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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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Université Michel de Montaigne Bordeaux 3

UFR Sciences de l'Information, de la Communication et des Arts (SICA)

Centre d'étude des médias de l'information et de la communication (CEMIC)

Photo : Goethe Institut, Dakar

ETHIQUE, DÉONTOLOGIE ET RÉGULATION DE LA PRESSE ÉCRITE AU SENEGAL

Mémoire de DEA soutenu le 20 juin 2005 par Moussa MBOW

Sous la direction de Mme Annie LENOBLE-BART, Professeur en sciences de l'information et de la communication, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3

Année universitaire: 2004/ 2005

ETHIQUE, DÉONTOLOGIE ET RÉGULATION DE LA PRESSE ÉCRITE AU SENEGAL

REMERCIEMENTS

Je voudrais témoigner ma gratitude à tous ceux qui, de près ou de loin, m'ont apporté un appui nécessaire à l'écriture de ce mémoire.

A Madame Annie LENOBLE-BART, pour avoir accepté de le diriger avec ses remarques et suggestions qui m'ont permis de ne pas m'éloigner de mon propos, et des conseils bibliographiques haut combien importants sur des points que j'ignorais. Au-delà de la qualité et de la finesse de l'encadrement, j'insisterais sur ses qualités humaines, je veux parler de sa disponibilité et de cette serviabilité qui ont fait que, travailler avec elle a été pour moi un grand plaisir.

A mes amis Mamadou-Issa NDIATH, Ibrahima DIOP et Seydou SALL

Je dédie ce mémoire à mon père, ma mère et ma petite soeur dont le soutien moral n'a jamais faibli et renforce continuellement ma soif d'apprendre toujours davantage.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

PREMIERE PARTIE

LA DIVERSITE : UNE VIELLE TRADITION DE LA PRESSE SENEGALAISE 4

Chapitre 1. De l'époque coloniale à « l'ouverture démocratique » 4

I. De la colonisation aux indépendances 4

II. Des indépendances à la libéralisation 4

Chapitre 2. Les journaux de la nouvelle génération 4

I. Le quotidien gouvernemental 4

II. La presse dite indépendante 4

III. Presse populaire, « presse à scandale » 4

Chapitre 3. Pluralisme et démocratie 4

I. Rôle de la presse en démocratie 4

II. Presse indépendante ou d'opposition ? 4

III. Essai de dépassement du conformisme social 4

DEUXIEME PARTIE

DERIVES DES JOURNALISTES OU TENTATIVES DE MUSELLEMENT DES « PUISSANTS » ? 4

Chapitre 1. Inventaire de quelques « manquements » à l'éthique et à la déontologie 4

I. L'autocensure des journalistes du Soleil 4

II. Traitement tendancieux de l'information des journaux indépendants ? 4

III. La presse people face aux « risques du métier » 4

Chapitre 2. Les principales causes des dérives 4

I. L'existence d'un quotidien gouvernemental 4

II. Le recrutement au rabais 4

III. L'instabilité financière 4

Chapitre 3. Journalistes coupables ou victimes ? 4

I. Des remous au sein de la profession 4

II. Le public seul juge 4

TROISIEME PARTIE

DES MOYENS DE REGULATON A REDEFINIR 4

Chapitre 1. Les moyens de régulation institutionnels 4

I. Une loi favorable... s'il n' y avait pas le code pénal 4

II. Deux organisations étatiques : la commission de la carte et le HCA 4

Chapitre 2. Les moyens de régulation de la profession 4

I. Deux organisations professionnelles : le SYNPICS et le CRED 4

II. Walfadjri et Le Quotidien : deux cultures d'autorégulation différentes 4

Chapitre 3. Les limites des mécanismes de régulation 4

I Des mécanismes institutionnels qui installent « un dédale juridique » 4

II. L'impossible autorégulation ? 4

III. Avec quels moyens assurer la responsabilité sociale ? 4

CONCLUSION 4

BIBLIOGRAPHIE 4

ANNEXES 4

INTRODUCTION

« Il n'y a jamais de liberté sans responsabilité et les limites de la liberté, c'est justement la responsabilité » disait Hubert BEUVE-MERY1(*), le fondateur du quotidien français Le Monde. Les professionnels des médias ont de tout temps et à divers endroits de la planète, revendiqué cette liberté sans laquelle ils ne pourraient pas accomplir convenablement leur travail. Pour l'accompagner, pas question que le pouvoir étatique intervienne, ils pensent à l'autorégulation car : « le journaliste n'accepte en matière d'honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l'exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre »2(*). Liberté et responsabilité seraient donc les deux versants indispensables pour le développement harmonieux des médias, le premier étant assuré par la législation d'un pays tandis que l'autre est du ressort de la profession. Telle est, en tout cas, la vision globale des codes et chartes internationaux qui ont inspiré les textes nationaux qui régissent les médias dans les pays démocratiques.

Cependant, autant la censure est contraire à l'affirmation d'une presse libre, autant les dérapages liés à un excès de liberté sont nuisibles à une presse qui se veut de qualité. Et si les professionnels parlent de responsabilité ou d'autorégulation cela veut dire qu'ils reconnaissent les dégâts que pourraient causer les dérives de certains d'entre eux en usant de cette liberté. Au Sénégal, les journalistes jouissent d'une liberté leur permettant d'aborder les sujets de leur choix pour mener leurs investigations. Au nom de cette liberté, les médias ont toujours revendiqué leur rôle civique en se considérant comme des « sentinelles de la démocratie »3(*). Mais, cette liberté tant louée et si salvatrice semble produire un effet des moins inattendus. Au cours de ces dernières années se sont produits pas mal de dérives et de manquements manifestes aux principes éthiques et déontologiques qui sont sensés régir la profession. C'est ce qui nous pousse à nous interroger sur l'évolution de cette presse. Car à un moment de son histoire où le journaliste se trouve de plus en plus souvent sur le banc des accusés, sujet de critiques y compris de confrères eux-mêmes, une interrogation sur ses dérives s'avère plus qu'une nécessité. Nous nous autoriserons donc une incursion dans les coulisses de ces dérives à l'éthique et à la déontologie des journalistes tout en présentant les moyens de régulation, qu'ils soient internes ou externes à la profession. Mais avant tout, qu'entendre par éthique et déontologie ?

L'éthique relève le plus souvent de la morale. Selon Daniel CORNU: «l'éthique est comprise comme la mise en jeu personnelle d'un ensemble de valeurs librement adoptées par un individu »4(*). Il s'agit de comportements et d'idées individuels sur lesquels la personne bâti ses relations avec les autres. L'éthique n'est donc pas une exclusivité journalistique car chacun a la sienne tout comme elle est relative à la société dans laquelle on vit. Par exemple, montrer deux personnes de même sexe s'embrasser à la télévision est entré dans les moeurs de la plupart des pays occidentaux tandis qu'ailleurs, cela pourrait relever d'une dérive non tolérée par la société. L'éthique semble donc être un déterminisme : il s'agit ni plus ni moins de respecter des règles et des normes consacrées qui fondent les valeurs de la société dans laquelle on vit. Pour le journaliste, le respect de l'éthique se fait en fonction de plusieurs paramètres. Doit-il par exemple relater une information (même si elle est vraie), si celle-ci n'a d'autre but que d'avilir ou de jeter en pâture la personne ou l'institution qu'elle concerne? Doit-il utiliser un langage cru pour faire part des frasques sexuelles d'un politique ou celui qui convient à une société pudique et conservatrice ? C'est un choix qui « repose sur un déterminisme individuel qui justifie le choix de dire ou de taire, mais surtout de trouver une manière d'informer sans porter atteinte aux droits des individus, à la vie privée d'un citoyen, sans heurter la société dans ses valeurs fondamentales. Il ne s'agit ni de censure, ni d'autocensure, seulement de juste mesure à respecter »5(*) note Mouhamadou Tidiane KASSE, ancien rédacteur en chef du quotidien Walfadjri.

Si l'éthique relève de la sphère privée, la déontologie elle, est du domaine public. Elle est l'affaire des professionnels. Selon Alexandrine CIVARD-RACINAIS « elle représente un ensemble des règles qui régissent la conduite du journaliste à l'égard de ses confrères, de son public, de la société »6(*). Elle apparaît comme un recueil de prescriptions et même de devoirs (déonto (grec)=devoir). Ces prescriptions sont souvent rassemblées dans un code ou une charte. Elles définissent des comportements concrets ou des conduites à suivre, par exemple : la nécessité de vérifier et de recouper les informations. Ces comportements constituent des exigences ou des normes à la fois codifiées, générales et minimales, des lignes rouges à ne pas franchir. La déontologie vient compléter l'éthique en ce sens qu'elles pose des règles morales identifiées à la profession. Le journaliste est tenu de les respecter dans la recherche et la diffusion de l'information. Pour autant, l'énonciation de ces règles professionnelles ne regarde pas que les seuls journalistes. La déontologie est, en fait, un moyen de régulation, en plus de la loi, elle encadre la pratique du journalisme et s'inscrit ainsi dans l'affirmation de « la responsabilité sociale » des médias. Elle oeuvre pour l'amélioration de la presse afin que celle-ci recouvre ou maintienne la confiance que lui accorde le public.

Au final l'éthique et la déontologie semblent indissociables, c'est comme les deux pages d'une feuille, l'envers et l'endroit d'une pièce ou d'une médaille ou encore le signifiant et le signifié : les deux éléments qui constituent le signe linguistique. Selon Henri PIGEAT7(*), « alors que l'éthique intervient comme puissance de questionnement de l'ensemble du processus de l'information », la déontologie, quant à elle « revêt la portée limitée d'une morale propre à l'activité journalistique ». « Elle renvoie, ajoute-t-il, à des règles professionnelles qui constituent les conditions ordinairement admises d'une formation correcte au sens pragmatique. Elle est, en jouant sur les mots, `une morale au quotidien' ». Daniel CORNU, lui, parle d' « éthique réflexive »8(*) pour désigner la déontologie journalistique.

L'élaboration d'une recherche sur ce sujet trouve sa motivation auprès de trois points essentiels. Premièrement, le Sénégal est l'un des pays d'Afrique francophone où la libéralisation du secteur médiatique et le pluralisme qui en est le corollaire ont été effectifs plus tôt que dans d'autres Etats. Si, dans la plupart de ces pays, la diversité a été acquise dans les années 1990, au Sénégal, on assistait déjà à la création d'organes privés dès 1984 avec le journal Walfadjri, avant qu'il ne soit suivi de Sud Magazine en 1986. Après une vingtaine d'années de pluralisme, et la création de près d'une trentaine d'organes de presse, l'urgence semble ne plus être l'instauration d'un contexte propice à la liberté des journalistes. Il s'agit plutôt de s'interroger sur «les effets secondaires» de cette liberté. Le second point concerne le changement de régime intervenu depuis mars 2000. Comme on le sait, une alternance politique se traduit souvent par une altération de la plupart des secteurs d'activité d'un pays. Il est intéressant de voir comment se comporte l'ancien leader de l'opposition Abdoulaye WADE à l'égard de la presse. Les médias publics, jadis dans sa ligne de mire à cause du traitement de l'actualité politique souvent inéquitable et favorable à l'ancien gouvernement ont-ils été affectés par le souffle de l'alternance ? Quant aux médias dits indépendants à qui on reprochait à tort ou à raison de « rouler pour l'opposition », quelle est leur reconfiguration après l'alternance ? Le troisième et dernier point a trait à l'émergence d'une nouvelle presse. Comme par hasard, celle-ci est née avec la première alternance politique que le Sénégal ait connue. Les historiens des médias sénégalais retiendront que c'est avec le troisième millénaire qu'est apparue une presse encline à la recherche du profit, donc inévitablement peu respectueuse des principes éthiques et déontologiques qui régissent la profession.

Ces trois points entrecroisés nous permettront de nous interroger sur les dérapages spectaculaires qui se sont produits au cours de ces dernières années et compromettent l'image des médias auprès du public. Dans les années 1980, 1990, si le premier combat des journalistes était le pluralisme de l'information, la création d'un maximum de titres, il est maintenant temps de s'arrêter sur le contenu. Alors quelle est la nature des effets pervers du pluralisme et de la liberté du journaliste ? Ces dérives et ces dérapages qui violent les principes éthiques et déontologiques de qui sont-ils l'oeuvre et dans quel but ? Qui en sont les victimes ? Quelles en sont les causes et les conséquences ? Quels sont les moyens mis sur pied par les professionnels et par l'Etat pour encadrer la pratique du métier ? Sont-ils efficaces, ou au contraire, gagneraient-ils à être réformés ? Bref, dans ce mémoire, nous nous autoriserons une « ingérence » dans le milieu en examinant les dérives et les dérapages aux principes éthiques et déontologiques, mais aussi en appréciant la régulation de la presse sénégalaise ; qu'elle soit interne ou externe !

Notre travail s'inscrit dans le domaine des sciences de l'information et de la communication. Selon Alain LARAMAEE et Bernard VALLEE9(*), une recherche en communication suppose des éléments de méthodologie. Concernant les médias, nous pouvons effectuer une distinction entre les différents courants de recherches si nous nous référons aux travaux de Jérôme BOURDON10(*) : les courants prophétiques qui englobent la massification et le déterminisme technique, et les courants scientifiques qui nous intéressent particulièrement. Parmi ces courants scientifiques, le fonctionnalisme est une école qui s'est développée dans les années 1945-1960 aux Etats-Unis. Ce paradigme « envisage la manière dont certains phénomènes affectent le fonctionnement d'un système social donné »11(*). Pour les fonctionnalistes, la société est un ensemble, les médias étant une partie de cet ensemble. Les dépendances qui existent entre les médias et d'autres systèmes affectent non seulement la société, mais influencent aussi la manière dont les individus font usage des médias. Il s'agit d'étudier les utilisations faites par le public ainsi que les satisfactions retirées, d'où le célèbre questionnement de LASSWELL qui constitue le cadre conceptuel de cette théorie : « qui dit quoi par quel canal à qui et avec quels effets ? » Les autres animateurs de ce courant sont R. MERTON, C. WRIGHT, LAZERSFELD... Aux tenants du fonctionnalisme est reproché par ceux de l'école de Francfort : « de mettre l'accent sur la communication et de négliger le contexte dans lequel elle a lieu »12(*). Appelée encore théorie critique, ce courant dont J. HABERMAS, M. HORKEIMER et T. ADORNO sont les principaux animateurs met l'accent sur le contexte dans lequel se déroule la communication13(*). Pour eux, les fonctionnalistes ont, dans leurs travaux, ignoré « le qui », « le comment » et surtout « le pourquoi. » Ici, il s'agit moins de savoir comment fonctionne un système que de le dénoncer afin de le changer radicalement. Il existe évidemment d'autres théories sur lesquelles nous ne nous étendrons pas parce que leurs préoccupations semblent un peu éloignées des nôtres. La théorie de la Spirale, par exemple qui préconise que les mass-médias constituent la principale source de référence de l'information du public et que celle-ci constitue l'opinion générale, les gens qui ne sont pas en sa possession sont obligés de se murer dans le silence au risque de devenir impopulaires. Nous avons la théorie Agenda également qui suppose que la fonction des médias n'est pas de nous dire ce que nous devons penser mais ce à quoi nous devons penser.

Le fonctionnalisme, en ce sens que ce paradigme donne une large part à l'étude des effets (effects) des médias semble être un peu proche de nos préoccupations. Toutefois, la démarche que nous allons suivre est également un peu proche de la théorie critique qui se caractérise par une impossibilité d'étudier les médias ex-nihilo. Car, dans cette étude nous nous attacherons au contexte de production, en prenant en considération les réalités sociologiques, culturelles, politiques de la société sénégalaise. Néanmoins, nous ne revendiquons l'appartenance d'aucune de ces différentes écoles. Notre étude est exclusivement concentrée sur la presse écrite. La période choisie va de 2000 à 2003. C'est-à-dire du lendemain de l'alternance à trois, voir quatre ans d'existence de la presse people. Les journaux retenus sont : le quotidien national Le Soleil qui est toujours un média d'Etat, les quatre journaux indépendants les plus représentatifs en terme de tirage et de lectorat, à savoir Sud Quotidien, Walfadjri, Le Matin et L'Info 7 ; l'hebdomadaire Le Témoin qui est le premier journal à ouvrir un créneau actuellement investi par la presse people ; celle-ci sera analysée à la lumière de quatre de ses représentants que sont Moeurs, Scoop, Le Populaire et Le Tract. Si les journaux « dits sérieux »14(*) choisis se caractérisent par leur régularité de parution, cela n'est pas le cas pour les journaux people. En effet Moeurs et Le Tract ont maintenant disparu (temporairement ou définitivement, c'est selon) du paysage médiatique sénégalais. Néanmoins, si nous avons retenu ces deux journaux dans notre corpus, c'est parce qu'ils font partie des précurseurs dans ce créneau et surtout parce qu'ils étaient en activité durant la période choisie.

Relever dans le contenu de ces journaux les articles susceptibles de porter atteinte aux principes éthiques et déontologiques n'a pas été chose facile. D'abord parce qu'il nous a été très difficile de faire une analyse quantitative, ce qui suppose une possession de tous les articles des journaux englobant la période choisie. En plus, même si nous disposions de tous les articles, il aurait été aventureux de notre part de décider, sur la base d'on ne sait quels critères, quels seraient ceux d'entre eux qui bafouent ou obéissent aux règles du bon journalisme. Ainsi, nous n'avons retenu que les faits marquants de par l'intérêt qu'ils ont suscité tant au niveau des observateurs qu'à celui des professionnels eux-mêmes. Nous nous sommes référés aux travaux de Laurence BARDIN15(*). Selon elle, la pré-analyse qui est la première partie de l'analyse de contenu16(*) suppose un choix des documents à analyser selon quatre règles : l'exhaustivité, la représentativité, l'homogénéité et la pertinence. Nous avons choisi la dernière tout en prenant en compte sa mise en garde: « les documents doivent être adéquats comme source d'information pour correspondre à l'objectif qui suscite l'analyse »17(*). Après identification des « dérives », nous sommes partis à la « source » en nous procurant des articles incriminés. Si certains journaux disposent d'archives sur leur site, tel n'est pas le cas pour la plupart d'entre eux. Certains de ces papiers nous ont donc été envoyés du Sénégal, et nous avons préféré ne pas évoquer les affaires dont l'analyse nécessitait des précisions dont nous ne disposions pas.

Notre analyse nous amènera d'abord à faire le point sur l'évolution de la presse. On remarquera dans cette première partie que la diversité médiatique est une longue tradition sénégalaise, même si elle ne fut réellement effective qu'après « l'ouverture démocratique », c'est-à-dire avec l'avènement d'Abdou DIOUF (1981) qui s'engagea à « garantir le pluralisme et le respect de toutes les libertés ». Dans la deuxième partie, il sera question des « dérives » notées ces dernières années. Ici, nous les identifierons tout en nous interrogeant sur leurs auteurs, leurs causes et leurs conséquences sur le métier. On verra que, si les journalistes assument certaines fautes imputables à des « brebis galeuses » de la profession, ils crient souvent à la restriction de leur liberté pour la plupart des « dérapages ». En dernier lieu, Nous présenterons les mécanismes mis en oeuvre par la profession et par l'Etat pour accompagner la pratique d'un journalisme de qualité. Ayant la délicate mission d'encadrer la liberté des journalistes sans la restreindre, nous verrons les difficultés des mécanismes des pouvoirs publics à jouer ce rôle. Quant à la régulation professionnelle, elle a aussi ses limites que nous aborderons également dans cette dernière partie.

PREMIÈRE PARTIE

LA DIVERSITE : UNE VIEILLE TRADITION DE LA PRESSE SENEGALAISE

« Il n'est pas de plus sûr critère pour évaluer la vigueur

d'une démocratie que celui de la presse

et de son pluralisme »

E. KANT, Qu'est ce que les lumières ?

Pour saisir le contexte actuel de la presse au Sénégal, il nous a paru nécessaire de faire un retour en arrière. Nous ne remonterons pas bien loin dans le temps car ses débuts datent de l'époque coloniale, donc du 19e siècle. Bien entendu avant cette époque, une communication non médiatisée existait déjà, mais c'est avec la colonisation que la presse comme mass-média telle que nous la connaissons actuellement fit son entrée au Sénégal. Ce pays est néanmoins considéré comme un privilégié. En effet, avec Dakar comme capitale de l'Afrique occidentale française (AOF), le Sénégal était l'un des pays les mieux indiqués comme lieu de naissance de la presse africaine d'expression française18(*). De ce fait, c'est l'un des premiers pays africains à avoir connu la diversité dans ce domaine. Mais durant cette période, la préoccupation des journaux fut essentiellement politique. C'est seulement à la fin des années 1980 qu'on assiste à la libéralisation avec l'avènement de journaux privés d'informations générales. Dans cette partie, nous allons voir la contexture de la presse sénégalaise de l'époque coloniale aux années 1980 avant de nous intéresser ensuite à son panorama actuel. Nous terminerons par montrer la nécessité du pluralisme en démocratie.

Chapitre 1er

De l'époque coloniale à « l'ouverture démocratique »

L'introduction de la presse écrite dans tous les Etats africains s'est faite par la colonisation. Dans les colonies françaises c'est au Sénégal qu'elle eut sa naissance avant de gagner les autres colonies. Ceci s'explique par le fait qu'outre l'importance du pays dans l'AOF (Afrique occidentale française) avec Dakar comme capitale, la citoyenneté française fut attribuée très tôt aux ressortissants de quatre de ses communes, à savoir Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar19(*). Encadrée dans un contexte plus ou moins favorable, cette presse, souvent idéologique continue son chemin jusqu'après les indépendances, avant « l'ouverture démocratique » se caractérisant par la libéralisation. Dans ce chapitre, nous allons d'abord faire connaissance avec les premiers journaux sénégalais avant de voir ceux d'après-les-indépendances jusqu'à « l'ouverture démocratique ».

I De la colonisation aux indépendances

Ce qui est frappant pour les journaux nés pendant cette période, c'est leur durée de vie très éphémère. Un tel constat peut s'expliquer par le fait qu'ils soient le plus souvent des organes de partis politiques dont la nécessité ne se fait sentir qu'à l'approche des élections. En outre, dans un contexte de libéralisation très limitée, les téméraires qui osaient passer outre s'exposaient aux foudres de la censure.

Le premier journal né au Sénégal fut l'oeuvre d'un Français du nom de CRESPIN. C'était un hebdomadaire appelé Le Réveil du Sénégal, il fut créé en 1885. Un an plus tard Le Petit Sénégalais faisait son apparition. Présenté comme « un journal polémique et anticlérical » selon A.-J. TUDESQ, il disparut au bout d'un an après un procès en diffamation. En dix ans (1886- 1896), une dizaine de journaux vont voir le jour, mais ils disparaissent presque tous après quelques mois de parution. L'Afrique Occidental fut un des rares journaux à durer très longtemps (juillet 1896 /mai 1898). Ce bimensuel dirigé par des Français, des métis et des Africains était imprimé en France et publié à Dakar ainsi que dans les autres capitales de l'Afrique occidentale française (AOF). Un autre journal qui a les mêmes ambitions fut créé à la même époque par un Français, Raymond Auriol. Il s'adressait exclusivement aux Français des colonies ainsi qu'à ceux, qui, de l'Hexagone commerçaient avec l'AOF.

Avec les élections législatives de 1910 et 1914, on assiste à une croissance grandissante de journaux. La SFIO ( Section française de l'internationale ouvrière) avait comme organe L'AOF créé en 1907 à Conakry, mais publié seulement en 1913 à Dakar. Ce journal va faire campagne contre Blaise DIAGNE qui fut quand même élu en 1914 avec l'appui de La Démocratie du Sénégal (créé en 1913). D'autres journaux de la même mouvance vont être créés à la même période : il s'agit de l'Avenir du Sénégal, du Radical Sénégalais... Dans les années suivantes d'autres journaux vont alimenter le débat politique. On peut en citer quelques-uns : La Démocratie Sénégalaise (1926), La France Coloniale (1927), Le Périscope Africain (1929)... A la même époque les colons disposaient du Paris-Dakar comme principal organe de presse. Créé en 1933, ce journal fut, à ses débuts un hebdomadaire servant de lien entre la Métropole et la colonie. Il devint bi-hebdomadaire en 1935 et quotidien en 1937. Bref, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Sénégal a connu dix sept périodiques officiels, cinquante deux journaux politiques ou d'information et treize publications diverses dont la durée fut très variable20(*). Après la Seconde Guerre mondiale, la presse sénégalaise a continué son ascension fulgurante atteignant ainsi le nombre de 170 journaux et périodiques entre 1945 et 196021(*).

On constate que la presse qui s'est développée entre 1885 et 1960 est d'abord l'oeuvre de colons blancs qui la mettaient à contribution afin de gérer les affaires des colonies tout en gardant le contact avec la Métropole. Progressivement, elle s'est « démocratisée » en gagnant les milieux populaires sous l'impulsion des métis. Toutefois, selon M-S. FRERE : « ces publications se réduisaient souvent à quelques feuillets imprimés artisanalement et faiblement diffusés, incomparables avec la presse plus luxueuse destinée aux colons »22(*). Les préoccupations des nouveaux gestionnaires sont principalement politiques et les journaux vont constituer de véritables alliés pour les différentes campagnes électorales. On note quelques rares publications ; religieuses avec l'Echo de Saint-Louis ; économiques avec Le Bulletin mensuel de la chambre de commerce de Saint-Louis (1885), puis Dakar (1910) et syndicales avec Le Bulletin mensuel de la Fédération des fonctionnaires en AOF et La Voix des travailleurs sénégalais créés tous deux en 1938.

On remarque également le caractère élitiste de cette presse qui, au lieu d'être un mass-média peut être qualifiée de class-média. Outre les colons, les lecteurs de journaux étaient de rares privilégiés qui, parfois, ne connaissaient que quelques rudiments de la langue française. A ce propos, le gouverneur général Roume écrivait en 1924 : « considérons l'institution comme chose précieuse qu'on ne distribue qu'à bon escient et limitons en les bienfaits quantifiés, choisissons nos élèves tout d'abord parmi les fils de chefs et de notables »23(*). Une institution ciblée, voilà ce que préconisait l'idéologie coloniale, l'impact de l'information médiatique était donc destiné à une élite seule susceptible de la décoder. Concernant la législation, la presse sénégalaise bénéficiait d'une application partielle de la loi du 29 juillet 1881. Celle-ci, en son article 69 est applicable aux colonies. Mais en même temps « elle empêchait les autochtones, même `les plus évolués' de créer leurs propres journaux car elle stipulait que seules étaient autorisées les publications éditées par des `citoyens français respectables' »24(*). En plus, certains sujets susceptibles de provoquer un soulèvement ou une révolte contre l'autorité coloniale sont bannis. Dans un décret daté du 4 août 1921 concernant l'AOF, Albert SARRAUT (ministre) écrit que la publication par des Africains et des Français de nouvelles remettant en cause le système colonial ou encore « toute excitation des indigènes à la révolte contre l'autorité française »25(*) sont strictement interdites. Interdiction également « de publication de tout journal ou écrit, périodique rédigée en langue indigène étrangère sans autorisation préalable »26(*). C'est dire le paradoxe entre l'application de la législation de 1881 sur la liberté de la presse et toutes ces restrictions qui la vidaient de son sens. Sur ce point, l'Angleterre, en ayant favorisé, bien avant la France, la gestion de journaux par des autochtones semble plus libérale27(*). Néanmoins, ces limitations furent allégées grâce à un décret, relevant du ministère de l'Outre-Mer, daté du 27 septembre1946. Dorénavant, les journaux disposent d'une large marge de manoeuvre.

Le débat au sein des journaux sénégalais va donc prendre de nouvelles proportions. A cette époque, il portait sur le colonialisme opposant autonomistes, indépendantistes et fédéralistes. Ces rivalités donnaient « un caractère polémique à une presse qui avait un faible tirage mais qui contribua à désigner des interlocuteurs africains aux dirigeants de la Métropole. »28(*) pense M. TUDESQ. Maintenant, voyons le visage que présentait la presse après le retrait de la France.

II Des indépendances à la libéralisation

Cette période fut marquée par une « sénégalisation » du contenu de Dakar Matin, ex Paris Dakar. Rebaptisé Le Soleil en 1970, ce journal fut proclamé, en même temps, quotidien gouvernemental. La seule presse indépendante qui subsiste à cette époque est l'oeuvre de responsables de partis d'opposition jusqu'à la création du Politicien, premier journal vierge de toute appartenance politique qui va instaurer un débat plus démocratique. La libéralisation de la presse coïncide avec l'arrivée de DIOUF qui va proclamer « le respect de toutes les libertés » y compris celle de créer un organe de presse en 1982.

Pour mieux saisir le climat qui régnait au sein du paysage médiatique durant cette époque, il nous a paru nécessaire de faire une corrélation avec l'histoire politique du Sénégal indépendant. Celle-ci est marquée par quatre périodes pendant lesquelles les décisions politiques ont eu des incidences sur la vie médiatique. Première période : après avoir négocié une indépendance pacifique avec l'ancien colonisateur, SENGHOR instaure le « régime du multipartisme intégral » (1960-1962). Inspiré du modèle français sous la quatrième République, ce régime est un régime parlementaire bicéphale : SENGHOR exerce les fonctions de Président de la République tandis que celles de Président du Conseil (chef du gouvernement) sont dévolues à Mamadou DIA. En 1962, il y eut une crise entre les deux hommes suite à des divergences nées de l'orientation idéologique du régime et aux nouvelles options économiques que le Président voulait faire sans le consentement de son chef de gouvernement. SENGHOR fut appel à l'Armée pour se débarrasser de DIA qui était devenu gênant. Ce dernier fut officiellement condamné à vie, mais gracié en 1974. Les rapports entre le Président et la presse qui était à cette époque encore profondément idéologique, n'étaient pas des plus sympathiques. Il faut dire que le refus de contradiction qui caractérisait SENGHOR et dont l'épisode avec DIA en est l'illustration ne prédisposait pas à un épanouissement de la presse. Dans les ordonnances du 31 octobre 1960 qui furent l'un des premiers textes sur la presse après la loi de 1881, il est dit que le journaliste est « avant tout un patriote au service de l'idéal et des objectifs définis par la constitution »29(*). Ce statut des journalistes fut l'une des restrictions apportées au principe de la liberté de presse affirmée par la loi du 29 juillet 1881.

La deuxième période est celle du régime du parti unique, elle s'étale sur douze ans (1962-1974). Après la capture et l'emprisonnement de DIA, SENGHOR propose par référendum une nouvelle constitution. Elle fut ratifiée le 7 mars 1963 par 99,4% des votants. Cette constitution proclame l'interdiction formelle de partis d'opposition comme le Bloc Démocratique sénégalais (BDS) du Professeur Cheikh Anta DIOP. Un seul parti fut autorisé, il s'agit du Parti pour le Rassemblement Africain proche du parti au pouvoir (Union des Progressistes Sénégalais) auquel il se rallia d'ailleurs en 1966. C'était le règne de ce que l'académicien SENGHOR appelait euphémiquement « parti unifié ». Toutefois, des partis d'opposition « illégaux » se maintiennent dans la clandestinité. Les organes de presse sont également affectés par ce régime, les publications se faisaient par intermittence, dans la clandestinité. Paris Dakar devint Le Soleil en 1970 et fut dorénavant considéré comme le journal gouvernemental au service du parti-Etat.

En 1972, un journal satirique, Lettre Fermée fut créé par Abdou-Rahmane CISSE. Le journal fut interdit de parution par arrêté conjoint des ministres de l'Intérieur et de l'Information daté du 23 octobre 1972. Moussa PAYE commente cette mesure en ces termes : « le contrôle quasi total des médiats par le gouvernement sénégalais aurait pu lui faire juger cette mesure inutile tant pouvait être dérisoire la concurrence même pugnace d'un bimensuel au tirage modeste, de surcroît étouffé par un complot du silence qui le privait de publicité à la radio et au quotidien national. Il faut convenir qu'entre le journal indépendant et la presse officielle, c'est plutôt le poids de la crédibilité de l'un qui desservait l'autre »30(*). Cet arrêté d'interdiction de parution et de publication fut annulé en février 1974 par la Cour suprême, mais les seize mois de suspension ont été fatals à Lettre Fermée qui ne put jamais renaître de ses cendres.

En 1974, on assiste au retour du multipartisme (jusqu'en 1982) mais limité d'abord à trois partis puis à quatre en 1978. Malgré des réélections successives (1963, 1968, 1973) avec des scores vertigineux, la contestation du pouvoir de SENGHOR grandit au sein de la population. Selon Ndiaga SAMB, le choix du changement était inéluctable, il pense que: « conscient que la restriction des activités politiques ne pouvait pas durer éternellement au risque de provoquer de graves tensions, le régime procéda en 1974 à une timide ouverture démocratique dans le cadre de laquelle, il fut voter une loi dite des courants »31(*). La nouvelle loi autorise trois partis en dehors de l'UPS (au pouvoir) ; il s'agit du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) d'Abdoulaye WADE, du Parti Africain pour l'Indépendance (PAI) de Majemouth DIOP et du MRS. Durant cette époque, presque tous les partis disposaient d'un organe de presse : L'Unité Africaine pour les socialistes (au pouvoir), Le Démocrate pour le PDS, Momsarew (indépendance) pour le PAI. D'autres journaux paraissaient dans la clandestinité. On peut citer Taxaaw (Debout) pour le Rassemblement National Démocratique (RND) du professeur Cheikh A. DIOP, And Sopi (s'unir pour le changement) pour Mamadou DIA, Dan Dolebi (le prolétaire) pour le Parti Indépendance et du Travail (PIT)... Ces journaux d'opinion vont cohabiter avec d'autres publications comme Afrique Nouvelle32(*), Africa créés par des Français. Ce furent les rares journaux indépendants quoiqu' « abordant la politique de façon neutre, mais prudente »33(*). Concernant l'hebdomadaire Afrique Nouvelle, Mme LENOBLE-BART note le manque de complaisance du journal confessionnel à l'égard du président SENGHOR. Elle rapporte que : « certes ses talents ne sont pas passés sous silence...Mais, à l'occasion, on se fait l'écho de reproche... »34(*). Un journal créé en 1977 appelé Le Politicien, va instaurer un débat politique beaucoup plus démocratique. Ce bimensuel satirique n'a certes pas fait une révolution sur les sujets abordés (principalement politiques), mais il aura joué un rôle d'arbitre grâce à sa neutralité.

Le 31 décembre 1980, le Président SENGHOR se retira de la scène politique sénégalaise. Conformément à l'article 35 de la Constitution qui faisait de Abdou DIOUF (alors premier ministre) son remplaçant légitime en cas de démission ou de décès, il lui céda le pouvoir. Installé dans ses fonctions, le Président DIOUF s'engagea à « garantir le pluralisme et le respect de toutes les libertés ». Ce qui se traduisit par la restauration du multipartisme intégral, mais aussi par une libéralisation totale du secteur de l'information. Faut-il pour autant attribuer à Abdou DIOUF l'honneur de cette avancée démocratique considérable ? Selon A.-J. TUDESQ, « cette période coïncidait pour le Sénégal avec une plus forte expression des aspirations démocratiques, présentes plus tard dans la plupart des Etats africains ». Il ajoute que : « peut être le changement très pacifique et exemplaire de dirigeant avait mis à la tête de l'Etat un Présidant moins charismatique que SENGHOR, comprenant qu'une évolution démocratique était nécessaire »35(*). Toujours est-il que la porte ouverte par Le Politicien en 1977 fut empruntée par d'autres journaux. Ce fut d'abord Walfadjri (1983), Sud Hebdo (1986), Le Cafard Libéré(1988)... La particularité des nouveaux venus, c'est d'être dirigés par des hommes plus ou moins neutres politiquement. Il faut noter également que contrairement à la plupart des anciens responsables de journaux, eux ont suivi une formation et tirent principalement leurs ressources de leur profession. Leur mérite aura était d'avoir diversifié les contenus des journaux jusque là cantonnaient à des informations politiques. Dans les années 1990, la libéralisation déjà enclenchée se confirme progressivement si bien qu'aujourd'hui le pluralisme est devenu une réalité.

De l'époque coloniale à nos jours, le Sénégal a vu naître, disparaître et renaître de leurs cendres pas mal de journaux. Une telle situation est due à un contexte politique bouillant et à une législation restrictive malgré l'application de la loi de 1881. Durant la période coloniale, ces limitations se justifiaient par une crainte de soulèvement populaire remettant en cause l'autorité coloniale. Après les indépendances, elles trouvèrent un prétexte sous couvert d'une reconstruction post-coloniale, soi-disant incompatible avec la contradiction. Avec la venue de DIOUF en 1981, apparemment plus souple que son prédécesseur, le respect des libertés déjà garanti par la Constitution de 1963 trouva un serviteur et la libéralisation devint une réalité. Aujourd'hui, les journaux organes de partis politiques ont pratiquement disparu de la scène médiatique. Les quelques rares rescapés bénéficient d'un lectorat très limité, presqu'insignifiant. Ils ont cédé la place à des journaux dits d'informations générales que nous tenterons de connaître dans le chapitre suivant.

Chapitre 2

Les journaux de la nouvelle génération

Qu'ils soient des quotidiens, des bi-hebdomadaires, des hebdomadaires, des mensuels... ils se sont proliférés depuis la fin des années 1980. On n'en dénombre actuellement plus d'une trentaine. Ces journaux, sont pour la plupart secoués par des crises économiques qui leur sont parfois fatales. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui nous a amené à effectuer un choix dans le cadre de cette étude. Ne sont retenus ici que les journaux qui présentent une certaine régularité dans la parution et une certaine importance pour le tirage. Le contenu des journaux aussi nous a paru important, il sera question ici des journaux d'informations générales. Les organes de partis qui existent toujours ainsi que les journaux spécialisés (magazines, revues...) ont donc été écartés d'office. Comme il nous paraît incongru de faire une étude sur la presse sénégalaise sans parler du premier quotidien d'informations générales nous commencerons d'abord par Le Soleil qui est toujours resté un média d'Etat. Ensuite, nous aborderons la presse privée dite indépendante avant de faire connaissance avec la presse dite populaire dont l'existence est très récente.

I Le quotidien gouvernemental

Comme dans la plupart des pays africains, au Sénégal il existe toujours un quotidien gouvernemental. Encore appelé média-d'Etat, ce journal doit oeuvrer pour ce qui fut appeler jadis « l'unité nationale » ou encore « intégration nationale». L'organe devant relater les actions du gouvernement doit être constructif, se garder d'aborder des sujets qui fâchent et surtout ne pas critiquer l'action du Président de la République et des membres de son gouvernement.

Au Sénégal, c'est au Soleil qu'il revient d'assumer cette fonction. Né du défunt Dakar Matin qui avait succédé au Paris Dakar, ce journal fut porté sur les fonds baptismaux le 20 mai 1970. D'emblée, les autorités ont senti le rôle stratégique que le seul quotidien, le plus lu, pouvait jouer par rapport aux ambitions de développement fixées. Ainsi, sous le couvert de vocables comme « intégration nationale », « unité nationale »... les nouveaux dirigeants ont voulu appliquer une mainmise sur le secteur de l'information. Ceci s'expliquait par l'urgence pour un pays nouvellement indépendant de mobiliser toutes les forces vives de la nation pour la construction nationale. Selon le tiers-mondiste John CENT: « durant cette période initiale de construction étatique, la stabilité et l'unité sont indispensables : la critique doit être minimisée et la foi dans les institutions et les règlements instaurés par le gouvernement doit être encouragée » 36(*) . On a bien compris, les médias doivent coopérer, soutenir les actions des gouvernants au lieu de les critiquer car « les fonctions éducative et sociale semblaient légitimer une fonction politique qui s'identifiait avec la voix du gouvernement »37(*). L'affirmation de SENGHOR38(*) sur l'absence de quatrième pouvoir médiatique de 1974 prend dès lors toute sa signification.

L'ennui, c'est le glissement qui s'est opéré, car il y a eu une confusion entre le devoir d'intéresser les citoyens aux affaires de la Nation et cette dérive qui a consisté à faire du Soleil un organe idéologique au service du parti au pouvoir. Lors du septième congrès de l'Union des progressistes Sénégalais (UPS), le rapporteur de la commission presse n'hésite pas à affirmer que le journal devait se rattacher au parti disant que « la liaison avec le parti sera permanente, de manière à coordonner l'action d'éducation et d'animation, le rédacteur en chef sera d'ailleurs... automatiquement membre du bureau politique »39(*).C'est donc en toute légitimité qu'on parlera de ce quotidien comme un journal du parti-Etat en se sens que les journalistes ne sont pas uniquement au service de l'Etat, mais également à celui de ceux qui décident de sa politique, c'est-à-dire les hommes du parti au pouvoir. Le Soleil n'est ni plus ni moins qu'une sorte de journal interne à l'échelle nationale, un relais entre gouvernants et gouvernés.

Concernant le financement de ce quotidien, il faut noter que le capital étranger fut interdit avec la loi du 11 avril 1979. De ce fait, le journal gouvernemental qui était une création du groupe français de Breteuil a vu la totalité du capital passer à l'Etat sénégalais et aux organismes publics. Ainsi, 54,6% des actions sont confiées à l'Etat tandis que la Loterie nationale, la Commune de Dakar, la Société Nationale de Eaux, la Chambre de Commerce se partageaient le reste. En 1985, sur proposition du corps de contrôle de l'Etat, Le Soleil devient une société anonyme. Mais selon Mamadou KOUME, enseignant au CESTI : «Le Soleil présente une remarquable ambiguïté juridique, car bien qu'étant passé du statut de Société à responsabilité limitée (SARL) à celui de société anonyme (SA), ce quotidien reste un média où l'Etat détient la majorité du capital, nomme son dirigeant et influe sur la politique éditoriale »40(*). La nationalisation de cet organe de presse fait des journalistes du Soleil des fonctionnaires au même titre que toute autre travailleur de la fonction publique. Un statut rêvé par pas mal de journalistes évoluant dans le privé parce qu'il offre une certaine garantie salariale qui n'est pas toujours assurée ailleurs. L'effet pervers, c'est qu'il aliène forcément la liberté du journaliste.

En effet, le principe affirmé de la liberté d'expression est forcément atténué quant celui sur lequel il est sensé s'appliquer se trouve être votre employeur c'est-à-dire l'Etat. A ce propos, Moussa PAYE pense qu' « il est tellement plus accommodant pour les tenants du pouvoir de dire sur eux des gentillesses qu'ils vous suggèrent eux-mêmes, sous forme de communiqués officiels. Une question en soi peut à elle seule attirer la foudre sur la tête du journaliste. Aussi, la font-il la plus banale, la plus anodine possible »41(*) . Lors de l'élection présidentielle de 2000, le journal se manifesta par une prise de position très remarquée en faveur du président sortant DIOUF. « Le marketing politique était bien en phase avec la ligne éditoriale du Soleil », affirme Elhadj Bachir SOW42(*), le rédacteur en chef du journal. Le journaliste avoue par ailleurs la partialité du journal gouvernemental car le traitement de l'information n'était pas équitable pour tous les candidats, DIOUF ayant « bénéficié d'un traitement de faveur ». Le fait le plus marquant qui montre à quel point les journalistes du Soleil sont à la solde du pouvoir est sans doute la démission de son directeur de publication après la défaite de DIOUF. Après de bons et loyaux services aux côtés de « l'homme pour lequel il avait tant d'admiration », il tourne la page en signant son « dernier éditorial » qui allait consacrer son départ. « C'était un certain journalisme de soutien, de militantisme et d'adhésion qui était arrivé à sa fin » 43(*) en conclut Ndiaga SAMB. Avec l'arrivée d'un nouveau pouvoir des suites de l'alternance de mars 2000, le statut du Soleil n'a guère évolué. Nous verrons un peu plus tard que le changement de régime n'a pas encore affecté le statut du quotidien gouvernemental. Le Soleil publie environ 16 à 20 pages. Les rubriques abordées sont Nation, Politique, Economie, Société et Culture, Sports, International. Des dossiers d'enquête sont aussi occasionnellement publiés par le journal.

Quotidien gouvernemental, journal du parti-Etat, journal interne : relais entre gouvernants et gouvernés ; les qualificatifs ne manquent pour désigner Le Soleil. Le contrôle de ce média par l'Etat est toujours effectif cependant des journaux privés plus indépendants se sont développés ces dernières années.

II La presse dite indépendante

Cette presse connaît actuellement un développement sans précédent. Nous en avons choisi quatre quotidiens et un hebdomadaire que nous allons traiter de manière un peu plus développée. Il s'agit de Walfadjri, Sud Quotidien, Info 7, Le Matin qui sont les quotidiens les plus lus et Le Témoin qui aborde les sujets de société avec une certaine désinvolture de sorte qu'il est considéré comme « l'ancêtre » des journaux populaires. Cet hebdomadaire est en quelque sorte le précurseur de cette nouvelle presse qui, elle aussi est en évolution comme nous le verrons plus tard.

Avant d'aborder les organes de presse, il convient d'abord d'expliquer cette notion de presse indépendante devenue, à notre avis très galvaudée. Le Sénégal est certes un pays où l'on a connu une multitude d'organes de presse aussi bien dans la période coloniale qu'après les indépendances, mais ces journaux étaient plus des organes de propagande idéologique qu'autre chose. C'étaient des journaux privés, certes indépendants du pouvoir étatique mais profondément partisans puisqu'ils défendaient les couleurs des partis politiques. De nos jours, comme nous l'avons rappelé plus haut, s'ils ne sont pas limités à la sphère du parti, ce genre de journaux a disparu. Ceux d'aujourd'hui se parent presque tous du « label indépendant » pour trouver du succès au niveau du public. Pourtant, à en croire Henri PIGEAT : « d'une manière générale, un média se situe toujours dans une certaine sensibilité politique ou idéologique »44(*). Cet auteur pense que les citoyens ont très légitimement le droit de rechercher des médias où ils reconnaîtront leurs aspirations idéologiques et les réponses aux sujets de leur préoccupation. Mais étant une entreprise économique, un journal qui veut faire du profit doit prendre en compte diverses sensibilités afin d'intégrer des publics plus vastes. L'épithète « indépendant » ne serait donc, pour certains journaux, ni plus ni moins qu'un argument de vente, un élément de marketing. Mais voyons ce qu'en pense le professeur TUDESQ45(*). Selon ce spécialiste des médias africains, il y a quatre types d'organisations médiatiques :

- la presse d'Etat : il n'y a aucune ambiguïté pour ce genre de journal puisqu'il est financé par le ministère de l'information donc forcément partisane comme nous venons de le voir plus loin avec Le Soleil ;

- la presse du parti au pouvoir : elle est différente juridiquement de la première mais ont une gestion et une finalité semblables puisqu'elles travaillent pour la réélection des concernés. On peut donner l'exemple de L'Unité Africaine ancien organe de l'Union des progressistes sénégalais (UPS).

- la presse de partis politiques ou de mouvement d'opposition : elle a connu son heure de gloire dans la période coloniale et quelques années après les indépendances, c'est le Démocrate pour le PDS, Momsarew (indépendance) pour le PAI...

- la presse indépendante : « avec toute l'ambiguïté de cet adjectif », note bien le professeur TUDESQ. On peut regrouper dans ce type de presse tous les journaux d'informations générales ou encore les journaux spécialisés d'obédience commerciale ou religieuse. Des journaux dont le but premier doit être d'informer « de manière honnête et équilibrée ». Les journaux que nous avons choisis semblent remplir ces critères. Sans tarder, nous allons les découvrir.

Tableau des cinq journaux privés d'informations générales

Journaux

Création

Périodicité

Tirage(*)

Sud Quotidien

1986

Quotidien

10 000

Walfadjri

1984

Quotidien

15 000

L'Info7

1999

Quotidien

- - - - -

Le Matin

1997

Quotidien

- - - - -

Le Témoin

1990

Hebdomadaire

6 000

Sud Quotidien : c'est le premier quotidien d'informations générales indépendant, il est le résultat d'un processus qui a commencé en 1986. A l'époque, il s'appelait Sud Magazine qui donna naissance à Sud Hebdo en 1987, hebdomadaire qui se transforma en quotidien en 1993. Ce qui frappe avec la création de ce journal, c'est l'absence d'ambiguïté concernant ses finances de départ et le fait que ses créateurs soient tous des journalistes investis dans le milieu depuis quelques années. Dans le numéro 1 de Sud Hebdo de mars 1986, Babacar TOURE, un des pionniers du journal raconte : « c'était un dimanche matin... l'air était à la fête et la fête dans l'air. Cinq complices...réunis dans un salon de banlieue se chamaillaient ferme... c'était comment faire le journalisme de nos rêves... ». La plupart d'entre eux étaient alors journalistes au Soleil. Ils décidèrent de se cotiser : « pendant six mois, les 100 000F CFA que chacun devra mettre pour démarrer le projet ». La sucess-story ne se limite pas à l'évolution qu'a connu ce journal, devenu le quotidien indépendant le plus lu, car aujourd'hui, les membres fondateurs sont à la tête du premier groupe multimédia sénégalais. Sud Communication, c'est aussi la première radio privée qui commença à émettre en 1994, une agence de distribution de presse (Marketing presse), une école de journalisme (ISSIC)... Le journal publie en moyenne douze pages avec les rubriques : Economie, Politique, Culture, Opinion, Sports, Collectivités, International. Des dossiers sont également publiés par le quotidien sous forme de périodiques.

Walfadjri : les débuts de ce journal remontent de 1984. D'abord bimensuel, il devient hebdomadaire en 1987, puis paraît trois fois par semaine en 1993 avant de devenir quotidien en 1994. Il est important de souligner l'évolution éditoriale de ce journal. Islamiste au départ (d'où son nom arabe qui signifie l'aurore), Walfadjri changea progressivement de préoccupation avec l'arrivée de journalistes venus principalement du Soleil comme « Abdourahmane CAMARA qui assurait jusqu'ici une collaboration permanente extérieure avec Walfadjri et va désormais l'animer de manière permanente et étoffer sa rédaction dont le professionnalisme le hissera en première ligne au côté de Sud et du Cafard Libéré »46(*). Ce quotidien peut être considéré comme un journal indépendant en ce sens qu'il l'est par rapport au pouvoir en place. Cependant, des rumeurs voudraient que le financement de départ soit l'oeuvre de pays arabes du Golfe. Walfadjri est un journal d'informations générales publié en douze pages. Il comporte les rubriques Actualités, Société, Economie, Politique, Culture, Contributions, Sports et International. Suivant l'importance de l'actualité, des enquêtes peuvent être menées par les journalistes et publiées sur divers sujets. Walfadjri, c'est aussi une radio FM créée en 1997. Ce qui en fait le deuxième groupe multimédia, mais loin derrière le groupe Sud Communication.

L'Info 7 : créé en 1999, ce journal est le résultat d'une collaboration entre trois hommes d'affaires qui n'ont, à priori aucun rapport avec les médias. L'un est musicien (Youssou NDOUR), les deux autres des industriels (Cheikh Talla DIOUM et Bara TALL). Voulant suivre les exemples de réussite que constituent les groupes Sud Communication et Walfadjri, ces actionnaires ont mis sur pied le groupe Com 7 et dans la même veine une radio (7 FM) fut créée. A la « Une » du journal, les rédacteurs de l'Info 7 parlent d'un traitement de l'information « dépassionné, objectif et mesuré ». Nous ne remettrons pas en cause cette confession de foi, toutefois, nous pouvons nous demander jusqu'où peut aller l'objectivité du journaliste quand, par exemple, il enquête sur un sujet ayant un rapport avec un des hommes d'affaires propriétaires de l'organe de presse. Toutefois, le journal est dirigé par des journalistes qui, eux aussi ont eu à pratiquer le métier dans d'autres journaux. Pape Samba KANE son responsable est un ancien du Soleil et du Matin. Les rubriques du journal sont à peu près semblables à celles des autres journaux d'informations générales.

Le Matin : ce journal est créé en 1997 par un homme d'affaires ancien basketteur sénégalais du nom de Baba TANDIAN. Outre le journal, il est également l'heureux propriétaire d'une imprimerie du même nom (TANDIAN). Celle-ci est l'une des plus performantes en Afrique occidentale. D'ailleurs, elle est l'éditrice de la majeure partie des journaux sénégalais. Les objections faites à l'égard du journal mentionné sus-dessus peuvent être valables pour Le Matin mais à des proportions beaucoup plus réduites. D'autant que ce journal fut tour à tour dirigé par Pape Samba KANE, l'actuel dirigent de l'Info 7, Mame Less CAMARA, un ancien de la RTS et de Walfadjri, et actuellement par Boubacar Boris DIOP, un écrivain confirmé. Pour les rubriques de ce journal, même chose que pour les journaux précédemment cités, il traite de l'actualité politique, sociale, culturelle, sportive...

Le Témoin : ce journal est un hebdomadaire créé en 1990 paraissant le mardi. Nous avons du mal à considérer cet organe de presse comme un journal réellement indépendant. Ces fondateurs sont issus du Sopi (changement) qui était l'organe du PDS (Parti démocratique sénégalais) alors dans l'opposition. Des rumeurs font état de son financement par l'ancien parti au pouvoir (Ps) qu'il défendait d'ailleurs dès sa création avant de s'en éloigner plus tard. Il semblerait que pour ce journal les alliances avec les partis politiques se fassent au gré des plus offrants que les journalistes défendent tout en cherchant « la petite bête » dans les rangs de l'adversaire. Nous ne pouvons cautionner ces allégations mais nous les notons pour montrer notre réserve par rapport à l'indépendance de cet hebdomadaire. Toutefois, ce pourquoi ce journal nous paraît important pour notre étude, c'est qu'il a été le premier à aborder des sujets jugés tabous. Par son audace et son anti-conformisme, Le Témoin a levé le voile de décence qui cachait pudiquement toutes ces « insanités » que les Sénégalais cachaient honteusement. De même ce journal a été le premier à s'attaquer aux dérives du pouvoir maraboutique. Mamadou Oumar NDIAYE, son directeur de publication compare volontiers sa gazette aux grands tabloïds londoniens à l'image du SUN. Comme dans ce genre de journaux, les articles sur les faits divers, les potins et autres histoires de sexe touchant les célébrités constituent l'essentiel du fond de commerce. Quand on l'interroge sur le caractère très sensationnel de son journal qui aborde avec liberté « les frasques sexuelles des dignitaires », M.O.N47(*) répond « vouloir participer à la moralisation des moeurs pour maintenir intact les fondements de la République »48(*). Les rubriques de ce journal sont : Tendances, Actuel, Dossier, Economie, Culture, Féminin.

Avec le quotidien gouvernemental Le Soleil, les quatre quotidiens que nous venons d'aborder brièvement sont de par leur régularité de parution et de par l'importance de leur lectorat les principaux journaux. Il y en a d'autres, qu'ils soient des quotidiens, des hebdomadaires, des mensuels... ils ont tous pour ambition de traiter les informations générales avec plus ou moins d'indépendance. Le Témoin est le seul l'hebdomadaire choisi, nous aurions pu faire pareil avec Le Cafard Libéré qui lui aussi a bousculé le classicisme des journaux dits sérieux grâce à la dérision et l'impertinence de ses journalistes (qui réclament une certaine parenté avec Le Canard Enchaîné où ils ont d 'ailleurs effectué un stage avant de commencer dans le métier). Mais, c'est incontestablement Le Témoin qui est considéré comme « l'ascendant légitime » de ces journaux dits people que nous allons aborder dans la troisième partie de ce chapitre.

III Presse populaire, « presse à scandale »

Une nouvelle presse est née au Sénégal et les vocables pour la désigner ne manquent pas tant elle est décriée y compris par une frange des professionnels eux-mêmes. Les plus indulgents parlent de « presse populaire » pour montrer sa proximité avec les masses populaires de par son style et son ton moins académiques que ceux de la presse dite sérieuse. Les moins indulgents qualifient la nouvelle venue de « presse de caniveau », de « presse à scandale » pour montrer la bassesse des sujets qui y sont traités. Les extrémistes parlent de « presse poubelle » ou encore de « littérature de poubelle » invitant ainsi les lecteurs à s'écarter d'une presse qui ne mériterait pas qu'on lui accorde une certaine attention.

Il est difficile d'effectuer un classement des types de journaux considérés comme des journaux people. La plus part des animateurs de cette presse considèrent leurs organes de presse comme des journaux d'informations générales respectables qui n'ont rien à envier aux journaux dits sérieux. Pourtant il y a des aspects qui différencient ces deux types de presses et permettent une distinction légitime. Ainsi, sur la base de certains critères que partagent ces journaux nous pouvons -sans émettre un jugement de valeur- élaborer une famille de cette presse.

- Au premier rang des caractères distinctifs, il est difficile de ne pas remarquer le prix bon marché de ces journaux. Ils sont vendus à seulement 100F CFA, « moins que le prix d'une baguette de pain ou d'un kilo de riz »49(*), là où les autres affichent le double. Comment ne pas penser au Français Emile Girardin qui, au 19e siècle avait réduit de la moitié le prix de son journal en le finançant par la publicité ? Pour les animateurs de la presse people, la réduction du prix s'est faite avec la diminution du nombre de pages. Tandis que les autres journaux sont édités en moyenne en douze, voire seize pages, eux se contentent de la moitié (huit pages en moyenne).

- Autre élément de distinction entre les deux familles de presse : le contenu, car les nouveaux venus exploitent un créneau que rechignent les classiques à savoir les faits divers. Jean-Meïssa DIOP pense que les journaux dits sérieux « ont une réputation et un sérieux à sauvegarder... Ils se sont certes intéressés aux faits divers mais l'ont traité avec les euphémismes qui conviennent à une société qui a ses déviances mais veut qu'on les narre avec la manière »50(*). Ceci semble être le cadet des soucis de la presse people qui aborde en abondance les histoires de sexe, de détournement d'argent, de crime, de sang... Ibou FALL du Tract, un des animateurs de cette presse pense que les Sénégalais aiment aussi qu'on leur parle des travers de leur société : «cela pourrait être appréhendé comme un sale boulot, mais dans ce cas, nous, nous assumons »51(*).

- Le dernier élément qui différencie les deux types de presse, c'est le ton avec une langue beaucoup plus accessible à l'homme de la rue se traduisant par des phrases simples, directes dont la compréhension ne nécessite pas l'aide d'un dictionnaire. A la simplicité du style, il faut ajouter sa crudité. C'est d'ailleurs un credo de certains responsables de cette presse : « appeler un chat, un chat ».

Ces précisions faites, nous pouvons maintenant tenter de faire connaissance avec les journaux populaires sénégalais. Dans une étude consacrée à cette presse, Alain AGBOTON52(*), enseignant au CESTI en a relevé dix huit au total, mais la presse populaire est caractérisée par son instabilité et l'irrégularité de certains de ces titres. Nés presque tous au début du troisième millénaire, ils n'ont pas encore eu un public fidèle pour des raisons que nous évoquerons plus tard. Le résultat d'une telle situation est que certains journaux ont, soit disparu ou connaissent une interruption temporaire de diffusion. Comme nous avons fait avec la presse indépendante, nous avons choisi de présenter de manière un peu plus approfondie quatre journaux.

Les principaux journaux people ou populaires

Journaux

Création

Périodicité

Tirage(*)

Moeurs

2001

Hebdomadaire

40 000

Scoop

2001

Quotidien

15 000

Le Tract

2000

Quotidien

30 000

Le Populaire

1999

Quotidien

32 000

Le Populaire : c'est un journal qui a été créé le 8 novembre 1999. Il se veut quotidien « d'informations générales de proximité » comme on peut le lire dès la première page. Mais, ce quotidien va très vite trouver son créneau en emboîtant le pas au Témoin comme en témoigne sa page « off » qui est presque une réplique de la rubrique « Bulles » de l'hebdomadaire. A ce propos A AGBOTON pense que ce journal était timide et maladroit au départ du fait de sa ressemblance avec cet hebdomadaire « dont il était l'héritier présomptif sinon abusif »53(*). Il a d'abord été dirigé par Thierno TALLA qui l'a quitté dernièrement pour en créer un autre (L'Actuel) qui surfe sur la même vague.

Moeurs : créé en mars 2001, cet hebdomadaire connut un succès sans précédent après sa naissance. Au bout d'un mois d'existence, il est passé de 15 000 à 40 000 exemplaires avec des invendus variant autour de 1 000 et 2 00054(*). C'est manifestement le journal qui semble le plus répondre aux caractéristiques d'un journal à scandale. Abondance de photos et de sujets en rapport avec les célébrités, style cru et détails dans la description, « il est quasiment unique dans son créneau où il est à la lisière du pornographique »55(*). C'est le contenu des rubriques : Détente, Wanted, Boîte postale où sont développés les faits de société les plus crapuleux qui fait beaucoup de bruit. Pape Daouda SOW, le responsable du journal justifie cette orientation par le caractère voyeur du Sénégalais qui, d'après lui : « aime les fesses et cela c'est mon meilleur marketing. Moeurs est un miroir grossissant de la société sénégalaise »56(*) pense-t-il.

Scoop : créé également au mois de mars de l'année 2001, ce journal est un satellite, une filiale du quotidien national Le Soleil. D'emblée, le journal s'oriente dans ce secteur très rentable de la presse people. Dans le premier numéro, le rédacteur en chef présente « une équipe de journalistes vraiment professionnels (qui) vous propose tous les jours de découvrir des facettes cachées de la société sénégalaise: faits divers, la vie et les gestes des gens célèbres, les actualités que la presse dite sérieuse ne voit pas, en somme tout ce qui bouge sans trouver place dans les médias, dans les autres médias »57(*). Cependant, conscient du désavantage que causerait une identification à un certain type de presse qui n'a pas bonne presse, le journal prend ses distances dès le début. « Non, Scoop ne tombera pas dans le sensationnel du sang et du sexe, ou encore dans le vulgaire et le voyeurisme »58(*) prévient son responsable. Il faut dire que sa parenté avec le quotidien national lui interdit ce genre de dérapage car ce journal a une réputation à préserver. Scoop est publié en douze pages qui donnent une large part aux potins et aux faits de société.

Le Tract : ce journal est créé en 2000, Ibou FALL, son initiateur (il est actuellement à la tête de Frasques Quotidiennes) fut un ancien journaliste au Témoin où il eut longtemps la confection de la rubrique « Bulles ». Mariages, baptêmes, virées nocturnes, infidélités, indélicatesses financières...sont autant de sujets qui passionnent ce journal qui les décortique avec précision. Selon l'ancien responsable du journal, ce genre de sujet doit être traité de la manière « la plus digeste possible. Il faut toujours parler des célébrités, toucher le gratin, la jet-set. Par rapport aux informations politiques, aux analyses, c'est un peu la récréation »59(*). « Pour cela, continue-t-il, il faut savoir ironiser, avoir le sens de l'humour...Savoir écrire court pour dire en deux phrases ce qu'on veut dire, être concis et précis ».

Ces journaux connaissent actuellement un franc succès au niveau du public. Selon un sondage réalisé en décembre 2001 par l'institut BDA, `les quatre mousquetaires' du fait divers (à savoir Moeurs, Le Tract, Scoop et le Populaire) battaient les records de tirage atteignant, par moment la barre fatidique des 40 000 exemplaires alors que les journaux dits sérieux atteignent rarement la vingtaine de milliers60(*). Les raisons d'un tel succès sont, comme nous le montrions plus haut, le prix qui les rend plus accessibles, le style qui est moins rébarbatif que celui des journaux dits sérieux et surtout les sujets abordés. En effet, si le lectorat a accroché au contenu de la presse people, c'est peut-être aussi parce qu'il éprouve une certaine lassitude par rapport à l'information politique qui occupe une place prépondérante dans les journaux dits sérieux. Un héritage que ces journaux semblent avoir reçu de ces anciens organes de partis ou même des premiers journaux privés comme Lettre Fermée ou Le Politicien qui traitaient essentiellement l'actualité politique. Selon Ndiaga SAMB : « l'actualité politique a de tout temps bénéficié d'une couverture variée, avec des rubriques variées, la politique reste le principal élément de vente à la Une des journaux »61(*). Nous pouvons ainsi faire une corrélation entre « l'horizon d'attente » déçu d'un public avec une overdose d'informations politiques face à un manque d'informations « croustillantes » à caractère sensationnel qu'ont amené les nouveaux venus. Dans la même perspective, nous pouvons admettre l'idée selon laquelle, les nouveaux venus auraient investi un nouveau secteur parce que concernant les actualités politique, culturelle, économique, « il n'y avait plus rien à faire d'original et de professionnel que ne font déjà avec un professionnalisme respectable Le Soleil, Walfadjri, Sud Quotidien, Le Matin... » argument défendu par J.-M. DIOP62(*).

Nous venons de le voir, la presse sénégalaise est caractérisée par la diversité de ses titres. De l'indéboulonnable quotidien gouvernemental à la presse people qui s'apparente aux tabloïds londoniens en passant par la presse indépendante généraliste, la pluralité est désormais acquise. Ainsi, le traitement monolithique de l'information incarnée par Le Soleil s'est progressivement rééquilibré grâce à des journaux privés qui proposent une autre vision de l'actualité. Il semble que le pluralisme, c'est-à-dire l'expression plurielle des sensibilités d'une société soit un des fondements de toute démocratie. Il serait important de voir comment la presse sénégalaise essaie de jouer ce rôle.

Chapitre 3

Pluralisme et démocratie

Le pluralisme suppose une diversification du secteur médiatique. Outre l'existence de plusieurs organes de presse il y a surtout la diversité des contenus qui soient à même de refléter les intérêts de toutes les franges de la population. Comme nous venons de le voir, au Sénégal, le pluralisme de la presse écrite est devenu une réalité grâce à « l'ouverture démocratique » sous Abdou DIOUF. A en croire Emmanuel KANT63(*), le pluralisme est le plus sûr élément pour évaluer la vitalité d'une démocratie. Nous allons voir comment cela se matérialise dans une démocratie comme le Sénégal en nous interrogeons d'abord sur les fonctions que peut accomplir la presse en démocratie. Ensuite nous tenterons d'analyser les défis que rencontre la presse indépendante en voulant jouer ce rôle. En dernier lieu, nous verrons que le travail de la presse dite people non plus n'est pas de toute aise parce que tiraillée entre la liberté d'informer et le devoir de réserve imposé par une société pudique et conservatrice.

I Rôle de la presse en démocratie

Dans la première partie nous avons montré que le Sénégal fut l'un des premiers pays africains à se préoccuper de l'évolution de la presse et de tous les attributs afférant au métier de journalisme. Souvent présentée comme une vitrine, un modèle dont pas mal de pays africains doivent suivre l'exemple, la presse sénégalaise présente les contours de celle d'une démocratie.

Selon Claude-Jean BERTRAND64(*), il existe quatre régimes de presse possibles. Deux despotiques (l'un autoritaire, l'autre communiste) et deux autres démocratiques (libéral et de responsabilité). Le régime libéral est né en Europe au siècle des lumières (18e). Il se caractérise évidemment par son libéralisme. C'est-à-dire par un désengagement de l'Etat qui laisse faire : « il suffit que tous les faits soient objectivement rapportés et que toutes les opinions soient mises sur le marché des idées »65(*). Le risque évidemment est d'assister à ce que les tenants de l'école de Francfort et les marxistes condamnent vigoureusement. Selon eux la libéralisation du secteur médiatique conduit au monopole d'une élite fort peu soucieuse des aspirations des masses populaires. Quant au régime dit de responsabilité sociale66(*), il n'est en fait que le prolongement du précédent en s'efforçant toutefois d'associer liberté et qualité des médias. Les médias doivent être indépendants, donc des entreprises commerciales à la recherche du profit, mais ils doivent aussi être responsables vis-à-vis des groupes de la société. Pour cela « il est préférable qu'ils s'amendent en fonction d'une déontologie qu'ils auront choisie eux-mêmes »67(*).

Le régime adopté par le Sénégal est une conjugaison des deux derniers : le régime libéral de responsabilité qui règne dans une démocratie. Déjà en 1947, l'application de la loi française du 29 juillet 1881 jusque là partielle, devenait effective. La constitution sénégalaise de 1963 en son article 8 garantit à chaque citoyen la liberté d'expression « chacun a le droit d'exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume et l'image ». Cette garantie est une source où s'abreuve la liberté de presse. Une loi, encore appelée code de la presse fut votée à l'assemblée le 11 avril 1979. Jugée incompatible avec l'évolution démocratique du Sénégal, elle fut abrogée en 1986 par une autre loi, celle du 16 juin 1986 qui, à son tour fut remplacée par la loi du 22 février 1996 actuellement en vigueur. Selon cette loi « tout organe de presse peut être publié sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement »68(*). En outre, cette nouvelle loi donne plus de liberté aux journalistes contrairement à la précédente qui leur fixait plus de devoirs que de droits. Elle stipule que « le journaliste ou le technicien de la communication sociale a libre accès à toutes sources d'informations non confidentielles et a le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique »69(*).

Selon Loïc HERVOUET70(*), trois libertés constituent le soubassement d'une liberté complète de l'information dans une démocratie. Il s'agit de la liberté d'expression reconnue dans la constitution sénégalaise, la liberté du média et celle du journaliste, également affirmées dans la loi du 22 février 1996. Ces trois libertés sont imbriquées et reconnues par les textes qui constituent le fondement de la déclaration universelle des droits de l'homme. En effet, la charte des Nations Unies, ratifiée par l'Etat sénégalais stipule que « la libre communication des idées et des opinions est un droit naturel inaliénable et sacré, l'un des plus précieux de l'homme ».

Les fonctions de la presse dans un régime libéral de responsabilité concourent à la consolidation de la démocratie. Aurélien LECLERC71(*) en a relevé six : selon cet auteur, la première fonction remplie par tout organe de presse est évidemment l'information. La presse doit nous tenir au courant des événements importants de notre environnement, elle permet ainsi au lecteur d'évaluer les demandes des groupes et les réactions des gouvernants. La deuxième fonction, c'est le renseignement que les médias remplissent en offrant à tout un chacun ce qu'il cherche ou tente de faire. La troisième concerne la prise de position que peut faire un journal sur des sujets de grand intérêt comme en témoignent les éditoriaux, les commentaires et autres papiers d'analyses. La quatrième renvoie au caractère distrayant que peut avoir la presse, notamment avec les rubriques sportives, mots-croisés, feuilletons, bandes dessinée...le seul acte de lire pouvant être considéré comme un loisir pour certains lecteurs. L'avant dernière est la fonction mobilisatrice parce que la presse développe un sentiment d'appartenance à une communauté, à une collectivité. La sixième et dernière fonction est instructive puisque la presse peut avoir un rôle éducatif. Elle prendrait le rôle de l'instituteur et des professeurs après l'école, chargé d'aider le citoyen de se faire son idée de manière autonome. Ainsi, elle participe à une mise à jour perpétuelle des connaissances acquises sur les bancs de l'école.

En nous référant aux travaux de Jean STOETZEL72(*), nous allons essayer de réduire ces six fonctions en trois, mise à part la fonction évidente et principale qui est l'information. Nous retiendrons :

- la fonction d'appartenance sociale ou mobilisatrice . Concernant la presse sénégalaise, la presque quasi-totalité des journaux se disent indépendants. Mais l'analyse du contenu rédactionnel d'un journal comme Le Soleil montre pourtant une évidence qui ne souffre d'aucune ambiguïté, à savoir son allégeance au pouvoir étatique. Des journaux comme Walf, Sud Quotidien... ont joué le rôle de « sentinelles de la démocratie » en accompagnant la victoire du Front pour l'alternance (FAL)73(*) lors de la présidentielle. En se faisant le relais des tensions populaires mais également en fustigeant l'action du défunt gouvernement, n'est-ce pas là une manière de mobiliser tous les insatisfaits d'un système ?

- la fonction récréative ou de divertissement : les journaux sénégalais assument aussi cette fonction comme en témoignent les rubriques Sports, Culture et les jeux qu'ils proposent aux lecteurs

- la fonction psychothérapeutique : elle semble proche de la précédente mais se différencie par son effet cathartique : elle se manifeste particulièrement dans les articles de faits-divers. Comment ne pas voir dans la manière qu'ont les journaux people de traiter les histoires de sexe, de sang et de mondanités « une satisfaction au moins imaginative et verbale, à notre violence, à nos revendications, à notre besoin de protester ? »74(*)

En définitive, il est évident qu'il ne peut y avoir de presse libre en dehors d'une démocratie comme il est aussi impossible de parler de démocratie sans presse libre. Débarrassée de toute contrainte, elle est à même d'assumer le rôle qui lui est dévolu. Qu'elle soit mobilisatrice, récréative ou psychothérapeutique, elle doit viser à servir toutes les franges de la société. Au Sénégal, cette expression des sensibilités plurielles fait passer la presse indépendante pour une presse d'opposition, anti-gouvernementale.

II Presse indépendante ou d'opposition ?

Après une vingtaine d'années de libéralisation du secteur médiatique, il semble toujours impossible d'établir une relation entre indépendance et neutralité. Les vingt cinq ans de règne hégémonique du Soleil ont certainement habitué les gouvernants à un manque de remise en question dont ils ont du mal à s'accommoder avec une presse plus critique. Quant aux journalistes de la presse indépendante, peut-être que l'existence du quotidien gouvernemental les pousse à montrer que les hommes du pouvoir ne sont pas les anges que prétendent les journalistes du Soleil.

Nous ne nous attarderons pas sur tous les bienfaits d'une presse indépendante. Cependant, notons qu'elle est un des éléments fondateurs d'une démocratie. Marie-Soleil FRERE pense « qu'elle constitue un élément actif au coeur de la société civile dont elle peut répercuter la diversité, la créativité, les exigences et les critiques ». Elle permet, dit-elle, « la circulation des gouvernés qui peuvent dès lors se rassembler selon leurs affinités, se sentir renforcés dans leurs convictions et élaborer des projets d'action »75(*). Même si ces propos concernent le Niger et le Bénin, nous pouvons nous les approprier pour le cas qui nous interpelle. D'autant que pour Ndiaga LOUM « le pluralisme de l'information au Sénégal ne renvoie pas seulement à la pluralité des titres mais surtout à des conceptions différentes des diverses lignes éditoriales qui intègrent le maximum de représentations sociales ayant désormais toutes droit au chapitre »76(*). Mais ce souci « d'intégrer le maximum de représentations sociales » quitte « à rassembler les gouvernés selon leur affinité » ne se fait pas sans risque. La presse indépendante est (à tort ou raison) considérée par les gouvernants comme une alliée des partis d'opposition.

Au lendemain de sa victoire consacrant l'avènement de la première alternance politique, Abdoulaye WADE, leader de l'opposition n'hésitait pas à confier la direction du Soleil à ELhadj KASSE (ancien journaliste à Walfadjri) tandis qu'il nommait Chérif ELVALIDE SEYE ( de Sud Communication) son conseillé en communication. Beaucoup d'observateurs de la vie politique sénégalaise avaient considéré ce geste comme une récompense en guise de `services rendus'. Si WADE a été élu, c'est certes grâce à un concours de plusieurs facteurs, mais le rôle de la presse a été déterminant. C'est pour cette raison que la presse privée est considérée comme une presse d'opposition. Est-ce une prise de position voulue de la presse indépendante ou ce que les tenants de la théorie fonctionnaliste rangent dans le volet des fonctions latentes des médias ? Selon R. MERTON, dans l'exercice de leur fonction, les journalistes peuvent arriver à un résultat qui n'est pas forcément celui qu'ils visaient77(*). Toujours est-il que dans les colonnes de la presse dite indépendante78(*), les critiques à l'égard de l'opposition sont insignifiantes tandis que sur une centaine d'échantillon des journaux de cette même presse, revient « une critique quasi-systématique de l'Etat sénégalais, c'est à croire que ces organes sont des journaux d'opposition » note Ndiaga LOUM79(*).

En 1989, une polémique entre Le Soleil et Sud Magazine faisait état de ce débat qui reste d'actualité malgré l'alternance de 2000. Dans sa livraison du 12 janvier 1989, le quotidien gouvernemental fustigeait le caractère partisan de la nouvelle presse en déplorant « la tendance d'une certaine presse à verser dans la diffamation, l'intoxication, la déstabilisation morale de la nation et le discrédit des institutions républicaines ». Bref, tout ce qu'en bons journalistes d'intégration, ou d'unité nationale, les journalistes du Soleil s'interdisent. En réponse à cette accusation, Sud répliquait dans un article intitulé « les menaces du gouvernement contre la presse » en disant que c'est plutôt « l'hallali » qui sonne et que le journal indépendant en était la cible. Les animateurs de la presse privée récusent en bloc ces accusations ; ils pensent que leur existence ne servirait pas à grand-chose s'ils n'intégraient pas toutes les catégories de la population dans le débat de l'espace public. Le directeur de Sud Communication Babacar TOURÉ pense que « à un moment, il faut prendre partie. Nous avons pris celui de rééquilibrer, de changer la société plutôt que de nous acharner sur les hommes. Nous voulons décloisonner la société, donner la parole à l'opposition mais aussi aux ONG, aux femmes, à tous les secteurs exclus des médias officiels »80(*). Cet argument est celui que défend Tidiane KASSE81(*), ancien directeur de publication de Walfadjri. Selon lui, les médias ont boycotté pendant longtemps certaines catégories de la société dont les opposants à qui il fallait laisser s'exprimer. La preuve : le développement de la presse indépendante correspond à la disparition des organes de partis qui selon M. KASSE n'avaient plus de raison d'exister. Les journalistes de la presse indépendante expliquent aussi leur comportement du fait de la non accessibilité des hommes au pouvoir. Selon Pape Samba KANE directeur du journal L'Info7, « les difficultés résident dans l'accès à l'information. Les ministères par exemple. Jusqu'à présent, la tendance consistant à considérer la presse comme source de problème persiste »82(*). Ces difficultés sont toujours d'actualité. D'ailleurs, lors d'une rencontre en octobre 2001 à Mbour (à peu prés à 100 Km de Dakar), initiée par le ministre de la communication de l'époque réunissant le SYNPICS (Syndicat des professionnels de l'information et de la communication), le HCA (Haut conseil de l'audiovisuel) et le CRED (Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie), les participants avaient demandé à l'Etat sénégalais un traitement sur un même pied de tous les organes de presse. Ils ont alerté l'Etat sur l'accès aux institutions qui doit être facilité aussi bien aux organes de presse publics que privés83(*).

Tout en acceptant être plus proches des « frustrés » et des « insatisfaits », les journalistes n'admettent pas pour autant le terme péjoratif de presse d'opposition. Ils se définissent plutôt comme des « sentinelles de la démocratie »84(*), ils parlent de contre-pouvoir. Pour Abdou-Latif COULIBALY, journaliste au Sud Quotidien : « ma mission, c'est de regarder ce que fait le pouvoir, de l'analyser, de le critiquer pour que les citoyens aient une grille de lecture lisible de ce qui se passe. Si cela peut être considéré comme une opposition, je l'assume»85(*). M. COULIBALY ajoute qu'il est normal que les journalistes critiquent les hommes au pouvoir puisqu'eux, sont jugés sur leurs projets, leurs actions, ce qui n'est pas le cas pour les autres. Une telle vision du journalisme fait penser à la notion de quatrième pouvoir. Celle-ci consiste à conférer aux journalistes un pouvoir inhérent au contrôle des trois autres pouvoirs que sont l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Chargé d'éclairer les citoyens sur les décisions et les actes des gouvernants, il revient aussi au journaliste de relayer les doutes, les angoisses et les doléances des gouvernés. Il a un rôle de représentant du public auprès des détenteurs de pouvoir afin que ces derniers rendent des comptes relatifs à l'accomplissement des devoirs et des responsabilités conférées par la société. Marc-François BERNIER parle d'un « contrat social »86(*) qui lie les journalistes aux citoyens. Par sa mission d'information pédagogique des citoyens, de contrôle des gouvernants de manière à susciter le débat, le journaliste acquiert un rôle d'arbitre, de « chien de garde de la démocratie »87(*). Certains poussent plus loin et parlent de « celui par qui la justice arrive quand le système a failli »88(*). Selon Arnaud MERCIER : « une démocratie ne peut se concevoir sans l'existence d'un espace public dans lequel les journalistes jouent évidemment un rôle majeur »89(*).

Sur ce point, il est intéressant de voir comment le contexte a évolué au Sénégal. Dans les années 1970, on se rappelle de cette boutade de L.-S. SENGHOR qui rappelait à ceux qui ne le sauraient pas encore qu' « il n'existe pas, dans notre vie politique de quatrième pouvoir, qui serait le « pouvoir journalistique » et qui ferait régner sa loi, pour ne pas dire sa terreur par le chantage à la délation et à la calomnie»90(*). Fin 1980, A. DIOUF son successeur instaure le libéralisme médiatique et, en quelque sorte, il en sera la principale victime lors de l'élection présidentielle de 2000. A. WADE l'actuel président ne peut éluder ce qui, à ses yeux est devenu une réalité. Lors d'un débat radio-télévisée le 9 décembre 2000, il affirme « nous n'avons pas créé le concept de quatrième pouvoir, mais il correspond bien à notre réalité (...) Je considère que la presse est tellement puissante qu'il faut la réglementer »91(*).

L'Etat sénégalais ne serait peut être pas disposé à se présenter devant un miroir qui le représente souvent sous ses traits les moins avantageux. Quant aux journalistes, la frustration née de la distance et de l'animosité que les gouvernants ont à leur égard pourrait en faire des éléments incontrôlables. Ils en sont d'ailleurs conscients puisque dès les premières années de la libéralisation, M. KASSE, le rédacteur en chef de Walfadjri disait « si la conscience du devoir d'informer et la liberté devenue effective d'informer ont donné une presse qui passe pour un des piliers de l'édifice démocratique dans nos Etats, cela ne mène pas toujours au triomphe du bien. On peut faire plus mal encore en usant de cette liberté »92(*). Dans son devoir d'informer, la presse dite people est confrontée à un défi de tout autre ordre, celui de vouloir faire du profit en bousculant un conformisme consacré par une société pudique qui a ses faiblesses mais semble ne pas vouloir qu'on les narre.

III Essai de dépassement du conformisme social

Le pluralisme et la liberté d'informer qui en est un corollaire donnent, en principe, la possibilité au journaliste d'aborder sans restriction toute sorte de sujets pouvant interpeller l'opinion. Sauf à répondre aux principes éthiques d'une société, la liberté du journaliste doit triompher face à toute tentative de restriction. Or, la société sénégalaise dans laquelle la religion et les pratiques traditionnelles occupent une place prépondérante est restée très conservatrice. La prudence des journalistes à l'égard de sujets tels que l'Islam et les marabouts en est une illustration. Ces sujets restent occultés, sinon abordées prudemment par la presse sénégalaise. Le rôle de la presse ne doit-il pas aussi être celui de bouleverser certains tabous et certaines tares de la société ?

C'est le créneau que semble avoir investi la presse people dans une société confrontée aux mutations d'un monde moderne. Le problème que pose la modernité, c'est de ne parfois pas être en conformité avec les exigences d'une société traditionnelle empreinte de religiosité. En cela, le paradoxe ou l'hypocrisie d'un pays comme le Sénégal, c'est de vouloir être ouvert, en même temps résolument renfermé sur ses « valeurs ». Au Sénégal, on regarde avec intérêt des séries américaines, brésiliennes... dont le contenu ne reflète en rien le mode de vie des Sénégalais. En revanche, un téléfilm national qui ose mettre en dérision des imams volages et irresponsables soulève un énorme scandale. Des films érotiques à la limite de la pornographie sont diffusés à des heures de grande audience par des chaînes étrangères tandis que dans une production nationale, montrer une femme nue provoque un débat houleux. Tout porte à croire que le peuple sénégalais si pur, si angélique regardait de manière exotique une bassesse et une décadence qui ne peuvent se produire que sous d'autres cieux. Selon Georges BALANDIER, « les sociétés ne sont jamais ce qu'elles paraissent être. Elles s'expriment à deux niveaux au moins ; l'un superficiel présente les structures officielles si l'on peut dire ; l'autre, profond assure l'accès aux rapports réels les plus fondamentaux et aux pratiques révélatrices de la dynamique du système social.»93(*). Cette citation s'applique à merveille au cas du Sénégal. Etant des révélateurs d'une société en profonde évolution, les journaux people ont tout simplement voulu montrer la face cachée du Sénégal en abordant des sujets susceptibles d'intéresser le public.

Dans leur volonté de révolutionner le paysage médiatique sénégalais, les nouveaux venus abordent sans tabou des sujets comme les histoires d'incestes, d'adultères, de mondanités qui ont désormais « droit au chapitre ». Pour atteindre cet objectif, ils ont misé sur le sensationnel, le pittoresque, l'insolite, le romanesque... Cela se traduit par une titraille « des plus graveleux si elle ne frise pas l'érotisme »94(*) pour ce qui concerne Le Tract. Quant à l'hebdomadaire Moeurs, les faits qui y sont rapportés ayant rapport avec les histoires de sexe sont d'une précision qui frôle la pornographie. Selon Babacar DIOP « ce journal met à nu la société en parlant de sexe comme on en a jamais fait dans un journal sénégalais »95(*). C'est donc avec des articles descriptifs faisant la part belle aux détails et à la précision que les journalistes essaient de captiver le lecteur. Outre la mise en scène qui ferait passer le journaliste comme un témoin oculaire de ce qu'il avance, il y a aussi un autre élément qui mérite d'être signalé. C'est la manière sordide et la crudité du style utilisé au mépris des règles de bienséance. Quelques exemples relevés à la lecture de Moeurs peuvent l'illustrer : « la moitié d'un bébé de sept mois jeté dans la maison d'Astou Fall », « X surpris entrain de frotter son `bangala' sur le...d'une gamine de quatre ans » ou encore « un visage pâle de 60 ans se faisait lécher la... par un enfant de quinze ans », « Mariam s'agrippe au...de Ousmane », « les échanges très cul...turels d'un couple mixte ». Nous avons bien sûr eu la commodité d'omettre volontairement certains mots. Ce qui peut être déconseillé pour la rigueur scientifique de ce travail. Mais ce choix délibéré se justifie par un souci de vouloir montrer qu'il est possible de suggérer l'indicible, l'innommable. Pour ne pas choquer ou heurter certaines âmes sensibles, la langue offre une multitude de procédés comme l'ellipse, la suggestion, l'euphémisme, la périphrase... Ces subtilités de langage, les journalistes n'en ont que faire puisque leurs lecteurs, à en croire la courbe ascendante de leur vente, apprécient leur audace et leur liberté de ton.

Le public semble donc apprécier cette nouvelle presse malgré son impertinence et ses écarts de langage. Elle lui permet pour pas cher de se délecter « d'histoires de fesses et de sang »96(*). N'y aurait-il pas dans ce regain d'intérêt des lecteurs pour cette presse une manière pour eux de s'identifier aux gens qui font la Une de ces journaux ? Si on se réfère à la troisième fonction que peut remplir la presse selon STOETZEL, on est tenté de répondre par l'affirmative. A la lecture de certains articles, on peut ainsi dire que les lecteurs vivent par procuration des vies extraordinaires, ce que leur interdit leur existence modeste, souvent morne et monotone. Selon Alain AGBOTON, enseignant au CESTI : « plus la presse populaire exploite les faits divers, plus elle se `rapproche du peuple'...Il n'y a dès lors, qu'une purgation des pulsions individuelles et collectives »97(*) conclut-il.

Certains spécialistes de la vie médiatique sénégalaise crient au scandale et taxent la nouvelle presse de jeter l'opprobre sur toute la profession. Selon Dominique MENDY, enseignant au CESTI, dans cette presse, « il y a souvent un amalgame entre faits-divers et médiocrité »98(*). Il reproche aux journalistes de mettre l'accent moins sur les faits que sur la manière dont ils sont restitués. Il dénonce aussi le caractère commercial d'une presse qui fait vendre en exploitant la misère humaine. « Ce qui est récusé dit-il et qui trouble, c'est cette propension à s'appesantir sur les faiblesses humaines, à étaler au grand jour les vices et les tares de l'homme afin de flatter ses instincts et parvenir à vendre un produit »99(*). L'autre ennui avec cette presse, c'est le manque d'attachement de certains de ces animateurs à la vérité, une vertu cardinale du journalisme. Selon Modou Mamoune FAYE du Soleil « un certain nombre de faits rapportés dans les pages de quelques journaux dits à scandale ne relèvent parfois que de l'imagination fertile de leurs auteurs. »100(*)

Dans cette partie, nous retiendrons que le Sénégal a bénéficié d'une longue tradition de presse. Le pluralisme devenu effectif à la fin des années 1980 s'est très vite consolidé dans les années 1990. Avec l'avènement de nouveaux journaux indépendants du pouvoir étatique, la vision monolithique de l'actualité incarnée par le quotidien gouvernemental cède la place à l'explosion d'une expression plurielle. Encadrés dans un contexte plus ou moins favorable à leur épanouissement, les journaux indépendants essaient de jouer le rôle qui leur sied comme dans toute démocratie. En se voulant relais des tensions populaires incarnées par les partis d'opposition, la presse indépendante se voit taxer de presse d'opinion. Quant à la nouvelle venue, elle a voulu exploiter un créneau jusqu'ici non exploité (ou d'une autre manière) par les journaux précédents. Elle se caractérise par son audace en abordant des sujets ayant trait aux histoires de sexe, de faits-divers, de mondanités dans une société où règne le conformisme social. Le contexte dans lequel elles évoluent montre que ces deux types de presse ne sont pas exempts de dérives, de manquements à certains principes éthiques qui régissent la profession.

DEUXIEME PARTIE

DÉRIVES DES JOURNALISTES OU TENTATIVES DE MUSELLEMENT DES « PUISSANTS » ?

« Si la conscience du devoir d'informer et la liberté devenue

effective d'informer ont donné une presse qui passe pour un

des piliers de l'édifice démocratique dans nos Etats, cela ne

mène pas toujours au triomphe du bien. On peut faire plus

mal encore en usant de cette liberté » Mouhamadou Tidiane KASSE,

journaliste, Institut PANOS, Ne tirez pas sur les Médias, Harmattan, Paris 1996

Quelques précisions s'imposent avant d'aborder les « manquements » aux principes éthiques dont les journalistes seraient responsables. L'élaboration d'une recherche sur le thème choisi aurait été moins fastidieuse et surtout plus fructueuse si nous avions été sur le terrain. La consultation sur place des articles concernés et la rencontre avec les principaux instigateurs auraient été très bénéfiques. Mais grâce aux technologies de l'information et de la communication (certains journaux sont disponibles sur Internet), ces difficultés ont été en partie balayées. Ayant de toute façon l'ambition de mener des études ultérieures beaucoup plus approfondies dans le domaine, nous ne prétendons pas pour le moment à l'exhaustivité. Nous ne retiendrons donc ici que les faits marquants de par l'intérêt que les observateurs et les professionnels eux-mêmes leur ont accordé.

Dérives ou pas, certains événements qui se sont produits ces dernières années ont interpellé les observateurs du paysage médiatique sénégalais. Concernant la presse indépendante dite sérieuse ce n'est pas vraiment une nouveauté. L'affaire Sud-CSS (compagnie sucrière sénégalaise) de 1996 est là pour nous le rappeler. Cet épisode avait fait couler beaucoup d'encre et de salive. A cette époque la presse indépendante fut accusée par le pouvoir étatique d'être devenue très puissante, incapable de s'autoréguler ce qui pourrait mener à toutes sortes de dérives. Quant aux journalistes, ils se sont naturellement ralliés à leurs confrères de Sud Quotidien dénonçant de concert une entrave à la liberté de presse. Par contre ce qui peut porter un intérêt particulier concernant les dérives ou les manquements aux principes éthiques c'est cette nouvelle presse dite populaire qui, en quelques années a battu tous les records de par le nombre d'affaires portées devant les tribunaux. Pour ce qui est du quotidien gouvernemental, après l'alternance, le peuple sénégalais était dans le droit d'attendre de Abdoulaye WADE qu'il supprime ou privatise Le Soleil, média public mais au service du parti au pouvoir. Ce journal qui lui avait causé tant de mal alors qu'il était dans l'opposition, il semble s'en accommoder aujourd'hui qu'il est arrivé au pouvoir.

Comme base de notre analyse, nous nous sommes référés aux travaux de Laurence BARDIN101(*). Selon elle, l'analyse de contenu s'organise autour de trois pôles chronologiques que sont la pré-analyse, l'exploitation du matériel et le traitement des résultats. La première phase nous amènera à relever quelques « dérives » des journalistes. La deuxième phase sera pour nous l'occasion de nous interroger sur l'explication de ces dérives. Enfin la dernière phase consistera à voir la position des journalistes et les conséquences de ces « dérapages » sur la profession.

Chapitre 1er


Inventaire de quelques « manquements » à l'éthique et à la déontologie

Nous allons tenter de relever les événements susceptibles de donner un aperçu général des entraves aux principes d'éthique dont les journaux sénégalais seraient responsables. Selon Laurence BARDIN, la pré-analyse suppose un choix des documents à analyser selon quatre règles : l'exhaustivité, la représentativité, l'homogénéité, la pertinence. Pour des raisons que nous avons déjà évoquées nous avons choisi la dernière tout en prenant en compte la mise en garde de Laurence BARDIN : « les documents doivent être adéquats comme source d'information pour correspondre à l'objectif qui suscite l'analyse »102(*).Sans tarder, nous nous intéresserons d'abord à l'autocensure des journalistes du Soleil avant d'aborder « le parti pris » de la presse indépendante dite sérieuse. Nous terminerons par « les risques du métier » de la presse people qui, incontestablement remporte la palme d'or des procès en tout genre.

I L'autocensure des journalistes du Soleil

Les reproches faits au quotidien Le Soleil sont inhérents à son statut de quotidien gouvernemental qui altère sa neutralité. Ce journal est comme une sorte de journal interne (à l'échelle nationale) qui assure le relais entre gouvernants et gouvernés. Ses journalistes donnent une vision unilatérale de l'information qui doit, à tout pris adopter le point de vue des gouvernants. N'est-ce pas là une aliénation de leur liberté, principe fondateur du journalisme dans toute démocratie ?

Jadis, les journalistes des médias d'Etat étaient amenés à oeuvrer pour « l'union nationale », ou encore « l'intégration nationale ». Il faut reconnaître que juste après les indépendances, la construction du pays supposait la participation de toutes les forces vives de la nation. Cette urgence expliquait la dimension éducative des médias (particulièrement la radio et la télévision). A la fin des années 1960 une émission comme « disoo » (débats) donnait la parole au monde rural. En 1963, le président SENGHOR en accord avec l'UNESCO, lançait la télévision qu'il voulait exclusivement éducative. D'après les ordonnances du 31 octobre 1960, un des premiers textes réglementant les médias, les journalistes sont considérés « avant tout comme des patriotes au service de l'idéal et des objectifs définis par la constitution de la République »103(*). Pas étonnant qu'à cette époque on ne puisse pas parler d'une quelconque emprise de la presse, à fortiori de quatrième pouvoir que SENGHOR récusait d'ailleurs.

De nos jours, seules les appellations ont changé mais les pratiques restent en conformité avec celles d'il y a quarante cinq ans. Les médias d'Etat deviennent des « médias publics » tandis que le terme « journalisme de développement » est supplanté par celui jugé plus approprié de « journalisme de service public ». Aux journalistes de ces médias, l'Etat fourni presque toutes les informations nationales par le biais de la Présidence, des Ministères, des services publics et parapublics. Ces informations se manifestent sous forme de comptes rendus de réunions, d'annonces de communiqués, de décisions : politiques ou économiques et même, parfois, de demandes de reportages. Les instances gouvernementales sont dotées de service de communication ou d'attachés de presse véritables relais entre l'Etat et la presse. Pour diffuser des informations, l'Etat dispose aussi de L'APS (agence de presse sénégalaise). Créée en 1959, cette agence est une propriété de l'Etat sénégalais, elle est financée par ce dernier par des subventions en plus des ressources perçues des abonnés (la presse indépendante sénégalaise et la presse internationale). Dans l'article 3 de l'ordonnance n°59-054 instituant sa création, il est dit que «la tutelle de l'agence est confiée au ministre de la communication »104(*). Son directeur est nommé par décret sur proposition du ministre de tutelle (article 6). L'agence compte une vingtaine de journalistes inévitablement fonctionnaires comme les journalistes du Soleil. Même si dans les textes, sa neutralité est affirmée105(*), cela ne se traduit pas vraiment dans la pratique.

Etre journaliste dans les médias d'Etat suppose une totale compromission, une adhésion à la politique du gouvernement qu'il ne faut pas remettre en question. Cette règle doit être observée pour quiconque veut garder son travail, évoluer dans la profession, sous peine de sanctions immédiates. Cela fut le cas pour un journaliste présentateur du journal télévisé de 20 heures dans les années 1980.Au Sénégal, la règle veut que le journal télévisé commence par une lecture de la feuille d'audience du chef de l'Etat. C'est une occasion de rappeler les activités du Président avec une présentation des audiences accordées à diverses personnalités. Après avoir observé la sacro-sainte règle d'usage, le présentateur eut l'outrecuidance d'introduire les autres titres du journal par la phrase suivante : « passons maintenant aux choses sérieuses ». Du côté de la Présidence on prit mal cet affront, c'était comme si les activités du chef de l'Etat étaient d'importance moindre et ne devaient pas toujours faire les premiers titres du journal télévisé. L'issue de cette affaire était prévisible, le journaliste fut immédiatement démis de ses fonctions de présentateur. Il n'a pas été « viré », mais rétrogradé dans d'autres services de la RTS où il n'eut plus l'occasion d'afficher ouvertement « sa position » anti-gouvernementale. C'était du temps du régime du PS (au pouvoir entre 1960 et 2000), les pratiques de l'actuel gouvernement semblent avoir épousé la même logique. En août 2002, Matar Sylla, nommé après l'alternance de 2000 a été démis de ses fonctions de directeur de la RTS par le président WADE. L'explication est simple, il lui serait reproché une gestion de la RTS non-conforme avec les exigences d'un pouvoir qui voudrait tout contrôler.

Pour ce qui est du média qui nous intéresse particulièrement, la démission du directeur du Soleil au lendemain de la défaite de DIOUF montre, comme nous l'avons souligné, une complicité entre les deux hommes. La couverture de la campagne électorale fut marquée par une prise de position manifeste du quotidien national car les journalistes souhaitaient la réélection de l'homme qui les faisait vivre. L'ancien rédacteur en chef du journal ne le nie pas. « En tirant le bilan de la campagne, on s'est rendu compte que c'était indépendant de notre volonté dans la mesure où il y a un contrôle politique. Lequel a pris le dessus sur notre professionnalisme »106(*) reconnaît Elhadj Bachir SOW. Avec l'arrivée de l'opposition au pouvoir, la situation n'a guère changé. Ce qui a changé, c'est l'équipe dirigeante du Soleil, mais la ligne éditoriale reste la même. Une analyse d'un échantillon de quelques numéros que nous avons consultés montre une grande importance d'articles consacrés au chef de l'Etat et à ses ministres. Paradoxalement, celui qui disait ne pas aimé qu'on lui fasse des « éloges dithyrambiques à longueur de colonnes» semble bien apprécié sont statut de nouvelle star du quotidien national. Dans un article publié à l'occasion du quatrième anniversaire de l'alternance, le 19 mars 2004, WADE y est présenté comme « un président énergique et visionnaire ». Celui qui, « en amenant le PDS au pouvoir, en formant une nouvelle élite pour gouverner à ses côtés le Sénégal... a rendu crédible le PDS qui, qu'on le veuille ou non, est devenu un véritable parti de gouvernement qui enrichit l'échiquier politique du vieux pays de Léopold-Sédar SENGHOR »107(*).

Pourtant, les journalistes de la presse publique bénéficient, au même titre que leurs confrères de la presse indépendante de la liberté de mener des enquêtes sur n'importe quels sujets. Mais pour des raisons déjà évoquées, ils préfèrent volontairement en occulter quelques-uns pour ne pas heurter la sensibilité du « grand patron ». Parmi eux, il y a ceux qui s'accommodent de cette situation de compromission et de soumission. Il y a ceux qui, avec le pluralisme quittent le quotidien gouvernemental pour les médias privés plus indépendants. Il y a aussi ceux qui restent tout en collaborant (parfois anonymement) avec les journaux indépendants dans lesquels ils écrivent des articles. Cela fut le cas de Mame Less CAMARA qui signait avec un pseudonyme des chroniques pour le journal Walfadjri alors qu'il était un des journalistes vedettes de la RTS.

En définitive, on peut retenir que l'autocensure constitue la principale source de dérives des journalistes du Soleil. Contrairement aux journalistes de la presse indépendante, les affaires de dérives concernant Le Soleil sont rarement amenées devant la justice. Pour des raisons que nous évoquerons plus tard, les principaux plaignants en matière de délits de presse se trouvent être les dirigeants politiques qui ne sont pas écorchés par les journalistes des médias publics. Quant aux journalistes de la presse indépendante, il semblerait qu'ils abusent de cette liberté, ce qui expliquerait leurs dérives que nous allons aborder dans la partie suivante.

II Traitement tendancieux de l'information des journaux indépendants ?

En général, les reproches formulés à l'égard de la presse indépendante c'est une couverture tendancieuse de l'information au grand dam du gouvernement. Cette presse est accusée de fustiger le gouvernement en donnant la parole à des «opposants au discours violent, discourtois, ou malhonnête...Une presse qui n'a jamais dit un mot favorable au régime en place, qui ne lui a jamais reconnu la moindre réalisation positive, mais qui a toujours été prompte à critiquer, à mettre l'accent sur le négatif ; une presse des plus partisanes »108(*). D'autres personnalités souvent proches du pouvoir se plaignent et se disent victimes de diffamation, d'injures...

En 2001, dans une livraison datée du 9 juillet, le quotidien Le Matin se saisi d'une affaire mettant en cause les autorités de la plus grande prison de Dakar. Selon ce journal, le système de sécurité de la prison centrale de Rebeuss présenterait « quelques failles ». L'article mentionne des négligences qui seraient à l'origine de l'évasion d'un chef de gang. Le journal accuse ouvertement l'administration pénitentiaire d'être responsable en ayant facilité l'évasion du détenu. Dans ce même article, Le Matin rapporte par ailleurs l'indignation de certains policiers mécontents que l'enquête leur soit soustraite au profit de la gendarmerie. Des accusations graves qui ont valu à Alioune FALL, rédacteur en chef du journal une interpellation par la division des investigations criminelles (DIC) au lendemain de la parution de l'article. Inculpé pour « diffusion de fausses nouvelles », le rédacteur en chef est dans l'incapacité de prouver la véracité de ses allégations. Ce qui lui valu une condamnation devant le tribunal. Toujours dans le même journal, le 9 avril de la même année, le quotidien donne la parole au maire (opposition) de Guédiawaye (petite commune de Dakar). Ce dernier s'en prend au Président WADE ainsi qu'à deux de ses ministres. Le maire serait en possession de documents « compromettants » qui mettraient en cause le président et ses ministres.

Dans sa livraison du 10 octobre 2001, le quotidien L'Info7 mettait en cause le ministère de l'environnement. Dans l'article incriminé, ce journal accusait le Ministère de vendre de manière illégale des invitations gratuites pour une conférence internationale sur la lutte contre la désertification devant se tenir à Genève. Selon l'article du journal, ces invitations auraient été vendues pour deux millions cinq cent mille francs CFA chacune à 40 jeunes au niveau du département. De son côté, le directeur de cabinet du ministre de la Jeunesse, de l'Environnement démentait immédiatement ces accusations en qualifiant ces informations de « fantaisistes habillées par une volonté inébranlable de nuire »109(*). Convoqué à s'expliquer devant la police, le directeur de publication et l'auteur de l'article refusent de révéler leurs sources conformément à la loi du 22 février 1996. Ils sont relaxés le lendemain sans que la preuve de leur innocence ou de leur culpabilité ne soit établie. En janvier 2001, ce journal accusait l'architecte et conseiller du Président Pierre GOUDIABY ATEPA d'avoir « vendu du vent à WADE ». L'article reprochait à l'architecte à qui il a été confié la réalisation d'un édifice « la Porte du millénium » de profiter de son statut de conseiller pour gagner ce genre de « marché ». Le journal de s'interroger si « ... ce dernier peut-il se prévaloir de son seul titre de conseiller spécial du président de la République, en plus de l'habit qu'on lui a cousu sur mesure de haute autorité pour l'embellissement de la Corniche, pour demander des travaux qui ne rencontrent l'assentiment ni des Travaux publics, ni des techniciens du ministère de l'Urbanisme et de l'Habitat ? ». Le quotidien s'appesantit également sur les origines douteuses du financement qui serait estimé par le promoteur à 450 millions FCFA. L'architecte, qui s'était senti présenté comme un escroc et un marchand d'illusions, avait vivement réagi en portant plainte, pour diffamation, contre L'Info 7 et en lui réclamant, à titre de dommages et intérêts, la somme de 200 millions de francs.

Le même journal devait comparaître le 22 décembre 2000 suite à une plainte déposée par la Primature. Pape Samba KANE et Serigne Mansour SARR, respectivement directeur de publication et auteur des articles incriminés étaient accusés de diffamation contre un agent dépositaire de l'autorité de l'Etat, de diffusion de fausses nouvelles et de diffamation contre l'autorité de l'Etat. Deux articles publiés le 18 décembre 2000, titrés : « Projet de Constitution, les amendements de la Primature » et « Les manoeuvres maladroites de l'équipe de Niasse110(*) » sont à l'origine de cette affaire. Le journal L'Info 7 « révélait » dans ces articles des amendements prêtés aux services du Premier ministre sur le projet de la nouvelle Constitution. Le journal Info 7 soutenait que la Primature avait élaboré un certain nombre d'amendements qui n'ont pas été retenus par le Président de la République. Coup de chance pour le journal, lors d'une audience avec les patrons de presse, les éditeurs, le SYNPICS et le Conseil pour le Respect de l'Ethique et de la Déontologie (CRED), le Chef de l'Etat, suite à la demande d'Alpha SALL111(*), décida la levée de toutes les poursuites engagées par les pouvoirs publics contre les journalistes.

Dans la même veine contestataire, les quotidiens Walfadjri et Sud Quotidien se penchent sur l'affaire Talla SYLLA. Le jeune leader politique aux prises de positions énergiques est à la tête d'un minuscule parti (Jëf Jël). Fort en gueule, cet ancien marxiste, peu connu hors du pays, est sorti de l'anonymat à son corps défendant, devenant « le symbole de la résistance » contre le régime de WADE. Dans la nuit du 5 au 6 octobre 2004, des inconnus ont tenté de l'assassiner. Il sortait du Régal, un restaurant de Dakar. Violemment frappé à coups de marteau, il avait été grièvement blessé. Quelques jours plus tôt, il avait enregistré une cassette audio dans laquelle il égrenait ses critiques à l'encontre du chef de l'Etat. A noter qu'en mars 2000, cet « agitateur » avait appelé à voter pour WADE alors leader de la coalition de l'opposition. Mais il a très vite pris ses distances. Dès lors, il est devenu un de ses dénigreurs les plus virulents. Les deux journaux indépendants se saisissent de cette affaire. Dans une série d'articles ils accusent ouvertement des partisans du PDS (au pouvoir) d'être responsables des agressions qui ont valu à M. SYLLA quelques jours d'hospitalisation en France. Les journalistes vont plus loin en affirmant que les coupables appartiennent à la garde présidentielle. Convoqués devant la gendarmerie de Colobane (quartier de Dakar), les directeurs de publication des deux journaux invoquent la loi du 2 février 1996 qui leur donne la possibilité de protéger leurs sources. Ils furent donc remis en liberté.

Cela ne fut pas le cas pour le directeur de publication du Témoin qui a été condamné le 23 avril 2002 à six mois de prison avec sursis et à cinq millions FCFA d'amende dans une affaire qui l'opposait à un directeur d'école privée112(*). L'hebdomadaire mettait en cause la gestion de cet établissement en accusant le plaignant d'avoir détourné une somme considérable. Le Témoin révélait dans son édition du 1er octobre 2001 que le directeur de cet établissement était caractérisé par sa « mauvaise gestion, son copinage et ses injustices au sein de la direction de l'école... ». Ainsi, dans l'article incriminé, on pouvait lire que « le chiffre d'affaires faramineux de cette école, qui est d'un milliard par an, est l'arbre qui cache la forêt. Cabrita est accusé de mauvaise gestion, de malversations financières, d'esclavagisme, etc. par des membres du personnel ». Le journal ajoute que « Victor Emmanuel Cabrita aurait presque ruiné l'établissement au nez et à la barbe de l'église catholique (...). Lors de la construction de l'aile droite du bâtiment B de l'école, M. Cabrita aurait fait une surfacturation de plus de 70 millions de francs. C'est avec l'argent de cette surfacturation qu'il aurait construit son château de Toubab Dialao... ». Le journaliste va plus loin encore en affirmant que ses interlocuteurs ont réussi à découvrir qu'il a un compte personnel, ouvert au nom et pour le compte de l'établissement dans les livres de la BNP (Banque nationale de Paris)... « Ou encore qu'il avait pris les devants en payant un expert chargé de maquiller les chiffres incriminés avant l'arrivée des auditeurs... ». Au tribunal, l'auteur de l'article a expliqué avoir recueilli les déclarations de responsables syndicaux qui avaient terminé leur manifestation contre leur patron dans les locaux du journal. Reconnu coupable pour diffamation par le tribunal, Pape NDIAYE et Mamadou Oumar NDIAYE, directeur de publication ne seront toutefois pas incarcérés car leurs avocats avaient interjeté appel. Mais, la décision de justice a été rendue publique dans les quotidiens «Sud», «Le Soleil», «WalFadjri» et «Le Matin» conformément aux voeux du tribunal.

Le même journal avait été traîné une fois de plus devant les tribunaux en septembre 2001 par Oumar NDIAYE, l'ancien directeur de la Loterie nationale sénégalaise (LONASE). L'hebdomadaire avait, dans sa livraison du 2 septembre 2001 présenté le plaignant comme un dirigeant qui, lorsqu'il avait en charge la LONASE, a fait fi de toutes les règles de rigueur, de probité, d'orthodoxie financière et de transparence pendant sa gestion de la société nationale. Le Témoin l'accusait d'avoir ordonné le remboursement de la facture du téléphone cellulaire de son fils qui s'élevait à 1.109.000 francs CFA alors que celui-ci n'avait rien à voir avec la LONASE. D'après le journal, il aurait aussi signé un contrat publicitaire de 80 millions de francs avec la RTS, donné un cachet de 5 millions de francs et une enveloppe de 10 millions au musicien Youssou NDOUR pour le lancement de nouveaux produits de la Loterie nationale. Et à en croire Papa NDIAYE, l'auteur de l'article, les largesses du Colonel ne se sont pas arrêtées là, puisque d'autres artistes en auraient bénéficié. Ces accusations n'ont pas été prouvées et l'hebdomadaire fut condamné par le tribunal correctionnel de Dakar pour « diffamation » et « diffusion de fausses nouvelles ».

En juillet 2003, Abdou Latif COULIBALY, journaliste au Sud Quotidien publie un livre intitulé : Wade un opposant au pouvoir : l'alternance piégée. L'ouvrage du journaliste décrit en termes impitoyables le caractère « clientéliste », « ultra personnaliste » du nouveau régime et son « amateurisme ». Déçu par l'Alternance, Abdoul Latif COULIBALY dénonce « la centralité qu'Abdoulaye WADE s'est octroyé, politiquement et constitutionnellement, dans son parti comme dans le dispositif étatique »113(*). Il analyse la « très haute idée » que le Président se fait de lui-même, ne prenant pas en compte l'avis de ses conseillers, ainsi que sa « volonté de se donner les moyens politiques et matériels de bâtir un parti de pouvoir fort qui assure sa prochaine réélection. Quitte à s'entourer de ministres incompétents mais serviles ». Dans un chapitre intitulé « Monarchie contrariée », il souligne la place excessive occupée par la famille proche du Président dans la conduite des affaires de l'Etat, notamment par son fils Karim. Les tensions politiques entre le camp des syndicats et ses partenaires d'alternance, à savoir la presse et les autres partis politiques sont aussi au coeur de ce pamphlet. Les remaniements ministériels répétitifs se sont multipliés (quatre en trois ans), ils témoigneraient des tentatives de contrôle et d'alliance menées par WADE. Selon l'auteur, ce dernier ne semble pas avoir été capable d'inclure l'opposition dans la gestion des affaires de l'Etat. Le brûlot a engendré un véritable scandale politique. Le Président WADE n'a pas jugé nécessaire de porter l'affaire devant les tribunaux. Mais son entourage est intervenu à maintes reprises pour condamner ce qu'il appelle « des accusations sans fondement ». Mme Aïssatou Kombé NDIAYE114(*) de la cellule initiatives et stratégies du PDS qualifie le journaliste de Sud Quotidien de « maître chanteur », de « colporteur de mauvaises nouvelles ». Par ailleurs, la militante pense qu'« il s'en est pris à la personne du Président de la République, sans chercher à accomplir le devoir de conservation de la crédibilité de la fonction de journaliste : un bien précieux. Gagner la sympathie des masses populaires par la démagogie, enfourcher la cause des plus démunis pour asseoir des intérêts mesquins, c'est là un combat à jamais perdu, mon cher Latif »115(*) interpelle-elle le directeur de l'ISSIC. Ce livre a d'ailleurs valu des menaces de mort anonymes à son auteur. Heureusement, celles ci n'ont pas été suivies d'effet.

Plus récemment, dans leurs livraisons du 1er septembre 2004116(*), Les journaux Le Quotidien et Walfadjri publient dans une version remaniée une dépêche reçue de la PANA. Selon cette agence, deux Sénégalais, chauffeurs des journalistes français (Christian CHESNOT et Georges MALBRUNO) seraient pris en otages avec eux en Irak. Vu la sensibilité de l'information, les journalistes auraient dû prendre un minimum de précaution en vérifiant d'abord les sources et pourquoi pas, prendre une certaine distance au cas où elles ne seraient pas fiables. Le professionnalisme et surtout l'expérience des journalistes de Walfadjri ont fait que, l'article ne porte pas de signature autre que celle de la source (PANA). Toutefois, à la « Une » du journal, il est titré en gros caractères « Deux Sénégalais enlevés en Irak ». Pas de point d'interrogation, donc aucun élément pouvant -à priori- empêcher au titre de sonner comme une affirmation. Quant au journal Le Quotidien, il prend la liberté (en citant toutefois la source) d'attribuer la paternité de l'article à un journaliste de la rédaction. Ce dernier se permet des railleries à l'endroit du gouvernement. Dans un papier d'accompagnement titré « les autorités sénégalaises prises de court », le journaliste présente l'Etat comme peu soucieux du sort de ces deux citoyens dont il ignore la captivité et qui peuvent à tout moment tomber sous les balles de leurs ravisseurs. Tard dans la matinée, les radios privées vont démentir l'information, mais le coup était déjà parti. Les numéros de ce jour se sont vendus comme des petits pains mais on imagine que les familles sénégalaises qui avaient des proches en Irak ont connu une des plus grosses frayeurs de leur vie. Malheureusement, les impératifs de la presse écrite ne permettent pas une rectification immédiate d'une information fausse comme à la radio ou à la télévision. La nouvelle sur le rapt des deux Sénégalais n'a été rectifiée par les journaux que le lendemain. En quelques lignes, les quotidiens s'excusent auprès de leurs lecteurs qui étaient nombreux à avoir acheté les numéros de la veille.

Une affaire pour le moins surprenante a opposé l'ex ministre de la communication du gouvernement de DIOUF au journal Le Messager117(*). Dans un article publié le 29 octobre 2004 titré : « Complot contre la République. Réunions chez Aïssata Tall Sall. C'est Dansoko qui devait être tué », le journal accusait l'ancienne ministre de planifier l'assassinat du leader du Parti de l'Indépendance et du Travail (PIT). On pouvait y lire, entre autres : « la réunion s'est tenue lundi aux environs de 20 heures 30. Le domicile de madame Aïssata Tall Sall en a servi de cadre. Le sujet était brûlant. Le scénario à mettre en oeuvre devait aboutir à un assassinat physique. La victime devait être Amath Dansoko, le secrétaire général du Parti de l'indépendance et du Travail (P.I.T). Le crime devrait ensuite être mis sur le compte du régime... Le mobile en serait que Dansoko s'est montré tellement virulent vis-à-vis de Wade, ces derniers jours, que la seule présidence de la République devait avoir des raisons de se débarrasser d'un opposant aussi intraitable ». En guise de conclusion, le journal ajoute : « la moralité d'un tel complot, c'est qu'il existe une race de Sénégalais qui ne reculerait devant absolument rien pour (re)venir au pouvoir. Y compris mettre leur pays en péril. Il y a aussi ceux pour qui aucun sacrifice n'est de trop si, au bout du compte, cela peut permettre d'assister à la disparition de Wade comme président de la République et aussi sa traduction devant le tribunal de l'histoire... ». Accusations qui font froid dans le dos, et la plaignante a naturellement porté l'affaire devant le tribunal en réclamant au journal la somme de 500 millions FCFA en guise de réparation. De son côté, la défense eut apparemment toutes les difficultés du monde à produire les preuves dans les dix jours qui lui été fixés pour le faire118(*). Dès lors, le verdict était prévisible, le 8 février 2005, le tribunal correctionnel de Dakar condamna Le Messager a payé à Mme SALL la somme de trois millions FCFA119(*). Une peine de six mois de prison avec sursis fut également infligée au journaliste auteur de l'article et au directeur de publication du journal.

Les affaires relatées ici montrent l'antagonisme qui existe entre les journalistes et le pouvoir gouvernemental. Toutefois, elles trouvent souvent un épilogue avant d'accéder au tribunal, soit avec l'abandon des plaignants qui trouvent des moyens de s'arranger avec les journalistes, soit sous la couverture de la loi du 22 février sur la protection des sources. Ce constat n'est pas applicable à la presse people qui a battu tous les records de procès en quelques années d'existence

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III La presse people face aux « risques du métier »

C'est incontestablement avec la presse people qu'on a connu le plus de procès. « Cette presse, en moins de deux ans d'existence au Sénégal, a battu tous les records en matière de procès »120(*). Vu le créneau qu'elle entend investir, ce record a de beaux jours devant lui. D'autant que la plupart des patrons de cette nouvelle presse l'attribuent au risque du métier donc normal en soi.

Intéressons-nous d'abord au journal Frasques quotidiennes. La rubrique `Fric-Frac' y occupe habituellement deux pages (6 et 7 en général). Ici, il s'agit principalement de l'actualité des faits divers, de comptes rendus d'audiences de tribunaux .... Dans cette rubrique, les titres son évocateurs et donnent d'emblée une orientation à l'aspect people de ce journal. Ainsi, on peut lire dans le numéro du lundi 10 septembre 2001 : « La pute est formelle: Khaly Diop et Cogne Diop ont tiré gratis » ou encore : « Au cours d'un voyage au septième ciel, le vieillard lubrique passe dans l'autre monde », paru dans la livraison du mercredi 2 janvier 2002. Cette titraille a certes un but incitatif, mais le plus souvent elle n'exagère en rien le contenu de l'article qui lui est particulièrement fidèle. Pour le montrer, nous commencerons avec une histoire rapportée par le journal dans son numéro du 16 juillet 2004. Elle narre les aventures nocturnes d'un « Monsieur respectable », conseiller dans les hautes sphères de l'Etat. Alors qu'il rentrait de voyage, ce dernier fut appelé vers 1 heure du matin par un ami étranger qui était de passage à Dakar. Un pote de très longue date en escale dans la capitale sénégalaise qui devait retourner dans son pays mais tenait à voir son ancien ami avant de prendre l'avion au petit matin. Rendez-vous fut donc pris dans un repaire de la « jet-set dakaroise ». Mais les deux amis ignoraient qu'un reporter armé d'un appareil photo rodait dans les parages et épiait leurs moindres mouvements. Le lendemain qu'elle n'a été la surprise du concerné quand il découvrit en pleine page du journal Frasques, une photo légendée comme suit : « dokh katt goudi you bagna fègn » (ces noctambules qui se cachent). Visiblement, le monsieur en question n'avait rien n'à se reprocher. Mais une photo prise dans ce contexte avec une telle illustration aurait pu provoquer une scène de ménage. Heureusement pour lui que sa femme, avertie de sa sortie, avait compris, sinon son mariage aurait pu être compromis. Soulignons aussi cet article titré « Woup Satieye ! » (Au voleur !) paru dans le numéro du jeudi 30 mai 2002 (toujours dans le même journal). Il relatait l'affaire du vol présumé de bijoux attribué au footballeur Khalilou Fadiga lors de la dernière coupe du monde en Corée. La Une est illustrée par la photo du joueur sénégalais. Le vol n'avait pas encore était prouvé que le journal s'empressait de présenter « un coupable ».

Le journal Le Populaire surfe sur la même vague. La rubrique concernée est appelée Off (qui veut dire officieux ou off the record). Elle a le même objectif que celle de Frasques quotidiennes. Un bref survol des titres du journal montre l'abondance d'articles susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes. Par exemple dans un article paru dans le Populaire du vendredi 2 novembre 2001, le journal titre : « Abandon du domicile conjugal, Tanor (Ex-ministre d'Etat, ancien directeur de cabinet du président Abdou Diouf) recherché par sa femme et ses enfants ». Les histoires de sexe ne sont pas en reste avec des titres comme : « Attouchements sexuels sur des garçons : un Français déféré », paru dans le numéro du mercredi 26 décembre 2001 ;« Inceste à Tamba, un père de famille engrosse sa fille », paru dans la livraison du samedi 1er juin 2002. Ces petites histoires dont sont friands la plupart des lecteurs de ce journal peuvent briser des carrières, noircir des destins.

Un ministre fraîchement élu en a payé les frais car lors d'un remaniement ministériel, l'intéressé fut remercié à cause d'un article paru dans ce journal. Selon Babacar DIOP121(*), journaliste à l'APS, le ministre qui n'avait pas l'habitude de côtoyer les « en haut des en haut » avait dans la confusion « agrémenté le lait qu'on lui avait servi de sel et de poivre ». Au cours d'une visite dans un pays étranger, il se serait comporté de manière indigne d'un représentant de la République. « Le ministre aurait versé des larmes malvenues » couvrant ainsi de honte la délégation dont il faisait partie. La sanction fut sans appel, nul doute que la « popularisation » de l'affaire en a été pour quelque chose. C'est du moins l'avis de l'ex-ministre qui ne manque d'ailleurs pas de lancer : « yeena ma lor » (vous avez causé ma perte) à un responsable du journal qu'il croisa quelques jours plus tard. La majeure partie des procès se solde par une défaite, donc par des peines de prison (souvent de sursis) et des sanctions financières. En novembre 2000, Mamadou TALLA l'ancien rédacteur en chef du Populaire a été condamné à une peine de trois mois avec sursis et à une amende de 5 millions de FCFA (7600euros) pour une affaire qui l'opposait au directeur de la SICAP (Société immobilière du Cap Vert). Dans une de ses livraisons le journal accusait Assane DIAGNE d'avoir détourné 1 milliard F CFA (1524000 euros). Devant le tribunal ces accusations se sont révélées fausses. Le Populaire a perdu aussi d'autres procès notamment avec des hommes d'affaires, un courtier (2000), avec l'Etat sénégalais. Pour cette affaire, le journal avait réalisé un dossier sur la Casamance, les journalistes qui voulaient traiter un sujet sensible sans preuves tangibles ont été condamnés par la justice.

Le journal Le Tract semble faire du traitement des hommes politiques un de ses thèmes de prédilection. A ce propos un événement qui s'est produit en 2001 mérite d'être rapporté ici. C'était au lendemain de la déclaration de politique générale de l'ancien premier ministre. Le 1er août 2001, dans un article intitulé « Coup de chaud à l'Assemblée nationale : le Premier ministre se dévoile », le journal Tract publie un photomontage de la ministre. Celle-ci y est présentée avec un corps de mannequin vêtu d'une tenue de plage. Dans un article non signé, le journal avait annoncé, à sa manière, cette première sortie à l'Assemblée nationale de Mme Mame Madior BOYE. Ce qui, dans le contexte sénégalais constitue un affront qui provoqua un scandale. Le même jour, tous les exemplaires du journal sont confisqués tandis que le rédacteur en chef, le directeur de publication et l'infographiste sont interpellés par la police. En l'absence de plainte, ils furent remis en liberté le lendemain. La réaction de la profession a été très mitigée, condamnant cette dérive notoire sans cautionner la procédure d'incarcération des journalistes et la confiscation de l'ordinateur. Le SYNPICS s'était refusé à cautionner ce photomontage. Interviewé par Le Soleil122(*), le secrétaire général du syndicat avait affirmé que : « toute la profession est interpellée. Et elle se doit de réagir vigoureusement pour que pareille situation ne se reproduise plus ». Toutefois, le syndicat avait exprimé son « désaccord » avec cette procédure d'incarcération et de confiscation de l'ordinateur au regard des « textes liberticides en ce qui concerne les délits de presse ». Selon le SYNPICS, cette procédure se caractérise d'abord par la possibilité d'atteinte immédiate à la liberté des journalistes, à travers notamment les tracasseries policières, la garde-à-vue, les intimidations. En janvier 2002, le ministre déposa une plainte et les journalistes furent poursuivis pour « injures à un membre du gouvernement et diffusion de fausses nouvelles avec utilisation de pièces fabriquées ». Au final, cette affaire ne déboucha sur aucune condamnation. Le 15 février 2002, l'ordinateur confisqué par la police sera restitué et la plainte du Ministre certainement retiré grâce à l'intervention du SYNPICS et de l'ONG française Reporters sans frontières. Le Tract a eu d'autres procès dont nous ignorons les issues avec un avocat (Massokhna KANE), un homme d'affaires très puissant (Baba DIAW)...

L'hebdomadaire Moeurs est sans doute le journal qui s'est le plus illustré de par son audace. Au mépris de toutes conventions sociales ou religieuses, la pornographie prend le pas sur l'érotisme dans certains articles. La rubrique qui nous interpelle est appelée « Tout nice ». Elle occupe la page trois de l'hebdomadaire et parle de sexe comme aucun journal n'en a jamais osé au Sénégal. En plus de l'étalage de la vie privée des `acteurs' de cette presse, leur anonymat n'est pas préservé comme nous le montre ces titres : « Modou Ngom surpris en pleins ébats avec son aînesse », paru dans le numéro du 5 au 11 mars 2001, ou encore : « Pour un coït et se remplir les poches, Rama et Léna Fall Diagne enterrent leur mari vivant » paru dans la livraison du lundi 8 au 15 juillet 2001. Le journal a d'autres rubriques (Humours, et Coule Fine) lui permettant de fouiller dans la vie des hommes publics. Dans sa livraison du 11 au 17 août 2003 l'hebdomadaire s'en prend à un avocat du nom de Elhadj Diouf. L'article est titré « un hypocrite de la conviction ». Selon le plaignant, Moeurs a utilisé des mots injurieux, l'hebdomadaire lui reproche aussi, entre autres griefs, d'avoir défendu l'ancien chef de l'Etat tchadien Hissène Habré. Nous ignorons l'issue de cette affaire. Dans sa livraison du 25 juin 2001, le journal faisait état du divorce du Maire de Rufisque pour cause d'adultère. L'hebdomadaire titrait à la Une : « Jack, le chérif de Rufisque répudie sa femme ». La plaignante avait porté l'affaire devant le tribunal qui condamna le journaliste auteur de l'article et le directeur de publication à une peine d'emprisonnement ferme de six mois assortie d'une amende de 1 million de F CFA123(*).Quant à M. DIOP, il avait saisi le Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED) qui avait d'ailleurs rappelé le journal à l'ordre124(*). En Janvier 2002, le journal a été suspendu pour trois mois. Pape Daouda SOW, le directeur de publication fut condamné à purger une peine de 6 mois ferme en prison, assortie d'un mandat de dépôt. L'hebdomadaire devait payer également la somme de 500.000 francs CFA à la partie civile. Cette condamnation fait suite à un article paru dans la livraison numéro 17 du lundi 11 au dimanche 17 juin 2001, portant la signature de Pape Daouda SOW. À la une de ce numéro, on pouvait lire en gros caractère rouge : « Deux garces de même père et mère troublent la quiétude d'un immeuble à Castors ». Aïda et Mamy Seck les deux plaignantes ont été nommément ciblées par Pape Daouda SOW (responsable du journal) qu'elles ont naturellement poursuivi en justice. Les deux soeurs ont supporté une série d'articles étalée sur deux mois125(*) qui les accusaient de s'adonner à la prostitution. Le journal rapportait que les activités des soeurs SECK empêchaient tout le monde de dormir le soir dans l'immeuble. Au tribunal126(*), P. D. SOW soutint que les nuisances qui seraient causées par ces dernières à leurs co-locataires ont été rapportées par Cheikh KANDJI, chauffeur chez un distributeur de presse. Le témoin refusa de cautionner ces accusations et le responsable du journal fut dans l'incapacité de produire d'autres preuves, il fut condamné pour diffamation par le tribunal correctionnel de Dakar.

Avec seulement deux années d'existence, Moeurs détenait déjà le record avec six procès en quarante numéros127(*). En août 2002, l'hebdomadaire a perdu un procès qui l'opposait à une école de tourisme. Poursuivi pour diffamation, Pape Daouda SOW, un de ses journalistes a été condamné à six mois de prison avec sursis. Dans cette affaire, tout a commencé par une lettre ouverte au Premier ministre, mais des plus anonymes parce que signée tout simplement « Le Collectif des jeunes filles de l'ENFTF », elle dénonçait « le droit de cuissage » imposé par certains enseignants aux étudiantes qui voulaient décrocher leur diplôme de fin d'études ou tout simplement, passer en classe supérieure. Le directeur de publication de Moeurs qui en avait reçu une copie, décide de la publier sans procéder à la moindre vérification. Lorsqu'ils furent au courant de ces accusations, les enseignants de l'école envoyèrent une délégation au journal. Ils voulaient sans doute, répondre à la lettre ouverte dont ils avaient déjà identifié l'auteur. Pour eux, il s'agissait de l'ancien directeur des études. Ils présentèrent leur réponse, accompagnée de la photo de l'intéressé au responsable du journal. Cette lettre fut publiée par Pape Daouda SOW. Le problème, c'est qu'elle semble ne pas obéir aux critères habituels du droit de réponse. On pouvait y lire ceci : «le pyromane à l'époque, directeur des études et des stages, organisait, en composant le jury sur une base `ethniciste' pour faire réussir, chaque année, ses proches parents aux examens sélectifs de l'ENFTF, offrant un nombre limité de places aux postulants, tout en se donnant la latitude d'organiser sa pratique du droit de cuissage (...). N'a-t-il pas été surpris, dans son bureau, la main profondément logée entre les cuisses d'une candidate, à la veille des examens ? »128(*). Après plainte de l'école, Pape Daouda SOW eut toutes les peines à prouver la provenance de ces deux lettres d'autant que les enseignants, présents lors de la comparution, ont catégoriquement nié lui avoir remis quoi que se soit. Manque de chance ou absence de professionnalisme car cette lettre était encore plus anonyme que la première, parce que signée tout simplement : « Amicale des filles unies à l'ENFTF ». Nous pouvons en conclure que dans cette affaire, Moeurs a privilégié le sensationnel au lieu de procéder au recoupement et à la vérification de l'information, ce qui aurait pu éviter ce dérapage.

C'est la presse people qui détient le record du nombre de procès. Il semblerait d'ailleurs que les patrons de presse aient intégré les réparations de leurs dérives dans leur budget. Très préoccupés d'attirer l'attention de leurs lecteurs, certains journaux tombent dans l'affabulation s'ils ne publient pas des informations non vérifiées.

Cela ne souffre d'aucune ambiguïté, la presse sénégalaise a évolué. Est-ce dans le bon ou le mauvais sens ? A ce point précis de notre étude, il est peut être assez tôt pour répondre à cette question. Ce que nous pouvons avancer par contre, c'est qu'elle est confrontée à des défis majeurs. Nous avons montré dans ce chapitre comment l'autocensure des journalistes du Soleil aliénait leur esprit critique et en faisait des sortes de « griots des temps modernes » au service du prince dont il faut prêcher à tout prix « la bonne parole ». Quant aux journalistes de la presse indépendante dite sérieuse les événements relevés montrent leur acharnement aux hommes du pouvoir dont ils semblent hostiles. La presse people aussi paraît surfer sur la même vague. Mais les journalistes de cette presse n'hésitent pas à fouiller dans la vie privée d'une personnalité pour aguicher un lectorat qui en est friand. Dans un cas comme dans l'autre, c'est bien d'atteintes aux principes fondateurs du bon journalisme dont il s'agit. Pour mieux apprécier ces dérives, il convient d'en chercher les causes.

Chapitre 2

Les principales causes des dérives

Cette partie correspond à la deuxième phase d'après le schéma établi par Laurence BARDIN pour l'analyse de contenu. Nous allons y procéder à une analyse de ce qui pourrait expliquer les dérapages des journalistes. La première des causes serait à notre avis l'existence d'un média public complètement sous influence du gouvernement. Cet état de fait a, comme conséquence de pousser les journaux indépendants à jouer les équilibristes d'où la difficulté pour eux de rester neutres. Le manque de professionnels qualifiés dans un des métiers les plus ouverts n'est pas sans incidence sur les dérives notées ces dernières années. Les patrons des groupes de presse les moins affirmés recrutent des gens qui n'ont pas suivi une formation parce que ceux qui sortent des écoles sont moins corvéables et surtout plus exigeants en ce qui concerne le traitement salarial. La troisième cause relève de la mauvaise santé financière de la majeure partie des organes de presse. Face à la faiblesse des recettes publicitaires presqu'inexistantes, la seule alternative reste la vente au numéro. La recherche du scoop et des informations alléchantes, avec tout ce que cela comporte de risque de dérives, deviennent les seules règles.

I L'existence d'un quotidien gouvernemental

De l'avis de plusieurs spécialistes, la libéralisation des médias doit inévitablement s'accompagner d'une autonomisation totale. Journaux, radios ou télévisions doivent être à l'abri de toute influence. Cet idéal n'est pas encore atteint par la démocratie sénégalaise. La RTS (radio télévision sénégalaise), sous la coupole de l'Etat, détient toujours le monopole de l'audiovisuel, les détenteurs de radios doivent payer une redevance annuelle pour continuer d'émettre129(*). La libéralisation télévisuelle ne concerne pour le moment que des chaînes étrangères comme TV5, Canal horizons... La presse écrite présente un autre visage, le pluralisme est désormais un acquis incontestable. Mais le quotidien Le Soleil, en partie financé par le contribuable sénégalais continue de refléter le point de vu des « dominants ».

Lors de la campagne présidentielle de 2000, sans doute frustré par une couverture partisane de l'événement, WADE lançait des phrases du genre : « je n'ai pas besoin d'un journal qui me ferait des éloges à longueur de colonnes » ou encore « Le Soleil, ça ne sert à rien, je le donnerai à la jeunesse sénégalaise ». C'était avant qu'il n'accède à la magistrature suprême du pays. Quelques jours après son élection, alors qu'il recevait l'ensemble des membres du gouvernement, il invita le ministre de la communication de l'époque à suspendre la publication du journal « avant d'aménager les modalités de sa mutation ». Juste après la défaite de DIOUF, Ibrahima GAYE, le directeur de publication avait déjà signé son dernier éditorial. « Cet éditorial, disait-il, est bien évidemment le dernier. De partager des valeurs, des idées avec l'homme exceptionnel qu'est Abdou Diouf, naturellement m'oblige à m'effacer avec lui. En regrettant ce journal qui, on peut le dire, m'a vu naître et auquel je souhaite tant de bien. »130(*). Pour les journalistes du quotidien gouvernemental, l'alternance était perçue comme une délivrance. A cette époque, Djib DIEDHIOU et Modou Mamoune FAYE pensaient que « rien ne sera plus comme avant. Le Soleil n'aura plus de pesanteur dans la ligne rédactionnelle »131(*). Du côté de la presse privée, on est solidaire avec ses confrères et on écarte toute idée de suppression du quotidien national. « Laisser briller Le Soleil » titrait l'éditorialiste du Matin Babacar SECK le 6 avril 2000. De son côté, Mansour KANE de Dakar Soir dans un article publié le 7 avril pensait que : « aujourd'hui que l'opposition longtemps brimée est arrivée au pouvoir, il ne s'agit peut être pas de jeter le bébé avec l'eau de bain et de faire table rase sur le capital que peuvent constituer les archives du Soleil ou l'expression de ses agents ». Ont-ils été entendus par le Président pour que ce dernier change finalement de position ? Nous ne pouvons répondre à cette question. En revanche, nous avons relever quelques éléments qui, à notre avis ont peut être eu une certaine influence sur la décision finale de Abdoulaye WADE.

En effet, les premiers jours de la présidence de Abdoulaye WADE ont été marqués par quelques maladresses et balbutiements. Dès son arrivée au pouvoir, il voulut mener à terme un projet qui lui tenait à coeur depuis de très longues années. L'exploitation du fleuve Sénégal, frontière avec la Mauritanie pourrait donner au peuple environnant l'opportunité de faire des cultures de décrues. Ce projet appelé « revitalisation des vallées fossiles » consistait en une mise en place d'un vaste plan d'irrigation à partir du fleuve Sénégal. La Mauritanie également riveraine craignait de voir sa principale source en eau douce s'évaporer dans le désert au profit des Sénégalais. Le président mauritanien, Maouia Sid Ahmed Ould TAYA ne tarda pas à montrer sa désapprobation. Une mésentente au bord de la rupture des liens diplomatiques opposa les deux hommes. Autre affaire ; des rumeurs circulent et voudraient que le président cap verdien Nino VIERA, son homologue gambien Yaya DJAMMEH et les leaders du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance) passent un accord. On parle d'une confédération qui regrouperait les deux pays et la Casamance après que cette région soit libérée du joug sénégalais. WADE envoie Idrissa SECK, son ministre d'Etat en France, il a pour mission d'aller chercher des armes. Les explications de M. SECK sont simples : le Sénégal doit se défendre contre toute tentative d'attaques extérieures.

Dans cette affaire comme dans l'autre, la situation va progressivement se normaliser. A. WADE finit par renoncer à son projet de revitalisation des vallées fossiles tandis que le président gambien rend visite à son homologue sénégalais pour lever toute ambiguïté. Ce qui est intéressant pour nous c'est évidemment la manière dont ces deux affaires ont été traitées par la presse. Le Soleil qui est encore empreint d'une tradition de compromission est moins critique. Quant aux journaux indépendants, ils signent la rupture d'avec l'ancien leader de l'opposition en s'en prenant de manière virulente à sa politique. Certains journalistes parlent d'un gouvernement d'amateurs tandis que d'autres l'accusent de tâtonner et d'improviser. La destitution de Mme Tissa MBENGUE fraîchement nommée ministre de l'éducation fut une nouvelle occasion de fustiger le nouveau gouvernement. Visiblement entre A. WADE et « son alliée », le divorce était consommé. Cette situation semble ne pas être étrangère à sa décision finale. Contre toute attente, Le Soleil n'a donc finalement pas été supprimé par le nouveau président.

Selon le journaliste du quotidien gouvernemental Amadou FALL, « le bon sens a rapidement triomphé, sur le fond d'une meilleure connaissance et approche des réalités intrinsèques du quotidien national. Et il n'a plus été question de coucher Le Soleil »132(*). Il est vrai que supprimer ce journal du paysage médiatique sénégalais reviendrait à condamner près de deux cents pères et mères de familles au chômage. Alors que ceux-ci ne devaient en aucune manière être sanctionnés « en victimes expiatoires pour des `fautes' qui, s'il en était, devaient être imputées au système tel qu'il fonctionnait et était entretenu, plutôt qu'à des hommes et des femmes tenus, avec ou sans leur consentement, d'en respecter les principes et les règles »133(*). C'est la principale raison invoquée par le président WADE. Qu'en est-il alors de cette « mutation » qu'il avait promise ? A en croire M. FALL, le journal d'Etat a « poursuivi sa mutation pour plus de couleurs et d'éclat dans la liberté d'informer juste et vrai, avec des journalistes qui n'ont jamais demandé autre chose que cela. Le Soleil est aujourd'hui nettement plus à l'aise dans le paysage médiatique sénégalais ». Il affirme que le journal est plus proche du peuple parce que « véhiculant une information plurielle, non partisane et reflétant les préoccupations internes et externes de tous les Sénégalais, à quelque bord qu'ils appartiennent, en étant à un stade on ne peut plus avancé et décisif ». Le journaliste conclut avec ces termes : « c'est avec des coudées plus franches que, passés la peur des premiers jours, il fait opiniâtrement face à une rude concurrence, gagnant chaque jour en prestance, crédibilité et audience.». Nous concédons à l'argument selon lequel la concurrence est devenue très rude, mais nous émettons quelques réserves sur la crédibilité du journal et les éventuelles avancées concernant le traitement d'une « information plurielle » qui donnerait tous ces anciens exclus « droit au chapitre ». Dans un article134(*) consacré au bilan des trois années d'alternance, Mamadou SY, journaliste dans un organe privé (Taxi Le Journal) affirme le contraire. Selon lui, le gouvernement de l'alternance est caractérisé par son intolérance et son refus systématique de tout débat contradictoire, donc profondément hostile à la presse indépendante. La conséquence de cette situation serait l'occupation des médias publics par « les nouveaux maîtres », « au détriment de tout dosage républicain ». Ce qui, selon lui, explique « les difficultés des médias du service public à jouer pleinement leur rôle en matière d'information plurielle »135(*). M. SY en conclut que « la télévision nationale, la radio et les organes écrits du pouvoir vivent donc une épreuve test de leurs capacités à rompre d'avec l'héritage de l'ancien système socialiste ». Aujourd'hui, malgré l'alternance politique, on assiste pratiquement à une reproduction du schéma établi par le PS (Parti socialiste) depuis les indépendances.

Il ne serait pas malin de ne pas se servir de l'arme de votre ancien ennemi, surtout si vos anciens alliés deviennent subitement des ennemis qui veulent votre perte. Le Soleil reste donc un quotidien gouvernemental. Le changement de régime et la disparition de l'ancienne équipe dirigeante n'y changeront rien. Son étatisation, comme nous l'avons montré est incompatible avec l'indépendance de ses journalistes. En outre, son existence en tant que « propriété » de l'Etat semble à l'origine de plusieurs dérives des journalistes de la presse privée. Ceux-ci essaient de donner une information alternative, une vision moins officielle qui n'est hélas pas toujours le reflet de la réalité. Selon Bara DIOUF ancien directeur du journal, Le Soleil doit être privatisé, c'est la seule solution. « La disparition du ministère de l'information dans les grande démocraties devrait entraîner la fin des médias d'Etat136(*) » pense-t-il. Il ajoute que l'existence de cet organe de presse dont la ligne éditoriale est sous l'influence de l'Etat qui nomme son équipe dirigeante « est une source de manquement à la déontologie ». Toutefois, nous pouvons opposer à ce point de vue une interrogation, à savoir si « la plus grande autonomie des médias publics - éditoriale mais aussi administrative et financière - ne se solde-t-elle pas par un certain abandon du service public ? »137(*). Mais, Albert CAMUS, un illustre penseur et journaliste à la fois ne disait-il pas que « quand la presse est libre, cela peut être bon ou mauvais mais assurément, sans la liberté, la presse ne peut être que mauvaise. Pour la presse comme pour l'homme, la liberté n'offre qu'une chance de devenir meilleur, la servitude n'est que la certitude de devenir pire »138(*).

En définitive, on retiendra que l'existence du Soleil comme journal pro-gouvernemental est sans doute l'une des causes explicatives des dérapages des journalistes. Juste après son élection, WADE avait lancé un journal : Le Quotidien de la République. Il était sensé servir de relais entre le gouvernement, l'administration et les médias. Ce journal n'a pas pour ambition de remplacer Le Soleil, mais en quelque sorte de le seconder. Selon, le président, « notre pays peut se glorifier d'avoir une information plurielle, cependant, l'activité gouvernementale constitue toujours une zone d'ombre »139(*). C'est dire à combien les autorités sont encore attachées à leur part des rayons du Soleil. Mais à côté de l'existence du Soleil comme source de dérives, il y a un autre élément qui mériterait que l'on s'y attarde. Pour certains spécialistes les rédactions seraient assiégées par des gens venus d'on ne sait d'où et qui seraient responsables de la plupart des dérapages.

II Le recrutement au rabais

Selon plusieurs spécialistes, les dérives notées ces dernières années seraient dues à la présence dans la profession de gens qui n'y ont pas leur place. Ceux-ci seraient peu instruits (à peine le bac) et ignoreraient royalement les règles de base de l'éthique journalistique tels que le recoupement, la vérification des faits, la distinction entre faits et commentaires etc.

Au Sénégal, comme un peu partout ailleurs, le journalisme est l'un des métiers les plus ouverts. N'importe qui peut se prévaloir du titre de journaliste et obtenir les droits et devoirs y afférant sans forcément avoir suivi la moindre formation dans le domaine. Ceci est le fruit d'un des nombreux legs hérités de la tradition française. On sait qu'en France, à ses débuts le journalisme n'était pas souvent la seule fonction du journaliste. D'où la définition du mot à une époque comme étant celui qui écrit dans un journal. C'est ainsi qu'un instituteur, un écrivain... pouvait collaborer avec des journaux en y publiant ses articles. A cette époque l'écriture d'un papier peut relever d'un engagement idéologique, ou de loisir dilettante et récréatif mais rarement à but lucratif. C'est à partir du dix neuvième siècle que la profession a commencé à être codifiée, avec notamment la fameuse loi du 29 juillet 1881. Aujourd'hui en France, « le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs quotidiens ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources »140(*). Cette définition est, à quelques détails près, semblable à celle de la loi sénégalaise sur la presse du 22 février 1996. Celle-ci, en son article 23 définit comme étant journaliste : « toute personne diplômée d'une école et exerçant son métier dans le domaine de la communication, toute personne qui a pour activité principale et régulière l'exercice de sa profession dans un organe de communication sociale une école de journalisme, une entreprise ou un service de presse et en tire le principal de ses ressources ». Tout compte fait, ces deux définitions font du journalisme un métier très ouvert, à la différence d'autres comme le barreau, la médecine ... où on est obligé d'avoir un certain nombre de diplômes pour pouvoir exercer. Même si au Sénégal il y a une commission chargée d'établir des cartes professionnelles, le premier mot (si l'on peut dire) revient aux patrons de presse qui recrutent les employés de leur choix. Le hic, c'est qu'ils n'ont justement pas souvent le choix et sont contraints parfois de recruter le premier venu.

En dehors des organes de presse confirmés comme Le Soleil, Sud et Walfadjri, rares sont les journaux sénégalais constitués à majorité de journalistes professionnels. S'ils ne sont pas recrutés « sur le tas », ils sont souvent des pigistes141(*). Certains d'entre eux ont à peine le bac, d'autres, crédités d'études supérieures respectables (souvent littéraires) ont investi le secteur foisonnant de l'information, à défaut d'avoir mieux dans une société gangrenée par une conjoncture qui limite l'accès à l'emploi. Pour cette catégorie, ce n'est pas la remise en cause de l'instruction dont il s'agit, mais par exemple de l'aptitude d'une personne ayant suivi des études littéraires -sous prétexte qu'il a une bonne plume- à diriger la rubrique politique ou économie d'un journal. Des questions qui auraient mérité une connaissance pointue dans ces domaines, mais dont elle n'a que des bribes. Ajouté à cela le manque de connaissance des règles d'éthique et de déontologie, nous voilà en présence de tous les ingrédients propices à toutes formes de dérives. C'est l'avis de Tidiane KASSE, ancien rédacteur en chef de Walfadjri, il pense que : « l'apprentissage sur le tas est une des causes de dérapages car, avant de s'aguerrir, la plupart du temps, sont commis des dégâts qui auraient pu être évités par quelqu'un ayant suivi une formation. »142(*). Bara DIOUF pense de la même manière, l'ancien responsable du Soleil affirme que la floraison de journaux avec l'ouverture démocratique n'a pas été suivi de suffisamment de journalistes formés143(*).

Pourtant, ce ne sont pas des journalistes formés qui manquent actuellement sur le « marché » avec la confirmation du CESTI (Centre d'études des sciences et techniques de l'information) comme la plus grande école de journalisme de l'Afrique de l'Ouest et surtout avec la naissance de l'ISSIC (Institut supérieur des sciences de l'information et de la communication), première école privée au Sénégal. Créé en 1965, le CESTI a formé plusieurs générations de journalistes aussi bien sénégalais qu'africains de la presse écrite et audiovisuelle. Profondément en accord avec une société en pleine mutation, cette école offre un enseignement avec plusieurs déclinaisons du métier : journalisme politique, sportif, scientifique, juridique, économique...Quant à l'ISSIC, il fut créé en 1996 par le groupe Sud-Communication. Tout comme le CESTI, cet institut offre une formation adaptée à l'exercice du métier avec des spécialisations aussi diverses que variées. De toute évidence, il ne manque pas de journalistes bien formés, mais ceux-ci ne sont pas aussi malléables et corvéables que la plupart de ceux qui n'ont pas suivi de formation. Les patrons de presse les trouvent « gourmands » pour ce qui est du traitement salarial et trop exigeants concernant les conditions de travail144(*). Pour les sortants des écoles de journalisme, la durée de la période d'essai ne peut excéder deux mois. Après le recrutement, ils perçoivent un salaire au moins équivalent à celui correspondant au salaire de la fonction publique pour un emploi de même niveau145(*). Quant aux journalistes formés sur le tas, la rémunération « se fait de commun accord avec l'employeur » jusqu'à la fin de la période fatidique de « formation théorique et pratique de deux ans consécutifs au sein d'une rédaction »146(*). C'est dire la vulnérabilité de ces nouveaux venus mais aussi la tentation qui peut guetter certains patrons de presse. Vu sa situation, cette catégorie de journalistes est la plus exposée aux éventuels dérapages. Ils sont plus répandus dans les journaux people, où « la dizaine, voire la vingtaine, de journalistes que comptent un journal sont en majorité des pigistes impécunieux, parce que souvent mal payés. De là, découle, semble-t-il, leur propension à céder à une certaine forme de journalisme `alimentaire et mercenaire', ainsi qu'on le susurre généralement » rapporte A. AGBOTON147(*). Ces journalistes ignoreraient le plus souvent les règles de base du journalisme, ils « ont généralement le baccalauréat ou un niveau correspondant, poursuit M. AGBOTON, sont formés sur le tas et trahissent par conséquent, des lacunes qui engendrent, regrette-t-on, des « écarts parfois graves » aux plans déontologique et professionnel »148(*). Cette réflexion n'est pas uniquement applicable aux seuls « journalistes sans formation » mais également aux jeunes diplômés qui arrivent dans le métier souvent « la tête pleine de clichés de preux redresseurs de torts, porte flambeau de la démocratie »149(*). Toutefois, pour encourager les patrons de presse à professionnaliser leur personnel, le gouvernement à consacrer en 2004 les 10% du fonds d'aide à la presse à la formation des journalistes. Dorénavant, seuls les organes de presse totalisant au moins 20% de professionnels dans leur rédaction pourront prétendre à cette aide150(*).

Le recrutement de personnes n'ayant pas la formation requise est un des facteurs de dérapages. Ce fléau frappe surtout les journaux à faible budget, les grands groupes tels que Walfadjri, Sud Quotidien semblent en être épargnés. Toutefois, même si la formation est une présomption de professionnalisme, cela n'exclut pas que la jeune recrue soit victime de quelques atermoiements avant de se coucher dans le moule établi par les principes déontologiques. Là encore, ce sont les petites entreprises qui trinquent, les grands groupes recrutent des journalistes chevronnés qui ont acquis de l'expériences dans d'autres journaux. Finalement, pour faire du journalisme de qualité, une bonne santé financière semble inéluctable, mais justement, la course au profit ne serait-elle pas un autre facteur de dérives ?

III L'instabilité financière

Le paysage médiatique sénégalais, comme d'autres secteurs de la vie publique est frappé par une crise économique qui, inévitablement a des incidences néfastes sur le traitement de l'information et l'indépendance de certains journalistes. Dans un tel contexte, la vérification de l'information n'est plus la priorité, le publi-reportage, et autres articles complaisants prennent le dessus sur les papiers d'investigation. « La qualité de l'information est affectée dès lors que le sens critique est moins aiguisé. Devant l'appât du gain, l'éthique et la déontologie deviennent accessoires »151(*).

Parler des organes de presse comme des entreprises revient à reconnaître la double dimension qu'ils se sont assignée. Il y a d'abord le volet service public : le journaliste renseigne, informe ses concitoyens sur les affaires publiques susceptibles d'avoir un intérêt pour lui afin qu'il participe au débat de l'espace public. Ensuite nous avons le volet économique : étant une entreprise, l'organe de presse aspire à faire du profit ne serait-ce que pour garder son indépendance, sa neutralité. Selon Henri PIGEAT « en bonne logique libérale, c'est en assurant son autonomie économique que le média est véritablement indépendant de tous les pouvoirs »152(*). Cela peut paraître paradoxal d'assumer une mission de service public tout en voulant faire du profit, mais l'exemple du Soleil nous montre le risque de confier les médias à l'Etat. Dans pareil cas, les journalistes deviennent des fonctionnaires et adoptent le point de vue de leur employeur. Rien ne garantit que la vision des gouvernants réponde toujours aux aspirations des différentes catégories de la population. Le principe de la démocratie n'est-il pas de céder la voix au peuple, de transmettre une information plurielle qui soit le reflet de la population dans toute sa diversité ? D'où l'intérêt du pluralisme et la gestion des médias par des gens indépendants de tout pouvoir. On peut penser comme Daniel CORNU que de toute façon l'indépendance des journalistes n'est pas acquise de toute évidence. « Leur insertion dans une entreprise les oblige à un compromis permanent entre l'application des normes déontologiques et les exigences de l'entreprise »153(*) pense-t-il. Mais un journaliste consciencieux, mû par une volonté de mener à bien son travail peut toujours faire valoir la clause de conscience qui lui permet de quitter un journal tout en touchant ses indemnités de licenciement si ce dernier change de propriétaire ou de ligne éditoriale.

Etant une entreprise à but lucratif, l'organe de presse doit donc faire du profit pour mieux assumer sa mission de service public. Au Sénégal, en dehors des grands groupes de presse tels que Walfadjri et Sud, déjà cités « il n'existe que de petites et moyennes industries de presse, qui éprouvent beaucoup de difficultés pour survivre »154(*). Ces difficultés résultent d'un marché très réduit, 60%155(*) de la population est analphabète, un public considérable qui est d'ores et déjà exclu. En plus de cela, les lecteurs de la presse sont concentrés dans les grandes villes, seuls les « grands journaux » sont accessibles à l'intérieur du pays. En 2000, le BDA a effectué une enquête sur le lectorat de la presse sénégalaise156(*). Cette enquête concernait trois villes : Dakar la capitale (abrite la totalité des journaux publiés) ; Thiès (située à 60 km de Dakar, les journaux y sont reçus le jour même) ; Matam (extrême nord du pays située à 693 km de Dakar, les journaux y arrivent 24 heures plus tard). Selon ce sondage, 80% des lecteurs de la presse sont des Dakarois. Seuls 2% des interrogés disent préférer la presse comme moyen d'information par rapport à la radio et la télévision. Le taux monte quand même à 4,6% pour les Dakarois qui ont recours à la presse pour s'informer.

Les difficultés découlent aussi du pouvoir d'achat très faible du Sénégalais moyen. Depuis la dévaluation du FCFA intervenue en 1994, le prix du papier et des autres matériels ne cesse d'augmenter alors que le salaire des fonctionnaires reste stable. Un journal a le même coût qu'un repas. Pas étonnant qu'avec cette fragilité économique le système d'abonnement soit limité. Seuls quelques services administratifs et de rares particuliers souscrivent des abonnements. La vente au numéro reste donc le principal mode de diffusion des journaux. Sachant qu'un exemplaire peut être lu par une dizaine de personnes157(*), on imagine l'écart entre les lecteurs/acheteurs et les lecteurs/emprunteurs. Il faut noter aussi les différents intermédiaires qui permettent la diffusion du journal. Du distributeur agréé au kiosquier ou vendeur à la criée, le prélèvement peut atteindre jusqu'à 40% du prix du journal158(*). Aujourd'hui, la plupart des organes de presse assurent eux-mêmes la distribution de leurs journaux. Ce qui n'était pas le cas dans les années 90, le monopole était détenu par ADP (Agence de distribution de la presse) filiale des NMPP (Nouvelles messageries de presse parisienne). Un journal comme Sud Quotidien possède sa propre agence de distribution, le quotidien Walfadjri aussi assure sa distribution.

C'est donc la conjugaison de plusieurs facteurs qui explique la faiblesse des revenus des ventes au numéro qu'en est-il de la publicité ? Dans un pays comme la France, elle peut assurer jusqu'à 60% des revenus d'un journal159(*). La presse sénégalaise est loin de cette situation. Au Sénégal, la publicité n'est pas encore réglementée. Il n'existe pas de grille des prix pour les encarts publicitaires. Les organes de presse les fixent eux-mêmes, ce qui provoque une rude concurrence entre les journaux devenus très nombreux à se partager le gâteau au cours de ces dernières années. Certains d'entre eux pratiquent le « dumping » pour exister. Les publicités qu'on lit dans les pages des journaux privés sont des avis et communiqués, des faire-part, des publi-reportages...Ces réclames proviennent principalement des particuliers et des entreprises privées. L'Etat réserve la primauté de ses annonces au quotidien gouvernemental. La presse people semble être la principale victime de cette situation. Selon Babacar DIOP du Soleil « les annonceurs se font rares et pour certains de ces pourvoyeurs de publicités, la presse people ne constitue pas un bon support »160(*). C'est également l'avis de A. AGBOTON qui donne comme principale raison de cette situation son absence dans les localités de l'intérieur du pays car cette presse est surtout « dakaro-dakaroise »161(*)

Si la vente au numéro n'est pas fructueuse, les ressources publicitaires insignifiantes, que reste-il aux organes de presse pour faire face aux charges (salaires, fiscalités, acquisition de matériel...) ? Certains d'entre eux comptent beaucoup sur l'aide de l'Etat. Cette aide à la presse, devenue fond d'appui à la presse, « dénomination moins négativement chargée » en 2001, est attribuée chaque année. En 2004, elle s'élevait à 300 millions de FCFA162(*). Elle doit être partagée entre une cinquantaine de médias publics et privés (la radio et la télévision nationale en sont exclues). Cette aide a doublé après l'alternance. Certains n'ont pas hésité à attribuer cette hausse à une façon pour les autorités de récompenser la presse pour « services rendus ». Conformément à la loi du 22 février 1996, seuls les organes remplissant certains critères163(*) en bénéficient. La régularité, la taille, le nombre de professionnels qui travaillent dans le journal sont autant d'éléments qui excluent d'avance certains titres de presse. Selon l'article de Médiafrique, en 2003, « parmi les quarante quatre médias, dix se sont taillés la part du lion » à savoir 206 millions de FCFA, les autres se sont partagés le reste. Il est évident qu'avec des charges très importantes, les journaux ne peuvent pas combler la totalité de leur dépense avec cette somme. Mais comme le rappelle l'article de Médiafrique : « une aide, c'est une aide ; elle sert juste à régler quelques problèmes et non à résoudre toutes les équations du monde. Les ressources additionnelles, ce sont les patrons de presse qui doivent aller les chercher en déployant des... trésors d'ingéniosité. »164(*)

Les patrons de presse doivent donc jouer des coudes pour chercher d'autres revenus avec des moyens plus ou moins honnêtes. La course au scoop, à l'information croustillante devient la seule issue pour des journaux comme les quotidiens people qui n'ont que la vente au numéro comme principale source de revenu. Les dérives qui peuvent en découler ne sont plus imputables à une quelconque ignorance des règles d'éthique et de déontologie, mais à un acte délibéré, voulu parce que mûrement réfléchi. Prenons l'exemple de cet article sur le conseiller « dans les hautes sphères de l'Etat » paru dans le quotidien Frasques. La publication de la photo de ce Monsieur n'a sa justification que parce qu'il est célèbre, occupe une fonction de responsabilité. Les « frasques » nocturnes d'un tel dignitaire de la République peuvent intéresser le public. Les responsables de journaux savent que « ça, c'est de l'info ». Ce genre de potins, le lecteur en raffole, il ne faut donc pas lui en priver pour vendre plus. Pape Daouda SOW, directeur de publication de Moeurs explique que « au début, nous voulions faire un journal de faits divers, mais après un dossier réalisé sur le proxénétisme, le public a bien aimé. Nous ne faisons que suivre la volonté de ce public qui apprécie bien notre travail »165(*). Et les procès dans tout ça ? Visiblement, il semble s'y faire au fil du temps. Comme nous l'avons déjà souligné, ils les attribuent au risque du métier. En d'autres termes, un journaliste qui fait la couverture d'une guerre s'expose à la mort, pour celui de la presse people, ce sont les procès avec tout ce que cela peut induire comme conséquences sur l'équilibre financier du journal. Ces procès paraissent donc inévitables, à la limite, acceptés par les patrons de la presse people. De manière schématique on peut le résumer ainsi : les patrons de presse se font de l'argent en exposant la vie privée des personnalités (avec des moyens souvent pas très catholiques), et ils partagent le magot avec les plaignants qui les traînent devant les tribunaux. L'ex-responsable du Populaire, actuel dirigeant de L'Actuel le reconnaît, il pense que c'est l'étroitesse du marché qui explique leur croissance. Il explique que « c'est la concurrence qui nous pousse à nous précipiter alors qu'un peu de recul pourrait nous préserver de ces procès »166(*). D'ailleurs pour cette presse, il y a moins de procès qu'il devrait normalement y en avoir. Entre les rectifications, les droits de réponses et les articles commandités par les victimes elles-mêmes167(*), peu d'affaires sont finalement portées devant les tribunaux.

Terminons cette partie par cette citation de Diderot qui disait : « il est difficile de garder sa dignité quand vos boyaux crient faim ». Tout cela pour dire que l'indépendance de certains journalistes peut être entamée par la corruption. Ceci est dû à leur vulnérabilité qui découle de la précarité de leur profession qui ne paye pas bien. A cause de la faiblesse des rémunérations, la corruption est devenue monnaie courante dans le milieu de la presse. Si certains la lient à une prétendue coutume africaine qui voudrait que le mieux loti socialement vienne en aide au plus dépourvu, d'autres ne cachent pas leur inquiétude et condamnent « le griotisme » de certains journalistes.168(*) En mai 2002 lors des élections législatives, le PDS (au pouvoir) avait alloué une enveloppe considérable aux journalistes chargés d'accompagner le parti pour couvrir sa campagne169(*). En novembre de la même année, Mamoune NIASSE, un marabout-homme politique avait par son geste provoqué une confusion au sein de la corporation. M. NIASSE avait, lors d'une rencontre publique, annoncé avoir fait un don d'un million de francs CFA aux journalistes. Ce genre d'actes, rendus publics a provoqué un émoi au sein de la profession. Le SYNPICS a dénoncé à plusieurs reprises « une atteinte à la dignité et à la crédibilité des journalistes »170(*). Mais le plus dangereux à notre avis, ce sont les tentatives de corruption qui échappent à une exposition au grand public, c'est-à-dire toutes ces petites attentions dont peut bénéficier le journaliste au cours d'un voyage de presse par exemple. Ces petits cadeaux souvent acceptés peuvent-ils avoir une incidence sur son indépendance? Nous ne pouvons l'affirmer, mais on peut, comme l'écrit Yacine DIOUF (journaliste au Matin) se demander si : « après avoir reçu le titre de transport d'une société ou d'un organisme, après avoir été logé (dans un hôtel cinq étoiles) et nourri par cette société ou cet organisme, après avoir reçu des pots de vin (parfois en dollars) de cette société ou organisme, le journaliste est-il libre dans sa relation des faits ? Sa liberté de manoeuvre n'est-elle pas restreinte ? »171(*). En 2000, A. DIOUF avait revalorisé le salaire des magistrats, considérant que le traitement de certains dossiers pourrait exposer ces fonctionnaires à des tentatives de corruption. « A l'abri de toute tentative de corruption, les magistrats sont plus objectifs » disait-il. Or, l'objectivité est peut être l'élément qui unit le plus le magistrat au journaliste. Ces deux là prétendent à l'objectivité dans leurs reportages ou délibérations. Nous ne rentrerons pas dans le vieux débat concernant l'objectivité, à savoir qu'elle n'existe pas, même si tous les paramètres sont réunis. Mais nous savons que dans l'exercice de leur profession, journalistes et magistrats sont tenus d'être honnêtes. Ne pas être à l'abri du besoin financier ne facilite pas le travail de personnes qui côtoient des personnalités très puissantes qui les courtisent, les chouchoutent et parfois les menacent.

En définitive, on note que la principale cause des dérives est l'instabilité financière de certains organes de presse. Comme nous l'avons montré les plus grands groupes de presse semblent être épargnés de ce fléau qui touche particulièrement les journaux people. Les dérives qui en résultent sont contrôlées, parfois même voulues. La course au scoop et à l'information susceptible d'intéresser le lecteur prend le dessus sur sa vérification. Parfois, celle-ci n'est que pure invention.

Dans ce chapitre, nous avons tenté de donner une explication aux « dérapages » notés ces dernières années dans les journaux sénégalais. Ainsi, nous avons vu comment le quotidien national en ne donnant qu'une vision monolithique de l'information contribuait à attiser les flammes de la presse indépendante accusée de presse d'opposition. L'autre facteur explicatif des dérives trouve son explication dans l'incapacité de certains patrons de presse à recruter des journalistes de qualité. Il faut toutefois relativiser cette cause car les journalistes formés dans des écoles respectables peuvent être responsables de quelques dérapages avant de s'aguerrir au contact des « anciens ». C'est incontestablement l'instabilité financière de certains organes de presse qui induit inéluctablement à toutes formes de dérives. Aujourd'hui on compte une cinquantaine de médias publics et privés confondus172(*). Tout ce beau monde se partage un marché très réduit. Que ça soit la diffusion par numéro, les ressources publicitaires, les aides à la presse...les grands groupes de presse se taillent la part du lion tandis que les autres se partagent les miettes. Dans pareille situation, il n'est pas étonnant que les journalistes soient mal payés donc potentiellement corruptibles. Toutefois, ceux-ci refusent que ces accusations soient généralisées à toute la profession, ils dénoncent un bâillonnement qui les empêcherait de faire convenablement leur métier.

Chapitre 3


Journalistes coupables ou victimes ?

Ce chapitre correspond à la phase « traitement des résultats et interprétation » selon L. BARDIN. Ainsi, on peut se demander si au Sénégal, le journalisme est devenu comme disait Bourdieu « une profession très puissante, composée d'individus très fragiles » ?173(*) Vu sa situation actuelle et surtout les dérives qui ont jalonné son évolution au cours de ces dernières années, cette question se justifie. A en croire les professionnels, il n'y a pas péril en la demeure. Les journalistes ne nient pas toutes les dérives, ils ne les acceptent pas toutes non plus. Selon eux, elles sont l'oeuvre de « quelques brebis galeuses » qu'ils ne manquent de rappeler à l'ordre eux-mêmes dès que l'occasion se présente. Par ailleurs, ils accusent les autorités d'avoir installé « un dédale juridique » qui a pour but de les empêcher de faire convenablement leur travail. Selon eux, les hommes au pouvoir auraient du mal à s'accommoder d'un contre-pouvoir d'où les nombreuses affaires de délits de presses portées devant les tribunaux. Nous allons en premier lieu voir à quel point les affaires de délits de presse ont secoué toute une profession dernièrement. En deuxième, nous nous intéresserons à la réaction du public, il semblerait qu'il soit le seul juge susceptible de trancher.

I Des remous au sein de la profession

L'objectif de cette partie est de donner la parole aux professionnels comme cela se fait dans certains journaux en guise de droit de réponse. Il est important de voir comment eux, ils perçoivent ces « manquements » à l'éthique et à la déontologie professionnelle. Nous nous appesantirons particulièrement sur l'affaire Madiambal DIAGNE qui s'est produite récemment et qui a le mérite de poser un débat sur une éventuelle dépénalisation des délits de presse.

A chaque fois qu'une affaire de délit de presse prend une certaine ampleur et est portée devant les tribunaux, les journalistes crient à la restriction de la liberté d'expression aux sources de laquelle se nourrit la liberté de presse. Au Sénégal, l'affaire qui a le plus marqué les esprits au cours de ces dernières années fut sans conteste le procès qui a opposé Sud Quotidien à la CSS (Compagnie Sucrière Sénégalaise). Les événements se sont produits en 1996. Dans une série d'articles, le journal accusait la CSS d'avoir fraudé à la douane du Port de Dakar en déclarant du sucre brut en provenance du Brésil, alors que la compagnie sucrière aurait importé du sucre raffiné. D'après le journal, cela ne serait ni plus ni moins que de la fraude car en déclarant importer du sucre brut, la CSS aurait bénéficié illégalement d'une réduction de taxe. Le verdict du procès fut sans appel. En plus des peines de prison d'un mois avec sursis infligées aux journalistes, Sud fut condamné à payer une amende de 500 millions de FCFA à la CSS. A cette époque, presque toute la presse privée avait dénoncé ce que ses responsables appelaient le « bâillonnement de la presse indépendante ». Selon eux, c'était une manière de mettre en garde les autres journaux indépendants, d'autant que l'Etat semblait être du côté de la CSS comme en témoigne la décoration de Jean-Claude MIMRAN174(*) (patron de la société) par DIOUF, la veille du jugement.

Depuis lors, d'autres affaires ont eu lieu opposant toujours les journalistes aux hommes de l'Etat ou aux services qui lui sont proches. Et à chaque fois, c'est toujours la même chanson ; les hommes de pouvoir se plaignent d'une liberté excessive donc nocive alors que les journalistes condamnent une restriction de leur liberté si salutaire à la démocratie. A cet effet, il nous paraît intéressant de confronter deux points de vue qui illustrent cette dichotomie. D'abord les propos de Abdoulaye Ndiaga SYLLA, ancien responsable de l'UJAO, actuel directeur de publication de Sud Quotidien qui affirme que « c'est parce qu'il s'accommode mal d'une presse jouant parfaitement son rôle de vigile que l'Etat patrimonial ne souffre pas la cohabitation avec des médias qui s'élèvent contre l'autoritarisme, le népotisme et la corruption »175(*). Ensuite ces propos laconiques mais qui en disent long de Macky SALL, actuel premier ministre, « les journalistes ne sont pas au-dessus des lois »176(*). Ce débat entretenu par les autorités et les journalistes a connu un nouveau tournant récemment. Le responsable du journal Le Quotidien, un des derniers-nés (créé en 2003) de la presse sénégalaise est à l'origine de ce séisme. Deux articles publiés respectivement le 23 juin et le 5 juillet 2004 lui ont valu un séjour à la prison centrale Rebeuss de Dakar. Le premier papier portait sur le rapport de l'inspection générale des finances ; un scandale qui avait éclaboussé des dizaines de douaniers du port de Dakar dont douze ont été placé sous mandant de dépôt. Dans le deuxième article, il rendait compte de débats du Conseil supérieur de la magistrature. L'article rapportait que le président et le Ministre de la Justice, Serigne DIOP, auraient décidé de muter des juges qui ne partageaient pas leurs points de vue, décision qui aurait provoqué la colère au sein du corps judiciaire. L'article citait comme exemple la décision d'affecter un juge « suite à un bras de fer qui l'opposait aux autorités de l'Etat ». Le 9 juillet M. DIAGNE est arrêté par la police et immédiatement incarcéré. Trois chefs d'inculpation sont retenus contre lui : « publication de correspondances et de rapport secret du ministre de l'économie et des finances » ; « diffusion de fausses nouvelles »; et « diffusion de nouvelles tendant à causer des troubles politiques graves. »

L'incarcération du journaliste souleva un grand élan de solidarité au niveau de la profession. Le lendemain de son arrestation, dans un éditorial titré « tous contre le monstre », les éditeurs de presse des principaux quotidiens s'en prennent à l'Etat, ils écrivent que : «le pouvoir a choisi la stratégie de l'intimidation et l'escalade afin d'installer la panique dans nos rangs. Cette option bien pensée, savamment planifiée et froidement exécutée, a pour objectif clair de semer une honteuse culture d'autocensure dans les rédactions»177(*). Ils accusaient le pouvoir de vouloir museler la presse, « la justice prend ainsi sur elle la lourde responsabilité d'envoyer en prison, un journaliste qui n'a ni désinformé, ni livré une information explosive à même de saper les fondements de la société.»1(*). Le 12 juillet, le mouvement se radicalisa, sur les quatorze quotidiens que comptent le pays, dix respectent l'appel à « la journée sans presse » en guise de protestation à la mise sous mandat de dépôt de M. DIAGNE. Walfadjri fut le seul quotidien privé indépendant à paraître ce jour là. Les trois autres quotidiens, à savoir Le Soleil, Scoop et Le Messager, proches du pouvoir n'ont également pas respecté le mot d'ordre lancé par les patrons de presse. Dans un article intitulé « Pourquoi Walf paraît ? » publié le même jour, le journal s'explique. Le quotidien rappelle d'abord son attachement à la liberté d'expression et à celle du journaliste. Il témoigne aussi un appui sans équivoque à Madiambal DIAGNE. « Pour autant, et justement parce que notre unique préoccupation est la libération immédiate et sans condition de Madiambal Diagne, nous ne saurions nous laisser entraîner dans d'autres considérations »2(*) rapporte le journal. Walfadjri prend ses distances par rapport à cette histoire redoutant qu'elle soit politisée et conclut avec ces termes : « nous estimons que le combat de la presse dans cette affaire n'est pas politique ». Tandis que dans les deux autres quotidiens parus c'est le « black out » total, Le Soleil titrait : « Affaire Madiambal Diagne, la presse marque sa solidarité ». Le quotidien gouvernemental donnait la parole au premier ministre Macky SALL qui rappela que « les journalistes ne sont pas au dessus des lois ». Quant à Serigne DIOP, garde des sceaux, ministre de la justice, il parlait de « la garantie de la sécurité et le respect des lois ».

Les patrons de la presse privée, les éditeurs et syndicats de journalistes ont été rejoints quelques jours plus tard par les organisations de défense des droits de l'Homme telles que le RADDHO (rassemblement africain des droits de l'homme), le C.I.I.S (Comité d'initiative des intellectuels sénégalais)... Ils se sont regroupés pour former, le collectif pour la libération de Madiambal DIAGNE et pour la liberté de la presse au Sénégal. Leur but était de faire libérer, dans un premier temps, M. DIAGNE et en deuxième lieu d'obtenir l'abrogation de l'article 80 du code pénal. En fait, l'arrestation de Madiambal DIAGNE a été pour les journalistes une occasion de rappeler de vieilles revendications. Auparavant, en octobre 2003 lors d'un atelier consacré sur« les pratiques professionnelles et les délits de presse », organisé par le SYNPICS et le bureau régional de l'UNESCO, les participants avaient demandé « une révision des dispositions sur les délits de presse pour les mettre au niveau de l'évolution démocratique du Sénégal et des normes internationales »178(*). Selon les journalistes « les incriminations qui servent de fondement aux poursuites dirigées contre les journalistes sont tellement nombreuses et souvent floues que c'est devenu un véritable exploit de publier un article sans encourir les foudres de la loi pénale, ce qui conduit à la dénaturation de la loi de la presse »179(*).

Nous ne nous appesantirons pas pour le moment sur ce point sur lequel nous reviendrons dans la troisième partie de cette étude. Notons cependant que selon les journalistes, il y aurait un manque d'harmonisation entre la loi 96-04 du 22 février 1996 et les codes pénal et de procédure pénale qui datent des années 1960-1970-1980 et demeurent inchangés. Parmi, les nombreux articles du code pénal qui constituent « les survivances des remparts contre la liberté de presse »180(*) figure l'article 80 qui incrimine toutes « manoeuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves ». Selon les journalistes, cet article est resté « creux », « un fourre tout », « comme sous tous les cieux de la dictature ». Autre revendication des journalistes, la protection des sources stipulée par la loi181(*) mais qu'ils considèrent souvent violer par les tribunaux. Selon Alpha SALL du SYNPICS « Le problème repose sur un paradoxe. L'article 80 du code pénal, qui date de l'époque du parti unique, considère en résumé les journalistes comme des bandits de grand chemin. En revanche, il existe une loi spécialement pour les journalistes qui leur impose de protéger leurs sources quoi qu'il advienne, même devant le procureur de la République. Par ailleurs, elle stipule que les journalistes doivent rendre toute information publique »182(*). L'incarcération de Madiambal DIAGNE a été donc une occasion de mettre sur la table des négociations toutes les revendications des journalistes. Ils continuèrent de militer certes pour la libération de leur confrère, mais en même temps profitèrent de la situation pour attirer l'attention de l'Etat et de l'opinion sur une éventuelle révision des dispositions sur les délits de presse. Acculé par toutes ces pressions183(*), l'Etat finit par céder d'où la décision de libérer Madiambal DIAGNE le 26 juillet 2004. Le directeur de publication du Quotidien en liberté, le débat sur la dépénalisation des délits de presse reste toujours d'actualité. Toutefois, le 19 octobre 2004, le président Abdoulaye WADE avait exprimé son accord suite à la requête du SYNPICS. Cependant, il avait demandé aux journalistes et aux organisations syndicales « ce qu'ils proposent de mettre en place lorsque des propos parus dans les journaux portent atteinte à une institution nationale ou étrangère ou à l'honneur d'un citoyen »184(*).

Si l'affaire M. DIAGNE a mobilisé presque tous les gens de la profession, il n'en est pas de même pour les dérives notées du côté de la presse populaire. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la floraison de ce genre de presse et les nombreux dérapages qui s'ensuivent ne sont pas du goût des animateurs de la presse dite sérieuse. Dans un article publié par le site Internet de l'agence universitaire de la francophonie (AUF), Alpha SALL, secrétaire général du SYNPICS n'hésite pas à les qualifier de « personnages inattendus ». Le syndicat a d'ailleurs saisi à plusieurs reprises le CRED (Conseil pour le Respect de l'Ethique et de la Déontologie) se plaignant des dérapages des nouveaux venus185(*). Les responsables de la presse dite sérieuse redoutent que ceux-ci jettent l'opprobre sur la corporation. Selon Elhadj KASSE directeur général du Soleil, il y a « une vérité, une règle universelle » qui est la vérification de l'information que n'observeraient pas certains journaux people. Il pense que « le caractère populaire de cette presse ne doit pas lui permettre de faire fi de certaines normes qu'elle doit respecter, elle aussi. « En donnant certaines informations, ajoute-t-il, on détruit des familles, des destins individuels. La seule différence qui doit exister entre les journaux se trouve dans le style, le ton, bref dans la façon de rendre l'information »186(*). Quant à Mamadou KOUME de l'APS (Agence Sénégalaise de Presse), il pense que la responsabilité et la précision doivent être des vertus cardinales pour le journaliste, ce qui ne semble pas être le cas pour les animateurs de la presse people. Mbaye Sidy MBAYE, le porte parole du Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED) attribue les dérives de cette presse à un manque de rigueur professionnelle et de rigueur morale. Il s'indigne du fait que ce soit les professionnels eux-mêmes qui saisissent l'organe de régulation, par le biais du SYNPICS , pour des problèmes de dérapages. Fait tout à fait inattendu car, d'habitude ce sont les victimes qui viennent se plaindre au niveau du CRED. « Cela pose un réel problème aux plans juridique et déontologique »187(*) conclut-il.

Les responsables de la presse people eux, tentent de se défendre comme ils peuvent. Pape Daouda SOW, responsable de l'hebdomadaire Moeurs ne partage pas l'avis de ses confrères. « Nous vérifions toutes les informations que nous diffusons... Je défie quiconque de prouver que ce que nous relatons est sans fondement. Je connais les règles éthiques et déontologiques comme tous les autres journalistes. Je n'ignore pas, non plus, le caractère sacré des faits. On a rien à me reprocher de ce point de vue-là »188(*) pense-t-il. Même son de cloche chez les autres responsables des journaux incriminés. Pour Mohamed Bachir DIOP du Volcan, son journal respecte les normes d'éthique et de déontologie, « nous mettons en avant le professionnalisme » affirme-t-il avant d'ajouter que « la presse populaire est avant tout une presse d'information qui s'adresse au plus grand nombre. Nous n'irons pas chercher nos informations dans les poubelles ou dans les caniveaux et n'avons jamais publié quelque chose qui choque ». L'ancien patron du quotidien Tract, Ibou FALL dit être peu préoccupé des remarques et complaintes de la corporation : « le regard des confrères, je m'en bat l'oeil affirme-t-il. Je me préoccupe plutôt de ce que pensent les lecteurs qui sont toujours en recherche du sensationnel, du pittoresque, de l'insolite, du romanesque. »189(*)

La perception que les journalistes ont de ce que nous appelons dérapages varie en fonction des affaires. Dès qu'un de leur confrère est mis en cause, leur premier réflexe c'est de le déculpabiliser en incriminant l'Etat qui serait là, comme une bête noire, hostile aux critiques d'une presse indépendante qu'ils accusent de vouloir bâillonner. En revanche, les dérives concernant la presse people semblent presque unanimement dénoncées par la profession. Mais, comme dit un ancien proverbe wolof « sabou dou fot bopam » (nul n'est apte à se juger soi-même). Selon certains spécialistes, ce privilège revient au lectorat qui peut manifester son adhésion, ou son désaccord à un journal en l'adoptant ou en le boycottant.

II Le public seul juge

Dans les pays en voie de développement, le problème majeur que rencontrent les journaux indépendants est leur affranchissement par rapport à toutes formes de pouvoirs. Souvent, certains journalistes (les plus récalcitrants) sont contraints à l'exil ou à aller calmer leurs ardeurs en prison. Heureusement, ce constat n'est pas applicable au Sénégal où, malgré les revendications des journalistes, peu d'entre eux ont été emprisonnés à des peines fermes. Ils jouissent d'une liberté les permettant d'enquêter sur toute sorte de sujets pouvant intéresser le lectorat à qui, ils doivent forcément rendre des comptes en cas de dérapages.

Avec une autocensure manifeste dans le traitement de l'information, il n'est pas étonnant que Le Soleil soit la première victime du boycott du public. Comme nous l'avons montré dans cette étude, sa reconnaissance comme organe du parti-Etat s'est accompagnée de la création de journaux à visée idéologique dans les années 60. Ces derniers ont d'abord évolué dans un contexte de clandestinité avant d'être officiellement acceptés par le pouvoir. Dans les années 1980, avec « l'ouverture démocratique » et la libéralisation médiatique qui s'en est suivie, les journaux indépendants ont servi de réceptacles aux tensions populaires en donnant une vision plurielle des sensibilités. Ainsi les organes de propagande des partis politiques ont pratiquement disparu tandis que le lectorat du quotidien gouvernemental ne cesse de s'émietter. Il est d'ailleurs important de voir comment le public du Soleil s'est évaporé quelques années après la libéralisation.

Tableau n°1 : Evolution du lectorat du Soleil de 1987 à 1992 en %

Lecteurs

1987

1990

1992

Total

66,6

66,9

48,3

Hier/ ts jrs pour 92

26,4

21,6

16,8

Réguliers

49,9

47,4

33,8


Source : André-Jean TUDESQ : Feuilles d'Afrique (1995) , p.246190(*)

-L'enquête de 1987 porte sur Dakar et Pikine (848 pers), tranche d'âge de 15 ans à plus.

-L'enquête de 1990 porte sur Dakar et Pikine (880 pers), tranche d'âge 15 ans à plus.

-L'enquête de 1992 porte sur Dakar, Pikine, Rufisque (1100 pers), même tranche d'âge.

Tableau n°2 : lecteurs des quotidiens à Dakar en 1995 en %

Lecteurs

Le Soleil

Sud Quotidien

Walfadjri

Total

57,9

48,5

45, 3

Dans la semaine

37,9

32,4

24,5

Source : Sofres Dialogue. Echantillon de 962 personnes, 15 ans à plus.

Tableau n°3 : lecteurs des quotidiens à Dakar en 1999 en %

Lecteurs

Le Soleil

Sud Quotidien

Walfadjri

Le Matin

Info 7

occasionnels

45,7

52,2

36,0

29,0

23,2

Dans la semaine

27,4

24,1

26,1

26,4

27,1

Non lecteurs

26,9

23,6

34,9

44,6

49,7


Source BDA Dakar 1999, échantillon de 1000 pers, Dakar, Pikine, Rufisque et Bargny.

Le tableau n°1 montre que, malgré une relative constance du nombre total de lecteurs du quotidien Le Soleil, le nombre de « lecteurs d'hier » note une régression considérable entre 1987 et 1990 (26,4 en 1987; 21,6% en 1990). C'est incontestablement en 1992 avec la confirmation des journaux indépendants sur la scène médiatique (Sud Magazine, Cafard Libéré, Walfadjri...) que l'écart se creuse. Ainsi, si on fait le calcul, on se rend compte qu'entre 1987 et 1992, Le Soleil perd 18,3% du nombre total de ses lecteurs, 9,6% de ses lecteurs de « tous les jours » et 15,1% de ses lecteurs « réguliers ».

Jusqu'en 1995, malgré une constante diminution de ses lecteurs, Le Soleil garde quand même la première place dans le classement des quotidiens les plus lus avec 57,9% (Cf. tableau n°2). Mais la concurrence entre les journaux indépendants devient rude. L'écart qui le sépare de Sud n'est que de 9,4% et 12% pour le quotidien Walfadjri. Fin des années 1990 (cf. tableau n°3), les concurrents deviennent de plus en plus nombreux, Le Soleil semble ne plus briller et perd son hégémonie. Avec 52,2% des lecteurs réguliers, Sud Quotidien ravit la place à l'astre national (45,7%). D'après un sondage commandité en 2001 par le groupe Walfadjri que nous avons choisi de ne pas citer, Le Soleil occuperait actuellement la troisième place derrière les deux quotidiens indépendants.

Il n'y a pas l'ombre d'un doute, au fil des années, les lecteurs ont tourné le dos au Soleil. La possibilité de choisir un autre organe de presse est sans doute un élément déterminant dans ce processus. Mais la désaffection et le boycott du public sont principalement dus au manque de crédibilité des journalistes-griots des hommes au pouvoir eux-mêmes désavoués. Dans la première partie de cette étude, nous citions A.-J. TUDESQ qui disait que « les médias gouvernementaux identifient les stratégies de développement avec la politique gouvernementale et le recours à des formules incantatoires comme `développement endogène', identité culturelle, authenticité ne suffit pas à résoudre les problèmes alors que la réalité les contredit »191(*). Sophie SENGHOR abonde dans le même sens, elle parle des médias d'Etat comme des organes de propagande aujourd'hui rejetée : « à l'instar de l'Etat...les médias d'Etat ont été restreints dans leur capacité de redistribution, d'où leur contestation par la société désormais branchée sur une autre presse »192(*). Ces remarques semblent toujours d'actualité comme l'a montré l'élection présidentielle de 2000 avec la défaite du régime socialiste.

L'embarras, c'est de voir cette autre presse elle aussi tomber dans le discrédit à force de vouloir toujours chercher « la petite bête » dans le rang des hommes de pouvoir. Pour le moment, la courbe ascendante de ses ventes en pleine croissance semble confirmer l'adhésion du public. La vague de solidarité (avec une mobilisation du forum civil et de simples citoyens) qui a suivi l'incarcération de M. DIAGNE montre un appui d'une grande partie de la société. Mais, quelques « éléments » de cette même société ne manquent pas de rappeler aux journalistes de la presse indépendante à l'ordre. Les événements qui se sont produits à Vélingara (Sud du pays) sont là pour nous le rappeler. Les correspondants des quotidiens Walfadjri et Sud Quotidien y ont été agressés par des jeunes qu'ils disent appartenir au PDS (Parti démocratique sénégalais, au pouvoir.) Il était reproché aux deux journalistes de s'acharner sur le parti et de ne parler que des dissensions qui y existent. Ces actes, certes condamnables dans leur forme, témoignent de la frustration d'une autre partie de la société qu'il conviendrait aussi de prendre en considération. Nous souscrivons au constat selon lequel le journaliste n'est pas celui qui doit faire plaisir à tout le monde. En revanche, il n'est pas non plus un justicier, redresseur de torts, prêt à sévir partout où il y a un problème, y compris là où il n'y en a pas. Ne nous éloignons pas trop de notre propos, supposons seulement que la moralisation de la profession passe par la résolution de ce que nous avons évoqué comme dérives mais aussi par une prise en compte de toutes les catégories sociales.

Concernant la presse people, il est pour le moment assez tôt pour établir un bilan. S'il fallait quand même en faire un, rien de mieux que cette expression « d'attraction répulsion » que nous empruntons à Boubacar KANTE193(*) pour montrer la réaction du public. Il est évident que cette presse est décriée par une majeure partie de la population, mais paradoxalement ce rejet ne se manifeste pas au niveau des ventes. Selon un sondage effectué en décembre 2001 par le BDA que nous citions dans la première partie, on a montré comment les quatre mousquetaires (Moeurs, Tract, Le Pop, Scoop) ont ravi la place aux journaux dits « sérieux » en quelques années d'existence. Ces journaux vendent jusqu'à quarante mille exemplaires alors que les autres atteignent rarement la barre des vingt mille. L'expression « attraction répulsion » résume l'indignation que cette presse suscite parce que s'occupant de sujets bas, obscènes, jugés non-conformes aux valeurs traditionnelles et l'intérêt que la majeure partie des lecteurs lui porte. Selon M. DIOP «du côté des lecteurs, on apprécie tout en faisant grise mine quand les « Bulles », les « Off », « à l'index », « xossi »... écorchent un peu plus que raison »194(*). Les lecteurs de cette presse sont friands d'histoires dont la plupart n'aimerait jamais être au coeur de l'action. Ils lisent passionnément les mondanités de la jet-set dakaroise en même temps « ils sont écartelés entre le désir de « paraître » dans la presse et la crainte des conséquences de voir leur vie privée étalée au grand jour. »195(*) Dominique MENDY, formateur au CESTI parle d'effet de mode : « le public sait que sous le soleil, il n'y a rien de nouveau »196(*) pense-t-il, avant d'ajouter que cette presse ne fera pas long feu. A l'instar de Dakar Soir qui n'aura connu que trois années d'existence avant de disparaître « faute de moyens, d'appui et d'annonceurs ». A noter que six titres de cette presse (La Nouvelle, L'Evénement du Soir, Le Volcan, La Pointe, Terminal, Tract) ont disparu du paysage médiatique sénégalais en l'espace d'un an197(*), mais on peut penser comme Khoudia DIOP que de toute façon : « cette situation concerne aussi bien la presse populaire que les autres types de journaux »198(*). Toujours est-il qu'en mars 2004, Moeurs leur emboîtait le pas. Sur proposition du ministre de l'Information, Mamadou DIOP "Decroix", le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales a interdit (par arrêté) « la parution, la distribution et la vente » de cet hebdomadaire sur l'ensemble du territoire national. La principale raison invoquée par les autorités est que Moeurs « participe à la perversion de la jeunesse du pays », car son contenu ne reflète pas « les valeurs de la société sénégalaise »199(*)

Quant aux associations religieuses, très enclines au respect des normes sociales et à la préservation des moeurs, elles se sont toujours faites entendre lorsqu'elles en ont senti la nécessité. Suite à une photo parue dans Le Tract du vendredi 12 octobre 2000, l'Union des Maîtres et Elèves Coraniques du Sénégal (UMECS), qui revendique l'adhésion de plus de 400 « daaras » (écoles coraniques), avait décidé de traduire en justice ce quotidien pour « diffusion de photos pornographiques » et « incitation à la débauche et offense à l'image de l'Islam »200(*). Selon les membres de l'UMECS, la photo « blasphématoire » démontrerait les positions humiliantes du journal vis-à-vis de certains symboles de l'Islam et est considérée comme une offense à cette religion. L'UMECS avait sommé le journal « de ne pas récidiver tout en invitant les autorités à assumer pleinement leurs responsabilités face à cette dérive notoire». Néanmoins, si la religion n'est pas nommément attaquée, les réactions de la plupart des associations religieuses concernent plus les auteurs des forfaits que les rapporteurs. Elles considèrent le foisonnement de la presse people comme une conséquence du débridement des moeurs des Sénégalais, les journalistes ne seraient pour eux que des témoins d'une « société en décadence ». Ainsi en 2000, lorsque l'hebdomadaire Le Témoin rapporte dans une de ses livraisons la tenue de soirées très spéciales à Mboro (à 50 Km de Dakar) où des concours du « sexe le mieux entretenu » était organisés par une boîte de nuit, une ONG islamique (Jamra) avait porté l'affaire devant les tribunaux. L'action en justice n'était pas intentée contre le journal, mais contre l'organisateur et propriétaire de la boîte de nuit.

L'adhésion ou la désaffection du public se fait eu égard à ses attentes combinées au contenu du média. Au fil des années, Le Soleil dont le contenu ne reflétait plus les intérêts de la majeure partie de la population a vu le nombre de ses lecteurs baissé considérablement. Quant aux journaux indépendants, ils n'ont pas encore été atteints par ce syndrome. La presse people dont l'existence ne date que de quelques années est à la fois décriée mais consommée par le public.

Dans cette deuxième partie, nous avons montré que les dérives n'ont pas manqué au cours de ces dernières années. Malgré l'avènement de l'alternance politique, Le Soleil reste encore un média gouvernemental chapeauté par l'Etat qui influe sur sa ligne éditoriale. Ce parti pris manifeste serait l'une des causes des dérives notées au sein des journaux indépendants qui tombent dans le travers en voulant jouer les équilibristes. La presse people qui se veut révolutionnaire jette en pâture la vie privée des célébrités à un public qui rechigne mais consomme sans modération. Ce qui lui vaut le record en terme de procès. Parallèlement à l'existence d'un média d'Etat comme cause, nous avons noté que le manque de personnel qualifié et surtout l'instabilité financière de certains organes de presse ne sont pas étrangers à ces dérapages. Toutefois les journalistes se disent victimes d'un « dédale juridique » qui les empêcherait de faire convenablement leur travail. Par contre, ils n'hésitent par à condamner « les personnages inattendus » qui tentent de se défendre comme ils peuvent. Pour le moment, leur audace et leur impertinence n'ont pas été sanctionnées par le public. C'est également le cas pour les journaux indépendants dits sérieux tandis que le quotidien gouvernemental semble actuellement payer les frais de sa partialité. Mais, en plus du public comme moyen pour conserver une presse de qualité, d'autres éléments telles que la loi et la déontologie professionnelle interviennent comme procédé d'encadrement de la liberté du journaliste. Il convient donc de voir comment ces mécanismes de régulation accompagnent la pratique du métier.

TROISIÈME PARTIE

DES MOYENS DE REGULATON A REDEFINIR

« l'activité des médias repose sur le principe de la liberté

d'expression qui ne se divise pas, s'encadre

difficilement et s'affaiblit vite devant des

limites trop rigoureuses ».

Henri PIGEAT, Médias et déontologie : règles du jeu ou jeu sans règles, PUF, Paris,1997, p. 4

Les mécanismes de régulation de la profession de journalisme s'inspirent des plus grands textes internationaux qui régissent la profession. Dès son apparition au Sénégal, la presse a plus ou moins bénéficié de l'application de la loi française du 29 juillet 1881. Mais elle n'a été réellement effective qu'en 1946201(*). En dehors de quelques décrets et ordonnances portant sur le statut du journaliste, le statut de la commission de presse et de la carte d'identité professionnelle202(*), elle fut la principale et unique loi à encadrer le métier jusque dans les années 1970. La première loi votée par le parlement sénégalais fut celle du 11 avril 1979. Encore appelée code de la presse, cette loi renforça pendant des années le contrôle des médias en neutralisant certains acquis. Toutefois, elle connut quelques modifications en 1986 avant d'être complètement remplacée par la loi du 22 février 1996 jugée plus appropriée à l'évolution démocratique du Sénégal. A côté de cette loi mise en place par l'Etat pour accompagner la pratique du métier, les journalistes, par le biais d'un syndicat (SYNPICS) qui regroupe aussi bien des salariés du public que du privé ont mis en place une sorte de tribunal interne. Le CRED (Conseil pour le respect de l'éthique et la déontologie) a pour but de sanctionner ceux des confrères qui auraient failli à leur mission d'informer juste et vrai. Cette partie sera pour nous l'occasion d'aborder les lois mises en place par l'Etat pour un meilleur encadrement. Ensuite nous montrerons que les professionnels aussi se sont souciés de leur responsabilité en interne avec la mise sur pied de codes de déontologie pour certains journaux et avec des organisations syndicales nationales et internationales, En dernier lieu nous montrerons les limites de ces mécanismes de régulation, qu'ils soient institutionnels ou professionnels.

Chapitre 1


Les moyens de régulation institutionnels

Nous entendons par moyens de régulation institutionnels les dispositions relatives à la presse prises par l'Etat pour réglementer la profession. Comme nous le rappelions tout à l'heure, la première loi sur la presse fut celle du 11 avril 1979 qui a été votée à l'assemblée nationale par les parlementaires. Vu le contexte dans lequel elle a été adoptée par l'Etat, elle ne pouvait être que restrictive203(*) parce que se souciant plus de mettre de l'ordre au sein de la profession que de la liberté du journaliste. Celle qui est actuellement en vigueur s'est davantage intéressée aux droits du journaliste mais fixe aussi des devoirs dont la déviance est parfois lourdement sanctionnée par la justice. Le code pénal aussi relève et fixe des sanctions pour les délits de presse commis par les journalistes. Outre ces mécanismes juridiques, il y a également la commission qui attribue la carte professionnelle et le haut conseil de l'audiovisuel (HCA) qui est chargé de statuer sur les cas de dérapages des médias, y compris les journaux de la presse écrite.

I Une loi favorable... s'il n'y avait pas le code pénal

La pratique du métier de journaliste est encadrée par une loi votée à l'assemblée nationale par les députés en 1996 (voir annexe 1). Inspirée de la loi française de 1881 et des plus grands textes internationaux comme la déclaration de Munich de 1971, elle est en parfait accord avec le régime libéral de responsabilité adopté par le Sénégal.

La loi 96-04 du 22 février 1996 est composée de trois titres. Le premier traite des organes de communication sociale en général ainsi que des professionnels y travaillant. Le deuxième parle des journalistes et des techniciens de la communication. C'est ici qu'il est défini ce qu'il faut entendre par journaliste, c'est également là qu'on lui accorde des droits tout en lui fixant des devoirs qu'il ne faut pas franchir. Enfin, le troisième titre relève les dispositions pénales prévues comme sanctions aux manquements des règles établies dans les deux précédents. Premier constat à la lecture de cette loi, elle n'est pas restrictive. Elle est même très libérale et permet une éclosion de la liberté du journaliste tout en lui fixant des limites proportionnées à l'exercice d'un journalisme de qualité. Nous avons tenté une comparaison entre les chapitres 1 et 2 du deuxième titre qui traitent des droits et devoirs des journalistes et la déclaration de Munich204(*). Il faut signaler qu'ils sont à quelques détails prêts identiques.

Concernant les droits du journaliste, la déclaration de Munich en a relevé cinq, même son de cloche pour la loi sénégalaise. L'article 26 de la loi de 1996 garantit la liberté au journaliste de traiter n'importe quel sujet pouvant intéresser l'opinion. C'est aussi le premier droit reconnu dans la déclaration de Munich qui stipule que « les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d'information et le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionne la vie publique... ». Autre ressemblance entre les deux textes, la fameuse clause de conscience qui permet au journaliste de quitter un journal si la ligne éditoriale de ce dernier n'épouse plus son idéal de journalisme. C'est le deuxième droit garanti par le texte de Munich : « le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu'elle est déterminée par écrit dans son contrat d'engagement... ». La loi sénégalaise donne le droit au journaliste d'invoquer sa clause de conscience comme motif de son départ. « Dans ce cas, les règles applicables à la rupture du contrat de travail sont celles qui s'appliqueraient si la rupture était intervenue à l'initiative de l'employeur s'il est établi que la clause est invoquée à bon escient. »205(*) Pour éviter tout malentendu pouvant conduire à ce que nous venons d'évoquer, les deux textes obligent aux patrons de presse d'informer les journalistes de toute décision pouvant affecter la vie de l'entreprise206(*). La différence entre les deux textes concernant les droits se situe au niveau du dernier point. En effet, la déclaration de Munich garantit au journaliste le droit « au bénéfice des conventions collectives », une rémunération financière suffisante pour assurer « sa sécurité matérielle et morale ». Dans la loi sénégalaise aucune allusion à ce sujet, cependant il est à noter un élément non négligeable que n'aborde pas le texte de Munich. Dans l'article 30 de la loi de 1996, il est donné au journaliste le droit, sous sa responsabilité, de faire appel à une personnalité extérieure capable de s'exprimer avec des analyses ou des commentaires sur un sujet d'envergure locale, nationale ou internationale. Toutefois cette personne ne jouit pas des mêmes garanties que les journalistes et en cas de violation de la loi, il répondra à titre personnel des accusations qui seront retenues contre lui.

Les devoirs fixés par les deux textes sont également à peu près les mêmes. Ils sont au nombre de dix dans le texte de Munich, neuf pour ce qui concerne la loi sénégalaise de 1996. Au rang des premières recommandations, on trouve le respect de la vérité: « quelqu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public à de connaître » selon le texte de Munich. A cet effet la loi sénégalaise oblige le journaliste de faire la différence entre l'information du commentaire et de la critique. Obligation lui est aussi faite de ne « publier que des informations vérifiées, ou, au contraire, les accompagner des réserves qui s'imposent. »207(*) Par ailleurs, il lui est recommandé de ne pas pratiquer de rétention d'information, de ne pas dénaturer les documents et textes qui présentent les faits encore moins d'user de méthodes déloyales pour les obtenir. Si une information publiée dans un journal se révèle fausse, le journaliste est tenu de la rectifier et de s'excuser auprès des lecteurs. Le respect de la vie privée du citoyen est également un principe que défendent les deux textes. La loi sénégalaise est plus précise à ce niveau, elle ajoute que le respect de la vie privée des personnes doit être effective « dès lors que celle-ci n'interfère pas avec les charges publiques dont les dites personnes sont ou prétendent être investies »208(*). Autre point de convergence entre les deux textes ; la protection des sources. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, ce n'est pas un droit, mais un devoir imposé au journaliste. Le journalisme n'est d'ailleurs pas le seul métier à être astreint à ce genre de principe déontologique. On peut notamment penser aux avocats et aux médecins qui ont aussi des règles de ce genre pour moraliser leur profession. Le journaliste est donc tenu à la réserve, dans certains cas, « il ne doit pas divulguer les sources d'informations obtenues confidentiellement » selon l'article 35 de la loi de 1996. Toutefois, il peut révéler sa source à son supérieur hiérarchique si ce dernier est comme lui, lié au secret professionnel (par exemple, le directeur de publication). Une autre interdiction cruciale est abordée par les deux textes. Il s'agit d'une recommandation condamnant la calomnie, le plagiat, la diffamation, les accusations sans fondement...Il est également rappelé au journaliste de ne pas confondre son métier avec celui du publicitaire et du propagandiste. Il doit donc avoir un regard impartial pour ne pas dire objectif. Pour cela, il ne doit recevoir de consignes de qui que ce soit car, il ne doit pas confondre son métier d'informateur avec celui de communicateur. Il est donc exclu qu'il accepte des directives autres que celles de ses responsables. Celles émanant des annonceurs sont complètement à bannir, assène la loi sénégalaise, conformément à la déclaration de Munich. En conclusion, ce texte invite tous les journalistes à observer les principes énoncés : « reconnaissant le droit en vigueur dans chaque pays, le journaliste n'accepte en matière d'honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l'exclusion de toute ingérence gouvernementale » (art 10). Cette recommandation ne figure pas dans le texte sénégalais qui, en revanche, il faut le reconnaître, a ajouté un principe qui nous paraît important de souligner. Il s'agit du principe de « la non-discrimination en raison de la race, de l'ethnie, du sexe ou de l'origine nationale »209(*). Le journaliste doit respecter les convictions religieuses, politiques, idéologiques du public auquel il s'adresse.

Nous en parlions dans le premier chapitre, outre les dispositions relatives à la presse, le code pénal et le code de procédure pénal sénégalais relèvent et fixent eux aussi les cas de délits de presse ainsi que les sanctions prévues à cet effet. Ces dispositions pénales traitent principalement de la diffamation, de l'injure et des propos ou textes pouvant porter atteinte à la sûreté nationale et à l'ordre public. Jugées d'un autre temps par les journalistes, elles constituent le soubassement de la presque quasi-totalité des affaires de délits de presse. L'article 80210(*) du code pénal fait partie de ce que les journalistes appellent les « survivances des remparts contre la liberté de presse ». Il traite des articles susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique et de provoquer des troubles politiques qui est un délit toujours punissable d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement. La diffusion de fausses nouvelles, de nouvelles qui encouragent à enfreindre la loi, ou qui portent atteinte aux institutions publiques ou qui vont à l'encontre des bonnes moeurs fait également l'objet de sanctions211(*). L'article 254 qui traite de l'offense au Président de la République est punissable d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Selon le code pénal, tout journaliste auteur d'article incitant à démoraliser l'armée s'expose à une poursuite judiciaire212(*). Concernant les délits d'injures et de diffamation, il semble que les personnalités publiques soient plus protégées que les citoyens ordinaires. Les articles 259 et 260 prévoient des peines plus lourdes que l'article 261 qui traite des violences commises à l'endroit des particuliers. Ainsi, à l'instar de l'article 254 qui protège le président, les articles cités donnent une protection rapprochée aux membres du gouvernement, du parlement, du pouvoir judiciaire, de l'armée...213(*)

Pour ce qui concerne le code de procédure pénal, l'article 627 présume d'emblée la mauvaise foi du journaliste. Il doit, dans l'intervalle d'une dizaine de jours apporter la preuve de ses allégations sans quoi, il est condamné. Quant au diffamé, il doit faire attention à ce qu'un vice de forme n'empêche l'exploitation de l'affaire sur le fond par la justice. Ce qui n'est pas toujours évident pour le citoyen lambda. C'est peut être pour cette raison que la plupart des affaires de délits de presse concernent les hommes publics, plus aguerris et plus aptes à affronter cet arsenal juridique. D'où la remarque pertinente de G. HESSELING qui pense que : « le législateur sénégalais ne souscrit donc pas à la théorie selon laquelle les personnages « publics » doivent pouvoir supporter une attaque plus facilement que les particuliers et que ces derniers ont besoin d'une meilleure protection parce qu'il leur est difficile d'accéder aux médias pour se défendre »214(*)

Que retenir de cette partie, sinon que la loi actuellement en vigueur est l'une des meilleures que l'on puisse avoir dans une démocratie. Quelques réserves que nous aborderons dans la troisième partie s'imposent toutefois concernant le code pénal et le code de procédurale pénale. Intéressons-nous maintenant aux autres mécanismes de régulation institutionnels. Il s'agit de la commission chargée d'établir les cartes nationales de presse et du Haut conseil de l'audiovisuel (HCA).

II Deux organisations étatiques : la commission de la carte et le HCA

Toujours dans le but de moraliser la profession, l'Etat sénégalais a mis sur pied une commission chargée de délivrer des cartes de presse aux ayants droits. Dans le chapitre III de la loi du 22 février 1996 il est dit que « seuls peuvent se prévaloir des dispositions prises en faveur des journalistes par les organisations publiques les détenteurs de la carte nationale de presse » (art 40). En 1998, en remplacement du HCRT (Haut conseil de la radio et de la télévision),l'Etat mettait sur pied le Haut conseil de l'audiovisuel, (HCA) qui, entre autres, doit veiller sur le pluralisme de l'information.

La commission de la carte est composée de six membres titulaires et de six suppléants. Parmi eux ; un représentant de l'assemblée nationale, un représentant du ministère de la communication, un magistrat désigné par la justice, un représentant du syndicat des professionnels de la communication et deux représentants des médias: l'un pour les organes privés, l'autre pour les médias d'Etat. Les membres de la commission doivent jouir d'une expérience professionnelle de cinq ans (art 43), leur mandat est de deux ans renouvelables une seule fois. Ils délibèrent à la majorité et attribuent une carte professionnelle à ceux qui ont satisfait aux dispositions prévues à l'article 48 de la même loi. C'est-à-dire que le postulant doit, entre autres, présenter un extrait de casier judiciaire, une pièce d'état civil, des photocopies des diplômes obtenus ainsi que tout autre document pouvant motiver sa demande. Concernant les diplômes, aucune restriction pour ceux qui n'ont pas fait d'école de journalisme. Selon l'article 23 de la même loi, est journaliste : « toute personne diplômée d'une école de journalisme..., toute personne qui a pour activité principale et régulière l'exercice de sa profession dans un organe de communication sociale, une école de journalisme, une entreprise ou un service de presse, et en tire le principale de ses ressources ». La seule exigence à notre avis pour obtenir la carte de presse, c'est d'avoir un emploi permanent et rémunéré dans le secteur du journalisme. Après délivrance de la carte professionnelle pour une durée d'un an (stagiaires) ou trois ans (journalistes), la commission se réserve le droit de la retirer en cas de violation des lois. Le retrait se fait en fonction de la gravité des violations, il peut être provisoire ou définitif conformément à l'article 56 de la loi.

En dehors de la commission de la carte, l'Etat a mis sur pied le Haut conseil de l'audiovisuel (HCA) qui est en quelque sorte l'équivalent du CSA français. Crée en 1998 en lieu et place du Haut conseil de la radio et de la télévision (HCRT), le HCA a pour missions de « veiller à l'objectivité et au pluralisme de l'information, à la libre et saine concurrence entre les médias audiovisuels »215(*). A côté des pouvoirs liés à la régulation, le HCA veille au respect de « l'équilibre dans le traitement de l'information en rapport avec les partis politiques, la société civile en tenant en compte des différentes sensibilités politiques économiques sociales et culturelles du pays »216(*). Vu les missions dévolues à cette organisation, à priori il n'y a rien qui puisse nous pousser à nous intéresser au HCA qui, apparemment s'intéresse aux médias audiovisuels alors que notre étude concerne la presse écrite. Mais, si paradoxal que cela puisse paraître, il peut arriver que le HCA étende ses prérogatives jusqu'à la presse écrite. Cela fut le cas juste après sa création lorsque son président Babacar KEBE annonça une mise en demeure du quotidien Walfadjri accusé d'avoir enfreint les règles d'équilibre édictées pour le traitement de l'information concernant les partis politiques. Le HCA est composé d'un président et de huit membres nommés par décret pour six ans. Au sein de cette organisation, on trouve un parlementaire sur proposition de l'assemblée, un magistrat, un journaliste, un représentant des associations féminines, une personnalité choisie par le ministère de la culture, une autre par le comité sénégalais des droits de l'homme, un juriste sur proposition de l'université de Dakar...Selon l'article 11 de la loi, leur mandat est non renouvelable. En cas de manquement aux obligations prévues par la loi, le HCA fait d'abord des observations ou adresse une mise en demeure publique au média concerné. Si la mise en demeure n'est pas respectée, d'autres sanctions peuvent tomber, soit sous forme d'avertissement ou de suspension d'une partie ou de la totalité d'un programme. S'il y a récidive, le HCA peut saisir le ministère de la communication « pour proposer la prise de sanctions de niveau supérieur sans passer lui-même par le stade de l'avertissement. »217(*)

En gros, voila le dispositif établi par l'Etat sénégalais pour encadrer la profession de journalisme. Nous constatons que la loi sur la presse a changé au fil des années, accompagnant si l'on puit dire « l'évolution démocratique » du Sénégal. Le HCA aussi est une création récente tandis que les dispositions relatives à la presse relevées au sein des codes pénal et de procédure pénale datent des années 1960-1970. Toutefois, l'Etat n'est pas le seul à se soucier d'encadrer la liberté des journalistes. Ces derniers se sont organisés au niveau interne pour préserver cette liberté déjà acquise. Ils écartent toute « ingérence étatique » et parlent d'autorégulation.

Chapitre 2

Les moyens de régulation de la profession

« Le journaliste n'accepte en matière d'honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l'exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre » rappelait la déclaration de Munich. Ce principe est celui défendu par la presque quasi-totalité des organisations de journalistes sénégalais. Il faut dire que le régime libéral de responsabilité suppose que « les médias s'amendent en fonction d'une déontologie qu'ils auront choisie eux-mêmes »218(*). Au Sénégal, il existe diverses organisations qui tentent de jouer ce rôle. Le syndicat des professionnels de l'information et de la communication (SYNPICS) défend les droits des journalistes et n'hésite pas à se saisir du CRED (Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie) pour des manquements aux principes déontologiques qui régissent la profession. Certaines rédactions disposent de codes de déontologie, d'autres ont recours à diverses astuces pour éviter ou réparer les dérives.

I Deux organisations professionnelles : le SYNPICS et le CRED

Le Syndicat des professionnels de l'information et de la communication (SYNPICS) est l'organisation professionnelle la plus importante. Selon Alpha SALL, son secrétaire général, il regroupe environ 600 membres sur les 800 journalistes que compte le Sénégal219(*). Quant au Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED), c'est le principal mécanisme de régulation dont dispose les journalistes pour moraliser davantage la profession.

Créé depuis près de trois décennies, le SYNPICS est dirigé par un bureau exécutif national. Au sein du syndicat, on trouve des journalistes travaillant aussi bien dans le secteur privé que public. Le SYNPICS tient tous les trois ans son congrès de renouvellement des instances. Totalement indépendant du pouvoir étatique, il a beaucoup oeuvré pour l'avancée des droits des journalistes. C'est grâce à cette organisation que la convention collective des journalistes a été renégociée en 1990. Dans l'affaire Madiambal DIAGNE, le SYNPICS défendit la libération du journaliste en jouant un rôle d'intermédiaire entre le pouvoir étatique et la profession. Cette organisation a également joué un rôle très important dans l'élaboration de la loi de février 1996. Comme nous l'avons montré précédemment, celle-ci a donné une avancée considérable à la liberté des journalistes. Mais, loin de ne se soucier que des droits des journalistes, le SYNPICS est aussi une sorte d'observatoire qui veille sur le bon fonctionnement du métier. A l'affût d'éventuels dérapages des confrères, le syndicat peut se saisir du CRED (Conseil pour le respect de l'éthique et la déontologie) en cas de dérives. Cela fut le cas en 2002 avec les nombreux dérapages des journalistes de la presse dite populaire que le responsable du SYNPICS qualifie d'ailleurs de « personnages inattendus » qui, de par leur pratique risquent de jeter l'opprobre sur toute la profession.

Le Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED) est aussi une organisation créée par la profession. Née sous l'initiative du SYNPICS et de l'organisation Media for Democracy en 1998, le CRED a pour mission de recueillir les plaintes du public. Il est composé de treize membres qui sont des journalistes, des juristes et des membres du forum civil. Tout juste après sa création, le CRED a instauré un code de déontologie. Cette charte est inspirée de textes comme la Déclaration de Munich de 1971 ou la Déclaration des principes de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) de 1954. Elle traite, en général des droits et des devoirs qui s'imposent aux journalistes sénégalais. Ce texte s'applique aussi bien aux médias audiovisuels qu'à la presse écrite. Fort de ce code dans lequel sont définis les principes du bon journalisme, le CRED est une sorte de tribunal interne où sont traduits les journalistes accusés de manquement aux principes éthiques et déontologiques. C'est donc un organe consultatif, ses avis-verdicts n'ont pas valeurs de sanctions juridiques, mais peuvent remplacer les longues procédures judiciaires avec tout ce qu'ils peuvent comporter comme désagrément. Ainsi, dans l'affaire qui l'opposait au ministre des finances, Madiambal DIAGNE avait écopé d'un blâme devant le tribunal de ses pairs. Selon le CRED, le directeur de publication du Quotidien : « n'a pas pris la précaution élémentaire de vérifier, de recouper et de contrôler les faits avant publication afin d'éviter les erreurs, approximations et manipulations »220(*). Pour rappel, Dans une de ses livraisons, le journal Le Quotidien, par la plume de son directeur de publication et sous le titre :« Les châteaux de Abdoulaye Diop, les trésors cachés du ministre des finances », avait fait état de la possession par le ministre Abdoulaye DIOP de quatre immeubles au Canada. S'estimant diffamé, M. DIOP avait porté plainte contre Madiambal DIAGNE, auteur de l'article, devant le CRED. Le « prévenu » avait refusé de se présenter au « tribunal » de ses pairs. Ainsi, à défaut de pouvoir auditionner son auteur, les « juges » se sont fondés sur l'article incriminé. Ils ont alors décelé que « dans le corps de l'article, il n'y a aucune preuve, aucun indice pouvant confirmer les allégations contenues dans le titre ». Par ailleurs, « le CRED reproche à Madiambal DIAGNE de n'avoir pas rectifié son information relative au nombre d'immeubles, bien que convaincu que Abdoulaye Diop, en lieu et place des « quatre immeubles » annoncés dans son enquête, possède une seule maison. Il lui était également reproché de n'avoir pas donné des preuves suffisantes de son accusation concernant les malversations au préjudice du Trésor et d'avoir violé les dispositions réglementant le droit de réponse »221(*). Signalons pour terminer qu'entre le CRED et le SYNPICS, il existe une certaine symbiose, une véritable synergie. « Chaque organe peut être le gardien de la profession, en ce sens qu'il surveille la bonne pratique du métier, le respect de l'éthique et de la déontologie et qu'il veille à la protection des droits des journalistes » note Nabo SENE222(*). L'existence de ces deux organisations témoigne d'une grande avancée pour les médias sénégalais.

Outre ces deux organisations, il y en a d'autres de moindre envergure pour les questions d'éthique et de déontologie. Il s'agit du club de la presse dont les activités sont presque inexistantes de nos jours. Ce club n'accueille que les directeurs de publication des journaux, ce qui limite son rôle. L'Association des professionnelles africaines de la communication (APAC) qui regroupe des femmes journalistes et techniciennes du Sénégal. Il y a aussi des organisations sous régionales comme l'Union des journalistes de l'Afrique de l'Ouest (UJAO), crée à Dakar en 1986, elle regroupe seize Etats membres dont le Sénégal. Cette organisation est affiliée à la Fédération internationale des journalistes (FIJ) qui défend les droits et les devoirs des journalistes partout où ils sont menacés dans le monde. Nous pouvons ajouter également l'institut PANOS qui est une organisation qui s'occupe des médias en Afrique de l'Ouest, elle joue le rôle de « facilitateur » de rencontres entre professionnels et entre professionnels, gouvernants et public. L'engagement de cette organisation se traduit par la publication de plusieurs ouvrages, certains d'entre eux nous ont d'ailleurs été d'une grande utilité dans nos recherches (Cf. bibliographie). A côté de ces associations qui défendent les droits des journalistes et tentent de promouvoir des principes d'éthique et de déontologie, certaines rédactions ont établi des chartes, d'autres ont recours à diverses astuces pour moraliser la profession.

II Walfadjri et Le Quotidien : deux cultures d'autorégulation différentes

Paradoxalement, les plus grands journaux n'ont, pour la plupart, pas de code de déontologie interne. On aurait pu penser que, vu le sérieux et l'importance de diffusion qui les caractérisent, des journaux comme Le Soleil, Walfadjri, ou l'Info 7 en disposent. Mais à notre connaissance, aucun de ces grands quotidiens sénégalais n'a institué ni un code, ni une charte pour rappeler à leurs journalistes les règles de base du « bon journalisme ». En réalité, le nombre de journaux à en posséder est très faible, sinon leur existence est parfois complètement ignorée par les principaux concernés.

Ancien journaliste au Cafard Libéré, Seydou SALL223(*) du Populaire se rappelle d'une feuille accrochée à un mur de la rédaction où sont vaguement rappelées les règles de base d'un journalisme de qualité. Ainsi, au détour d'un regard, l'on pouvait lire un résumé d'un certain nombre de principes tels que la vérification de l'information, la distinction entre les faits des commentaires, le respect de la vérité, l'interdiction d'accepter des cadeaux etc. Sur ce point, il convient de tirer le chapeau au journal Le Quotidien qui est, à notre connaissance le seul journal à avoir institué dès sa création un code de déontologie (voir annexe 2). Adaptée des « Règles et usages » du quotidien Le Monde, « La charte de la rédaction », est signée par chaque journaliste de « la maison » et constitue l'un des gages « pour éviter des dérapages »224(*) selon le directeur de publication du journal Madiambal DIAGNE. Ce texte préconise des principes tels que le refus de la corruption : « le journaliste de `Le Quotidien' doit veiller à éviter tout ce qui peut entacher sa crédibilité...Tout cadeau, dont la valeur atteint 5 000 FCFA ne saurait être accepté par un journaliste ». Une autre recommandation concerne le respect de la vérité des faits : « les sources doivent être identifiées. Le journaliste devra rapporter ses propos avec exactitude, mais doit veiller à éliminer tout propos susceptible de froisser, de blesser des tiers ou, après coup, l'auteur même des propos ». La liberté du commentaire et de l'analyse, mais en dehors de l'article : « la règle impose de ne pas faire passer son point de vue dans les articles d'information ». La rectification de toute information fausse est aussi une exigence que se fixe les journalistes du Quotidien : « toute information publiée par « Le Quotidien » doit être rectifiée le plus rapidement possible, dès l'instant que la vérité est établie à ce sujet. ». D'autres recommandations portant sur le traitement des dépêches en provenance des agences, la relecture de certaines interviews par les concernés, la publication du courrier des lecteurs...sont imposées aux journalistes du Quotidien. L'éditorial qui engage la responsabilité du journal doit être signé par la personne qui répondra des éventuelles poursuites judiciaires en cas de dérapage, c'est-à-dire le directeur de publication. Toutefois, la charte du Quotidien précise que le rédacteur en chef aussi peut se prêter à cet exercice. Après, le directeur de publication a la latitude de le relire et de le modifier éventuellement, avec ou sans l'accord de l'auteur qui, en revanche peut refuser sa signature ou sa publication. Les autres journalistes aussi peuvent refuser la signature d'un article dont le lecteur/correcteur aurait modifié ou tronqué certains passages qu'ils considèrent importants.

Des journaux comme Walfadjri ne se sont pas dotés d'un texte de ce genre. Ancien rédacteur en chef du journal, Mohamadou Tidiane KASSE affirme que sa rédaction n'a pas jugé nécessaire de disposer d'un code. A son avis : « la nécessité d'un code écrit se justifie dans les grandes entreprises de communication où l'organisation du travail impose des cloisonnements. Sinon dans une maison modeste comme la nôtre où la rédaction, avec une vingtaine de personnes tient autour d'une table, on a adopté une forme de thérapie collective qui consiste à toujours poser le débat quand un problème de respect de l'éthique et de la déontologie surgit. »225(*) « Le linge sale se lave en famille », tel pourrait être la devise de Walfadjri en matière d'éthique et de déontologie. M. KASSE estime qu'un tel « code » est « moins froid » qu'une fiche d'engagement annexée au contrat que l'on tend au nouveau venu. Au lieu de « rester figé autour de dix ou quinze `vérités' à respecter », Walfadjri à choisi un « exercice permanent » de remise en question. Autour d'une table, sans aucun formalisme, « sans avoir l'air de monter un tribunal inquisitorial », le journaliste qui a eu à refuser des pots de vins en fait part à ses collègues : « cela à toujours valeur d'exemple et de rappel des principes en vigueur » pense M. KASSE. A ce propos, le responsable de Walfadjri se demande s'il faut vraiment que le journaliste refuse systématiquement toujours les cadeaux étant entendu que « dans nos sociétés, donner n'est pas toujours un acte de corruption. Tout comme refuser peut apparaître comme un geste offensant». Quant aux « voyages pris en charge » qui, dans certains cas peuvent se solder par des papiers élogieux, M. KASSE pense que « quand une forme de collaboration aliène votre liberté de jugement, en rester prisonnier devient un acte de compromission assumée ».226(*)Le journal Walfadjri fait appel à la conscience et à la rigueur professionnelle des journalistes.

Pour ce faire, rien de telle que la référence que peuvent constituer les responsables de la rédaction (directeur de publication, rédacteur en chef). Tant qu'ils sont irréprochables, un journal n'a pas besoin de codifier les bonnes vertus à son avis. Dans le cas d'un manquement professionnel avéré, le concerné est rappelé à l'ordre en comité de rédaction. Le journal n'hésite pas à recourir à des sanctions en cas de fautes graves. À en croire le responsable de la rédaction, Walfadjri s'est débarrassé de la plupart de ce genre de collaborateurs indignes. « En cela, il n'y a même pas de seconde chance, parce que nous savons qu'une fois que le pli est pris, il est presque impossible de le rectifier »227(*) martèle-t-il. Ce fut le cas le 30 mars 2001 lorsque le quotidien décida de se séparer de l'un de ces correspondants. Il était reproché au reporter d'avoir, sans aucune preuve, « évoqué la condamnation de Johnny Spencer DIOP (gérant d'une salle de cinéma à Louga) par le tribunal de Louga dans la semaine du 11 au 18 décembre 2000 »228(*). Dans une correspondance adressée au CRED, M. DIOP avait exigé du correspondant de Walfadjri la preuve d'un arrêt du tribunal de Louga le condamnant. Et lorsqu'il avait été saisi, Abdourahmane CAMARA, le directeur de publication du quotidien, avait demandé à son collaborateur « d'étayer la véracité de son affirmation par la production de l'arrêté du tribunal ». Ce qu'il fut incapable de faire.

Parallèlement aux codes écrits ou informels, d'autres pratiques qui ont cours au sein de certaines rédactions peuvent participer de l'autorégulation. Il en est du courrier des lecteurs qui change de dénomination en fonction des journaux : Contributions pour Walfadjri, Opinions pour Sud Quotidien... Dans ces rubriques, les lecteurs ont le loisir de donner leur point de vue sur l'actualité et réagir aux articles des journalistes. La floraison de médiateurs et de coordonnateurs de la rédaction au sein des journaux est une autre avancée remarquable du paysage médiatique sénégalais. Ceux-ci sont sensés être les maillons entre les journaux et le lectorat. Aux journalistes, ils transmettent, les reproches, critiques et suggestions des lecteurs à qui ils expliquent les exigences du métier. L'idéal voudrait qu'une personnalité sensée occupée cette fonction soit une personne ressource, aussi respectable qu'expérimentée, qui n'a de compte à rendre à personne et ne rechigne pas à rappeler à l'ordre le journaliste qui serait tenté de déraper. Mais rien ne garantit que cela soit le cas dans les rédactions parce que la quasi-totalité de ceux qu'on appelle médiateurs sont en même temps des journalistes dont les papiers peuvent parfois être l'objet de critique.

Les mécanismes de régulation qu'ils soient mis en place par l'Etat ou par la profession doivent avoir un dénominateur commun : garantir la liberté des journalistes tout en l'accompagnant d'un certain nombre de principes pour éviter d'éventuels dérives. Nous venons de montrer que l'Etat sénégalais et les professionnels de l'information se sont souciés de ces deux aspects du métier conformément aux exigences du régime libéral de responsabilité adopté par le pays. Ainsi, l'évolution de la législation pourrait être considérée comme une volonté manifeste de l'Etat d'accompagner la jeune démocratie sénégalaise dans sa quête de médias libres mais responsables. D'un autre côté, l'existence d'un syndicat national (SYNPICS) qui regroupe des journalistes de tout bord et surtout la mise sur pied d'un tribunal interne comme le CRED sont autant d'éléments qui, à priori, montrent la détermination des professionnels à mettre eux-mêmes de l'ordre au sein de la corporation. Toutefois, ces efforts si louables soient-ils, ne sont pas exempts de reproches. Ces moyens de régulation présentent quelques limites que nous allons évoquer dans le chapitre suivant.

Chapitre 3

Les limites des mécanismes de régulation

Les dispositifs mis en oeuvre par l'Etat et par la profession pour garantir et la liberté et la responsabilité des journalistes peuvent témoigner de l'avancée du Sénégal en matière de régulation de la presse. Mais quelques failles notées ça et là montrent que cette évolution n'a pas encore atteint un niveau acceptable pour la démocratie sénégalaise. Concernant les moyens de régulation institutionnels, les codes pénal et de procédure pénale n'ont pas connu la même évolution que le code de la presse. La commission de la carte et le HCA semblent incompétents pour les affaires d'éthique et de déontologie. Quant à l'autorégulation, elle semble plus être un stratagème ourdi par les gens de la profession pour se donner une bonne image vis-à-vis de leurs lecteurs.

I Des mécanismes institutionnels qui installent « un dédale juridique »

La loi de 1979 qui a été instaurée sous SENGHOR avait amené quelques restrictions à la loi de juillet 1881 qui était jusqu'à cette date celle qui régissait le métier. Ces restrictions ont été partiellement levées en 1986 avant de disparaître complètement en 1996.En revanche, le code pénal n'a pas encore reçu le souffle de cette évolution puisqu'il date des années 60-70, c'est-à-dire d'une période où les journalistes étaient considérés comme des « bandits de grand chemin ».

Nous en avons parlé, le code pénal et le code de procédure pénale ont instauré certaines dispositions qui, au fil des années ne sont plus adaptées à l'évolution démocratique du Sénégal. Ainsi, l'article 254 considère toujours comme une offense à la personne du chef de l'Etat certains sujets traités par les journalistes, en rapport avec le Président. C'est un délit toujours punissable d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Les articles 259 et 260 prévoient des peines très lourdes pour les diffamations, injures et autres violations commises à l'endroit des personnalités publiques. Ainsi, comme l'article 254 qui protège le président, les articles cités donnent une sorte d'immunité aux membres du gouvernement, du parlement, du pouvoir judiciaire, de l'Armée... La diffusion de fausses nouvelles, de nouvelles qui encouragent à enfreindre la loi, ou qui portent atteinte aux institutions publiques ou qui vont à l'encontre des bonnes moeurs fait également l'objet de sanctions pénales. En outre, l'article 139 du code de procédure pénale prévoit que, sur les réquisitions du ministère public, le juge d'instruction est tenu de décerner mandat de dépôt contre toute personne inculpée d'un des délits prévus par les articles du code pénal relatifs au complot et la diffusion de fausses nouvelles.

Ces dispositions relatives aux délits de presse se manifestent par leurs « contours souvent flous ». Par exemple, qu'entendre par « atteinte à la personne du chef de l'Etat » ? Cela veut-il dire que le président est un être infaillible, qui ne doit pas faire l'objet de critiques à la différence du citoyen de base? Qu'il est « intouchable » ? Elles se caractérisent également par une certaine incompréhension et leur anachronisme : l'arrestation du journaliste M. DIAGNE a failli causer un véritable trouble à l'ordre public229(*) alors que c'était là un des chefs d'accusation pour lesquels il a été incarcéré. En plus, l'application de ces articles contribuent en quelque sorte à placer les hommes du pouvoir au dessus de tout critique, un article d'investigation des plus anodins sous d'autres cieux pouvant être interprété comme « une divulgation d'information contre l'Etat ». Alors, faut-il ou non dépénaliser les délits de presse ? Le faire, ne serait-il pas synonyme d'accorder une impunité aux journalistes? Dépénaliser oui, mais quelles solutions compensatoires mettre à la place ?

Aujourd'hui, c'est ce débat qui constitue la préoccupation des journalistes et de la société civile sénégalaise. Vieilles d'au moins une dizaine d'années, ces revendications ont connu un renouveau avec l'arrestation de M. DIAGNE en juillet 2004. Le directeur de publication de Walfadjri pense que c'est une aberration, inacceptable pour des gens qui oeuvrent pour la démocratie : « nous devons porter cette revendication de dépénalisation des délits de presse avec force, sinon nous sommes livrés au bon vouloir d'un juge qui ne résiste pas à la pression de ceux qui ambitionnent de tuer la presse indépendante au Sénégal »230(*) ajoute-t-il. Octobre 2003, en collaboration avec le bureau sous régional de l'UNESCO, le SYNPICS avait organisé un « atelier sur les pratiques professionnels et délits de presse ». Cette rencontre a été l'occasion pour les participants de dénoncer des « incriminations permettant des interprétations extensives ainsi que des procédures remettant en cause même l'indépendance des juges »231(*).Les juristes sont les premiers à s'étonner de l'existence de ces « articles poussiéreux » maintenus en l'état, malgré les révisions répétitives de la loi sur la presse. Le professeur Ndiaw DIOUF de la faculté de droit de l'Université de Dakar parle d'une présence « si envahissante du droit pénal dans un milieu comme la presse »232(*). Il faut donc réviser les dispositions pénales prévues en cas de délits de presse, mais faut-il pour autant soustraire aux journalistes toute forme de poursuites judiciaires ?

Favorable au principe de dépénalisation, WADE avait, comme nous l'avons déjà souligné, demandé aux journalistes de proposer quelque chose en lieu et place des dispositions prévues dans le cas où un journal porte atteinte à une institution nationale ou étrangère ou à l'honneur d'un citoyen. Bien entendu, ceci n'est pas synonyme de confier l'assainissement de la profession aux seuls journalistes et d'en écarter en conséquence les juristes. Ces derniers sont d'ailleurs associés aux différentes rencontres qui ont eu lieu entre les journalistes et l'Etat après l'accord du Président d'un débat sur la dépénalisation des délits de presse. Les différentes parties concernées sont convaincues d'une chose, à savoir que « dépénalisation ne signifie pas impunité ». Selon le secrétaire général du SYNPICS, Alpha SALL, « il ne s'agira pas de dépénaliser totalement les délits de presse mais d'alléger les charges pénales que peut encourir un journaliste jugé coupable »233(*). Lesquelles charges peuvent être revues à la baisse ou remplacer par d'autres types de sanctions, pécuniaires par exemple. A l'heure où nous écrivons ces lignes, les négociations n'ont pas encore abouti. Affaire à suivre !

Contrairement aux dispositions sur la presse éparpillées ça et là dans le code pénal et le code de procédure pénale, la commission de la carte et le HCA sont des organisations récentes. Leurs limites en tant que mécanismes de régulation ne découlent donc pas « d'une crise » qui serait liée à une évolution démocratique confrontée aux pratiques rétrogrades d'un autre temps. Commençons d'abord par la commission de la carte. Certes en attribuant à des journalistes identifiés et reconnus comme tels des cartes professionnelles, la commission évite à la profession d'être « un refuge des fayards du chômage et de l'anonymat »234(*). Elle a aussi le droit de retirer la carte en cas de violation des lois. Mais ce retrait qui peut être provisoire ou définitif se fait conformément à l'article 56 de la loi. En d'autres termes, seules les violations des dispositions prévues pour son obtention sont punissables de son retrait. Les violations d'éthique et de déontologie commises au sein des rédactions échappent aux attributions de la commission de la carte qui n'a aucune compétence légale pour statuer sur des sujets de ce genre. D'ailleurs, à ce jour elle n'a jamais décrété des sanctions sur des cas de dérives ou de dérapages235(*).

Quant au HCA, nous nous sommes déjà étonné que contrairement à ce que laisse penser sa dénomination cet organe de régulation élargisse son champ de compétence jusqu'à la presse écrite. Ainsi en avril 1998, il avait, a-t-on noté, mis en demeure le quotidien Walfadjri. Cet incident faisait suite à un article titré « le fils de Lahad236(*) soutient Wade » publié à quelques jours des élections législatives. Le journal se voyait accusé de faire « une propagande déguisée » en faveur de l'ancien leader de l'opposition. Les journalistes de la presse privée avaient dénoncé à cette époque un abus qui n'avait d'autre but que de les censurer. Dans son éditorial du 21 avril 1998, sous la plume de Tidiane KASSE, le journal parle d'ingérence dans sa ligne éditoriale qu'elle ne tolérerait jamais : « seuls des impératifs moraux et professionnels nous limitent : à savoir l'honnêteté, une certaine éthique et le respect des principes déontologiques dans le traitement de l'information.» Le Sud Quotidien lui parle de confusion des genres en dénonçant l'incompétence d'un organe destiné à la régulation de l'audiovisuel à se prononcer sur des sujets éloignés de son champ d'investigation. « De deux choses l'une, rappelle Abdoulaye Ndiaga SYLLA, soit le président du HCA ne connaît pas ses attributions, ce qui est grave, soit c'est un procès d'intention que l'on nous fait et que nous refusons »237(*)

L'explication de cette situation est à chercher dans la création en 1992 du Haut conseil de la radio et de la télévision (HCRT), remplacé par le HCA qui a gardé ses missions principales en 1998. A l'époque les partis d'opposition se plaignaient du temps de parole très limité dont ils bénéficiaient alors que le parti au pouvoir accaparé presque les deux tiers, voire la totalité des informations politiques dans les émissions de la RTS. C'est ainsi que le HCRT a été mis sur pied pour, entre autres, garantir un accès équitable des partis politiques aux émissions de la radio et de la télévision nationale. Avec la libéralisation, son domaine de compétence s'accroît. Il change de nom et devient le Haut conseil de l'audiovisuel HCA. Dorénavant, le contrôle des radios privées qui se sont proliférées au cours des dernières années est de son ressort. Mais, dans la loi instituant sa création, il n'est aucunement dit que la presse écrite aussi doit se soumettre à ce contrôle. Comment expliquer alors l'incursion du HCA, dans un domaine qui, visiblement, ne relève pas de ses compétences ? L'actuelle présidente de l'instance, Aminata Cissé NIANG238(*) explique que conformément aux dispositions du code électoral239(*), ce pouvoir de contrôle est effectif uniquement en période de campagne électorale. Ce qui était le cas lorsque Walfadjri fut accusé de « propagande déguisée ».

Outre cette petite confusion, nous pouvons souligner le fait que la totalité des membres soient nommés par le président de la République. Ce qui remet en question leur impartialité. D'ailleurs les remontrances du HCA à l'égard des médias privés le montre. Pendant que Walfadjri se fait gronder pour « propagande déguisée », Le Soleil accorde impunément ses colonnes au Président et à ses ministres. Le 9 décembre 2002, le Haut Conseil de l'audiovisuel avait ordonné à la RTS de rediffuser un discours du président Abdoulaye WADE, lors de l'inauguration de la Foire internationale de Dakar. La présidence s'était plainte auprès de l'instance de régulation que la télévision publique n'avait pas fait son travail et que les images du chef de l'Etat n'avaient pas été "suffisamment montrées"240(*).

Les mécanismes de régulation institutionnels gagneraient à être révisés. Si la loi de 1996 nous paraît acceptable, certains articles du code pénal nous semblent inappropriés pour un pays qui se veut démocratique. Le Sénégal peut se glorifier d'un pluralisme médiatique et politique, mais l'application à la presse de dispositions qui datent de l'époque du parti-Etat est surprenant. Quant au HCA, toute ambiguïté sur sa compétence à l'égard de la presse écrite doit être levée ; si celle-ci relève de ses attributions, la logique voudrait que cela soit inscrit dans ses statuts. Son indépendance à l'égard du pouvoir en place ne serait pas mal non plus. Toutefois, du côté des professionnels il y a également des efforts à faire.

II L'impossible autorégulation ?

L'idéal voudrait que la presse soit indépendante de toute ingérence étatique. Pour ce faire, les journalistes doivent pouvoir mettre eux-mêmes de l'ordre au sein de leur profession. Par des organisations syndicales (SYNPICS, UJAO...), un organe de régulation comme le CRED, des codes de déontologie et d'autres pratiques, les rédactions essaient d'endiguer ou d'éviter les dérapages. Mais, vu le manque de crédibilité ou l'inefficacité de certains de ces mécanismes, on soupçonne un semblant d'autorégulation qui n'aurait pour but que de rassurer le public tout en écartant le pouvoir étatique.

Le Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED) est devenu une instance de régulation de la profession reconnu par les journalistes, le public et l'Etat. Depuis sa création, pas un colloque ou un séminaire sur la presse sans la participation de cette organisation. Le CRED a instauré un code de déontologie qui s'applique à l'ensemble des journalistes sénégalais. Ce texte, inspiré des plus grands textes internationaux (charte de Munich, charte de Bordeaux) décline la pratique du bon journalisme avec trois normes principales :

La défense de la liberté d'information,

Le respect de la vérité, des sources confidentielles, le renoncement à des méthodes déloyales,

Le respect de la personne conformément aux prescriptions juridiques.

En instaurant des limites pour encadrer la pratique de la profession, le CRED s'apparente à des organisations professionnelles tels que les conseils de l'ordre des avocats ou des médecins. On sait que ces organisations ont toute la latitude de radier quelques-uns des confrères qui auraient failli aux exigences du métier. Ainsi, par exemple un avocat qui viole le secret d'instruction ou un médecin qui divulgue le dossier médical d'un patient, s'expose aux sanctions de la profession. Mais le CRED n'a pas ce genre de pouvoir, ses avis-verdicts n'ont aucune valeur juridique. Les sanctions du CRED n'ont qu'une valeur symbolique: ne les accepte que celui qui le veut bien. Encore que le journaliste incriminé peut se permettre de les contester.

Dans une affaire qui l'opposait au ministre de l'Economie241(*), le directeur de publication du Quotidien n'a même pas daigné se déplacer pour s'expliquer devant ses pairs. Conformément aux dispositions prévues par la charte de déontologie du CRED, le journaliste accusé de `diffamation' et `d'accusation sans fondement' avait été blâmé par l'instance de régulation. D'emblée, M. DIAGNE avait rejeté en bloc cette sanction, accusant le `tribunal de ses pairs' d'avoir déjà « eu son opinion avant de m'avoir entendu »242(*). Madiambal DIAGNE avait considéré ce tribunal comme une mascarade tout en invoquant un vice de forme. Selon lui, parmi les treize membres du conseil, seuls deux étaient présents lors du « jugement ». Le quorum n'aurait pas été atteint d'après ses explications, même si un des membres du CRED (Kader DIOP) affirme qu'ils étaient quatre à décider du jugement.

A quoi sert le CRED si ses avis-verdicts n'ont aucune valeur juridique et peuvent être contestés impunément par n'importe quel journaliste qu'il aurait condamné ? Son existence n'aurait-elle pour but que de rassurer le public, en donnant un semblant de `régulation interne' et écarter ainsi `l'ingérence étatique' ? Ces questions nous paraissent à propos, car nous soupçonnons que cet organe de régulation soit peu efficace pour rappeler certains journalistes à l'ordre. Ce manque d'efficacité résulterait d'abord de sa composition elle-même. Le conseil est en majorité constitué de journalistes ; certaines divergences non confraternelles entre confrères peuvent trouver leur épilogue devant le tribunal des pairs243(*). En plus, les membres du CRED ont d'autres occupations, ce qui leur laisse peu de temps pour se consacrer aux éventuelles délibérations. Enfin, outre l'absence de sanctions juridiques, il n'y a pas d'autres moyens coercitifs pour anticiper ou réparer les dérapages. Le CRED n'est donc pas très crédible car les devoirs qui sont le fondement de sa charte et les sanctions qu'il impose aux journalistes sont le propre de la déontologie. C'est-à-dire que ces devoirs fixés, ces sanctions prévues et qui s'abattraient sur quiconque les transgresserait ne sont entendus que comme des obligations morales et non comme des contraintes légales.

Le même reproche peut être fait au journal Le Quotidien concernant son code de déontologie. Ce journal, comme nous l'avons déjà montré plus haut, est très récent (2003). Le fait de se doter de cette charte dès sa création était un gage « pour éviter les dérapages » comme aime à le rappeler son responsable. Pourtant, la petite histoire de ce quotidien montre qu'il est devenu l'un des journaux sénégalais les plus turbulents, celui qui fait partie de ceux qui ont le plus de démêlées avec la justice. Nous avons évoqué dans cette étude l'affaire des châteaux du ministre des finances, celle des magistrats, celle des deux Sénégalais prétendument enlevés en Irak. Pour l'affaire des châteaux, le journal a été condamné par le CRED. Il n'y a pas eu de plainte pour celle de `l'enlèvement des deux Sénégalais' mais une analyse de l'article nous montre que le journal s'est approprié une information et l'a publiée sans se soucier de la fiabilité des sources. Pour un organe de presse qui se glorifie d'être le seul à disposer d'une charte de déontologie dès sa naissance, cette situation nous paraît préoccupante.

Toutefois, penchons-nous sur le contenu de cette charte. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle responsabilise le journaliste. Notons quand même qu'elle lui donne plus de devoirs que de droits, ce qui paraît normale pour un texte qui se veut moralisateur. Cependant, au moins deux des droits fondamentaux du journaliste n'y sont pas mentionnés. Il s'agit de la clause de conscience qui lui donne la liberté de quitter (tout en gardant ses indemnités) le journal en cas de rachat ou de changement de ligne éditoriale, et du droit de ne pas révéler ses sources, y compris aux responsables du journal si nécessaire. Si nous nous amusons à relever d'autres principes fondamentaux dont ne fait pas mention ce code, la liste serait longue. Brièvement, sans en faire le tour, on peut penser à la légitimité du but poursuivi par un journal : on doit traiter un sujet en fonction de l'intérêt qu'il peut représenter pour le public et non par rapport à l'acteur ou aux acteurs des faits. On peut évoquer aussi l'absence d'animosité personnelle qui est une base de l'objectivité : un journal ne doit pas publier des articles délibérément polémiques et dont le but ne serait autre que d'attiser le contentieux entre deux camps par exemple.

En somme, il paraît impossible ou du moins, difficile de relever l'ensemble des principes fondateurs du bon journalisme dans un code. Comme l'affirme Daniel CORNU : «le principal défaut d'un code de déontologie est de se présenter comme un catalogue de règles formelles, laissant croire à son exhaustivité »244(*). En plus de l'impossible exhaustivité, s'ajoute le caractère changeant de certains principes en fonction des situations auxquelles peut être confronté le journaliste. L'autre inconvénient, qui ne concerne pas uniquement la charte du Quotidien, c'est le risque de voir certains journalistes appliquer l'adage selon lequel « tout ce qui n'est pas interdit est permis ».

En définitive, l'existence du CRED est certes une avancée, mais son incapacité à infliger des sanctions dissuasives aux journalistes incriminés amoindrit son influence en tant que mécanisme de régulation. En plus, en voulant codifier les pratiques d'un journalisme de qualité, les chartes oublient de mentionner certains aspects fondamentaux. Ce formalisme réduit `le bon journalisme' à l'application des seules règles identifiées. Ce qui peut produire un effet contraire à celui qui est visé. En conséquence, l'amélioration de la qualité de la presse passe par une révision des mécanismes déjà existants et la création d'autres moyens.

III Avec quels moyens assurer la responsabilité sociale ?

Nous empruntons la terminologie M*A*R*S (Moyens d'assurer la responsabilité sociale) à Claude-Jean BERTRAND245(*). Il appelle M*A*R*S : « tout moyen non étatique utilisé pour rendre les médias responsables vis à vis du public. Le troisième élément de la triade assurant la qualité des médias : liberté, lois et déontologie - le seul qui soit sans danger -. »246(*) Notre but ici n'est pas de balayer d'un revers de main tous ces moyens déjà existants pour en proposer d'autres, mais de voir dans quelle mesure on peut les rendre meilleurs et d'exposer certaines pratiques qui se font ailleurs et qui peuvent être applicables au Sénégal.

Les M*A*R*S sont donc l'ensemble des méthodes utilisés pour parvenir à instaurer des médias de qualité. Ces méthodes sont au nombre de quatre selon C.J. BERTRAND. C'est avant tout l'observation systématique des médias, ensuite la critique, un accès qui doit être facilité au public, et enfin la formation(celle des professionnels et celle des usagers qui doivent être sensibilisés à l'usage des médias)... Une observation de la presse sénégalaise montre que certains M*A*R*S sont utilisés par les journaux. Il s'agit notamment des `encadrés de correction' ou `droit de réponse', du `courrier des lecteurs', des codes de déontologie, des médiateurs de rédaction, des différents débats et conférences entre professionnels et publics... d'un conseil pour inciter au respect des valeurs éthiques et déontologiques (le CRED). Mais, comme nous l'avons montré plus haut, certains de ces M*A*R*S ont la particularité de présenter quelques insuffisances. Ainsi, les contributions des lecteurs, dans les journaux concernent rarement les éventuelles dérives des médias, les encadrés de correction ne sont effectués parfois que s'ils sont expressément demandés par le concerné... Nous ne nous élargirons pas bien entendu sur les limites du CRED et des codes qui ont la particularité de relever des principes dont le non respect n'est passible d'aucune sanction juridiquement légale.

Notre proposition principale concerne l'organe de régulation le CRED dont les pouvoirs doivent, à notre avis être accrus. On sait que cette organisation est constituée aussi bien de professionnels que de gens de la société civile, ce qui est une bonne chose en soi. Toutefois, il convient de trouver un financement (non étatique) pour que ses membres soient rémunérés et n'aient pas l'obligation de travailler parallèlement. Ainsi, ils seront beaucoup plus disponibles et se consacreront essentiellement à la surveillance des médias. Pour que ses avis-verdicts ne soient pas de simples sanctions symboliques non coercitives, nous considérons que le CRED doit aussi être en mesure de saisir les autorités compétentes si une faute d'un confrère s'avérait au lieu de se contenter de blâmes (qui n'ont souvent aucun effet dissuasif).A ce propos, l'expérience béninoise est assez intéressante pour pouvoir inspirer. L'Observatoire de la Déontologie et de l'Ethique des Médias (ODEM) du Bénin fonctionne avec un Code d'éthique et de déontologie ce qui est également le cas pour le CRED. Néanmoins, cet organe a un pouvoir coercitif et économique puissant qui le permet d'épingler les organes de presse qui se signalent par un manquement à l'éthique et à la déontologie. Un organe de presse condamné pourrait ne pas bénéficier de la subvention à la presse de l'Etat, car c'est l'ODEM qui distribue cette aide à la presse sous le contrôle de la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC)247(*).

Quant aux rédactions, la présence notée ça et là de quelques médiateurs est à encouragée. Cependant, un bon médiateur doit être une personnalité d'expérience, qui connaît bien le métier, de préférence en fin de carrière s'il n'est pas à la retraite (parce qu'ainsi, il est plus indépendant). Il nous paraît incongru de nommer à ce poste un journaliste en fonction qui aura du mal à trouver le recul nécessaire pour émettre un jugement sur le travail de ses confrères, ou peut être sur son propre travail.

En définitive, nous pouvons affirmer que les moyens de régulation présentent quelques insuffisances, ils sont donc perfectibles. L'urgence est de dépoussiérer les textes qui empêchent une éclosion totale de la liberté des journalistes. Celle-ci ne pouvant s'exercer, de préférence, que par l'autorégulation, la mise sur pied de mécanismes l'accompagnant est plus qu'une nécessité. Pour ce faire, le CRED qui est l'organisation mise en place par la profession et qui a la particularité d'avoir de influence sur tous les médias doit se doter de moyens beaucoup plus coercitifs. Les rédactions doivent aussi montrer leur volonté de faire elles-mêmes « le ménage ». Pour cela, il s'agit d'abord de n'être guidé que par la recherche de la vérité, être le plus honnête possible à défaut de ne pouvoir prétendre à l'objectivité qui n'existe pas selon certains. Ensuite, il s'agira de « rectifier le tir » en cas de faute avérée par les `encadrés de correction', les `droits de réponses' ou même une sanction du journaliste fautif comme nous l'avons montré avec l'exemple du correspondant de Walfadjri. Enfin, l'organisation de rencontres entre professionnels et public doit être encouragée.

CONCLUSION

Cette étude se voulait une analyse critique de la presse écrite sénégalaise. Trois points essentiels que nous avons déjà relevés dans l'introduction en sont le point de départ. Il s'agit, d'abord du changement de régime intervenu en 2000 avec l'avènement d'un nouveau Président. Ensuite, l'apparition d'une nouvelle presse qui semble faire fi des règles de bienséance d'une société profondément conservatrice. Enfin, l'existence depuis une vingtaine d'années d'un contexte plus ou moins favorable à la liberté de la presse, ce qui peut produire un effet contraire si l'on y prend garde. Ce dernier point est le plus important car il nous paraît très difficile d'admettre qu'on parle d'éthique et de déontologie pour une presse dont le premier combat est celui de son affranchissement au monopole étatique et aux foudres de la censure. La liberté d'expression, celle du journaliste et celle du média sont donc le préalable pour l'épanouissement des médias en démocratie. Et c'est en démocratie qu'on parle de pouvoir, de contre pouvoir et parfois de dérives ou de dérapages médiatiques.

Le Sénégal est l'une des premières colonies où s'implantèrent les premiers journaux d'expression française248(*). A cette époque, l'histoire politique du pays fut marquée par la reconnaissance des ressortissants des quatre communes (Saint-Louis, Gorée, Rufisque, Dakar) comme des citoyens français. Ce qui a accru l'intérêt des Sénégalais pour la chose politique très tôt. En 1914, Blaise DIAGNE fut élu le premier député du pays. Sur le plan local, ces élections ont instauré une certaine diversité médiatique, presque chaque parti possédait un organe de presse. C'est de cette période que datent les premiers journaux privés. Aujourd'hui, ces organes idéologiques ont cédé la place à des journaux d'informations générales. Vestige de la période du parti unique, Le Soleil reste toujours un quotidien gouvernemental, tandis que de nouveaux journaux ne cessent de grossir le rang de la presse privée. Ces médias jouissent d'une certaine liberté de presse. La constitution sénégalaise, en son article 8, garantit la liberté d'expression, celles du journaliste et du média sont affirmées dans la loi sur la presse de 1996.

C'est donc dans ce contexte que les journaux sénégalais tentent de jouer le rôle qui leur sied, c'est-à-dire contribuer à consolider la démocratie sénégalaise en informant la population sur tout sujet digne d'intérêt national. Nous avons remarqué que cette mission ne se fait pas sans difficulté pour la presse. Qu'elles concernent le quotidien gouvernemental, la presse indépendante dite sérieuse ou la presse people, les dérives notées montrent qu'il y a un malaise. Pour ce qui est du Soleil, les atteintes aux principes éthiques découlent du statut même de ce journal. En effet, comment un journaliste peut-il être objectif, impartial, honnête, mû par la recherche de la simple vérité si l'objet de ses investigations est son employeur, son patron ? L'autocensure sur tous les sujets sensibles, la soumission et la compromission par rapport au pouvoir étatique, tel est le lot quotidien des journalistes du quotidien national. Quant à la presse indépendante, c'est tout à fait le contraire, il faut d'abord noter que contrairement au Soleil, elle accorde beaucoup plus de place à l'opposition. Mais en voulant jouer les équilibristes, les journalistes de cette presse ont parfois, nous semble-t-il, travesti le rôle de « sentinelles de la démocratie »249(*) qu'ils revendiquent. L'acharnement à critiquer l'Etat et aux hommes qui lui sont proches nous le montre. Même s'il est hasardeux de généraliser ces pratiques, il y a une évidence qui est qu'il est très fréquent de voir dans cette presse des articles qui fustigent le gouvernement. La presse people est comme nous l'avons montré celle qui s'est le plus illustrée en matière d'atteinte aux principes déontologiques de la profession. Condamnée à moult reprises par la justice et par une partie des professionnels eux-mêmes, la presse à scandale a-t-elle encore de beaux jours devant-elle ? La question mérite d'être posée car plusieurs organes de cette presse ont disparu, certains quelques mois après leur création. En revanche, l'intérêt que lui porte une frange de la population finira peut-être par prendre le dessus sur la réticence de celle qui est contre « la nouveauté ». L'avenir nous le dira.

Quoique leur existence témoigne d'un environnement libéral, les dérives des journalistes ne doivent pas rester impunies sous prétexte de préservation de la démocratie. Cette liberté doit s'exercer par un encadrement juridique, on parle alors de régulation extérieure ou par une régulation par la profession elle-même, il s'agira dans ce cas d'autorégulation. La régulation extérieure est essentiellement assurée par la loi sur la presse de février 1996. Celle-ci se caractérise par son aspect libéral. Inspirée des plus grands textes internationaux comme la charte de Munich, elle fixe un certain nombre de droits tout en instaurant des devoirs dont la déviance est réprimée par la justice. D'autres dispositions éparpillées ça et là dans le code pénal et le code de procédure pénale fixent également des garde-fous. Mais ces textes datent des années 1960, 1970, 1980 ; c'est-à-dire à l'époque du parti unique lorsque les journalistes étaient considérés comme des « bandits de grands chemin »250(*) alors que « l'activité des médias repose sur le principe de la liberté expression qui ne se divise pas, s'encadre difficilement et s'affaiblit vite devant des limites trop rigoureuses »251(*) selon Henri PIGEAT. Ces dispositions gagneraient donc à être dépoussiérées car elles ont un caractère répressif, anachronique à la démocratie sénégalaise. L'autorégulation se caractérise par l'existence de syndicats de journalisme dont le principal est le SYNPICS mais aussi par le CRED qui fut créé par la profession en 1998. Fort de son code de déontologie, ce « tribunal interne » statue et inflige des sanctions symboliques aux journalistes dont la preuve de la culpabilité a été établie. La régulation interne aussi serait plus crédible si elle se dotait de moyens de dissuasion plus coercitifs au lieu de se contenter de sanctions qui n'ont aucune valeur juridique. L'organe de régulation béninois peut servir d'exemple puisqu'il peut priver à tout journal fautif de l'aide de l'Etat à la presse dont il gère l'attribution.

En définitive, il faut tout simplement retenir que l'étude des médias sénégalais sous le prisme de l'éthique et de la déontologie est un terrain prometteur. Les textes `liberticides' contenus dans le code pénal sont en cours de révision. De toute évidence, les peines privatives de liberté ne seront plus prononcées à l'encontre des journalistes. La liberté du journaliste étant protégée, il y a une crainte que les dérives se propagent et prennent des proportions très dommageables aux médias eux-mêmes. Toutefois, il n'est pas question de faire un retour en arrière, ce qui serait un sacrifice de la liberté individuelle. On se rappelle cette polémique qui a opposé ROUSSEAU à VOLTAIRE: l'un déplorant le fait que « l'homme est devenu un loup pour l'homme » et l'autre taxant son contradicteur de vouloir ramener la civilisation à l'âge de la pierre. Les dérapages et les dérives semblent être le résultat de la liberté acquise au fil des années. Maintenant, il revient aux journalistes de montrer qu'ils sont en mesure de faire usage de cette liberté tout en instaurant des médias de qualité. L'exemple donné par Henri PIGEAT252(*) constitue à ce propos une image qui montre l'importance de la responsabilité des médias et des journalistes vis à vis à du public qui les fait confiance. Cet auteur fait référence à un tableau de Picher BREUGHEL, un peintre du 16e siècle qui met en scène un aveugle guidant d'autres aveugles, les entraînant dans un fossé. Ce qui serait pour lui l'exemple d'un média n'accordant pas assez d'importance aux principes éthiques et déontologiques qui lui sont nécessaires pour aider le peuple à y voir plus clair.

Nous voudrions, avant de terminer cette étude, montrer que toute conclusion ne peut être que partielle. Pour mieux apprécier les dérives et les dérapages, il aurait été plus bénéfique d'être en possession de tous les articles incriminés. Ce qui n'a pas toujours été le cas car tous les journaux ne sont pas mis en ligne ou alors les articles qui datent d'une certaine époque ont déjà disparu du site au moment de leur consultation. Le résultat de ce manque est que la plupart des affaires dont nous ne disposions pas d'éléments nécessaires à leur exploitation ont été écartées de cette étude. De même, nous déplorons le fait de n'avoir pas pu obtenir beaucoup plus d'entretiens avec les instigateurs. Mais comme nous le disions plus haut, nous envisageons de toute manière, si l'occasion nous en été offerte, de compléter ce travail. L'objectif sera alors de faire un choix des journaux dignes d'intérêt pour notre sujet, et pourquoi pas intégrer les médias audiovisuels. Il sera aussi question d'enquêter beaucoup plus sur l'organisation syndicale le SYNPICS et surtout sur le CRED. Pour ce faire, nous comptons prendre connaissance des statuts de ces organisations, examiner de manière plus approfondie leur mode de fonctionnement, et évaluer leur influence réelle sur les sujets qui nous préoccupent. Concernant les organes de presse, les procédés que nous avons relevés comme participant de l'autorégulation seront abordés avec profondeur. Quelle est l'importance des `encadrés de correction', des `droits de réponses', ou du `courrier des lecteurs' aussi bien pour le journal que pour le lecteur ? Qui sont ces médiateurs dont la présence dans les rédactions est devenue de plus en plus vitale, sont-ils plus au service du média que du public ? Voilà autant d'interrogations et de pistes de réflexion qui vont nécessiter une investigation sur le terrain et des rencontres avec les professionnels et les spécialistes des médias sénégalais.

BIBLIOGRAPHIE

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BALLE Francis et PADIOLEAU J.-G., Sociologie de l'information : textes fondamentaux,

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LAZAR Judith, Sociologie de la communication de masse, Ed. Armand Collin, Paris, 1991

LECLERC Aurélien, L'entreprise de presse et le journaliste, Presse universitaire de Québec, 1991

MATTELART Armand et Michelle, Histoire des théories de la communication, la Découverte, Paris 2004

MERCIER Arnaud, Communication et médias, la documentation française, Paris 2003

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Presse francophone d'Afrique ; vers le pluralisme, Karthala, Paris 1991

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LENOBLE-BART Annie, Afrique Nouvelle : Un hebdomadaire catholique dans l'histoire, MSHA, Bordeaux, 1996

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SENGHOR Sophie, L'information nationale au journal télévisé sénégalais : contribution à l'étude de la crise des modèles étatiques de développement en Afrique, Thèse de doctorat, sous la direction de André-Jean TUDESQ, université de Bordeaux 3, 1993

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« L'espoir et l'illusion : actions positives et effets pervers des médias en Afrique subsaharienne », MSHA, Bordeaux, 1998

« Les médias en Afrique », Ellipses, Paris, 1999

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CORNU Daniel, Ethique de l'information, Que-sais-je ? PUF, Paris, 1997

HALIMI Serge, Les nouveaux chiens de garde, Editions raison d'agir, Paris, 1997

Institut PANOS, Ne tirez pas sur les Médias : Ethique et déontologie en Afrique de l'Ouest, Harmattan, Paris, 1996

MUHLMAN Géraldine : Du journalisme en démocratie, éditions Payo & Rivages, Paris 2004

NDOYE Doudou, Code pénal du Sénégal annoté, EDJA, Dakar 2000

PIGEAT Henri, Médias et déontologie : règles du jeu ou jeu sans règles, PUF, Paris, Vendôme, 1997

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Walfadjri (L'aurore), www.walf.sn

Sud Quotidien, www.sudonline.sn

Le Quotidien, www.lequotidien.sn

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Journal en ligne, Afrik.com, www.afrik.com,

Journal en ligne, Sénégal Presse, www.spresse.net

Géopolitique africaine, www.african-geopolitics.org

Agence de presse Sénégalaise (APS), www.aps.sn

Observatoire français des médias, www.observatoire-medias.info

Action-critique-médias (Acrimed), www.acrimed.org

ANNEXES

ANNEXE 1

EXTRAIT DE LA LOI DU 2 FÉVRIER 1996 RELATIVE AUX ORGANES
DE COMMUNICATION SOCIALE, AUX PROFESSIONS
DE JOURNALISTE ET DE TECHNICIEN253(*)

TITRE II

DES JOURNALISTES ET TECHNICIENS

DE LA COMMUNICATION SOCIALE

Article 23 : Est journaliste au sens de la présente loi, toute personne diplômée d'une école de journalisme et exerçant son métier dans le domaine de la communication, toute personne qui a pour activité principale et régulière l'exercice de sa profession dans un organe de communication sociale, une école de journalisme, une entreprise ou un service de presse, et en tire le principal de ses ressources.

Article 24: Est technicien de la communication sociale au sens de la présente loi, toute personne diplômée d'une école de formation préparant aux métiers d'ingénieurs ou de techniciens et exerçant ces métiers dans le domaine de la communication sociale, de même que toute personne exerçant lesdits métiers, tels que définis dans la Convention collective des journalistes et techniciens de la Communication sociale.

Article 25: Les journalistes et techniciens de la communication sociale employés dans les services de l'Etat et les établissements publics sous tutelle du ministre chargé de la Communication sont régis par le Code de travail et par les dispositions de la Convention collective applicable à leur profession.

Chapitre I : DES DROITS

Article 26: Le journaliste ou le technicien de la communication sociale a libre accès à toutes les sources d'informations non confidentielles et a le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique.

Article 27 : Le journaliste ou technicien de la communication sociale a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne de son entreprise.

Article 28 : Le journaliste ou le technicien de la communication sociale ne peut être contraint d'accomplir un acte professionnel ou d'exprimer une opinion contraire à sa conviction ou à sa conscience. Il peut, à cet effet, invoquer la clause de conscience, notamment à l'appui de sa démission. Dans ce cas, les règles applicables à la rupture du contrat de travail sont celles qui s'appliqueraient si la rupture était intervenue à l'initiative de l'employeur s'il est établi que la clause est invoquée à bon escient.

Article 29 : L'équipe rédactionnelle et technique doit être informée obligatoirement de toute décision de nature à affecter la vie de l'entreprise.

Article 30: Le journaliste ou le technicien de la communication sociale a le droit de faire appel dans le cadre de son travail et sous sa seule responsabilité, à toute personne-ressource qu'il juge suffisamment compétente pour analyser ou commenter un événement de portée locale, nationale ou internationale. Cette personne-ressource ne jouit pas des garanties reconnues par la présente loi aux journalistes et techniciens de la communication. Toutefois sa responsabilité peut être engagée en cas de violation de la loi.

Chapitre II : DES DEVOIRS

Article 31 : Le journaliste ou technicien de la communication sociale doit respecter les faits.

Article 32 : Le journaliste ou le technicien de la communication doit en outre être guidé par les principes ci-après :

- défendre la liberté de l'information, du commentaire et de la critique;

- ne publier que des informations vérifiées, ou, dans le cas contraire, les accompagner des réserves qui s'imposent;

- ne pas pratiquer la rétention de l'information, ni dénaturer les textes et les documents dont il se sert pour présenter les faits ou les commenter.

- rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte;

- ne pas user de méthodes déloyales ou répréhensibles pour obtenir ou diffuser des informations, photographies et documents.

Article 33 : Dans l'exercice de sa liberté d'expression, le journaliste doit respecter les convictions religieuses, politiques ou philosophiques du public auquel il s'adresse, même s'il ne les partage pas. Il doit en outre respecter scrupuleusement le principe de la non discrimination en raison de la race, de l'ethnie, du sexe ou de l'origine nationale.

Article 34 : Le journaliste ou le technicien de la communication sociale est tenu de respecter la vie privée des personnes, dès lors que celle-ci n'interfère pas avec les charges publiques dont les dites personnes sont ou prétendent être investies.

Article 35: Le journaliste ou le technicien de la communication sociale est tenu au secret professionnel tel que prévu à l'article 363 du Code pénal. Il ne doit pas divulguer les sources des informations obtenues confidentiellement. Le journaliste ou le technicien de la communication sociale peut révéler sa source à son supérieur hiérarchique, mais seulement si ce dernier est lié par le secret professionnel. Le journaliste ou le technicien de la communication sociale peut être délié du secret sur l'aveu de la source de l'information s'il a pu être clairement prouvé que ladite source l'avait induit en erreur.

Article 36: Le journaliste ou le technicien de la communication sociale s'interdit le plagiat, la calomnie, la diffamation ainsi que les accusations sans fondement. Il ne peut recevoir un quelconque avantage du fait de la publication ou de la suppression d'une information.

Article 37: Le journaliste ou le technicien de la communication sociale ne doit pas confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire ou de propagandiste. Il ne peut accepter aucune consigne directe ou indirecte des annonceurs.

Article 38 : Le journaliste ou le technicien de la communication sociale doit refuser toute pression; il ne peut accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction.

Article 39: Le journaliste ou le technicien de la Communication sociale doit s'interdire tout détournement de document imprimé ou audiovisuel dont les droits de diffusion et de distribution sont réservés.

Chapitre III : DE LA CARTE NATIONALE DE PRESSE

Article 40 : Les journalistes et les techniciens de la communication sociale peuvent solliciter l'attribution d'une carte nationale de presse. Seuls peuvent se prévaloir des dispositions prises en faveur des journalistes par les organisateurs de manifestations publiques les détenteurs de la carte nationale de presse.

Article 41 : Il est institué une commission de la carte nationale de presse seule habilitée à la délivrer, et comprenant six membres titulaires et six suppléants ainsi répartis:

- 1 représentant de l'Assemblée nationale,

- 1 magistrat désigné par le ministre de la Justice

- 1 représentant du ministre chargé de la Communication,

- 1 représentant du syndicat des professionnels de la communication le plus représentatif,

- 1 représentant de la presse et des organes audiovisuels privés désigné par les associations patronales les plus représentatives,

-1 représentant des organes de communication d'Etat désigné par le ministre chargé de la tutelle sur lesdits organes.

La commission élit en son sein un président et un vice-président.

Article 42: Le secrétariat de la commission est assuré par le représentant du ministre chargé de la commission.

Les membres de la commission sont nommés par arrêté du ministre chargé de la Communication.

Article 43: Tout membre de la commission de la carte nationale de presse doit justifier d'une expérience professionnelle de cinq ans au moins et jouir de ses droits civiques et civils.

Article 44: Les membres suppléants désignés dans les mêmes conditions que les membres titulaires peuvent être appelés à suppléer ceux-ci en cas d'absence, de démission, d'empêchement définitif ou de décès entre deux renouvellements.

Article 45: La commission est renouvelée tous les deux ans et les membres sortants peuvent être reconduits une seule fois.

Article 46: La commission délibère à la majorité de ses membres. En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante.

Article 47: Un règlement intérieur élaboré par la commission fixe les autres règles relatives à son fonctionnement.

Article 48: Tout postulant à la carte nationale de presse, journaliste ou technicien de la communication sociale titulaire doit jouir de ses droits civiques et civils et fournir un dossier comprenant obligatoirement:

- une demande indiquant, entre autres, l'adresse à laquelle le postulant pourra être convoqué;

- un extrait de l'acte de naissance ou une photocopie de la carte nationale d'identité ;

- un extrait de casier judiciaire datant de moins de trois mois;

- une copie certifiée conforme du diplôme d'une école de journalisme, ou toute autre justification visée aux articles 23 et 24 de la présente loi;

- un engagement à tenir la commission informée de tout changement intervenu dans sa situation, et à rendre la carte à la commission, dans le cas où il perdrait la qualité de journaliste ou de technicien de la communication sociale au sens de la présente loi;

- et trois photos d'identité.

Le postulant peut en outre, faire apparaître dans son dossier, le cas échéant, l'indication des publications auxquelles il a déjà loué ses services, ainsi que ses autres occupations régulièrement rétribuées.

Article 49: Tout postulant à la carte nationale de presse, journaliste ou technicien de la communication sociale stagiaire doit fournir un dossier comprenant les pièces énumérées à l'article 47 de la présente loi. Toutefois, la demande de l'intéressé, ainsi que les justifications fournies en application des articles 23 et 24 de la présente loi, doivent faire mention de sa qualité de stagiaire.

Article 50: La commission a toute latitude pour vérifier l'exactitude des informations fournies par le postulant, en vertu des articles 47 et 48 de la présente loi.

Article 51: La commission délivre la carte nationale de presse à titre personnel, au postulant remplissant les conditions fixées par l'article 47 de la présente loi. La demande est rejetée lorsque ces conditions ne sont pas réunies ou lorsqu'il apparaît que le postulant a fait l'objet d'un retrait définitif de la carte dans les conditions prévues à l'article 55 de la présente loi.

Article 52 : Toute personne qui aura fait une déclaration totalement ou partiellement inexacte, en vue d'obtenir la délivrance de la carte nationale de presse, ou qui, pour acquérir un avantage quelconque, aura fait usage d'une carte frauduleusement obtenue, périmée, ou annulée sera passible des peines prévues par la loi.

Article 53 : La carte nationale de presse délivrée par la commission porte la photographie du titulaire, sa signature, l'indication se ses prénoms, nom, nationalité et domicile. Elle est revêtue du cachet de la commission et de la signature du président.

Article 54 : En ce qui concerne les journalistes et les techniciens stagiaires de la communication sociale, cette qualité est mentionnée sur la carte elle-même.

Article 55 : La carte nationale de presse est attribuée pour une durée de trois ans pour les journalistes et les techniciens de la communication sociale titulaires et pour une durée d'un an pour les stagiaires. Dans tous les cas, son renouvellement doit être demandé par l'intéressé avant le premier novembre de la dernière année de validité. Cette demande de renouvellement se fera par lettre recommandée adressée au président de la commission.

Article 56: Le retrait de la carte nationale de presse peut être décidé par la commission lorsque le titulaire a violé les dispositions de la présente loi. Avant toute décision, l'intéressé est entendu, accompagné le cas échéant de son conseil.

Le retrait peut être provisoire ou définitif.

ANNEXE 2

Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (Munich, 1971)

Préambule

Le droit à l'information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain.

Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l'ensemble des devoirs et des droits des journalistes.

La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l'égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.

La mission d'information comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s'imposent spontanément. Tel est l'objet de la déclaration des devoirs formulés ici.

Mais ces devoirs ne peuvent être effectivement respectés dans l'exercice de la profession de journaliste que si les conditions concrètes de l'indépendance et de la dignité professionnelle sont réalisées. Tel est l'objet de la déclaration des droits qui suit.

Déclaration des devoirs

Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements, sont :

[1] respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public à de connaître ;

[2] défendre la liberté de l'information, du commentaire et de la critique ;

[3] publier seulement les informations dont l'origine est connue ou les accompagner, si c'est nécessaire, des réserves qui s'imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents ;

[4] ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents ;

[5] s'obliger à respecter la vie privée des personnes ;

[6] rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ;

[7] garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ;

[8] s'interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d'une information ;

[9] ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste; n'accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ;

[10] refuser toute pression et n'accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction.

Tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir d'observer strictement les principes énoncés ci-dessus ; reconnaissant le droit en vigueur dans chaque pays, le journaliste n'accepte, en matière d'honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l'exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre.

Déclaration des droits

[1] Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d'information et le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception en vertu de motifs clairement exprimés.

[2] Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu'elle est déterminée par écrit dans son contrat d'engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale.

[3] Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience.

[4] L'équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l'entreprise.

Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion de journaliste.

[5] En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu'une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique.

Munich, 1971

CHARTE DE LA REDACTION DU QUOTIDIEN

Ces principes sont adaptés des "Règles et usages" en vigueur au journal Le Monde. Certains sont une reproduction de l'original. D'autres ont fait l'objet d'une adaptation.

· Cadeau(x), Voyages

Le journaliste de Le Quotidien doit veiller à éviter tout ce qui peut entacher sa crédibilité, mettre en doute son indépendance. Tout cadeau, dont la valeur atteint 5 000 F Cfa, ne saurait être accepté par un journaliste. Ce dernier ne peut recevoir de somme d'argent de quelque montant que ce soit, pour une raison ou une autre liée à l'exercice de sa profession.

Dans le cas où le présent ou l'argent est envoyé à la rédaction, le journaliste est tenu de le retourner, avec une lettre explicative co-signée par le rédacteur en chef.
Si les donations sont faites en public, le journaliste de Le Quotidien doit manifester son refus avec courtoisie, sans pour autant chercher à indisposer ses autres confrères.

Les journalistes n'acceptent pas de voyage de presse gratuit avant d'en avoir reçu l'autorisation du rédacteur en chef ou de leur chef de desk.

· Citation(s)

Toute citation publiée dans Le Quotidien doit être sourcée, sauf cas exceptionnel où l'anonymat est exigé par la source.
Les sources doivent être identifiées. Le journaliste devra rapporter ses propos avec exactitude, mais doit veiller à éliminer tout propos susceptible de froisser, de blesser des tiers ou, après coup, l'auteur même des propos.
Dans un cas où des opinions contradictoires s'opposent. Le journaliste doit toujours chercher à avoir les deux versions en présence. A défaut de l'interlocuteur principal, il cherchera à faire réagir une source proche de ce dernier.

· Collaboration(s) extérieure(s)

Les journalistes de Le Quotidien peuvent mener des activités rédactionnelles en dehors du journal. Le cas échéant, ils en formulent la demande par écrit au directeur de la publication. L'acceptation d'une telle activité est conditionnée au fait qu'elle ne concurrence ni ne gêne les activités menées pour le compte de Le Quotidien.
Les journalistes de Le Quotidien peuvent avoir d'autres activités professionnelles (animation de conférences, séminaires, etc.). La direction de la publication doit en être informée. Toute activité complémentaire, régulière et rémunérée, doit faire l'objet d'un accord du journal.

· Commentaire(s)

Tous les rédacteurs peuvent proposer, sur un sujet d'actualité qui entre dans leur domaine de compétence, une "analyse" ou un "commentaire". Ces commentaires doivent figurer dans un encadré qui accompagne l'article.
La règle impose de ne pas faire passer son point de vue dans les articles d'information.

· Comportement

Un journaliste de Le Quotidien est partout un ambassadeur de sa rédaction. Il doit adopter en public un comportement correct. La même règle s'applique au sein de la rédaction. La courtoisie doit aussi présider aux relations des journalistes avec les lecteurs quand ces derniers les interpellent sur leurs écrits et avec les différents acteurs de la vie publique.

· Conditionnel

L'usage du conditionnel de précaution est restreint. Elle ne doit pas servir en aucun à asseoir des accusations.

· Conflit(s) d'intérêt(s)


Les journalistes ne peuvent couvrir un événement dans lequel ils peuvent se retrouver face à un conflit d'intérêts personnels.

· Correspondant(s)

Les journalistes qui se rendent à l'occasion d'un reportage ou d'une conférence dans une région doivent prévenir le correspondant de la rédaction en poste dans la localité. Au cas où leur collaboration s'avère nécessaire pour la bonne exécution du travail, il revient au journaliste de la rédaction centrale de diriger l'équipe.

· Coupe(s)

Le relecteur/ correcteur ne doit pas prendre des libertés avec les articles des journalistes. Ils peuvent en améliorer le contenu, mais doit prendre garde de ne pas faire des coupes ou des réécritures qui changent le sens des éléments d'informations présentés par l'auteur.
Dans toute la mesure du possible, le relecteur/correcteur signale au journaliste les coupes ou modifications réalisées.

· Courrier

Les lettres de lecteurs doivent être traitées avec soin. Elles sont une marque de confiance et d'attachement des lecteurs à leur journal. Quelles que puissent être les opinions exprimées, les lettres doivent être acceptées. Ne seront cependant diffusées que celles qui apportent des informations ou des idées pertinentes. Tout propos discourtois, offensant ou diffamatoire doit être enlevé avant publication.
Quand un journaliste est interpellé dans un courrier, il doit répondre (Ndlr) en restant courtois dans sa réponse. Il en est de même pour les droits de réponse.
Le journal peut entretenir un débat dans la page courrier, mais doit éviter d'installer dans une polémique personnelle.
Le journal doit aussi éviter d'institutionnaliser des "contributeurs professionnels". Il faut veiller à la diversité des contributions.
Les lettres qui parviennent au journal, même si elles ne sont pas publiées, restent une propriété de la rédaction. Elles ne peuvent être retournées.
Le journal ne publie pas de lettre anonyme, à moins que l'auteur, dûment identifié, en fasse la demande.
Une lettre ne peut être publiée sous forme de signature collective.
Les lettres ouvertes adressées à des personnes/ personnalités ou les tracts ne peuvent être publiées comme courrier de lecteur.

· Couverture

Le journaliste qui couvre un événement (manifestation, procès, etc.) ne quitte pas les lieux avant la fin.

· Dépêches d'Agences de Presse

Les dépêches servent d'alerte à la rédaction. Lorsqu'elles sont reprises sous forme de brèves, de repères ou d'articles, elles sont signées du nom de l'agence (Aps, Afp, Reuters, etc.). Cette règle vaut aussi bien pour l'actualité sénégalaise que pour l'actualité internationale.
La rédaction essaye toujours de contrôler l'exactitude des informations d'agence publiées.
Le journaliste peut ajouter des informations complémentaires à la dépêche. Dans ce cas le journal doit alors assumer la totalité des informations.

· Devoir de réserve

Dans leurs contacts publics, les journalistes se gardent de manifester ostensiblement leurs opinions (politiques, religieuses, philosophiques, etc.).
Ce devoir de réserve touche aussi la "cuisine interne" du journal. Les journalistes de "Le Quotidien" se garderont d'évoquer ailleurs les décisions ou tout autre fait concernant la marche du journal.

· Editorial

L'éditorial est rédigé par le directeur de publication ou le rédacteur en chef. Il est signé. Quand il est rédigé par le rédacteur en chef, il peut être relu par le directeur de publication et modifié, si nécessaire, pour des raisons de forme et de fond. Si ces modifications n'agréent pas l'auteur, il peut exiger que l'article ne soit pas diffusé ou ne porte pas sa signature.

· Entretien(s)


Le Quotidien accepte seulement la relecture des longs entretiens (Les Marches du Quotidien par exemple) par les personnes qui se sont prêtées au jeu des questions-réponses. Il s'agit d'une relecture de précaution pour éviter tout contresens. Si la personne interviewée corrige pour l'aseptiser, la rédaction se réserve le droit de ne pas publier l'entretien.

· Erreur(s)

Toute fausse information publiée par Le Quotidien doit être rectifiée le plus rapidement possible, dès l'instant que la vérité est établie à ce sujet.
Les rectificatifs reçus par la rédaction ne sont assortis d'aucun commentaire de la rédaction.

· Faits divers

Les prénoms et noms des mineurs ne sont pas publiés, sauf si les familles concernées ont donné leur accord ou si les prénoms sont devenus publics.
Les prénoms et noms des victimes de viol ne sont pas publiés, sauf volonté expresse des victimes.
Les prénoms et noms des personnes soupçonnées de crimes ou de délits sont publiés si elles sont majeures.
Les journalistes devront se garder de présenter l'information de manière stigmatisante pour des groupes, des communautés ou des populations déterminées.

· Préjugé(s)

Les rédacteurs s'interdisent d'utiliser toute formule ou tout cliché exprimant du racisme (" une cruauté tout orientale ") ou du mépris (" fils d'un modeste instituteur ", ou "originaire d'un bled").

· Signature(s)

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* 1 H. B.-MERY, Parole écrite, Grasset, Paris, 1991, p.134

* 2 Charte internationale des droits et des devoirs des journalistes adoptée à Munich en 1971 ( voir Annexes)

* 3Cf. Institut PANOS, Médias et élections au Sénégal, NEAS, Dakar, 2002

* 4 CORNU Daniel, Ethique de l'information, Que-sais-je ? PUF, Paris, 1997, p.4

* 5Cf. Institut PANOS, Ne tirez pas sur les média : éthique et déontologie de l'information en Afrique de l'Ouest, L'Harmattan, Paris, 1996, p. 200

* 6 Cf. Alexandrine CIVARD-RACINAIS, la déontologie des journalistes : principes et pratiques, Ellipses, Paris, 2003, p.3

* 7 Henri PIGEAT, Médias et déontologie : règles du jeu ou jeu sans règles, Paris, PUF, Vendôme 1997, p. 85

* 8 Selon l'auteur, celle-ci fonctionne comme une instance de légitimation des pratiques et des normes ainsi que de mise à l'épreuve de l'image. Daniel CORNU, Ethique de l'information, Que-sais-je ? PUF, Paris, 1997, p.4

* 9 Alain LARAMAEE et Bernard VALLEE, La recherche en communication : éléments de méthodologie, PUQ, 2001

* 10 CF. Jérôme BOURDON, Introduction aux médias, Editions Montchrestien, Paris, 2000

* 11Alain LARAMAEE et Bernard VALLEE, op.cit, p. 70

* 12 Cf. Judith LAZAR, « Sociologie de la communication de masse », Ed. Armand Collin, Paris, 1991, p. 38

* 13 Armand et Michèle MATTELART rapportent que LAZARSFELD fit venir ADORNO de l'Allemagne aux Etats Unis dans le cadre d'une collaboration sur un projet de recherche sur les effets culturels des programmes musicaux à la radio (1938-1939). LAZARSFELD espérait « développer une convergence entre la théorie européenne et l'empirisme américain ». Il attendait que « la recherche critique » « relativise » la recherche administrative. Mais entre les deux hommes c'est le choc des cultures, l'Allemand refuse de se soumettre au catalogue de questions qui lui a été proposé, ce dernier fait obstacle à «l'analyse de ce système, ses conséquences culturelles et sociologiques et ses présupposés sociaux et économiques ». cf. Histoire des théories de la communication, La Découverte, Paris, 2004, pp. 39-40. 

* 14 Nous entendons par journaux sérieux, les organes de presse qui ne sont pas des journaux people

* 15 Laurence BARDIN, L'analyse de contenu, Paris, PUF, 2001

* 16 Les deux autres parties de l'analyse de contenu selon Mme BARDIN sont : l'exploitation du matériel et le traitement des résultats.

* 17 L. BARDIN, idem. p. 127

* 18 Cf. A.-J. TUDESQ, Feuilles d'Afrique : étude la presse de l'Afrique Subsaharienne, Talence, MSHA, 1995

* 19 Cette reconnaissance était effective en 1880 pour les habitants de Saint-Louis, Gorée et Rufisque, en 1885 pour les Dakarois.

* 20 A.-J. TUDESQ (1995), p. 36

* 21 Idem

* 22 M. S. FRERE (2000), p. 27

* 23 Cité par A.-J. TUDESQ (1995), p. 35

* 24 M. S. FRERE(2000), p. 27

* 25 TUDESQ (1995), p. 35

* 26 Idem

* 27 Selon le professeur TUDESQ, l'Angleterre a autorisé la publication et la gestion de journaux plus tôt que la France. Il rapporte qu'en 1826 un libérien créa un journal à Monrovia. Au Ghana avec un journal comme Accra Herald (1858), au Nigéria The Anglo African (1863). Selon lui des journaux en langue nationale furent également publiés dans ces colonies anglaises. Idem, p.p. 19. 20

* 28 TUDESQ, (1995), p. 51

* 29 Cf. A.-J. TUDESQ, Les médias en Afrique, Ellipses, Paris, 1999, p. 105

* 30 M. PAYE ( 1992), p. 347

* 31 Médias et élections au Sénégal, Institut Panos, NEAS, Dakar, 2002, p.47

* 32 Cf. Annie LENOBLE-BART, Afrique Nouvelle : un hebdomadaire catholique dans l'histoire (1947-1987), MSHA, Bordeaux, 1996

* 33 TUDESQ (1995), p. 62

* 34 Idem, pp.236-237

* 35 A.J. TUDESQ (1995), p. 63

* 36 Cité par M. S. FRERE(2000), op. cit. p.28

* 37 A.-J. TUDESQ (1998), p. 81

* 38 A l'occasion de la rentrée des cours et tribunaux, il disait en 1974 : « il n'existe pas, dans notre vie politique de quatrième pouvoir », TUDESQ (1995), p. 62

* 39 Cf. ND. LOUM, la presse indépendante au Sénégal : le culte de la différence, mémoire DEA, Bordeaux 3, 1997, p. 47

* 40 Cité par ND. LOUM, Idem, p. 51

* 41 ND. SAMB, op.cit. p. 52

* 42 Cf. Institut Panos, Médias et élections au Sénégal, NEAS, Dakar 2002, p. 47

* 43 Idem, p. 48

* 44 Henri PIGEAT, Médias et déontologie : règles du jeu ou jeu sans règles, Paris, PUF, Vendôme 1997, p. 54

* 45 Cf. André-Jean TUDESQ, « L'espoir et l'illusion : actions positives et effets pervers des médias en Afrique subsaharienne », MSHA, Bordeaux, 1998

* Ces chiffres sont approximatifs, les patrons de presse ont tendance à les gonfler pour attirer les annonceurs si bien qu'ils varient d'un sondage à un autre en fonction du journal qui l'a commandité.

* 46 Momar Coumba DIOP, cité par ND. LOUM, (Bordeaux, 1997), p. 370

* 47 C'est ainsi que l'appellent ces collègues journalistes

* 48 Cité par ND. LOUM, Thèse doctorat, Bordeaux 2001, p.147

* 49 J. M. DIOP, « Sénégal : sexe, sang et potins à la Une : Les quotidiens de la nouvelle génération », www.panos-ao.org

* 50 J. M . DIOP, op. cit.

* 51 A l'occasion d'un séminaire « Presse populaire, public et déontologie » organisé par le CESTI le 12 novembre 2001

* 52 A. AGBOTON, «La presse populaire : phénomène ou épiphénomène in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? », Dakar 2004, p. 38

* Même remarque que pour le triage des journaux dits sérieux, A. AGBOTON pense d'ailleurs que « le tirage réel est le secret le mieux gardé de la profession », op.cit. p. 41

* 53 A. AGBOTON, op.cit. p. 40

* 54 Idem

* 55 Idem, p. 41

* 56 Idem, p. 41

* 57 Le Soleil du 5 mars 2001, « Scoop est arrivé ! », www.lesoleil.sn

* 58 Idem

* 59 Cité par Boubacar KANTE, « Off, Bulles, A l'index, ces potins aimés et redoutés des Sénégalais », article publié le 27 janvier 2005, www.aps.sn

* 60 Cf. J. M. DIOP, «Sénégal : sexe, sang et potins à la Une, les quotidiens de la nouvelle génération », op.cit

* 61 Médias et élections au Sénégal, Institut Panos, NEAS, Dakar, 2002, p. 39

* 62 Op. cit.

* 63 E. KANT, Qu'est-ce que les lumières ? Paris, GF, 1991

* 64C-J BERTRAND : Les fonctions des médias, régime acteurs rôle in Médias : Introduction à la presse, radio et télévision, Ellipses, Paris 1999

* 65 Idem

* 66 L'expression « de responsabilité sociale » est de R. M. HUTCHIN, recteur de l'Université de Chicago en 1942. Il pensait que les médias ne doivent être ni sous contrôle encore moins sous la responsabilité de l'Etat.

* 67 J. C BERTRAND, idem

* 68 Loi du 2 février 1996, loi n°92-16, chp 4, art 15

* 69Idem, art 26

* 70L. HERVOUET, Journalisme et citoyenneté : les jumeaux de la démocratie in le journaliste acteur de société, Cahier ESJ, Lille 1996

* 71 A. LECLERC, L'entreprise de presse et le journaliste, Presse universitaire de Québec, 1991, pp. 6-8

* 72 Cf. F. BALLE et J.-G . PADIOLEAU, Sociologie de l'information : textes fondamentaux, Larousse, Paris 1972, pp. 281-282

* 73 Nom donné à la coalition de l'opposition menée par Abdoulaye WADE lors de l'élection présidentielle de 2000

* 74 J. STOETZEL, Sociologie de l'information: textes fondamentaux, sous dir. de F. BALLE et J.G. PADIOLEAU, Librairie Larousse, Paris 1972, p. 282

* 75 Marie-Soleil FRERE, Presse francophone et démocratie, les mots et les maux de la transition au Bénin et au Niger, édition Karthala, Paris, 2000 p. 413

* 76 Ndiaga LOUM, Pluralisme de l'information et groupes multimédias au Sénégal, thèse de doctorat, Bordeaux III 2001, p.149

* 77 Cité par Judith LAZAR, Sociologie de la communication de masse, Armand Colin, Paris, 1991. MERTON donne l'exemple de la couverture d'une campagne de vaccination pour sensibiliser les populations qui pourrait avoir d'autres conséquences favorables aux professionnels de santé : l'amélioration du prestige de leur travail, une meilleure coopération et une meilleure gestion de la santé publique.

* 78 Ce qualificatif est devenu tellement vendeur que tous les journaux privés le revendiquent comme « label de qualité ». Mais le fait qu'un journal soit privé le classe-t-il automatiquement du côté de la presse indépendante ? N'y a-t-il pas des influences (politiques, religieuses...) qui peuvent altérer cette indépendance ? Walfadjri a longtemps été considéré comme un journal islamiste, aujourd'hui, des journaux comme Le Scoop et Le Messager se disent indépendants alors qu'ils semblent proches du gouvernement.

* 79 La presse indépendante au Sénégal, le culte de la différence, mémoire de DEA sous la dir. de A. VITALIS, Bordeaux III 1996, p. 62

* 80 Institut Panos, Presse francophone d'Afrique ; vers le pluralisme, Karthala, Paris 1991, p.70

* 81 Interview accordée à Ndiaga LOUM, thèse doctorat, Bordeaux III, 2001, p. 414

* 82 Idem, p. 380

* 83 Cf. site Internet Fédération Internationale des Journalistes, « concertation nationale sur la presse sénégalaise », www.ifjafrique.org/francais/etudesdocs/concertationpressenegal.htm

* 84 Terme utilisé par Ndiaga SAMB, Médias et élections au Sénégal, Institut Panos, NEAS, Dakar, 2002

* 85 Idem, p. 393

* 86 M-F. BERNIER, Les conditions de légitimité du journaliste : esquisse d'un modèle théorique, in Le journaliste acteur de société, Cahier du journalisme de l'ESJ de Lille, 1996 p.178

* 87 Serge HALIMI, Les nouveaux chiens de garde, Edition raison d'agir, Paris, 1997

* 88 Loïc HERVOUET, « Journalisme et citoyenneté : les jumeaux de la démocratie », in Le journaliste acteur de société, Lille, 1996, p.52

* 89 A. MERCIER, « Le rôle des journalistes en démocratie », in Communication et médias, la documentation française, Paris 2003, p.67

* 90 A l'occasion d'un discours de rentrée des cours et tribunaux, tenu en 1977. Cf. TUDESQ (1995), p. 62

* 91 Cité par ND. LOUM ( 2001), p. 335

* 92 Institut PANOS, Ne tirez pas sur les médias : éthique et déontologie de l'information en Afrique de l'Ouest, L'Harmattan, Paris, 1996, p. 200

* 93 Cité par Gloria AWAD, Du sensationnalisme, place de l'événementiel dans les journaux de masse, Harmattan, Paris 1995, p.172

* 94 J. M. DIOP, site Internet Médiafrique, www.mediafrique.com

* 95 B. DIOP, « Presse populaire : le revers de la médaille », site Internet Soleil, www.lesoleil.sn

* 96 J. M. DIOP, « Sénégal : sexe, sang et potins à la Une : Les quotidiens de la nouvelle génération », www.panos-ao.org

* 97 A. AGBOTON, « La presse populaire: phénomène ou épiphénomène », in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004

* 98 Cité par B. DIOP, op. cit.

* 99 Cité par B. DIOP, idem

* 100 M. M. FAYE, « Presse populaire sénégalaise : le revers de la médaille- Bidonnage ? », (Dossier publié le samedi 5 janvier 2002) www.lesoleil.sn

* 101 Laurence BARDIN, L'analyse de contenu, Paris, PUF, 2001

* 102 L. BARDIN, op.cit.p. 127

* 103 A.-J. TUDESQ, Feuilles D'Afrique, étude de la presse de l'Afrique Subsaharienne, MSHA, Talence, 1995

* 104 Ordonnances n°59-054, Titre I

* 105 « L'Agence ne peut en aucune circonstance tenir compte d'influence ou de considérations de nature à compromettre l'exactitude ou l'objectivité de l'information, elle ne doit en aucune circonstance passer sous contrôle ...d'un groupement politique, idéologique ou économique ». Ordonnances n°59-054, Titre I, article 2

* 106 Institut PANOS, Médias et élections au Sénégal, NEAS, Dakar, 2002, p.47

* 107 Badara DIOUF, journaliste au Soleil, « Le Sénégal a repris confiance en lui-même », publié le 19 mars 2004, www.lesoleil.sn

* 108 Souleymane SENE, « Balayer devant sa porte », article publié le jeudi 29 juillet 2004 sur le site www.spresse.net

* 109 Cf. Le Soleil du 11 octobre 2001, « Révélations du quotidien Info 7: Plainte du ministère de l'Environnement »

* 110 Moustapha NIASSE est le leader de l'Alliance des Forces du Progrès (AFP). Il fut nommé Premier ministre par WADE avec qui il avait fondé la coalition victorieuse des élections de février et mars 2000

* 111 Secrétaire général du SYNPICS

* 112 Cf. www.lesoleil.sn, « Le Témoin condamné à payer 5 millions à Victor Emmanuel Cabrita »

* 113 « le livre qui secoue le Sénégal », www.afrik.com,

* 114 Aïssatou Kombé NDIAYE, « Abdou L. COULIBALY, un homme décevant », www.lemessager.sn

* 115 Aïssatou Kombé NDIAYE, Abdou L. COULIBALY, « un homme décevant », www.lemessager.sn/

* 116 Les événements que nous allons rapportés ne correspondent pas à la période choisie pour cette étude (2000-2003). Cependant, il est important de les rappeler pour montrer que la course au scoop peut provoquer de graves manquements à l'éthique.

* 117 Ce journal est réputé proche du pouvoir, il est édité par Le Soleil.

* 118 Cf. Le Soleil du 29 décembre 2004, « Procès en diffamation : Aïssata TALL SALL réclame 500 millions au Messager »

* 119 Cf. Le Soleil du 9 février 2005, « Me Aïssata TALL SALL l'emporte sur Le Messager : 6 mois avec sursis et 3 millions à titre de réparation »

* 120 Babacar DIOP, « la presse people : le revers de la médaille », site Internet du Soleil, www.lesoleil.sn

* 121 Babacar DIOP, « la presse people : le revers de la médaille », site Internet du Soleil, www.lesoleil.sn

* 122 Cf. Le Soleil du 2 août 2001, « Image tronquée du Premier ministre à la « une » du Tract : le directeur de publication et son monteur en garde-à- vue »

* 123 Cf. Le Soleil du 21 novembre 2001, « Procès Goumbala THIAM/ Moeurs : 6 mois ferme pour Pape Daouda SOW et Demba SECK »

* 124 Cf. Le Soleil du 29 juin 2001, « Après l'article de Moeurs, Mbaye Jacques DIOP saisit le CRED »

* 125 Cf. Le Soleil du 11 janvier 2002, « Diffamation: Pape Daouda Sow condamné à 6 mois ferme, son journal «Moeurs» suspendu pour 3 mois »

* 126 Cf. Le Soleil du 11 janvier 2002, « Diffamation: Pape Daouda Sow condamné à 6 mois ferme, son journal «Moeurs» suspendu pour 3 mois »

* 127 Cf. Babacacar DIOP, « presse populaire : le revers de la médaille », www.lesoleil.sn

* 128 Cf. article du Soleil 17 août 2002 « Procès en diffamation : Pape Daouda SOW piégé par des lecteurs... ? Il écope encore de 6 mois avec sursis »

* 129Cette redevance était directement versée à la RTS, mais après contestation des patrons de chaînes et moult négociations avec l'Etat, elle est maintenant destinée au Haut conseil de l'audiovisuel (HCA).

* 130 Editorial titré « Leçons de mars », cité par Ndiaga LOUM, Pluralisme de l'information et groupes multimédias au Sénégal, thèse de doctorat, Bordeaux 2001 p.120

* 131 Idem, p.121

* 132 « D'une peur...bleue à plus de liberté », article publié le 3 avril 2002 à l'occasion du deuxième anniversaire de l'alternance, www.lesoleil.sn

* 133 Amadou FALL, idem

* 134« La presse sénégalaise, trois ans après l'avènement de l'alternance politique» in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, pp. 23-31

* 135 Idem, p. 29

* 136 Institut PANOS, Ne tirez pas sur les Medias, Harmattan, Paris 1996, p.176

* 137 Diana SENGHOR, directrice programme Afrique de l'Ouest, Institut PANOS (1996) p.190

* 138 Cité par Bernard Béguin, Journaliste qui t'a fait roi ? Les médias entre droit et liberté, Dijon 1988, p.12

* 139 Cf. Le Soleil 6 décembre 2001, « Le Quotidien de la République : bulletin de la présidence », www.lesoleil.sn

* 140 Francis BALLE, Médias et sociétés, Paris Montchrestien, 1994

* 141 Ce constat s'applique particulièrement à la presse people. A en croire Babacar DIOP du Soleil, dans ce secteur, il arrive que la seule personne ayant reçu une formation soit le rédacteur en chef ou le directeur de publication.

* 142 Cité par Mamadou NDAO, Institut PANOS, Ne tirez pas sur les médias, Harmattan, Paris 1996 p.172

* 143 Idem, p.172

* 144 La convention collective prévoit un certain nombre de conditions pour les sortants des écoles alors que ceux qui se sont formés sur le tas ne bénéficient de ces avantages que deux années après avoir exercé dans un organe de presse. Cf. art. 24 et 27 ; chapitre 8 ; Convention collective CEDEAO/UJAO

* 145 Convention collective CEDEAO/UJAO, chapitre 5, art 19

* 146 Idem, chapitre 8, art 27

* 147 Op. cit. pp. 43-44

* 148 Idem, p. 44

* 149 Cf. Institut PANOS (1996), p. 202

* 150 Site Médiafrique, « trois cents millions ça s'arrose ! », www.médiafrique.com

* 151 Nabo SENE, Sénégal : rupture avec le « griotisme », www.african-geopolitics.org

* 152 Henri PIGEAT, Médias et déontologie : Règles du jeu ou jeu sans règle, PUF, Vendôme, 1997, p.54

* 153 Daniel CORNU, Ethique de l'information, que-sais-je ? PUF, Paris 1997

* 154 Nabo SENE, idem

* 155 Cf. Nabo SENE, idem

* 156 Cf. Institut PANOS, Médias et élections au Sénégal, NEAS, Dakar, 2002

* 157 Nabo SENE, idem

* 158 Selon Babacar TOURE, directeur du groupe Sud, Institut PANOS, Presse francophone d'Afrique : vers le pluralisme, Karthala, Paris 1991, p.110

* 159 Claude-Jean BERTRAND, L'arsenal de la démocratie, Médias, déontologie et MARS, éditions ECONOMICA, Paris 1999

* 160 B. DIOP, « la presse populaire le revers de la médaille », site du Soleil, www.lesoleil.sn

* 161 Op. cit.p. 43

* 162 Cf. site Médiafrique, « 300 millions ça s'arrose ! », www.mediafrique.com

* 163 Selon la loi du 2 février 1996 « l'aide apportée à une entreprise de presse est modulée en fonction du titre, du nombre de professionnels qui y travaillent, du tirage, de la diffusion ainsi que des charges sociales » art 60

* 164 Cf. site Médiafrique, « 300 millions ça s'arrose ! »

* 165 Cité par Babacar DIOP, « Presse populaire, le revers de la médaille », publié le 5 janvier 2002, site Internet, www.lesoleil.sn

* 166 Cité par Babacar DIOP, presse populaire, le revers de la médaille, www.lesoleil.sn

* 167 Babacar Kanté de l'APS note que souvent les articles sont alimentés par des coups de téléphones de particuliers qui veulent faire partie `des gens qui comptent'. « Off, Bulles, A l'index, ces potins aimés et redoutés des Sénégalais. », www.aps.sn

* 168 La fonction du griot a connu une mutation au fil des années. Jadis, il était le dépositaire de l'histoire et de la sagesse, conseillé du roi, il narre ses exploits, revigore ses troupes et participe vaillamment aux combats. Aujourd'hui, il est à la solde du plus offrant, à qui il fait des éloges en échange de ses largesses. Grâce à son arme redoutable que constitue la parole, il peut aussi ternir l'image d'une personne en tenant des propos désobligeants. Certains spécialistes n'ont pas manqué de voir dans le comportement de quelques journalistes une certaine parenté avec ces griots « moulins à parole », « faiseurs de réputation ».

* 169 Cf.Y. DIOUF, Les journalistes corrompus ? in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004,

* 170 Cf. Le Soleil du 27 novembre 2002: « Affaire du million de Mamoune NIASSE : le SYNPICS saisit l'organe de régulation »

* 171 Y. DIOUF, Les journalistes corrompus ? in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, p. 36

* 172 Ce chiffre englobe les radios privées, publiques et les journaux de presse écrite

* 173 Cité par Loïc HERVOUET, ESJ de Lille 1996, p.50

* 174 Selon les journalistes de Sud, le gouvernement avait incontestablement pris sa position en soutenant le patron de la CSS.

* 175 Institut PANOS, Presse francophone d'Afrique : vers le pluralisme, Harmattan, Paris 1991, p.42

* 176Le Soleil du 12 juillet 2004

* 177Site Internet Médiafrique, www.mediafrique.com

* 2 Walfadjri du 12 juillet 2004, cité par l'APS (agence sénégalaise de presse), www.aps.sn

* 178 Site Internet de RSF, www.rsf.fr

* 179 Idem

* 180 Ibidem

* 181 Selon l'art 35 de la loi du 22 février 1996, « le journaliste est tenu au secret professionnel...il ne doit pas divulguer les sources des informations obtenues confidentiellement »

* 182 Site Internet Médiafrique, www.mediafrique.com

* 183 En plus de l'appui de diverses organisations de la société civile, une marche organisée à Dakar par le collectif pour la libération de M. DIAGNE mobilisa près de 2000 personnes. Dans la sous-région, sous l'appel de l'UJAO, un sit-in a été organisé au Mali devant l'ambassade du Sénégal. Sur le plan international, des organisations comme reporters sans frontières (RSF), fédération internationale des journalistes (FIJ) furent les relais de leurs confrères sénégalais.

* 184 Cité par la FIJ, « La FIJ soutient le SYNPICS pour la dépénalisation des délits de presse au Sénégal », www.ifj.org, art publié le 06/12/2004

* 185 Cf. Le Soleil du 26 juin 2001, « le SYNPICS cite nommément Moeurs et Révélations »

* 186 Cité par Babacar DIOP, « Presse populaire, le revers de la médaille », site Internet du Soleil, www.lesoleil.sn

* 187 Idem

* 188 Ibidem

* 189 Cité par J. M. DIOP, « Sexe, sang et potins à la Une : cette presse qui a pris tout le monde de court », Site Internet PANOS, www.panos.

* 190 Les enquêtes de 1987 (juillet) et 1990 (février, mars) ont été effectuées par Sedicop International. L'enquête de 1992 a été faite par Médias Sénégal pour ASA.

* 191 André-Jean TUDESQ, Feuilles d'Afrique : étude de la presse de l'Afrique subsaharienne, MSHA, Talence 1995, p. 81

* 192 Sophie SENGHOR, thèse de doctorat, 1993, p.6

* 193 Boubacar KANTE : « Off, Bulles, à l'index : ces potins aimés et redoutés des Sénégalais », site Internet APS, www.aps.sn

* 194 Les mots mis entre guillemets désignent les rubriques consacrées aux faits divers et affaires de société dans les journaux populaires (Bulles pour Le Témoin, Off pour le Pop, à l'index pour L'Observateur, Xossi pour L'Actuel...)

* 195 B. KANTE, idem

* 196 Ibidem

* 197 Période allant de septembre 2001 à août 2002, cf. Khoudia DIOP, La presse populaire : son contenu et ses lecteurs in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presses de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, p. 59

* 198 Idem, p. 70

* 199 Walfadjri du 18 mars 2004, « Macky SALL l'a annoncé Moeurs et le `sexe d'Allah' interdits de diffusion » www.walf.sn

* 200 Le Soleil du 24 octobre 2001, « Diffusion de fausses photos pornographiques : des maîtres et des élèves coraniques exigent des excuses de Tract », www.lesoleil.sn

* 201 Selon A.-J. TUDESQ l'application de la loi rencontrait quelques limitations dans les colonies, celles-ci ont été levées grâce à un décret daté du 27 septembre 1946. Feuilles d'Afrique, MSHA 1995, p. 50

* 202 Outre la loi du 29 juillet, G. HESSELING note qu'il y avait ; les ordonnances du 31 octobre 1960 portant création et statut de la commission de presse, du statut du journaliste professionnel ; le décret du 13 avril 1961 portant délégation de pouvoir au ministère de l'information...en matière de contrôle de la presse étrangère ; enfin la loi du 25 avril1969 relative au contrôle des matériels de propagande politique d'origine étrangère.

* 203 A l'issue d'un rapport commandité par le ministre de l'information de l'époque (1976), il fut noté une « croissance sauvage de la presse » d'où la mise sur pied d'une loi « pour la contrôler ». Celle-ci fut votée par 44 députés contre 4 à l'issue d'un débat houleux de 10 heures qui a opposé parlementaires de l'opposition (PDS) à ceux plus nombreux du parti au pouvoir (PS) qui étaient favorables. G. HESSELING (1985), pp. 308-309

* 204 Cette charte qui date de 1971 est un des textes internationaux sur les devoirs et les droits des journalistes auxquels se réfèrent plusieurs journaux de pays dits démocratiques pour élaborer un code de déontologie (voir annexe 2 ).

* 205 Loi 96-04 du 2 février 1996, titre II, chapitre I, article 28

* 206 « L'équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie politique de l'entreprise », 4e droit (déclaration des devoirs et droits des journalistes), art 29 (loi de février 1996)

* 207 Titre II, chapitre II, art 32

* 208 Titre II, chapitre II, art 34

* 209 Titre II, chapitre II, art. 33

* 210Selon cet art. «les manoeuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves, à enfreindre les lois du pays, seront punis d'un emprisonnement de trois ans au moins et de cinq ans au plus et d'une amende de 100.000 a 1.500.000 FCFA», Code pénal du Sénégal annoté, EDJA, Dakar 2000, p. 42

* 211Un à trois ans d'emprisonnement sont prévus, code pénal, art 255-257, Selon G. HESSELING (1985), p. 312, un alinéa prévoyant que même une tentative est considérée comme un délit fut ajouté à l'article 255, en 1979.

* 212 Loi n°77-84 ; voir exposé des motifs : « la nouvelle rédaction des articles 57...constitue une mise en garde contre tous ceux qui oseraient entreprendre de démoraliser l'armée »

* 213 Selon G. HESSELING (1985), entre 1977 et 1980 « le champ d'application de ces articles de code pénal fut élargi, les peines devinrent plus lourdes et la possibilité de décider, à titre de peine additionnelle, la publication de la peine dans un ou plusieurs organes de presse fut liée à une astreinte. » p. 312

* 214G. HESSELING (1985), p.313

* 215 Loi n°89-09 portant création de Haut Conseil de l'Audiovisuel (HCA), Exposé des motifs

* 216 Idem

* 217 Idem, art. 7

* 218 C-J BERTRAND : Les fonctions des médias, régime acteurs rôle in Médias : Introduction à la presse, radio et télévision, Ellipses, Paris 1999

* 219 Nabo SENE, Sénégal : rupture avec le griotisme, selon cet auteur, ce chiffre comprend les professionnels de l'information, les pigistes, les stagiaires et personnes sans statut appelés `apprentis' et qui ne sont pas mentionnées dans la convention collective.

* 220Site Internet Sénégal Portal, www.senportal.com

* 221 Idem

* 222 Nabo SENE, Sénégal : rupture avec le griotisme, op.cit

* 223 Entretiens effectués de manière informelle tout le long de l'année 2004 -2005

* 224 Cité par Kankoué NOUWODJRO, Ethique et déontologie : la presse universitaire francophone à l'école sénégalaise, site Internet AUF, www.refer.sn

* 225 Institut PANOS, Ne tirez pas sur les médias : éthique et déontologie de l'information en Afrique occidentale, Harmattan, Paris, 1996, p. 203

* 226 Idem, p.205

* 227 Idem, p.204

* 228 Le Soleil du 21 avril 2001 « Diffamation : Walfadjri se sépare de son correspondant à Louga »

* 229 L'incarcération de ce journaliste a provoqué un élan de solidarité du peuple. A en croire les organisateurs environ 2000 personnes ont battu le pavé pour réclamer sa libération le 12 juillet 2004

* 230 Cité par ND. LOUM ( Bordeaux 2001), p. 414

* 231 Site Internet FIJ www.fij.fr, « les journalistes sénégalais engagent le dialogue avec le ministère de la justice »

* 232 Site Internet du Soleil, www.lesoleil.sn, « Atelier sur la dépénalisation des délits de presse : Protéger la liberté et défendre l'éthique ».

* 233 Idem

* 234 L'expression est de A. SALL, « conditions de travail dans les mass média et qualité in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? » Presse de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, p.147 

* 235 Cf. Mamadou NDAO qui avait effectué une enquête sur les dérives des journalistes entre1990 et 1995, PANOS (1996)

* 236 Nom du Khalife général des mourides(une des plus grandes confréries islamiques au Sénégal)

* 237 Sud Quotidien du 21 avril 1998

* 238 Dans son article intitulé : La régulation de l'audiovisuel au Sénégal : contours de la mission, moyens et perspectives in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, p. 132

* 239 Article L.58 dudit code

* 240 Site Internet reporters sans frontières, www.rsf.fr

* 241 Dans un article paru en octobre 2004, le journaliste faisait état de la possession du ministre d'une villa à Montréal

* 242 Site Internet Sénégal Portal, www.senportal.com

* 243 Lors de son `procès', le directeur de publication du Quotidien a dénoncé « une prise de position publique » d'un de ses confrères membre du CRED avant le jugement.

* 244 D. CORNU, éthique de l'information, Que-sais-je ? PUF, Paris, 1997, p.71

* 245Voir ses ouvrages, La déontologie des médias, Que sais-je? Paris PUF, 1999 ; L'arsenal de la démocratie : médias, déontologie et M*A*R*S, Economica, Paris, 1999

* 246 C-J. BERTRAND L'arsenal de la démocratie : médias, déontologie et M*A*R*S, Economica, Paris, 1999, p. 81

* 247 Cf. Le Soleil du 7 septembre 2002, « 5e congrès de l'UJAO : les expériences de régulation des médias à la loupe »

* 248 Cf. André-Jean TUDESQ, L'espoir et l'illusion : actions positives et effets pervers des médias en Afrique subsaharienne, MSHA, Talence 1998, p.68

* 249 Cf. « Médias et élections au Sénégal », NEAS, Dakar, 2002

* 250 Expression utilisée par Alpha SALL, secrétaire général du SYNPICS, Site Internet Médiafrique, www.mediafrique.com

* 251 Henri PIGEAT, Médias et déontologie : règles du jeu ou jeu sans règle, PUF, Vendôme, 1997

* 252 Cf. Henri PIGEAT, op.cit, p. 4

* 253 Le texte intégral est disponible sur le site Internet de PANOS, www.panos.sn/lois/senegal.htm.






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