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L'éducation primaire comme levier de développement. Analyse critique à  partir de l'Objectif OMD 2: « Assurer l'éducation primaire pour tous »

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par Corinne STEPHENNE
Université catholique de Louvain - Master 120 en sciences de la population et du développement,  2011
  

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1.2. Analyse de la pertinence

La relation entre l'éducation et la croissance est complexe

N. Henaff, dans son article publié en 2006, remet en question l'apport des théories économiques dans un contexte de développement. Elle rappelle que l'apport de l'économie va consister à donner un sens à la relation de causalité entre l'éducation et le développement en postulant que l'éducation produit du développement et que la relation observée historiquement (dans les pays Occidentaux et d'Asie) est reproductible, faisant ainsi de l'éducation un instrument de développement. En faisant référence à plusieurs études empiriques, elle démontre que le lien de causalité n'est pas systématiquement reconnu et que ce lien peut être inversé. De plus, elle rappelle que la question des rendements privés ne fait pas l'unanimité.

Dans leur livre, V. Vandenberghe et O. Debande (2008) remarquent également que, s'il y a une relation étroite entre le niveau d'éducation et le niveau de PIB, cela ne signifie pas qu'il y a un lien de causalité fort et que celui-ci va de l'éducation vers la croissance. De leur point de vue, le sens de la causalité dans la relation l'éducation et la croissance n'est pas à sens unique : « ...est-ce l'éducation qui stimule la croissance ou la croissance qui incite les individus à « consommer » plus d'éducation ? Dans les faits, il est probable que la causalité joue dans les deux sens » (2008 : 67). Ainsi, « l'importance accordée actuellement à l'éducation semble exagérée car une partie de la causalité est artificielle, l'éducation venant après ou à la suite de la croissance économique » (Vandenberghe, 2010-2011). Comme démontré dans notre analyse de l'efficience de la mise en oeuvre de la politique d'éducation, les ressources nationales et internationales sont nécessaires pour financer les systèmes éducatifs. La croissance économique reste un facteur déterminant de l'investissement éducatif comme l'atteste la diminution des volumes suite à la crise financière de 2008 (Unesco, 2011).

La qualité de l'éducation conditionne les effets de l'éducation sur la croissance

Déjà, au moment de l'adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement, L. Pritchett (1999, 2000, 2001) mettait en avant les faibles effets de l'éducation sur la croissance économique des pays les moins développés et pointait la qualité de l'éducation comme un des facteurs explicatifs. Selon lui, le système éducatif a échoué

jusqu'à présent du fait qu'une année supplémentaire d'éducation n'a engendré que peu ou pas de compétences supplémentaires.

A. Hanushek et L. Wöâmann se sont largement penchés sur la question de la qualité de l'éducation et de ses effets sur la croissance. Dans leur article publié en 2008, ils rappellent, qu'au niveau macroéconomique, les études sur les rendements de l'éducation ont été principalement réalisées à partir d'une approche quantitative en se référant aux niveaux d'éducation ; or, la qualité est très importante «Ignoring quality differences very significantly misses the true importance of education for economic growth» (2008 : 4).

En 2007, ils ont réalisé une étude pour le compte de la Banque mondiale à partir des plus récentes bases de données disponibles pour 50 pays. L'évolution des taux de croissance réels par habitant entre 1960 et 2000 a été croisée avec l'évolution des années de scolarisation, les scores en mathématiques et en sciences obtenus à différents tests internationaux (PISA, TIMMS...) (Hanushek et Wöâmann, 2007a). Les variations de résultats au sein des pays ont été croisées avec d'autres facteurs de croissance reconnus. Les principaux résultats sont synthétisés comme suit: le rôle de la qualité de l'éducation est significativement plus important dans les pays à faible revenu malgré le peu de données disponibles pour les pays en développement (2007a : 36), les rendements de l'éducation croissent avec la qualité (2007a : 36), tant l'éducation pour tous que l'éducation des top performers jouent un rôle significatif sur la croissance (2007a : 39) et enfin, la qualité de l'éducation exerce un rôle positif sur la croissance économique indépendamment de la qualité des institutions mesurées en termes d'ouverture au commerce international et de protection contre l'expropriation (2007a : 41).

Ils concluent dans ces deux publications que les connaissances cognitives, plutôt que le maintien à l'école, sont étroitement liées à une croissance à long terme. La qualité de l'éducation a un effet beaucoup plus grand sur les rendements privés, sur la distribution des revenus et sur la croissance économique. Les politiques devraient accorder une attention plus grande à la qualité des écoles. Cependant, les effets sont complémentaires à la qualité des institutions économiques et le processus est lent (2007, 2008).

Le contexte et les autres politiques sectorielles conditionnent les effets de l'éducation sur la croissance

Dans son article publié en 2001, L. Pritchett expose le paradoxe entre les effets de l'éducation au niveau microéconomique et au niveau macroéconomique. Au niveau microéconomique, le lien entre l'augmentation du niveau d'éducation et l'augmentation des revenus semble universel et il conduit par extension à une croissance économique. Au niveau macroéconomique, les données suggèrent plutôt que l'éducation n'a pas engendré de manière uniforme un impact significatif sur la croissance pour trois raisons :

- le capital éducatif supplémentaire créé a été utilisé à des fins privées, il a engendré une rémunération privée sans engendrer une activité socialement productive; en d'autres termes, il s'agit d'une forme de « piratage » de l'investissement public consenti ;

- le rendement de l'éducation a décliné rapidement du fait d'une faible croissance de la demande d'une force de travail éduquée sur le marché du travail;

- et la faible qualité de l'éducation déjà évoquée plus haut.

Ces éléments, non exclusifs, peuvent être présents à des degrés divers dans chaque pays.

Les réflexions de Ph. Hugon vont dans le même sens :

« Les revenus et les emplois sont plus liés à des positions dans des réseaux de pouvoir qu'à la contribution à la création de richesses, d'où une mauvaise utilisation des compétences et une décapitalisation des savoirs... À défaut de formation du capital productif et de milieu valorisant les connaissances, la scolarité peut conduire à une évasion des connaissances, à un analphabétisme de retour ou à un exode des compétences » (Hugon, 2005 : 17).

Enfin, nous pouvons rappeler qu'en économie du développement, l'éducation et la santé ne sont qu'un déterminant de la croissance. Les caractéristiques qui distinguent les économies à la croissance rapide de celles qui se développent plus lentement ont fait l'objet d'études (Perkins et al., 2006 : 101-110)25. Au côté de l'investissement dans la santé et l'éducation, les facteurs déterminants sont :

25 En préalable, ils rappellent les causes immédiates de la croissance économique qui sont l'accumulation des facteurs (accumulation d'actifs productifs supplémentaires) et la croissance de la productivité qui provient de rendements accrus de nouvelles techniques. Le maintien de la croissance économique passe par la capacité à générer de nouveaux investissements et par la garantie de la productivité. Ils citent comme référence les travaux de l'économiste R. Barro au début des années 1990 qui tentent d'expliquer les variations des taux de croissance entre les pays. Parmi ces variables, on retrouve les niveaux d'éducation et de la santé au côté des choix politiques, des dotations des ressources...Ils

- la stabilité macroéconomique et politique en réduisant les risques pour les investisseurs (les guerres civiles entraînent une régression du PIB) ;

- la gouvernance, les institutions politiques et les institutions efficaces en lien avec le marché (institutions génératrices comme le droit de régulation, de stabilisation, de légitimation comme la protection sociale) ;

- l'environnement favorable à l'entreprise privée : la politique agricole, la réglementation des affaires, l'investissement public, le secteur informel, l'ouverture au commerce international, la politique commerciale et réglementaire ;

- la géographie favorable: les caractéristiques des pays tropicaux, les pays enclavés.

Pour l'Afrique subsaharienne, nous constatons que chacun de ces éléments est absent ou présent à des degrés très divers.

Les régressions réalisées par A. Hanushek et L. Wöâmann (2007b) tendent à conforter ces constats. Réalisée à partir de l'actualisation de bases de données relatives à 92 pays visant à démontrer la relation entre les années de scolarisation et la croissance économique, la régression montre que chaque année de scolarisation est significativement associée à un taux de croissance de long terme de 0,58% supplémentaire et que cette relation est significativement plus positive pour les pays hors OCDE avec un taux de 0,56% contre 0,26% pour les pays de l'OCDE. Cependant, cette relation devient insignifiante lorsque l'on intègre les variables de contrôle liées à l'ouverture au commerce international, la sécurité des droits de propriété et au taux de fertilité (2007b : 22). D'où, un de leurs constats : «good institutional quality and good educational quality can reinforce each other in advancing economic development>> (2007b : 43).

Les remises en question des théories économiques et la validité des études empiriques

Les problèmes méthodologiques inhérents aux théories et aux études empiriques sont régulièrement évoqués pour relativiser l'impact de telle ou telle autre étude. N. Henaff (2006) rappelle que, « les choix de modélisation sont déterminants pour les résultats obtenus >> (2006 : 75) et mentionne les travaux de P.N. Teixera (2000) qui

rappellent aussi que « les recherches de ce type ont été contestées, et l'on est loin d'atteindre un consensus sur le groupe précis des variables influant sur la croissance » (2006 : 101).

débouchent sur la mise en évidence de problèmes techniques (sources de données...), de problèmes liés aux choix effectués (variables, données utilisées, méthodes d'estimation...) et à leur justification (reflet des positions des auteurs). V. Vandenberghe et O. Debande (2008) attire également l'attention sur les problèmes liés à la qualité des données et les difficultés inhérentes aux concepts et aux méthodes d'analyse (2008 : 69). Dans son rapport 2010, l'Unesco aborde ce sujet en attirant notre attention sur la surestimation possible des données administratives. A titre d'exemple, le taux de scolarisation et de fréquentation par âge était à l'âge de 7 ans au Sénégal de 58% selon l'enquête sur les ménages et de 77% selon les données administratives (Unesco, 2010 : 65).

A. Hanushek et L. Wöâmann remettent en cause l'indicateur quantitatif lié aux années d'éducation en pointant le problème de l'équivalence des contenus enseignés par année dans chaque pays de par le monde et en signalant que cet indicateur ne tient pas compte des connaissances acquises en dehors de la sphère scolaire (2007b).

A. Vinokur met en exergue le lien étroit entre la mesure de la qualité en éducation et l'introduction d'une logique de marché dans les services non marchands. L'enseignement et la qualité de la force de travail sont devenus des indicateurs pertinents dans les rapports internationaux de compétitivité qui classent les territoires en fonction de leur attractivité pour les capitaux (2008 : 3). Le Global Competitiveness Index dans The Africa Competitiveness Report 2011 reprend l'éducation primaire et la santé comme 4ème pilier en tant qu'exigences de base au côté des institutions, de l'environnement macroéconomique et des infrastructures. L'éducation supérieure et la formation représente le 5ième pilier en lien avec les « rehausseurs » d'efficacité (World Economic Forum et al., 2011 : 31-32).

Nous pouvons ajouter que la plupart des études empiriques, et particulièrement celles incluant des critères de qualité, sont réalisées à partir de données partielles. Pour les pays en développement, les conclusions sont, de ce fait, à considérer avec réserve.

Plus fondamentalement, N. Henaff pose la question de la frontière entre la théorie et la doctrine (2006). Nous notons effectivement que parmi les quatre orientations prioritaires pour augmenter la compétitivité des pays africains dans The Africa Competitiveness Report 2011, deux concernent les compétences managériales et l'enseignement supérieur et l'entrepreneuriat féminin. Celles-ci font directement référence à la théorie de la croissance endogène, aux études empiriques qui s'y

rattachent, à l'expérience des pays asiatiques en matière d'éducation et aux théories démographiques. Les deux autres sont la diversification des produits et des marchés et le tourisme au travers de la culture et les ressources naturelles (World Economic Forum et al., 2011 : XIV). Ce rapport a été rédigé, à l'exception d'un expert en tourisme, exclusivement par des économistes.

Faut-il le rappeler également, les théories de référence ont été définies au Nord et servent de référence pour une application au Sud.

En conclusion, l'éducation ne produit pas à elle seule de la croissance économique, par contre, la croissance économique stimule significativement les investissements éducatifs et appuient ainsi les politiques d'éducation adoptées à un niveau international (Unesco, 2011). De cette brève présentation, nous déduisons que si l'éducation joue un rôle positif sur la croissance, et plus particulièrement l'éducation primaire, il s'agirait plutôt, pour les pays à faible revenu et pour l'Afrique subsaharienne, d'un <<rapport vertueux conditionné ou sous contrainte >> contrairement à l'affirmation selon laquelle << l'éducation entretient un rapport vertueux avec la croissance >> (Perkins et al., 2006 : 107). En d'autres termes, une meilleure éducation contribue à la croissance et la croissance engendre des ressources permettant de financer des systèmes éducatifs plus solides à condition que l'environnement institutionnel, économique et social soit également de qualité et porteur.

V. Vandenberghe et O. Debande résument fort bien ce fait en signalant que deux problèmes sont à ce jour non résolus : la qualité des systèmes éducatifs et la qualité des autres secteurs. Ils relativisent le lien entre l'éducation et la croissance en parlant de << l'existence potentielle d'une relation positive entre l'efficience de la production de l'éducation et l'efficience dans d'autres secteurs de l'économie >> (2008 : 69). Et nous pouvons compléter en nous appuyant sur une réflexion de N. Altinok. S'il s'agit d'une question de qualité, << Il resterait alors à déterminer les facteurs pouvant améliorer la qualité de l'éducation et entraîner ainsi la croissance économique des pays>> (Altinok, 2006 : 19).

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire