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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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B/ Diversification et croissance progressive du marché

Ainsi placé dans une optique de commercialisation, le disque est également investi par des logiques marketings et publicitaires sous des formes nouvelles. En effet, pour que les compagnies puissent prospérer, il faut que celles-ci s'appuient sur un marché intérieur stable par le biais d'un ajustement entre l'offre et la demande. La Gramophone Company soutient dès le début l'entreprise journalistique de Mackenzie, en lui envoyant gratuitement des

95 The Gramophone, novembre 1925, vol. III, n° 6, pp. 15-16.

96 The Gramophone, décembre 1925, vol. III, n° 7, pp. 15-21.

97 Ibid., p. 203.

disques nouvellement publiés et en finançant les publicités dans les pages de sa revue. Quant à la critique, elle demeure elle-même indépendante, selon l'intérêt des auteurs qui y engagent leur crédibilité, et celui des firmes qui comprennent l'importance de ne pas freiner cette organisation liant les journalistes et une portion toujours plus large du public, qui voit dans le disque le moyen d'assouvir leur désir de musique. On assiste également d'un côté à une croissance quantitative des enregistrements, qui permet à l'amateur de musique un choix élargi, et de l'autre une distinction de la production de plus en plus nette entre musique « légère » et musique « sérieuse ». Cette variété de choix au sein du répertoire musical permet à chacun d'y dessiner ses préférences, « la variété stimule le désir de variété, de découverte de musique et encourage ainsi le développement d'un intérêt hédoniste orienté vers la « consommation » librement choisie, en fonction de goûts construits par un processus temporel de comparaisons, de découvertes, de mise au jour des préférences »98. Concernant la musique classique, dès 1900, la Gramophone Company s'adjoint les services du chef d'orchestre Landon Ronald comme conseiller musical. Il est évident que ses suggestions influèrent sur la politique éditoriale de la compagnie. Par la suite, en 1919, la même compagnie constitue un département spécial consacré à la production de disques de musique classique. En six mois, de septembre 1928 à mars 1929, HMV publie 67 disques de musique classique. Columbia fait de même en ouvrant à la même époque un « Classical Department » : toujours plus ambitieuse dans ce domaine, elle en édite 125 99 . L'innovation technique intervient comme un facteur déterminant : on propose ainsi le passage à la taille de douze pouces (28 cm) pour tous les Celebrity Records (les disques font d'habitude sept ou dix pouces), afin d'allonger l'introduction orchestrale. Surtout, l'adoption progressive des disques double face, d'abord par Odéon en 1904, puis par Zonophone en 1908 et par HMV en 1912, permet non seulement d'abaisser le prix relatif d'achat d'un enregistrement, tout en augmentant une durée d'écoute qui s'oriente peu à peu vers l'enregistrement intégral100. Le rapprochement est ainsi de plus en plus fidèle avec l'univers de la musique classique (celui de l'Urtext), alors qu'auparavant ce dernier n'était accessible que par l'intermédiaire d'enregistrements coupés. À la fin des années vingt, l'offre disponible dans le magasin situé sur Oxford Street se situe entre 30 000 et 60 000 références jusque dans les années de la décennie qui suit101. L'apparition de discographies synthétiques est la manifestation ultime de

98 Ibid., p. 43.

99 The Gramophone, mai 1929, vol. VI, n° 71, p. 526.

100 Néanmoins, une oeuvre dans son intégralité reste encore hors de prix pour les amateurs puisqu'en décembre 1924, la plupart des coffrets H.M.V. coûtent entre 30 et 52 shillings. The Gramophone, décembre 1924, n° 7.

101 Ibid., p. 243.

la constitution de l'industrie phonographique en un monde voué à l'édition musicale sonore et de la production d'un répertoire matériellement accessible. La publication la plus célèbre de l'entre-deux-guerres est The Gramophone Shop Encyclopedia of Recorded Music, qui s'inspire d'où ouvrage antérieur, The Gramophone Shop Encyclopedia of the World's Best Recorded Music (1931) et dont la mise à jour à plusieurs reprises (elle sera rééditée en 1942 et 1948) atteste le succès (v. annexe 4). Le principe de la recension devient de plus en plus nécessaire au regard de l'explosion phonographique alors que des répertoires, généraux ou spécialisés par pays ou par genre, se multiplient ; nous y reviendrons lors du prochain chapitre.

D'une manière générale, avec l'existence de ses magasins spécialisés qui se constituent en réseau et servent de soutiens nécessaires aux grandes firmes, c'est un nouveau mode de présence de la musique qui s'instaure, avec une diversification accrue du marché. Il subit ainsi une baisse régulière des prix au cours des années vingt, pour se stabiliser et ensuite augmenter dans la seconde moitié des années trente. En 1924, HMV offre plus de trente modèles différents pour des prix s'échelonnant de 5 à 105 livres, cet éventail baissant de 3 à 84 livres en 1930. En raison de la hausse des salaires pendant les années vingt, le coût pour le consommateur est revu à la baisse. Si l'éventail s'élargit considérablement vers le haut en 1924 du fait de l'apparition des appareils à moteur électrique, les modèles intermédiaires connaissent une baisse importante de leur prix (de 11 à 20 livres sterling en 1920, à 7 à 8 livres sterling en 1924, puis 6 en 1925)102.

Conclusion du chapitre :

Les bases sont désormais établies pour que l'industrie du disque puisse se développer à l'échelle nationale, dans toute sa complexité et ses ambigüités, ce que nous verrons lors du chapitre suivant. Néanmoins, si on tente d'établir un bilan, la naissance du consommateur de musique, soutien nécessaire à la prospérité des firmes, résulte, selon l'expression de Patrice Flichy, d'« une niche d'usage potentiel », fruit d'une évolution des mentalités, mais aussi des modes de vie et de l'apport de l'innovation technique (introduction de l'électricité). Chaque acteur de l'innovation cherche à inscrire le phonographe au sein d'un univers qui lui est propre, et dans certain cas l'équilibre qui en résulte se retrouve parfois bouleversé. On retrouve quelques cas historiques intéressant : par exemple, pour Chappe, la machine à communiquer qu'est la télégraphie se tourna vers une nouvelle perspective, celle d'un

102 Thid., p. 190.

instrument de pouvoir, dans un contexte qui voit la création de l'État moderne. De la même manière, le télégraphe électrique évolua pour devenir l'instrument de la Bourse103. Il aura fallu ainsi toute une dialectique unissant les auditeurs, les musiciens et les industriels, dans un paysage où s'épanouit la famille victorienne et la vie privée, pour que puisse s'échafauder l'usage musical du disque et du gramophone, dès lors un appareil à usage domestique, à destination du consommateur de musique quel qu'en soit son statut social : en 1921, ce sont cents millions d'enregistrements qui sont vendus dans le monde, soit quatre fois plus qu'en 1914, ce qui représente une moyenne de huit disques par appareil existant.

103 FLICHY, Patrice, Une histoire de la communication moderne : espace public et vie privée, Paris, La Découverte, 1997 [1ère éd. : 1991], pp. 97-98.

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