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Lutte contre l'impunité et effectivité des droits des accusés : le doux chant de sirène du tribunal pénal international pour le Rwanda.

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par à‰lise LE GALL
Université Pierre Mendès France - Master 2 Droit 2010
  

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B. La pratique du TPIR: la face immergée de l'iceberg.

1. Une justice à deux vitesses entachant l'effectivité de la mission du TPIR

La mission dévolue au TPIR à travers son statut est de «poursuivre et de juger toutes les personnes présumées responsables des crimes contre l'humanité et autres violations du droit international humanitaire commis au Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ». L'article du statut est suffisamment clair sur les personnes justiciables devant le Tribunal. Aucun groupe ethnique n'est personnellement visé, et ceci est rappelé dans la lettre du 1er octobre 1994, adressée par le secrétaire général de l'ONU au Conseil de Sécurité en s'appuyant sur les conclusions du Rapporteur Spécial de la Commission des Droits de l'homme pour le Rwanda. Il est explicitement indiqué que les personnes appartenant «à l'une ou l'autre partie» du conflit armé ont perpétré des crimes contre l'humanité.50De même que dans le rapport du Secrétaire général de l'ONU servant de base à la création du TPIR, il est précisé que l'institution aura pour mission de juger avec impartialité et objectivité les responsables des crimes commis par «les deux côtés en conflit ». En effet, de nombreux rapports accusent l'armée patriotique Rwandaise (APR) de crimes de guerre, de crimes contre la paix et l'humanité lors des évènements de 1994 au Rwanda.51 Ainsi il était logique de s'attendre à ce que le TPIR traduise en justice tous les présumés responsables d'actes de génocide, de crimes contre l'humanité et des crimes de guerre perpétrés par les deux parties en conflit au Rwanda, durant la période couverte par la mandat du TPIR.

M ais alors, pourquoi pour certains le TPIR apparaît comme un tribunal au service du régime du FPR installé au pouvoir par la force des armes en 1994? S'agit -il là de remarques acerbes sans fondement objectif, nourries de frustration à l'encontre de

5 0 Rapport préliminaire S/1994/1125 et S/1994/1405, Commission Impartiale des Experts des Nations Unies sur le génocide Rwandais de 1994; Boutros Boutros--Ghali et al., The United Nations and Rwanda, 1933--1996, New--york, July 1996

5 1 Rapports Human Right Watch, Amnesty international, le centre International des Droits de la personne et du Développement démocratique.

cette institution internationale, ou d'une réalité bien connue? Pour tenter d'y apporter un éclaircissement, il suffit de regarder les jugements rendus par le TPIR lui--même, et de constater que chaque procureur du TPIR depuis sa création, s'est contenté uniquement de poursuivre une seule partie au conflit, à savoir les Hutus. Ainsi à première vue, on peut penser qu'il n'y a eu des violations du droit international humanitaire avérées que par les Hutus à l'encontre des Tutsis. Malheureusement c'est occulter une partie de l'histoire, qui a toute son importance, dans cette oeuvre de réconciliation des peuples.

En effet, il résulte de l'étude de l'ensemble de l'action du TPIR, qu'aucun acte d'accusation n'a été dressé à l'encontre de certains membres du FPR, et pourtant des enquêtes, des rapports d'experts ont mis à jour depuis 16 ans, l'existence de violations graves du FPR à l'encontre de Hutus lors des événements de 1994. Il ne s'agit pas ici de tomber dans le piège d'une discussion délicate concernant l'existence ou non «d'un double génocide », mais de s'arrêter à des faits concrets qui sans forcément atteindre la qualification de génocide, constituent juridiquement des violations graves du droit international humanitaire, tombant sous la compétence du mandat du TPIR. Autrement dit la mission du TPIR se doit de se maintenir au service d'une volonté non pas «de banalis er ou de neutraliser un crime par un autre, mais d'affirmer une exigence de justice ». 52

Le FPR tuera des milliers de civils pendant les combats et leur progression à travers la plupart des régions du Rwanda, mais également durant l'établissement de leur contrôle sur l'ensemble du pays. Au cours des affrontements, des personnes qui ne participaient pas aux combats furent tuées ou blessées par le FPR ou par les forces gouvernementales rwandaises, dans des attaques à l'arme lourde ou lors d'échanges de tirs légers. 53Ainsi de nombreux civils furent tués par balles dans la capitale, ainsi qu'à Byumbe et à Gitarama.54Bien entendu, s'intéresser à l'existence de possibles exactions de la part du FPR est une tâche ardue s'agissant d'un contexte de guerre civile et de

5 2 « Cette interprétation de double génocide n'est pas issue d'une volonté de banaliser ou de neutraliser un crime par un autre, mais d'affirmer une exigence de justice », Romy Brauman.

5 3 Filip Reyntjens et Serge Desouter, Rwanda. Les violations des droits de l'homme par le FPR/APR. Plaidoyer pour une enquête approfondie, Working papers Anvers, 1995.

5 4 Lettre de Joseph Matata au procureur général de la Cour Pénal International, Bruxelles, 23 Février 2009.

conflit armé interne. Ce contexte permettait aux dirigeants du FPR de déclarer que les miliciens seraient traités comme des combattants, position conforme aux conventions internationales. D'où les propos du commandant Wilson Rutayisire, porte--parole du FPR : « Nous tuons les Interhamwes que nous rencontrons et nous allons continuer à le faire ». Ce comportement sera d'ailleurs cautionné par Paul Kagame en mai 1994: « les m iliciens armés sur la ligne de front sont une cible légitime ».

Dans un certain nombre d'endroits, les soldats du FPR n'ont pas pris la peine de faire la distinction entre les miliciens armés potentiellement dangereux et les civils. Alison Des Forges s'attache à relever cette violation du jus in bello, dans le chapitre 17 de son livre «Aucun témoin ne doit survivre ». 55Ainsi, il est indiqué:

· à Rutongo, au nord de Kigali, des soldats du FPR auraient fait le tour des maisons pour assassiner des habitants qui n'étaient pas armés.

· À Murambi dans la préfecture de Byumba, ils tuèrent 78 personnes, dont 46 enfants entre le 13 et le 15 avril 1994.

· Lors de la prise par le FPR du complexe de l'église de Kabgayi, où des milliers de Tutsi étaient rassemblés dans des camps, des soldats du FPR tuèrent des civils hutus et abandonnèrent certains des corps, les bras attachés, dans les bois attenants à l'église.

L'ens emble des constatations du travail d'Alison Des Forges repose sur des témoignages, des rapports d'Human Rights Watch/ FIDH. Ils méritent d'être étudiés et mis en confrontation au sein du TPIR, avec la même considération que celle accordée aux témoignages et rapports faisant état du génocide des Tutsis et de violations graves perpétrées à l'encontre de la population tutsi.

En effet, il s'agit bien de violations au sens entendu par l'article 5à/51 des conventions de Genève. De même, une annexe à la lettre du 1er octobre 1994 de l'ancien Secrétaire général de l'ONU, Boutros B. Ghali, adressée au conseil de sécurité, détaille les faits reprochés aux Hutus, mais également les paragraphes 79 à 83 détaillent les faits reprochés au FPR. Pareillement le rapport de Robert Gersony, expert de nationalité

5 5 Des Forges Alison, pour Human Rights Watch, Fédération Internationale des ligues des droits de l'Homme,Aucun témoin ne doit survivre, Op.cit., p 817--840

américaine mandaté par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, estime que le FPR avait tué 25 000 à 45 000 personnes. D'autres rapports d'Amnesty International sur les crimes contre l'humanité commis par l'APR en avril--juillet 199456confirment ces diverses données.

C es exactions dans leur ensemble constituent indéniablement des massacres systématiques et généralisés perpétrés par l'APR 57. Ils peuvent être connus facilement du parquet du TPIR, puisque les actes retenus dans la courte énumération ci--dessus rentrent dans son mandat. C'est pourquoi la réflexion de Charles Nderyehe est juste : « L'égalité devant la loi, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, est le fondement même d'une saine justice. Or force est de constater malheureusement que ce principe essentiel a été superbement ignoré par le TPIR ».58 Cette impasse ne peut contribuer à faire éclore la vérité sur le drame rwandais ni à favoriser une base de réconciliation entre les Rwandais.

Alors que le Tribunal Pénal International pour l'ex--Yougoslavie (TPIY) essaie de juger les deux parties au conflit, le TPIR assure l'impunité aux membres du régime FPR malgré les crimes avérés dont ils se sont rendus coupables depuis 1990 sur le territoire rwandais. Ce constat illustre une différence d'approche entre les deux Tribunaux Pénaux Internationaux face aux événements pour lesquels ils sont mandatés.

La réalité d'une justice à deux vitesses est révélée par une action du TPIR souvent divergente par rapport à l'action et aux jugements du TPY. Or ce sont deux institutions également créées pour promouvoir et harmoniser le droit international pénal. Il est donc attendu qu'il y est une similitude dans les lignes directrices. Or l'inégalité d'action apparaît au vu du taux de condamnations à l'emprisonnement à vie, beaucoup plus

5 6 Amnesty International, Rwanda, Reports of Killings and abductions, by the Rwandese patriotic Army, April -August 1994, octobre 1994.

5 7 L'Armée Patriotique Rwandaise (APR): faction armée et clandestine du Front patriotique Rwandais (FPR) de juillet 1994 à juin 2002. Depuis juin 2002 ce sont les Forces rwandaises de défense (FRD).

5 8 Les raisons objectives de la faillite du TPIR dans la réconciliation des Rwandais », Conférence internationale sur le TPIR, la Haye du 14 au 15 Novembre 2009.

élevé au TPIR qu'au TPY.59 L'emprisonnement à vie semble être la règle au TPIR alors qu'elle demeure l'exception au sein du TPIY. Une étude comparative menée par les détenus du TPIR appuie ce constat.60

Les modifications régulières et intempestives d'actes d'accusations incomplets, violent l'article 47 (c) du règlement de procédure et de preuve,61 et conduit de ce fait à des retards excessifs dans la conduite des procès contrariant ainsi l'effectivité de l'article 20 4.(c) du statut du TPIR62. Or devant le TPIY les actes d'accusation sont généralement conformes à l'article 47 (c), et les retards excessifs dans les jugements y sont pratiquement rares. En effet devant le TPIY, sur 60 cas examinés, 4 accusés seulement ont attendu plus de 5 ans avant d'être jugés. En revanche devant le TPIR, sur 25 cas examinés, 12 accusés ont attendu plus de 5 ans.63

D e même alors que le principe du double degré de juridiction semble prendre corps et sens au sein du TPIY, il n'en est pas de même au sein du TPIR. Contrairement au TPIY, la chambre d'appel du TPIR ne fait que confirmer les jugements rendus par les Chambres de première instance. Les rares cas de modifications par la Chambre d'Appel des peines infligées par les Chambres de première instance du TPIR se sont toujours faits en défaveur des accusés.64 Par contre au TPIY, la Chambre d'Appel a souvent modifié les peines en faveur des accusés jusqu'à prononcer des acquittements contre des personnes condamnées en première instance. La liberté d'appréciation des juges semble être plus aisée au sein du TPIY.

Enfin sur le plan de la libération anticipée, des condamnés du TPIY ont bénéficié de cette mesure alors qu'au TPIR cela n'est jamais arrivé. Un exemple peut être cité : une

5 9 Sur 22 sentences prononcées au TPIR jusqu'en 2005, 12 sont des emprisonnements à vie(soit 54, 5 % des cas), tandis que sur 58 sentences prononcées jusqu'en 2005 au TPIY, 1 peine d'emprisonnement à vie (soit 1, 7% )

6 0 «Mémorandum, une justice international discriminatoire et à deux vitesses », Les Détenus du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, 31 octobre 2005.

6 1 Annexe 4, Règlement de Procédure et de Preuve.

6 2 Annexe 3, Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.

6 3 «Mémorandum, une justice international discriminatoire et à deux vitesses », Les D étenus du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, 31 octobre 2005.

64 N°ICTR--97--20--A, Le procureur contre Laurent Semanza, 20 mai 2005 : peine porté de 25 ans à 35 ans; et N°ICTR--98--44A--T, le procureur contre Juvénal Kajelijeli, 1 Décembre 2003

requête introduite par le pasteur Elizaphan Ntakirutimana, condamné à 10 ans d'emprisonnement ,alors âgé de 80 ans et ayant effectué 9 ans en prison. Aucune suite favorable n'a été donnée. Sur quels fondements juridiques peut--on expliquer cette différenciation d'action entre le TPIR et le TPIY? Il n'y en a aucune de tenable. Cette discrimination entre détenus du TPIY et du TPIR est encore plus frappante quand on sait que les rares personnes acquittées par le TPIR sont maintenues en prison bien des anné es après leur acquittement, comme ce fut le cas pour André NTAGERURA, et Emmanuel BAGAMBIKI. 65

En mettant en place ces deux tribunaux ad hoc dotés d'instruments juridiques quasi identiques et d'une Chambre d'Appel unique, le législateur avait entre autres l'intenti on d'assurer l'harmonisation et l'équilibre entre les deux tribunaux et de promouvoir le droit international. Or dans ce contexte de fin de mandat du TPIR, le constat est amer. La pleine réalisation de sa mission de juger les présumés responsables du génocide et des violations graves du droit international humanitaire est en demi teinte, devant son refus de poursuivre les membres du FPR ayant commis des exactions à l'encontre de la population Hutu. De plus la discrimination existante entre le traitement des accusés du TPIR et du TPIY, quand bien même ce sont deux instances judiciaires créées par une résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU et ayant la même mission, renforce cette méfiance envers l'institution du TPIR. Comment le TPIR peut--il véhiculer un message de réconciliation des peuples au travers de son action, si l'essence même de sa création est bafouée, à savoir l'égalité. Cependant, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda est une institution judiciaire devant rendre justice avant tout. L'étude de cette institution fait rapidement comprendre que malgré une volonté de rendre une justice juste et équitable de par les membres qui la composent, cette tâche s'avère d'une extrême complexité dès lors que des intérêts politiques viennent peser dangereusement sur la balance, symbole de justice.

6 5 N° ICTR--99--46--T, Le procureur contre André NTAGERURA, Emmanuel BAGAMBIKI, et Samuel IMANISHIMWE, 25 Février 2004

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault