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Stimulants matériels, catégories marchandes et transition au socialisme à  Cuba: 1959-2009

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par Jérôme Leleu
Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine UP3 - Etudes latino américaines, spécialité économie 2010
  

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d?abord à remercier Janette Habel pour m?avoir suivi au cours de mes recherches et m?avoir apporté les nombreuses connaissances qu?elle a de Cuba. Carlos Quenan m?a également beaucoup aidé tant sur le fond du mémoire que sur les conditions de ma recherche, en particulier pour mon séjour à Cuba.

J?adresse une pensée à tous les cubains que j?ai rencontré lors de ce séjour. Qu?ils soient économistes ou non, ils m?ont éclairé sur Cuba et ses spécificités. Je tiens à remercier également Joviale et Géraldine Babangui pour la relecture du texte et les améliorations orthographiques et syntaxiques qu?elles m?ont proposé.

INTRODUCTION

La motivation des travailleurs a toujours été un enjeu important dans les économies planifiées. Cette motivation est liée à l?efficience des entreprises et donc à la croissance des forces productives du pays en question. Les économies que l?on nomme planifiées se déclarent en transition du capitalisme au socialisme ou parfois comme des pays où le socialisme serait déjà atteint. L?exploitation de l?Homme par l?Homme dont le capitalisme forme de nos jours le système de relations sociales, serait ou était en voie de déconstruction dans ces pays qui doivent ou devait construire de nouveau type de rapports sociaux donc de rapport de production qui émergeraient au sein de la société communiste.

La société communiste selon Marx devait émerger suite à une période de transition, le socialisme. La société capitaliste rentrerait dans une phase de contradiction au niveau de ses rapports de production, et le prolétariat, seule classe révolutionnaire de la société, prendrait le pouvoir pour fonder la nouvelle société et se débarrasser des rapports d?exploitation. Durant l?étape de transition, le prolétariat s?érigera donc en classe dominante (étape de la dictature du prolétariat) jusqu?à ce que l?abolition des classes sociales soit réellement effective. L?Etat deviendrait inutile. La société communiste où régnerait l?abondance verrait enfin le jour1.

Pour atteindre ce règne de l?abondance, un développement économique important est nécessaire. Le capitalisme a permis à l?humanité de faire des progrès exceptionnels et d?accroître les forces productives à une vitesse jamais vu auparavant. Ce que nous pouvons percevoir depuis la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle jusqu?à aujourd?hui. Pour Marx les contradictions du capitalisme et la prise du pouvoir du prolétariat ne pouvaient se produire que dans des sociétés capitalistes développées c'est-à-dire avec une capacité industrielle forte et des secteurs de l?économie fortement interdépendants entre eux. La phase inférieure du communisme, le socialisme, se caractériserait par la prise du pouvoir par le prolétariat et par la socialisation des moyens de production. La production serait alors guidée de manière consciente par la société afin de répondre au besoin de la société.

1 Cf. MARX, Karl, Manifeste du parti communiste, Librio, Paris, 1998.

La première révolution prolétarienne se produisit en Russie en 1917. Sans revenir sur les conditions de la révolution, celle-ci eut lieu dans un pays faiblement industrialisé, arriéré économiquement dont 80% de la population vivait en zone rurale. Le prolétariat était fort peu développé. Aussi la dictature du prolétariat qui allait se mettre en place avait pour tâche de réaliser ce que le capitalisme n?avait pas encore effectué c'est-à-dire développer économiquement le pays tant au niveau industriel qu?agricole. Le faible développement des forces productives et donc la faible interdépendance des différents pans de l?économie ne permettaient pas une planification orientée directement vers les besoins de la société calculée à partir du temps de travail socialement nécessaire comme le préconisait F. Engels.

Le socialisme n?était donc pas directement atteint suite à la révolution et une phase de transition du capitalisme au socialisme s?avérait nécessaire. Déjà Marx insistait sur le fait que certaines tares du capitalisme subsisteraient durant le socialisme2. On peut donc en convenir que durant la phase de transition vers le socialisme, il en sera de même. Dans les faits nous voyons que dans tous les pays qui se sont proclamés en transition vers le socialisme, l?existence de mécanismes économiques propres au capitalisme a toujours, selon les cas, perduré.

C?est le cas par exemple du salaire et plus flagrant encore du salaire aux pièces et de ce qui a été appelé dans la littérature traitant de l?économie de transition, des stimulants matériels. Au sein des stimulants matériels, nous pouvons regrouper essentiellement tout ce qui a un caractère de prime ainsi que les paiements à la tâche qui visent à accroître l?effort du travailleur dans le but d?une augmentation de la productivité du travail, source d?une augmentation de la production et de ce fait, des forces productives.

La révolution cubaine de 1959, affirmera son caractère socialiste à partir de 1961. Il s?ensuivra au cours des années 1960 de nombreux débats sur l?étape de transition du capitalisme au socialisme. Il y était question du degré de planification de l?économie, de l?utilisation de la loi de la valeur et des catégories marchandes ainsi que de l?importance des stimulants matériels pour accroître l?effort de travail. Comme la révolution russe et la révolution chinoise par exemple, la révolution cubaine se produisit dans un pays relativement

2 MARX, Karl, Critique du programme de Gotha, Spartacus, Paris, 1968.

arriéré économiquement, soumis au colonialisme espagnol jusqu?en 1898 et à l?impérialisme des Etats-Unis juste par la suite.

Si nous pouvons réellement analyser Cuba comme un pays en transition vers le socialisme, le caractère de ces forces productives au moment de la révolution, nécessite forcément une transition relativement longue dans le temps. Cuba, depuis la révolution jusqu?à aujourd?hui, n?a jamais trouvé la solution adéquate quant à la rémunération des travailleurs. Nous pouvons distinguer différentes périodes. Certaines, où les stimulants matériels sont jugés nécessaires ainsi qu?une rémunération basée sur le principe « à chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail », c'est-à-dire basée sur le travail effectivement réalisé énoncé par Marx dans La critique du programme de Gotha. D?autres, où au contraire les stimulants matériels sont jugés néfastes pour la conscience des travailleurs car ils font naître l?égoïsme, l?individualisme et favoriseraient le retour du capitalisme.

Plusieurs analyses, sous formes d?articles ont traité de la question des stimulants matériels à Cuba. Ils reprenaient souvent le débat sur la question qui eut lieu à Cuba dans les années 1963-1965, entre les partisans des stimulants moraux comme Ernesto Guevara et ceux d?une plus grande importance des stimulants matériels tel Carlos Rafael Rodriguez et Alberto Mora. Les premières études détaillées furent celle de Carmelo Mesa Lago en 19713 et de Terry Karl en 19754. De nombreux articles furent écris à Cuba également durant les années 1980 principalement dans la revue « economía y desarrollo ». La dernière étude détaillée sur l?utilisation des stimulants matériels ft celle d?Andrew Zimbalist en 19895.

Ces trois études principales nous donnent beaucoup de renseignements sur l?application et les tâtonnements au niveau de la politique des stimulants matériels à Cuba pendant les trente première années du processus révolutionnaire. En revanche, elles ne s?inscrivent pas dans une analyse marxiste de la période de transition à Cuba et ne questionnent point l?utilisation des stimulants matériels durant la phase de transition vers le socialisme. Bien

3 MESA LAGO, Carmelo, «ideological, political and economic factors in the Cuban controversy on material versus moral incentives», Journal of interramerican Studies and World affairs, Vol. 14, N°1, 1972, pp 49-111.

4 KARL, Terry, « Work incentives en Cuba », Latin American Perspectives, Vol. 2, No.4, pp. 21-41.

5 ZIMBALIST, Andrew « Incentives and planning en Cuba », Latin American Research Review, Vol. 24, No.1 (1989), pp. 65-93.

qu?elles puissent nous aider à comprendre les tendances prisent par les dirigeants cubains, elles ne nous orientent pas sur ce qui serait possible d?être ou devrait être en rapport avec le développement économique et politique de Cuba depuis la révolution.

Bien sûr, il existe des analyses sur le rôle de la loi de la valeur dans la transition du capitalisme au socialisme. Nous pouvons nous référer à Marx et Engels en premier lieu, bien qu?ils n?aient pas voulu faire de projection précise sur ce que pourrait être réellement une société socialiste et communiste. Les analyses plus approfondies sur la transition du capitalisme au socialisme ont émergé suite aux diverses révolutions qui éclatèrent durant le XXe siècle. Lénine écrivit des choses sur cette question avant sa mort. Egalement, Eugène Préobajensky, dans « La nouvelle économique »6 analyse le rôle de la loi de la valeur en URSS au cours d?une période spécifique, celle de la NEP. La littérature relative à l?efficacité des entreprises et les stimulants matériels fleurit à partir des années 1950-1960 en Union soviétique et dans les pays d?Europe de l?Est à un moment où de nombreuses réformes seront engagées donnant plus de place au profit, comme stimulant des entreprises.

D?autres auteurs, c?est le cas par exemple de Charles Bettelheim et Ernest Mandel qui ont participé au débat cubain des années 1960, ont travaillé sur l?étape de transition du capitalisme au socialisme et se sont particulièrement interrogés sur la fonction de la loi de la valeur et les stimulants matériels. Bien sûr, Ernesto Guevara, par ses écrits du début de la révolution cubaine a fondé sa pensée sur ce cas également, bien qu?elle ne soit pas aboutie du fait de sa mort prématurée en Bolivie en 1967.

Cette étude a débuté il y a plus d?un an. Les recherches ont été effectuées à travers une analyse théorique et pratique par l?entremise d?ouvrages et d?articles, d?auteurs cubains, américains et français notamment. Un séjour à Cuba m?a permis également de recueillir des informations difficilement trouvables en France, de m?entretenir avec quelques travailleurs ainsi qu?avec des économistes et d?être confronté partiellement à la réalité cubaine.

6 PREOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle économique, EDI, Paris, 1966.

L?intérêt aujourd?hui d?analyser les stimulants matériels à Cuba est double. Tout d?abord aucune étude conséquente sur ce sujet n?a vu le jour depuis la crise économique qu?à connu Cuba au début des années 1990 suite à la désintégration de l?URSS et le passage à l?économie de marché de celle-ci et des pays d?Europe de l?Est, ce qui à ruiner le commerce extérieur de l?île. Cette crise a entraîné de profondes réformes nécessaires à Cuba et a modifiée dans une certaine mesure le rôle des catégories marchandes. A côté de ceci, la problématique des stimulants matériels et d?une « bonne » rémunération du travail est toujours au centre des discours politiques et des préoccupations, et ceux-ci ont connu quelques modifications depuis les années 1990. Il est donc intéressant de faire ressortir ces changements en les mettant en relation avec la politique appliquée à cet égard depuis la révolution.

Deuxièmement, Les stimulants matériels ne peuvent être analysés de façon isolés sans mettre en perspective l?importance et le rôle de la loi de la valeur dans une économie en transition vers le socialisme. En effet, la forme et l?existence méme des stimulants matériels sont liées par la forme d?organisation des entreprises, le rôle du profit dans l?économie... Par ceci, nous pensons qu?il est important de s?interroger sur les périodes qui caractérisent les différentes applications des stimulants matériels à Cuba. Quels sont les raisons théoriques, économiques et politiques qui ont conduit à ces changements d?attitudes et ces retournements. Comment pouvons-nous les interpréter dans le cadre de la théorie de la transition ? Nous en analyserons bien sûr les conséquences et il sera important d?essayer de prendre en considération ces aspects en rapport avec la théorie marxiste de l?étape de transition du capitalisme au socialisme. Il faudra également comprendre le problème de l?incitation matérielle et de la rémunération en générale et les raisons de sa non résolution.

La première partie de ce mémoire se voudra en premier chef théorique. A la question suivante nous essayerons de répondre : Quelles sont les causes qui rendent nécessaire voir inévitables l?utilisation des stimulants matériels et des catégories marchandes durant la phase de transition vers le socialisme ? Un retour vers Marx s?avèrera judicieux en ce qui concerne la rémunération du travail sous le capitalisme et sous le socialisme. Ensuite nous nous interrogerons sur le maintien de la loi de la valeur et des catégories marchandes pendant la transition et sur leur éventuel nécessité en les mettant en lien avec la stimulation matérielle. Une analyse de la praxis dans deux pays, L?URSS et la Chine permettra d?aborder la

compréhension du sujet et de donner des éléments de comparaison avec le cas cubain qui sera étudié par la suite. À la fin de cette partie nous commencerons à analyser le cas cubain au niveau théorique. En premier lieu, nous justifierons le fait d?analyser Cuba à travers une théorie de la transition au socialisme. Enfin, il est important de revenir sur le Grand Débat Economique, comme le nommait Mandel, qui eut lieu à Cuba dans les années 1960.

La deuxième partie de l?étude sera consacrée à l?analyse de l?utilisation des stimulants matériels à Cuba depuis la révolution de 1959. Elle mettra en lumière également le rôle de la loi de la valeur et des catégories marchandes ainsi que le degré de planification et d?autonomie des entreprises. Nous verrons que l?on peut découper en 5 périodes, l?attitude prise à Cuba vis-à-vis de l?incitation matérielle. Nous tenterons par là de répondre à la problématique posée en faisant ressortir les différentes formes de stimulation matérielle appliquée à Cuba depuis plus de 50 ans et de comprendre les causes internes et externes aux changements survenus au cours de l?histoire du Cuba révolutionnaire, ainsi que d?analyser les raisons qui font que les stimulants matériels et une juste rémunération du travail reste des problèmes non résolus aujourd?hui.

I) La rémunération du travail et sa stimulation dans l'étape de

transition du capitalisme au socialisme

Afin de mieux aborder et de mieux comprendre le problème de la stimulation au travail au cours de l?étape de transition, il est important de reprendre l?analyse de Marx en ce qui concerne la rémunération du travail sous le capitalisme et de ses conjectures quant à ce quelle serait durant l?étape de transition.

Il est primordial de préciser que pour Marx, l?étape de transition vers le communisme, qu?il appelle « stade inférieur du communisme » est un État socialiste déjà réalisé. Or, dans la praxis suite aux révolutions prolétariennes ou prétendu comme telles, une autre phase de transition s?est avérée nécessaire, celle justement qui doit mener au socialisme, à savoir au moment où les rapports socialistes de production sont effectifs, c'est-à-dire que les moyens de production sont entièrement socialisés.

Cette étape de transition du capitalisme au socialisme, Marx ne l?avait peut être pas pressenti ou la voyait-il réduite dans le temps car il prévoyait l?essor de la révolution prolétarienne dans des pays très industrialisées (l?Angleterre à son époque) où justement une socialisation s?opère déjà à travers les sociétés par actions. Or, au sein de sociétés arriérées économiquement que des révolutions se sont produites. Un État prolétarien surgit et doit construire avant tout le socialisme. Des contradictions vont avoir lieu au sein de cette société étant donné que le marché n?a pas fini son travail alors même que la planification économique s?impose.

Au niveau de la praxis, notamment à travers l?exemple de l?URSS, puis des pays d?Europe de l?Est, de la Chine et de Cuba, de nombreux débats théoriques prendront forme afin d?essayer de construire une théorie de l?étape de transition. Ils feront référence à l?existence du marché et des catégories marchandes au cours de celle-ci. Qui dit catégories marchandes dit stimulants matériels également. Par suite de ses esquisses théoriques s?inspirant de la pensée marxiste sont apparus des matériaux. Ceux-ci s?avèrent essentiels dans l?analyse des phénomènes pratiques.

A titre de comparaison et également pour étayer la théorie, il nous est nécessaire d?analyser les tendances prisent dans certaines économies planifiées. En effet, cela permettra de mieux appréhender le cas cubain. Nous prendrons pour l?étude, l?expérience de l?URSS (dont on ne pourra être totalement exhaustif) et celui de la Chine avant le grand tournant économique de 1978.

Ensuite, la révolution cubaine devra être reprise et analysée dans ces racines fondamentales. Il s?agira d?en expliquer les raisons sociales. Nous essaierons par là de comprendre les motivations de l?engagement de Cuba dans la voie du socialisme. L?enjeu est de révéler la pertinence ou non d?une analyse de Cuba comme société en transition et/ou en tant qu?économie planifiées.

Avant d?enchaîner sur la deuxième partie et afin de prolonger le raisonnement précédent, ce qui servira de « transition » entre les deux parties, un retour sur le grand débat économique

du début des années 1960 à Cuba sera repris et expliqué à travers les idées de Guevara et d?autres protagonistes et mis en relation avec les points théoriques développés plus haut.

A/ L'approche de Marx

Karl Marx a essentiellement étudié le capitalisme sous. Et si son raisonnement l?amenait à conclure qu?une révolution prolétarienne était nécessaire mais surtout inévitable, il n?a pas, tout comme son compagnon de route Friedrich Engels, tenter de définir la société socialiste et communiste c'est-à-dire de l?idéaliser. Mais, nous pouvons trouver certaines pistes chez ces deux auteurs et particulièrement en ce qui concerne la rémunération du travail, par exemple dans « la critique du programme de Gotha » de Marx.

1) Rém

Avant de rentrer spécifiquement dans l?analyse sur la rémunération du travail sous le capitalisme, il faut revenir sur des notions de base de Marx qui permettent de mieux comprendre et de resituer la notion même de travail.

a) Valeur du travail et plus value

Dans le salariat, forme d?exploitation de l?homme par l?homme du système capitaliste, l?ouvrier ne vend pas directement son travail mais sa force de travail dont il cède au capitaliste la disposition momentanée. Si l?ouvrier pouvait la vendre pour un temps indéfini, on pourrait dire que l?esclavage serait rétabli.

Le travailleur salarié croit qu?il est payé (valeur de la force de travail) pour le travail réalisé. En apparence, le prix de la force de travail (salaire) est égal au prix du travail. Selon Marx, cette fausse apparence distingue le travail salarié des autres formes historiques du travail. Pour l?esclavage, l?apparence est que le travail est totalement non payé alors qu?une

partie l?est pour l?entretien de l?esclave. Au niveau du servage, le travail payé et non payé est volontairement séparé dans le temps et l?espace.

La force de travail est définie par Marx comme :

« L'ensemble des facultés physiques et intellectuelles qui existent dans le corps d'un homme, dans sa personnalité vivante, et qu'il doit mettre en mouvement pour produire des choses utiles »7.

Dans le salariat, la force de travail est considérée comme une marchandise comme les autres, le propriétaire de celle-ci étant libre de la mettre à disposition du capitaliste, l?ouvrier n?ayant que cette marchandise à vendre. En achetant la force de travail, le capitaliste a acquis le droit de la consommer comme marchandise.

La valeur de la force de travail va être en partie déterminée par la valeur des objets de première nécessité, indispensables pour produire, développer, conserver et perpétuer la force de travail. C?est ce que Marx appelle « les frais de production de la force de travail ellemême », c'est-à-dire ceux qui vont permettre l?existence de la classe ouvrière et sa reproduction.

On a vu que le capitaliste va acheter le droit de consommer la force de travail de l?ouvrier. C?est là que Marx va démontrer que le capitaliste va tirer son profit en faisant travailler la force de travail plus longtemps que ce qui lui faut pour reproduire sa valeur. Une partie de la durée du temps de travail ou du travail réalisé va etre payé au salarié, c?est ce qu?on appelle le travail nécessaire, mais une partie sera non payé, c?est le surtravail. C?est sur cette partie non payée que le capitaliste va tirer la plus-value ou surproduit, c'est-à-dire son profit.

L?employeur capitaliste extrait directement de l?ouvrier cette plus-value :

7 MARX, Karl. (2008), Le Capital livre I, Paris, Folio, 2008.

« C'est par conséquent de ce rapport entre l'employeur capitaliste et l'ouvrier salarié que dépend tout le système du salariat et tout le système de production actuel »8.

De cette démonstration, Marx élabore le taux de profit. Celui-ci peut être calculé de différentes manières (en incluant les frais de matières premières...) mais le capitaliste réalisant son profit seulement sur la force de travail, le taux de profit qui montre le degré véritable de l?exploitation est :

a) Capital déboursé en salaires x 100.
Plus-value produite

Si les salaires augmentent le taux de profit va diminuer et vice versa.

Outre le salaire nominal et le salaire réel, Marx fait ressortir le salaire relatif. Celui-ci va montrer la différence sociale qui sépare l?ouvrier du capitaliste. Par exemple, si le salaire réel augmente de 5%, mais si par contre le profit du capitaliste augmente dans le même temps de 10%, le salaire relatif va diminuer car le capitaliste va améliorer sa situation par rapport à l?ouvrier. Lorsque le capital s?accroît rapidement, le salaire peut augmenter mais le profit s?accentuera plus vite. La situation matérielle de l?ouvrier s?est améliorée, mais au dépens de sa situation sociale (par rapport au capitaliste).

8 MARX, Karl, Salaire, Prix, Profit, Pékin, Editions en langues étrangères, 1996.

b) Salaire au temps et salaire aux pièces

Le salaire au temps

Le prix du travail dans cette forme de salaire est égal selon Marx à :

b) Valeur journalière de la force de travail
Horaire journalier

L?ouvrier est donc ici payé selon le temps du travail effectué et non sur la quantité de travail fourni. La répartition entre travail payé et non payé se joue ici en heures payées pour la reproduction de la force de travail (suivant le prix des moyens de subsistance nécessaire à la reproduction de la classe ouvrière) et heures non payées, de surtravail desquelles le capitaliste va tirer la plus-value.

Le salaire aux pièces

« Le salaire aux pièces n'est qu'une transformation du salaire au temps, de même que celui-ci n'est qu'une transformation de la valeur ou du prix de la force de travail »9.

En ce qui concerne le salaire aux pièces, on paye en apparence à l?ouvrier non pas la valeur de sa force mais la valeur travail déjà réalisé dans le produit. Le prix du travail ici ne va pas correspondre au nombre d?heures de travail données comme pour le salaire au temps mais il va provenir de la capacité d?exécution de la production, bien sûr en apparence.

Mais les différentes formes de paiement ne modifient pas la nature du salaire, même si l?une ou l?autre peuvent être plus favorable au développement de la production capitaliste. Avec le salaire aux pièces, le capitaliste va tout de même tirer la plus value de la force de

9 MARX, Karl, Le capital : livre 1, Op.cit.

travail de l?ouvrier. La moitié des pièces sera payée et l?autre non, ou chacune sera payée en dessous de sa valeur. Le prix du temps de travail reste déterminé par l?équation a), le salaire aux pièces n?étant qu?une forme modifiée du salaire au temps.

Ce type de salaire permet au capitaliste de passer un contrat de tant par pièces avec l?ouvrier principal, celui-ci se chargeant pour le prix établit d?embaucher lui-même ses aides et de les payer. Et à Marx d?ajouter :

« L'exploitation des travailleurs par le capital se réalise ici au moyen de l'exploitation du travailleur par le travailleur ».

Donc l?ouvrier va tendre au maximum sa force physique (par la prolongation du temps de travail surtout) afin d?élever son gain, le capitaliste quant à lui, pourra élever facilement le degré d?intensité du travail. Le salaire aux pièces va générer des retenues fréquentes sur les gains des ouvriers et leur faire perdre du temps par des exigences de qualité...

« Le salaire aux pièces est la forme du salaire la plus appropriée au mode de production capitaliste»11.

Le salaire aux pièces et de surcroît également, les primes au rendement (une forme de stimulants matériels) qui font qu?une partie du revenu du travailleur est payée en fonction du travail accompli sont caractéristiques du mode de distribution capitaliste. On comprend ici le fort intérét qu?il leur est donné lors de l?étape de transition du capitalisme au socialisme.

10 Idem

11 Idem

2) Les suggestions de Marx pour la rémunération dans l'étape de transition au communism

a) La persistance de rapports de distribution inégaux

Dans l?étape de transition du capitalisme au socialisme, la répartition des revenus se fera d?après Marx selon le principe « a chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail »12, car la société qui est en construction (communiste) ne se développe pas sur une base qui lui soit propre, mais au contraire elle émerge sur les racines du capitalisme, elle en porte encore les stigmates, moraux, économiques, intellectuels. De cette base Marx conclut :

« Le producteur (salarié) reçoit donc individuellement - les défalcations une fois faites13 - l'équivalent exact de ce qu'il a donné à la société Ce qu'il lui a donné c'est son quantum individuel de travail14 ».

Par conséquent, le droit, qui reste donc un droit, est forcément inégal.

« Il ne reconnait pas de distinctions de classes, parce que tout homme n'est qu'un travailleur comme un autre ; mais il reconnait tacitement l'inégalité des dons individuels et, par suite, des capacités productives comme des privilèges naturelles ».

Le droit ne peut jamais etre à un niveau plus élevé que l?état des forces productives et du degré de civilisation sociale qui y correspond.

Marx, comme l?a souligné Charles Bettelheim15 n?avait pas perçu la transition vers le socialisme comme un processus long, peut être car il pensait que la révolution prolétarienne

12 MARX, Karl, Critique du programme de Gotha, Op.cit.

13 Par défalcations, Marx entend la partie du surproduit qui servira à accroître le développement de la production, la réparation des machines usagées, les frais administratifs, la construction et entretien des services sociaux.

14 Idem.

15 BETTELHEIM, Charles, La transition vers l'économie socialiste, Maspero, Paris, 1968.

devrait se produire dans des pays très industrialisés avec un degré important de socialisation de la production. En effet, celui-ci préconisait que sous le socialisme (période de transition vers le communisme) les travailleurs seraient payés en bons de travail, selon le quantum de travail individuel réalisé. La monnaie ou le salaire à proprement parler aurait disparu.

Nous comprenons bien ici ce que Marx a voulu dire, méme s?il peut être interprété différemment. Dans la société en transition vers le socialisme, il faut payer le travailleur selon son quantum de travail réalisé, c'est-à-dire qu?il faut le payer aux pièces, là ou cela est possible bien sûr. Si un ouvrier peut produire dix pneus dans la journée et un autre quinze, le travail est le méme (simple ou complexe) mais l?un à la capacité de produire plus que l?autre. Voila peut être l?interprétation la plus extreme. Une autre approche que l?on peut faire est simplement qu?il faut rémunérer différemment les travailleurs selon la complexité de leur travail. Un travail complexe apporte plus à la société qu?un travail simple. Cette transcription verra par exemple la formation d?échelles de salaires basées sur la qualification du travailleur au sein des économies en transition.

b) Le salaire aux pièces sous le socialisme

Une donnée importante, et qui ne fait pas de doute, c?est que Marx ne conçoit pas de la méme façon le salaire aux pièces tel qu?il est dans la société capitaliste, et la forme qu?il aura dans la société de transition, le stade inférieur du communisme, le socialisme. Pour Marx, le salaire aux pièces est la forme de rémunération la plus appropriée du système capitaliste, il permet de mettre beaucoup plus de pression sur les travailleurs, d?allonger la durée du travail, et à pour conséquence une consommation plus intensive de la force de travail par le capitaliste, et de plus, il accentue la concurrence entre les travailleurs eux-mêmes (ouvriers contre ouvriers, ouvriers et contremaitre...).

Dans la société socialiste, ces différents éléments d?exploitation disparaissent-ils lorsque le salaire aux pièces ou des incitations matérielles (primes...) sont appliquées ? On peut penser que oui, tout d?abord si les ouvriers ont quelques pouvoirs de décision dans l?entreprise, ensuite car le socialisme n?est pas instauré pour maintenir ou aggraver la

condition ouvrière. De plus, et c?est le plus important, la plus value (retirée) de l?emploi de la force de travail, ou surproduit, n?ira pas dans la société en transition, dans les poches d?un capitaliste privé ou d?un groupe restreint d?actionnaire, mais sera, théoriquement, employée par l?Etat ouvrier, au développement des forces productives (accumulation) et à l?amélioration sociale de la société (les dites défalcations) en vue de l?édification du communisme.

Mais le salaire aux pièces et les stimulants matériels, vont être appliqués dans la société en transition pour répondre à un impératif de production et de productivité. Dans la société en transition et on en revient à Marx, la classe ouvrière n?a pas encore la conscience moral qui lui permettrait de produire suffisamment et sérieusement étant entrainée par l?émulation socialiste. Les tares du capitalisme sont toujours présentes et le gain matériel va fournir encore pendant un certain temps la stimulation au travail la plus efficiente.

Bien sûr, au fur et à mesure que les forces productives se développent en même temps que la conscience socialiste, les stimulants matériels devront tendre à disparaître ainsi que tous les rapports marchands issus du capitalisme. C?est ainsi que la problématique des stimulants matériels est liée au problème d?ensemble de la plus ou moins grande persistance des éléments marchands au sein de la société en transition (quelle place pour la propriété privé ?) et de l?utilisation de la loi de la valeur au sein du secteur socialiste (c'est-à-dire du secteur nationalisé).

B/ Problème fondamental : utilisation de la loi de la valeur durant la période de transition, contradiction plan-marché, degré de centralisation, incitation matérielle. Analyse théorique.

Aucune révolution prolétarienne ne s?est produite pour le moment dans un pays développé. Donc, nous ne pouvons pas dire grand-chose en ce qui concerne le passage du capitalisme au socialisme dans ce type de société, et cela n?aurait pas réellement d?importance ici. Il est clair que la période de transition aurait de fortes chances d?être réduite au vu de l?importance du développement de l?industrie et des forces productives en général.

Dans une économie arriérée, où les forces sociales entrent en conflit pour déboucher sur une révolution prolétarienne, la nationalisation d?une partie des moyens de production va s?avérer nécessaire sous l?égide de l?Etat ouvrier, mais celle-ci ne pourra être complète étant donné divers facteurs comme l?état des forces productives (majorité de petites exploitations paysannes dans l?agriculture...), la conscience des masses, mais ce sera le rôle de la planification d?activer le processus qui permettra le développement optimal de ces deux variables.

Cette question, l?existence des catégories marchandes et de la loi de la valeur capitaliste durant la période de transition vers le socialisme suscita de nombreux débats et d?approches théoriques pendant le vingtième siècle au gré des expériences de certains pays dans ce domaine.

1) Rapports de production et forces productives

a) La loi de correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives

Toutes les révolutions prolétariennes ou qui se sont proclamées comme telles, ont eu lieu dans des pays arriérés au niveau économique avec un niveau des forces productives faibles et dès lors une faible socialisation de son industrie. Sans rentrer dans les détails des exemples qui seront analysés par la suite, les pays en question ont souvent été trop vite au début de la prise de pouvoir, au niveau des nationalisations par exemple, mais ils y ont été partiellement contraints.

« (...) D'une façon générale, il se peut que le degré de développement social des forces productives de telle ou telle industrie, ou de telle ou telle entreprise industrielle, ne « justifie » pas, du point de vue de l'efficience économique immédiate, sa nationalisation, mais que celle-

ci soit parfaitement justifiée du point de vue du renforcement de la dictature du prolétariat, lorsque celle-ci exige que soit brisée la base économique du pouvoir des classes hostiles16 ».

La loi de correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives auraient été exprimée par Staline quand il analysait l?économie de l?URSS17. Celle-ci fut reprise par Bettelheim dans son livre déjà cité.

La loi de la valeur a continué et continue de régir en partie la vie économique des économies planifiées, peut être car Marx et Engels prévoyaient la révolution prolétarienne dans une économie fortement industrialisée et donc où les forces productives ont atteint un niveau élevé. Elle va la régir même sur plusieurs aspects car au sein des économies planifiées il a toujours existé plusieurs formes de propriété, les moyens de production n?ayant jamais été entièrement nationalisés, du fait justement du faible développement des forces productives sur certaines exploitations agricoles par exemple. On peut donc trouver au sein de ces économies (en plus ou moins grande importance), des propriétaires privés de petites exploitations, des coopératives et ensuite le secteur complètement nationalisé.

Et la première question est de savoir qu?elle place laisser à la production privée et par là à une certaine frange de la bourgeoisie et à la petite production paysanne. L?important étant en prime abord d?allier le pouvoir prolétarien à la paysannerie et si nationalisation ou collectivisation il y a, de ne pas entraver la bonne marche du développement des forces productives. Celui-ci constituant un préalable à la construction du socialisme.

Mais même au sein du secteur nationalisé, la loi de la valeur va continuer à déterminer certains mécanismes. Nationalisation et socialisation sont deux choses différentes. Comme le notait Lénine, la socialisation implique la capacité effective de la société à comptabiliser et à répartir la production au sein de la population (donc de pouvoir calculer en temps de travail socialement nécessaire). La socialisation complète des moyens de production implique donc un certain niveau de développement des forces productives, niveau bien sûr relativement

16 BETTELHEIM, Charles, La transition vers l'économie socialiste, Op.cit.

17 STALINE, Joseph, Les problèmes économiques du socialisme en URSS, Editions en langues étrangères, Pékin, 1974.

élevé. Afin d?expliquer les raisons de l?utilisation de la loi de la valeur et l?existence de catégories marchandes au sein du secteur nationalisé Bettelheim critiquait par exemple l?analyse de Staline dans « les problèmes économiques du socialisme en URSS ». Ce dernier expliquait l?existence du calcul économique selon la loi de la valeur au sein du secteur socialisé en URSS, simplement en disant que « cela est nécessaire pour le calcul » et pour le commerce extérieur. Bettelheim répond comme ceci :

« En réalité, la méthode du matérialisme dialectique exige que l'on parte des relations sociales qui constituent l'envers du processus d'appropriation de la nature par l'homme (c'est-à-dire des rapports de production et des modes effectifs d'appropriation) Si l'on suit cette démarche et que l'on constate qu'au niveau actuel des forces productives mrme de la société socialiste la plus avancée, ce processus d'appropriation n'est pas encore un processus unique entièrement dominé par la société(...) on comprend la nécessité des échanges entre ces formes d'activités et le contenu social et économique réel des différentes formes de la propriété socialiste, de l'échange marchand socialiste, le rôle de la monnaie à l'intérieur du système socialiste »18.

Lorsque Bettelheim évoque les sociétés socialistes les plus avancées de son époque, il se réfère à la République Démocratique Allemande et à La Tchécoslovaquie. Ce qui détermine un relativement faible développement des forces productives, c?est que les centres d?activités, les unités économiques, de branches différentes et même au sein d?une même branche économique ne peuvent être et ne sont pas dépendant les uns des autres de façon globale. Cette coordination à l?échelle globale est en processus au sein des économies socialistes planifiées et tant que ce processus n?est pas arrivée à terme (et donc que le socialisme à l?échelle du territoire donné n?est pas effectif), l?existence des catégories marchandes s?avère nécessaire.

« -- partir d'une telle analyse, les différentes formes de la propriété socialiste n'apparaissent plus comme la raison « d'expliquer » l'existence de rapports marchands dans le secteur socialiste (ce qui reviendrait à expliquer des catégories économiques par une

18 BETTELHEIM, Charles, La transition vers l'économie socialiste, Op.cit.

superstructure juridique). C'est au contraire l'existence de certains rapports de production qui explique les rapports marchands et la forme juridique qu'ils doivent revetir ».

Mais à la vérité, qu?elles sont les liens entre la loi de correspondance et notre objet, à savoir le salaire aux pièces et les stimulants matériels ? Ces types de rémunération sont associés au droit bourgeois et de là à l?état des forces productives du capitalisme. Ce qui veut dire que l?élimination de ces résidus capitalistes ne sera effectif qu?au moment où les forces productives atteindront un stade plus élevé que sous le capitalisme, c'est-à-dire qu?il y aura possibilité et même nécessité d?une socialisation des moyens de production.

Tout ceci peut donc clairement éclaircir notre sujet. Le salaire, plus particulièrement le salaire aux pièces et les différentes formes de rémunération font partie de la distribution et plus précisément des rapports de distribution. L?analyse marxiste reconnaît « naturellement » que les rapports et les modes de distribution sont déterminés par l?organisation même de la production. Si à l?intérieur du secteur socialiste, des rapports marchands subsistent, à un niveau donné des forces productives, alors ces rapports marchands vont continuer à pénétrer les rapports de distribution19.Ainsi, la distribution va donc continuer à s?effectuer par des catégories marchandes telle la monnaie et le salaire.

Au niveau de la rémunération en secteur socialiste et cela nous intéressera pour la partie suivante, Bettelheim revient sur le fait que le maintien des catégories marchandes au sein du secteur socialiste, nécessite de lier la rémunération de chacun à la quantité et à la qualité de son travail (stimulants matériels). Le processus en cours qui tend à la disparition des catégories marchandes au sein des économies planifiées20 « les modifications corrélatives dans les superstructures » permettra à des comportements non économiquement intéressés d?émerger progressivement.

«La place respective des différents catégories de stimulants ne peut donc être déterminé

arbitrairement au nom de telle ou telle vision m

19 Idem.

20 On verra par la suite avec le cas de Cuba que ce processus peut ne pas être très linéaire et des périodes de régression peuvent transparaître.

socialiste, mais elle doit être liée au niveau de développement des forces productives, dont font partie les hommes eux-mêmes avec leurs connaissances, leur éducation et, plus généralement, leur culture21. »

L?analyse de Bettelheim sur laquelle s?appuie cette partie est intéressante pour la suite du sujet, cependant elle comporte de fortes limites, voire des erreurs théoriques qui seront montrées même par l?auteur dans des ouvrages ultérieurs.

b) Limite de la loi : non correspondance des rapports de production et du développement des forces productives

Continuons en premier lieu ici l?analyse de Bettelheim. Pour lui s?il n?y a pas correspondance entre les rapports de production et le développement des forces productives, s?il y a contradictions entre les deux, le développement se fera de façon irrégulier, avec des augmentations parfois lentes, parfois rapides voire des périodes de stagnation.

Cette loi fut régulièrement mise en avant par Bettelheim jusqu?au milieu des années 1960, et permettait de justifier le calcul économique, l?utilisation de la loi de la valeur durant la période de transition du capitalisme au socialisme. Il utilisera cette argument théorique durant le Grand débat Economique à Cuba de 1963-196522. Au sein de ce débat que nous relaterons plus tard, parmi les détracteurs de Bettelheim nous retrouvions, Ernesto Guevara et Ernest Mandel par exemple. Une analyse plus complète de la pensée de Guevara sur ce point mais surtout sur les stimulants matériels sera vue lorsque que nous évoquerons le Grand débat économique. Guevara considérait que dans le cas cubain, bien qu?il ft nécessaire d?utiliser certaines méthodes et techniques du capitalisme, la loi de la valeur ne devait pas régler les échanges au sein du secteur socialiste, c?est pour cela qu?il proposait une forte centralisation afin de faire fonctionner toutes les entreprises comme une seule.

21BETTELHEIM, Charles, La transition vers l'économie socialiste, Op.cit.

22 Notamment dans un article publié dans le numéro 32 de Cuba Socialista (1964). Cf. BETTELHEIM, Charles « Formes et méthodes de la planification socialiste et niveau de développement des forces productives », dans LOWY, Michael ? Che Guevara, écrit d'un révolutionnaire, La Brèche, Paris, 1987. On retrouve cet article également dans BETTELHEIM, Charles La transition vers l'économie socialiste, op.cit.

La réponse de Mandel est intéressante à analyser du point de vue théorique23. Celui-ci met en évidence que ce n?est pas l?état des forces productives (ici à Cuba) qui ne permet pas au plan de comptabiliser et de distribuer effectivement les moyens de productions et les produits mais que c?est le manque d?expérience, les défauts d?organisation, le manque de personnel24. C?est donc l?expérience de la pratique, la formation des cadres et grâce au contrôle et à l?initiative créatrice des masses que cela sera possible. De plus, Mandel est très sceptique sur la capacité future de la société de pouvoir disposer de manière intégrale (comptabilité, distribution, selon un calcul en temps de travail nécessaire selon Bettelheim) de tous les moyens de production socialisés. Le développement des forces productives provoquerait des résultats contradictoires comparés à ceux de Bettelheim car il entrainerait une intégration croissante mêlée à une plus grande diversification. A un développement optimal des forces productives une centralisation rigide se révélerait au contraire moins efficace. (Il prend l?exemple de l?URSS dont nous parlerons plus tard).

Si l?on considère les ouvrages publiés après 1965 par Bettelheim, travaux consacrés à la Chine révolutionnaire, l?on perçoit un discours moins mécanique quant à l?articulation entre les rapports de production et le caractère des forces productives. Bien qu?il admette qu?il reste une « base objective » du comportement des sociétés antérieures dans la société de transition tant que le niveau de développement des forces productives n?est pas suffisamment élevé. Il donne un rôle beaucoup plus important à l?éducation, à l?idéologie et à la pénétration du marxisme- léninisme au sein des masses :

« ,Il semble indispensable de reconnaître que ce rôle de l'éducation et de l'idéologie est d'autant plus nécessaire que les rapports de production et de propriété qui ont été mis en place par un processus révolutionnaire sont plus en avance sur le niveau de développement des forces productives à l'intérieur d'un pays donné »25

23 Cf. LOWY, Michael ? Che Guevara : écrits d?un révolutionnaire, Op.cit. L?article de Mandel fut publié dans la revue Nueva Industria de juin 1964.

24 Ont pourrait penser que l?expérience, l?organisation et le personnel qualifié font partie des forces productives.
25 BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO, Hélène, CHARRIERRE, Jacques, La construction du socialisme en Chine, petite collection Maspero, Paris, 1968.

Il ne faudrait pas considérer que Bettelheim reprend les idées de Guevara ici. Il nous alerte sur le fait qu?il ne faut pas voir dans cette formulation que le développement de la conscience assurerait un développement des forces productives mais que c?est la conscience des contradictions réelles (entre rapports de production et forces productives) ainsi que la capacité à les dominer qui seront nécessaires aux progrès des forces productives.

Bettelheim, que l?on aurait pu auparavant qualifier d? « économiciste », accentua son discours en mettant en avant le facteur politique, en l?occurrence la lutte des classes comme conditions de la construction du socialisme c'est-à-dire l?émergence de nouveaux rapports sociaux.

« La transformation socialiste des rapports de production résulte toujours de la lutte de classe et avant tout de la lutte idéologique et politique de classes menée à l'échelle de la formation sociale26 ».

Dans la combinaison forces productives - rapports de production ce sont ces derniers qui auront le rôle dominant en imposant aux forces productives les conditions de leur reproduction.

De ce fait, le développement des forces productives ne détermine pas directement la modification des rapports de production. Cette transformation passera par la lutte des classes. Le lien mécanique entre rapports de production et forces productives est à rejeter. La lutte politique permettra aux nouveaux rapports de production d?imposer la façon dont les forces productives doivent croître, sans oublier que la croissance des ces dernières est indispensable afin de rendre pérenne les rapports de production et de leur permettre de se développer jusqu?au communisme.

26 BETTELHEIM, Charles, Révolution culturelle et organisation industrielle en Chine, Maspero, Paris, 1975

2) Le rôle de la loi de la valeur et des catégories marchande durant la période de transition

Intéressons nous maintenant à la loi de la valeur et aux catégories marchandes durant la phase de transition vers le socialisme. Des rapports de production socialistes ne peuvent être complètement effectifs suite à une révolution prolétarienne qui s?est produite dans un pays où le niveau des forces productives est relativement bas. Il est important de voir par quel biais peut jouer (en plus ou moins grande importance) la loi de la valeur et le rôle plus ou moins prédominant qu?elle peut avoir. Bien sür, la tendance doit être à la disparition des catégories marchandes, qui doit se produire selon le développement de divers variables.

a) Quel rôle pour la loi de la valeur ?

Comme nous le verrons par la suite dans l?analyse des pratiques des économies planifiées, la loi de la valeur reste présente dans la première phase de construction du socialisme. L?arriération économique des pays qui se sont engagés dans cette voie la rendue nécessaire. La nationalisation (et encore moins la socialisation) de tous les moyens de production sans exception était impossible dans le cas d?une agriculture très parcellée et à faible degré technique. La loi de la valeur continue donc de régir le secteur privé (qui a une plus ou moins grande importance). Celui-ci peut par exemple distribuer sa production aux consommateurs. Le prix sera l?expression de l?offre et la demande. Il peut également y avoir des échanges entre différents agents privés. Par exemple, il existait beaucoup d?intermédiaires dans les échanges que ce soit entre deux agents privés ou un agent privé et une entreprise d?Etat au moment de la NEP27 en URSS. La monnaie, le prix et donc la marchandise, non transformée encore en simple produit, jouent un rôle et cela même au sein du secteur « socialiste » car il n?existe pas encore d?instance ultime et unique capable d?utiliser tous les moyens de production, de décider de leur utilisation et de leur distribution.

La loi de la valeur au sein du secteur privé va permettre une accumulation privée, capitaliste. La finalité de l?État prolétarien sera donc de ponctionner cette accumulation pour

27 La Nouvelle Politique Economique, caractérise un changement de politique économique en URSS à partir de 1921. Cf. infra.

permettre une accumulation socialiste (ou accumulation socialiste primitive). Eugène Préobajensky a caractérisé la période de la NEP en union soviétique comme une période où il existe une lutte, une contradiction fondamentale, entre deux lois, la loi de la valeur et la loi de l?accumulation socialiste primitive28.

La loi de la valeur durant la période de transition du capitalisme au socialisme ne peut pas être la loi qui régule la production, c?est l?accumulation socialiste par le biais de l?État prolétarien qui doit diriger. Mais c?est par l?application de la loi de la valeur que se réalisera l?accumulation socialiste primitive. Il ne faut donc pas trop contraindre les agents privés existants de manière à ne pas bloquer le déploiement des forces productives de ce secteur. En effet, c?est au moyen d?une introduction de plus en plus forte de technique au sein des enclaves privées (petite exploitation paysanne par exemple), que la socialisation future pourra se mettre en place. Selon la loi de l?accumulation socialiste primitive émise par Préobajensky, plus un pays est économiquement arriéré au moment de son passage à l?organisation socialiste plus il sera obligé de s?appuyer sur l?aliénation d?une partie du surproduit des formes présocialistes d?économie et moins il pourra accumuler sur sa propre base de production c'està-dire sur le surproduit29 des travailleurs du secteur d?Etat.

La loi de la valeur durant la période de transition va régir divers pans de l?économie suivant le degré des forces productives atteint par le pays au moment de la révolution prolétarienne. Mais de fait, l?économie bien que n?étant pas encore socialiste, n?est plus purement marchande.

« La loi de la valeur, comme régulateur a postériori de la dépense de travail social et des forces productives, procède des catégories marchandes qui naissent de la double séparation des hommes d'avec leurs moyens de travail et d'avec leur produit de travail. Cette loi subsiste donc tant que cette double séparation survit après la prise de pouvoir donc tant que les forces productives ne sont pas socialement organisées. »30

28 PREOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle économique, Op.cit.

29 Le surproduit est à l?économie d?Etat prolétarienne ce que la plus -value est à l?entreprise capitaliste.

30 TROTSKY, Léon, BOUKHARINE, Nicolas, Préobajensky, Eugène, Le débat soviétique sur la loi de la valeur, Maspero, Paris, 1972.

b) Le dépérissement des catégories marchandes

Les catégories marchandes et la loi de la valeur, même si elles sont plus ou moins nécessaires durant la période de transition pour les raisons émises ci-dessus sont amenées à dépérir progressivement. Même si, nous l?avons vu, il n?existe pas de lien mécanique entre le développement des rapports de production et le développement des forces productives, il ne faut pas pour autant qu?il y ait de volonté précipitée de supprimer les rapports marchands. Cela peut conduire à une stagnation des forces productives voire à leur régression.

Dans des lettres échangées entre Paul Sweezy et Charles Bettelheim31, ce premier insistait sur le fait (en parlant de la Tchécoslovaquie) que la coordination avec le marché, l?appel aux stimulants matériels et une large autonomie donnés aux décisions microéconomiques rendaient inévitable une tendance à un retour du capitalisme. La réponse de Bettelheim était de dire que ce qui caractérise le socialisme (il faudrait mieux dire la transition du capitalisme au socialisme32) par rapport au capitalisme, ce n?est pas l?existence ou non des rapports marchands mais l?existence (réelle et non seulement juridique) de la dictature du prolétariat.

Le fait de vouloir supprimer immédiatement les rapports marchands serait une entreprise utopique et dangereuse au méme titre que de vouloir une abolition immédiate de l?Etat. Pour Bettelheim, la contradiction plan-marché33 ne pousse vers rien, cela dépend de la façon dont elle est traitée, et donc des rapports de classe existant.

Le dépérissement des catégories marchandes et de la loi de la valeur dont elles sont issues ne peut donc venir que d?une lutte (autant économique que politique) entre la loi de l?accumulation socialiste primitive et la loi de la valeur, pour reprendre Préobajensky. Au départ, (pendant la phase d?accumulation socialiste préalable) le secteur d?État se trouve dans l?impossibilité de se battre à armes égales contre le secteur capitaliste (national et

31 SWEEZY, Paul, BETTELHEIM, Charles, Lettres sur quelques problèmes actuels du socialisme, Petite collection Maspero, Paris, 1971.

32 Il convient de bien délimiter les deux étapes et donc de ne pas se tromper de vocabulaire.

33 La contradiction plan-marché dont parle Bettelheim peut se rapprocher de la lutte entre les deux lois (loi de l?accumulation socialiste primitive et loi de la valeur) de Préobajensky.

international) du fait de son faible niveau technique, de son manque de capitaux (caractérisé par des produits plus cher et de moins bonne qualité). Les entreprises d?État ne disposent pas de la supériorité économique et technique au niveau individuel sur les entreprises des formes historiques inférieures, contrairement à la lutte de l?industrie capitaliste dans sa lutte contre l?artisanat au moment de sa phase d?accumulation primitive34.

Pour ce faire, le secteur d?État devra lutter comme un tout unique avec l?avantage de la fusion du pouvoir d?État et de l?économie d?État. Le monopole du commerce extérieur formera une barrière défensive de droits de douane contre laquelle se brisent les vagues de la loi de la valeur de l?économie mondiale. Le but est bien sür que l?efficacité du secteur d?état dépasse celle du secteur capitaliste (au niveau national et mondial) et que celui-ci puisse s?accaparer les derniers vestiges du capitalisme dès qu?il en a les moyens (techniques et organisationnels).

« Plus l'économie est organisée, plus ses chaînons isolés sont étroitement liés par le plan économique opérationnel, plus elle constitue un tout économique compact et plus son opposition à la loi de la valeur est puissante.35»

La lutte ne peut être simplement économique, une lutte idéologique et politique doit être enclenchée pour le développement d?une conscience socialiste. Outre que les rapports de production ne peuvent changer mécaniquement en fonction du développement des forces productives, l?ensemble des rapports sociaux de même. L?émergence de nouveaux rapports de production transformera les rapports sociaux en général, mais ceci est conditionné par le fait que les rapports de production socialiste doivent dépasser ceux du capitalisme. Ces derniers doivent donc gagner en efficience jusqu?à la socialisation complète des moyens de production. Cette étape allant de la nationalisation à la socialisation changera fondamentalement les rapports sociaux mais la conscience de ce cheminement doit être imprégnée dans l?esprit des travailleurs. Ceux ci ne doivent pas rester apathique et passif à

34 Préobajensky réalisa son étude sur l?expérience et les faits de l?Union soviétique au moment de la NEP, mais elle reste intéressante et peut servir de base théorique pour les pays commençant la transition vers le socialisme dans un Etat d?arriération économique.

35 PREOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle économique, Op.cit.

cette construction. Une première conclusion théorique sera effectuée à la fin de la première partie.

C/ La stimulation au travail dans les économies en transition au regard de la praxis : Exemples de l'URSS et de la Chine populaire.

Dès à présent, nous nous attacherons à l?étude de deux exemples avant de nous engager sur le cas cubain. Nous prendrons celui de l?URSS dont nous analyserons brièvement les différentes phases et celui de la Chine avant le grand tournant économique de 1978. Il est évident que d?autres exemples auraient été intéressants à observer comme celui de la Yougoslavie où après la prise de pouvoir par Tito en 1945, un système très décentralisé économiquement fût mis en place et dans lequel la loi de la valeur et les stimulants matériels avaient une place relativement importante.

1) L'incitation matérielle en URSS : quelques remarques

La révolution prolétarienne en URSS fût la première du genre dans le monde et pour certains la seule qui se soit réellement produite, les autres (Chine Cuba...) n?aurait été que des prises de pouvoir par une frange de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie du pays considéré même s?il y eut un soutien élevé des masses36. Le problème d?augmentation de la productivité et de la production était récurrent en URSS et une part importante de stimulants matériels fût utilisée tout au long de son histoire.

a) Communisme de guerre, NEP et Stakhanovisme

Dès le début du régime soviétique la prime fut recommandée par Lénine, qui l?envisageait comme une récompense pour l?exécution des plans de façon efficace. La prime devait, là où le salaire au rendement ne pouvait titre appliqué, stimuler les performances

36

Voir certaines analyses d?organisations trotskystes par exemple

individuelles au-delà des normes moyennes. Le principe du salaire au rendement fut consacréau IIème congrès des unions professionnelles en janvier 1919. Le règlement général sur le
tarif du 17 juin 1920 stipule que des primes peuvent être payées en plus du tarif de base (payépour exécution des normes) pour économie (matière première, temps...) ainsi que pour

l?amélioration des méthodes de production ou de l?organisation du travail37. Pour le quatrième anniversaire de la révolution d?octobre, Lénine prononça ces paroles significatives :

« Oui! Il faut compter avec cette ferveur qu'engendre une grande révolution, mais unie à l'intérêt personnel, au stimulant matériel, à la rentabilité commerciale, pour commencer à construire les solides ponts qui nous amènerons... au socialisme. Autrement ce n'est pas possible d'avancer vers le communisme, d'accrocher à lui des dizaines et dizaines de milliers d'Hommes.»

Lénine tint ces propos, non en tant qu?observateur externe, mais en tant que dirigeant de la première révolution prolétarienne. La révolution russe émergea sur son contexte propre, qui est celle d?une économie arriérée d?une part, et qui fût détruite partiellement par plus de trois années de guerre contre l?Allemagne, et ensuite par trois années de guerre civile contre les armées blanches soutenues par les impérialismes français et anglais en autres. Lénine écrit ces paroles pendant cette guerre civile (1918-1921), période que l?on nommera communisme de guerre. La survie même de la révolution russe passait par un accroissement rapide de la production afin de rattraper et dépasser la production d?avant guerre. L?utilisation de stimulants matériels était donc un moyen d?accroitre la productivité dans un moment historique plus que particulier. Elle se justifiait d?elle -même.

Mais durant cette période de communisme de guerre, outre le fait que des primes étaient accordées, l?effort de guerre nécessita une centralisation très forte des décisions et des réquisitions agricoles pour ravitailler le front. De ce fait, la loi de la valeur pendant cette période n?eut qu?un rôle très mineur dans les échanges.

37 LAVIGNE, Marie (Dir), Travail et monnaie en économie socialiste, Economica, Paris, 1981.

La période 1923-1928 sera celle de la NEP, (Nouvelle Politique Economique) qui laissa plus de place au marché tant au niveau urbain que rural. Le but est de laisser à la petite exploitation paysanne le temps de se développer afin dans tirer le surproduit pour permettre l?industrialisation du pays. La loi de la valeur et les catégories marchandes auront donc un rôle plus important durant cette période et aussi, bien entendu, les formes de rémunération liées au capitalisme.

Il est intéressant également de rendre compte de l?analyse de Trotsky sur le thème de la rémunération du travail en économie de transition. Celui-ci ce base sur l?expérience soviétique, principalement du début des années 1930.

Pour lui, le socialisme ne se justifie pas uniquement par l?abolition de l?exploitation (de

l?homme par l?homme), il doit permettre, en effet, une plus grande économie de temps que le capitalisme, autrement dit, la productivité du travail, le développement des forces productives doivent y progresser plus rapidement, sinon « l?abolition de l?exploitation ne serait qu?un épisode dramatique dépourvu d?avenir »38.

L?URSS, à cette époque, n?avait pas vaincu sur ce terrain de l?économie de temps, les rendements soviétiques étant très inférieurs à ceux des Etats-Unis et des pays d?Europe de l?Ouest, et c?est seulement en 1931, que le salaire aux pièces est proclamé rémunération de référence, et le principe « à chacun selon ses capacités, à chacun selon sont travail » est mis en avant.

« Seuls la suppression des cartes de ravitaillement, le début de la stabilisation du rouble et de l'unification des prix permirent le travail aux pièces ou à la tche »39.

Le retour du salaire aux pièces en URSS correspond à la période du stakhanovisme, qui selon Trotsky n?a pas été accueilli avec sympathie dans les rangs de la classe ouvrière soviétique, sans sous-estimé la participation de socialistes enthousiastes au mouvement

38 TROTSKY, Léon, La révolution trahie, éditions de minuit, Paris, 1973

39 Idem

Stakhanov. Ce que souligne Trotsky, c?est le fait que le retour du salaire aux pièces se soit fait à un moment où les autorités soviétiques proclamaient « la victoire définitive et sans retour du socialisme ». Or, comme il le souligne, la transition du socialisme au communisme (donc le socialisme étant atteint), commence exactement à l?opposée, c'est-à-dire non pas par l?introduction du travail aux pièces, mais par l?abolition de ce travail, considéré comme un « legs de la barbarie »40.

Trotsky nous dit bien ici que tant que le salaire aux pièces est en vigueur ou plutôt commence à s?installer ainsi qu?un système de stimulants matériels, nous ne pouvons pas parler de socialisme mais de transition du capitalisme au socialisme.

Selon Bernard Chavance en 1956, les trois quarts des ouvriers soviétiques étaient payés aux pièces. C?est dire l?importance des stimulants matériels, mais qui plus est l?importance de la stimulation matérielle la plus « totale », le salaire aux pièces.

b) Les réformes économiques de 1965

A partir du milieu des années 1950, des débats commencèrent à émerger sur le manque d?efficacité des entreprises. Ces débats conduiront à des réformes dont une réforme de lentreprise en 1965. Plusieurs économistes proposaient une plus grande décentralisation des décisions pour les entreprises, une augmentation de la stimulation de la production en rapport avec le profit et avec les stimulants matériels. Parmi ces économistes l?on trouve par exemple, Liberman, Trapeznikov et Nemtchinov.

La direction autoritaire pour encadrer le plan économique enserrerait les intérêts généraux du développement économique. Peu à peu va s?imposer en URSS une conception nouvelle. Si les contraintes sur les entreprises sont allégées et si celles-ci sont intéressées par un jeu convenable de stimulants matériels, à choisir spontanément dans le cadre du plan les

40 Idem

combinaisons de production les plus efficaces, l?intérêt des entreprises coïncidera lui-même avec celui de la collectivité41.

Les propositions de Liberman peuvent se résumer comme suit. Il faut inciter les entreprises à exécuter le plus correctement le plan sans contrôle inutile et laisser les entreprises libres du choix des moyens en ne lui imposant que deux indices impératifs, la valeur de la production vendue par type principaux de fabrication (en remplaçant la production brute) et le rapport du profit aux fonds productifs (indice de rentabilité). La réforme de l?entreprise sera adoptée à la suite d?une décision prise par le plénum du Comité Central du PCUS42 le 29 septembre 1965 et sera introduite progressivement à partir de 1966. Les indices obligatoires (impératifs) seront réduits laissant plus d?autonomie aux entreprises mais ils resteront supérieurs à ceux proposés par Liberman.

Le moteur d?activité de l?entreprise devient le profit, par l?indice de rentabilité. L?esprit de l?entreprise tend à ce que tous les travailleurs d?une entreprise soient collectivement et solidairement intéressés à améliorer la performance de leur unité, car les résultats obtenus retentiront directement sur leurs gains personnels, par le jeu des primes qui représenteront une proportion appréciable de leur rémunération. Celles-ci représentaient 10% en moyenne de leur rémunération selon les estimations faites avant le lancement de la réforme43.

Cette réforme verra l?application de trois fonds de stimulation : Un fonds de stimulation matériel pour octroyer des primes aux travailleurs. Un fonds pour l?amélioration socio culturelle et de construction de logement et un fonds de développement de la production. Les résultats de la réforme furent médiocres. Il en est ressorti que le fonds de stimulation matériel avait peu d?attrait. Le manque d?offre de biens de consommation ne permettait pas une dépense effective du revenu. Tout de même en 1975, les primes des ouvriers représentaient 15,6 % de leurs salaires dont un tiers provenaient du fonds de stimulation matériel avec des disparités allant de 8 à 35% selon les branches44.

41 LAVIGNE, Marie, Les économies socialistes soviétiques et européennes, Armand Colin, Paris, 1979. Adam Smith aurait il influencer ces économistes ?

42 Parti Communiste de l?Union Soviétique

43 M. Lavigne, Les économies socialistes soviétiques et européennes, Op.cit.

44 Idem

Comme le remarquait Marie Lavigne, la stimulation suppose un niveau de vie amélioré et un accroissement sensible de la production de biens de consommation. Aussi, aucun mécanisme de stimulation ne peut fonctionner valablement si les travailleurs n?ont pas la maîtrise effective du processus de production et de répartition.

Marie Lavigne distingue deux types de schémas entièrement différents de la direction des unités économiques :

- Schéma autoritaire : toutes formes de stimulation matérielle de l?entreprise en tant que collectif est exclues (seul est pris en considération l?intérêt individuel des travailleurs par le jeu des salaires et primes). L?unité économique est un instrument de l?administration, elle doit obéir à des ordres transmis par un système hiérarchisé dont elle est le maillon inférieur. Les fautes des dirigeants de l?entreprise sont punies par des sanctions personnelles, disciplinaires ; les succès sont récompensés par des primes individuelles. Les échecs de gestion sont sanctionnés non par la faillite de l?entreprise mais par la réorganisation sous les ordres d?un autre directeur.

- Schéma combinant direction centralisée et autonomie de gestion : Dans l?intérêt méme d?une bonne exécution du plan, on doit laisser aux unités économiques plus d?autonomie dans leur gestion. Autonomie et intéressement collectif vont de pair : si l?entreprise est plus libre, il faut qu?elle ait un but tangible pour l?ensemble de ses travailleurs et que la réalisation de ce but coïncide avec la meilleure exécution du plan. Cet objectif sera la maximisation du profit de l?entreprise. Le profit est ainsi appelé à jouer un rôle de première importance dans la gestion économique socialiste.

2) Planification et stimulation matérielle en Chine durant la première période de la révolution chinoise (1949 - 1978).

a) Orientation générale de la Chine au niveau de la planification et des stimulants matériels suite à la révolution de 1949

La période où la Chine souhaitait encore construire le socialisme apparaît loin maintenant, depuis le tournant économique de 1978. Pourtant le mode de planification et d?édification des nouveaux rapports sociaux paraissait original et peut être plus adapté à une étape de transition.

En effet et nous le verrons plus tard, le débat économique cubain peut refléter au premier abord une dichotomie entre d?un côté les partisans d?une centralisation des décisions forte quirejetterait les stimulants matériels, et les partisans d?une plus large autonomie des unités

économiques qui favoriserait des rémunérations liées au travail fourni afin d?intéresser le travailleur à la production et donc en améliorer l?efficience.

Le cas chinois n?est pas homogène sur toute la période mais va nous permettre de réfléchir et de prendre un exemple plus concret pour le cas cubain qui sera étudié plus en profondeur. La grande particularité de la transition au socialisme en Chine était une volonté de participation massive de la population aux décisions et en particulier au niveau de l?élaboration du plan.

Par exemple jusqu?aux années 1960, il y avait trois étapes dans l?élaboration du plan :

a) rédaction par le centre (comité central du PCC) d?un projet de plan transmis à la périphérie,

b) élaboration du plan par la périphérie en fonction du plan du centre,

c) élaboration par le centre du plan définitif.

Nous voyons que la base (à l?échelle de l?entreprise, du municipe ou de la province) avait déjà une certaine participation. Au début des années 1960, l?étape a) fut supprimée et c?est donc de la base que partait directement l?initiative du plan. Ceci montrait qu?il y avait une :

« Reconnaissance qu'à l'heure actuelle le centre ne dispose pas d'une connaissance assez rigoureuse de la vie et des possibilités des unités de production pour pouvoir leur envoyer des chiffres de contrôle scientifiquement fondés »45.

Au niveau de la rémunération, le salaire aux pièces était banni de l?économie chinoise. L?éventail des salaires était très resserré (de 40 à 250 Yuans) et «il était considéré normal qu'un ouvrier au huitième échelon gagne plus que le directeur ». Mais il existait tout de même des primes qui variaient entre 3 à 8 Yuans par mois, soit entre 6 à 10 % du salaire sachant qu?il n?y avait pas de primes pour les cadres et le personnel administratif. 70 à 80 % des travailleurs touchaient des primes qui étaient basées sur le dépassement du plan mais également sur l?attitude face au travail qui était discuté en assemblée d?équipe.

Au sein des communes populaires46 il existait deux types de rémunération :

- le système des points de base : calculé selon une grille des salaires. La rémunération se faisait à la qualification et au temps et était discutée par les collectifs de travailleurs. La classification était revue fréquemment (tous les semestres).

- un système de normes de travail : fixées en assemblée d?équipe selon la quantité et la qualité du travail.

45 BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO, Hélène, CHARRIÈRE, Jacques, La construction du socialisme en Chine, Op.cit.

46 La commune populaire présente d'importantes différences avec les coopératives socialistes. Elles sont d'une taille beaucoup plus grande et prennent également en charge des activités non agricoles ; sa direction est considérée comme un pouvoir d'État ; la distribution de la nourriture doit s'y faire en fonction des besoins -- principe communiste --, et pas seulement en fonction du travail et du système des « points » ; enfin, les lopins privés disparaissent : toute la terre, y compris les arbres, est collectivisée. Seuls restent propriété privée quelques animaux.

Ces types de rémunération furent mis en place au vu de l?échec de la rémunération au temps au moment de la formation des coopératives au début de la révolution.

La période de transition chinoise restait tout de même caractérisée par une répartition selon le travail fourni. Les auteurs affirmaient tout de même que l?avance des rapports de production sur les forces productives ne serait pas un frein au développement, mais un facteur objectif de progrès des forces productives.

Un autre point important est le type de planification adopté. Nous avons déjà mis en lumière certains aspects, parlons maintenant du rôle de la rentabilité et du profit. La participation des masses à l?édification du plan suggère un certain degré de décentralisation des décisions. De plus le fonctionnement des entreprises de production et des entreprises commerciales sur la base de l?autonomie financière et de la rentabilité est reconnu.

« ,Il s'agit d'assurer que le système des prix et des salaires du secteur productif soit tel que le fonctionnement de ce secteur fasse apparaître un surplus économique d'une ampleur suffisante pour que soit assuré le financement de l'accumulation et des dépenses improductives fixées par le plan. »47

Le but est donc d?assurer une rentabilité aux entreprises et donc de leur créer un surplus économique. Mais le rôle de stimulant du profit est rejeté. Le fonds de l?entreprise (partie des bénéfices) ne sert pas à la répartition des revenus individuels. Le profit ne joue donc pas le rôle de stimulant matériel tout au moins sur le plan individuel. En effet l?utilisation du fonds, par exemple pour l?amélioration du bien etre collectif, peut jouer un certain rôle de stimulation du collectif du travail.

La Chine était caractérisée par la centralisation quasi complète des bénéfices réalisés dans le secteur d?état (33% en URSS étaient laissés à disposition des entreprises), cette

47 BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO, Hélène, CHARRIERE, Jacques, La construction du socialisme en Chine, Op.cit.

centralisation était elle-même liée à la faible importance attribuée aux mécanismes de la stimulation matérielle.

Une large part était accordée aux stimulants non économiques et collectifs. Il y avait une reconnaissance sociale du collectif de travail, de son abnégation, de son courage et de son dévouement. Le principe « à chacun selon son travail » était appliqué mais celui-ci pouvait se distinguer - chose importante - des stimulants matériels. Pour Bettelheim et Charrière, du point de vue de la répartition des revenus, le stakhanovisme et plus généralement le système des salaires progressifs aboutissaient à des inégalités plus grandes que celles découlant du principe « à chacun son travail ».

Il existait donc peu de stimulation matérielle (primes...) et si elle n?était pas totalement rejetée, son rôle temporaire était strictement limité aux domaines où le refus de l?admettre aurait conduit à la baisse ou à la stagnation de la production.

b) Révolution culturelle et grand tournant économique

L?orientation générale de donner plus d?autonomie et d?initiative locale par la décentralisation de la gestion des entreprises d?État date de 1957 (Grand bond en avant). A partir de 1966, débute la « révolution culturelle » au cours de laquelle des modifications organisationnelles vont avoir lieu dans les entreprises afin d?accroître la pouvoir de décisions des travailleurs. Un plus grand travail idéologique vers les masses sera effectué afin d?avancer plus vite vers le communisme et de lutter contre les lignes politiques bourgeoises. Cela passait par exemple par le remplacement des directeurs d?entreprises, par la volonté de diminuer la séparation entre travail manuel et travail intellectuel...48

Le troisième livre de Bettelheim sur la Chine date de 1978, juste avant le Grand tournant économique initié par Ten Xiaoping et juste après la mort de Mao Tsé Toung49. Il démontre la

48 Cf. BETTELHEIM, Charles, Révolution culturelle et organisation industrielle en Chine, Op.cit.

49 BETTELHEIM, Charles, Question sur la Chine après la mort de Mao Tsé Toung, François Maspero, Paris, 1978.

remise en cause (dans la pratique mais pas forcément dans les discours) des avancées ou tentatives d?avancées de la révolution culturelle. La séparation entre travail intellectuel et travail manuel est délaissée, le contrôle hiérarchique est mis en avant tout comme le primat du rôle de la production et du profit « afin de créer plus de richesses pour le socialisme ». Ce schéma est vide de sens selon Bettelheim si l?on usurpe le pouvoir de la classe ouvrière.

On assiste également à nouveau au recours aux stimulants matériels, en particulier du salaire aux pièces et à une plus grande importance des primes au nom de l?accélération de la croissance des forces productives et de l?augmentation de la productivité du travail, c'est-àdire des arguments purement économistes et productivistes. C?est donc un retour du primat du développement des forces productives afin de renforcer la base matérielle pour la consolidation de la dictature du prolétariat. Bettelheim dénoncera cette application mécaniste que les forces productives déterminent les rapports de production.

« Tout cela aboutit à substituer la lutte pour la production à la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie50 et à préconiser que la lutte pour la production soit dirigée par les experts et les techniciens. En suivant cette voie, on ne peut que renforcer la division capitaliste du travail et les rapports de production capitalistes non encore détruits.51 »

Pour l?auteur, le revirement idéologique de 1976-1978 n?est pas dû à des nécessités économiques car les résultats de la période 1966-1976 sont « plutôt positifs » mais ses racines proviendraient d?un changement dans les rapports de classes, dont la ligne révisionniste bourgeoise est sortie victorieuse. Au vu du développement de la Chine jusqu?à aujourd?hui on peut penser que Bettelheim ne s?est pas trompé et que la méme ligne politique est encore au pouvoir. Et malgré l?essor économique important il est difficile de penser que la Chine est train de développer ses forces productives pour construire le socialisme.

50 Bettelheim rappelle que les tendances bourgeoise au sein du PCC était assez importante voire plus importante que la ligne révolutionnaire.

51 BETTELHEIM, Charles, Question sur la Chine après la mort de Mao Tsé Toung, Op.cit.

D/ Cuba et la transition du capitalisme au socialisme

Le but qui veut être atteint ici, est de se poser la question, peut on caractériser Cuba comme étant en phase de transition vers le socialisme ? Bien sûr, Cuba n?est pas un pays communiste comme certaines analyses simplistes et cherchant à discréditer le communisme en tant que doctrine caractérisent Cuba. Afin d?être sérieux, il faut se demander si Cuba est réellement en transition du capitalisme au socialisme.

Bien que les discours des dirigeants affirment ce fait, c?est plutôt dans l?état des rapports sociaux qu?il faut trouver les réponses. Il est donc important de revenir sur les prémisses de la révolution et son déclenchement et de chercher des pistes pour répondre à la question posée et d?en conclure s?il est justifié de réaliser une analyse de Cuba comme étant un pays en transition vers le socialisme.

1) La révolution cubaine

a) Les prémisses de la révolution

Cuba, petit île des Caraïbes, ft une colonie espagnole jusqu?en 1898. Après une âpre lutte, guerre des dix ans (1968-1978), le pays deviendra indépendant en 1898 suite à trois années de guerre civile (1895-1898). L?indépendance ft l?oeuvre en partie des forces indépendantistes de l?époque dont la figure marquante était José Marti, mais également des Etats-Unis qui firent la guerre à l?Espagne et qui après leur victoire obtinrent les dernières colonies espagnoles, les Philippines et Porto Rico. Cuba devint indépendant mais sous la tutelle des Etats-Unis.

Le premier président cubain fût même un citoyen des Etats-Unis et par l?ajout dans la constitution cubaine de l?amendement Platt, du nom d?un sénateur des Etats-Unis, ces derniers s?octroyèrent le droit à des interventions sur le sol cubain en cas de troubles ou atteinte à la propriété privée. De ce fait, les interventions américaines furent fréquentes

principalement jusqu?au années 1920, de nombreux troubles existant entre les conservateurs et les libéraux, ces derniers exigeant la fin de la tutelle nord américaine.

Liée à la tutelle politique, les Etats-Unis firent également leur entrée économique à Cuba, et cela déjà avant l?indépendance. Un nombre très élevé de banques, de centrales sucrières, de plantations appartenaient à des capitalistes américains52. Après le colonialisme, Cuba fût dominé par l?impérialisme.

La spécialisation sucrière héritée de la période coloniale se maintint durant la période impérialiste, soutenue par la volonté des Etats-Unis de se fournir en sucre à côté de chez eux tout en contrôlant une bonne partie du processus de production. La majorité des exportations cubaines partait en direction des Etats-Unis, principalement des produits bruts, donnant peu de valeur ajoutée, et les importations réalisées par Cuba provenaient majoritairement des Etats-Unis à travers des biens d?équipements et de consommation manufacturés.

Les gouvernements en place avant la révolution tentèrent peu de changer cet état de choses, même si à partir des années 1930, la part des moyens de production dans les mains Nord Américaines diminuèrent quelques peu, que des quotas sucriers furent fixés avec les Etats-Unis avec un prix de vente supérieur au marché mondial. Le premier Parti Communiste Cubain naquit au début des années 1920, et laissa des personnages emblématiques. Les révoltes ouvrières des années 1930, suite à la crise économique mondiale montra la place importante du PCC à Cuba ce qui était assez peu courant en Amérique latine. Ce dernier participa même au gouvernement de Batista de 1940.

Malgré un développement important de certaines infrastructures, tel que les communications et quelques voies de communication, Cuba restait un pays « sous développé » ou pour mieux dire un pays dominé, étranglé par l?impérialisme, d?où un développement économique réel sur ces bases était impossible. L?économie restait principalement agricole, un prolétariat urbain existait mais était peu développé. Le monde

52 Voir à cet effet, HERRERA, Rémy, « De Morgan à Rockefeller. Le pouvoir de la grande finance états-unienne dans la Cuba prérévolutionnaire », Economies et sociétés, Presses de l'ISMEA, Paris, vol. 37, no7-8, 2003,

pp. 1279-1304

rural était très touché par le latifundium, qui laissait de grands pans de la population sans terre, obligés de travailler selon les cycles saisonniers et donc caractériser par un sous emploi chronique.

Le taux d?analphabétisme était également élevé. En 1953, il était de 23,6% pour la population de 10 ans et plus et il atteignait 41,7% en zone rural.53 Peu d?investissement était réalisé dans ce sens, et ce chiffre était « normal » au vu de ceux que l?on trouvait en Amérique latine à cette époque. Au niveau de la santé, les infrastructures sanitaires étaient inexistantes en zone rural. Les médecins et hôpitaux étaient circonscrit à la capitale, La Havane, et aux villes d?importances économiques déterminées.54 D?où la prolifération de maladies et les épidémies fréquentes, accentuées par le manque de produits d?hygiène, les conditions et l?insalubrité des logements...

b) La révolution de 1959

C?est donc sur ces bases que la révolution se produisit avec la prise du pouvoir par les forces révolutionnaires le 1er janvier 1959. Depuis 1952, Batista était au pouvoir suite à un coup d?État, laissant la place à un régime dictatorial, et une allégeance toujours vivante avec les Etats-Unis.

En 1953, un groupe de révolutionnaire attaqua la caserne Moncada, avec à leur tête Fidel Castro. L?attaque fCit un échec, la plupart des protagonistes furent mis en prison. Ils seront relâchés peu de temps après. De ce groupe naquit le Mouvement du 26 juillet dirigé par Fidel Castro, qui établira un programme d?action en cas de prise du pouvoir. Les intentions de ce groupe de révolutionnaires sont une véritable indépendance de Cuba contre l?impérialisme, une révolution nationale avec un caractère fortement progressiste, en vue de l?amélioration du niveau de vie de la population, l?établissement d?une réforme agraire pour une meilleure distribution de terres et la fin du latifundium.

53 VALDES GARCIA, Osvaldo, La revolución Cubana: premisas económicas y sociales, Ciencias sociales, La Habana, 2007.

54 Idem.

C?est le Mouvement du 26 juillet qui sera le principal instigateur de la révolution, à travers la lutte par la guérilla dans les régions rurales et montagneuses. Le directoire révolutionnaire du 13 mars fût également un soutient de la révolution ainsi que le Parti Socialiste Populaire, le parti communiste cubain plutôt lié à l?Union soviétique, qui rentra plus tard dans la lutte armée55.

La révolution cubaine ressemble donc fort peu à la révolution russe de 1917. La lutte étant circonscrit à un petit groupe d?homme qui défia l?état. Bien sür, il ne faut pas réduire la révolution cubaine à la guérilla de Fidel Castro et d?Ernesto Guevara, car des protestations eurent lieu au sein des villes, des grèves par exemple au cours de l?année 1958, mais sans une réelle volonté de prendre le pouvoir. Même si la participation des masses a été faible avant la prise de pouvoir, contrairement à la révolution russe (par la démocratie des soviets...), le soutient populaire à la révolution fût très important.

Nous pouvons dire que la révolution cubaine se produisit sur la base du nationalisme (l?indépendance n?étant pas pleinement achevée) et de l?anti-impérialisme, essentiellement contre l?impérialisme des Etats-Unis. Suite à la prise du pouvoir le 1er janvier 1959, c?est un gouvernement révolutionnaire, formé par toutes les mouvances de la révolution qui s?installe avec également des représentants de la bourgeoisie cubaine tel le premier président Urrutia.

Les premières mesures du gouvernement révolutionnaire montrèrent le caractère premier que prenait la révolution. La réforme agraire qui limitait la taille des exploitations agricoles à 402 hectares et facilitait une redistribution des terres aux paysans témoignèrent d?une attitude progressiste qui ne dépassait pas le cadre petit bourgeois et le programme du Mouvement du 26 juillet. La baisse très forte des loyers, la campagne d?alphabétisation... allaient dans le sens d?une volonté d?amélioration du sort de la population cubaine et de son niveau de vie. Les nationalisations des entreprises ou exploitations agricoles ayant collaborées avec la puissance Nord Américaines montraient le caractère anti--impérialiste de la révolution et la volonté d?une réelle indépendance nationale, politique et économique.

55 On dit que l?on reconnaissait facilement un militant du PSP à ce moment là, sa barbe était plus courte...

Les évènements allant du 1er janvier 1959 jusqu?à l?année 1961, allèrent changer la tournure que pris la révolution, et l?amener à affirmer une volonté de construire le socialisme. Ici nous souhaitons montrer en quoi il est justifié d?analyser l?attitude de Cuba envers la stimulation matérielle et l?utilisation de la loi de la valeur en appliquant une théorie qui se veut de transition vers le socialisme, marxiste. Nous allons donc voir maintenant pourquoi ceci est réalisable.

2) Le projet socialiste à Cuba

a) L?affirmation du caractère socialiste de la révolution

Comme il a été dit précédemment, les évènements qui eurent lieu jusqu?en 1961 changèrent quelque peu le cours de la révolution. En résistance à l?impérialisme, Les premiers dirigeants cubains avec en tête Fidel Castro, cherchèrent à diversifier leurs partenaires commerciaux, tout en rassurant les Etats-Unis sur le caractère non socialiste de la révolution. Bien sûr Cuba s?est rapidement tourné vers l?autre grande puissance économique de l?époque, l?URSS.

En pleine Guerre Froide, entre les Etats-Unis et leurs alliés et le camp « socialiste » emmené par l?URSS, ces attitudes déplurent aux premiers, et les raffineries étasuniennes encore présente à Cuba refusèrent de raffiner le pétrole en provenance d?Union Soviétique. Les quotas sucriers furent supprimés entre les deux pays. La direction révolutionnaire pris donc la décision de nationaliser les entreprises étasunienne encore présente dans l?île. Les Etats-Unis répondirent par un embargo sur Cuba encore en vigueur aujourd?hui. Le sabotage, par exemple l?arrêt de la production, effectué par la bourgeoisie cubaine à ce méme moment engendra une rupture entre la mouvance révolutionnaire (divisée en plusieurs courants) et la bourgeoisie au pouvoir. C?est donc en octobre 1961, après ces évènements, que le caractère socialiste de la révolution fût proclamé.

On a donc une réelle lutte de classe qui s?est opérée durant ces deux années dont la mouvance révolutionnaire est sortie gagnante avec un appui populaire supérieur. Cuba se

tourna donc vers l?URSS et vers les pays « socialistes » à économies planifiées. Si comme nous l?avons dit, le mouvement révolutionnaire cubain était caractérisé par l?existence d?une tendance petite bourgeoise qui a, qui plus est, fait l?essentiel de la révolution, le mouvement socialiste était également existant et pas sans importance. Le PSP était un parti relativement puissant dans les villes, et des personnalités illustres comme Ernesto Guevara étaient depuis plusieurs années favorables au marxisme et à la révolution socialiste même s?il ne pensait pas au préalable qu?elle pourrait se produire à Cuba.

Cuba se serait donc tourner vers l?URSS et la construction du socialisme par défaut. La volonté de créer de nouvelles relations avec les Etats-Unis sur une base plus équitable ayant échoué, ceux-ci ne souhaitant pas perdre leurs intérêts économiques, cela n?aurait laissé qu?une seule autre voie de développement pour Cuba, l?alliance avec l?URSS et l?instauration de la planification socialiste. Ce jugement est loin d?être faux, mais il faut le relativiser, et voir dans le soutien de la population à la révolution et aux différentes réformes (réforme agraire, nationalisations...) une traduction d?une lutte des classes qui s?est produites durant ces trois années et qui a rendu caduc un pouvoir de collaboration de classes.

Cuba s?affirme donc depuis octobre 1961, comme un pays en transition vers le socialisme. Il a adopté une planification étatique d?où serait basé le développement du pays jusqu?à la possibilité du passage au socialisme et ensuite au communisme. On caractérise un pays ou territoire en transition du capitalisme au socialisme essentiellement par l?existence effective d?une dictature du prolétariat, c'est-à-dire que le prolétariat détient le pouvoir politique qui garantisse une démocratie socialiste et qu?il soit propriétaire collectif des moyens de production et donc que des instances juridiques lui permettent de discuter et de prendre des décisions tant politiques qu?économiques.

Cuba se caractérise juridiquement (la référence à la dictature du prolétariat est inscrite dans la constitution de 1975) et par les discours de ses dirigeants comme étant un pays en transition vers le socialisme. Or, le fait juridique ne correspond pas forcément aux rapports sociaux effectifs. S?il est vrai que les masses populaires ont largement soutenues la révolution et le processus révolutionnaire qui a suivi, nombre d?analystes, notamment marxistes, ont montré les limites de la révolution cubaine au niveau de la participation des masses aux

processus de décisions, et donc l?existence méme dans les faits d?une dictature du prolétariat et donc d?un pays en transition du capitalisme au socialisme56.

b) Participation des masses et transition vers le socialisme

Le but ici, n?est pas d?essayer d?analyser la participation des masses au processus révolutionnaire cubain dans son ensemble, mais de se poser la question de la pertinence d?analyser Cuba en tant que pays en transition du capitalisme au socialisme. Le peuple cubain a soutenu fortement la révolution et le processus révolutionnaire comme nous l?avons dit. Mais peu de structures juridiques ont été conçue au préalable pour permettre une réelle démocratie socialiste, les organisations de masses qui se créèrent au fur et à mesure des années 196057permettent tout de même une représentation de la population qui a donc des moyens de se faire entendre. Egalement les différentes élections pour les postes dans les assemblées populaires (municipales, provinciales et nationales) nous montrent l?existence de structures institutionnelles qui se veulent démocratiques.

L?étude de Cuba en tant que pays en transition vers le socialisme peut s?avérer justifier au niveau économique par l?utilisation de la planification. Une économie en transition du capitalisme au socialisme est forcément une économie planifiée, c'est-à-dire que le moyen principal de développement économique est la planification, bien qu?il puisse exister des enclaves privées, comme des petites propriétés paysannes. La planification d?une économie en transition se distingue de ce qui a été nommé planification indicative dans certains pays

56 « Si cette dernière (la direction cubaine) attache une telle importance aux problèmes des rapports marchands, au point d?en faire le centre de sa conception idéologique et de sa pratique politique, cela ne peut être seulement la conséquence d?une erreur subjective. Je dirai que c?est là l?effet d?une idéologie et d?une politique qui concentre tout le pouvoir dans les mains d?un groupe dirigeant, et qui ne créent donc pas les conditions nécessaires à l?exercice démocratique du pouvoir prolétarien (...) »

« D?une part cette pratique politique à une signification de classe (...) Je dirai seulement qu?elle est liée à la domination politique d?une fraction radicalisée de la petite bourgeoisie. D?autre part, elle entraîne des conséquences nécessaires, c'est-à-dire qui s?imposent nécessairement à un gouvernement se réclamant du socialisme. »

« Une des conséquences est précisément un déplacement idéologique : l?identification du socialisme : non à la dictature du prolétariat (...) mais à la disparition des rapports marchands. » SWEEZY, Paul, BETTELHEIM, Charles, Lettres sur quelques problèmes actuels du socialisme, Op.cit.

57 La Centrale des Travailleurs Cubains, la Fédération de Femmes Cubaines, les Comités de Défense de la Révolution....

capitalistes après la seconde guerre mondiale mais qui ne sortait pas du cadre de l?économie de marché58.

Bien sûr, l?éventuel manque de participation des masses et l?usurpation du pouvoir par « une frange radicalisée de la petite bourgeoisie » ou tout simplement par une bureaucratie, dont nous ne voulons pas faire une analyse approfondie, peut entraîner l?existence d?un biais dans l?analyse. Mais fondamentalement, une analyse de la stimulation matériel à Cuba et de l?utilisation de la loi de la valeur dans un cadre marxiste et en tant qu?économie de transition, peut servir à expliquer et comprendre la réalité cubaine ainsi qu?à approfondir la réflexion sur l?économie de transition au cas où, de nouveaux pays s?engagerait à terme sur cette voie.

Le biais de la non existence effective d?une dictature du prolétariat à Cuba ne pourra être totalement occulté de l?analyse. En effet, la stimulation matérielle concerne la rémunération des travailleurs et donc du prolétariat lui-méme, et nous verrons que l?utilisation de stimulants matériels et de salaire aux pièces, est liée au faible développement des forces productives ainsi qu?à la faible conscience socialiste d?une frange de la classe ouvrière. Il est de plus difficile d?imaginer la démocratie socialiste parfaite, optimale, et à ce titre il n?existait pas de réelle dictature du prolétariat ni en Union Soviétique ni en Chine.

E/ Le grand débat économique à Cuba

Il a été notable pour caractériser cette période, de diviser les différents protagonistes du débat en deux camps opposés. D?un côté, les idées portées par Guevara et de l?autre celles défendues par exemple par Carlos Rafael Rodriguez, en ce qui concerne la politique à adopter au niveau de la gestion planifiée de l?économie, et donc des systèmes de stimulation au travail qui en découlent. Même si nous aborderons la même approche en ce qui concerne la séparation en deux camps, nous essayerons de contrer certaines analyses simplistes qui ont été faite à cette époque.

58 A cet égard voir la différence que fait Charles Bettelheim entre les deux types de planification. Cf. .BETTELHEIM, Charles, Planification et croissance accélérée, Petite collection Maspero, Paris, 1968.

Certains parlent de courants antagonistes59. Carmelo Mesa Lago, appelle la « tendance » portée par Ernesto Guevara, Sino-Guevariste, car celui-ci tout en apportant son « grain de sel » au niveau théorique (ou plutôt idéologique) prend en compte l?exemple chinois de l?époque, qui rejette les stimulants matériels comme base de rémunération des travailleurs. Nous verrons en analysant la pensée de Guevara que cette caractérisation n?est pas tout à fait opportune si l?on se reporte à l?analyse du cas chinois ci-dessus.

Un fait manifeste à Cuba au début de la révolution, était le manque d?expérience des nouveaux dirigeants cubains concernant la politique économique socialiste, d?où l?appel à contribution de nombreux experts étrangers pour conseiller les premières perspectives de plans économiques60. C?est à partir de 1963, que deux courants opposés vont voir le jour publiquement et commencer un débat d?opinion important par l?intermédiaire essentiellement de revues théoriques61. Ce débat portait sur le type ou plutôt le degré de planification économique à adopter et plus spécifiquement sur l?utilisation de la loi de la valeur au sein du secteur nationalisé et donc sur l?utilisation de stimulants matériels pour les travailleurs dans la période de transition.

1) La pensée de Guevara

a) Stimulants matériels et stimulants moraux

Guevara proposait que les stimulants matériels aient la plus petite place possible dans l?économie, et qu?il fallait une prédominance des stimulants moraux au sein des entreprises. Car pour lui, les stimulants matériels, hérités du capitalisme ne pouvaient pas être appliqués et avoir force de loi si l?on voulait construire le socialisme, car au contraire cela conduira à reproduire la conscience capitaliste (de l?appât du gain) et serait une entrave à la construction du socialisme. L?éducation des masses dans le sens du désintérét matériel devait avoir une grande importance.

59 MESA LAGO, Carmelo «ideological, political and economics factors in the Cuban controversy on material versus moral incentives», Op.cit.

60 On peut citer Charles Bettelheim, Paul M. Sweezy, Ernest Mandel, Jacques Chonchol....

61 Cuba Socialista, Nueva Industria...

« Les tares de l'ancienne société se perpétuent dans la conscience individuelle et il faut faire un travail incessant pour les faire disparaître62 »

Ce travail incessant d?éducation des masses doit selon lui être l?oeuvre de l?Etat63. Il faut préciser tout de même que Guevara ne rejette pas complètement les stimulants matériels, mais ceux-ci doivent être relégués au second plan devant les stimulants moraux et appliqués pour des collectifs de travailleurs et non individuellement. Les stimulants moraux seraient la principale manière de développer la production autant quantitativement que qualitativement, les stimulants matériels doivent venir simplement les compléter. Le but est de créer dans le méme temps que la société communiste, un homme nouveau doué d?une conscience nouvelle, car l?Homme de la société capitaliste, et de la période de transition « est un être incomplet, un produit inachevé64 ».

Nous voyons que sur la moindre place a accordé aux stimulants matériels, Guevara se rapproche de la position chinoise des années 1960. Il s?en rapproche également sur le rôle du profit comme stimulant. Nous avons expliqué plus haut la position chinoise sur ce sujet. La rentabilité financière des entreprises est reconnue, mais le profit n?est pas le stimulant principal et quasiment tous les bénéfices étaient centralisés. Cette centralisation des bénéfices étaient également porté par Guevara avec le Système Budgétaire de Financement qu?il proposait, mais l?on peut remarquer qu?il approfondissait moins sur le rôle tout de méme bénéfique d?une certaine rentabilité des entreprises afin de créer un surplus économique dans le but de servir l?accumulation socialiste. De plus, la décentralisation des décisions au niveau de la discussion du plan laissant beaucoup d?initiative aux masses, promue à cette époque en Chine, est également absente de la pensée de Guevara. La qualification de sino-guévariste

62 GUEVARA, Ernesto, « Le socialisme et l?Homme à Cuba », dans LOWY, Michael, Ernesto Guevara: écrits d'un révolutionnaire, La brèche, Paris, 1987.

63 Il est intéressant de remarquer ce que pensait Marx au niveau de l?éducation du peuple par l?Etat, auquel on ne fait rarement allusion. Ainsi Dans la Critique du programme de Gotha, critique du point B 1° du programme qui stipulait « éducation pour tous, la même pour tous, du peuple par l?Etat. Obligation scolaire pour tous, inscription gratuite » Marx réponds en parti ceci : « Ce qui est absolument à rejeter, c?est une éducation du peuple par l?Etat. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles populaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant, les branches d?enseignements... et comme aux Etats-Unis, surveiller, à l?aide

d?inspecteurs d?Etat, l?exécution de ces prescriptions légales, c?est tout autre chose que de faire de l?Etat

l?éducateur du peuple ! Bien plus il faut au même titre proscrire de l?école toute influence gouvernementale et religieuse(...) ».

64 GUEVARA, Ernesto, Le socialisme et l?Homme à Cuba, Op.cit

pour caractériser la pensée de Guevara appliquée par Mesa-Lago est donc un peu simplificatrice.

b) Rapports de production, forces productives et planification

Cette vision de Guevara fait partie d?une représentation plus générale sur la planification et sur la transition vers le socialisme. Il faut voir que celui-ci souhaite se débarrasser le plus vite possible des tares du capitalisme et rejette la loi de la valeur comme loi économique de la période de transition. Comme nous l'avons vu, pour lui, les stimulants moraux sont capables d'accroître les forces productives, c'est à dire que le développement de la conscience socialiste permettrait en partie l'accroissement de la productivité du travail. Evidemment, Guevara rejette le lien mécanique entre rapport de production et caractère des forces productives :

« A quels moment les rapports de production peuvent ils ne pas être le fidèle reflet du développement des forces productives? Aux moments d'ascension d'une société qui se prépare à détruire une société antérieure et dans les moments de rupture de l'ancienne société, quand la nouvelle qui doit implanter ses propres rapports de production, lutte pour se consolider et détruire l'ancienne superstructure. 65»

Mais l'on perçoit une volonté de supprimer le plus vite possible les résidus du capitalisme. La perception de la période de transition vers le socialisme comme un moment long, ou une lutte politique et économique, a lieu justement pour lutter contre la loi de la valeur, contre les attitudes héritées des sociétés présocialistes, qui plus est dans une économie arriérée n?est pas présente. La participation des travailleurs aux processus productifs est donc primordiale pour l'élévation de la conscience socialiste et pour qu'ils aient conscience des contradictions réelles entre rapports de production et forces productives. L'octroi de stimulants moraux peut être efficace mais pas forcément nécessaire en parallèle d'un processus d'appropriation des unités de production de la part des travailleurs.

65, GUEVARA, Ernesto « La banque, le crédit et le socialisme » in LOWY, Michael, Ernesto Guevara: écrits d'un révolutionnaire, Op.cit.

Cela se retranscrit dans le système de planification qu?il propose (et qui sera mis en pratique peu de temps), le Système Budgétaire de Financement. Au sein de ce système, toutes les unités d?activités économiques sont rattachées à un centre budgétaire, l?Etat, qui leur fournit le budget qui correspond aux attentes du plan. Les profits des entreprises reviennent au budget du JUCEPLAN66, et les pertes des autres entreprises sont couvertes par ce budget.

« Nous proposons ici un système centralisé de direction de l'économie, avec un contrôle assez rigoureux des entreprises, mais aussi avec un contrôle conscient des directeurs d'entreprises ; un système qui considère l'ensemble de l'économie comme une grande entreprise et qui s'efforce d'établir une coopération entre tous les participants comme s'ils étaient des membres d'une grande entreprise - et non pas comme des loups entre eux - dans la construction du socialisme »67.

Il faut savoir que la théorie de Guevara, était soutenue par des théoriciens étrangers, tel le belge Ernest Mandel, ou les Nord Américains, Leo Huberman et Paul Sweezy, qui ont écrit notamment dans la revue Nueva Industria de l?époque.

2) / 'autre « camp » et première conclusion théorique

Les partisans d?une plus grande utilisation des stimulants matériels pendant l?étape de transition du capitalisme au socialisme étaient surtout des anciens membres du Parti Socialiste Populaire lié à l?Union Soviétique. Même si on peut dans certains cas admettre une tendance à une interprétation mécaniste des liens entre rapports de production et développement des forces productives, une vision peut être plus réaliste se détachait parfois.

66 Junta Central de Planificación.

67 , ,

D apres GUEVARA, Ernesto, Temas económicos, Editorial Ciencias sociales, La Habana, 1988, in MOLINA

MOLINA, Ernesto, «A propos de la pensé économique du Che Guevara sur le socialisme» in HERRERA, Rémy, Cuba révolutionnaire tome 2: économie et planification, L?Harmattan, Paris, 2006.

a) Le camp de Carlos Rafael Rodríguez

Ce « camp » fût emmené théoriquement à Cuba par Carlos Rafael Rodriguez, membre du Parti Socialiste Populaire et d?autres membres de ce méme parti (qui étaient issus du premier parti communiste cubain né dans les années 1920) dont Blas Roca président du parti. Le PSP contrôlait jusqu?en 1965 la revue Cuba Socialista et c?est surtout à travers celle-ci qu?ils faisaient passer leur point de vue, avec de temps à autres des articles d?économistes soviétiques pour les appuyer. Le débat entre les deux tendances avait lieu surtout dans les revues que l?une ou l?autre contrôlaient. La tendance « pragmatique »68 comme l?appelait Terry Karl, se rapprochait et était même soutenue par Charles Bettelheim dans le sens ou elle mettait en valeur la loi de correspondance entre les rapports de production et le développement des forces productives pour contredire les positions des «idéalistes ».

Le débat commença réellement en 1963, suite à la parution d?un article d?Alberto Mora, ministre du commerce extérieur, dans lequel il précisait qu?il était peu réaliste de supprimer les lois de l?offre et de la demande ainsi que les mécanismes de marché durant la période de transition69. Les idées de cette tendance sont effectivement un contrepoint à la vision de Guevara. D?une part, ils considèrent comme nécessaire de laisser subsister des formes de propriétés individuelles au sein de la société. D?autre part, à l?intérieur du secteur socialiste, les entreprises devraient avoir une plus large autonomie dans leur décisions, à travers l?autofinancement, qui permettrait aux entreprises publiques de réinvestir et de distribuer une partie des profits aux dirigeants et travailleurs afin de les intéresser aux résultats de leurs entreprises, ce qui serait bénéfique pour le rendement et la productivité, donc globalement pour le développement des forces productives.

La loi de la valeur doit donc continuer de gérer les relations à l?intérieur du système nationalisé tant que l?intégration économique des entreprises et des secteurs d?activités n?est pas complète. Ce qui signifie en partie que l?idée de stimulant matériel et de salaire au

68 La désignation des deux courants comme idéaliste/ pragmatique peut également paraître simplificatrice. Deux vues théoriques s?opposent et si l?on voit où à mener la politique soviétique la tendance pragmatique peut paraître comme une tendance bourgeoise au sens de Bettelheim.

69 MESA LAGO, Carmelo «ideological, political and economics factors in the Cuban controversy on material versus moral incentives», Op.cit.

rendement est compatible selon cette vision avec l?étape de transition entre le capitalisme et le socialisme.

Car le problème ici est d?avoir une productivité suffisante pour permettre un accroissement rapide des forces productives, sachant que l?on se trouve dans un pays arriéré économiquement. Et malgré que la majorité de la population se soit jointe à la victoire de la révolution, la conscience de celle-ci, au stade de développement capitaliste de Cuba ne pouvait être aussi avancée, pour qu?une émulation socialiste effective puisse avoir lieu. Le développement de la conscience ne peut pas être plus poussé que l?évolution du système de production70.

Les partisans de ce point de vue prenaient exemple sur le cas de l'Union soviétique, qui pratiquait un système de calcul économique développé (par exemple 33% des bénéfices des entreprises était laissé à leur disposition) et où un processus de réformes était en cours dans le sens de plus d'autonomie pour les entreprises et qui fût effectif en 1965. On peut dire que sous cet angle de pensée, l'accent est mis sur l'effort de production plus que sur celui de la lutte des classes bien que se soit la construction du socialisme qui reste en point de mire.

« Il ne me semble pas qu'on puisse conclure avec certitude que l'emploi (...) de méthodes indirectes dans la direction économique surtout si on le joint à un travail adéquat au niveau de la superstructure, doive nécessairement conduire à dévier de l'objectif final, qui est la construction du socialisme. 71»

b) Conclusion théorique

Avant d?analyser l?utilisation des stimulants matériels à Cuba durant toute la période révolutionnaire et leur signification économique et politique, il est important de conclure sur tout ce qui vient d?être dit et expliqué.

70 BETTELHEIM, Charles La transition vers l'économie socialiste, Op.cit.

71A. Mora cité dans LOWY, Michael, Che Guevara : écrits d'un révolutionnaire, Op.cit.

Il ressort de cette première partie de l?étude que l?utilisation de stimulants matériels c'està-dire de rapports de distribution issus du capitalisme ainsi que la conservation de la loi de la valeur durant la période de transition du capitalisme au socialisme est nécessaire et inévitable dans des économies à faible développement des forces productives. Il est clair que pour un pays fortement industrialisé, où les différentes branches de l?économie auront un degré d?indépendance fort entre elles et où existe une agriculture quasi complètement capitaliste, il en serait peut-être différemment, car la planification socialiste pourrait être réellement effective très rapidement. Réellement effective signifie que la socialisation des moyens de production est réalisée, c'est-à-dire que le calcul en temps de travail nécessaire est rendu possible par la dépendance de tous les secteurs économiques entre eux. La propriété des moyens de production est alors entre les mains de la société, qui a le contrôle de la production. Le socialisme sera alors réellement atteint, et l?édification du communisme se rapprochera.

Les rapports de distribution étant le reflet des rapports de production, vu que ces derniers ne peuvent être effectivement très en avance au début de la transition, des formes de rémunérations bourgeoises resteront en vigueur (salaires aux pièces, primes...) dans le secteur capitaliste, et également dans le secteur socialiste. Une envie trop pressante de modifier les rapports de production pourrait avoir au contraire des effets néfastes sur le développement qualitatif et quantitatif de la production en raison d?un manque d?expérience dans la gestion planifiée au début de la révolution et d?un manque de conscience des masses au méme moment.

Mais bien sûr, il ne faut pas y voir un lien mécanique entre les rapports de production et le caractère des forces productives comme il a déjà été dit plus haut. Les rapports de production doivent évoluer avec l?appui technique et décisionnel de la classe ouvrière qui par cela prendra conscience de l?oeuvre qu?elle est en train de réaliser. Les rapports de production ne pourront pas s?élever plus loin qu?ils freinent le développement des forces productives et la population doit avoir conscience de la contradiction entre le plan et le marché pour éviter les erreurs de précipitation. Cela induit sa participation et la plus grande transparence des décisions et des résultats économiques.

L?importance que Guevara a donné au rôle de la conscience socialiste est cruciale mais elle ne peut venir d? « en haut ». Les récompenses honorifiques ne sont rien s?il n?y a pas cette participation active de toute la société au processus en cours. Les changements graduels dans l?organisation du travail et du secteur productif vont aller dans le sens du développement de la conscience comme toutes les avancées que l?Etat socialiste fera dans d?autres domaines (santé, éducation...).

Dans tous les Pays dont nous avons parlé, il exista très vite après la révolution un octroi de services et de biens gratuits ou à prix très bas, administrés, pour la population qui correspond déjà en partie à une rémunération selon les besoins72. Ce type de distribution devra progresser au fur et à mesure du développement de la société socialiste, sans en faire une obsession, une attitude pressée. Car ce qui caractérise une société en transition vers le socialisme est l?existence de la dictature du prolétariat (existence réelle et non seulement juridique) plus que la disparition des catégories marchandes à tout prix.

Nous pouvons conclure que la persistance relative des stimulants matériels au cours de la phase de transition dans le but d?un développement effectif des forces productives va dépendre de plusieurs éléments. Tout d?abord comme il été répété maintes fois, le caractère des forces productives va être un élément important. Mais celui-ci n?est pas l?unique déterminant. La mainmise d?une bureaucratie sur le pouvoir, et donc le degré de démocratie socialiste va influer sur le rôle de la loi de la valeur. Plus le pouvoir bureaucratique est important, plus elle va devoir utiliser plus fortement de catégories marchandes pour inciter à l?effort de travail car la conscience des travailleurs des contradictions et des buts de la transition n?est pas dans son intérét. Un troisième élément va apparaître important, il sera développé dans la conclusion finale, il concerne la situation internationale et plus précisément le degré d?isolement du pays en transition vers le socialisme.

72 «A chacun selon son travail, à Chacun selon ses besoins» doit être selon Marx le rapport de distribution qui caractérisera la société communiste, Cf. MARX, Karl, Critique du programme de Gotha, op.cit.

II) Les stimulants matériels à Cuba depuis 1959 : rejet et nécessité

Comme il a été dit précédemment, la révolution cubaine s?est donc produit dans un pays arriéré, avec un faible développement des forces productives, et donc des formes capitalistes de propriété (faible développement industriel, économie essentiellement agraire). C?est dans ces conditions que Cuba s?est engagé sur la voie de la construction du socialisme et du communisme, et la politique économique qui va justement consister à poser les bases de cette construction va s?avérer importante, tant sur les rapports de production (types de propriété...) que sur les choix stratégiques et le développement social du pays (santé, éducation, bien-être). La politique des stimulants matériels et des modes de rémunération va bien sûr rentrer dans ce cadre, car comme on l?a vu dans une première partie, le type de rémunération va être lié au rapport de production et donc de distribution en place.

Comme le fait remarquer un éminent économiste cubain, en 1959, le développement des forces productives à Cuba était telle qu?il ne nécessitait pas un haut degré (de socialisation) de rapports de production, mais que les contradictions de classes qui se sont produites durant les deux premières années de la révolution, entre le pouvoir révolutionnaire et la bourgeoisie cubaine et des Etats-Unis, suite aux différents réformes entreprises par le pouvoir (réformes agraires, nationalisations de certaines entreprises...), a rendu les nationalisations plus poussées des années 1960-61 nécessaires à fin de conservation du pouvoir politique.73

Après un laps de temps qui suivit la révolution au moment duquel des débats eurent lieu sur l?étape de transition du capitalisme au socialisme (voir supra) l?attitude vis-à-vis des stimulants matériels et de la loi de la valeur dans l?étape de transition de 1959 à aujourd?hui, peut-être caractérisée en plusieurs périodes. Certaines au cours desquelles les stimulants matériels ont été mis de côté au profit des stimulants moraux et d?autres où ils furent jugés nécessaires pour un développement accru des forces productives. Ces changements d?attitudes ont plusieurs raisons qui peuvent parfois revêtir une forme idéologique mais qui ont aussi des

73 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo económico en Cuba, Editorial de ciencias sociales, La Habana, 1990.

causes tant politiques qu?économiques. Nous allons donc analyser ces différentes périodes et essayer d?en comprendre les causes et les effets et voir les problèmes qui se sont posés et qui se posent encore sur cette question depuis le commencement du processus révolutionnaire cubain.

A/ Les contradictions de la première période de la révolution cubaine

Le début de la révolution cubaine fût sujet à des tâtonnements au niveau de la politique économique et du système de planification à mettre en place. De 1961 à 1963, coexistaient même trois systèmes de gestion économique74. Il existait des petites et moyennes propriétés privées dans l?agriculture, encore très importante avant la deuxième réforme agraire de 1963. Dans l?agriculture et le commerce extérieur, l?on avait affaire à un système de gestion budgétaire étatique modifié (avec une part plus grande de l?utilisation de la valeur), et le Système Budgétaire de Financement (SBF) appliqué par Guevara gérait l?industrie.

Cette période est aussi marquée par l?émergence du débat sur la transition cubaine et la transition du capitalisme au socialisme en général. Le fait que deux secteurs de l?économie soient gérés de façon différente vient du fait que les dirigeants de ces dits secteurs aient des visions différentes au niveau de la planification socialiste. Pour ce qui est des incitations matérielles, l?existence de deux systèmes de direction économique va également répondre à deux visions différentes en ce qui concerne la stimulation au travail.

74 Idem.

1) La coexistence simultanée de deux systèmes.

a) Le Système Budgétaire de Financement

Le SBF se fondait sur un contrôle centralisé de l?activité de l?entreprise. La loi de la valeur n?y jouait quasiment aucun rôle. Par exemple, le transfert d?un produit entre deux unités économiques (entreprises ou ministères) n?entraînait pas d?opération de paiement mais d?encaissement, car ce secteur de l?économie fonctionnait comme s?il ne formait qu?une seule entreprise. Ces transactions impliquaient simplement des bons de commande et des contrats de livraisons, dont la valeur provenait des coûts planifiés75.

Ces grandes unités économiques (Consolidos) n?utilisaient pas non plus le crédit bancaire, ni avaient de compte bancaire propre. Les revenus de l?entreprise consolidée, dès leur réception, partaient dans le budget de l?État, qui lui versait une allocation afin de couvrir ses coüts (investissement, salaires...). Au sein de ce système, l?argent se limitait à sa fonction de numéraire, expression sous formes de prix de la gestion des entreprises pour refléter les coüts planifiés. Dans ce cas, l?entreprise n?était pas en mesure de connaître ses résultats économiques, c?est à dire son efficience, sa rentabilité, que ce soit en termes absolus et relatifs, ceci ne se faisait qu?au niveau global, sociétal.

b) La planification dans l?agriculture

Au niveau de l?agriculture, le système restait fortement centralisé, et l?état ne contrôlait que 37% de la valeur productive dans l?agriculture avant la deuxième réforme agraire, ce qui le mettait en situation désavantageuse pour mobiliser les ressources productives de cette branche. A partir précisément d?aoüt 1963, après que 70% des terres agricoles fussent sous le contrôle de l?état sous forme de fermes d?État (Granjas estatales), un processus de régionalisation et de décentralisation fût installé sous l?impulsion du directeur de l?INRA (Institut National de Reforme Agraire) Carlos Rafael Rodriguez. Ce système reprenait le

75 MOLINA MOLINA, Ernesto., «A propos de la pensé économique de Che Guevara sur le socialisme», Op.cit.

modèle du calcul économique, avec utilisation de la loi de la valeur. Au cours de la Zafra de 1963 (récolte de la canne à sucre), un système de salaire progressif fût mis en place, proportionnel à l?augmentation de la production des travailleurs. Pour les récoltes de 1965 et 1966, des récompenses matérielles furent ajoutées telles que des voyages touristiques à Cuba ou dans d?autres pays en transition vers le socialisme, des maisons, réfrigérateurs, automobiles... Seulement 20% des travailleurs participaient à ce programme et 1 à 1,7% seulement de ceux-ci bénéficièrent des récompenses76.

Ce système de planification laissant une place à l?autonomie des unités économiques était également en vigueur au sein du ministère du commerce extérieur qu?Alberto Mora dirigeait. En face de ceci, un autre système de planification était en place dans l?industrie, dont Guevara était le ministre, à savoir le Système Budgétaire de Financement, dont le modèle a été expliqué ci-dessus. Cela peut bien sûr soulever des contradictions, en tout cas suivant le développement de chaque secteur respectif.

2) Stimulation matérielle et importance de la loi de la valeur au début de la révolution cubaine

a) La stimulation matérielle au sein des deux systèmes de planification

Au niveau de l?incitation au travail, les deux systèmes ont appuyé leurs revendications. Nous voyons que dans l?agriculture, des systèmes de salaire aux pièces et de récompenses matérielles ont été mis en place, bien que dans une mesure faible. Dans le secteur industriel, l?accent a été mis sur les stimulants moraux à travers des récompenses honorifiques (médailles, drapeaux..) distribuées par la CTC (Centrale des Travailleurs Cubains) ainsi que par les discours des leaders qui sont là pour encourager le peuple à l?effort de création de la société socialiste. Il existait également des incitations monétaires au sein du secteur industriel, des bonus pour le dépassement des normes, mais aussi des malus pour le non accomplissement de celles-ci. Si un travailleur n?accomplissait que 90% de la norme de production, il perdait 10% sur son salaire, mais s?il dépassait de 10% la norme,

76 MESA LAGO, Carmelo, «ideological, political and economics factors in the Cuban controversy on material versus moral incentives», Op.cit.

l?augmentation de son revenu ne correspondait qu?à la moitié du dépassement (ici 5%), mais sans dépasser le niveau du degré supérieur de l?échelle salariale. Ce type de stimulant matériel correspondait à la vision de Guevara en ce qui concerne la formation professionnelle.

Cette période fût donc une période de tâtonnement (ce qui peut caractériser toute l?histoire de la révolution cubaine), tant sur le plan de la politique économique (planification) que sur celui plus particulier de la stimulation. Mais n?oublions pas de souligner que beaucoup d?autres choses ont été faîtes à ce moment là et qui ont une importance pour notre raisonnement, telles que l?augmentation significative des salaires, l?abaissement du prix des loyers et l?instauration du système de rationnement entre autres.

b) Recherche d?explication sur l?entrée de Cuba dans la période de transition

La priorité du nouveau pouvoir cubain dès son introduction, fût donc la mise en place de la réforme agraire (la 1ère de 1959 était seulement une distribution des terres aux paysans, avec peu de remise en cause de la propriété privée, presque 70% des terres restant aux mains de producteurs individuels), l?amélioration du sort de la population (à travers l?augmentation des salaires et les mesures déjà décrites), ainsi que l?industrialisation rapide du pays afin de développer les forces productives. Les rapports de production avancés mis en place en 1961 avec les nationalisations et en 1963 avec la deuxième réforme agraire allaient faire de Cuba, le pays à économie planifiée dont l?Etat disposait le plus des moyens de production.

La volonté d?une industrialisation poussée, malgré que le pays fut arriéré économiquement est expliqué dans ces termes par José Luis Rodriguez :

« Dans les pays ou triomphe la révolution socialiste, qui ont un niveau de développement des forces productives élevé, le processus de création de la base technico-matérielle du socialisme consiste dans la socialisation, la reconstruction et la réorganisation socialiste des moyens de production, à travers le perfectionnement de l'appareil productif hérité, l'application intensive de la technique(...) Or dans un pays à faible niveau de développement des forces productives, le processus de création de la base technico-matérielle signifie

l'industrialisation socialiste laquelle consiste en essence à la croissance accélérée de

l'économie nationale, à partir du développement de la grande industrie socialiste et de l'application massive de la technique dans toute les branches de l'économie77 ».

Durant cette période, on assiste donc à la nationalisation de toute la grande industrie au cours de ce que l?on peut appeler une réelle lutte de classe entre le pouvoir révolutionnaire soutenu par le peuple et la bourgeoisie cubaine et impérialiste (nord américaine notamment). Au niveau de l?agriculture, après la deuxième réforme agraire, l?Etat contrôlait 60,1% des terres c'est-à-dire une relative forte proportion. L?état agricole du pays a facilité la mise en place de la collectivisation, plus « facile » à entreprendre qu?en URSS par exemple, du fait de la structure du prolétariat rural avant la révolution78.

Quasiment 50% de ce prolétariat travaillait dans le secteur sucrier, cumulaient de longues périodes de chômage forcé du fait d?un nombre élevé de travaux saisonnier. Il était donc assez détaché de la terre, de la propriété et la situation des petits paysans propriétaires était peu enviable. Leurs revendications allaient plutôt dans le sens d?obtenir un revenu décent et une amélioration des conditions de vie.

D?un autre côté, les petits commerçants restaient autorisés. On peut donc dire que l?économie cubaine à ce stade essayait de transiter progressivement en laissant une part relativement importante aux éléments marchands, c'est-à-dire à la petite production agricole, à l?artisanat, et à l?influence relative de la loi de la valeur dans le secteur dirigé par l?INRA.

77 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo económico en Cuba, Op.cit.

78Cf. GUTELMAN, Michel, L'agriculture socialisée à Cuba : enseignements et perspectives, Maspero, Paris, 1967.

B/ L'offensive révolutionnaire et la premiere rectification des erreurs (1966-1975)

1) L'offensive révolutionnaire, causes et conséquences

a) Changement de cap au niveau de la politique des stimulants matériels et de la planification en général.

Le début de la période nommée « offensive révolutionnaire », peut se dater en 1966, lors d?un discours de Fidel Castro, le 26 juillet. Celui-ci, depuis le début de la révolution, n?avait pas réellement pris parti pour l?une ou l?autre des deux « tendances ». L?on sait que Guevara à quitté Cuba en 1965, pour aider au développement de guérillas dans d?autres parties du monde (Congo, Bolivie). Certains analystes affirmaient que les mesures de l?offensive révolutionnaire correspondaient à la vision de Guevara sur la planification, en réalité cela peut se contredire facilement.

En effet, à la suite du discours de Fidel Castro, très critique vis-à-vis des stimulants matériels et de l?existence des relations marchandes sous le socialisme, la centralisation des ressources va s?effectuer dans l?agriculture, les tenants du calcul économique vont être relégués à des postes de second plan, et les stimulants matériels mis en place depuis la révolution, vont être progressivement supprimés ainsi que les normes de travail. Un système de plans spéciaux va gérer toutes les relations du secteur économique socialiste. Il faut rappeler que Cuba, à ce moment, est le pays où le taux de moyens de production détenus par l?État est le plus élevé au sein des économies socialistes planifiées. En hiver de l?année 1968, 56 638 petits commerçants se virent confisqués leurs biens79. A cette date, 30% des terres agricoles restaient de petites exploitations privées, tous les autres moyens de productions (agricoles, industriels...) étaient nationalisés80.

79 KARL, Terry, « Work incentives in Cuba », Op.cit.

80 Hormis quelques exceptions, très contrôlées et insignifiantes au niveau statistique comme certain transport de marchandises. Cf. RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo económico en Cuba, Op.cit.

La planification centralisée, sans utilisation de la loi de la valeur, le rejet et la suppression des stimulants matériels (ceux-ci le furent progressivement et leur suppression effective peut titre datée de 1968) montre que les dirigeants cubains, souhaitaient construire le socialisme et le communisme, le plus rapidement possible, sans se soucier du degré de développement des forces productives. Mais ces mesures traduisent également une prise en compte de la situation économique du pays en ce qui concerne l?offre de biens de consommation. En effet, la suppression des stimulants matériels a également été appliquée afin de ne pas augmenter trop fortement les revenus de la population sachant que celle-ci ne pourrait pas les dépenser et d?éviter ainsi une hausse trop importante des liquidités en circulation.

Cuba avait à cette époque, construit des rapports de production plus sociaux (mais pas plus efficaces) que les économies d?Europe de l?Est et de l?URSS alors que l?état de ses forces productives se trouvait à un niveau nettement inférieur. Nous reviendrons sur ce point dans la partie suivante. Pour adoucir ce jugement nous pouvons citer Rodriguez :

« Pourtant, d'un point de vue historique, ces erreurs, justement qualifiées « d'idéalistes » dans le bon sens du terme, furent des erreurs qui nous amenèrent à essayer en général d'appliquer avec anticipation des mécanismes correspondants à un développement supérieur mais toujours à l'intérieur de la ligne politique stratégique du socialisme comme système81».

Certains analystes ont affirmé que les mesures appliquées au cours de l?offensive révolutionnaire correspondaient aux thèses de Guevara. En réalité, l?égalitarisme poussé mis en place durant cette période ne fût pas préconisé par lui. Au contraire celui-ci comptait stimuler la formation professionnelle par un certain degré de hiérarchie salariale82. Guevara n?aurait également pas toléré la nationalisation des petits commerces et kiosques à café par exemple, car leur gestion entraînerait de graves problèmes administratifs. Au cours de son séjour au ministère de l?industrie, il avait mis en place un système de normes de travail, qui fût abandonné au cours de l?offensive révolutionnaire.

81 Idem

82 HABEL, Janette, Rupture à Cuba, le Castrisme en crise, La Brèche, Paris, 1989.

L?état des forces productives, n?est pas le seul élément qui empéchait une augmentation de la productivité avec une si faible influence de la loi de la valeur et des rapports de production issus du capitalisme. En premier lieu, nous pouvons noter l?affaiblissement de l?effervescence révolutionnaire au sein de la population et la mainmise plus prégnante de la bureaucratie sur le pouvoir. Cet effet aurait nécessité plus de stimulants matériels afin de motiver les travailleurs. Deuxièmement, la situation internationale était encore caractérisée par un relatif isolement de Cuba en tant qu?économie en transition (ou se proclamant comme tel), méme si des rapports commençaient à s?affirmer avec l?URSS et le «bloc» de l?Est. Ce contexte, où les trois éléments déterminants étaient dans une position que l?on peut caractériser de «faible» aurait dû être une alerte pour une amplification du rôle de la loi de la valeur au sein du secteur d?Etat ainsi que pour une augmentation de la sphère privée.

b) Les difficultés encourues au cours de la période de l?Offensive Révolutionnaire

Tout d?abord, les investissements dans l?industrie ainsi que dans l?agriculture, ont été relativement élevés au cours des années 1960. Il ne faut pas oublier de dire que la priorité au vu du niveau de développement économique au début de la révolution, ft l?industrialisation rapide du pays, afin d?accroître les forces productives dans un laps de temps réduit, tout en diversifiant l?agriculture pour ne plus être dépendant des exportations de sucre et pouvoir substituer des importations. Très rapidement, cette politique s?est avérée difficile à mettre en place, tant au niveau de l?industrialisation que de la diversification de l?agriculture.

Cuba est donc revenu à la spécialisation sucrière, aidé par les accords cubano-soviétiques de 1964, à travers lesquels l?URSS s?engageait à acheter du sucre cubain jusqu?en 1970 à un prix fixé à l?avance. Le développement du secteur sucrier devait être la base du développement de l?industrie.

Comme il a été exprimé antérieurement dans cette exposition, malgré l?existence de deux systèmes de planification au cours des premières années de la révolution, du manque de personnels qualifiés au niveau techniques et scientifiques, et des résultats économiques peu encourageant, les politiques sociales ont permis une amélioration notable du bien-être de la

population, et la productivité du travail a augmenté, bien que faiblement. La meilleure augmentation de la productivité a eu lieu en 1964, avec une hausse de 5 à 6%83. Mais à partir de 1965 jusqu?à 1970, celle-ci va décliner, et le taux d?augmentation de la période 1960-1970 sera seulement de 0,4%.

Ce déclin de la productivité du travail peut facilement être imputé à la moindre place des stimulants matériels à partir de 1966, à leur élimination en 1968, à une direction économique trop centralisée, à la suppression des normes de travail et à toutes les mesures qui ont réduits considérablement le rôle de la loi de la valeur. Ces premiers ont peut être été sous estimés en raison d?un idéalisme et d?un dogmatisme idéologique mais comme nous l?avons remarqué, aussi pour ne pas accroître les liquidités monétaires dans les mains de la population. De plus, nous pouvons penser qu?au bout de quelques années l?enthousiasme révolutionnaire allait en s?affaiblissant, en raison d?un non développement de stimulants moraux adéquats ainsi qu?à cause d?une offre réduite de biens de consommation en direction de la population, ce qui entraîna un fort taux d?absentéisme au travail. Les travailleurs n?ayant pas besoin de plus d?argent, ils ne venaient plus travailler à partir d?un certain moment dans le mois. En effet, depuis la révolution les salaires ont été augmentés sensiblement, mais ceux-ci ne pouvaient pas être dépensés de façon efficiente.

En raison du déclin de la productivité mais pas seulement, les résultats économiques à partir de 1965, se sont détériorés. Par exemple, le plan sucrier signé avec l?URSS, n?a été accompli qu?une seule fois, en 1965. Les fois suivantes, les exportations de sucre ont été inférieures à ceux fixés dans le plan. Un objectif majeur que s?était fixé les autorités cubaines au milieu des années 1960, était de produire 10 millions de tonnes de sucre pour l?année 1970. Mais pour diverses raisons, entre autres la politique de stimulation des années 1966-1970 et la trop faible mécanisation de la coupe de la canne à sucre, et malgré un nombre très élevé de travailleurs mobilisés (1 million), l?objectif ne fût pas atteint. Cela a été ressenti comme un échec, bien que ce ft l?année où la production de sucre fût la plus élevée de toute l?histoire de Cuba. La récolte fût de 8,5 millions de tonnes. La forte concentration de ressources sur cette Zafra a également entraîné une moindre attention sur les autres secteurs de l?économie, et a donc accru les difficultés économiques du pays.

83 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo económico en Cuba, Op.cit.

René Dumont, agronome Français, fît plusieurs visites à Cuba et fût sollicité par Fidel Castro pour lui fournir ses observations. Celui-ci préconisait dès le début de la révolution la création de coopératives de production agricoles de taille assez modeste et autonomes84 et s?affichait clairement en faveur de l?autonomie financière des entreprises tout du moins dans l?agriculture.

« L'autonomie financière eût permis de sanctionner l'efficience du groupe de travailleurs dont la rémunération auraient été directement liée à leur productivité »85.

Pour lui, il était prouvé que la conscience révolutionnaire moyenne n?atteignait pas le niveau requit pour une structure aussi étatisée, car il voyait dans le manque d?efficience et l?absentéisme de certains travailleurs le fait que des structures sans stimulants matériels aient été établies.

La voie prise par Cuba au moment de l?offensive révolutionnaire ft réellement précipitée. Des rapports de production trop élevés et socialisés ont voulu être mis en place alors que la structure des forces productives et la conscience des masses n?était pas assez développée pour que ceux-ci puissent pousser de l?avant ces derniers. Une volonté trop affichée, trop pressée de vouloir supprimer au plus vite les catégories marchandes au sein de l?économie était caractéristique de cette période. Bien qu?il faille rejeter le lien mécanique entre rapports de production et forces productives, les rapports de production établis lors de l?offensive révolutionnaire étaient un frein au développement des forces productives, bien qu?une plus forte participation des travailleurs au processus de décision (plan, organisation du travail) aurait pu limiter la dégradation économique. Une amélioration de l?environnement international de Cuba aurait permis également une croissance plus soutenue.

On pourrait également reprendre Préobajensky et dire que le secteur socialiste n?était pas passé par une phase d?accumulation primitive, qui pour lui pouvait durer un temps relativement long surtout dans un pays arriéré au niveau économique.

84 DUMONT, René, Cuba est-il socialiste, Seuil, Paris, 1970. 85Idem.

2) Echec de la Zafra de 1970 et première « rectification des erreurs »

a) Remise en cause de la politique appliquée depuis l'offensive révolutionnaire

L?échec de la zafra de 1970 dont nous venons de parler, a été le révélateur des dysfonctionnements de l?économie cubaine et a entraîné la remise en cause des positions prises depuis 1966 (l?offensive révolutionnaire), en ce qui concerne la planification en général et la politique de stimulation à l?égard des travailleurs, et donc du système de direction économique. Jusqu?en 1975, un travail de réflexion intense va se mettre en place afin de rendre l?économie plus efficiente.

Dès 1971, le principe émit par Marx dans le programme de Gotha « à chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail », principe correspondant à la phase inférieur du communisme, le socialisme, est réaffirmé comme principe de base de la rémunération du travail. Il s?ensuit, et cela dès 1970, une reprise de l?application de normes de travail et d?une organisation du travail mieux contrôlée dans tous le pays. En 1972, 3 000 unités économiques étaient normées, en 1973, 53 000 et en 1975, 69 09186. Les normes de travail ont pour but, bien sûr, de régler le niveau de salaire des travailleurs au niveau de la production atteint et à l?augmentation de la productivité. En 1975, 48% des travailleurs travaillaient en accord avec des normes de production et 20% avaient leurs salaires liés à l?accomplissement et au dépassement de ces normes.

Des biens de consommations durables pouvaient être accordés par les centres de travail (work centers) comme des biens électroménagers, des biens électroniques ainsi que des matériaux de construction pour la maison. Ces récompenses attribuées par un comité élu par les travailleurs par l?intermédiaire de la CTC étaient basées sur le mérite (accomplissement ou dépassement du plan, bonne attitude et discipline au travail...) ainsi que sur les nécessités (taille de la famille et conditions d?habitation).

Dans le même temps, un nouveau système de registre économique est mis en place qui réimplante le calcul des dépenses des unités économiques en termes de valeur. La

86 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo económico en Cuba, Op.cit.

participation des travailleurs est également remise à l?ordre du jour à travers une réorganisation des processus de décisions (conseils techniques dans les entreprises) tout comme le développement de l?émulation socialiste dans la gestion économique du pays, à partir des accords adoptés par le XIII congrès de la GTG de 1973. Le but affiché était ici de lutter contre la bureaucratie et l?inefficience à travers une plus grande participation populaire.

Les autorités cubaines se sont donc rendu compte (tout du moins dans le discours) qu?une étape de transition afin de construire le socialisme puis le communisme était plus que nécessaire, et que les mesures de l?offensive révolutionnaire n?étaient pas adéquates pour un développement soutenu de forces productives. Egalement, la volonté d?une plus grande participation populaire aux décisions économiques et organisationnelles et la lutte contre la bureaucratie allaient de pair avec le développement de la conscience des masses, et que ceci était important pour l?internationalisation des objectifs productifs de la part du travailleur individuel afin de développer le socialisme et donc le bien-être collectif de la population.

b) Amélioration économique et insertion dans le GAEM

La période 1970-1975 est marquée par une reprise de la productivité du travail. Gelle-ci augmenta de 6% dans l?industrie sur cette période. Dans le méme temps, la productivité globale du travail entre 1970 et 1974 s?éleva de 41%. La hausse de la productivité globale fût entraînée par l?augmentation de la productivité du travail dans l?agriculture où des améliorations au niveau de la mécanisation furent effectuées. Le salaire moyen augmenta de 21% (70-74). Sur la période 1965-1975, l?augmentation de la productivité moyenne annuelle fût de 2,3%, chiffre faible dû aux mauvais résultats de la période 1965-197087.

C?est en 1972, que Cuba va intégrer le CAEM (Conseil d?Assistance Economique Mutuel), conseil qui gérait les relations commerciales entre quasiment tous les pays à économies planifiées. Depuis la révolution, et surtout depuis le blocus des États-Unis et la proclamation du caractère socialiste de la révolution, Cuba s?était tourné vers l?URSS et les pays d?Europe de l?Est, avec lesquelles elle réalisait la majorité de ses échanges. Cette

87 Idem.

intégration au sein du CAEM, s?est réalisée afin de mettre en corrélation les plans quinquennaux de Cuba avec les pays membres, dans le but d?amplifier et de réaliser des échanges de façon mieux planifiés et organisés avec ces pays.

Cette intégration va être bénéfique pour le développement des forces productives à Cuba et pour l?amélioration continue du niveau de vie de la population. Les relations que l?île aura avec l?URSS et les pays d?Europe de l?Est jusqu?en 1989 seront très avantageuses. Pour exemple, qui est le plus souvent repris, Cuba vendait du sucre à l?URSS à un prix supérieur au prix de marché, et achetait le pétrole soviétique à un prix inférieur à celui-ci, tout en revendant l?excédent non consommé sur le marché mondial. L?aide financière et technique joua également un rôle important.

Ce rapprochement va également jouer un rôle sur le mode de direction économique que Cuba prit à partir de cette période, en ce qui concerne la planification et la politique des stimulants matériels. En effet, L?URSS utilisait le système de balance matérielle pour les relations entre les entreprises d?États, mélé à l?utilisation du calcul économique de la loi de la valeur et à une forte dose de stimulants matériels. Par exemple en 1956, 75% des ouvriers de l?Union Soviétique étaient payés aux pièces, dans les années 1980 cette proportion était ramenée à 50%.88

Des analyses simplistes jugent que le passage de Cuba à un système de calcul économique dans les années 1970, est dû, comme le système politique mis en place, à un « copiage » du modèle soviétique, qui aurait bien sûr été imposé par elle. Même si ce point de vue ne peut être négligé, il ne peut pas répondre entièrement à la question. Tout d?abord, Cuba n?aurait pas pu survivre en tant que pays en transition vers le socialisme sans l? «aide » soviétique, du fait de la petite taille de son économie et de son voisinage avec les États-Unis. Deuxièmement et c?est ce qui nous intéresse ici, c?est que l?expérience de l?éviction de la loi de la valeur au sein du système socialiste et donc des rémunérations liées au rendement, a été

un échec, et que les dirigeants de la révolution cubaine s?en sont rendu compte et ont changer de système.

88 CHAVANCE, Bernard, Le système économique soviétique de Brejnev à Gorbatchev, Nathan, Paris, 1989.

Bien sûr, le facteur URSS a joué un rôle. Nous connaissons la réticence de beaucoup de cubain envers le système yougoslave grandement décentralisé (en particulier Guevara), et au niveau de la praxis, il ne restait plus que le modèle soviétique. Une nouvelle expérience totalement différente ne pouvait pas titre tentée, en raison bien sûr de l?insertion dans le CAEM. Cuba ne sera pas un « copié collé » de l?URSS, car il faut noter que les idées de Guevara auront et ont encore un grand impact aujourd?hui et que l?amélioration du sort de la population resta un objectif très important, même s?il peut conduire certain à l?idéalisme.

C/ 1976-1986 : la mise en place du Système de Direction et de 3 l14111}1tiW4XI lt }W4WmH

La remise en cause de la politique appliquée depuis l?offensive révolutionnaire intervint en 1970 et conduira à l?élaboration progressive d?un nouveau système de direction économique. Les premières mesures décrites plus haut formaient les prémisses de l?entrée dans le CAEM et du futur système de direction économique, nommé Système de Direction et de Planification de l?économie (SDPE) qui rentrera en application en 1976.

Nous allons analyser ici la manière dont a été mis en place le SDPE et son impact sur l?économie cubaine ainsi que les changements qu?il a entraîné en ce qui concerne la stimulation matérielle des travailleurs. Nous verrons par exemple que ce système a beaucoup de similitude avec celui mis en place en URSS suite à la réforme de l?entreprise de 1965. La prise en compte des trois éléments (forces productives, bureaucratie, et situation internationale) et du degré d?utilisation de la loi de la valeur et des stimulants matériels nous permettra partiellement d?expliquer l?évolution économique du pays durant cette période.

1) Les implications du SDPE

a) Les raisons de son application

Le Système de Direction et de Planification de l?Économie, fût lancé en 1976, suite aux discussions qui ont eu lieu lors du Ier congrès du Parti Communiste Cubain de 1975. Les objectifs affirmés du nouveau système étaient ceux-ci :

- Conjuguer l?intérêt social général avec le particulier des organismes, provinces, entreprises et travailleurs

- Arriver à l?efficience maximale au niveau économique à travers l?utilisation plus rationnel de ressources matérielles et humaines et produire le maximum de résultats avec le minimum de dépenses

- Établir des mécanismes qui assurent la discipline nécessaire au travail et qui contribuent à l?augmentation constante de la productivité et stimulent à élever la qualité de la production de biens et services.

- Établir la corrélation adéquate entre stimulants matériels et moraux de manière que les deux formes de stimulants contribuent à la fois à l?augmentation de l?efficience économique et d?être un instrument pour le développement de la morale socialiste et communiste89.

Certains, à juste titre comme nous l?avons vu plus haut, pensent que cette réforme pris comme modèle la réforme de 1965 en Union soviétique90. Comme nous le concevons bien, le SDPE a pour but de changer le système de direction économique afin de ranimer la loi de la valeur au sein du secteur socialiste (sans changer les formes de propriété) à travers le calcul

89 PEREZ, Justo, «Le système de stimulants dans la gestion de l?économie socialiste», Economía y desarrollo, No 89, novembre-décembre 1985, pp. 113-119.

90ZIMBALIST, Andrew, «Incentives and planning in Cuba», Op.cit

économique. L?instauration du SDPE est également l?aboutissement des réflexions et des changements opérés depuis 1970-71.

« Au cours de l'étape qui s'initia à partir de 1976, la politique économique essaya une interprétation plus adéquate de l'action de la loi de la valeur et de son interrelation avec la loi du développement planifié, laquelle aurait son expression dans les caractéristiques spécifiques du nouveau système de direction économique qui commence à s'implanter à partir de ce moment et dont les bases naissaient déjà depuis 1970 »91.

Le but essentiel du nouveau système est l?augmentation de l?efficience économique et donc de la productivité du travail, du contrôle des ressources pour permettre un développement plus accéléré des forces productives. Le fait d?être intégré au sein du CAEM exige également une plus grande discipline dans l?exécution des plans, ceci étant coordonné entre les pays membres92. Le SDPE à pour objectif pratique de laisser plus d?autonomie aux unités économiques au niveau financier, de leur octroyer plus de choix décisionnels, ainsi que d?intéresser les différents acteurs locaux aux résultats, afin d?accomplir le plan économique.

Une part importante des discours sur le nouveau système de direction économique faisait référence aux incitations au travail. Un système plus décentralisé permettrait une meilleure coordination, une meilleure cohérence, et une plus grande facilité à distribuer des primes ou changer de mode de rémunération. Le SDPE était censé accroître la place des stimulants matériels dans l?économie. Mais, comme on peut le voir dans les discours et la littérature de la période 1976-1986, la place accordée aux stimulants moraux et au développement de l?Homme nouveau est également très présent, ce qui montre que la pensée de Guevara restait très présente, mêlée à la loi de correspondance entre les rapports de production et le développement des forces productives, même si elle n?était pas exprimée clairement à toutes les occasions.

91 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo económico en Cuba, Op.cit

92 Pour plus de détail sur la coordination des plans de Cuba au sein du CAEM Cf. Alvarez Gonzalez, Elena, «la planification à moyen et long terme à Cuba: notes pour un débat, in Herrera, R, Cuba révolutionnaire Tome 2: économie et planification, Paris, l?Harmattan, 2006.

La grande partie des auteurs mettait donc ces deux points en avant c'est-à-dire parvenir à une combinaison adéquate entre les stimulants matériels et moraux dans chacune des étapes de la construction du socialisme. Donc pour cela l?on devrait prendre en compte :

- Le niveau de développement des forces productives et des rapports de production

- La stratégie de formation de la base technico-matérielle du socialisme et la formation de l?Homme nouveau93.

Ici, chez cet auteur, les deux idées sont exposées clairement. Nous pouvons le voir aussi dans un discours de Fidel Castro du 26 juillet 1973, phase préliminaire de l?application du SDPE.

« Joint au stimulant moral, il faut toujours utiliser le stimulant matériel sans abuser de

CKFRAIdMITAIII, ISEUTE1NECDESEFP11LEnRXFSRUITHRIVILLIl'idpDIffPKFIVOIsePRQ5U1 dpvHRSSIPIgH1-l'pgRviPHITING(131s1111 1NRMWERg1a1111d1-1EbROqXIIlW ICHIEFIRCI pFRnRPITN1/n1-sIThROMIPTIgKEZEPRUDTARal[RITHIRTM-F RPPH ili que les incitations morales soient le prétexte pour que certains vivent du travail des autres »94.

b) Les implications théoriques du SDPE sur la politique des stimulants matériels

Le nouveau système de direction économique de l?époque remettait au gout du jour la nécessité des stimulants matériels pour les travailleurs (individuel et collectif) durant la période de transition. Le SDPE devait théoriquement donner une base générale et organisationnelle pour l?application de systèmes de stimulation au sein des entreprises. La base de raisonnement des dirigeants et intellectuels cubains de l?époque est que les stimulants matériels, comme on vient de le dire, sont nécessaires et doivent apporter plusieurs avantages.

93 PEREZ, Justo «Le système de stimulants dans la gestion de l?économie socialiste», Op.cit.

94 CASTRO, Fidel, Periódico Granma, 17 juillet 1973, p.4.

Principe du système de stimulants matériels

Du point de vue économique

Du point de vue politique

Active le travail de l?ouvrier

Est source de croissance du bien être du

peuple

Contribue à élever la productivité

Aide au développement

multidimensionnel de la personnalité

Contribue à la croissance de la richesse

sociale

 

Source : d'après Perez (1985)

Les avantages que doivent apporter le système de stimulant serait donc ceux-là. Nous voyons que les buts sont d?une part le développement des forces productives (productivité, croissance de la richesse sociale) et de l?Homme dit nouveau (développement multidimensionnel de la personnalité). Le schéma donné ici par Perez ne nous donne pas une vision claire du processus théorique qui devrait s?enclencher suite à la mise en application du système de stimulants.

Mais on pourrait décrire le processus comme ceci : application du système de stimulant ? activation du travail de l?ouvrier ? élévation de la productivité ? contribue à la croissance de la richesse sociale ? croissance du bien-être du peuple ? développement multidimensionnel de la personnalité.

Bien sûr, cet enchaînement reflète une simplicité de l?analyse, mais il montre également que le développement de la conscience, l?homme nouveau qui acquiert une nouvelle morale (communiste), ne peut se faire sans un développement conséquent préalable des forces productives, qui permettent à la population de jouir de toutes les nécessités essentielles. Même plus, on pourrait dire que celle-ci (la morale communiste) se développe au fur et à mesure que s?accroissent les forces productives et donc le bien-être de la population, ce dernier étant un objectif de l?État prolétarien, contrairement à l?État bourgeois. C?est pour

cela qu?il est important dans ce cas que le prolétariat en tant que classe dispose d?un réel pouvoir décisionnel. L?élévation des forces productives n?améliorera pas de manière mécanique la morale humaine, mais joint au travail idéologique et à la participation des travailleurs au processus décisionnel le phénomène aurait plus de probabilité de se réaliser.

Le SDPE va permettre aux entreprises de constituer un fonds de stimulation économique qui sera élaboré à partir des bénéfices de celles-ci. Les fonds de stimulation économique devaient être destinés aux fins suivantes :

- Amélioration des conditions socioculturelles des travailleurs de l?entreprise

- Récompenses matérielles individuelles aux travailleurs en accord avec les résultats de la gestion de l?entreprise, en incluant le personnel dirigeant et administratif

- Développement et amélioration des conditions technico-productives des entreprises95

Nous voyons clairement que ce fonds est exactement le même que celui créer en Union soviétique à partir de la réforme de l?entreprise de 1965 (Cf. supra). De là, les entreprises vont donc disposer et doivent disposer de trois fonds de stimulation : le fonds de développement de la production, le fonds de stimulation matériel (premio), et le fonds de moyens socioculturels et de construction de logement. Ce dernier est un fonds destiné à améliorer et à stimuler collectivement les travailleurs par l?organisation de rencontres culturelles et sportives, à améliorer le cadre de vie de l?entreprise et de créer des logements pour les travailleurs. Il est à souligner que pour les entreprises qui ne seraient pas profitables, un fonds de stimulation devait être créé au niveau des unions et organismes de branches au moyen des bénéfices de leurs entreprises, afin qu?une partie de ce fonds puisse servir à stimuler quand méme les travailleurs. Donc dans les entreprises non rentables, seul le fonds de développement de la production disparaissait.

Nous pouvons s?étonner de cette mesure, que les entreprises non rentables puissent tout de méme donner des primes et des encouragements matériels à leurs salariés, mais qu?elles

95 Sobre el sistema de dirección et planificación de la economía, Departamento de Orientación Revolucionaria del Comité Central del partido Comunista de Cuba, La Habana, 1976.

n?aient pas de fonds pour développer la production par l?investissement en outillage, ce qui pourrait de fait améliorer la productivité du travail et la situation de l?entreprise, comme si toute amélioration de la productivité pouvait venir des travailleurs.

Avant de regarder de plus près les conditions d?attribution ou de non attribution des primes, penchons-nous sur ce graphique qui nous montre le circuit du revenu net social dans le cadre du nouveau système.

Revenu net social

Bénéfice du bilan impôt de circulation

Bénéfice du calcul bénéfice centralisé

Contribution au budget de l?Etat intérét bancaire

Fonds de stimulation économique solde des bénéfices

Fonds de développement de la production revenu net

centralisé

Fonds de stimulation matériel

Fonds de moyens socioculturels et de construction de logement

Source : Gomez (1986)

Venons en maintenant aux critères de calcul du fonds de stimulation matériel (premio) et aux critères d?obtention. Le fonds de premio pour les entreprises rentables se formait à partir de quatre indicateurs :

- Augmentation de la productivité du travail, calculée pour la productivité nette - Diminution du coût pour poids de la production marchande

- Croissance du bénéfice du calcul

- Augmentation de la production marchande ou de la production pour l?exportation en unités physiques ou en valeur

Dans le cas des entreprises non rentables, seul le premier et quatrième critère sont pris en compte96.

A côté de ces fonds de stimulation économiques crées à partir du nouveau système de direction économique (SDPE), un nouveau décret visant à mieux gérer le système des primes fût énoncé. Le décret numéro 50 du comité exécutif du conseil des ministres, « règlements général des primes ». Il faut noter que les primes proviennent du fonds de salaire planifié par les organismes centraux et donc diffèrent bien du fonds de stimulation économique.

Les indicateurs à prendre en compte par les entreprises pour le paiement des primes émis par le décret numéro 50 étaient les suivants :

- Accomplissement ou dépassement des volumes de production et d?augmentation de la productivité du travail ainsi que des normes de travail

- Raccourcissement du terme d?exécution d?une oeuvre ou d?installation d?équipements, de ligne de production ou remise d?une production

- Élévation de la qualité de la production

- Économie de matière première, combustibles...

- Accomplissement ou diminution des termes programmés pour réaliser la réparation et la maintenance d?équipements et dinstallations

- Autres indices augmentant l?efficience technico-économiques

96 GOMEZ, Félix « Les fonds de stimulation économique dans les entreprises de l?économie cubaine », Economía y desarrollo, No 90, janvier-février 1986, pp.77-89.

Ce sont donc les indicateurs, mais ceux-ci sont soumis à des conditions principales et non principales. Par exemple, la production peut avoir augmenté tout en entraînant un accroissement conséquent de l?utilisation de matières premières, dans ce cas la condition principale n?est pas accomplie et la prime n?est pas accordée. Le décret portait des réquisitions à prendre en compte avant d?appliquer le système de primes :

- Paiement des primes selon la participation du travailleur. Les primes calculées en fonction du salaire de base

- Les primes ne peuvent pas excéder 10 à 30% du salaire de base, selon les secteurs

- Paiement mensuel, trimestriel ou annuel, le mieux étant mensuel, ce qui permet une meilleure régularité dans le travail

- Paiement de la prime financé par le fonds de salaire planifié pour chaque entreprise Le droit à la prime pouvait être retiré si :

- Violation du régime technologique

- Négligence dans l?utilisation des installations, équipements...

- Violation des normes de protection et d?hygiène du travail

- Autre violation de la discipline du travail97

Nous voyons donc que l?introduction du SDPE en 1976, donnait plus d?autonomie aux entreprises afin de leur donner plus de pouvoirs de décisions que ce soit au niveau directorial qu?au niveau des travailleurs productifs D?autre part, cela permettrait également d?accroître la stimulation au sein des unités économiques ainsi que l?internalisation des buts de l?entreprise par les travailleurs De plus, les dirigeants cubains ont également mis en place théoriquement une plus grande discipline quant au paiement de la prime issu du fonds de salaire, afin d?éviter le gaspillage et de payer réellement celle-ci selon le travail fourni par le travailleur ou le collectif de travailleurs.

97 P, Romero, « La prime comme forme de stimulant matériel », Economía y desarrollo, No.80, mai-juin 1984, pp. 153-159.

Nous allons voir maintenant les résultats du SDPE et de l?économie cubaine suite à son introduction jusqu?à 1986 où un nouveau tournant politique dans l?appréciation des stimulants matériels eut lieu.

2) Les résultats de l'application du Syst~me de Direction et de Planification de l'Economie et de l'économie cubaine jusqu'en 1986

a) Des résultats peu satisfaisants du nouveau système de direction économique

Certains commentateurs pensent que Cuba, à partir de cette période à calquer son modèle sur celui de l?URSS. Si cela est partiellement vrai, Cuba a aussi tenté de régler la question plus pratique des rapports de production. Les intentions étaient de donner plus d?autonomie aux entreprises donc laisser plus de pouvoir de décision aux acteurs locaux des unités économiques, ainsi que d?accroître la participation des travailleurs (internalisation), rendre une importance plus élevée au stimulants matériels, tout cela afin d?essayer d?adapter les rapports de production au développement des forces productives.

Au commencement du SDPE, 3500 entreprises de calcul économique furent créées. En 1978 312 entreprises expérimentales passèrent à l?application du nouveau système de direction économique. Ce chiffre grimpa à 2420 entreprises en 1980, dont 95% appliquèrent les principes basiques du calcul économique98.

Au niveau de la création des fonds de stimulation, en 1979, 191 entreprises étaient inclues dans le plan de formation, et 79 d?entre elles ont eu le droit de former un fonds de stimulation. Mais 40 n?ont pas pu distribuer le « premio », car l?augmentation du salaire était supérieur à l?augmentation de la productivité. 99150 travailleurs ont touché un premio cette année là, pour une moyenne de 61 pesos chacun. (Cf. tableau)

98 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo económico en Cuba, Op.cit.

Nous voyons que les premières années, le système de stimulation peine à se mettre en place. En fait, c?est tout le système de direction économique qui est dans cette situation. Cela est du au manque d?organismes et d?institutions adaptés et qu?il faut donc créer de surcroît : logiciels statistiques, systèmes de contrat, programmes de management...

La mise en place du SDPE correspond au premier plan quinquennal cubain de 1976- 1980, et est donc la première expérience dans ce domaine. Ce plan quinquennal correspond également à l?entrée de Cuba au sein du CAEM et permet de coordonner les plans de chaque pays.

Ce système de stimulation comme on le voit, augmenta très rapidement à partir de 1981 et en 1985 plus d?un million de travailleurs en profitait. En parallèle, il continuait d?exister les primes pour accomplissement ou dépassement des normes. 1,23 millions de travailleurs cubains avaient leur paye lié à la production, ce chiffre resta approximativement le même jusqu?en 1985. Cela représentait 37,2% de la force de travail. Le paiement lié au rendement augmenta de 150% entre 1980 et 1985, mais il ne représentait que 6% du revenu de base du travailleur en 198599.

Malgré une augmentation des stimulants matériels employés et des rémunérations liées à la productivité, de nombreux problèmes ont empêché un fonctionnement plus efficace du système. Tout d?abord, la lourdeur bureaucratique à souvent été montré du doigt, ce qui a pu ralentir la mise en place du système et entraver également une véritable décentralisation des décisions au sein même des unités économiques. Pour Gomez, il faut prendre en compte la situation internationale et les bas prix du sucre de cette période qui ont entraîné le fait que beaucoup d?entreprises n?ont pas accompli le plan et donc que certains collectifs de travailleurs n?ont pas obtenu de premio. De plus, certaines entreprises n?ont pas pu vendre leur production. Également, il pointe la méconnaissance des fonds de stimulation dans les entreprises, peu d?attention ayant été faite à celui-ci par l?administration et le syndicat.

99 ZIMBALIST, Andrew, « Incentives and planning in Cuba », Op.cit.

« Si les travailleurs ne connaissent pas les règles du jeu, ils ne peuvent pas lutter pour élever l'efficience des entreprises »100.

D?autres auteurs comme Zimbalist pointent au contraire une utilisation non efficiente des primes pour accomplissement ou dépassement des normes ou du plan. En effet ces normes seraient beaucoup trop faibles, mal révisées, car comme on peut le voir, il était très facile de les dépasser. Elles auraient pu être plus élevées et auraient sûrement permis une plus grande productivité du travail au cours de la période. Dans leur grande majorité, ces normes étaient élémentaires plus que techniques ou semi-techniques (75,5% contre 0,3% et 24,2% en 1987). Par exemple en 1979, 95,5% des travailleurs opérant avec des normes excédaient leurs quotas. Il arrivait parfois qu?au sein de certaines entreprises, il n?y ait pas eu de révision de normes durant plusieurs années.

De plus, le pouvoir de décision a été accru en faveur des administrateurs d?entreprises aux dépens des conseils de travailleurs101 qui avaient pris de l?importance au début de la décennie 1970. Ces conseils étaient élus à bulletin secret par les travailleurs et leurs prérogatives concernaient la discipline au travail et éventuellement la mauvaise attitude du « chef » entre autre. Par exemple, lorsqu?en 1972, la production nationale par tête augmenta de 21% certains économistes attribuèrent cette augmentation à l?utilisation des stimulants matériels. Or, cette version est contestable selon Janette Habel qui reprend les analyses de Zimbalist et Ekstein.

« Outre que ce n'est qu'en 1974 que les salaires furent liés a la productivité, Zimbalist et Ekstein considèrent que les travailleurs partagèrent plus volontiers les responsabilités des politiques auxquelles ils donnaient leurs accords. L'évolution des relations sociales dans l'entreprise permis une meilleure motivation des travailleurs et des propositions utiles a l'amélioration de l'efficacité du système de production, ce qui entraîna un accroissement de la productivité »102.

100 GOMEZ, Félix, « Les fonds de stimulation économique dans les entreprises de l?économie cubaine », Op.cit.

101 Cf. HABEL, Janette, Rupture à Cuba : le castrisme en crise, Op.cit.

102 Idem.

En ce qui concerne les primes, il en existait de diverses sortes, celles pour dépassement du plan en quantité ou en qualité, économie de matières premières ou pour l?augmentation des exportations. En 1980, elles représentaient 14 millions de pesos. En même temps que la mise en place du nouveau système, ces primes allaient se généraliser. Leur valeur atteignit 43,4 millions de pesos en 1981, 54,4 millions en 1982, 58.3 en 1983, 81.4 en 1984 et 90.7 millions de pesos en 1985. Cette dernière année les primes furent payées à 1 millions de travailleurs mais malgré leur rapide croissance, elles ne représentaient seulement que 1,9% du revenu de base103.

 

1979

1980

 

1981

 

1982

 

1983

Nombre d?entreprises

inséré dans le
plan de formation

191

203

 

?

 

?

 

?

Nombre

d?entreprises qui

ont le droit de former un fonds de stimulation

79 (seulement 40 ont pu
distribuer

des

102

 

430

 

?

 

977

 

« premios »)

 
 
 
 
 
 
 

Nombre de

travailleurs ayant reçu un prix

99150

124000

 

447000

 

417200

 

859000

Montant du

604815

9600000

 

4335900

 

4040000

 

6760000

fonds de

0

 

0

 

0

 

0

 

« premio » en

pesos

 
 
 
 
 
 
 
 

Tableau effectué d?après les données de Gomez (1986) et Rodriguez (1990)

103ZIMBALIST, Andrew, « Incentives and planning in Cuba », Op.cit.

b) Réflexions sur la stratégie cubaine du SDPE

Il ne fait pas de doute qu?en raison des échecs économiques de la période de l?offensive révolutionnaire, une plus grande décentralisation des décisions, le recours plus important aux stimulants matériels et à l?utilisation de la loi de la valeur furent nécessaires. Mais le retour à des rapports de production capitalistes dans certains domaines ne fût pas appliqué. Par exemple, redonner plus d?initiative privée pour les activités artisanales et agricoles aurait pu, tout en exerçant un contrôle adéquate pour l?accumulation du secteur planifiée, accroître l?offre au sein du marché interne et peut être limiter les importations.

Nous avons vu que le SDPE n?a pas été appliqué d?une manière efficiente en raison de divers problèmes internes et externes : Bureaucratie, ralentissement économique, manque d?information et de contrôle des travailleurs eux-mêmes. Les résultats en terme de productivité et de développement des forces productives n?a donc pas été satisfaisant. Nous avons mentionné que méme la direction pouvait recevoir des primes. On se rappelle qu?en Chine, à un moment donné, les primes étaient accordées seulement aux travailleurs manuels, la direction devant servir d?avant-garde.

A travers les discours et les différents textes écrits durant cette période, nous voyons qu?il est redonné une importance forte au développement de la production. Mais contrairement à ce qu?avait observé Charles Bettelheim en Chine peu avant le grand tournant économique, nous ne pouvons pas dire que seulement le discours sur le primat des forces productives existait. La volonté de transformation de la conscience restait présente à travers la pensée de Guevara. Ceci explique peut être pourquoi Cuba n?a pas dérivé vers le type de développement chinois jusqu?à cette heure.

Evidemment, la nécessaire réimplantation de la loi de la valeur et des catégories marchandes à Cuba durant cette période rendait également nécessaire une plus forte utilisation de stimulants matériels. Mis à part le fonds de stimulation et les primes, peu de cas a été fait du salaire aux pièces qui aurait pu et aurait dû être appliqué là où cela aurait été possible. L?on peut bien sür voir ce refus dans la réticence des autorités et de la population vis-à-vis de

ce type de rémunération. Il faut également mettre en avant le fait qu?un écart s?était formé entre les élites et les masses, la conscience des contradictions de la période de transition n?était pas forcément assez importante et empéchait l?application de mesures adéquates.

Cela se voit dans le fait que la décentralisation des décisions au niveau des entreprises qui devait s?opérer ne se fit que partiellement, et les décisions revenaient surtout aux gérants de l?entreprise comme en URSS. Mais la période reste caractérisée par une forte centralisation comme le fait remarquer Dario Machado Rodriguez104.

Les erreurs dans l?application de la planification et les effets sociaux des limites du système étaient amortis durant cette période (1972-1989), par le schéma des relations économiques avec l?Europe de l?Est et l?URSS. Il y avait une assurance pour les marchés des produits cubains, et Cuba recevait à moindre coût de la technologie, des matières premières et du combustible105.

Les difficultés économiques ont joué un rôle il est vrai dans la mauvaise application du nouveau système de direction économique. En effet, durant le premier plan quinquennal (1976-1980), la productivité (valeur ajouté divisée par le nombre d?employé) diminua dans l?industrie, - 2,9%, tandis qu?elle augmentait dans l?agriculture de 6,3%106. De plus, la baisse du prix du sucre au cours du premier plan quinquennal fût importante. Cuba vendait, certes, une bonne partie de son sucre à l?URSS et aux pays du CAEM à un prix supérieur au marché mondial, prix qui augmenta durant cette période (30,40 cents la livre anglaise en 1975, 44 cents en 1980), mais la chute des prix sur le marché mondial ( 20,37 cents en 1975, 9,65 en 1979)107, diminua considérablement la rentrée de Monnaie Librement Convertible (MLC), ce qui limita les capacités d?importation du pays pour les produits que les pays du CAEM ne produisaient pas pour l?exportation. Ceci montre également les difficultés que peut entraîner la spécialisation dans un produit primaire. Des maladies frappèrent l?agriculture, comme les exploitations de tabac, et la grippe porcine sévit dans l?élevage.

104 MACHADO RODRIGUEZ, Darío, Es posible construir el socialismo en Cuba, Editora Política, La Habana, 2004.

105 Idem.

106 BRUNDENIUS, Claes, Revolutionary Cuba; the challenge of economic growth with equity, Westview press,

Boulder, 1984.

107 Idem.

Pour conclure sur la période du SDPE, nous pouvons dire que l?utilisation de la loi de la valeur et des stimulants matériels augmenta dans le cadre du calcul économique, bien que ce ne fût que dans une proportion limitée. Malgré des difficultés économiques et la non application complète du nouveau système de direction économique qui devait augmenter le rôle des catégories marchandes, le niveau des forces productives augmenta durant cette période à un rythme plus ou moins soutenu. Ce développement a été possible grâce à l?insertion de Cuba dans le CAEM qui a limité la mauvaise gestion du SDPE et l?insatisfaisante proportion de catégories marchandes. Car, en ce qui concerne les deux autres éléments déterminants, le caractère des forces productives resta faible (malgré son amélioration) et le pouvoir bureaucratique s?est consolidé (malgré la création des organes de pouvoir populaire). C?est donc l?amélioration de l?environnement internationale (élément positif) de Cuba qui lui a permis une croissance soutenue.

Malgré une amélioration au cours du deuxième plan quinquennal (1981-1985), de nouvelles difficultés frapperont Cuba au milieu de la décennie et entraineront la fin du SDPE, décidée par Fidel Castro. Le processus de la Perestroïka et de la Glasnost en URSS entraînera la désintégration du bloc de l?Est à partir de 1989 et une grave crise économique touchera Cuba. Nous allons analyser ces deux aspects maintenant avant de nous intéresser aux processus de transformation de l?économie cubaine suite à la crise économique et son implication au niveau de la politique des stimulants matériels et des catégories marchandes.

D/ Rectification des erreurs et des tendances négatives et désintégration de l'URSS

En 1986, Fidel Castro annonça le déclenchement d?un processus nommé « rectification des erreurs et tendances négatives » visant à répondre aux erreurs et aux disfonctionnements survenus depuis la mise en place du SDPE. Par certains aspects ce processus ressemble à celui de l?offensive révolutionnaire, méme s?il a des racines différentes que nous allons analyser ici. Ce processus de rectification eu des répercussions sur le système de stimulants matériels. Mais il n?eut que peu le temps de se mettre en place.

En 1989, le mur de Berlin tombe, et sonne le glas des économies planifiées d?Europe de l?Est et de l?URSS. Avec la fin des échanges au sein du CAEM, Cuba devient isolé et s?enfonce dans une crise économique profonde. Nous reviendrons sur les conséquences macroéconomiques et sociales de celle-ci.

1) La rectification des erreurs et tendances négatives, un nouveau retournement au niveau de la stimulation matériel et de l'utilisation de la loi de la valeur

a) Les causes de ce retournement

C?est lors d?un discours en 1986 lors du IIIème congrès du Parti Communiste Cubain et au commencement du troisième plan quinquennal que Fidel Castro annonça la mise en place du processus de « rectification des erreurs et des tendances négatives ». La raison fondamentale de ce retournement, invoquée par celui-ci, est l?utilisation trop systématique de stimulants économiques matériels pour les travailleurs basée sur le profit pour les unités économiques, qui dégrade la conscience socialiste, favorise les comportements égoïstes et individualistes, corrompt les travailleurs et les directeurs et dilue la ferveur révolutionnaire. La pensée de Guevara est remise en haut de l?affiche, celui-ci serait éhonté s?il verrait comment Cuba avait évolué au niveau de l?utilisation des stimulants matériels.

« Le Che s'opposait radicalement à utiliser et développer les lois et catégories marchandes capitalistes au cours de la transition du socialisme. A un moment donné, quelques unes des idées du Che furent interprétées et appliquées incorrectement. Certainement, il ne se réalisa aucun essai sérieux de les mettre en pratique et nous passâmes dans une période dans laquelle des idées complètement opposées à la pensées économique du Che commencèrent à se faire dominante (...) Beaucoup des idées du Che sont absolument d'actualité aujourd'hui. »108

108 F. Castro, « discurso en la ceremonia del 20 aniversario de la muerte del Che Guevara » Granma revista Semanal, 18 de octubre 1987, pp. 4-5. In C. Mesa Lago, « el proceso de rectificación en Cuba: causas políticas y efectos económicos », revista de estudios políticos, Madrid, N°74, octobre-décembre 1991, pp. 497-530.

Mais il n?y avait pas de réelle volonté de supprimer les stimulants matériels mais tout au moins de limiter leur application car leur nécessité paraissait tout de même évidente. Fidel Castro citait les salaires excessifs en comparaison avec le travail réellement effectué, les normes de travail trop facile à remplir, ainsi que les primes pour dépassement du plan et les « premios » très simple à obtenir. Ceci peut être résumé par les paroles de Fidel Castro lors du discours de clôture de la session différée du troisième congrès du parti, le 2 décembre 1986 :

«Nous ne devons pas renoncer à l'idée de rentabilité de l'entreprise ni à lJidée de calcul économique? Je ne suis contre aucun de ses mécanismes ou catégories, toujours, entendons nous bien, que c'est le travail politique, le travail révolutionnaire, le sentiment des responsabilité des cadres (...)qui peuvent rendre possible l'efficience (...) Nous devons être (~]XPJ4es, I[IJest dans la sphère de la production matérielle que nous devons utiliser ces mécanismes économiques, mais comme moyens auxiliaires, comme instruments auxiliaires du travail politique et révolutionnaire ».

On retrouve donc un discours, qui sans négligé un réel calcul économique, privilégie le travail politique, idéologique envers la population. Le but est de trouver une sortie intermédiaire entre les erreurs «idéalistes» de la période 1966-1970 et les «matérialistes» du SDPE. Mais nous ne pouvons pas seulement nous concentrer sur un discours pour expliquer ce phénomène.

Car outre ces facteurs purement idéologiques, d?autres causes de nature économiques et politiques peuvent nous faire comprendre ce changement de cap. D?une part, 1985 marque le début en Union Soviétique de la Glasnost et de la Perestroïka, qui visent à des réformes libérales tant au niveau politique qu?économique et qui conduiront à la chute du régime soviétique. Au Viêt-Nam également, des réformes laissant plus de place au marché commencèrent à se mettre en place. Dans les autres économies planifiées d?Europe de l?Est, des réformes du même genre s?appliquèrent progressivement. Cuba, dans ce courant, alla à contre sens et affirma (dans le discours) son engagement dans la construction du socialisme.

D?autre part, et ceci est un facteur économique déterminant pour expliquer le processus de rectification des erreurs, Cuba avait depuis les années 1980 des problèmes au niveau du paiement de sa dette externe, et dû suspendre son paiement en 1985. Suite à cela, il fût interdit à Cuba d?emprunter sur les marchés internationaux. Or, ces emprunts en devises permettaient à Cuba de financer une grande partie de ses importations de biens d?équipements et de consommation surtout qui étaient moins fournis au sein du CAEM. Il aurait pu se produire le méme phénomène qu?avant l?offensive révolutionnaire. Si l?on continuait de donner des stimulants matériels, et qu?une pénurie de biens de consommation commençait à se produire, il y aurait eu une augmentation des liquidités dans les mains de la population ce qui aurait augmenté le marché noir et les tendances inflationnistes sur celui-ci. Déjà, dès 1984, le déficit commercial augmenta à 155 % et les réserves internationales à disposition diminuèrent de 21%109.

b) Les implications réelles du processus de rectification

Mais quelles ont été les conséquences de ce processus. Cela entraîna le retour à la centralisation et donc la fin du SDPE, l?élimination progressive des stimulants matériels. Ceux-ci sont de nouveau condamnés, ils auraient été trop largement utilisés et auraient renforcé les comportements égoïstes, individualistes.

A ce moment là, seront également supprimés les marchés libres paysans qui avaient été autorisés au début des années 1980. Les paysans privés se devaient de vendre leurs excédents à l?Etat (Acopio). La raison est due à l?enrichissement excessif de certains paysans privés et de leurs intermédiaires. Les revenus annuels pouvaient atteindre parfois 50 000 pesos. Pourtant, avant le processus de rectification, certains économistes cubains vantaient les mérites des fermes privées et des marchés libres car ils alimentaient l?augmentation de la production, ainsi qu?une meilleure stabilité, variété et qualité des produits et par là une meilleure satisfaction des consommateurs en raison du faible rendement des fermes d?Etat. Mais le danger était dans la formation d?une nouvelle classe bourgeoise ou petite bourgeoise.

109MESA LAGO, Carmelo, « el proceso de rectificación en Cuba », Op.cit.

Le processus de rectification des erreurs et tendances négatives va aussi accélérer le mouvement des conversions des fermes privées en coopératives commencé au cours des années 1970. Nous assistâmes à partir de 1986, à l?élimination de la construction privée de logement qui avait été revigorée au début des années 1980, là aussi afin de stopper l?enrichissement de quelques individus. Dans le but de suppléer à cette interdiction - le logement étant un problème récurrent depuis le début de la révolution - les micros brigades basées sur le travail volontaire furent revitalisées, ce qui permit de surcroît de lutter partiellement contre le suremploi.

Dès 1986, 28 mesures furent approuvées. Celles ci s?appliquèrent au début de 1987110 dont celles évoquées précédemment. Celles-ci concernaient par exemple, une augmentation des prix afin de réduire la consommation, de limiter les importations et d?économiser des ressources pour l?exportation. Les années 1986-1990 furent caractérisées par un ralentissement économique important. Le Produit Social Global (PSG) n?augmenta que de 0,4% tandis que la productivité baissa de 2,6%. L?absentéisme au travail reconnu une forte augmentation. Ce ralentissement économique ne vint pas des politiques du processus de rectification selon Mesa-Lago, il serait du à la sécheresse, à la pluie, à la dépréciation du dollar, à la baisse du prix du sucre, du pétrole, ainsi qu?à la carence d?aide extérieur en monnaie convertible.

Les mesures du processus de rectification, tiennent donc aux changements d?ordre externes et internes. D?une part, Cuba commença à être progressivement isolé, ne pouvant plus emprunter sur les marchés internationaux, et les termes de l?échange avec l?URSS et les pays d?Europe de l?Est se détériorant. D?autre part, la constitution d?une classe aisée et de profiteurs au sein même du pays, fruit de la politique appliquée depuis le SDPE aurait pu aller à l?encontre de la construction du socialisme et du pouvoir des dirigeants. Les mesures visèrent donc à restreindre la part des activités marchandes et le recours aux stimulants matériels, et renforcèrent la centralisation des décisions. Mais aucun projet clair n?aboutit, et les évènements de 1989-1991 dans le camp « socialiste » en Europe, allèrent plonger Cuba dans une crise économique sans précédent depuis la révolution.

110 Idem.

2) La chute de l'URSS et les implications pour Cuba

a) Une crise économique très grave pour Cuba

La désintégration de l?URSS et des pays du CAEM, a signifié la fin des échanges commerciaux privilégiés avec ces pays. Le démantèlement du CAEM eût lieu en 1989. Comme nous en avons parlé précédemment, les échanges au sein du CAEM permirent à Cuba d?augmenter ses forces productives, d?élever le niveau de vie de sa population et de maintenir sa spécialisation sucrière, tout en atténuant les erreurs et dysfonctionnements de son système de planification. Cuba a donc du réorienter son commerce extérieur, devait importer tous ses biens en MLC (monnaie librement convertible) et donc à des prix supérieurs (pétrole) et exporter ses produits à des prix inférieurs (sucre). L?année 1993 est le point de chute de la crise cubaine. Entre 1989 et 1993, les exportations et les importations se contractent de 79% pour les premières et de 73% pour les secondes111. La chute du PIB fût de 35% entre ces deux dates. La capacité productive du pays diminua donc fortement. L?approvisionnement en combustibles faisait défaut ainsi qu?en pièces de rechange pour les machines agricoles par exemple. Un secteur très touché par la crise fût celui des transports.

La pénurie de biens entraîna un développement fulgurant du marché noir où les prix atteignirent des sommets. L?Etat assura tout de méme la conservation des acquis sociaux de la révolution au niveau de l?éducation et de la santé, et maintint la carte de distribution (libreta112) même si certains produits, dont la viande, ni figurèrent plus, ou seulement de façon aléatoire. Nous avons donc assisté à une dégradation des conditions de vie de la population. Méme s?il n?y eu pas de famine (comme en Corée du nord), des cas de disette entraînant sous nutrition et malnutrition ont pu être constatés.

111 HERRERA, Rémy(Dir), Cuba révolutionnaire tome 2 : économie et planification, Op.cit.

112 La libreta donne le droit à tout cubain de se procurer certains biens de première nécessité à des prix administrés très bas. Les quantités et les produits sont différents selon les endroits, entre la Havane et la campagne par exemple. Tous les enfants de moins de 7 ans disposent ainsi d?un litre de lait par jour. A la Havane, à la fin de l?année 2009, la libreta donnait droit à une livre de riz, une once de haricot noir, un demi litre d?huile, 10 oeufs par personne et par mois. On trouve également du café, des cigarettes. Les produits d?hygiène (pâte dentaire, savon corporel et pour nettoyer le linge) ainsi que la viande (essentiellement poisson, poulet et picadillo) sont disponibles de façon aléatoire.

Le salaire réel diminua également fortement en raison des hausses de prix, de 188 pesos en 1989 à 19 pesos en 1993 en pesos de 1989113, ce qui fit surgir des cas de pauvreté plus ou moins important malgré la volonté de l?Etat de continuer d?assurer le bien être de la population. Le salaire réel en 2009 n?a toujours pas atteint son niveau de 1989 et de loin, malgré que le salaire nominal soit passé de 188 pesos en 1989 à 414 en 2008114.

Le PIB, lui, a retrouvé son niveau de 1989 seulement en 1999. Les réformes économiques ont permis à Cuba de refaire partir son économie, la croissance redevient positive en 1994, méme si le rattrapage par rapport à 1989 n?est pas opéré dans tous les domaines. Cuba a également du trouver de nouveaux partenaires économiques fiables qu?elle a trouvé essentiellement avec la Chine et certains pays d?Amérique latine qui ont des gouvernements de gauche hostiles aux Etats-Unis depuis les fin des années 1990 comme le Venezuela et la Bolivie115. Mais ces échanges sont sans commune mesure comparable avec ceux existant à l?époque du CAEM.

Bien sûr, durant ces quatre années de vache maigre, l?attention portée au niveau des stimulants matériels se réduisit, voire méme disparut. L?essentiel étant de faire fonctionner les entreprises, dont beaucoup fermaient du fait, par exemple, d?un manque flagrant de combustibles et de pièces de rechange pour le matériel productif.

b) Réformes et ouverture partielle au marché

C?est à partir de 1993 que des mesures économiques vont être mises en place afin de relancer l?économie. En premier lieu, le tourisme va être promu en tant que dynamiseur de l?économie En 2000, il rapporta 40% des devises de l?Etat116. Au sein du marché noir et du

113VIDAL, Pavel « La Inflación y el Salario Real », Economics Press Service no. 6, IPS, febrero de 2007, La Habana.

114 Idem.

115 En 2004, füt crée l?ALBA (Alternative Bolivarienne pour les Amériques) sous l?impulsion du Venezuela. Cuba füt un des premiers signataires. Elle vise à des échanges solidaires entre les pays d?Amérique latine à fin de développement social et structurel. Aujourd?hui 7 pays en font partie. Par exemple Cuba envoi des médecins et des maîtres dans les quartiers défavorisés du Venezuela, et ce dernier vend du pétrole à Cuba à des tarifs préférentiels.

116 EVERLENY PEREZ VILLANUEVA, Omar (compilador), Reflexiones sobre la economía Cubana, Editorial de ciencias sociales, La habana, 2006.

fait de la forte inflation, la confiance dans le Peso s?est effritée, et une masse importante de dollars circulait dans la population. En réponse à cette dollarisation de facto, les autorités cubaines vont choisir de légaliser le dollar pour la population mais également pour les entreprises, notamment pour celles basées sur l?exportation, car le monopole du commerce extérieur de l?Etat fut également supprimé.

Il est important de revenir sur la suppression du monopole du commerce extérieur sur l?Etat. Evidemment Cuba a besoin d?exporter pour pouvoir importer, du fait d?un faible développement du marché interne, la crise ayant de plus entraînée une grave pénurie. Mais comme l?avait souligné Préobajensky117, durant la NEP en URSS, une des forces de l?accumulation socialiste primitive contre l?influence de la loi de la valeur était le monopole du commerce extérieur contre les vagues du marché mondial. Cuba sans ce monopole serait donc plus sujet aux attaques de la loi de la valeur. Ceci serait un thème plus spécifique à traiter à travers les échanges extérieurs cubains, mais qui pourrait nous en dire beaucoup sur la supposée transition au socialisme à Cuba.

En 1994, les marchés libres paysans seront également autorisés. Ils n?entraîneront pas la fin du marché noir, mais permettront de faire diminuer les prix sur ce dernier. Le travail à compte propre sera autorisé pour des activités comme chauffeur de taxi, chambre d?hôtes... Les Investissements Directs à l?Etrangers (IDE) seront également autorisés, dans la limite d?une participation de 50% dans une entreprise, l?autre partie étant conservée par l?Etat Cubain.

Dans l?agriculture aussi, des changements important ont eu lieu, de nombreuses Fermes d?Etats ont été transformées en Unité Basique de Production Coopérative (UBPC), et au début des années 2000, une restructuration a eu lieu dans le secteur sucrier, celui-ci n?étant plus le secteur le plus important de l?économie cubaine. Les centrales les moins rentables ont été utilisées à d?autres fins (diversification agricole, reforestation).

117 PRÉOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle économique, Op.cit.

En ce qui concerne les UBPC, celles-ci, se forment donc sur une base coopérative, différente tout de même des CPA (coopérative de production agricole) existant à Cuba depuis les années 1970. Au sein d?une UBPC, la terre reste propriété de l?Etat, mais les moyens de production sont la propriété des groupes de travailleurs, et elles sont basées sur l?autonomie financière. La rémunération doit portée sur la qualité et la quantité de travail. Il y a donc plus de souplesse de décisions.

Une conséquence importante due à la crise et aux réformes appliquées pour la résorber, est l?augmentation des inégalités. En effet, Cuba avant 1989 était considérer comme un des pays les plus égalitaires du monde. Les différences entre les plus hauts revenus et les plus bas allaient de 1 à 4 voir moins selon certaines estimations. Au cours des années 1990 et en 2000 la différence est largement plus élevée, de 825 à 1 en 1998 et de 12 500 à 1 en 2002118. Cette augmentation provient surtout de la légalisation du travail à compte propre qui permet à une certaines franges de la population d?obtenir des revenus élevés, parfois en monnaie convertible (voir infra), et également par la légalisation de l?envoi de devises de l?étranger qui profitera à une certaine partie de la population.

Nous avons assisté à des changements structurels importants depuis le début des années 1990 à Cuba. Les rapports marchands ont donc été largement augmentés dans le système économique du pays. Mais la construction du socialisme est toujours le but proclamé du pays, comme Raul Castro l?a rappelé lors de son discours du 1er aout 2009. Ces rapports marchands, l?utilisation plus ample de la loi de la valeur ont donc été une nécessité pour la relance de l?économie, et pour le moment, leur disparition et méme leur atténuation n?est pas à l?ordre du jour, du fait que le rattrapage économique de la période d?avant crise n?est pas tout à fait résolu et du relatif isolement de Cuba au niveau international en tant que pays en transition vers le socialisme.

Mais si l?on regarde l?ouverture au marché et à la loi de la valeur, elle s?est plutôt réalisée sur l?extérieur, l?étranger (fin du monopole du commerce extérieur, IDE, tourisme) mais peu sur le plan intérieur. Bien qu?il y ait l?ouverture des marchés agricole paysans, la légalisation

118 MESA LAGO, Carmelo, Economía y bienestar social en Cuba a comienzos del siglo XXI, Colibrí, Madrid, 2003.

du travail à compte propre, la création des UBPC, ces mesures relèvent de la stricte nécessité, et la reprise économique a surtout voulu être réalisé par l?extérieur peut être au détriment de la revitalisation interne de l?économie (laisser plus de place à la petite exploitation paysanne privée, ainsi qu?à l?artisanat privé).

E/ Cuba depuis les années 1990, Changements structurels et attitude vis-à-vis de la stimulation matérielle toujours non résolue

La crise économique a rendu nécessaire la mise en place de réformes importantes dans le secteur planifié et dans l?économie cubaine dans son ensemble. Son isolement, en méme temps que son faible niveau de forces productives vont amener les dirigeants à ouvrir le pays un peu plus au marché et à donner plus de place aux catégories marchandes pour les échanges et la production au sein de l?économie.

La plus grande place de la loi de la valeur et des catégories marchandes ferait penser qu?une plus large place serait donnée aux stimulants matériels. Si cela s?est produit dans une certaine mesure par l?application de certaines mesures et processus, tel le processus de perfectionnement des entreprises, des résistances se font jour, et la problématique des stimulants matériels reste non résolue dans sa totalité pour les raisons que nous allons rendre compte ici.

1) Le problème toujours non résolu de la stimulation matérielle

a) Dualité monétaire et stimulation matérielle

La légalisation de la circulation du dollar tant dans les échanges entre particulier qu?entre les entreprises est intervenue en 1994. La crise économique a ruiné la confiance dans la monnaie nationale, le Peso Cubain (CUP) pendant la période 1989-1993. Les prix au marché noir, ce dernier s?étant considérablement développé en raison de la pénurie sur le marché étatique, ont augmenté très fortement, et des échanges en dollar ont commencé à se réaliser de

plus en plus. On a donc eu en premier lieu, une dollarisation de facto qui a obligé les dirigeants cubains à légaliser la possession de devises.

En même temps que la dollarisation, une monnaie est créée, le peso convertible (CUC). Celui-ci a remplacé définitivement le dollar en 2004, année de la fin du processus de dédollarisation. Trois monnaies circulèrent donc durant presque dix ans. Or, aujourd?hui, la dualité monétaire continue d?exister. La dédollarisation a permis à Cuba de rétablir une certaine souveraineté monétaire mais l?existence de deux monnaies entraîne encore des distorsions en particulier sur l?inégalité de revenu119.

Dès lors, les entreprises travaillant pour l?exportation (nickel...) et les entreprises mixtes pouvaient avoir des comptes en devises120. Des systèmes de stimulants en devise se sont mis en place. Ils sont généralement mensuels et vont de 10 à 30 CUC par mois. Il arrive parfois que l?attribution de la prime soit automatique. Parfois son obtention est fonction de l?assiduité du travailleur, ou de la production réalisée. Il faut voir que 10 CUC correspondent à environ 240 CUP ce qui est proche du salaire minimum mensuel cubain. Là où par exemple dans les années 1980 les primes (du fonds de salaire ou du fonds de stimulation de l?entreprise) dépassaient rarement 10% du salaire de base, une stimulation de 10 CUC peut doubler un salaire, donc représenter 100% de celui-ci. Pour un salaire moyen (414 CUP en 2008), la stimulation en CUC va représenter 60 à 70% du salaire.

Une autre sphère de l?économie qui permet d?obtenir des CUC est le secteur touristique, où il existe nombre d?entreprises mixtes. Des primes peuvent également être octroyées. Les pourboires des touristes en monnaie convertible peuvent aussi être source d?un revenu important. Parfois, les pourboires doivent être mis dans une caisse commune, et redistribués aux salariés ultérieurement. Ceux-ci dépassent facilement, suivant la période et l?affluence touristique, un salaire moyen. Ils correspondent donc à une première source de revenu que nous pouvons considérer comme non liée à l?effort de travail et à la productivité. Ces deux

119 Aujourd?hui le taux de change entre les deux monnaies est d?environ 24CUP pour 1 CUC. Un économiste cubain me disait à juste titre que l?emploi de « devise » pour parler du Peso convertible n?est pas justifié car il est une monnaie nationale, créé par la Banque Centrale de Cuba.

120 Le fonctionnement de ces entreprises est assez complexe, et nous ne nous engagerons pas dans une étude détaillée. Cela sera l?objet d?une recherche ultérieure.

secteurs, le tourisme et les entreprises dans lesquels il existe une stimulation en CUC, sont un pôle d?attraction pour les travailleurs cubains, qui pourront se procurer plus de biens ou des biens non accessibles en monnaie nationale.

Les remesas, transfert d?argent des cubains vivant à l?étranger, sont une source de revenu considérable pour certains cubains. Les remesas sont bien sûr de la monnaie convertible, et sont complètement déconnectés de la sphère productive. Tous les cubains n?en reçoivent pas et ils sont concentrés seulement chez une certaine partie de la population, ce qui a fortement accrus les inégalités de revenu et de niveau de vie.

Il faut souligner, pour bien comprendre l?enjeu de la dualité monétaire, que l?offre de biens sur le marché étatique s?est considérablement réduite suite à la crise. Bien sür la légalisation des marchés agricoles et artisanaux a permis de combler un peu la pénurie, mais seulement sur les biens de première nécessité (fruits et légumes, viandes, vétements...) et à des prix très supérieur que ceux du marché étatique subventionné. Or, l?on peut trouver des biens dans les magasins en CUC introuvable en Monnaie nationale. C?est le cas par exemple, des réfrigérateurs, micro ondes... qui ne sont plus fournis sur le marché étatique, mais les prix sont très élevés en CUC. Seule une partie des cubains, qui reçoivent des remesas, qui touche des stimulants matériels en devises ou qui travaille dans le tourisme et les entreprises du secteur émergent, peut se fournir sur ces marchés.

b) Regard sur l?évolution de la stimulation matérielle et les différents problèmes de mise en application

Outre la stimulation en « devises » qui s?est créée suite à la légalisation de leur circulation, d?autres formes de stimulation continue d?exister. Tout d?abord, la stimulation en « monnaie nationale » est encore à l?ordre du jour dans les entreprises du secteur d?Etat notamment hors du secteur émergent et du secteur d?exportation. L?accomplissement ou le dépassement du plan est le critère principal, ensuite, des critères d?assiduité et d?économie de matières premières peuvent jouer.

L?octroi d?un panier de biens en nature existe dans nombre d?entreprises, du secteur émergent ou non, par exemple les professeurs d?université en reçoivent. Ce panier comporte généralement, des produits de toilette (parfois juste un savon), d?autres fois des produits alimentaires, dans certain cas cela peut être un peu d?essence. Il est de nature le plus souvent automatique et à un caractère mensuel ou trimestriel. Les départs en vacances pour les travailleurs méritant qui existaient depuis les années 1960, ont quasiment disparus121.

En 2000, 1 158 000 travailleurs avaient reçu des stimulants en devises, 1 990 000 des stimulations en vêtements et chaussures, 700 000 en produits de toilettes et autres et 1 461 000 en alimentation122. Au total, 2 millions de travailleurs auraient bénéficié de ces systèmes de stimulation jusqu?à l?année 2000, ce qui représente moins de 50% de la population active (chiffrée à plus de 4,5 millions en 2000). Ces formes spéciales d?incitations matérielles équivalaient à entre 30 et 50 millions de dollars en 1994, et à entre 80 et 110 millions en 1998 et 2000123. Voici ce que représentait en valeur et en volume la stimulation matérielle au cours des années 1990 :

121 Informations obtenues sur la base d?entretiens, elles sont donc imparfaites mais permettent de décrire principalement des tendances.

122MENENDEZ DIAZ, Manuel, « Algunas consideraciones sobre el tema de la estructura socio clasista en Cuba », Cuba Socialista, No 21, La Habana, 2001. Pour la CEPAL, en 1999, 1,4 Millions de travailleurs recevaient une stimulation en devise. Cf. CEPAL, La economía Cubana: reformas estructurales y desempeño en los noventa, Fondo de cultura economica, México, 2001.

123DOMINGUEZ, Jorge Luis, La economía cubana a principio del siglo XXI, Colegio de México, México, 2007.

Salaire et stimulation matérielle moyenne des salariés

Années

Salaire moyen nominal (pesos)

Salaire + stimulation moyenne nominale (pesos)

Salaire + stimulation moyenne réelle (pesos)

Variation

annuelle
(pourcentage)

1994

185

194

194

 

1995

194

205

232

19,7

1996

202

219

260

12,0

1997

206

224

261

0.2

1998

207

228

258

-1,1

1999

222

246

287

11,4

2000

238

268

320

11,5

2001

252

290

351

9,6

2002

261

309

348

-0,8

2003

273

332

389

11,8

2004

284

350

399

2,6

2005

330

389

427

6,9

2006

386

448

465

9,0

Source. Ferriol (2007) d?après ONE et CEPAL (2000)

Aujourd?hui les mémes types de stimulation existent, mais l?intérêt est de savoir s?ils permettent réellement d?augmenter la productivité des travailleurs. D?après les chiffres ici donnés, on voit que la stimulation n?a pas réellement augmenté si l?on regarde le nombre de travailleurs concernés, (entre 1985 et 2000) par contre, les formes de la stimulation ont quant à eux changé du fait des changements structurels de l?économie. Par exemple, la stimulation va être effective dans les entreprises du perfeccionamiento empresarial, dans les secteurs émergents, dans les UBPC également, mais elle sera difficile à mettre en place dans les entreprises étatiques fonctionnant pour le commerce intérieur et qui restent soumises à des difficultés depuis la crise des années 1990.

Un problème important concernant l?efficacité de la stimulation est son automaticité. Ce que l?on appelle stimulation, ne l?est pas vraiment. Parfois, la prime est automatique au sens propre du mot, il n?y a pas de contrainte. D?autre fois, elle est peu contraignante. Il faut être absent moins de trois fois sans justification au cours du mois pour l?obtenir124. Enfin, il arrive souvent que les personnes distribuant les primes ne rechignent pas à les donner (syndicats...) connaissant les difficultés et les nécessités de certains travailleurs. De plus, le problème du transport peut affecter l?octroi des primes en fonction de l?assiduité et des retards. En effet, si un travailleur doit effectuer un trajet relativement long pour aller à son lieu de travail, et qu?il y a un problème de bus (ceux-ci sont souvent pleins), les primes ne seront pas octroyées pour une cause qui ne relève pas de la mauvaise volonté du travailleur.

Il est certain, vu les chiffres, que les différents types de stimulation représentent une certaine somme d?argent en globalité. La stimulation par travailleur, si l?on prend les chiffres cités ci-dessus représenterait, entre 40 et 55 dollars par travailleur par an, ce équivaut à une somme importante en moneda nacional (environ 1000 Pesos Cubains). Mais l?on voit que ces sommes ne permettent pas une réelle efficacité au niveau de l?effort de travail. Une solution possible serait de supprimer au maximum les systèmes de stimulation sous forme de primes, bonus... automatiques ou non, tout en augmentant les salaires. Ces derniers devraient être liés, là où cela est possible, aux résultats, par le biais d?un salaire aux pièces. Le tout en privilégiant les

124 Cas de l?entreprise de rénovation du centre historique de la Havane.

primes restantes en Peso cubain, dans l?optique d?une élimination de la dualité monétaire à moyen terme125.

2) Quelle voie pour l'avenir ?

a) Le processus de perfectionnement des entreprises

Le processus de perfectionnement des entreprises (perfeccionamiento empresarial) fut crée en 1987 dans 200 entreprises du ministère des armées (MINFAR) et visait à une plus grande rationalisation de la production sur la base d?une plus grande autonomie laissée aux unités économiques afin de répondre aux problèmes du SDPE. Au vu des bons résultats de ses entreprises et des difficultés de la décennie 1990 au cours de laquelle des changements de méthodes de planification se sont opérés (le calcul en balances financières a remplacé le calcul en balances matérielles), ce système cherchera à se généraliser à partir de 1997. C?est la loi 187 d?aoüt 1998 qui mettra en vigueur les bases générales du processus de perfectionnement des entreprises.

Les entreprises souhaitant intégrer le processus de perfectionnement des entreprises doivent remplir plusieurs critères et étapes afin de rentrer dans le processus126. Tout d?abord, elles doivent avoir une comptabilité qui reflète les faits économiques. La seconde étape est l?existence d?un marché qui assure la réalisation de leurs productions et de leurs services. Enfin, les assurances nécessaires pour la production de leurs biens et services doivent être garanties.

Dans la recherche d?un système de gestion entrepreneurial plus efficient, le nouveau Système de Direction et Gestion (SDG) repose sur plusieurs composants :

125 Cette suggestion m?a été faîte par un économiste cubain. Elle est envisageable et permettrait sûrement une amélioration de la productivité (toutes choses égales par ailleurs) dans le cas où les trois éléments déterminants restent dans la même configuration.

126 Cf. TRISTA ARESU, Grisel, « El perfeccionamiento empresarial en la empresa estatal cubana y socialista », Momentos actuales, No18, 2000, pp. 28-35.

Exemple de rémunération dans une entreprise cubaine

Cas de Transtur, entreprise étatique spécialisé dans le transport en bus et la location de voiture (Cubacar) pour les touristes. Elle fait partie du secteur dit émergent et fonctionne selon les principes du nouveau Système de Direction et de Gestion (Perfeccionamiento Empresarial).

Il existe deux types de travailleurs, les administrateurs et les travailleurs productifs. Le revenu des travailleurs va se décomposer comme suit :

- Le salaire de base (par exemple 400CUP pour un informaticien, comme la personne qui m?a fournit les informations)

- Une stimulation en monnaie nationale - Une stimulation en Peso convertible

- Des pourboires

Le salaire de base est lié à l?échelle salariale en vigueur. Il n?est donc pas à la pièce pour les travailleurs productifs car un manque de voiture ou une diminution de touristes pourrait procurer des salaires très bas. Cependant une autre UEB (Unité Basique d?Entreprise) de Transtur aurait mis en place un type de salaire aux pièces. La stimulation en Peso Cubain fonctionne suivant des critères différents selon que l?on soit travailleur productif (ici les personnes qui loue les voitures par exemple) ou non productif. Pour les travailleurs productifs, elle est fonction de l?accomplissement du plan. Pour les administrateurs, le critère est l?utilité apportée à la société (utilidades) en fonction du profit brut (recette -- dépenses) qui doit excéder 10%. En revanche il n?y a pas de diminution de salaire pour non accomplissement du plan.

La stimulation en CUC est automatique. Les pourboires sont placés dans le fond commun de l?entreprise et répartis ensuite entre les travailleurs. Une partie est également réservée au MINSAP (Ministère de la Santé Publique). Les autres UEB de l?entreprise peuvent avoir des politiques de stimulation différentes. Ces sont les Directeurs des Ressources Humaines qui vont décider du système de stimulation en discussion avec le syndicat.

- Techniques modernes de direction

- Restructuration entrepreneurial avec l?accent mis sur la spécialisation et l?autonomie des unités de bases

- Organisations des processus productifs

- Flexibilisation de la politique du travail et salarial

- Introduction de nouveaux systèmes de coûts modernes

- Plus grande flexibilité des indices de planification en réduisant ceux de caractère directif et en élevant le rôle des indicateurs d?ordre financier et les systèmes des garanties de la qualité qui incluent les circuits de qualité127.

Le processus de perfectionnement des entreprises insiste sur une plus grande participation des travailleurs, sur la rémunération selon le travail fourni ainsi que sur une plus grande décentralisation des décisions. Le fonds de salaire et la moyenne des travailleurs ne sont plus des indices directifs, ils sont modulables par les différentes directions d?entreprises ou des Unités Basiques de Production (UEB) auxquelles elles sont rattachées. De plus, le salaire maximum de l?échelle salariale a été augmenté, ce qui a permit une plus grande différenciation salariale entre les travailleurs simples et les travailleurs complexes. L?utilisation des catégories marchandes et de la loi de la valeur joue donc un rôle plus important au sein des entreprises rentrant dans le nouveau système. De ce point de vue, même si cela parait comparable au SDPE, le SDG va plus loin. Déjà en affirmant plus fortement l?utilisation des catégories marchandes, mais également car de réelles méthodes de gestion managériale sont employées.

En 2000, en plus des entreprises du MINFAR, 50% des entreprises du secteur d?Etat transitaient par les différentes étapes du processus de perfectionnement des entreprises. Mais seulement vingt avaient réellement intégrées le système. Ces vingt entreprises salariaient 25 853 travailleurs, avaient un système de rémunération selon les résultats et elles étaient toutes rentables et apportaient au pays plus de 19 millions de dollars128. Aujourd?hui le

127 CARRANZA, Julio, GUTTIEREZ, Luis, MONREAL, Pedro: La reestructuración de la economía cubana.

Una propuesta para el debate. La Habana: Editorial Ciencias Sociales 1995.

128 Cf. TRISTA ARBESU, Grisel, « El perfeccionamiento empresarial en la empresa estatal cubana y socialista », Op.cit

nombre d?entreprises fonctionnant avec le nouveau Système de Direction et de Gestion a augmenté, mais l?on voit que les entreprises cubaines ont des difficultés à rentrer dans le processus. Cela nécessite des aménagements, de nouvelles méthodes de travail, l?accord et le soutien des travailleurs... Neuf ans après l?initiation de ce processus en 1988, le nombre d?entreprises approuvées pour initier le programme de perfectionnement a été multiplié par sept (797 entreprises en 2007), mais représentent seulement 29% de l?ensemble des entreprises et 25,5% de la force de travail dans le pays.

Le nouveau système de direction économique implanté encore partiellement à Cuba a été mis en place en raison de la crise économique qui a suivi la désintégration de l?URSS et qui à réduit l?état des forces productives du pays (Fermeture ou mis à l?arrêt d?usine, baisse des moyens techniques, baisse de la conscience des travailleurs). Après la période de rectification des erreurs, l?accent mis sur les stimulants matériels est revenu sur le devant de la scène. Mais il faudrait nuancer. Plus que les stimulants matériels, c?est un juste revenu correspondant à l?apport pour la société qui est mis en avant selon le principe socialiste « à chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ». Un changement important également est l?augmentation des inégalités. Ceux-ci proviennent des changements structurels liés à la plus grande place des activités privées marchandes et des transferts d?argent depuis l?étranger, mais c?est également une volonté délibérée de l?Etat qui accepte une plus grande différenciation salariale au sein du SDG, et qui sera mise en oeuvre par la loi de 2008 sur les salaires.

L?égalitarisme, qui existait avant 1989 y est vu comme non efficace, non efficient économiquement. Les discours sont donc réellement portés vers le productivisme, même si l?on ne s?attend pas pour le moment à des changements comme ils se sont produits en Chine. Cet accent mis sur l?augmentation de la production ressort d?une situation catastrophique pour l?économie.

b) Nouvelle orientation sur les salaires et la rémunération en général

En 2008, une nouvelle loi sur les salaires a été mise en vigueur. Elle vise à individualiser les primes. Auparavant, celles-ci étaient liées aux résultats de l?entreprise et donc aux résultats du collectif de travailleur. Maintenant, elles doivent être le reflet de l?apport individuel du travailleur. Elles doivent donc se rapprocher plus du principe socialiste de rémunération « à chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ». Mais ici, toute la rémunération n?est pas fonction de l?apport individuel mais seulement les primes. Il n?y a donc pas une généralisation du salaire aux pièces.

Pour le moment, au bout de deux ans, la réforme a du mal à se mettre en place, dans toutes les entreprises du secteur d?Etat.

Après la chute de l?Union soviétique, la planification a commencé à se réaliser selon un calcul en balance financière pour remplacer le calcul en balance matérielle, qui n?était plus viable en raison de la grave crise économique qui touchait Cuba. Des effort vers une plus grande décentralisation se sont opérés, mêlés à la suppression du monopole du commerce extérieur et au lancement du processus de perfectionnement des entreprises. C?est pour cela qu?il y a eu une augmentation de la stimulation matérielle pour les travailleurs, à travers le fonds de stimulation. A partir de 2001, cependant, une recentralisation des ressources s?est fait jour à travers le système de compte unique et nous avons assisté donc à une diminution de la stimulation.

Différents problèmes, comme nous l?avons vu, empêchent un réel système de stimulation de fonctionner, nous pouvons en citer quelques uns.

- Automaticité de certaines primes. Parfois elles sont purement automatiques, d?autres fois, leur octroi est automatique en raison de la connaissance des nécessités des travailleurs. Peut on alors parler réellement de primes, ou sinon simplement de supplément de salaires.

- Faible offre de biens de consommation du secteur d?Etat. Les travailleurs ne vont pas être incités à accroître leur effort de travail pour obtenir un revenu supplémentaire en Peso

Cubain s?ils ne peuvent pas le dépenser. Ce problème se pose depuis la révolution, et est fréquent au sein des pays en transition.

- Les critères des primes sur l?assiduité ou les retards peuvent être biaisés car les problèmes de transport existent toujours depuis le début des années 1990, ainsi que par le manque de matériel de rechange pour l?outillage en général qui peut à certains moments ralentir la production.

- Une réelle participation des travailleurs aux processus de décisions productifs et de répartition est nécessaire pour les intéresser au développement de leur lieu de travail et à fortiori du socialisme. La stimulation doit méme s?avérer décroissante en fonction de la participation et de la démocratie socialiste. Bien sûr des conditions de niveau de vie doivent être atteintes.

Des transformations sociales et économiques vont encore avoir lieu à Cuba dans un futur relativement proche. Tout peut nous faire penser qu?un accroissement des catégories marchandes et de l?utilisation de la loi de la valeur va se produire car à court terme les éléments déterminants (forces productives, bureaucratie, et situation internationale) ne devraient pas évoluer fortement. Il faudra surement attendre le prochain congrès du PCC, qui devrait se réunir cette année ou l?année prochaine, s?il n?est pas une fois de plus reporté. Déjà, une nouvelle mesure est en expérience depuis le mois d?octobre 2009 dans les entreprises de trois ministères. Elle vise à supprimer les restaurants ouvriers dont les prix très faibles pour les travailleurs étaient subventionnés par l?Etat. En retour celui-ci perçoit 15 CUP par jour qui doivent leur permettre de manger. 15 CUP sur vingt jour sont égaux à 300 CUP c?est donc quasiment plus du double du salaire pour un travailleur au salaire minimum. La libreta pourrait également être supprimée dans un avenir proche.

CONCLUSION

Méme si le nombre et l?importance des économies planifiées en transition vers le socialisme est très largement réduit depuis la décennie 1990, la problématique des stimulants matériels dans ce type d?économies reste importante tant pour Cuba que pour les pays qui rentreront dans cette voie dans un avenir plus ou moins lointain. Nous avons vu au cours de cette étude, la manière de poser le problème des stimulants matériels au sein d?une économie en transition vers le socialisme au niveau théorique et plus spécifiquement comment il tente de se régler à Cuba dans la pratique.

Les stimulants matériels pour les travailleurs font référence aux formes de rémunération, aux rapports de distribution légués du capitalisme suite à la révolution prolétarienne. Car certaines tares du capitalisme se maintiennent durant la phase de transition, que Marx appelait l?étape inférieure du communisme, le socialisme. Or les différentes révolutions se sont produites au cours du XXe siècle dans des pays arriérés économiquement et le socialisme, c'est-à-dire le moment où les moyens de production seront entièrement socialisés selon un calcul en temps de travail nécessaire, ne peut être atteint dans un laps de temps très court, en raison du faible développement industriel du pays et de la non interdépendance de l?ensemble des branches de la production. La transition vers le communisme est donc rallongée (bien que celle-ci ne soit pas linéaire et non défini à priori) et une phase de transition du capitalisme au socialisme s?ajoute à celle du socialisme au communisme.

L?utilisation de la loi de la valeur et des catégories marchandes au sein méme du secteur d?Etat (non encore socialisé) s?avère nécessaire ainsi qu?un certain nombre d?enclave privée au niveau artisanal et agricole (en fonction de leur degré de développement). De ce fait, le maintient de formes de rémunération propres au capitalisme est nécessaire. Tout d?abord le salaire, qui ne peut être remplacé stricto sensu par des bons de travail. Ensuite, les formes de rémunération les plus appropriées du système capitaliste, c'est-à-dire le salaire aux pièces et les stimulants dits matériels (primes, avantages monétaires...).

Mais la persistance de ces divers éléments au sein de la société en transition peut être d?une plus ou moins grande ampleur. Nous pouvons dire que plus les forces productives sont peu développées, plus la persistance des éléments marchands dans la société en transition va être important pour une augmentation soutenable de la productivité. Mais les forces productives ne sont pas le seul régulateur des rapports de production, ces derniers pouvant même être le régulateur des forces productives. Cela va dépendre du degré de participation des travailleurs au processus décisionnel tant politique qu?économique et donc à l?existence effective d?une dictature du prolétariat. En effet, l?élément le plus important serait plutôt le phénomène bureaucratique. Plus une bureaucratie (Bettelheim parlait de bourgeoisie d?Etat pour l?URSS) usurpe le pouvoir de la classe ouvrière, plus l?utilisation de stimulants matériels pour le développement de la production sera importante.

La nationalisation de certains moyens de production et l?utilisation de stimulants matériels dans ces secteurs doit se faire si cela ne bloque pas le développement des forces productives même si la nationalisation de certaines branches de l?économie peut se faire pour contrecarrer le pouvoir de la bourgeoisie dans le cadre de la lutte de classe. Car le but d?une économie en transition vers le socialisme reste, outre la suppression de l?exploitation de l?homme par l?homme et le développement d?une conscience supérieur, le rattrapage économique sur les pays capitalistes. Plus le pays est arriéré économiquement, donc ayant une productivité faible, plus l?accumulation socialiste primitive se réalisera sur l?usurpation par le secteur d?état du surproduit du secteur privé et moins sur le surproduit des travailleurs d?Etat129.

La situation internationale est un autre facteur important pour le développement d?une économie en transition bien que nous n?en ayons pas fait grandement état au cours de cette étude. Plus un pays est isolé en tant qu?économie en transition, moins les échanges solidaires, préférentiels, intégrés dans une « division internationale socialiste du travail » sont élevés. Le pays, surtout s?il a un faible développement initial de ses forces productives, devra essentiellement compter sur ses propres forces et l?utilisation de catégories marchandes devrait être plus élevée. Bien sûr, le degré de participation des travailleurs, intéressés pleinement au développement socialiste, conscient des contradictions de la période de

129 PRÉOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle économique, Op.cit.

transition, atténuera l?utilisation de la loi de la valeur et des stimulants matériels bien que le développement des forces productives soit faible et que le pays soit relativement isolé.

Nous pouvons distinguer plusieurs périodes en ce qui concerne Cuba depuis la révolution et son approche vis-à-vis des stimulants matériels et de l?utilisation des catégories marchandes. Tout d?abord, le début du processus révolutionnaire fût caractérisé par un tâtonnement pratique et idéologique qui s?est discuté à travers un débat important dans le pays. Deux tendances se firent face entre d?une part les partisans de Guevara qui souhaitaient laisser peu de place aux stimulants matériels et encore moins à la loi de la valeur, et les partisans des thèses insistant sur la nécessité de l?encouragement matériel pendant la phase de transition du capitalisme au socialisme. Bien qu?il ne faille pas rentrer dans une logique productiviste (le primat des forces productives), le fait que Guevara ne parle quasiment pas de démocratie socialiste, de participation de la classe ouvrière peut nous faire penser que les stimulants moraux dont il parle ne ressorte que d?un système paternaliste.

Certains ont vu dans l?échec économique de la période de l?offensive révolutionnaire les erreurs des thèses du Che. Or, la politique appliquée à ce moment (caractérisée à posteriori à Cuba comme idéaliste), ne correspondait pas réellement à ce que Guevara proposait en particulier sur la nationalisation des petits commerces et des activités artisanales. Cette période au cours de laquelle les stimulants matériels ont été supprimés et où les dirigeants croyaient être proche de la société communiste fit un fiasco économique. N?oublions pas non plus que Guevara pensait qu?une certaine dose de stimulants matériels était nécessaire.

Suite à cet échec, nous assistâmes à Cuba à une remise en cause de l?offensive révolutionnaire, à partir de 1970, année de l?échec de la zafra des 10 millions de tonnes. Les normes de travail furent remises en vigueur, les rémunérations selon le travail fournit également, et un système de direction économique était en préparation. L?année 1972 marqua l?entré de Cuba au sein du CAEM et donc d?une certaine division internationale entre les économies planifiées mondiales. Le SDPE fût mis en application en 1976, et à bien des égards il ressemblait aux modes de fonctionnement des entreprises en URSS depuis la réforme de 1965. Les échanges préférentiels entre les pays en transition vers le socialisme (ou s?en proclamant) qui visaient à un rattrapage des pays les moins développés (dont Cuba et le Viêt-

Nam) sur les plus développés permirent à Cuba jusqu?en 1989 de rehausser le niveau de ses forces productives et le niveau de vie de la population alors même que le niveau de ses forces productives et l?installation d?une bureaucratie au pouvoir auraient nécessité des rapports de production moins développés.

Malgré des résultats économiques relativement bons jusqu?en 1985, le SDPE ft tout de même un échec au niveau de son implantation effective. Les stimulants matériels furent tout de même distribués à près de deux millions de travailleurs, bien que des problèmes d?ordre bureaucratique, de non révision des normes de travail ou des problèmes exogènes (climatiques, d?ordre internationaux) firent que le système ne ft pas appliqué avec efficience.

Les difficultés économiques dont fût confronté Cuba à partir de la moitié des années 1980 vinrent remettre en cause le SDPE. Des arguments idéologiques furent mis en avant pour la suppression des éléments marchands de l?économie (marchés « libres » agricoles, activités privés dans la construction...), mais la suspension du paiement de la dette qui empêchèrent Cuba d?emprunter sur les marchés internationaux et qui diminua l?affluence de Monnaie Librement Convertible pour importer, légitimait d?un point de vue économique la réduction des stimulants matériels du fait de la moindre importance de l?offre de biens de consommation. Aucun nouveau système ne sera vraiment mis en application et la désintégration de l?URSS et le passage à l?économie de marché des pays d?Europe de l?Est à partir de 1989 vont plonger Cuba dans une grave crise économique.

La crise économique cubaine entraina une forte dégradation des agrégats économique, le PIB chuta de 35% entre les années 1989 et 1993, les importations et les exportations furent réduites considérablement. De nombreuses entreprises ne purent continuer à fonctionner faute de matériels de rechange, de combustibles... et la pénurie s?aggrava. Des mesures économiques furent mises en place qui visèrent à accroître le rôle de la loi de la valeur et des catégories marchandes dans certains secteurs afin de résoudre les problèmes économiques. La problématique de l?incitation matérielle ft de moins en moins évoquée au vu des urgences du moment.

L?utilisation de la loi de la valeur et des catégories marchandes s?accentua par les différentes mesures engagées, telle la transformation de nombreuses fermes d?Etat en coopératives (UBPC), par la légalisation du travail à compte propre pour certaines activités, la réouverture des marchés dit « libres » où les paysans privés vendent leurs excédents à des prix qui se fixent selon la loi de l?offre et la demande ainsi que par la suppression du monopole du commerce extérieur de l?Etat et la légalisation des IDE dans le cadre d?entreprise mixte. La loi de la valeur accentue donc son rôle aussi bien dans la sphère privée par l?entremise de certains commerces (taxi, paladares...) que dans le secteur d?Etat au sein duquel les entreprises opérant pour l?exportation vendent et achètent des marchandises avec le « reste du monde ». De plus, dans le cadre de la crise et de l?isolement de Cuba au niveau des échanges internationaux « socialistes », l?utilisation de plans quinquennaux n?est plus possible, et les balances financières gèrent les différents plans restreints.

L?économie se reprit à partir de 1994, bien qu?aujourd?hui tous les indicateurs n?aient pas retrouvé leur niveau de 1989. Dans ce nouveau contexte, les stimulants matériels ainsi que la loi de la valeur et les catégories marchandes auxquelles ils sont liés sont nécessaires car nous avons assisté à une stagnation voir même à une diminution des forces productives à Cuba en raison de la crise économique, et les forces productives potentielles ont également été réduit en raison de l?isolement de Cuba en tant que pays en transition ou se proclamant en transition du capitalisme au socialisme. De même la bureaucratie se maintient, même si des espaces de positions pour les travailleurs existent encore dans les syndicats et les organisations de masses par exemple. Les trois déterminants qui contribue à l?existence à plus ou moins forte dose ou à la non existence des catégories marchandes au sein du pays en transition sont au niveau ou l?utilisation des stimulants matériels est nécessaire pour l?élévation de la productivité, des forces productives, du niveau de vie de la population et de l?éventuel construction du socialisme.

Comme nous l?avons dit au cours de ce développement, les stimulants matériels se sont développés dans les secteurs émergents, essentiellement destinés à l?exportation et dans le tourisme par exemple, le tout complexifier par la dualité monétaire qui entraîne des distorsions du fait de l?existence de deux marchés de biens séparés (en Monnaie convertible et en Monnaie Nationale). La stimulation en monnaie convertible s?est largement développée et

elle permet parfois de doubler le salaire si l?on convertit cette stimulation en monnaie nationale. Elle est notamment présente au sein des entreprises qui ont enclenché le processus de perfectionnement des entreprises. Le but est de généraliser ce type de direction économique où l?autonomie des entreprises est plus élevée, (ou la participation des travailleurs au processus décisionnel doit également augmenter) mais depuis le début du processus en 1998, on est loin d?avoir toutes les entreprises intégrées car il faut qu?elles aient un minimum de finances saines avant de pouvoir y rentrer.

Le nouveau contexte cubain depuis les années 1990, c'est-à-dire son isolement en tant que pays en transition vers le socialisme ou se proclamant comme tel, mêlé à la persistance de la bureaucratie et à un bas niveau des forces productives nécessite une forte utilisation de la loi de la valeur et des stimulants matériels pour un accroissement plus sensible de la productivité. Même si les catégories marchandes tiennent plus de place, des espaces marchands peuvent encore être ouvert, par exemple, augmenter le nombre des exploitations paysannes et les activités artisanales privés. De plus, une mise en place plus efficace de stimulants matériels et de salaires aux pièces a du mal à se mettre en oeuvre. Ceci du fait, comme nous l?avons vu, à divers problèmes comme les transports ou l?automaticité de certaines primes.

L?isolement de Cuba au niveau international est moins marqué aujourd?hui qu?au début des années 1990. De nouveaux rapports commerciaux se sont mis en place comme avec la Chine ou certains pays d?Amérique latine. Les échanges au sein de l?ALBA, ressemble en partie aux échanges qui existaient au sein du CAEM, c'est-à-dire des échanges relativement solidaires et qui visent à un développement mutuel entre les pays membres. Mais ils n?ont pas pour le moment, et de loin, l?importance des échanges que Cuba entretenaient avec l?URSS et les pays d?Europe de l?Est.

Nous pensons que la prise en compte des trois éléments (forces productives, bureaucratie et situation internationale) pour identifier à peu près ce qui devrait persister comme dose de catégories marchandes dans une économie de transition pour un développement efficient des forces productives peut servir de base pour une analyse des pays qui sont ou qui étaient (qui se proclament ou se proclamaient) en transition du capitalisme au socialisme. L?analyse de

Cuba à ici été faite sommairement, les prémisses de résultats m?étant apparus tardivement, mais celle-ci, devra être étendue et approfondie dans une étude ultérieur.

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ZIMBALIST, Andrew, « Incentives and planning in Cuba ", Latin American research review, No 1, 1989, pp. 65-93.

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION p.2

I) La rémunération du travail et sa stimulation dans l'étape de transition du capitalisme au socialisme .p.7

A/ L'approche de Marx p.9

1) Rémunération du travail sous le capitalisme p.9

a) Valeur du travail et plus value p.9

b) Salaire au temps et salaire aux pièces .p.12

2) Les suggestions de Marx pour la rémunération dans l'étape de transition au communisme.p.14

a) La persistance de rapports de distribution inégaux p.14

b) Le salaire aux pièces sous le socialisme p.15

B/ Problème fondamental : utilisation de la loi de la valeur durant la période de
transition, contradiction plan-marché, degré de centralisation, incitation matérielle.

Analyse théorique

p.16

1) Rapports de production et forces productives

p.17

a) La loi de correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives

p.17

 

b) Limite de la loi : non correspondance des rapports de production et du développement des forces productives
p.21

2) Le rôle de la loi de la valeur et des catégories marchande durant la période de transition p.24

a) Quel rôle pour la loi de la valeur ? p.24

b) Le dépérissement des catégories marchandes p.26

C/ La stimulation au travail dans les économies en transition au regard de la praxis : Exemples de l'URSS et de la Chine populaire p.28

1) L'incitation matérielle en URSS : quelques remarques

p.28

a) Communisme de guerre, NEP et Stakhanovisme

p.28

b) Les réformes économiques de 1965

p.31

 

2) Planification et stimulation matérielle en Chine durant la première période de la révolution chinoise (1949 - 1978) p.34

a) Orientation générale de la Chine au niveau de la planification et des stimulants matériels suite à la révolution de 1949 p.34

b) Révolution culturelle et grand tournant économique p.37

D/ Cuba et la transition du capitalisme au socialisme p.39

1) La révolution cubaine p.39

a) Les prémisses de la révolution p.39

b) La révolution de 1959 p.41

2) Le projet socialiste à Cuba p.43

a) L?affirmation du caractère socialiste de la révolution p.43

b) Participation des masses et transition vers le socialisme p.45

E/ Le grand débat économique à Cuba p.46

1) La pensée de Guevara p.47

a) Stimulants matériels et stimulants moraux p.47

b) Rapports de production, forces productives et planification p.49

2) L'autre « camp » et première conclusion théorique p.50

a) Le camp de Carlos Rafael Rodríguez p.51

b) Conclusion théorique p.52

II) Les stimulants matériels à Cuba depuis 1959 : rejet et nécessité p.55

A/ Les contradictions de la première période de la révolution cubaine p.56

1) La coexistence simultanée de deux systèmes p.57

a) Le Système Budgétaire de Financement p.57

b) La planification dans l?agriculture p.57

2) Stimulation matérielle et loi de la valeur au début de la révolution cubaine p.58

a) La stimulation matérielle au sein des deux systèmes de planification p.58

b) Recherche d?explication sur l?entrée de Cuba dans la période de transition p.59

B/ L'offensive révolutionnaire et la premi~re rectification des erreurs (1966-1975) p.61

1) L'offensive révolutionnaire, causes et conséquences p.61

a) Changement de cap au niveau de la politique des stimulants matériels et de la planification en général p.61

b) Les difficultés encourues au cours de la période de l?Offensive Révolutionnaire p.63

2) Echec de la Zafra de 1970 et première « rectification des erreurs » p.66

a) Remise en cause de la politique appliquée depuis l?offensive révolutionnaire p.66

b) Amélioration économique et insertion dans le CAEM p.67

C/ 1976-1986 : la mise en place du Système de Direction et de Planification de

l'Économie

.p.69

1) Les implications du SDPE

p.70

a) Les raisons de son application

p.70

b) Les implications théoriques du SDPE sur la politique des stimulants matériels

p.72

 

2) Les résultats de l'application du Syst~me de Direction et de Planification de l'Economie et de l'économie cubaine jusqu'en 1986 p.79

a) Des résultats peu satisfaisants du nouveau système de direction économique p.79

b) Réflexions sur la stratégie cubaine du SDPE p.83

D/ R ectification des erreurs et des tendances négatives et désintégration de l'URSS....p.85

1) La rectification des erreurs et tendances négatives, un nouveau retournement au niveau de la stimulation matériel et de l'utilisation de la loi de la valeur p.86

a) Les causes de ce retournement p.86

b) Les implications réelles du processus de rectification p.88

2) La chute de l'URSS et les implications pour Cuba p.90

a) Une crise économique très grave pour Cuba p.90

b) Réformes et ouverture partielle au marché p.91

E/ Cuba depuis les années 1990, Changements structurels et attitude vis-à-vis de la stimulation matériel toujours non résolue p.94

1) Le problème toujours non résolu de la stimulation matérielle p.94

a) Dualité monétaire et stimulation matérielle p.94

b) Regard sur l?évolution de la stimulation matérielle et les différents problèmes de mise en application p.96

2) Quelle voie pour l'avenir ? p 100

a) Le processus de perfectionnement des entreprises p.100

b) Nouvelle orientation sur les salaires et la rémunération en général p.104

CONCLUSION p.106

BIBLIOGRAPHIE p.113






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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire