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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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5.3 Un raz de marée socialiste :

La victoire socialiste ne s'apparente pas à un triomphe, mais plutôt à un véritable raz-de-marée42. Conformément au code électoral, Abdou Diouf est élu au premier tour, après avoir obtenu la majorité absolue des voix, soit 51 %, et des suffrages représentant au moins le tiers du corps électoral.

37 "Abdou Diouf candidat du PS", Le Soleil, 11-12 décembre 1982.

38 "Abdou Diouf : Ni injure, ni polémique", Le Soleil, 7 février 1983

39 "L'irresponsabilité de l'opposition fustigée par Habib Thiam", Le Soleil, 9 février 1983.

40 "Dernier meeting de Dakar", Le Soleil, 25 février 1983.

41 Pierre Biarnès, "Veille d'élections au Sénégal : Un Président assuré de l'emporter", Le Monde, 26 février 1983 et D.Cruise O'brien, "Les élections sénégalaises du 27 février 1983", PoA 11, 1983.

42 "Le vainqueur", Le Soleil, 28 février 1983.

L'avance de Diouf est considérable lors de ce scrutin. Voici les résultats décrétés par la Cour suprême le 6 mars 1983 43 :

- Electeurs : 1 928 257

- Votants : 1 093 244 (56,70 % de participation)

- Bulletins nuls : 4 169

- Nombre de suffrages exprimés : 1 089 075

- Abdou Diouf (PS) : 908 879 soit 8 3,45 %

- Abdoulaye Wade (PDS) : 161 067 soit 14,79 % - Mamadou Dia (MDP) : 15 150 soit 1,39 % - Oumar Wone (PPS) : 2 146 soit 0,20 % - Majhemout Diop (PAI) : 1 833 soit 0,17 %

On constate que la bipolarisation de la vie politique sénégalaise. La victoire sans surprise de Diouf est accompagnée du bon score d'Abdoulaye Wade, même si ses 14,79 % apparaissent dérisoires face au plébiscite que reçoit le candidat PS. Bien que ces résultats doivent être analysés avec une très grande précaution - vu l'ampleur des fraudes - on s'aperçoit qu'Abdou Diouf fait son meilleur score dans la région du Fleuve avec 90,05% (région qui comprend notamment la ville de Saint-Louis), tandis qu'on localise ses plus mauvaises performances dans les régions de Diourbel avec 77,90% (région de la capitale mouride, Touba) et du Cap Vert avec 78,55% (région de Dakar). Logiquement, Abdoulaye Wade fait son meilleur pourcentage dans le Diourbel avec 20,96%, en dépit des ndiguel prononcés en faveur de Diouf 44.

Derrière eux, les petits scores de Mamadou Dia et de Majhemout Diop, deux "historiques" de la politique sénégalaise, discréditent totalement leur action et les condamnent presque de facto à se rallier au camp PDS. Enfin, la faiblesse du score d'Oumar Wone n'étonne presque personne.

Les législatives offrent le même type de panorama :

- Electeurs inscrits : 1 928 257

- Votants : 1 083 681 (56,20 % de participation) - Bulletins nuls : 4 511

- Nombre de suffrages exprimés : 1 079 170

- PS : 8 62 713 soit 79, 94 % (111 sièges) - PDS : 150 785 soit 13, 97 % (8 sièges) - RND : 29 271 soit 2,71 %. (1 siège) - MDP : 13 030 soit 1,21 %

- LD/MPT : 12 053 soit 1,12 %

- PIT :

5

910 soit 0,54

%

- PAI

: 3

269 soit 0,30

%

- PPS

: 2

139 soit 0,20

%

 

4 3 "L'élection d'Abdou Diouf proclamée par la Cour suprême", Le Soleil, 7 mars 1983. 44 Le Soleil du 3 mars 1983.

Ces résultats surprennent, dans la mesure où beaucoup d'électeurs avaient déclaré vouloir voter pour Diouf, mais en aucun cas pour le PS. On relève que les scores d'Abdou Diouf et de son parti sont à peu près semblables. Néanmoins, dans aucune des huit régions sénégalaises, le score du PS dépasse celui de son secrétaire général. Le plus grand écart en pourcentage entre Diouf et le PS est observé dans la région de Thiès (82,94% pour Diouf, 78,56% pour le PS). Ceci s'expliquent par le "bon" résultat obtenu par le RND dans la région (4,04% contre 2,71% de moyenne

nationale). Tout comme Diouf, le PS fait son meilleur score dans la région du Fleuve avec 88,29%, mais obtient son plus grand nombre de voix dans la région du Sine Saloum, 187 917 voix 45. A l'instar de Wade, le PDS fait son meilleur pourcentage dans le Diourbel avec 21,58%, soit 7,61 % de plus que sa moyenne nationale. Par contre, le PDS ne profite pas du score médiocre du PS dans la région de Dakar. Le parti de Wade ne récolte que 14,59% des suffrages, devant un RND qui obtient dans la région du Cap Vert son meilleur résultat régional (7,39%) : la formation de Cheikh Anta Diop confirme son statut de parti politique urbain.

Alors que le corps électoral de l'opposition est supérieur à celui de 1978, les formations nongouvernementales perdent la moitié de leurs députés place Tascher (9 contre 18 en 1978). Cela s'explique par l'instauration du double scrutin, qui favorise le PS. En effet, les socialistes disposent d'une telle assise sur l'ensemble du territoire qu'ils raflent les 60 sièges mis en jeu par le scrutin départemental. Les partis de l'opposition se contentent ainsi des bons scores acquis à la proportionnelle. On peut souligner que si ces élections législatives avaient été effectuées sur le modèle de 1978 - c'est-à-dire une proportionnelle totale - l'opposition aurait eu entre 22 et 24 députés au Parlement.

Le PS est donc loin devant tous ses autres concurrents. Il confirme son hégémonie vieille de trente années. Le PDS récolte un score honorable, même s'il compte 10 sièges en moins par rapport à 1978. Ce déficit est d'autant plus grand lorsque l'on sait que le nombre de députés était à l'époque de 100. Le grand perdant de ce scrutin est bien évidemment le RND. Qualifié de "parti de masse" lors de son officialisation en 1981, la formation de Cheikh Anta Diop sort de ces élections décrédibilisée, voire humiliée. Son nombre infime de député l'empêche de revendiquer le moindre ministère. Par obligation, le RND doit dorénavant s'aligner sur les positions prises par le PDS. La LD/MPT crée quant à elle un court instant la surprise. Les premiers résultats la placent en quatrième position et lui donnent un siège à l'Assemblée nationale 46 . Elle déchante cependant bien vite, puisque le MDP obtient un meilleur score sans avoir le moindre député. Pour ce qui est des trois autres formations en lice, elles confirment les mauvais résultats enregistrés par leur candidat aux présidentielles et montrent, pour Pierre Biarnès, leur inutilité47 .

Si dans l'ensemble la bonne tenue de ces élections est saluée par l'opinion publique, les opposants de Diouf crient au scandale. Abdoulaye Wade n'hésite pas à dire, en parlant du scrutin de 1983, "que ce ne sont pas des élections et qu 'elles ne méritent même pas le nom d'élections

4 5 Le Sine Saloum, fortement peuplé avec des villes telles que Kaolack ou Kaffrine, est la région qui a le plus grand nombre de votants en 1983. Abdou Diouf y obtient notamment 193 351 voix. Le Soleil, 3 mars 1983. 46 "Le vainqueur", Le soleil, 28 février 1983.

4 7 Pierre Biarnès, "Victoire électorale sans surprise du Président Diouf et du Parti socialiste", Le Monde, 1er mars 1983.

frauduleuses" 48 . D'autres partis n'accordent aucun crédit à ces résultats, comme la LD/MPT, le MDP ou encore l'UDP. Abdou Diouf ne cache pas quant à lui sa déception : "je dois avouer que mon voeu aurait été de voir l'opposition bien représentée à l'Assemblée nationale ".

En effet, le Président dispose d'une "chambre introuvable", qui n'arrange nullement ses affaires. Il a axé toute sa campagne sur l'ouverture politique, la transparence des élections et sa disposition à incorporer dans son futur gouvernement des opposants. Mais la faible représentation à l'Assemblée nationale de l'opposition l'en empêche. Il se retrouve discrédité et isolé, face à un parti qu'il ne maîtrise pas encore totalement. Très vite, les regards désapprobateurs des dioufistes se tournent vers ceux que l'on appelle communément les "barons", accusés d'avoir trafiqué les résultats électoraux pour se maintenir au pouvoir.

Quels que soient les coupables, la falsification des résultats a tout d'abord été favorisée par l`absence d'isoloir de vote. Dans le milieu rural, très dépendant des organismes agricoles étatiques, l'intérêt pour l'électeur était de montrer son affiliation au PS, pour récolter quelques bénéfices ultérieurement. Dans ce cas là, il n'avait aucun motif qui justifiait son passage dans l'isoloir. Ainsi, celui qui s'y rendait était forcement un dissident. Sa démarche s'avérait de ce fait suicidaire, du moins financièrement. Le principe de précaution a été donc de voter socialiste, ou tout simplement de ne pas se déplacer au bureau de vote. Outre cet aspect, les dispositions prises en 1982 pour contrecarrer les fraudes, quoique louables, ont été incomplètes. En effet, les agencements assurant la présence d'observateurs issus de l'opposition dans les bureaux de vote ont été rendus inutiles par... la non-présence de ces mêmes observateurs au moment des dépouillements des bulletins, centralisés à Dakar. Sans la moindre contrainte, les falsifications de résultats ont pu être nombreuses. D'autres faits litigieux, comme la possibilité de voter sans carte d'identité, n'ont pas servi la cause d'élections qui se voulaient irréprochables.

Ces faits sont longuement commentés après les élections. Il en va de même pour le taux d'abstention constaté. En dépit des nombreux appels incitant à voter, que ce soit lors des meetings politiques ou dans la presse, seulement 55 % des inscrits sur les listes électorales sont allés aux urnes, soit à peine deux tiers des électeurs potentiels. En réalité, 60 % des Sénégalais n'ont pas pris part aux votes 49. Alors que les politiques ont fait de véritables efforts de communication - en revêtant notamment les habits traditionnels et en prononçant la plupart de leurs discours en wolof, peul ou mandingue - le désintéressement de la population a été encore plus important qu'en 1978. On l'explique par le caractère élitiste de la consultation. Seules les grandes villes, très urbanisées comme Dakar, ont eu un vif intérêt pour les débats. Le milieu rural, désorienté par l'utilisation excessive de termes technocratiques peu en rapport avec le quotidien paysan, n'a pas adhéré à la rhétorique employée par les candidats.

Alors que le PS comptaient compenser ces absentions par une forte participation de la communauté mouride en sa faveur, on a vu qu'Abdou Diouf et le PS ont enregistré leurs plus mauvais résultats... dans "le pays mouride". Le PDS y fait quant à lui son meilleur résultat régional, avec 21,58 %. Ces pourcentages laissent entrevoir un changement de comportement

48 "Wade : Une comédie grotesque", Le Soleil, 1er mars 1983 et Pierre Biarnès, "L'opposition qualifie de mascarade les élections du 27 février", Le Monde, 3 mars 1983.

4 9 Pierre Biarnès, "Victoire électorale sans surprise du Président Diouf et du Parti socialiste", Le Monde, 1er mars 1983 et Siradiou Diallo, "Abdou Diouf ne sera plus le même", Jeune Afrique, n°1 157, 9 mars 1983.

électoral chez les fidèles, visiblement désireux de ne plus respecter à la lettre les consignes énoncées par le Khalife général. Une différenciation entre le religieux et le politique commence donc à s'opérer dans l'esprit de la communauté mouride à partir des années 1980 50.

Abdou Diouf sort néanmoins renforcé de ces élections. Grâce à l'onction populaire reçue, il n'est plus considéré comme le simple dauphin constitutionnel de Senghor. Ce dernier a d'ailleurs été informé avant les élections que sa présence n'était pas souhaitée au cours de la campagne électorale, afin de ne pas détériorer l'image du chef que s'était façonnée Abdou Diouf. Le second Président de la République sénégalaise a ainsi pu imposer son style et prendre contact avec la population. Face à un adversaire doté d'une redoutable machine électorale, l'opposition n'a jamais eu l'espoir de l'emporter. Elle peut néanmoins se réjouir des avancées démocratiques qui ont été entreprises depuis 1981 par le gouvernement, en dépit des grossières fraudes constatées le 27 février 1983. Le pays est sur la bonne voie. Après ce scrutin, il semble que "rien ne sera plus jamais comme avant dans le Sénégal de demain" 51.

50 Donal Cruise O'Brien, "Les élections sénégalaises du 27 février 1983", PoA 11, 1983.

51 Le Président sénégalais aurait prononcé ces paroles à sa sortie de l'isoloir le 27 février 1983. Anecdote rapportée par Pierre Biarnès lors de l'interview d'Abdou Diouf dans le Club-presse du Tiers-monde. "Abdou Diouf s 'exprime dans le club-presse du Tiers-monde", Le Soleil, 10 mars 1983.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus