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L'alcoolique et son fétiche

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par Sandra SOUILLAT
Université de Provence - Master 1 pro psychologie clinique et psychopathologie 2006
  

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L'hypothèse de départ est la suivante : L'alcoolique est dans l'incapacité d'élaborer la perte d'un objet car celle-ci vient créer une frustration insupportable

Cette hypothèse se vérifie au vu des données recueillies puisque les deux patients sont en effet dans l'incapacité à élaborer la perte d'un objet car celle-ci viendrait créer une frustration interne intense. En effet, la perte du bon objet les inscrit dans une quête insatiable de restauration narcissique : la renarcissisation est essentielle pour retrouver une complétude narcissique. Mr B présente un manque narcissique et Mme E un manque du sein maternel et de ce qu'il représente au niveau identitaire. La quête de comblage et de substitution est donc prégnante chez les patients puisqu'ils sont en quête de réparation narcissique pour éviter l'angoisse dépressive.

La perte n'est que très peu élaborable, il leur faut donc substituer cette perte au plus vite : l'alcool leur a permis d'accéder à ces buts dans la mesure où Mr B y trouvait l'effet renarcissisant du toxique et Mme E les sensations liées à la relation au sein maternel. Cette liquide substance viendrait alors atténuer l'angoisse liée à la frustration du manque et de la séparation.

Cependant, la particularité de Mme E est également la frustration liée à sa problématique oedipienne : la réalisation fantasmée des désirs oedipiens. Ainsi, la patiente ne chercherait pas à combler un vide, mais à réparer ce qui est en défaut dans son monde interne : son but serait également d'obtenir réparation de cette transgression imaginée de l'inceste en annulant celle-ci à l'aide des effets anesthésiants et psychotropes de l'alcool. Dans ce sens, elle ne chercherait pas seulement à substituer l'alcool au sein perdu, mais aussi à faire disparaître cette part défaillante du Soi. Il en va de même pour Mr B, puisque l'alcool se substitue lui aussi à cette part défaillante du Moi pour permettre de faire disparaître celle-ci.

Dans ce sens, l'alcool viendrait donc bien se substituer à la perte d'un objet, mais cet objet n'est pas nécessairement réel, il peut également être fantasmé. Le fétiche, lui, s'édifierait face à la réalité perceptive de la frustration, alors que les données recueillies montrent que cette réalité peut également être subjective (imaginée).

Je peux donc proposer la reformulation suivante : L'alcoolique est dans l'incapacité d'élaborer la perte réelle ou fantasmée d'un objet car celle-ci vient créer une frustration insupportable

5.2. DISCUSSION ET REFORMULATION DE L'HYPOTHESE 2

L'hypothèse de départ est la suivante : L'alcoolique poursuivrait le même but que le fétichiste : lutter contre une menace de castration narcissique en déniant partiellement la réalité.

Les deux patients sont tous deux ancrés dans une angoisse de castration : ils se sentent en effet menacés dans leur intégrité narcissique. Mr B dit souffrir d'un sentiment de faiblesse et Mme E est en quête de l'amour d'autrui. Cependant, comme j'ai pu le repérer dans l'analyse qualitative des données, la nature de l'angoisse est différente chez nos deux patients.

En effet, Mr B est tyrannisé par une angoisse de castration narcissique : durant l'enfance, il n'a pu construire une image de lui-même positive. Le père agressif et buveur lui a renvoyé une image négative de lui-même, ne permettant pas une unification satisfaisante de son Moi. Ecrasé par la toute-puissance du père, le patient s'est englouti dans un sentiment de faiblesse et d'impuissance qu'il n'a jamais pu élaborer et dépasser. Ainsi, la symbolique de la fonction paternelle est castratrice : le Nom-du-Père (Lacan) n'est pas intégré mais forclos et dénié de façon partielle. Le patient cherche à se venger de ce père tout-puissant en tentant de lui dérober cette qualité par introjection : il boit comme lui et devient agressif comme lui (donc aussi fort que lui). Cependant, ces qualités incorporées sont insupportables pour lui puisqu'elles lui rappellent le traumatisme originaire duquel il souffre. Mr B est ancré dans une angoisse de castration phallique contre laquelle il tente de triompher, mais en vain car cette vengeance même lui rappelle que ce triomphe est impossible.

Mme E, quant à elle, est ancrée dans une angoisse de castration génitale car l'accès à la fonction maternelle lui donnerait l'impression d'avoir supplanter la mère et obtenu du père un enfant. Les désirs oedipiens sont donc conçus par elle comme réalisés et l'interdit de l'inceste comme transgressé. Ceci crée alors une angoisse intolérable puisqu'elle est tyrannisée par la sentence sous-jacente à cette réalisation fantasmée de l'inceste : la castration génitale, puis phallique (ce que représente symboliquement le pénis pour son narcissisme). Elle tente de se dédommager de cette faute imaginée en réinvestissant un nouvel objet (l'amant) et pour se donner l'illusion d'avoir réparé cette faute, elle aurait introjecté un attribut de cet amant : en devenant alcoolique comme ce dernier, elle continue à conserver ce lien à lui, comme pour prouver que son amour n'est plus dirigé vers le père, mais vers cet autre homme. Cependant, cela ne semble pas suffisant pour atténuer son angoisse. En effet, l'acte de boire rappelle à lui seul cette transgression de l'inceste vis-à-vis de laquelle elle tente de se dédommager.

Mr B et Mme E sont donc bien ancrés dans une angoisse de castration mais celles-ci sont de nature différentes : elles sont en lien avec les problématiques qui leur sont spécifiques (Mr B, l'homosexualité, Mme E, névrose obsessionnelle compulsive). Tous deux, cependant, tentent de se dédommager des menaces sous-jacentes à leurs structures. Dans ce sens, la nature de l'angoisse est différente mais la stratégie défensive est la même, du moins, du point de vue du déni partiel : une partie du Moi oeuvre à triompher de cette menace en tentant de faire comme si elle n'avait pas lieu tandis que l'autre la reconnaît.

Ainsi, j'apporterai le remaniement suivant concernant la première hypothèse : L'alcoolique et le fétichiste poursuivent le même but : dénier partiellement la réalité pour lutter contre les angoisses qui leur sont propres.

5.4. TABLEAU RECAPITULATIF DE LA DISCUSSION DES HYPOTHESES

 

Hypothèse 1

Hypothèse 2

 

Critère 1 : Intolérance de la frustration

Critère 2 : Incapacité de deuil et de séparation

Critère 3 : L'angoisse de castration

Critère 4 : Le déni partiel

Mr B

Le fantasme

Le Nom-du-Père

Angoisse de castration narcissique

La réalité

Mme E

La réalité

L'enfant du père et la mère rivale

Angoisse de castration génitale

Le fantasme

CONCLUSION

L'alcoolisme peut être comparé au fétichisme dans la mesure où l'alcool vient, comme le fétiche, se substituer à la perte d'un objet. La position mélancolique se retrouve tant chez le fétichiste que chez l'alcoolique puisque tous deux présentent une capacité de deuil et de séparation défaillante. Tout comme le fétiche, l'alcool permettrait de dénier partiellement la réalité : une partie du Moi la reconnaîtrait tandis que l'autre continuerait à faire comme si elle n'existait pas. De ce fait, l'alcool possèderait les mêmes pouvoirs magiques que le fétiche : il permettrait de faire exister ce qui est pourtant réellement perdu. L'angoisse dépressive est ainsi évincée dans les deux cas.

Cependant, l'objet à la source de la frustration chez le fétichiste (le sexe féminin) n'est pas le même chez l'alcoolique puisque l'alcoolisme est un trouble du comportement. Il n'est donc pas spécifique à un type précis de structure psychologique : les structures psychotique, limite, névrotique ou encore perverse peuvent être concernées par l'alcoolisme. Pour Mr B (perversion sexuelle), la frustration est celle de l'identification primaire à la symbolique d'une fonction paternelle peu structurante, tandis que Mme E (névrose obsessionnelle) est frustrée par la réalité qu'elle ne peut contrôler et les objets d'amour oedipiens. Mes rencontres avec les patients alcooliques m'ont permis de vérifier encore et encore ce lien entre structure psychique et objet de frustration spécifique. Et il est dommage que le temps imparti pour la réalisation de ce travail n'ait pu me permettre d'exposer cela.

Il en va de même concernant l'angoisse contre laquelle lutte l'alcoolique : elle dépend de la structure qui caractérise le patient en question. Ainsi, Mme E est-elle hantée par une angoisse de castration génitale et Mr B par une angoisse de castration phallique. Le déni partiel est donc lui aussi dépendant de la structure singulière au patient alcoolique : Mr B dénie partiellement la réalité d'un père castrateur et Mme E contre la réalité fantasmée de la transgression de l'interdit de l'inceste.

Quoiqu'il en soit, cette recherche clinique a pu me montrer en quoi l'objet ou la spécificité de l'addiction en question justifie sa singularité sémiologique et nosographique. Mais elle a pu également montrer qu'au-delà de ces objets et spécificités, des liens peuvent être réalisés entre deux formes d'addiction du point de vue des processus de pensée : l'alcoolique et le fétichiste chercheraient à luter contre une frustration menaçant leur intégrité narcissique et identitaire.

Cependant, neuf mois d'étude n'on pas suffit à satisfaire ma curiosité sur ce point car je pourrais interroger le lien entre l'alcoolisme et d'autres formes de perversions sexuelles ou avec d'autres addictions (boulimie avec vomissements par exemple).

Je ne peux donc prétendre avoir achevé cette étude, ni même l'achever un jour, tant les questionnements en appellent d'autres... Cette étude comparative entre l'alcoolisme et le fétichisme, ou d'autres perversions sexuelles, pourrait faire l'objet d'un projet de doctorat, que j'envisage d'entamer à la fin de cette formation professionnelle.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry