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Lyon et la Saône au XVIe siècle

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par Katherine DANA
Université Jean Moulin - Lyon III - Maitrise 2009
  

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Chapitre I : Le pouvoir royal et les cours d'eau

Le réseau fluvial dans le royaume de France est très dense et représente, par conséquent, un enjeu national à la fois politique et économique. En effet, le dominer participe de la maîtrise générale des déplacements et des échanges, qui constitue « la source moderne du pouvoir »1. Il s'agit ici de s'intéresser à la perception des juristes et à la prise en charge par le pouvoir politique des cours d'eau dans l'ensemble du royaume de France au XVIe siècle et donc, finalement, aux prérogatives des souverains sur ceux-ci d'un point de vue théorique comme sur le plan pratique. Pour cela, il semble utile, tout d'abord, de définir le statut des fleuves et rivières de France afin de déterminer ceux qui relèvent de la juridiction royale au XVIe siècle. Ensuite, il s'agira d'analyser les conséquences et les enjeux auxquels sont confrontés les rois de France. Enfin, nous nous intéresserons aux moyens mis en oeuvre par le pouvoir royal pour appliquer ses décisions en matière de cours d'eau mais aussi aux décisions en elles-mêmes.

1 MYNARD, Frantz, « Le fleuve et la couronne : contribution à l'histoire du domaine fluvial (1566 - 1669) », in LE LOUARN, Patrick (dir.), L'eau ; sous le regard des sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, collection Logiques sociales, 2007, pages 186-187.

A. Le statut des fleuves et rivières du royaume

Le statut des cours d'eau du royaume de France constitue un des nombreux éléments définis par les différents juristes dès la fin du Moyen Age, mais surtout aux XVIe et XVIIe siècles, dans le cadre du processus général de redéfinition et d'affermissement de l'autorité royale.

Jean Bouteiller, conseiller au Parlement de Paris à la fin du XIVe siècle, semble être un des premiers auteurs modernes à avoir esquissé une définition juridique et une catégorisation des cours d'eau2. Ce travail s'inscrit dans une démarche beaucoup plus large puisqu'il a réalisé une présentation complete des différentes autorités, de leurs prérogatives et des types de droits qui s'appliquent dans le royaume, du droit naturel au droit écrit, des prérogatives seigneuriales à celles des autorités religieuses. De plus, il s'intéresse à des cas particuliers qui, selon lui, nécessitent d'être éclaircis.

C'est justement en s'intéressant à la juridiction des « rivieres courans parmy la terre d'aucun seigneur » qu'il propose une caractérisation des cours d'eau. Jean Bouteiller distingue, dans un premier temps, les « grosses rivieres » qui « sont au Roy nostre Sire » ; il fournit quelques exemples pour illustrer son propos tels que la Seine, l'Oise ou encore la Somme. Il ajoute aussitôt qu'aux seigneurs « parmy la terre desquels les rivieres passent, leurs terres et seigneuries vont iusques en l'eauë ». Même si son propos reste assez vague, il semble d'emblée supposer un chevauchement d'autorité ou, d'un autre point de vue, que l'eau appartient au roi alors que les rives relèvent des possessions seigneuriales. Néanmoins, le roi reste décrit comme le propriétaire des grandes rivières et donc l'autorité principale en la matière.

Aux « grosses rivieres », Jean Bouteiller oppose, de façon logique, les « petites rivieres » : ces dernières mesurant en moyenne sept pieds de large contre quatorze pieds pour les premières selon sa propre définition. En complément de cet ordre de grandeur, par ailleurs assez peu satisfaisant car exprimé en moyenne et

2 BOUTEILLER, Jean, Somme rural ou le grand coustumier général de praticque civil et canon, Paris, Barthélémy Macé, 1603 (édition du manuscrit annotée par Loys Charondas le Caron), Titre LXXIII, page 428.

malaisé pour distinguer des rivières dont le cours est variable notamment en fonction des saisons, l'auteur précise que ces cours d'eau « ne portent point de navire ». Le critère principal de différenciation est donc la navigabilité de la rivière. En ce qui concerne la possession des rivières non praticables, le juriste affirme qu'elles sont « aux seigneurs parmy qui terre et seigneurie elles passent ».

Jean Bouteiller offre donc dans sa Somme un éclairage sur la propriété qui s'exerce sur les rivières dans le royaume de France et donc sur les droits qui en découlent ; les cours d'eau navigables appartiennent au roi alors que les autres sont la propriété des seigneurs dont les possessions terrestres sont traversées par ceux-ci.

Cet ouvrage imprimé de Jean Bouteiller possède une caractéristique tout à fait intéressante : il s'agit de l'édition de 1603 du manuscrit réalisé deux siècles auparavant et celui-ci a été annoté par le jurisconsulte Loys Charondas le Caron (1534-1613). Chaque partie, dont celle qui concerne les rivières, est résumée et réactualisée par ce dernier. Ainsi, il nous est possible d'analyser, au moins partiellement, l'évolution de la perception juridique des cours d'eau de la fin du Moyen Age au début du XVIIe siècle et donc d'en déduire celle du XVIe siècle.

Charondas le Caron confirme la distinction entre rivières royales et seigneuriales mais aussi que le critère de différenciation est la possibilité ou non de naviguer sur celles-ci. Il ajoute néanmoins plusieurs précisions au propos de Jean Bouteiller et particulièrement au sujet du pouvoir local sur les rivières navigables. La première concerne la possession seigneuriale : le juriste affirme que les rivières que les « seigneurs prétendent à eux, à cause de leur seigneurie » ne leur sont dues que par la « concession des Roys »3. Il ajoute ensuite que « par le droict commun du Royaume, tous fleuves navigables sont reputez estre du domaine du Roy, et lui appartenir à cause de sa couronne ». La définition est, cette fois, plus précise et tranchée : toutes les rivières navigables appartiennent au domaine de la Couronne et les différents seigneurs qui en possèdent sont redevables à leur souverain. Ainsi, l'on peut supposer déceler ici les traces d'une affirmation progressive du pouvoir royal sur les rivières ou, plus simplement, un caractère juridictionnel indéniablement acquis.

3 Ibid., page 429.

Les autres informations apportées par Charondas le Caron sont plus techniques et précises. Tout d'abord, il ajoute que les « isles, iaveaux, atterrissemens et establissemens estans esdicts fleuves et rivieres navigables et publics " appartiennent au roi. Il précise enfin que sur les rivières royales, leurs rives et les îles qu'elles comportent, « nul n'y doive entreprendre » puisqu'il s'agit du domaine du roi : ce domaine, terrestre comme fluvial, dépend directement de son autorité. L'auteur appuie son propos par une référence à l'ordonnance royale du 7 juillet 1572. En effet, cette décision4 de Charles IX traite de la question des îles, îlots et « atterrissemens ". Ce dernier terme correspond sans doute aux lieux oü l'on peut accoster voire, plus largement, aux berges puisque lorsque Cardin le Bret évoque5, lui aussi, l'ordonnance de juillet 1572, il écrit que cette décision concerne « les eaux, les bords et les rivages des fleuves ".

Le texte royal a comme objectif premier d'envoyer des représentants royaux inspecter les « entreprinses faictes sur les îles, attérissemens et assablissemens des principales rivières [...] qui de disposition de droit nous appartiennent et font partie du domaine de nostre couronne ". Il est ajouté plus loin que cette disposition comprend également les affluents et les rivières de moindre importance ; en bref tous les îles et rivages des cours d'eau du royaume doivent être inspectés. Toutes les personnes qui « prétendent lesdites îles et attérissemens leur appartenir " doivent justifier leur possession par des titres de propriété aux commis royaux et dans le cas contraire, il « sera procédé à la saisie réelle et actuelle desdites îles et attérissements ". Cette déclaration royale montre un progrès de l'autorité du roi, une maîtrise accrue des cours d'eau mais révèle aussi un intérêt croissant du pouvoir royal pour ceux-ci puisqu'en plus de la juridiction des rivières, il s'attribue celle de leurs rives et des îles qui en font partie.

René Choppin fait lui aussi référence6 à la décision du 7 juillet 1572, prise par Charles IX, et donne son avis à ce sujet. Il considère que ce texte ne « suit point la disposition du Droict Romain [...] par lequel l'Isle est adiugée à celuy qui a des

4 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, Tomes IX à XV (1438-1610), Ridgewood (New Jersey, U.S.A.), The Gregg Press Incorporated, 1964 (1e édition à Paris entre 1822 et 1833), ordonnance du 7 juillet 1572.

5 CARDIN LE BRET, De la souveraineté du Roy, Paris, Toussaincts du Bray, 1632, pages 282-283.

6 CHOPPIN, René, Trois livres du domaine de la couronne, Paris, Michel Sonnius, 1613, Chapitre XV, pages 168 à 177.

terres plus proches de la Riviere » et soutient son affirmation en rappelant que c'est ce qui est décrit par Pline, au chapitre 88 de son Histoire. Il est donc défavorable à cette saisie sous la main du roi des îles fluviales puisqu'elle va à l'encontre du droit romain et de l'usage. En effet, il considère qu'il est « une chose peu rigoureuse de faire perdre la possession de ces Isles à ceux qui en ont iouy l'espace d'un long temps ». En quelque sorte, Choppin assimile cette décision à une appropriation royale injustifiée, une spoliation, qui s'applique au détriment de la possession séculaire et donc de la coutume.

A l'instar de Jean Bouteiller, René Choppin distingue deux types de rivières : « les unes sont Royales, les autres Bannales ». Les dernières sont les rivières seigneuriales c'est-à-dire celles qui sont sous l'autorité du seigneur (ou, plus souvent, des seigneurs) des terres qu'elles traversent. Cette possession seigneuriale, selon Choppin, est légitimée soit par une permission du roi soit, encore une fois, par l'ancienneté de la possession. Choppin semble être un des rares auteurs à nuancer à la fois le statut royal des cours d'eau par le critère d'ancienneté de la propriété seigneuriale et l'intégration des îles fluviales dans le domaine de la Couronne. En ce qui concerne le premier point, il ne peut cependant pas remettre en cause la juridiction royale, affirmée au moins dès la fin du Moyen Age, des rivières et fleuves navigables du royaume ; que celle-ci soit directe ou par l'intermédiaire d'un seigneur.

Enfin, cet état de fait est totalement admis par deux autres auteurs du début du XVIIe siècle. C'est le cas, tout d'abord, d'Antoine Loysel, pour qui la question ne se pose pas : il affirme7 en effet sans détour que « les grands chemins et rivières navigables appartiennent au roi ». Il rejoint donc ici l'ancienne analyse de Bouteiller et des autres juristes, d'autant plus que les petites rivières (donc non navigables) relèvent, selon lui, de la juridiction seigneuriale concernée. Néanmoins, comme René Choppin, il perçoit les îles au même titre que les petites rivières c'està-dire relevant d'une autorité locale. Il ne prend donc pas en compte la décision

7 LOYSEL, Antoine, Institutes coutumières ou Manuel de plusieurs et diverses règles, sentences et proverbes, tant anciens que modernes du droit coutumier et plus ordinaire de la France, Tome 1, Paris, imprimerie de Crapelet, 1846, article 232, page 245.

royale de Charles IX, précédemment évoquée, qui concerne la propriété des îles même si celle-ci a été entérinée par le Parlement de Paris le 30 octobre 15728.

Cardin Le Bret, quant à lui, réalise une synthèse9 très claire au sujet de la possession des cours d'eau, qui confirme les éléments présentés précédemment et qui constitue une conclusion de ceux-ci. Tout d'abord, les cours d'eau navigables relèvent du pouvoir royal et les autres rivières « appartiennent en propriété aux Seigneurs des terres qu'elles arrousent ». Il précise que « lors que les droits du Roy n'estoient pas bien cogneus, on accordoit plusieurs droits aux Seigneurs hautsIusticiers, qui estoient voysins des grands fleuves », notamment les droits de pêche ou l'usage des îles et des rivages mais que ceux-ci ont été supprimés au profit du roi. L'ordonnance du 7 juillet 1572, qu'il évoque en ce sens, constitue donc l'appropriation par le pouvoir royal de la juridiction suprême des cours d'eau navigables du royaume puisqu'en plus de l'eau et de ses ressources, le roi devient le seigneur des îles et des rivages de ces mêmes cours d'eau.

8 ISAMBERT, JOURDAN, DECRUSY, ARMET, TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois op. cit., ordonnance du 7 juillet 1572.

9 CARDIN LE BRET, De la souveraineté op. cit., chapitre XII, pages 277 à 285.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand