3.3 PROFIL DE LA POPULATION DE L'ENSEIGNEMENT
SPECIAL
BINET et SIMON font rarement reference au milieu
sociau x lorsqu'ils insistent sur « la necessite d'etablir un diagnostic
scientifique des etats inferieurs de l'intelligence68 ». En
revanche, ils soulignent le fait que c'est au sein des ecoles de quartiers
pauvres que l'on va trouver le contingent requis pour legitimer la constitution
d'une classe speciale « Il n'y a guere d'ecole importante qui ne puisse
fournir au moins une classe d'arrieres. Maintes statistiques nous l'ont montre
et nous n'avons pas eu de peine a trouver immediatement les elements d'une
classe de ce genre dans une ecole de quartier pauvre69
».
C'est dans « l'interet des parents70
» de familles pauvres qui que BINET veut creer des classes speciales.
Selon lui, les « moins fortunes » n'ont pas honte de leurs anormaux,
contrairement aux bourgeois qui les abandonnent au loin (dans des institutions
privees)71 « Les gens du peuple ont plus de cceur ou moins de
prejuges bque les bourgeois]. L'ecole d'anormaux ne les effrayera pas plus que
l'hospice72 »
L'ecole n'a pas, a l'epoque, la place determinante
qu'elle occupe aujourd'hui dans la trajectoire socio-professionnelle, les
conditions de vies des classes populaires sont telles que BINET affirme «
Si ces peres et meres de la classe ouvriere apprennent qu'il existe quelque
part un internat oG les enfants recoivent le vivre, le couvert et le vetement,
ils s'empresseront de faire admettre leurs enfants meme normaux dans cet
internat, alors meme qu'il serait su que cet internat ne recoit que des
debiles, des arrieres, des fous73 ». Il est persuade que ces
familles n'opposeraient aucune resistance a cette orientation. A cette epoque
l'ecole n'est pas envisagee comme le principal moyen d'ascension
sociale.
L'institution scolaire n'a pas encore cette
pretention.
Nous connaissons depuis les annees 6'3, les mecanismes
de reproduction sociale de l'Ecole democratique legitimes par son ideologie de
l'egalite des chances. Des auteurs tels que Pierre BOURDIEU et Jean-Claude
PASSERON dans leur livre Les Heritiers ont montres le role de l' «
heritage culturel » que les enfants des classes favorisees tiennent de
leur milieu familial. Ces privileges
68 BINET et SIMON, op. cit.
p.14.
69 BINET et SIMON, op. cit.
p. 117
7'3
Ibidem
71 Ibidem
72 Ibidem
73 Ibidem
sociaux se transforment soit en « merite » soit
en « dons » et representent la « violence symbolique »,
theorie developpee dans La Reproduction.
Il y a une distance, souvent meme un fosse, entre le
milieu scolaire et les milieux sociaux populaires. Nous pensons que cette
distance est due, en grande partie, au fait que le milieu scolaire vehicule la
culture de la classe sociale dominante et definit les cultures populaires en
termes d' « anormalite » par rapport a ce que Pierre BOURDIEU a
qualifie d'arbitraire culturel. Une hierarchie est etablie entre ceux qui sont
capables d'utiliser le « travail verbal » et ceu x qui n'en sont pas
capables et pour cette raison, ne sont capables que de « travail concret
».
Nous l'avons vu plus haut, cette distinction
s'apparente a celle de l'Organisation Scientifique du Travail, qui se fonde sur
la distinction entre travail de conception et travail d'execution.
Les travau x de Basil BERNSTEIN74 etayent
une telle analyse, ils montrent que le langage, au sens large, differe
systematiquement selon les classes sociales75. Un code « commun
» ou « restreint » est utilise par tous les membres de la
societe alors que les membres des milieux relativement favorises utilisent, en
outre, un code « formel » ou « elabore » 76.
Les pratiques educatives des milieux favorises
tendent, selon B. Bernstein, a « inhiber la communication directe de
l'affectivité et du meme coup, les comportements impulsifs,
préparant ainsi la voie au controle du comportement par
l'intermédiaire des significations verbales, ce qui maximise les
possibilités de régulations et de manipulations rationnelles
», « L'enfant apprend très tot a preter une attention au canal
verbal (...) Il en vient a concevoir le langage comme un ensemble de
possibilités théoriques utilisables pour présenter aux
autres son expériences dans sa particularité77.
»
C'est en ce sens que Jacques BUDE soutient que
l'ideologie, par le biais de la science psychologique, postule que le
developpement normal de tout etre humain s'apparente a l'acquisition
progressive d'une mentalite socialement situee. :« La pensée
instrumentale abstraite, hypothético-déductive et centrée
sur le sujet constitue l'armature que la nouvelle idéologie, et partant
la nouvelle psychologie assimilent au développement de tout etre humain
(...) Cette idéologie et partant la psychologie qui en formule
l'essentiel, érigeraient en critère de normalité : pour
l'adulte, l'acquisition de la mentalité des milieux socialement
privilégiés et, pour
74 BERNSTEIN B., «
Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social
», Les Editions de Minuit, Paris, 1975.
75 BERNSTEIN B., op.
cit.
76 BERNSTEIN B., op.
cit.
77 BERNSTEIN B., op.
cit.
l'enfant, un certain rythme d'acquisition de cette
mentalite fondee sur la comptabilite des plaisirs et des peines, sur le bilan
du progres individuel78 »
Le rythme d'acquisition de la mentalite des milieux
sociau x privilegies qui sont fondees sur ce critere de normalite fait dire a
Jacques BUDE que les tests d'intelligence ne « mesurent pas des capacites
constitutives de tout etre humain dont certains seraient mieux pourvus par la
nature que d'autres79 », mais il souligne la place accordee par
les tests d'intelligence au « facteur verbal » du fait de sa fonction
discriminatoire « Il est evidemment tres significatif a cet egard que ce
soit precisement la composante des echelles de Q.I que le jargon scientifique
des psychologues qualifie de « facteur verbal », qui presente les
plus fortes differences -- et donc le plus grand pouvoir de discrimination --
selon les classes sociales ainsi que la correlation la plus elevee avec le
niveau socio-economique, l'acces a l'universite et aux professions
privilegiees, telles les professions liberales et les fonctions de cadres
superieurs80. »
Les entretiens avec les chefs d'etablissements
primaires (special) confirment le fait que leurs eleves sont majoritairement
« recrutes » dans les milieux sociau x les plus defavorises. Face a
un diagnostic scientifique les familles des milieux populaires n'ont que peu de
ressources et leur degre de resistance face a l'institution s'en ressent. Les
parents de milieux privilegies non seulement y sont moins souvent confrontes
mais ils ont aussi le moyen d'ignorer les directives de
l'institution.
Dans la description du profil de la population
scolaire tel que l'expriment les chefs d'etablissements, le type de handicap
est la premiere indication qui est donnee. Nous avons alors tente de cerner la
nature socio-culturelle des handicaps au travers des variables telles que la
langue maternelle, le niveau d'etude, la categorie socio-professionnelle des
parents81- et les quartiers oil habitent les familles.
Nos observations dans les ecoles speciales et au
Centre d'accueil meresenfants, nous a revele la grande proportion d'enfants
issus de l'immigration (voire aussi les donnees chiffrees) dans l'enseignement
special, nous avons tente de comprendre, a travers le discours des chefs
d'etablisssements,
78 BUDE J., op.
cit.
79 BUDE J., op.
cit.
80 BUDE J., op.
cit.
81- Nous n'avons pas pu
obtenir des informations sur les categories socio-professionnelles des
familles. Des lors, nous sommes conscients que les informations obtenues sur le
niveau
d'etude des parents sont appro ximatives et font partie
des representations des chefs d'etablissements concernant les milieux
socio-culturels des enfants frequentant leurs ecoles.
Ce qui n'est par ailleurs pas sans inter)t puisque c'est
ce que nous voulons etudier.
comment cette surrepresentation de la population issue
de l'immigration dans l'enseignement special etait justifiee. Il y a egalement
une surrepresentation des garcons dans l'enseignement special qui saute aux yeu
x dans les statistiques propres aux ecoles.
Nous avons tente de cerner la population scolaire de
l'enseignement special a travers les questions suivantes :
Pourquoi y avait-il autant d'enfants des milieux
populaires dans l'enseignement spécial ? Pourquoi les enfants issus de
l'immigration y sont-ils surreprésentés ? Comment un test
multidisciplinaire, marqué culturellement, peut-il prétendre
repérér les enfants « déficients intellectuels »
de milieu social et/ou culturel indifférencié ?
Le quartier
A l'instar de Stephane BEAUD , « Aujourd'hui
habiter un « quartier défavorisé », c'est savoir qu'on
ne peut pas échapper -- ou très difficilement -- au lieu et a ses
affiliations obligées. Pour les enfants, c'est ne pas pouvoir
échapper au quartier et au collège du quartier82
», notre enquete a revele l'inscription de l'enseignement special, pour
les enfants dits « deficients intellectuels », dans les quartiers
defavorises.
L'enquete a debute dans un quartier defavorise de
Bruxelles a forte proportion d'immigres. Les temoignages recoltes indiquaient
que lorsque certains enfants du quartier ne « suivaient » pas dans le
cycle primaire, ils etaient orientes vers l'ecole d'enseignement special situe
dans ce meme quartier. Nous avons voulu en savoir plus sur la dimension du
quartier en interrogeant les directeurs d'ecole sur les liens entre la
population du quartier en question et l'orientation vers cette ecole
d'enseignement special
Le discours sur le ramasssage scolaire, le « tous
egau x devant le ramassage scolaire », occultait quelque peu l'origine
sociale des enfants qui frequentent cet enseignement au debut :
L'enseignement special est sectorise, on a un sec teur
geographique qui a ete delimite par la Communaute frangaise, qui est en fait
un sec teur de ramassage scolaire. On va ramasser les enfants avec deux
grands cars
82 BEALID S., « 80% au
bac...et après, les enfants de la démocratisation scolaire
», La Decouverte, Paris, 2002.
scolaires (les enfants de moins de 12 ans peuvent beneficier d'un
transport scolaire gra tui t).
Mais assez vite le masque tombe lorsqu'il s'agit
d'etablir les quartiers par lesquels passent les cars scolaires :
On a un pourcen tage beaucoup plus eleve d'enfants immigres,
ca c'es t sur mais on est aussi situe dans un quar tier defavorise e t les
zones de ramassage scolaire se portent quand meme en grande par tie dans des
espaces defavorises.
Une directrice e xplique a quel point la dimension de la
population fortement defavorisee joue un role dans la definition meme du
handicap.
Selon elle, il y a de « meilleurs types 1 et 8
» dans les quartiers plus aises, elle parle d'ecoles speciales du Sud de
Bruxelles (Woluwe et La Hulpe) et affirme que « dans ces ecoles
d'enseignement specialise, les enfants de type 1 et 8 ont des Quotients
Intellectuels qui peuvent aller
jusque 90 alors que dans le
quartier X [oil l'ecole est situee], il ne depasse quasi jamais 70
».
La nationalité
L'ecole situee dans le quartier defavorise oil nous
avons commence notre enquete a bien voulu nous fournir ses statistiques en
termes de nationalites (et de sexe). Ainsi, nous avons observe que plus d'un
quart de la population de cette ecole se trouve dans la categorie hors Union
europeenne.
Ainsi au 15 janvier 2002, sur 135 eleves, il y a 107
eleves de l'Union Europeenne (dont 88 belges, 8 italiens, 4 Portugais, 4
français, 2 espagnols, et 1 grec) et 58 eleves hors Union Europeenne
(dont 31 marocains, 9 turcs, 6 congolais (Rep. Dem du Congo et Rep. Pop . de
Brazzaville) et un guineen, un armenien, un jordanien, un liberien, un
mauritanien, un libanais, un slovene, un somalien, un tunisien et un refugie de
l'ONU.
Ces chiffres ne nous revelent finalement pas
grand'chose sur les milieux sociaux des enfants inscrits dans cette filiere car
selon les dires de la directrice « un grand nombre de familles
naturalisées (donc dans la catégorie belge) sont d'origine turque
ou maghrébine ». Au detour d'une conversation, la directrice nous
apprend que la majorite de ses eleves sont musulmans et que les cours se
donnent « dans le respect de toutes les religions ».
Dans une autre ecole situee dans la meme commune, une
autre directrice nous confirme ces informations :
Sur 134 eleves nous avons 99 belges (parfois naturalises
depuis peu) e t 35 eleves e trangers83. Vous savez aujourd'hui
"belge" ne represente plus grand chose, il y a de nombreux immigres de seconde
generation naturalises belges. Depuis une dizaine d'annees, il y de plus en
plus d'enfants d'Europe de l'Es t, des Albanais, des Yougoslaves, des enfants
du petit chateau.
Avez-vous remarque des changements dans le profil de
votre population scolaire ?
Oui, des cas de familles defavorisees e t en souffrance, de
plus en plus nombreux, avant c'e tai t lie au probleme scolaire pur e t c'e tai
t des problemes d'enfan ts. Maintenan t quand on inscrit un enfant, on inscrit
l'enfant et sa famille. On a de plus en plus de sollici ta tions e t de besoins
au niveau des familles. Ici a l'ecole, on a un ves tiaire de seconde main, une
banque alimentaire, on a plein de choses, on a une assis tante sociale qui
passe sa journee a essayer de faire le lien entre les familles e t l'ecole e t
qui ecoute un petit peu tou tes les demandes, toutes les attentes. De mon cote,
c'es t la même chose, je regois des parents, j'en ai regu 3 ce matin, ca
n'allai t pas. Il y a de plus en plus de familles dechirees, de familles
recomposees, de gardes alternees, de problemes d'argent, beaucoup de femmes
seules... De plus en plus d'enfants en mal d'être, des enfants qui ont
besoin de parler, qui ne sont pas vandales mais qui s'exprimen t verbalement de
fagon tres agressive, ca n'exis tai t pas il y a quelques annees ce probleme
la.
La langue maternelle
N'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur l'orientation
d'enfants dans une ecole pour deficients intellectuels alors que visiblement il
s'agit en grande partie d'un probleme d'adaptation a la culture scolaire, tel
que le met en evidence notre enquete. Plutôt que de chercher s'il s'agit
d'un probleme lie a l'origine sociale ou culturelle, nous avons prefere nous
referer au concept d'adaptation a la culture scolaire qui comprend tous ceu x
qui ne correspondent pas a la norme culturelle dominante qu'ils soient issus
d'une classe sociale populaire ou de l'immigration. Chez les enfants issus de
l'immigration, la reference a deux systemes linguistiques peut ralentir
l'apprentissage de la lecture et de l'ecriture et n'est pas pour autant un
signe de deficience. Cette reference a deux systemes est renforcee par le
faible niveau d'etude des parents, bien souvent les parents ne parlent pas ou
peu la langue d l'ecole.
[A propos du niveau d'e tudes des parents de l'enseignemen t
special, un des chefs d'e tablissemen ts nous di t :.] Oh ! C'es t tres maigre
vous savez e t tres peu de parents travaillent, tres peu e t malgre le fait
qu'on arrive a la 3eme generation, on a encore beaucoup de parents qui ne
s'expriment pas correc tement en frangais.
Il y en a beaucoup qui viennent de leur pays e t qui n'ont pas
fait grand chose e t alors ceux qui ont vecu ici e t qui ont fait leurs etudes
ici ne sont pas tres loin non plus, moi je dirais que c'es t tres faible mais
on a jamais fait de sondage, je n'ai jamais demande aux parents quel e tai t
leur dernier diplome !
Lorsque les enfants arrivent chez vous parlent-ils tous
le francais ?
Non, ils apprennent sur le tas, rien de tel qu'un bain de
langues, nous avons des enfants de tou tes les na tionali tes, souvent leur
langue ma ternelle n'es t pas le frangais.
Ils on t des problemes de langue, de vocabulaire (...)
L'oral se travaille dans la vie familiale, les tournures de
phrase, la grammaire, le vocabulaire,... Si, a la maison, on parle turc,
yougoslave,... l'enfant va accumuler un retard scolaire.
Un enfant qui voyage, qui va dans les musees a necessairement
plus de chances d'enrichir son vocabulaire. (...) Il y aussi de nombreuses
familles recomposees e t monoparen tales.
La grande proportion d'enfants issus de
l'immigration
Quand on sait qu'il y a de nombreux enfants immigres,
comment se passe ces tests pour des enfants qui n'ont pas l'habitude de parler
francais ou ne le parle pas du tout a la maison ?
Il faut se dire que l'enseignemen t specialise n'es t pas
ouvert a tous les problemes rencontres par les enfants ni a tous les echecs. Il
fau t dis tinguer les retards pedagogiques des troubles d'apprentissages e t
ins trumentaux (type 8). Dans les troubles d'appren tissages, il y a tous les
dys (dyslexiques, dysor thographiques, discalculiques,...), les problemes ins
trumen taux, ce son t tous les problemes proches du schema corporel, de
l'orienta tion dans le temps e t l'espace e t les troubles du langage.
Tous les enfants immigres n'ont pas des problemes
d'apprentissage ou de troubles ins trumen taux, ils on t simplement des
problemes au niveau de
leurs apprentissages mais ils n'on t pas necessairement des
troubles d'apprentissages, il fau t bien faire attention a ne pas confondre les
deux.
Selon vous, pourquoi y a-t-il de nombreux enfants issus
de l'immigration dans l'enseignement special ?
Moi je crois que si on a beaucoup d'enfants immigres c'es t
parce que se son t beaucoup d'enfants de milieux sociocul turels defavorises.
Dans no tre population, c'es t la qu'il fau t chercher. Il y a une autre source
d'explica tion, c'es t les mariages consanguins, il y a beaucoup de mariages
consanguins surtout chez les familles turques, plus que chez les familles
marocaines encore e t souvent dans les mariages consanguins, on trouve tou te
une lignee d'enfan ts avec des problemes de deficience. C'es t un probleme de
culture ca, c'es t quelque chose qu'on a du mal a expliquer aux familles mais
ca arrive frequemment, peu t-ti tre que dans la generation suivante, ca n'exis
tera plus comme avant ca je n'en sais rien, c'es t l'avenir qu'il nous le
dira.
Les enfants parlent arabe entre euxm
?
Ils ne peuven t pas, c'es t completement in terdi t ca, nous
avons 28 nationalites ici alors on ne peut pas se perme ttre de parler dans sa
langue. Cela se pra tique dans les classes de primo-arrivants parce que c'es t
une fagon d'entrer en communication mais ici jus temen t dans le proje t de l'e
tablissement c'es t la communication, la verbalisation mais en frangais!
Le fait qu'un grand nombre d'eleves soient issus de
l'immigration creuse un fosse entre l'ecole et les parents qui, tres souvent ne
parlent pas la langue de l'ecole.
On a encore beaucoup de parents qui ne s'expriment pas correc
tement en frangais.
Vous faites comment alors pour communiquer ?
Ben, on essaye de voir les parents plutot face a face parce
qu'alors on peut s'exprimer avec des ges tes e t on se comprend un peu
mieux, on arrive ainsi
m Nous avons pose cette
question parce qu'en attendant que la directrice veuille bien nous recevoir,
nous avons entendu un certain nombre d'enfants parlant arabe dans les couloirs.
On se souviendra que lors d'un entretien avec une fille issue de l'enseignement
special, nous avions releve l'importance qu'elle accordait a parler sa langue
maternelle a l'ecole (et pas a la maison). C'etait aussi une maniere detournee
de poser une question en rapport avec l'immigration autrement qu'en terme de
nationalite.
a se faire comprendre. Il y a le cafe des mamans qui est un
espace d'ouverture aussi, il y a l'ecole des devoirs qui est aussi un fameux
lien car il y a un assistant social tunisien qui parle arabe, donc c'es t quand
meme une perche pour pas mal de gens. Mon homme d'entre tien parle arabe
aussi.
Nous avons finalement peu de contacts avec les parents car ils
son t peu nombreux a conduire les enfants eux-memes a l'ecole (ramassage
scolaire). Il y a eu un moment une idee de cons ti tuer une association de
parents d'eleves mais il n'y a pas eu de suite. Les contacts se limi tent aux
reunions de parents, là nous faisons appel a des interpretes du Rom,
turque e t arabe (au CIRE).
La surreprésentation des garcons dans
l'enseignement special
Nous avons 135 eleves, 88 garcons e t 47 filles
S'il y a une surrepresentation des garçons dans
l'enseignement special, c'est d'une part parce que les garçons sont
souvent plus « en retard » que les filles, redoublent plus, bref
reussissent moins bien a l'ecole comme l'a demontre une etude dirigee par Mateo
ALALUF85 portant sur la reussite scolaire et les inegalites
d'orientation en terme de genre et ; d'autre part parce que selon la typologie
de BINET les garçons font plus souvent partie de ceu x qu'il a qualifies
d'instables, ceux qui sont hostiles a l'ecole, turbulents et
indisciplines.
Comme l'a e xplique Stephane BEAUD au sujet de
l'adaptation a la culture scolaire, il se pourrait que le tiraillement entre la
culture familiale et la culture legitime que subissent les filles et les
garçons des milieux populaires, a travers la socialisation, se manifeste
chez les garçons par un ancrage au quartier et une identite « plus
affirmee » a travers la « bande de copains » en rupture avec
l'ecole, « Le quartier fonctionne alors comme un refuge et comme un
entre-soi qui leur permet de se tenir a distance de la culture scolaire qu'ils
laissent aux "autres"86 ».
85 ALALUF M., 0 Les filles
face aux études scientifiques. Réussite scolaire et
inégalités d'orientation », Institut de Sociologie,
sociologie du travail, Editions de l'Universite Libre de Bruxelles,
2003.
86 BEAUD S., op.cit.,
p.103
L'examen pluridisciplinaire et l'environnement
socio-culturel de l'enfant
Qui demande que l'enfant subisse un test
multidisciplinaire, les parents ou l'ecole ?
Habi tuellemen t, ce son t plutOt les ecoles qui demanden t a
ce qu'un enfant soi t tes te. Ce qui est comique, c'es t que quand on a eu des
enfants chez nous qui ont des freres e t des sceurs, les suivants arriven t
tout seuls, par la famille alors bien souvent, pas par l'ecole. J'ai des
parents qui ne veulent plus laisser leurs en~ants dans l'ordinaire pour qu'ils
ne connaissentpas le meme parcours que les aines alors que parfois ceux qui
sont dans l'ordinaire n'ont pas besoin de l'enseignemen t special mais pour les
familles, il faut absolumen t qu'ils viennen t ici e t alors il y a des
familles qui se ba ttent pour essayer d'avoir absolumen t une attestation qui
leur perme t d'en trer ici.
Comment fait-on pour « detecter » ceu x qui
n'ont pas frequents le reseau d'enseignement en Belgique...
J'ai eu un enfant qui arrivai t tout droi t de Somalie, c'e
tai t un enfant qui avai t quand meme 11 ans e t demi e t qui ne parlai t pas
un mot de frangais. En juille t, la premiere chose que j'ai demande aux
parents, je leur ai di t que je voulais bien l'accep ter en sep tembre a la
condition qu'il aille a l'ecole des devoirs pendant les vacances pour avoir un
bon bain de langues. Ce gamin maintenant parle courammen t le frangais, rigole
quand on lui fait une blague (donc on peu t deja lui dire quelque chose a
double sens). Il a eu par contre tres dur en lecture (...) Ca a coince jusqu'~
il y a a peu pres 15 jours e t main tenan t il commence a demarrer, pas moyen
de lui apprendre a lire. D jd qu'il devait faire un e~~ort surhumain pour
comprendre ce qu'on lui disait ! Donc il a vecu dans un groupe ou les enfants e
taient gentils avec lui mais c'es t vrai qu'il n'arrivai t pas a comprendre
pourquoi on lui demandai t d'ecrire e t c'es t vrai que ce gosse n'avait jamais
ete scolarise et puis du jour au lendemain, on lui met un crayon entre les
mains, il est quand meme arabe donc il a eu l'habitude d'ecrire dans l'autre
sens et puis nous on lui demande le contraire, fa fait beaucoup de choses en
meme temps !
Comment fait-on passer ces tests a des enfants qui ne
parlent pas la langue (ou peu) ?
Il y a tou te une serie de tests no tamment les tests non
verbaux pour tester le niveau de comprehension du message. Il faut savoir qu'un
enfant, meme s'il parle le frangais peut sabo ter le test (en refusant de
repondre par exemple), si ce t element n'es t pas pris en consideration par le
psychologue, le diagnostic risque d'etre fausse. De meme si dans un test il est
question de neige, un enfant qui n'en a jamais vu dans son pays repondra a cote
de
la question, il fau t prendre en consideration la culture
d'origine e t cela depend de la competence des psychologues. Dans un meme temps
comme il y a de nombreux tests, on peut finalement es timer grosso modo les
capaci tes intellec tuelles des enfants meme s'ils ne parlent pas la langue.
Vous savez, il y a des chercheurs qui passent des annees entieres a tester la
fiabili te d'un test!
Des enfants « en voie de regularisation » sont
parfois orientes vers les ecoles speciales alors qu'ils n'ont jamais frequents
l'ecole en Belgique...
Il y a tout un systeme social au petit château (des
assis tantes sociales, des psychologues) qui s'occupe du bien-etre de ces
enfants, souvent ce sont des enfants qui n'ont jamais e te a l'ecole car dans
leur pays ils ont pu etre consideres comme "l'innocen t du village" comme cela
se passai t chez nous dans le temps, les "idiots" e taien t reje tes.
Grâce a l'obliga tion scolaire ces enfants, qui auraient pu etre exclus e
t rester a la maison avec leurs parents, doivent aller a l'ecole comme tout le
monde.
Habi tuellemen t les ecoles qui accueillent les enfants du
petit château, ce son t des ecoles qui ont des classes de primo-arrivants
parce qu'il exis te a l'heure ac tuelle des avantages qui son t donnes aux
ecoles qui creen t des classes de primo-arrivan ts, des avantages en nature, en
heures (en periodes) de psychomo trici te ou de logopedie, donc ils ont un
bonus en heures e t ils l'utilisent a ce tte fin l.
Nous n'avons pas d'enfants du petit château direc tement
[centre ouvert] mais du quartier aux alentours, nous en avons trois.
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