juridiction sur celles-ci. Ainsi, les avantages de la création d'un bac à Lyon reviendraient directement à l'archevêque et aux chanoines-comtes de la ville, qui disposent des droits sur la rivière de Saône. L'on peut donc supposer que cet élément financier est une des motivations du refus formulé par le consulat au sujet de l'établissement d'un bac à traille sur la Saône en 1573.

Enfin, développer la circulation sur la Saône, par le biais d'un bac ou d'un pont, au niveau de la primatiale Saint-Jean, n'est peut-être pas à l'avantage du pouvoir consulaire car les intérêts économiques, jusqu'alors concentrés de part et d'autre du pont de Saône pourrait partiellement se déplacer plus au sud de la ville. En effet, une voie d'accès direct au quartier Saint-Jean se placerait dans la continuité du pont du Rhône et de la rue de la Barre (qui longe la place Bellecour, au sud de la presqu'île), aménagée au début des années 1560. Ainsi, les produits qui arrivent dans la ville par le pont du Rhône pourraient transiter directement vers la partie ouest de Lyon (donc Saint-Jean) sans forcément passer par le coeur de la ville et le pont de pierre sur la Saône. Le contrôle de la circulation dans la ville pourrait être affaiblit et l'emprise du pouvoir consulaire sur la principale voie de liaison fluviale diminuée.

Il semble que le consulat s'acquitte favorablement de la présence d'un unique pont permanent dans la ville, qui est sous son autorité. Il essaye d'en faciliter l'accès et de rendre les conditions de circulation optimales sur cet axe.

60 AML, BB 091, f°104 v°, acte consulaire du mardi 7 juillet 1573.

D'ailleurs, il semble que « le principe essentiel de la « voirie " consiste à fluidifier le trafic tout en sécurisant les rues [...] ce qui passe par la lutte contre tout empiètement anarchique sur l'espace ouvert de la ville (rues, places et ports) "61. Le consulat, responsable de la voirie, est évidemment préoccupé, comme nous l'avons montré, par les questions de circulation et donc par l'étroitesse des voies. De plus, les prémices de la notion d' « espace public » c'est-à-dire d'un espace qui est à l'usage de tous, qu'aucun particulier ne peut s'approprier et qui est géré par les autorités, apparaissent clairement dans les décisions consulaires. Cette notion est un moyen pour le pouvoir municipal de mieux maîtriser l'aménagement urbain, le tracé des rues et, par conséquent, la bonne police dans la ville. Avec le développement de cette césure entre ce qui est « public ", relevant alors des autorités, et ce qui est « privé " ou « particulier ", naissent une vigilance particulière de la part du pouvoir politique et une lutte contre l'usurpation de l'espace collectif. Les premières tentatives de règlementation des saillies et des avancées des bâtiments entrent dans cette logique. Les initiatives, dans ce domaine, sont encore limitées au XVIe siècle et la politique de ce que l'on appelle « les alignements " prend peu à peu de l'ampleur et est une caractéristique du siècle suivant62.

61 MONTENACH, Espaces et pratiques..., op. cit., pages 132-133.

62 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon..., op. cit., page 350.

Conclusion chapitre VI

Plusieurs façons de traverser la Saône existent mais le pont de pierre semble en être la principale notamment parce qu'il constitue la voie privilégiée pour le transport de marchandises et qu'il est plus aisé de l'emprunter que de franchir la rivière en bateau. Il s'agit de la seule structure fixe et permanente à cet usage. De plus, il permet de relier les deux parties principales de la ville, les deux coeurs économiques de Lyon, mais il permet aussi aux individus, comme aux biens, de facilement circuler dans la ville. La présence d'un unique pont sur la Saône explique la concentration des enjeux de circulation sur lui, enjeux qui dépassent largement le cadre de la gestion de la Saône même si le pont est un des éléments les plus probants de l'adaptation d'une communauté urbaine à la présence d'une rivière qui scinde son territoire en deux.

Comme l'analyse des pouvoirs qui s'exercent sur la Saône et les structures qui en dépendent l'avait montré, le pont est un enjeu juridictionnel convoité par les deux principales autorités lyonnaises, celle des seigneurs-comtes et celle des échevins. Il ne fait aucun doute que le pouvoir du consulat s'affirme sur l'édifice puisque les décisions de justice sont prises à son avantage c'est-à-dire que les choix urbanistiques qu'il prend, auxquels l'archevêque et les chanoines-comtes s'opposent, sont entérinées par les instances judiciaires. De plus, la charge de l'entretien du pont, comme de la voirie et des infrastructures en général, dépend clairement du pouvoir consulaire. Les réparations du pont de Saône semblent de faible ampleur au cours du XVIe siècle ; il s'agit essentiellement de travaux d'entretien. La préoccupation principale des échevins lyonnais est d'assurer la fluidité de la circulation sur le pont. Ainsi, à l'instar de son action dans tout le cadre urbain, le consulat lutte contre les éléments qui peuvent constituer un obstacle au trafic et tente, progressivement, d'affirmer la limite entre l'espace public et l'espace privé.

Conclusion de la troisième partie

Deux catégories principales d'infrastructures fluviales ont été présentées ; les ports, c'est-à-dire les espaces qui font le lien entre la navigation et les activités terrestres, et les dispositifs permettant de traverser la rivière, particulièrement le pont de pierre. Les ports lyonnais installés le long des rives de la Saône sont nombreux et répartis de façon régulière. Les constructions, entre la fin du XVe siècle et les années 1560 soit pendant la période d'essor économique de la ville, complètent les structures préétablies et permettent à la ville de Lyon de disposer de nombreux lieux d'accostage et d'embarquement. Les phases de réparations, quant à elles, ne sont pas négligeables mais sont tout de même sporadiques au cours du XVIe siècle. C'est également le cas des travaux d'entretien du seul pont permanent de la Saône, peu nombreux et de faible ampleur. Olivier Zeller explique, au sujet de la voirie dans les villes de la période moderne, que les « modifications [...] ne s'effectuaient qu'au rythme d'actions ponctuelles, [...] les remodelages de réseaux viaires étaient généralement limités »63. Cette analyse correspond effectivement à l'évolution des infrastructures à Lyon.

Le consulat est à l'origine de l'essentiel des travaux à usage collectif réalisés à proximité de la rivière de Saône. Cependant, il ne s'acquitte pas systématiquement de leur financement. En effet, les échevins cherchent régulièrement des fonds extérieurs, et privés, pour assumer les dépenses de construction et de réparation, prétextant que les particuliers résidant à proximité des lieux aménagés doivent participer, parfois sous la contrainte, parce qu'ils tirent un plus grand bénéfice qu'autrui des travaux effectués. A l'inverse, la notion d'espace « public » est de plus en plus utilisée et les échevins tentent d'en limiter l'appropriation par des particuliers, tout en n'excluant pas que certains d'entre eux contribuent donc à son entretien. Il semble pour autant délicat d'affirmer que le

63 ZELLER, Olivier, "La ville moderne", in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, Tome 1, Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, page 853.

consulat se désintéresse des infrastructures fluviales. En effet, certaines préoccupations se dégagent et sont toutes liées, ne serait-ce qu'indirectement, à l'entretien et à la gestion des ports et du pont. De façon logique, le consulat est préoccupé par l'état des ports car ils sont nécessaires aux échanges économiques et sont les liaisons entre la voie d'eau et le réseau terrestre de transport de marchandises. Enfin, le pont de Saône, seul accès d'une partie de la ville à l'autre particulièrement pour les charrettes et les chevaux, est un axe fondamental de circulation dans la ville. Les autorités politiques locales, notamment le consulat, s'efforcent donc de faciliter le trafic sur celui-ci. Il semble cependant que l'intérêt porté au trafic sur la rivière de Saône et ses berges au XVIe siècle ne constitue que les prémices d'une préoccupation grandissante au siècle suivant64.

64 BAYARD, CAYEZ, PELLETIER, ROSSIAUD, Histoire de Lyon..., op. cit., page 355.

CONCLUSION

Les cours d'eau et leur prise en charge, c'est-à-dire la gestion des ressources, des risques et le contrôle de la navigation, représentent un enjeu politique indéniable puisque les autorités politiques ont toujours intérêt à surveiller les voies de communication terrestres comme fluviales. La Saône à Lyon au XVIe siècle n'échappe pas à cette constatation et sa juridiction est convoitée par plusieurs autorités. Depuis le Moyen-age, l'archevêque et les chanoines-comtes de Lyon, seigneurs temporels de la ville, détiennent les droits sur la rivière dans les limites du territoire sur lequel leur pouvoir s'étend. Cet état de fait est remis en cause au début du XVIe siècle car les rois de France tentent, en vain, de se saisir de la juridiction de la Saône. En effet, dans tout le royaume, le pouvoir royal affirme peu à peu, à partir du XVIe siècle, ses prérogatives suprêmes sur les cours d'eau navigables. Les seigneurs de Lyon gardent leurs droits sur la rivière qui traverse la ville mais sous la tutelle royale. Ils disposent ainsi des droits de pêche et des revenus des péages et, à l'inverse, ont la charge d'entretenir les berges et les infrastructures de la rivière.

Tous ces aspects théoriques ne s'accordent pas avec les faits puisque la gestion des affaires courantes de la ville de Lyon, dont les ouvrages de voirie et tout ce qui a trait à la navigation sur la Saône, est la compétence du pouvoir municipal lyonnais, le consulat. Plusieurs différends entre l'archevêque de Lyon et les chanoines-comtes d'une part, et les échevins d'autre part, révèlent un glissement des prérogatives sur la rivière au profit de l'autorité municipale même si le consulat ne dispose pas officiellement des droits sur la Saône. Enfin, le roi, lointain seigneur des rivières navigables, intervient tout de même ponctuellement dans la gestion de la rivière à Lyon, notamment pour des questions d'hygiène. La présence régulière de la cour à Lyon pendant une large moitié du XVIe siècle explique probablement que le pouvoir royal s'y intéresse particulièrement. Cependant, l'essentiel des décisions prises par les autorités au sujet de la Saône à Lyon est soit d'origine consulaire soit appliqué par le consulat.

A partir de ce constat, il convient de qualifier l'action consulaire sur la Saône au XVIe siècle. Autrement dit, il s'agit de déterminer quelles sont les préoccupations principales des autorités vis-à-vis d'une rivière qui traverse l'espace urbain lyonnais et même qui le scinde en deux parties nettement distinctes. Si l'on se penche sur le caractère même de la Saône, une rivière, les risques liées à sa présence et à sa situation dans la ville pourraient constituer un des enjeux de la gestion politique. Néanmoins, la rivière n'éveille que peu de craintes et les accidents climatiques tels que le gel ou la crue sont rares. Les autorités ne se préparent pas à de ces évènements difficilement prévisibles et semblent agir en aval c'est-à-dire en réparant les dégâts après les épisodes dévastateurs. La Saône est plutôt perçue, par les Lyonnais comme par les autorités locales, comme une rivière familière. Il s'agit avant tout d'un élément à part entière de la ville qui a plusieurs fonctions. L'un d'elle résulte d'une des caractéristiques principales d'un cours d'eau ; sa mobilité et donc son pouvoir de transporter des hommes et des biens hors de la ville mais aussi des déchets. La Saône au XVIe siècle est extrêmement polluée et les autorités encouragent les individus à déverser leurs détritus dans la rivière plutôt que de les laisser dans les rues. Elle est donc un remède à la saleté dans la ville mais, à l'inverse, sa pollution préoccupe le pouvoir royal notamment pour des raisons sanitaires. Le consulat tente d'appliquer, en partie, les recommandations des rois mais, à l'inverse, conseille à la population de ne pas laisser les déchets sur les rives de la Saône mais de directement les mettre dans la rivière. Le XVIe siècle ne porte que les prémices de l'intérêt pour ces questions à caractère médical et la faiblesse de cette préoccupation n'est que peu surprenante.

Pourtant, la Saône et ses rives sont extrêmement fréquentées, de nombreux riverains exercent la profession de batelier et la rivière est également un lieu de loisirs. Le plan scénographique de Lyon, réalisé au milieu du XVIe siècle, en est la meilleure illustration car le nombre de personnages figurés sur la rivière ou aux abords de celle-ci est important et leurs activités sont de natures diverses. On peut même considérer que la Saône est une vitrine de la ville dans le sens où, lors des festivités qui ponctuent l'année et des entrées officielles de grands personnages, de grands spectacles et des jeux nautiques sont donnés sur la rivière. Cependant, la principale activité qui caractérise la rivière est évidemment la navigation et particulièrement le transport de marchandises. La rivière est à la fois le support de

diffusion de produits mais aussi l'un des axes principaux d'importation de la ville, notamment d'approvisionnement en blé. L'enjeu de cet axe de circulation dans la ville est tel que le trafic fluvial est l'objet d'une surveillance et d'un contrôle exercés par les autorités municipales, tant pour la sécurité de la ville que pour des préoccupations d'ordre économique. De plus, le consulat veille à ce que la navigation ne soit pas entravée, hormis par son contrôle lorsque cela est jugé nécessaire. Gependant, des actions telles que le dragage du lit de la rivière, qui permet notamment de faciliter le passage des bateaux lorsque les eaux sont basses, ne semblent pas être effectuées au cours du XVIe siècle. Néanmoins, l'importance de la navigation fluviale pour la ville et les actions menées par les autorités à son sujet sont indéniables et il semble que la circulation sur la rivière constitue l'une des principales préoccupations du pouvoir consulaire. L'usage important de la rivière tant pour la navigation que pour les autres activités qui y sont pratiquées confirme que la Saône, plus qu'une rivière dans la ville, est la rivière de la ville c'est-à-dire un espace parfaitement intégré au site urbain.

Gelui-ci s'est adapté à la présence de la rivière et l'aménagement des infrastructures fluviales reste une préoccupation au XVIe siècle. Le nombre de structures portuaires s'accroît à cette période et les accès à l'eau ponctuent densément et régulièrement les rives de la Saône dès le dernier tiers du XVIe siècle. Le consulat, responsable de la voirie, est l'instigateur de l'essentiel des constructions et des aménagements effectués ce qui confirme à nouveau l'importance de la navigation pour la ville. En effet, les ports constituent le lien entre la rivière et la ville dans son ensemble et leur présence est donc fondamentale. S'intéresser aux modalités de financement de nouvelles structures de ce type et de leur entretien a permis de s'apercevoir que le consulat fait très souvent appel à des particuliers afin qu'ils contribuent à ces dépenses. Cela pourrait constituer une marque d'une forme de désintérêt de l'aménagement des rives de la Saône. Gependant, le recours à des fonds privés ne semble pas être une procédure exceptionnelle. En effet, elle est pratiquée par les autorités municipales quelle que soit la conjoncture économique c'est-à-dire aussi bien au début du XVIe siècle lors de l'expansion économique de la ville qu'à la fin de celui-ci lorsque les finances de la ville connaissent de grandes difficultés. De plus, les simples travaux d'entretien, donc de faible ampleur, sont en général totalement pris en charge par le consulat.

Ainsi, la ville de Lyon au XVIe siècle est dotée de nombreux ports répartis sur les deux rives de la Saône.

A l'inverse, une seule infrastructure permet de traverser la rivière et d'assurer la liaison entre les deux parties de la ville ; il s'agit du pont de pierre, réalisé dès le XIe siècle. Même s'il existe des alternatives au pont pour franchir la Saône telles que l'usage de bateaux, celui-ci reste la principale voie de communication de la presqu'île à ce que l'on nomme aujourd'hui le « Vieux Lyon ». Cela explique qu'il focalise des enjeux politiques à la fois d'un point de vue juridictionnel, stratégique et économique. Il semble cependant admis que le pont jeté sur la Saône relève de l'autorité consulaire et c'est en effet le consulat qui l'entretient. L'unicité de cette structure permet aux échevins de maîtriser en partie les déplacements dans la ville mais comporte l'inconvénient de limiter la capacité de passage. C'est pour cette raison que, lors du jubilé de la Saint-Jean en 1546, face à l'afflux de pèlerins, il est nécessaire de réaliser pour l'occasion un pont de bois provisoire permettant de franchir la Saône. D'autre part, le pont de pierre possède un second inconvénient : sa situation au coeur de la ville, et le fait qu'il soit le lieu de passage privilégié d'une partie de la ville à l'autre, entraîne la présence de nombreux marchands et de leurs étals qui gênent la circulation. Le consulat, avec le soutien de l'archevêque, des chanoines comtes et des représentants du roi à Lyon, tente à plusieurs reprises de les expulser. Les échevins semblent également hostiles à la présence de maisons aux deux extrémités du pont qui constituent, elles aussi, une gêne au trafic puisqu'elles empiètent sur l'espace de passage.

Au XVIe siècle, les préoccupations des autorités, particulièrement du consulat lyonnais, au sujet de la présence d'une rivière dans la ville sont assez peu nombreuses et la prise en charge n'est que peu diversifiée. Il n'est néanmoins pas possible de considérer que la rivière désintéresse les autorités. Au contraire, la Saône est un espace à part entière de la ville de Lyon mais dont l'usage principal, la navigation, explique les mesures qui sont appliquées à la fois pour faciliter la circulation mais également pour la contrôler. Les chaînes qui sont tendues sur la Saône constituent le moyen de surveiller les déplacements sur la rivière et représentent, en quelque sorte, des remparts fluviaux comme ceux qui entourent une grande partie de la ville de Lyon. La rivière est prise en charge par les autorités comme une route traversant la ville. Puisqu'elle représente tout de même un

obstacle pour la circulation, le pont de pierre est nécessaire mais il est également un axe de communication. Les ports sont les intermédiaires entre les déplacements terrestres et fluviaux. La rivière, comme les infrastructures qui en dépendent sont donc essentiellement des espaces de communication et de déplacements. Finalement, les enjeux principaux de la gestion de la Saône à Lyon semblent pouvoir être résumés à la question de la circulation dans la ville. En effet, si l'on perçoit la Saône et le pont qui la surplombe comme des voies de communication au sein de la ville, au même titre que des avenues, on constate qu'il est possible de lier entre elles la plupart des décisions politiques qui entrent dans le cadre de la gestion de la Saône à Lyon.

Annexe 1 - Liste des personnes qui contribuent au financement de la construction du port du Temple en 1508

Source : AML, DD 335, pièce 1

- Les religieux du couvent Saint-Antoine

- Les frères Tourveon (Jacques et Claude)

- Jacques Barondeau

- Côme de la Porte

- Estienne Guenard

- Michel Fontaine

- Benoît de la Planche

- Simon Boucher (« soufletier »)

- Anthoine Combe (« bolengier »)

- Jean-Gaston Perollier

- Léonard Colomb (« teinturier »)

- M. Dechasses (représenté par M. de Balmont)

Cette liste fournit donc le nom des différents propriétaires des maisons quisont les plus proches du port du Temple auxquels le consulat demande une

contribution aux frais de construction de ce nouveau port installé sur la rive gauche de la Saône en 1508. Les métiers de trois de ces personnes sont précisés et nous ne savons pour quelles raisons les autres propriétaires ne sont pas présentés ainsi.

Annexe 2- Plan de Lyon : récapitulatif des travaux et des aménagements portuaires effectués sur les rives de la Saône au XVIe siècle

Annexe 3- Liste des propriétaires qui s'opposent au consulat en 1547 au sujet de la destruction de leurs maisons, situées sur le pont de Saône

Source : AML, DD 310, pièce 32, pages 1 à 19.

- Les frères Claude et Guinet Thibault

- Claude Buffereau et Barbe Paris (respectivement veuve et fille de Mathieu Paris)

- Jherosme Guerrier - Humbert Jouvenel - Françoise These

- Anthoine, Claude, Anthoinette et Ysabeau Guérin (respectivement le père et ses trois enfants)

- Jehan Laurent

- Maître Barthélémy Faye et Catherine Faye (sa soeur)

A la fin de l'année 1546, le consulat décide d'entreprendre des réparations sur la premiere pile du pont de Saône, du côté de l'église Saint-Nizier. Pour cela, il décide de la démolition des maisons situées en ce lieu. Les propriétaires, recensés ci-dessus, s'y opposent et l'affaire est traitée en 1547 par le juge ordinaire de Lyon puis par la sénéchaussée. Le consulat obtient gain de cause. Ce dernier est

représenté, durant toute l'affaire par le procureur Jehan de la Bessée. Il est précisédans le document qu'un des propriétaires, maître Barthélémy Faye est « conseiller

du roi en la court de parlement à Paris ». Cela mis à part, aucune information complémentaire n'est fournie au sujet des différents plaignants.

Sources manuscrites

Archives municipales de Lyon

Série AA : Titres constitutifs et politiques de la commune ; correspondance générale (1245-1790)

- AA 020 et AA 021 : Correspondance reçue par la commune (1418 - 1788) - AA 024 à AA 028 : Correspondance reçue par la commune (1412 - 1788) - AA 150 : Copies de messages envoyés de la ville de Lyon (1418 - 1497)

Série BB : Administration communale (1294-1790)

- BB 022 à BB 131 : délibérations consulaires (1494-1594)

Série CC : Impôts, comptabilité (1278-1792)

- CC 465 à CC 4047 : comptabilité municipale

Série DD : Biens communaux, travaux publics, voirie (1183-1791)

- DD 003 à DD 005 : Suite de pièces conçues comme justificatives du droit de la ville qui sont soit dans des cas où la ville a exercé sa compétence de voirie, soit des actes royaux la confirmant (1475 - 1619)

- DD 256 : Dossier composite, «articles séparés de directe» concernant les ponts et les quais

- DD 310 : Edifices et ouvrages publics -- Ponts sur la Saône

- DD 316 : Edifices et ouvrages publics -- Ponts sur la Saône

- DD 323 : Edifices et ouvrages publics -- Ponts sur la Saône

- DD 333 à DD 341 : Quais et ports sur la Saône

Archives départementales du Rhône

Série B I &RXURIT IuUCIFTIRCMSCFiIg 5pHPe

- 5 B : Maîtrise des Eaux et Forests (1673-1790)

Série G : Clergé séculier

- 10 G : Chapitre primatial Saint-Jean (861-1852) 10 G 58 : Eaux et forests, broteaux, pesche (1361-1778) 10 G 572 : Jubilés (1500-1666)

10 G 860 : Crues de maisons le long de la Saône (1257-1620)

10 G 1824 : Saisie par le roi des îles et broteaux du Rhône et de la Saône dans la juridiction de l'Eglise de Lyon (1486-XVIIIe siècle)

Série H : Clergé régulier

- 13 H : Grands Augustins (1225-1790)

13 H 18 : Ordonnances du consulat de Lyon au sujet du droit de port des Grands Augustins sur le quai Saint-Vincent (1603-1639)

13 H 55 : Confrérie des pescheurs et des bateliers : fondation d'une messe en la chapelle Saint-Nicolas et don d'une vigne ; contestations et accords (1487-1734)

Sources imprimées

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RUBYS, Claude de, Histoire véritable de la ville de Lyon, Lyon, imprimeur Bonaventure Nugo, 1604, 527 pages.

Ouvrages comportant des descriptions de Lyon et sa région

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ESTIENNE, Charles, Guide des chemins de France, Paris, édité par Jean Bonnerot, 1935-1936 (publication commentée de la 3e édition datant de 1553), tome 1, 536 pages.

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ROSSIAUD, Jacques, Dictionnaire du Rhône médiéval (1300-1550), Tome 2, Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 2002, 368 pages.

Société de Savants et de Gens de Lettres, La Grande Encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, Tome 28, Paris, Société anonyme de la Grande Encyclopédie, sans date, 1256 pages.

Ouvrages d'histoire de l'eau

ASTRADE, Laurent, "Les crues et les inondations de la Saône", in La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, 552 pages.

AYALA, Grégoire, Lyon, les bateaux de Saint-Georges : une histoire sauvée des eaux, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2009, 127 pages.

Bateaux de Saône, mariniers d'hier et d'aujourd'hui, Chalon-sur-Saône, Société d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône, 90 pages.

BONNAMOUR, Louis, Archéologie de la Saône, Paris, co-édition Editions Errance et ville de Chalon-sur-Saône, 2000, 160 pages.

BOURGUENOT, Louis, LEFEBVRE, Raymond etc, Les Eaux et Forêts du XIIe au XXe siècle, Paris, Editions du C.N.R.S, collection Histoire de l'administration française, 1990, 767 pages.

LE LOUARN, Patrick, « L'eau, bien commun culturel ? », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, 253 pages.

MICHEL, Laurent, La Saône, frontière et trait d'union ; son histoire, ses riverains, son cours, Saint-Etienne, Editions Horvath, sans date, 191 pages.

MYNARD, Frantz, « Le fleuve et la couronne : contribution à l'histoire du domaine fluvial (1566 - 1669) », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, 253 pages.

RIETH, Eric, Des bateaux et des fleuves, Archéologie de la batellerie du Néolitique aux Temps modernes en France, Paris, Editions Errance, collection des Hespérides, 1998, 159 pages.

ROSSIAUD, Jacques, Le Rhône au Moyen Age, Paris, Flammarion, Collection Aubier, 2007, 648 pages.

Ouvrages d'histoire des villes et de la gouvernance urbaine

BOUCHERON, Patrick, MENJOT, Denis, BOONE, Marc, "La ville médiévale" in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, Tome 1 (pages 287 à 582), Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, 970 pages.

COURBIS, Eugène, La municipalité lyonnaise sous l'Ancien Régime, Lyon, Imprimerie Mougin Rusand, 1900, 181 pages.

DUMONS, Bruno, ZELLER, Olivier (dir.), Gouverner la ville en Europe, du Moyen-Age au XXe siècle, Paris, L'Harmattan, collection Villes, 2006, 183 pages.

LIGNEREUX, Yann, Lyon et le roi ; de la "bonne ville" à l'absolutisme municipal (1594-1654), Seyssel (Ain), Editions Champ Vallon, Collection Epoques, 2003, 846 pages.

ZELLER, Olivier, "La ville moderne", in PINOL, Jean-Luc (dir.), Histoire de l'Europe urbaine, de l'Antiquité au XVIIIe siècle, Tome 1 (pages 595 à 857), Paris, Editions du Seuil, Collection L'Univers historique, 2003, 970 pages.

Ouvrages sur le rapport ville-cours d'eau

GUILLERME, André, Les temps de l'eau ; la cité, l'eau et les techniques, Seyssel (Ain), Champ Vallon, 1983.

LABASSE, Jean, «Réflexion d'un géographe sur le couple ville-fleuve», in La ville et le fleuve, actes du colloque de Lyon (avril 1987), Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1989, 446 pages.

DELLUS, Jean, FREBAULT, Jean, RIVET, Martine, «Lyon, ville fluviale», in La ville et le fleuve, actes du colloque de Lyon (avril 1987), Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1989, pages 37 à 48.

MANDY, Francis, «La navigation saônienne», in La ville et le fleuve, actes du colloque de Lyon (avril 1987), Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1989, pages 187 à 197.

NICOLAS, Michel (commissaire de l'exposition), Une femme, deux fleuves, un lion, catalogue de l'exposition des Archives municipales de Lyon, février-mars 1990.

ROSSIAUD, Jacques, « Fleuve et cité, fête et frontière : la sensa lyonnaise des années 1500 », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, 552 pages.

ZELLER, Olivier, « La Saône, axe migratoire vers Lyon au XVIe siècle ? », in BRAVARD, J.-P., COMBIER, J., COMMERCON, N. (dir.), La Saône, axe de civilisation, Actes du colloque de Mâcon (2001), Presses universitaires de Lyon, 2002, 552 pages.

Ouvrages sur l'aménagement urbain et les infrastructures fluviales

BURNOUF, Joëlle, GUILHOT, Jean-Olivier, MANDY, Marie-Odile, ORCEL, Christian, Le Pont de la Guillotière ; Franchir le Rhône à Lyon, Lyon, éditions de la Circonscription des Antiquités historiques, collection Documents d'archéologie en Rhône-Alpes, n°5, 1991, 193 pages.

MESQUI, Jean, Le Pont en France avant le temps des ingénieurs, Paris, Editions Picard, Collection Grands Manuels, 1986, 303 pages.

MISSOL-LEGOUX, Bernard, La voirie lyonnaise du Moyen-Age à la Révolution, Lyon, Thèse de doctorat en droit, 1966, 240 pages.

PRADE, Marcel, Les ponts, monuments historiques, Poitiers, Editions Brissaud, Collection Art et Patrimoine, 1986, 429 pages.

PELLETIER, Jean, Ponts et Quais de Lyon, Lyon, Editions lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2002, 128 pages.

ROCH, Jean-Baptiste, Histoire des Ponts de Lyon de l'époque gallo-romaine à nos fours, Lyon, Editions Horvath, 1983, 167 pages.

VIAL, Eugène, "Les voyers de la ville de Lyon", in Revue d'Histoire de Lyon, Tome 10, année 1911, Lyon, A. Rey et Compagnie (imprimeurs-éditeurs), 1911, pages 180 à 197.

Table des matières

INTRODUCTION 4

Première Partie : Prérogatives et juridictions fluviales de l'échelle nationale à la ville

de Lyon 11

Chapitre I : Le pouvoir royal et les cours d'eau 12

A. Le statut des fleuves et rivières du royaume 13

B. Le roi, seigneur des rivières navigables 18

C. La Maîtrise des Eaux et Forêts 23

Chapitre II : Droits et autorités sur la Saône à Lyon 30

A. La juridiction de la Saône 31

B. La voirie, une prérogative consulaire 37

C. Chevauchement d'autorités ; l'affaire Pierrevive 41

Deuxième partie : Représentations et usages de la Saône à Lyon 49

Chapitre III : Perception et gestion des risques 50

A. Une rivière paisible 51

B. Les aléas climatiques 56

C. Pollution de l'eau et risques sanitaires 61

Chapitre IV : Navigation et activités fluviales 68

A. « Esbat et recreation » sur la Saône 69

B. La Saône, un axe de circulation 75

C. Enjeux et contrôle de la navigation saônienne 81

Troisième Partie : Les infrastructures saôniennes 90

Chapitre V : L'aménagement des berges 91

A. Description des rives de la Saône 92

B. Evolution des structures portuaires 97

C. Financement des travaux aux ports 103

Chapitre VI : Franchir la Saône à Lyon 111

A. Le pont de pierre 112

B. Les autres moyens de traverser la rivière 119

C. L'enjeu de la circulation dans la ville 125

CONCLUSION 133

Annexe 1 - Liste des personnes qui contribuent au financement de la construction du

port du Temple en 1508 138

Annexe 2- Plan de Lyon : récapitulatif des travaux et des aménagements portuaires effectués sur les rives de la Saône au XVIe siècle 139

Annexe 3- Liste des propriétaires qui s'opposent au consulat en 1547 au sujet de la destruction de leurs maisons, situées sur le pont de Saône 140

Sources manuscrites 141

Sources imprimées 143

Bibliographie 145






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