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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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5.2. Une campagne électorale très tendue :

Les formations d'opposition ralliées à Abdoulaye Wade exigent avant les élections l'adoption d'un nouveau code électoral qui comprendrait les dix points suivants 134 :

- Une neutralité absolue du président du bureau de vote

- La présence d'un assesseur de l'opposition dans le collège de direction de chaque bureau de vote

- Le passage obligatoire des électeurs dans un isoloir

- La prise en charge des dépenses électorales par l'Etat

- Le passage de la majorité de 21 à 18 ans

- Le droit de vote aux Sénégalais de l'étranger

- Une meilleure répartition du temps d'antenne pendant les élections dans les médias d'Etat

- La non-subordination de l'armée au PS le jour des élections

- Des conditions normales de scrutin

- La publication des résultats par bureaux de vote

Comme en 1983, le PS refuse de toucher au code électoral. Abdou Diouf maintient que l'isoloir ne peut être obligatoire, puisque la tradition sénégalaise pousse à montrer ostentatoirement ses choix politiques, "à porter les couleurs de son candidat" 135 . Si ces explications sont de plus en plus mal perçues par les observateurs internationaux, ces derniers notent tout de même des améliorations notables quant à la couverture générale des élections.

L'Etat sénégalais attribue 280 millions FCFA aux médias pour qu'ils puissent suivre correctement la campagne : 180 millions pour l'ORTS (Office de Radiodiffusion et Télévision Sénégalaise), 50 millions pour Le Soleil et 50 millions à la direction de l'information et à l'APS (Agence de presse sénégalaise) 136 . Si tout n'est pas parfait dans le traitement de l'information, les médias d'Etat affichent une réelle volonté de couvrir tous les meetings des candidats, dans le but de recueillir leurs déclarations mais aussi leurs critiques à l'égard du régime et... des médias d'Etat 137.

Abdou Diouf profite toutefois du couplage des élections présidentielles et législatives pour avoir un plus grand temps d'antenne que ses concurrents. Il jouit, en plus des 5 minutes quotidiennes octroyées à chaque candidat, des 15 minutes accordées au PS pour les législatives, alors que les autres partis en lice n'ont que 3 minutes chacun (soit un total de 15 minutes pour l'ensemble des partis de l'opposition). Durant la campagne, Abdou Diouf a donc de façon "tout à fait légale" 12 minutes quotidiennes de plus qu'Abdoulaye Wade pour expliquer son programme à la télévision et à la radio. Malgré ces problèmes récurrents, déjà présents en 1983, les "petits candidats" à l'élection présidentielle ont la possibilité de faire passer leur message à la population sénégalaise. On en compte deux en 1988 : Landing Savané d'And Jëf et Babacar Niang du PLP.

Landing Savané est présenté comme "le candidat des laissées pour compte" 138 . Relativement jeune - il est né en 1945 à Bignona (Casamance) - il fonde le parti marxiste And Jëf en 1975 (Agir ensemble en wolof). Emprisonné un an sous Senghor pour avoir distribué des tracts subversifs et publié un journal clandestin, Xare Bi (La lutte en wolof), il est défendu au cours

134 Francis Kpatindé, "La campagne électorale bat déjà son plein" , Jeune Afrique, n°1404, 2 décembre 1987.

135 Jean De la Gueriviere, "Le Sénégal, oasis de démocratie", Le Monde, 23 février 1988.

136 Sennen Andriamirado et Francis Kpadinté, "Les élections au jour le jour", Jeune Afrique, n° 1415, 17 février 1988.

137 On peut lire dans Le Soleil du 15 février 1988 que Landing Savané compare les journalistes au Soleil à "des perroquets au service de Diouf".

138 Elimane Fall et Francis Kpatindé, "Le candidat des laissés pour compte", Jeune Afrique, n° 1412, 27 janvier 1988.

de son procès par Maître... Babacar Niang (240). Statisticien de profession, Savané a un projet "alternatif" qu'il résume en 18 points 139 . Voici ci-dessous les points les plus significatifs :

Point 1 : Formation d'un gouvernement révolutionnaire provisoire

Point 4 : Dénonciation des accords militaires avec la France. Retrait des troupes françaises et démantèlement de leurs bases militaires

Point 5 : Retrait des troupes sénégalaises de Sénégambie

Point 6 : Amnistie générale pour les détenus, en particulier ceux de Casamance

Point 7 : Dénonciation des accords avec le FMI et la Banque mondiale

Point 13 : Mise en place d'une réforme agraire

Point 16 : Sénégalisation des emplois occupés par les expatriés

Comme on s'en aperçoit, son appartenance au marxisme révolutionnaire ne fait aucun doute. De plus, ses origines le poussent à s'investir sur le terrain casamançais. Même s'il condamne

les violences perpétrées par le MFDC, le PS est pour lui l'unique responsable de la situation sanglante dans la région. Il critique aussi au cours de sa campagne la confiscation des médias

d'Etat par la formation socialiste. A la tête d'un parti peu implanté sur l'ensemble du territoire sénégalais - And Jëf ne s'aligne d'ailleurs pas aux législatives - Landing Savané profite des

présidentielles pour se faire connaître du grand public. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre son slogan : "je suis un candidat sans illusion" 140.

Contrairement au fondateur d'And Jëf, Babacar Niang nourrit de grandes ambitions en 1988.
Depuis son installation à l'Assemblée nationale, l'avocat de profession s'est fait remarquer par son port récurrent du boubou - le costume de ville est habituellement d'usage au Parlement - et

son emploi quasi-exclusif du wolof lors des débats parlementaires. Cette attitude singulière agace, d'autant plus que Niang est un fervent partisan d'une remise en cause de la laïcité

"senghorienne". Il souhaite en effet un enseignement religieux dans les écoles publiques, car "les chefs religieux exercent des fonctions sociales et d'encadrement et de protection des masses" 141 . Si comme Landing Savané, Babacar Niang a connu la prison après la dissolution

du PAI en 1964, on retient surtout de son passé politique sa rupture avec Cheikh Anta Diop.

Or, ce dernier connaît depuis sa mort en 1986 une popularité croissante au Sénégal, relayée par les politiques, les médias d'Etat et son adversaire d'autrefois... Léopold Sédar Senghor 142.

La réputation de Babacar Niang décroît ainsi fortement après 1986 143 , l'image du "traître" lui collant à la peau.

D'autres formations d'opposition se manifestent au cours des trois semaines de campagne. En
dépit de leur soutien à Wade, la LD/MPT et le PIT s'inscrivent aux législatives dans le but de profiter de la couverture des médias. Le parti d'Abdoulaye Bathily présente la liste jallarbi pour "permettre de traduire les différences qui font la richesse de l'opposition" 144 . Toutefois,

la plupart des meetings des deux partis se font en commun, le plus souvent en compagnie du

PDS. Ils critiquent la chute du pouvoir d'achat, la nouvelle politique agricole, la "dictature" du FMI et de la Banque mondiale et les ndiguel prononcés en faveur de Diouf. Ils s'opposent

également aux "partis bidons" favorisés par le PS, notamment le PDS/R, seul parti

139 Ideam.

140 Le Soleil, 15 février 1988.

141 Francis Kpatindé, "Babacar Niang, le cow-boy solitaire", Jeune Afrique, n° 1413, 3 février 1988.

142 Voir l'hommage rendu par Senghor à Cheikh Anta Diop dans Le Soleil du 8 février 1986.

143 Le PLP a connu des scores satisfaisants lors des élections municipales de 1984. Dans certaines communautés rurales, le parti de Babacar Niang a atteint 25% des suffrages. Ces scores soulignent la bonne renommée du PLP avant la mort de Cheikh Anta Diop. "Résultats définitifs et officiels des élections municipales et rurales du 25 novembre 1984", Le Soleil, 28 novembre 1984.

144 "La LD/MPT/ soutient Wade", Le Soleil, 10 septembre 1987.

d'opposition inscrit aux législatives soutenant ouvertement la candidature d'Abdou Diouf. Abdoulaye Wade lorgne quant à lui vers le palais présidentiel et croit en ses chances. Grâce à une campagne soigneusement préparée et coordonnée par un jeune sénégalais de 28 ans,

Idrissa Seck, le fondateur du PDS adopte la même attitude provocatrice que lors de la précampagne. Il tourne notamment en dérision le couple présidentiel, qu'il surnomme "monsieur forage et madame moulin ", en référence à la propagande étatique qui a lourdement mis en avant les inaugurations de puits au cours du quinquennat. Face au refus d'Abdou Diouf d'organiser un face-à-face télévisé avec lui, il s'esclaffe :

"si Diouf ne veut pas débattre, qu 'il envoie trois de ses ministres contre moi tout seul, je suis sûr que je gagnerai" 145.

De plus, Abdoulaye Wade emballe les foules avec de nombreuses propositions jugées fantaisistes par le gouvernement PS : prix du riz baissé de moitié à 60 FCFA, réintégration des policiers radiés, semences et engrais gratuits pendant deux ans, chômage des jeunes totalement résorbés, forages à l'énergie solaire construits... 30 fois moins chers que ceux de Diouf etc. Abdou Diouf est donc présenté par le camp libéral comme un autocrate, mais aussi un mauvais gestionnaire, responsable d'avoir contracté 615 milliards de dette rejetés sur les générations futures à cause du rééchelonnement 146.

Face à un adversaire surmotivé, Abdou Diouf table sur ses qualités premières : modération, calme et consensus. Le Président mise aussi sur les recettes de 1983, à savoir un appui prononcé des confréries religieuses - en dépit des "faibles" scores enregistrés en 1983 dans le Diourbel - et un soutien sans faille de ses groupes de soutien.

Nonobstant le ndiguel du Khalife général des Mourides, Serigne Abdou Lahat Mbacke, l'unanimité autour de la candidature dioufiste n'est plus de mise au sein de la confrérie. Pis, certains membres de la communauté mouride appellent explicitement à voter Abdoulaye Wade, comme Serigne Khadim Mbacke, Serigne Dame Mbacke (inscrit sur la liste PDS) et Dady Faty Mbacke. Le premier nommé fait une déclaration fracassante à la télévision le 9 février 1988 :

"quant à Abdou Diouf, il nous a privés de travail et si Dieu veut le bonheur du peuple sénégalais, Abdou Diouf ne sera pas réélu. Inutile de continuer à prier s 'il est réélu puisque Dieu nous aura abandonnés." 147.

Cependant, suite à de fortes pressions, il retire son soutien officiel au candidat libéral le 13 février 1988. Cette volte-face reflète le malaise mouride vis-à-vis du ndiguel officiel. Certains fidèles s'en désolidarisent, comme en témoigne "des lettres anonymes jetées par-dessus le mur extérieur de la résidence du Khalife général des Mourides" 148 . L'opposition profite de cette situation confuse pour révéler une filiation entre Serigne Touba et... le père d'Abdoulaye Wade. Le front en faveur du candidat PDS peut ainsi soutenir que "ne pas voter Diouf ne cause en rien quelque dommage que ce soit aux talibés dans ses rapports avec Serigne

145 Sennen Andriamirado, "La grande messe", Jeune Afrique, n° 1417, 2 mars 1988.

146 "Je suis prêt à sacrifier ma vie", Le soleil, 22 février 1988 et "Tout contrevenant à la vérité n'est pas musulman", Le Soleil, 9 février 1988.

147 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ? Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.

148 Hamad Jean Stanislas Ndiaye, "La communication politique dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS(Parti Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000", Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal).

Touba" 149.

L'effritement du ndiguel est de ce fait manifeste pour les contemporains. Les autres grandes communautés religieuses - tidjane et chrétienne - moins liées économiquement à l'Etat socialiste, choisissent de ne pas donner de consignes officielles de vote pour ne pas provoquer de mécontentements. Pour contrer les méfaits électoraux de cette relative désaffection des religieux, Abdou Diouf compte sur la vitalité de ses comités de soutien.

Contrairement à 1983, ces associations sont plus politisées, les tentatives de rapprochement entre Diouf et la société civile ayant été peu concluantes. C'est pourquoi le GRESEN, exemple type du groupe de soutien apolitique, se mue avant les élections de 1988 en un mouvement politisé, Abdoo nu dooy. Lors de son acte de naissance, le 12 septembre 1987, il compte 1 450 adhérents. Il y a des membres du gouvernement, des religieux, des universitaires et... des anciens compagnons de Senghor 150.

Le groupe de soutien souhaite jouer un rôle dans la campagne, et se donne les moyens d'occuper le terrain médiatique : il crée un journal officiel, un film de campagne, un service publicitaire, des sections dans des villes telles qu'Abidjan, Paris, Marseille ou Le Caire etc. Abdoo nu dooy axe sa propagande sur la stabilité du régime dioufiste, sa stature d'homme d'Etat et de confiance. Finalement, il emploie les mêmes thèmes que la propagande socialiste, sans pour autant se référer au PS. L'engagement d'hommes tels que Habib Thiam, Alioune Badara Mbengue, Assane Seck, Babacar Bâ, Abdoulaye Fofana, ou Iba der Thiam - fondateur d'Abdoo nu dooy - tous plus ou moins bannis des zones d'influence socialistes, n'est pas le fruit du hasard. Le comité de soutien a pour vocation d'aider Abdou Diouf sans pour autant appuyer les initiatives socialistes. Les personnes qui composent Abdoo nu dooy cherchent de ce fait à créer de nouvelles filières clientélistes, sans passer par le parti gouvernemental 151. Il tente donc de s'approprier Abdou Diouf, et sa future victoire, au dépend du Parti Socialiste. Ces "soutiens mercenaires" irritent le PS qui, face à l'omniprésence d'Abdoo nu dooy dans les médias, est relégué au second plan lors la précampagne électorale.

Néanmoins, Abdoo nu dooy connaît un terrible coup d'arrêt en janvier 1988, lorsque la Cour constitutionnelle interdit toute campagne déguisée durant les trois semaines de campagne officielle. Le comité de soutien se voit alors dans l'obligation de laisser la main au PS. Abdou Diouf est ainsi privé d'un des éléments qui a favorisé son plébiscite de 1983. En lieu et place d'une organisation acquise à sa cause, le Président sortant compose avec un PS incapable de répondre aux attaques wadistes. Daouda Sow, président du Parlement et tête de liste PS aux législatives, n'a pas le charisme nécessaire pour venir "au secours" de son candidat. Sans appui unanime des Mourides et en l'absence d'une organisation capable de le seconder, Abdou Diouf sombre à l'approche du scrutin présidentiel "face à la furie des dictateurs en herbe" 152.

Les sopistes misent en effet sur l'escalade verbale en fin de campagne. L'image d'Abdou Diouf, autrefois en marge de l'impopularité du PS, est en 1988 pleinement assimilé au régime socialiste. Pis, ce n'est plus le socialisme qui est responsable des maux du pays, mais le Président de la République lui-même. Wade ne s'attaque donc plus à un parti, mais à un homme. Diouf est notamment accusé d'avoir détourné des fonds, placé des biens à l'étranger

149 Le soleil, 20 février 1988.

150 "Naissance d'un mouvement "Abdoo nu dooy" : occupation du terrain politique", Le soleil, 12-13 septembre 1987.

151 M-C. Diop et M. Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.

152 Terme employé par Le soleil pour désigner les opposants au Président Diouf. "Abdou Diouf candidat du PS : mobilisation pour préserver la démocratie", Le soleil, 11 janvier 1988.

et mené... une politique ultra-libérale. Plus grave, le PDS prône la violence physique en cas de fraudes constatées. Boubacar Sall, numéro deux du PDS en 1988, déclare aux militants libéraux : "ne faites pas de provocations mais tuez tout comité d'action qui vous provoquera, j'en prends l'entière responsabilité. Le changement est à ce prix" 153, tandis que Wade préconise "l'autodéfense ". Le Président sortant répond à ces menaces en renchérissant : "si on m'offense, je pardonne. Mais si on touche aux institutions de l'Etat, à l'unité nationale, à l'intégrité nationale, on me rencontrera" 154 . La tension est à son paroxysme. Les permanences socialistes deviennent les cibles des vandales et le cortège du couple présidentiel est régulièrement attaqué par des sympathisants PDS, le plus souvent à peine âgés de 18

ans155.

Pour retrouver un "état de grâce" évaporé au cours de son quinquennat, Abdou Diouf essaie de récupérer un semblant de popularité. Contrairement à 1983, il tente de se présenter en héritier de Léopold Sédar Senghor. Il multiplie les références et les hommages au "Père de la nation". Le chef de l'Etat s'appuie aussi lors de ses meetings sur des personnalités populaires et connues au Sénégal. Il fait appel à Manga II, véritable star de la lutte sénégalaise.

Pour ne vexer personne, le Président souligne aussi tout au long de sa traversée du Sénégal - il tient en moyenne trois meeting par jour, tout comme son concurrent libéral - sa reconnaissance envers Jean Collin, "à qui il doit tout". Ce dernier "honore" la confiance présidentielle en cherchant à déstabiliser le PDS.

A quelques jours des élections, deux personnes d'origine libyenne sont arrêtées avec des faux papiers à l'aéroport de Dakar, en compagnie d'Ahmed Khalife Niasse, surnommé "l'ayatollah de Kaolack" 156 . Celui-ci s'est rendu célèbre en créant en 1979 l'éphémère parti de Dieu, Hizboulahi, et en brûlant un drapeau français lors de la visite officielle de François Mitterrand en 1982. L'image subversive du personnage, couplée à l'arrestation d'hommes suspectés d'être en relation avec Wade - il est de notoriété publique que le fondateur du PDS entretient des rapports très étroits avec Kadhafi - jette le trouble sur les intentions post-électorales du camp libéral. L'affaire est cependant très vite étouffée par les médias d'Etat, Wade réussissant à démontrer que les billets d'avion des deux "agents libyens" ont été payés par... Jean Collin en personne 157.

Cette affaire accentue le climat pesant qui règne au Sénégal, d'autant plus que le pays connaît au cours des trois semaines de campagne une nouvelle crise scolaire. En effet, à neuf jours des élections, sur 26 établissements lycéens, un seul est ouvert. Les jeunes sortent alors dans les rues, se rallient au sopi et participent au désordre ambiant. Le 26 février 1988, à Thiès, durant un meeting d'Abdou Diouf, une manifestation interdite dégénère. Les jeunes utilisent des cocktails Molotov, des pierres et des haches, les forces de l'ordre répondant à coups de gaz lacrymogène. Ainsi, "pendant qu'Abdou Diouf parle, retentit de temps en temps la déflagration violente de grenades offensives dans les quartiers périphériques de la cité du rail" 158 . Le Président de la République, excédé par ce climat apocalyptique, tient des propos

153 Le Soleil du 15 février 1988.

154 Sennen Andriamirado, "La grande messe", Jeune Afrique, n° 1417, 2 mars 1988.

155 "Pis, agités et encadrés par les nervis, (les sympathisants PDS) ils se mettent à saboter les meetings et manifestations du candidat au pouvoir et de son parti, le Parti socialiste (Ps). Partout, le candidat Abdou Diouf essuie quolibets et jets de pierre". Abdoulaye Ndiaga Sylla, "Voter Sénégal", Sud Hebdo, 25 février 1988.

156 "Arrestation d'agents libyens porteurs d'armes", Le soleil, 22 février 1988 et "Interpellation d'Ahmed Khalife Niasse", Le Soleil, 25 février 1988.

157 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société, pp.305-306, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.

158 Le Soleil, 28 février 1988.

particulièrement durs à l'égard de la jeunesse libérale 159 . Il parle de mauvaise herbe, de bandits de grand chemin, et d'une pseudo jeunesse malsaine. Sa sortie de meeting est ce jour là extrêmement difficile. Il subit la colère et les jets de pierres de nombreux riverains.

Les discours qui clôturent la campagne présidentielle s'apparentent à de véritables déclarations de guerre. Devant 50 000 personnes, Wade propose de refermer "une parenthèse de l'histoire du Sénégal" le 28 février, alors que Diouf, qui déclare s'être tromper sur les hommes avec qui faire la démocratie, menace ceux qui "tentent de manipuler les enfants pour en faire de la chair à canon" de les tenir pour seuls responsables en cas de violences postélectorales 160.

La campagne pour les législatives n'a quant à elle jamais véritablement débuté. Daouda Sow a été incapable de s'affirmer en tant que tête de liste PS ; Abdoulaye Wade, à la fois candidat au palais présidentiel et tête de liste PDS, a largement plus insisté sur son utilité au sommet de l'Etat et les partis uniquement inscrits aux législatives n'ont eu qu'un rôle de militant, soit en faveur de Wade, soit en faveur de Diouf. Les "lieutenants" des deux grands candidats n'ont ainsi pas pu, ni voulu, tempéré un climat électoral violent, engendré par la paupérisation accélérée de la population depuis 1981, les provocations politiques, les craintes de fraude et l'absence d'observateurs internationaux 161.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry